Les avatars d’Orphée. Remarques sur l’héritage romantique et sa dispersion
p. 125-143
Texte intégral
1Les origines romantiques de la modernité sont à présent bien connues, mais la filiation n’est pas rectiligne et les représentations poétologiques qui la sous-tendent se transforment au gré des intentions. Ainsi, la migration d’Orphée, de Novalis à Rilke en passant par le symbolisme, dessine un parcours sinueux au cours duquel les attributs du poète mythique gardent et renforcent leurs vertus signifiantes tout en s’éloignant souvent de leurs déterminations originelles. En étudiant l’emprise de ces images sur la réflexion poétique du XIXe siècle et de la modernité, on constate en effet moins la présence et la pérennité du Romantisme que la compatibilité quasi universelle de ses représentations poétologiques avec les projets poétiques les plus dissemblables.
2L’idée qui devrait ressortir de ces observations est que le projet romantique, ou du moins les images qui le portent, survivent à la fin de la métaphysique, à la déchéance des « arrière-mondes », à la redéfinition de l’absolu, somme toute à la transformation d’une poésie métaphysique en une « poésie de l’être » (« Seinsdichtung »). L’ambivalence du symbolisme, telle sera notre hypothèse, a été le catalyseur de cette transformation, et la légende d’Orphée, par son oscillation entre Dionysos et Apollon, a été le vecteur ambigu d’intentions poétiques contraires. Au centre de l’observation, on placera l’« explication orphique de la terre », cette ambition mallarméenne aux manifestations si contradictoires, et, du côté allemand, un phénomène équivalent par la révolution qu’il a provoquée dans la pensée poétique : l’affirmation nietzschéenne de la source ontologique du lyrisme et de la fonction métaphysique de l’art.
3Les composantes de l’évolution poétique auxquelles il sera fait référence ont été amplement étudiées : on sait déjà ce que la modernité doit au Romantisme1 ; le destin d’Orphée en poésie est aussi bien exploré : on citera seulement l’inventaire quasi exhaustif de Manuela Speiser2 et, dans une tout autre optique, l’étude de Sandra Pott3. Quant aux références des poètes eux-mêmes au modèle orphique, elles ont été analysées, interprétées, réinterprétées… On s’est moins intéressé, en revanche, aux relations bilatérales complexes entre les œuvres qui forment cette constellation de la modernité, et surtout à leur interaction dans la reprise, la propagation et la requalification des images poétologiques. Il s’agira non pas de dresser un catalogue systématique des échanges, mais de proposer quelques confrontations pour fixer des repères et « tracer des lignes »4. Celles-ci sont continues ou brisées ; loin de tout expliquer, elles démentent au contraire toute interprétation schématique. Elles semblent contourner un grand vide, l’absence d’Orphée dans la poésie allemande de la fin du Romantisme à l’entrée dans la modernité. Ce révélateur confirme ce qu’à vrai dire on savait déjà : ce sont Stefan George, disciple de Mallarmé, héritier et médiateur de l’effervescence poétologique française du milieu du siècle, et Nietzsche, pour de tout autres raisons, qui précipitent la poésie allemande sur la voie de la modernité.
I
4Les actualisations du mythe et de la légende d’Orphée dans la littérature et les arts sont innombrables ; on ne peut que renvoyer à la synthèse limpide qu’en a donnée Pierre Brunel5 et à laquelle on empruntera, en préalable, quelques éléments de signification de cette histoire, qui sont aussi des facteurs de polyvalence et d’ambiguïté.
5Comme le dit Pierre Brunel, le mythe est un lieu de contradictions, il s’organise tardivement à partir de traditions diverses. L’épisode des Argonautes, relaté dans la IVe Pythique de Pindare, où Orphée est le fils d’Apollon, apporte l’idée d’une quête symbolique dont la toison d’or est le prétexte et l’âme (celle de Phrixos, ancêtre du roi Pélias) le véritable objet – ce qui donc met l’homme face à l’inaccessible. L’histoire d’Orphée et Eurydice, qui n’est pas la plus ancienne, introduit la combinaison féconde de l’amour et de la mort dont les retombées littéraires vont du sensuel au sublime : Rilke y trouvera l’exemple de l’adhésion à la mort en montrant Eurydice réticente à quitter son empire, Novalis l’exemple de sa sublimation dans le passage à l’au-delà. Quant au sentiment, il prend chez les romantiques sa pleine dimension spirituelle : la mort des amants scelle l’immortalité de l’amour ; Pierre Brunel mentionne ici l’Orphée de Victor Hugo, mais les lecteurs de Novalis se souviennent aussi du duo infini de Mathilde et Heinrich von Ofterdingen, sorte d’évocation mimétique de l’éternité.
