La médiatisation de la vie privée dans les Mémoires de la Révolution
p. 79-95
Texte intégral
1La période révolutionnaire a donné naissance à de nombreux Mémoires, dans lesquels la question de l’articulation entre la vie publique et la vie privée est primordiale. Quelles sont les formes que prend la médiatisation de la vie privée dans ces témoignages déclenchés par et portant sur des événements publics ? La part de la vie privée est-elle plus importante chez les femmes mémorialistes que chez les hommes ? L’hypothèse selon laquelle l’éthique aristocratique interdit l’expression de soi, dans sa dimension privée, se vérifie-t-elle dans les Mémoires de cette période ? Dans quels thèmes majeurs se décline l’expression du privé dans ces chroniques et quels sont les tabous qui résistent ou qui sont mis à mal ? Plutôt que de proposer un panorama nécessairement incomplet de la médiatisation de la vie privée dans les Mémoires de la Révolution, qui par moments ferait sans doute double emploi avec la communication de Claudine Giacchetti, on essaiera d’établir théoriquement la pertinence d’une étude sur l’articulation entre la vie publique et la vie privée dans ces Mémoires, comme prolégomènes à l’évocation de quelques exemples qui montrent la difficulté d’un discours unique et homogène sur ces phénomènes.
2Dès l’origine du genre des Mémoires, comme le rappelle Pierre Nora, la sphère publique et la sphère privée sont entrées en concurrence, et leur articulation problématique est au cœur des questionnements qui entourent ce type d’écrits depuis leur apparition. Le premier mémorialiste fut Guibert de Nogent, auteur au XIIe siècle des Gesta Dei per Francos qui racontent la première croisade, et de sa propre biographie, De vita sua, dans un souci identique et dédoublé d’une histoire particulière irréductiblement liée à l’histoire générale de la collectivité nationale1. Cette bipolarité constitutive des Mémoires se retrouve dans la définition qu’en donne l'Encyclopédie, dans un article rédigé par Marmontel, et que nous citons en entier :
MEMOIRES, (Littér.) terme aujourd’hui très usité, pour signifier des histoires écrites par des personnes qui ont eu part aux affaires, ou qui en ont été témoins oculaires. Ces sortes d’ouvrages, outre quantité d’événements publics et généraux, contiennent les particularités de la vie ou les principales actions de leurs auteurs. Ainsi nous avons les Mémoires de Comines, ceux de Sully, ceux du cardinal de Retz, qui peuvent passer pour de bonnes instructions pour les hommes d’Etat. On nous a donné aussi une foule de livres sous ce titre. Il y a contre tous les écrits en ce genre une prévention générale, qu’il est très difficile de déraciner de l’esprit des lecteurs, c’est que les auteurs de ces Mémoires, obligés de parler d’eux-mêmes presqu’à chaque page, aient assez dépouillé l’amour-propre et les autres intérêts personnels pour ne jamais altérer la vérité ; car il arrive que dans des Mémoires contemporains partis de diverses mains, on rencontre souvent des faits et des sentiments absolument contradictoires. On peut dire encore que tous ceux qui ont écrit en ce genre, n’ont pas assez respecté le public, qu’ils ont entretenu de leurs intrigues, amourettes et autres actions qui leur paraissaient quelque chose, et qui sont moins que rien aux yeux d’un lecteur sensé.
Les Romains nommaient ces sortes d’écrits en général commentarii. Tels sont les Commentaires de César, une espèce de journal de ses campagnes ; il serait à souhaiter qu’on en eût de semblables de tous les bons généraux.
3Dans cette définition, on ne trouve pas les termes « vie privée », mais on peut leur trouver un équivalent dans l’expression « les particularités de la vie » et une explicitation dans la condamnation des « intrigues, amourettes et autres actions » dont les auteurs de Mémoires entretiennent à tort leur public. Il y aurait donc une prédominance naturelle de la vie publique dans les Mémoires, et l’expression de la vie privée y serait moins légitime, même si elle est constitutive du genre, mais seulement sur un mode mineur et contrôlé, comme cela apparaissait déjà dans la définition de Furetière qui établit un lien entre le mémoire, au sens administratif, judiciaire, financier et plus tard scientifique du terme, et les Mémoires, « écrits par ceux qui ont eu part aux affaires ou qui en ont été les témoins oculaires ou qui contiennent leurs vies et leurs principales actions ». On peut proposer comme hypothèse, que la tendance et le déséquilibre entre la prédominance du rôle public et la part minimale faite à la vie privée, s’inversent dans les Mémoires de la Révolution, où se joue quelque chose de tout à fait neuf et qui tient à un ensemble de phénomènes complexes et intriqués : bouleversements politiques et sociaux, troubles dans l’organisation familiale, liberté de la presse, légitimité accrue à écrire selon certains processus de démocratisation de l’écriture, influence du modèle rousseauiste, etc. Tout se passe comme si la vie privée avait conquis sa dignité dans des textes destinés au public pendant cette décennie de la Révolution, et dans les récits qui en ont été faits ensuite. Un simple particulier peut prendre la plume pour raconter son expérience de la tourmente révolutionnaire. Il faut dire que la Révolution ne se joue pas seulement dans les hautes sphères du pouvoir, et autour d’un personnel politique habitué à témoigner par écrit de son expérience de la vie publique. L'importance des « journées » révolutionnaires fait de l’homme de la rue et du particulier un témoin tout aussi capital, et de son témoignage un texte auquel les événements eux-mêmes confèrent toute sa légitimité. Pendant tout l’épisode de la Terreur, le pouvoir cherche à exercer un contrôle absolu sur la vie privée, considérée comme le lieu d’une possible réaction contre-révolutionnaire. L’écriture se fera alors revendication de la vie privée, retrait dans l’intimité pour échapper à l’emprise de la Terreur et à ses règlements qui cherchent à encadrer toutes les activités et tout le quotidien des citoyens.
4Lynn Hunt, dans sa contribution à l’Histoire de la vie privée, avance l’idée que la vie publique l’emporte dans les Mémoires sur la Révolution, comme si la grande Histoire, très mouvementée, mettait au second plan le récit de la vie privée2. Elle s’appuie sur un corpus restreint. Qu’en est-il si on observe le phénomène sur un corpus plus large ? Sa théorie se vérifie-t-elle si on étudie d’autres exemples ? Il est vrai que La Révellière-Lépeaux note à la fin de la première partie de ses Mémoires, qui concerne la période qui va jusqu’en 1789 : « Ici se termine la première partie de ma vie privée et j’entre dans ma vie publique ». Mais il prend quand même le soin, même dans les récits sur son parcours politique de consacrer un chapitre à sa « proscription » qui est bien un moment de retrait forcé de la vie publique. Les événements politiques de la Terreur ont de telles conséquences dans la vie privée des citoyens qu’il y a une réelle intrication du récit de la vie publique et de la vie privée, quand le récit reprend après le 9 Thermidor, dans le chapitre IX de la deuxième partie intitulé « Réunion avec ma famille après le 9 thermidor. Mon rappel dans la Convention ». Le titre de ce chapitre montre bien que l’attention à la vie privée, et à sa cellule première et naturelle, passe avant les considérations sur les fonctions qu’il va occuper à nouveau dans la vie politique :
Le premier usage que je fis de ma liberté fut d’écrire à ma femme. Quel plaisir de recevoir sa réponse ! c’était enfin avec des lettres réciproques de notre propre main que nous pouvions nous assurer de notre mutuelle existence, et de celle de notre chère Clémentine. Je m’apercevais cependant, à plus d’un signe, qu'il me restait de grands sujets d’une éternelle douleur, malgré le changement de ma position, et que la perte de mon frère était consommée, (p. 198)
5L’écriture ici, en particulier l’écriture épistolaire, est du côté de la vie privée, et même intime ou du moins familiale, sur laquelle on mesure les désastres provoqués par la violence de la vie publique. En ce sens, ce privilège accordé en premier lieu à la vie privée, ce mouvement de retrait dans l’intime acquièrent un sens politique de condamnation de la Terreur, comme intrusion sanglante dans le cercle des familles et de la vie privée. L’intime et le politique, le privé et le public se donnent donc à penser dans des rapports complexes et dialectiques, où le privilège accordé aux premiers, loin d’être un repli frileux, est une dénonciation des seconds. L’accent mis sur la vie privée devient un acte militant qui prend donc un sens politique dans la vie publique. Les deux sphères ne peuvent plus se penser en simples termes d’opposition et d’exclusion réciproque. Au chapitre XLV, il évoque la « crise du 30 prairial an VII » qui entraîne la « fin de [s]a vie publique » (p. 389). Mais le récit des événements politiques trouve un écho dans la vie privée qui vaut pour une condamnation de ces mêmes événements, comme si la sphère privée était nécessairement désormais contaminée par le politique :
La députation des Cinq-Cents congédiée, comme je viens de le dire, je retournai dans la salle de conseil du Directoire, j’y pris mon portefeuille et de suite je rentrai chez moi, d’où je partis aussitôt pour me retirer dans ma petite maison d’Andilly, à quatre lieues de Paris.