6Enfin, la mort d’Orphée déchiqueté par les Ménades (que Benn, par exemple, évoque très fidèlement dans son poème Orpheus’ Tod), remet en question le pouvoir du héros et suscite chez les poètes, comme le note judicieusement Pierre Brunel, le désir de revaloriser le chant : selon Ovide, Apollon vient au secours des restes de son fils et produit ce « miracle de la tête chantante, puis de la lyre qui joue seule »6. La fin de l’Orphée-roi de Victor Segalen présente l’ascension de la lyre comme l’affirmation du « chant », l’« épiphanie » de « la voix première d’Orphée » – la même scène inspire à Rilke, dans le neuvième Sonnet de la première partie, l’image de la « louange infinie » (« das unendliche Lob »7). Mais ce qui se produit ici dans l’immanence rilkéenne exprime aussi, dans d’autres contextes, la dynamique transcendante du romantisme, qui conjugue poésie et musique pour manifester l’infini. Dans la deuxième partie de Heinrich von Ofterdingen, c’est d’abord la voix de Mathilde qui révèle la vie éternelle et, au chapitre six, le monologue de Heinrich présente Mathilde comme l’incarnation de ce principe spirituel qu’est le chant : « sie ist der sichtbare Geist des Gesanges »8. Cette vision de l’esprit dans la communion de l’amour et du chant est une des belles réalisations romantiques de la thématique d’Orphée, le musicien parfait qui représente la « musique absolue », ou plutôt la musique comme l’une des voix de l’absolu.
7La poétique romantique fait grand usage de cet aspect d’Orphée qui est, comme on l’a souvent remarqué, le plus « apollinien ». C’est en effet ce qu’il faut souligner pour clore ce résumé de la polysémie du personnage : l’origine d’Orphée est incertaine et sa nature est double. Il procède d’Apollon, dont Pindare dit qu’il est le fils, mais l’étymologie de son nom suggère l’« obscur » et la proximité de Dionysos9 : il est à la fois une créature de l’ombre et de la lumière. Pierre Brunel suppose que « le mythe rapproche sans doute les deux dieux que les modernes séparent »10 ; selon les Métamorphoses, tous deux viennent au secours d’Orphée, Dionysos en punissant les Bacchantes et Phébus en préservant les restes sacrés de la convoitise d’un serpent. Mais quel dieu Orphée sert-il ? Apollon qui voit en lui un « maître de la lyre », ou Dionysos pour qui il est le « chantre des mystères » ? Selon les lectures, la figure s’illumine ou s’assombrit, et ce n’est pas un hasard si Nietzsche a récusé ironiquement ce médiateur incertain entre deux puissances dont il proclamait l’opposition singulière. Ce n’est pas non plus un hasard si le premier romantisme s’est senti plus d’affinité avec la lumière apollinienne du personnage, la décadence et l’orphisme du début du XXe siècle au contraire plus d’attrait pour les bacchanales orphiques et les mystères chthoniens.
8L’histoire littéraire a montré que le XIXe siècle est celui « de la résurrection d’Orphée, d’Orphée sans cesse partagé entre la lumière et les ténèbres, sans cesse torturé par le drame fatal de son langage »11. Quel est le pouvoir du langage ? À quel monde la vision poétique donne-t-elle accès ? Ces questions qui préoccupent les premiers romantiques tourmenteront bien plus encore leurs successeurs français et renaîtront dans la poésie allemande après le tournant radical imposé par Nietzsche. Novalis, à la fois théoricien et poète, est à la source de cette vaste interrogation, bien plus que Friedrich Schlegel pour qui l’origine de la poésie est dans les chants homériques plutôt que dans l’« ivresse sacrée » des poètes d’inspiration divine. Cette singularité du théoricien de l’Athenäum le sépare, selon Ernst Behler, d’une « tradition essentiellement allemande qui part de Hölderlin, passe par Schelling et mène au jeune Nietzsche, puis à Rilke »12. On notera, par contraste, qu’à l’autre extrémité du siècle, Mallarmé voudra sortir la poésie de la « déviation homérique », donnant ainsi à son « explication orphique de la terre » l’apparence d’une dette ambiguë envers l’idéalisme, du côté duquel sont l’harmonie et la beauté.