En sortant de mon appartement du Luxembourg, je trouvais tous mes domestiques en larmes sur mon passage. (p. 409)
6Le pathos ici échappe à la simple description du cercle intime pour acquérir une dimension politique de réprobation et de contestation. Et même dans sa description de ses fonctions au Luxembourg, quand il est membre du Directoire, il juge utile de donner des détails sur l’organisation domestique de ses journées. Le chapitre XLVI porte ainsi pour titre : « Vie intérieure au Luxembourg. Retraite à Andilly après le 30 prairial. Visites de Pléville-le-Peley et de Talleyrand » (p. 410). La « vie intérieure » est bien synonyme de vie privée et concerne la période qui précède le retrait de la vie publique, ce qui prouve bien que les deux ne sont pas en stricte opposition et en simple relation de succession. Le Directeur a compris l’importance de l’exemplarité de sa vie privée pour le bon déroulement de sa carrière d’homme politique : « Avant de parler de ce que je suis devenu et de ce que j’ai fait depuis ma rentrée dans la vie privée, je consacrerai quelques lignes au récit de nos habitudes domestiques au Luxembourg ». (p. 410)
7Il y a donc bien une dimension privée, même dans la vie publique, et La Révellière-Lépeaux a bien compris la nécessité de sa bonne gestion, et donc d’une dimension qui ne s’appelle pas encore « publicitaire », et qui permet un contrôle et une utilisation bénéfique de son « image » publique, cette part de sa vie privée dont on tire un bénéfice pour son statut politique et public :
Il n’y avait point de cercle chez nous, et par conséquent point de cour. Ma femme recevait et rendait les visites qui lui étaient faites par les femmes de mes collègues, par celles des ministres, des généraux, etc. De mon côté, je recevais celles qui avaient rapport aux affaires. Mais, je le répète, je ne tenais point salon. – Était-ce un bien ou un mal ? [...] La décade passée dans l’occupation et le travail, le décadi, nous rassemblions nos amis au Jardin des Plantes [...], nous faisions un concert de famille, (p. 411-413)
8L’organisation de la vie privée a un sens politique de rupture radicale avec l’Ancien régime et ses modes de sociabilité (Cour, salon). C’est le triomphe de la famille bourgeoise, où l’épouse reste à sa juste place, alors que certaines femmes avaient pu jouer un rôle de premier plan sous l’Ancien Régime, précisément à la Cour ou en tenant un salon. C’est comme si la vie privée appartenait de plein droit à la vie publique, ou était une continuation de la vie publique, et des valeurs qu’on veut y faire triompher, jusque dans la sphère intime qui n’en aurait donc plus que le nom. Cette revendication de la vie privée et de ses agréments marque l’avènement des valeurs de la bourgeoisie, qui se construit paradoxalement contre la vie publique et en même temps se met au service d’une image publique, comme une publicité de la vie privée. C’est de ce côté que semble se situer le bonheur, et non dans les affaires publiques et les postes de pouvoir :
Depuis de longues années, je n’avais pas joui d’un sommeil aussi agréable et aussi tranquille que fut celui de la première nuit que je passai, après que j’eus pour toujours quitté le Luxembourg. Le lendemain matin, en me retrouvant loin des affaires, au sein de ma famille, je goûtai l’inexprimable contentement d’un homme qui, au sortir d’un long et pénible rêve, s’éveille plein de vie et de santé, et voit que tous les maux qu’il avait cru éprouver n’étaient qu'un songe.
Je n’ai pas besoin de dire que des amis comme les nôtres ne nous délaissèrent pas. Jamais nous n’eûmes plus de gaieté, ma femme, ma fille et moi, que dans ces premiers jours, et jusqu’au moment où la fureur des partis, qui recommença à menacer ma tête, réveilla nos inquiétudes, et vint troubler, pour quelque temps encore, notre heureuse tranquillité. (p. 414)
9Il faut sans doute faire la part de la reconstruction et de l’idéalisation qui entrent dans ce commentaire et lui confèrent sa dimension idéologique et axiologique très forte. L’ancien Directeur apparaît ainsi sans goût particulier pour le pouvoir qui n’a pas été capable de le corrompre et d’abîmer en lui ce goût des valeurs simples et familiales de la bourgeoisie. Ces précisions privées sur le sommeil retrouvé ne fonctionnent pas comme simple épilogue après les épisodes tumultueux de la vie publique et du pouvoir, mais comme affirmation d’un « ethos » bourgeois triomphant, dans la reconnaissance de la valeur morale de la vie privée, organisée autour du cercle familial. La médiatisation de la vie privée se fait alors selon certains codes, et sur un arrière-plan idéologique bien déterminé. On voit en tout cas que l’analyse strictement chronologique de Lynn Hunt doit être amendée, car on trouve malgré tout des traces de la vie privée dans les récits des responsabilités publiques, par rapport auxquelles elles jouent une fonction qui n’est pas uniquement de contrastes, car elles ont à voir avec la notion d’« image » qui se situe à la croisée du public et du privé, et suppose un strict contrôle du privé pour sa bonne publicité publique. Pour autant, quand dans ses Mémoires un auteur insère des passages sur sa vie privée, se conforme-t-il à la poétique sous-jacente de ce genre, ou ne verse-t-il pas plutôt dans l’autobiographie, pour un récit de soi coupé d’enjeux plus extérieurs et généraux ?
10C’est toute la question de la distinction entre Mémoires et autobiographie qui est en jeu ici, dans ce dosage, cet équilibre, ou au contraire ce déséquilibre entre vie privée et vie publique. Nous reprendrons les analyses très pertinentes de Georges Gusdorf, dans Lignes de vie 1. Les écritures du moi, en particulier au chapitre 10 intitulé « Autobiographie et mémoires : le moi et le monde »3. Il ne s’arrête pas en particulier sur le corpus des Mémoires de la Révolution, mais son argumentation fournit des éléments qui peuvent l’éclairer, tout comme ce corpus peut venir à l’appui de sa démonstration. Il résume bien la tension entre les deux pôles du public et du privé dans la définition très synthétique qu’il propose des Mémoires : « Au sens le plus précis du terme, les livres de Mémoires seraient donc des livres d’histoire mis en perspective personnelle4 ». Le mot « histoire » renvoie évidemment au pôle public et l’adjectif « personnelle » au pôle privé, les deux conjuguant leurs effets dans les Mémoires. Mais c’est pour montrer immédiatement la prédominance du premier sur le second :
Le mouvement constitutif des Mémoires est un mouvement centrifuge ; le sujet du récit se projette vers l’environnement ; il se définit lui-même en termes objectifs, par ses appartenances extrinsèques : famille, patrie, partis, fonctions assumées qui contribuent à aligner autour de lui le panorama du monde. Son propos n’est pas de s’isoler du reste, pour revenir à soi, oubliés les grands mouvements du monde. Il s’accepte tel qu'il est, sans se poser de questions sur son identité ; il prend sa part du mouvement du monde, auquel il contribue de son mieux ; il tient à honneur de revendiquer ses responsabilités dans la suite des événements. Il prend la pose, semblable à ces portraits de notables qui décorent les lieux publics [...]. L’auteur de Mémoires est par essence un Important, qui tend à persuader les autres de l’importance du rôle qu’il a joué, et à s’en persuader lui-même.5
11C’est sans doute un phénomène qui n’est plus tout à fait vérifié avec les Mémoires de la Révolution, où l’importance du rôle politique joué par l’auteur n’est plus le seul principe de légitimation du récit de soi, et dans lesquels on assiste à un processus de démocratisation de l’accès à l’écriture. Georges Gusdorf perçoit très bien que l’articulation entre vie publique et vie privée est au cœur de « l’alternative entre Mémoires et Confessions » dont « on ne se débarrasse pas aisément » :
Ce qui caractérise le genre des Mémoires, c’est l’importance primordiale accordée à l’ordre du monde, au sein duquel l’individu affirme sa position, à la fois sujet et objet dans les grands rythmes de l’histoire. [...] Il ne saurait y avoir de coupure radicale entre le vecteur de l’intimité, où le sujet se trouve en débat avec lui-même, et le vecteur de l’extériorité, où l’individu apparaît comme déterminant et déterminé dans les cycles des événements.6
12Une façon de régler la question est d’avoir recours à la valeur littéraire d’un texte et donc à la notion d’œuvre. La littérature critique sur les écritures de soi retient rarement ce critère, car elles sont souvent constituées de genres mineurs, qui ont longtemps été considérés comme de la « sous-littérature », comme de simples documents scripturaux ayant un intérêt pour le seul anthropologue, mais que les études littéraires ignorent avec dédain7. Même si l’œuvre, dans son autonomie, transcende les catégories définies par la poétique, les lois du genre n’en continuent pas moins d’y travailler et de s’y trouver interrogées :
En fin de compte, l’opposition entre Mémoires et autobiographies demeure sans valeur lorsqu’il s’agit d’une grande œuvre, dont l’unité s’affirme en vertu d’une autonomie qu’il serait absurde de mettre en question à propos de tel ou tel détail. Tout au plus peut-on faire valoir que l'un des deux genres met l’accent sur la vie privée du sujet de l’histoire, tandis que l’autre concerne sa vie publique, ses engagements dans les grands intérêts du monde. L’autobiographie proprement dite serait plutôt égocentrique, les Mémoires cosmocentriques ou sociocentriques, toutes les formes intermédiaires pouvant se présenter entre les deux attitudes extrêmes.8
13Il faut donc, au lieu d’opposer strictement les deux genres, les situer l’un par rapport à l’autre sur une échelle graduée par les notions de public et de privé : Mémoires et autobiographie ne seraient pas opposés, mais plutôt concentriques, selon l’importance respective reconnue par le narrateur à la vie privée et à la vie publique, sans que l’une puisse tout à fait éliminer l’autre9.
14Ces questions sont au cœur de l’ouvrage de Béatrice Didier, Écrire la Révolution, 1789-1799, paru au moment du Bicentenaire en 1989, notamment dans trois des études qui le composent : « Les femmes dans la lutte », « Madame Roland et l’autobiographie » et surtout « Sensibilité et Histoire : Les Considérations de Mme de Staël ». Toutes ses analyses lui permettent de conclure dans le dernier chapitre intitulé « Un flot incroyable de puissance et de génie : la génération de 1789 » : Le grand journalisme du XIXe siècle, mais aussi les genres de la vie intérieure, ainsi l’autobiographie (même si Rousseau avait été le grand initiateur), ont pris leur essor dans ces dix années qui achèvent le XVIIIe siècle10.
15Elle montre bien qu’« un des intérêts de la période révolutionnaire, c’est de remettre en cause les limites du privé et du public11 ». Dès lors les Mémoires de la Révolution ne peuvent que se faire l’écho de cette nouvelle distribution, et en quelque sorte aussi le laboratoire. Par exemple, « l’éducation des enfants passe du domaine du privé à celui du public, par suite de l’étatisation (très partiellement réalisée, il est vrai) de l’enseignement12 ». Et la revendication des femmes portant sur des questions qui sont du registre du droit public, alors qu’on a cherché, à l’époque et dans l’histoire qu’on en a écrite ensuite, à les cantonner dans la vie privée, va également dans le sens de cette rupture des clivages. S’interrogeant sur les Mémoires de Mme Roland, elle met en évidence le caractère dialectique du lien qui va unir l’individu, dans sa sensibilité, et l’Histoire, dans son universalité, d’une façon tout à fait inédite puisqu’elle s’explique par l’absolue nouveauté de l’événement révolutionnaire :
La sensibilité et l’individualité trouvent ainsi leur force et leur véritable signification. L’individu n’est lui-même que parce qu’il est capable d'universalité, la sensibilité étayée par la vigueur de la réflexion sur l’histoire devient moyen d’accès à la vérité. Il aura fallu traverser cette époque historique particulièrement troublée, mais capitale, pour que la sensibilité individuelle prenne véritablement sens par rapport à l’Histoire.13
16Si la vie privée acquiert une telle importance dans les Mémoires de la Révolution, c’est sans doute que cette période est celle d’une explosion de la sensibilité, non seulement individuelle, comme on vient de le voir, mais également collective, ce qui explique qu’elle entre ainsi en tension avec la vie publique. En effet, la sensibilité ne se manifeste plus seulement dans le retrait intime et la vie domestique de la maison, elle se donne également libre cours dans l’espace public de la rue, de l’Assemblée, du club, etc. Elle est à la fois « sensibilité des individus et sensibilité des masses14 ». André Monglond avait déjà souligné ce phénomène dans son étude sur Le Préromantisme : « La Révolution à ses débuts sera une immense et quasi universelle explosion de sensibilité. Pendant quelques mois l’attendrissement général atteint au paroxysme15 ». Comme ensemble de situations limites, les événements révolutionnaires font disparaître les freins qui auraient pu contenir cette sensibilité et réguler l’ordre social. C’est bien là le propre d’une révolution. On a souvent dit que la Révolution française avait été portée par la bourgeoisie dont elle avait permis l’ascension, en même temps que celle du style sensible et de l’exaltation du sentiment qui triomphent avec elle.