II
9Les commentateurs ont souligné l’intérêt précoce de Novalis pour Orphée, ses trois tentatives de traduire le passage du quatrième livre des Géorgiques, qui précède la descente aux enfers, et son récit en prose intitulé Orpheus, qui date de la même année 1789 et comporte notamment la plainte d’Orphée sous la forme d’un poème de huit strophes. Celui-ci contient, dans sa première partie, ce que l’on considère comme la première profession de foi poétique de Novalis :
Sieh drum wählt ich mir auch zu singen den sanfteren Orpheus
Welcher die Leyer zuerst mit zärtlichen Tönen begabet
Und […]
Singend zum schrecklichen Orkus hinabstieg [… ]13
10H.-J. Mähl note l’importance de l’attribut « sanft », signe d’une vision non héroïque. Sandra Pott14 y voit l’expression d’une « poétique du sentiment », « Gefühlspoetik », qui prend le relais de la « Mitleidspoetik » des Lumières : c’est peut-être sous-estimer la valeur métaphysique que le sentiment est appelé à prendre dans une poétique transcendantale dont Orphée sera le représentant sous diverses formes dans Heinrich von Ofterdingen par exemple : dans les récits (discours des marchands sur les poètes grecs, légende d’Arion, légende du roi de l’Atlantide) aussi bien que dans le processus de poétisation et de transfiguration du paysage, dans ces évocations d’un état intermédiaire « zwischen Sein und Nicht-Sein », qui est « une sphère supérieure » et « quelque chose d’inexprimable »15. Ce n’est pas le « Doppelbereich » dont l’Orphée rilkéen précipitera la synthèse, mais l’affirmation d’un autre monde dont l’approche poétique est infinie.
11L’apparition de l’étranger dans la première séquence du premier Hymne à la nuit présente les traits d’Orphée. L’hymne s’ouvre sur le miracle de la lumière, que l’univers entier respire, mais surtout l’« étranger », « der herrliche Fremdling mit den sinnvollen Augen, dem schwebenden Gange, und den zartgeschlossenen, tonreichen Lippen »16. Celui-ci reparaît dans les différentes versions du poème de Trakl An Novalis :
In dunkler Erde ruht der heilige Fremdling.
Es nahm von sanftem Munde ihm die Klage der Gott,
Da er in seiner Blüte hinsank.
Eine blaue Blume
Fortlebt sein Lied im nächtlichen Haus der Schmerzen.17
12Le passage de la lumière à l’ombre de la mort s’accompagne de l’éternité du chant. Les autres visions de l’étranger dans l’œuvre de Trakl portent les mêmes connotations proprement poétiques du sacré, de l’éclat, du chant harmonieux, de la transfiguration. Orphée apparaît aussi explicitement : c’est sous le signe d’Orphée que se déroule la Passion dans le poème éponyme18. « Sanft », l’attribut que Novalis prête à Orphée, qualifie la plainte de l’oiseau (« sanft[e] Klage der Amsel ») et le chant de l’enfance (« sanfter Gesang der Kindheit »), dans un poème où l’étranger invoque son étoile face à la mort :
Strahlender hob die Hände zu seinem Stern
Der weiße Fremdling ;
Schweigend verläßt ein Totes das verfallene Haus.19
13Les poèmes consacrés à Elis sont eux aussi imprégnés de l’imagerie novalisienne. Les apparitions trakléennes sont des phénomènes complexes qui amalgament de nombreuses visions poétiques, dont le rêve idéaliste et romantique d’une réconciliation d’Orphée et du Christ tel qu’il s’exprime, par exemple, dans le sixième Hymne à la nuit ; la présence du poète novalisien y est intense et porte sans équivoque les valeurs spécifiquement poétiques de la lumière, de la transfiguration, de la transcendance.
14S’il est intéressant de franchir d’un bond le siècle qui sépare ces deux avatars d’Orphée, c’est parce que la confrontation montre à quel point l’horizon des poètes a changé : l’Orphée de Trakl reste un étranger, comme l’était celui de Novalis, mais parce que le monde qu’il évoque n’existe plus et non parce qu’il a pour mission de révéler l’autre monde dont il a connaissance. L’utopie radieuse devient l’image d’une transcendance inopérante, une chimère qui tente de conjurer le malheur présent.