17Si cette sensibilité peut s’exprimer pour les hommes dans la sphère publique, à la tribune ou dans l’action, le pouvoir va tenter de canaliser celle des femmes dans le privé en « exaltant ses qualités de bonne épouse et de bonne mère ». La sensibilité féminine devient ainsi « un stimulant, un adjuvant de la politique nataliste de la Révolution guerrière16 ». On voit donc bien comment « le rôle des femmes ne peut être que privé ». Or certaines femmes, comme Mme Roland ou Mme de Staël, font bouger ces frontières, et rendent caduque la distinction entre vie privée et vie publique :
La vie privée ne peut plus se séparer de la vie publique. La grandeur des enjeux idéologiques amène les femmes comme les hommes à dépasser leur cas individuel et à penser les problèmes à un niveau national, européen et même mondial. [...] Chez celles qui écrivent, chez celles qui possèdent ce substitut durable du pouvoir qu’est l’écrit, nous pouvons lire une affirmation de l’identité qui est inséparable de cette transformation que subit la sensibilité affrontant l’Histoire. C’est l’Histoire en effet qui les oblige à dépasser les antithèses simplistes : raison/sensibilité et individualité/universalité.17
18La séparation entre les genres des Confessions et des Mémoires, distincts sous l’Ancien Régime « n’a plus de sens à partir du moment où tout individu se trouve confronté à l’Histoire ». Non seulement « la Révolution a amené une floraison de textes autobiographiques mais elle a changé la nature même de l’autobiographie18 ». La question du privé et du public renvoie donc à des distinctions génériques qui perdent de leur netteté et de leur légitimité pendant la période révolutionnaire. Il semble qu’il y ait contamination ou hybridation entre les deux genres, comme si la Révolution, réorganisant la société et ses structures, imposait également une réorganisation dans la façon dont elles s’expriment et s’élaborent dans le champ littéraire. Des notions jusqu’alors bien distinctes doivent se penser désormais de façon dialectique, comme l’explique très bien Béatrice Didier :
La sensibilité n’enferme pas non plus l’individu dans sa subjectivité. L’individu ne devient lui-même que confronté à l’Histoire. Le particulier et le général, l’individuel et le collectif coïncident. [...] Il aura fallu traverser une époque historique particulièrement troublée pour que la sensibilité individuelle prenne véritablement sens par rapport à l’Histoire, et par conséquent à la totalité.19
19Il s’agit donc d’étudier de plus près à quels moments les références à la vie privée l’emportent dans ces Mémoires de la Révolution, et à quelles occasions au contraire elles s’effacent au profit d’une valorisation du rôle public. Peut-on observer des invariants dans ces phénomènes ? Ou bien cette répartition est-elle propre à chaque texte étudié ? Qu’en est-il du lieu commun selon lequel les femmes parlent plus volontiers de la vie privée et les hommes au contraire de la vie publique ? La question du genre littéraire recoupe-t-elle la question du genre sexuel, et selon quelles modalités ? Les mémorialistes qui ont effectivement joué un rôle important sur la scène publique, négligent-ils pour autant l’évocation de leur vie privée ? Ceux qui au contraire seraient restés obscurs sans l’écriture et la conservation de leurs Mémoires, et qui devraient se cantonner à leur vie privée, évoquent-ils la vie publique, sous quelles et d’après quels processus de légitimation de cette intrusion sur cette autre scène ?
20Pendant la période révolutionnaire, il semble que ce que Jean-Louis Jeannelle appelle les « embrayeurs traditionnels du genre (fonctions sociales ou politiques, responsabilités historiques ou accès privilégié aux arcanes du pouvoir)20 » se trouvent remis en question, car la Révolution fait de chacun un témoin ni plus ni moins privilégié que son voisin ou presque, et confère à chaque individu une légitimité à porter un regard sur l’Histoire en train de se constituer et de s’en faire le scribe. La vie publique ne fonctionne plus comme unique principe de légitimation des « récits égohistoriques21 », ce qui implique évidemment des transformations substantielles de l’écriture des Mémoires.