15À côté de ce raccourci radical, on peut retracer une longue filiation portée par le romantisme français, et dont les effets se font sentir jusqu’aux contemporains mêmes de Trakl. Novalis fournit de nombreuses formulations théoriques et poétiques de ces idées qui vont animer le siècle mais rester pratiquement lettre morte en Allemagne. Ainsi, sous le titre Musik und Rhythmik, à propos de l’hexamètre :
[…] es erscheint, indem sich die höchsten Gedanken von selbst diesen sonderbaren Schwingungen zugesellen und in die reichsten mannigfaltigen Ordnungen zusammentreten, der tiefe Sinn sowohl der orphischen Sagen von den Wundern der Tonkunst, als der geheimnisvollen Lehre von der Musik, als Bildnerin und Besänftigerin des Weltalls. Wir tun hier einen tiefen, belehrenden Blick in die akustische Natur der Seele, und finden eine neue Ähnlichkeit des Lichtes und der Gedanken – da beide sich Schwingungen zugesellen.20
16 Cette conjonction d’Orphée et de Pythagore, de la poésie et de la science dans un but de révélation, se développe dans d’innombrables variations dont on ne retiendra ici que l’impressionnant potentiel utopico-poétique :
Der Sinn für Poesie hat viel mit dem Sinn für Mystizism gemein. Er ist der Sinn für das […] Geheimnisvolle, zu Offenbarende […]. Er stellt das Undarstellbare dar. Er sieht das Unsichtbare, fühlt das Unfühlbare etc. […] Der Sinn für Poesie hat nahe Verwandtschaft mit dem Sinn der Weissagung und dem religiösen, dem Sehersinn überhaupt.21
17La conviction qu’il existe un ordre spirituel de l’univers donne aux opérations les plus abstraites de l’esprit – poésie, musique, mathématiques – valeur de révélation :
Der innige Zusammenhang, die Sympathie des Weltalls, ist ihre Basis. Zahlen sind, wie Zeichen und Worte, Erscheinungen, Repräsentationen kat exochen. Ihre Verhältnisse sind Weltverhältnisse. Die reine Mathematik ist die Anschauung des Verstandes als Universum. […] Echte Mathematik ist das eigentliche Element des Magiers. In der Musik erscheint sie förmlich, als Offenbarung – als schaffender Idealism.22
18La fortune de telles représentations poétologiques est considérable, sans bien sûr que Novalis en soit nécessairement la source. Mais on a peine à croire que c’est près de soixante ans plus tard que se retrouvent sous la plume de Baudelaire des images équivalentes : « L’imagination est la plus scientifique des facultés, parce qu’elle seule comprend l’analogie universelle, ou ce qu’une religion mystique appelle la correspondance »23. Le portrait de Victor Hugo reprendra ces thèmes :
Chez les excellents poètes, il n’y a pas de métaphore, de comparaison ou d’épithète qui ne soit mathématiquement exacte dans la circonstance actuelle, parce que ces comparaisons, ces métaphores et ces épithètes sont puisées dans l’inépuisable fonds de l’universelle analogie […].24
19Baudelaire donne ses sources : Fourier, Swedenborg ; auparavant, il avait mentionné les Kreisleriana. Ainsi, l’épanouissement tardif du romantisme français donne à cette vision idéaliste de l’univers une fortune poétique que le premier romantisme allemand n’aurait sans doute pas soupçonnée. Les histoires de la littérature nous rappellent le « tout est plein d’âmes » de Victor Hugo, l’hommage de Nerval à Pythagore dans les Vers dorés, mais aussi Maurice de Guérin, Lamartine et jusque Balzac. Cette quête métaphysique de la poésie, cet élan romantique vers l’infini, qui se brise ou s’essouffle dans la poésie allemande sous l’effet de la crise de l’idéalisme, persiste en France pour donner naissance à la modernité. En 1846, Baudelaire écrit ce qu’on n’aurait plus écrit en Allemagne à la même époque : « Qui dit romantisme dit art moderne, – c’est-à-dire intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l’infini […] »25. Mais lorsque Hofmannsthal, en 1917, recopiera dans son journal la phrase de Baudelaire : « il n’est pas de pointe plus acérée que l’Infini », que Celan notera à son tour26, tous deux auront perdu ce que le poète français exprimait alors, la souffrance d’une poésie tendue vers l’absolu. Significativement encore, c’est au milieu du siècle que Flaubert renonce au « lyrisme » et aux « sommets de l’idée » pour se tourner vers le réel, tout en gardant de l’idéal romantique une volonté de préserver le sens de l’écriture en dépit de tout « nihilisme » : « le style est à lui seul une manière absolue de voir les choses » (lettre du 16 janvier 1852 à Louise Colet). Benn s’en souviendra, après être passé par Nietzsche et la métaphysique de l’art…
III
20Ce mouvement idéaliste d’une poésie métaphysique atteint avec Mallarmé un accomplissement destructeur qui célèbre l’idée tout en reconnaissant en elle une illusion nécessaire à l’écriture. C’est, chez Mallarmé, l’« explication » poétique de l’univers qui cristallise cette ambiguïté en s’appuyant à la fois sur des images tributaires des représentations idéalistes et sur l’évocation de la face obscure du « mystère » d’Orphée.