21On voit bien que le choix de cette problématique recoupe des questions d’ordre littéraire, telles que celles du choix d’un genre et de l’élaboration complexe de sa poétique et de ses variations, mais aussi de l’organisation du récit et de ses épisodes, ainsi que des questions d’énonciation et de constitution de la figure d’un lecteur ou de l’image d’un public, en rapport avec la notion complexe de postérité, mais aussi des interrogations plus spécifiquement historiques sur les modifications qui affectent les acteurs des événements révolutionnaires, au sens le plus large du terme. Y a-t-il, par exemple, un retrait sur la vie privé chez les émigrés, ou au contraire, une revendication d’un rôle public à reconquérir ? De leur côté les « patriotes » découvrent-ils un sens nouveau donné à leur vie privée par leur importance dans la vie publique, des clubs, de la rue ou de la tribune ?
22On peut émettre l’hypothèse que cette articulation nouvelle entre vie privée et vie publique au moment, ou à l’occasion de la Révolution, participe à l’émergence de ce que Hannah Arendt a appelé la Condition de l’homme moderne22. Dans son deuxième chapitre, intitulé « le domaine public et le domaine privé », elle fait retour sur l’opposition chez les Grecs entre la sphère du privé, consacrée à l’entretien de la vie biologique, et la sphère du public, dédiée aux activités touchant le monde commun, avant de montrer qu’une telle division n’a plus de sens dans le monde moderne où toute l’existence humaine se trouve absorbée par la sphère du social. Au point de bascule, elle consacre un long développement à Rousseau, ce qui va dans le sens de notre hypothèse. Citant la Paideia de Werner Jaeger, elle montre que l’avènement de la cité grecque confère à l’homme outre sa vie privée une sorte de seconde vie, son bios politikos. Désormais, chaque citoyen appartient à deux ordres d’existence ; et il y a dans sa vie une distinction très nette entre ce qui lui est propre (idion) et ce qui est commun (koinon)23.
23Il s’agit non seulement de la théorie d’Aristote24, mais aussi d’une donnée historique : « La fondation de la cité avait suivi la destruction de tous les groupements reposant sur la parenté, comme la phratria et la phylè25 ». L’émergence de la sphère du social correspond à la naissance des temps modernes :
La distinction entre la vie privée et la vie publique correspond au domaine familial et politique, entités distinctes, séparées au moins depuis l’avènement de la Cité antique ; mais l’apparition du domaine social qui n’est, à proprement parler, ni privé ni public, est un phénomène relativement nouveau, dont l’origine a coïncidé avec la naissance des temps modernes et qui a trouvé dans l’État-nation sa forme politique.26
24Elle montre que ce qui faisait l’objet d'une distinction claire et fondatrice dans la pensée grecque, se donne à penser autrement et de façon plus confuse pour l’homme moderne :
Depuis l’accession de la société, autrement dit du « ménage » (oikia) ou des activités économiques, au domaine public, l’économie et tous les problèmes relevant jadis de la sphère familiale sont devenues préoccupations « collectives ». En fait, dans le monde moderne les deux domaines se recouvrent constamment comme des vagues dans le flot incessant de la vie.27
25Décrivant ce qu’elle appelle « l’avènement du social », elle a recours à la notion d’intime pour préciser celle de privé, et montre que le monde moderne se donne à penser dans des catégories qui ont changé de sens depuis l’Antiquité grecque et romaine :
L’apparition de la société – l’avènement du ménage, de ses activités, de ses problèmes, de ses procédés d’organisation – sortant de la pénombre du foyer pour s’installer au grand jour du domaine public, n’a pas seulement effacé l’antique frontière entre le politique et le privé ; elle a si bien changé le sens des termes, leur signification pour la vie de l’individu et du citoyen, qu’on ne les reconnaît presque plus. Nous ne dirions certainement plus avec les Grecs qu’une vie passée dans l'intimité du chez soi, de ce que « l’on a à soi » (idion), loin du monde commun, est « idiote » par définition, ni avec les Romains que la vie privée ne sert qu’à se retirer temporairement des affaires de la res publica ; plus encore, nous nommons aujourd’hui privé un domaine intime dont on peut chercher l’origine à la fin de l’antiquité romaine, et dont on ne trouverait guère de traces dans l’Antiquité grecque, mais dont la diversité, la complexité singulière furent à coup sûr inconnues avant l’époque moderne.
26Selon elle, ce changement est fondamental et tient au passage d’une définition négative du privé à un sens positif qu'il va acquérir grâce au triomphe de l’individualisme :
Dans la pensée antique tout tenait dans le caractère privatif du privé, comme l’indique le mot lui-même ; cela signifiait que l’on était littéralement privé de quelque chose, à savoir de facultés les plus hautes et les plus humaines. L’homme qui n’avait plus d’autre vie que privée, celui qui, esclave, n’avait pas droit au domaine public, ou barbare, n’avait pas su fonder ce domaine, cet homme n’était pas pleinement humain. Quand nous parlons du privé, nous ne pensons plus à une privation et cela est dû en partie à l’enrichissement énorme que l’individualisme moderne a apporté au domaine privé. Toutefois, ce qui paraît plus important encore, c’est que de nos jours le privé s’oppose au moins aussi nettement au domaine social (inconnu des Anciens qui voyaient dans son contenu une affaire privée) qu’au domaine politique proprement dit. Événement historique décisif : on découvrit que le privé au sens moderne, dans sa fonction essentielle qui est d’abriter l’intimité, s’oppose non pas au politique mais au social, auquel il se trouve par conséquent plus étroitement, plus authentiquement lié.28
27Nous trouvons également très éclairantes ses analyses sur la notion d’« amour » qui se pervertirait à passer du domaine privé au domaine public. Or n’est-ce pas précisément ce passage qu’a tenté d’imposer la Révolution, en particulier dans ses nombreuses fêtes, fondées sur l’exaltation de la sensibilité et de la vertu ? Les critiques seront nombreuses pour dénoncer cette effusion sensible et ces déclarations de vertu et d’amour au moment même où la Terreur la plus sanglante sévit. Faire passer l’amour de la sphère privée à la sphère publique peut être un des traits de la démagogie la plus cynique, par un usage obscène et dévoyé du pathos où la sensibilité devrait tout justifier. Même si elles ne désignent pas explicitement la période révolutionnaire, les analyses de Hannah Arendt lui semblent tout à fait adaptées :
Mais il y a beaucoup de choses qui ne peuvent supporter l’illumination implacable de la présence constante d’autrui sur la scène publique ; on n’y tolère que ce qui passe pour important, digne d’être vu ou entendu, le reste devenant automatiquement affaire privée. Cela ne signifie certes pas que les affaires privées soient généralement sans importance ; au contraire, nous verrons qu’il y a des choses très importantes qui ne peuvent subsister que dans le domaine privé. Par exemple l'amour, à la différence de l’amitié, meurt, ou plutôt s’éteint, dès que l’on en fait étalage. [...] Essentiellement étranger au monde, l’amour ne peut que mentir et se pervertir lorsqu’on l’emploie à des fins politiques comme le changement ou le salut du monde.29
28Cette question de l’articulation de la vie privée et de la vie publique dans les Mémoires de la Révolution est donc au cœur des problèmes qu’elle suscite et des mutations idéologiques dont ces Mémoires se font l’écho. Les cas de figure sont très variés. Par exemple Bailly, lorsqu’il évoque son épouse dans ses Mémoires, écrit « Madame Bailly ». Panon Desbassayns, dans le Voyage à Paris pendant la Révolution (1790-1792), propose un journal des événements publics, loin de la poétique du journal personnel qu’on connaît aujourd’hui. Il nous propose bien ça et là quelques incursions dans sa vie privée, en particulier à propos de ses enfants, pour l’éducation desquels il est venu de l’île Bourbon à Paris. Mais quand il écrit à sa femme, il a recours à un écrivain public, ce qui montre bien la complexité de toutes ces questions et la difficulté à établir des constantes et des règles immuables sur cette période. Les Mémoires de la marquise de La Rochejaquelein sur les guerres de Vendée fournissent pour leur part une configuration très intéressante : il s’agit bien d’un récit partisan des événements publics de la guerre civile, qui n’empêche pas une évocation des souffrances. Mais la mort de ses trois fillettes est évoquée rapidement. Nées de son mariage avec Lescure, ces trois enfants sont victimes de la guerre, de la malnutrition et des maladies qu’elle entraîne. Pourtant on peut remarquer que le récit très bref de la mort de la dernière fillette constitue les derniers mots du texte des Mémoires proprement dits, si l’on en excepte le « Supplément », qui est de rédaction postérieure. On voit que la place d’un récit, davantage encore que sa longueur, peut avoir une dimension stratégique. C’est sur un malheur privé que s’achève ce récit d’événements publics et sanglants. Claudine Giacchetti pose la question de la légitimité pour une femme du XIXe siècle d’écrire ses Mémoires :
Peut-elle se poser comme « témoin » de l’histoire de son époque et de son milieu, si ce témoignage est partiel, mal documenté, si son récit perd en crédibilité parce que son champ d’investigation est réduit et son accès aux grands débats d’actualité compromis ?
C’est en retournant la question que, sous couvert d’humilité, les femmes ont pu se donner une nouvelle « autorité ». Refusant d’écrire « pour servir l’histoire », elles préconisent un point de vue différent, basé sur l’expérience et l’affectivité personnelle, une visions « privée » de l’histoire, puisque l’espace public ne leur est pas ouvert.30
29Il ne s’agit donc pas seulement, dans ces questions sur la médiatisation de la vie privée au sein de ces Mémoires, d’une question d’histoire littéraire, sur un problème poétique que nous pourrions définir comme un processus d’« autobiographisation » des Mémoires, car elle a également des implications politiques essentielles et suppose aussi un questionnement d’ordre anthropologique qui interroge cette montée de l'intimité dans le récit de la vie publique, dans un processus très net de privatisation du public, parallèle à celui qui voit la publicité du privé. De manière détournée, mais non moins sérieuse et intéressante que les méthodes des historiens, on se donne ainsi la possibilité de mieux comprendre l’épisode révolutionnaire et ses enjeux.
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Bibliographie
Andries Lise, « Récits de survie ; les mémoires d’autodéfense pendant l’an II et l'an III », dans La Carmagnole des Muses, Paris, Armand Colin, 1988, p. 261-275.
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10.3917/puf.didie.1989.01 :Didier Béatrice, Écrire la Révolution, 1789-1799, Paris, PUF, 1989.
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Gusdorf Georges, Lignes de vie 1. Les écritures du moi, Paris, Odile Jacob, 1991.
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Jeannelle Jean-Louis, Écrire ses Mémoires au XIXe siècle : déclin et renouveaux, Paris, Gallimard, 2008.
Monglond André, Le Préromantisme, Paris, Corti, 1966, t. II, p. 342.
Nora Pierre, « Les Mémoires d’État : de Commynes à de Gaulle », Les Lieux de mémoire, Pierre Nora (dir.), Paris, Gallimard, Quarto, 1997, p. 1383-1427.
Notes de bas de page
1 Pierre Nora, « Les Mémoires d’État : de Commynes à de Gaulle », Les Lieux de mémoire, Pierre Nora (dir.), Gallimard, Quarto, 1997, p. 1383-1427.
2 « Les Mémoires des grands personnages politiques sont étonnamment impersonnels. Ils sont presque exclusivement consacrés à la vie publique, tout comme les Mémoires de leurs prédécesseurs de l'Ancien Régime, et la plupart des aspects de la vie privée – l’amour, les relations conjugales, la santé – sont laissés dans l’ombre, comme s’ils n’avaient rien à voir avec la grande expérience de la création d’une nation nouvelle. Même les Mémoires écrits bien plus tard gardent ces principes. La Révellière-Lépeaux, qui a rédigé les siens vers 1820 et a consacré de très nombreux passages très romantiques à ses premières amours, ne réserve qu’un chapitre de ses trois volumes à sa “vie privée avant la Révolution”. La vie privée semble se terminer avec la Révolution et ne recommencer qu’avec l’abandon de la vie publique », Histoire de la vie privée, tome 4, De la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Seuil, 1987, p. 42.
3 Georges Gusdorf, Lignes de vie 1. Les écritures du moi, Paris, Odile Jacob, 1991, p. 239-274.
4 Ibid., p. 260.
5 Ibid.
6 Ibid., p. 264-265.
7 Ibid., p. 258 : « La fortune littéraire ne peut honorer que des textes de qualité, mais cette qualité ne saurait se substituer à la quantité, dont elle ne rend pas compte. Le point de vue esthétique et littéraire se trouve ici en contradiction avec le point de vue de l’anthropologie culturelle, aux yeux de laquelle le récit de vie le plus banal ne saurait être considéré comme insignifiant. L’ethnologue écoute tous les témoignages ; le critique littéraire répugne à s’aventurer dans les bas-fonds de la sous-littérature ».
8 Ibid., p. 266.
9 Ibid., p. 270-271. Voir également p. 274 : « Le parcours des Mémoires et celui de l'autobiographie ne sont pas contradictoires, ni même opposés ; ils seraient plutôt concentriques, le second s’efforçant de demeurer au plus près du noyau du sens, le premier s’abandonnant à la force centrifuge qui projette la conscience en expansion d’univers ».
10 Béatrice Didier, Écrire la Révolution, 1789-1799, Paris, PUF, 1989.
11 Ibid, p. 68.
12 Ibid.
13 Ibid, p. 270-271.
14 Ibid, p. 276.
15 André Monglond, Le Préromantisme, Corti, 1966, t. II, p. 342. Voir également Georges Gusdorf, Les Sciences humaines et la pensée occidentale, t. VIII : La conscience révolutionnaire. Les Idéologues, Paris, Payot, 1978, p. 136 : « On amis en évidence des marques de sensibilité jusque dans les épouvantables massacres de septembre, ou dans la journée du 10 août ».
16 Ibid., p. 277.
17 Ibid., p. 284.
18 Ibid., p. 280. Voir Lise Andriès, « Récits de survie ; les mémoires d’autodéfense pendant l’an II et l’an III », dans La Carmagnole des Muses, Armand Colin, 1988, p. 261-275. Ces mémoires sont « fondés sur une imbrication étroite de la vie privée et de la vie publique ». On y trouve une « rhétorique de la transparence » : « conduite privée et conduite publique doivent être exposées au grand jour, ou du moins en donner l’illusion [...]. L’innocence de l’inculpé repose sur la transparence de ses mœurs et de sa vie publique », et l’on voit apparaître la « notion récurrente de la fusion entre l’homme public et l’homme privé ». Cela renvoie au « mythe jacobin de la maison de verre où chaque acte, chaque mouvement de la conscience deviennent une réalité immédiatement perceptible ». Voir également Georges Benrekassa, « La Révolution et l’autobiographie », actes du colloque de Bielefeld, La Révolution française, rupture ou continuité ?
19 Béatrice Didier, op. cit., p. 285.
20 Jean-Louis Jeannelle, Écrire ses Mémoires au XXe siècle : déclin et renouveau, Paris, Gallimard, 2008.
21 Ibid., p. 375 : Jean-Louis Jeannelle définit ainsi les « récits égohistoriques » : « l’ensemble des textes où un individu entend donner une représentation de lui-même dans sa condition historique ».
22 Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, traduit de l’anglais par Georges Fradier, préface de Paul Ricœur, Paris, Calmann-Lévy, 1961 et 1983, Pocket, 1994.
23 Werner Jaeger, Paideia, 1945, III, 111.
24 Aristote, Politique, III, 2, 11.
25 Hannah Arendt, op. cit., p. 61.
26 Ibid., p. 65.
27 Ibid., p. 71.
28 Ibid., p. 76.
29 Ibid., p. 91.
30 Claudine Giacchetti, Poétique des lieux. Enquête sur les Mémoires féminins de l’aristocratie française (1789-1848), Paris, Champion, 2009, p. 50.
Auteur
Professeur de littérature, Université Paris 13, CENEL (Centre d’études des nouveaux espaces littéraires), IUF.
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