21C’est l’image de la constellation qui révèle le mieux la persistance de la « ligne claire » de la thématique d’Orphée dans l’idéalisme ambigu de Mallarmé. On revient ici à Novalis : la lyre, symbole de la poésie, est une constellation, mais aussi l’attribut de Klingsohr27. Le conte de l’Atlantide rappelle en images la doctrine de la « sympathie de l’univers » : « Er lehrte ihr, wie durch wundervolle Sympathie die Welt entstanden sei, und die Gestirne sich zu melodischen Reigen vereinigt hätten »28. La vision romantique des astres concentre le pouvoir intuitif du poète d’entrer en communication avec l’infini en même temps que d’en percevoir la loi : « Der Dichter ordnet, vereinigt, wählt […] »29.
22Ce pouvoir subsiste dans les constellations mallarméennes, par exemple celle qui clôt le sonnet Ses purs ongles30, et que le poète explicite ainsi :
Une chambre avec une personne dedans […] et, dans une nuit faite d’absence et d’interrogation, sans meuble, […] un cadre belliqueux et agonisant, du miroir appendu au fond, avec sa réflexion stellaire et incompréhensible, de la Grande Ourse, qui relie au ciel seul ce logis abandonné du monde.
23La relation au ciel est suscitée par la poésie, « parce que mon œuvre est à la fois si bien préparée et hiérarchisée, représentant comme elle le peut l’univers, que je n’aurais su […] rien enlever […] »31 : « l’Idée du monde est donnée à lire […] »32.
24 De l’autre constellation, celle d’Un coup de dés, nous retiendrons surtout la lecture qu’en a faite Valéry, après avoir rappelé que l’opposition schématique des deux énoncés qui ressortent de la typographie du poème33, suggère la relation entre l’univers, où règne le hasard, et la pensée associée au verbe, dont l’ordre est nécessaire au sens. Si la notion d’harmonie universelle est ici perdue, la constellation que produit le « maître » du coup de dés résulte du pouvoir des mots, de l’« imaginative compréhension »34 du sujet capable de fixer l’infini, et de la réponse de l’univers à cet acte. L’idéalisme résiduel perceptible dans une telle vision apparaît bien à la lecture du commentaire de Valéry :
Le soir du même jour, comme il m’accompagnait au chemin de fer, l’innombrable ciel de juillet enfermant toutes choses dans un groupe étincelant d’autres mondes, et que nous marchions […] au milieu du Serpent, du Cygne, de l’Aigle, de la Lyre, il me semblait maintenant d’être pris dans le texte même de l’univers silencieux… Au creux d’une telle nuit, entre les propos que nous échangions, je songeais à la tentative merveilleuse : quel modèle, quel enseignement là-haut ! Où Kant, assez naïvement, peut-être, avait cru voir la Loi Morale, Mallarmé percevait sans doute l’Impératif d’une poésie, une Poétique… Il a essayé, pensai-je, d’élever enfin une page à la puissance du ciel étoilé.35
25Même si l’écriture tend à se substituer à l’absolu, ne serait-ce que fictivement, on n’imagine pas sentiment plus romantique que « d’être pris dans le texte même de l’univers » ou « de voir la figure d’une pensée […] placée dans notre espace ».
26Ayant, comme il le dit dans une lettre à Villiers de l’Isle-Adam, « compris la corrélation intime de la Poésie avec l’Univers »36, Mallarmé décrit une expérience de l’absolu qui n’est pas purement spéculative mais, comme le note Ludwig Lehnen, « rapproche le poète des mystiques » et de « l’intuition intellectuelle » (« intellektuale Anschauung ») de Schelling37. Mais Lehnen corrige cette similitude en signalant l’autre versant de cette expérience : la sensation, le monde réel, la perception des rapports entre les choses. C’est dans cette ambivalence que se situe le programme poétique formulé dans la lettre à Verlaine, « l’explication orphique de la terre, qui est le seul devoir du poète et le jeu littéraire par excellence […] »38. Ce retour à Orphée, réponse à la « grande déviation homérique » de la littérature rationaliste et représentative, englobe « le Mystère » et, selon une lettre à Lefébure, « les Ténèbres, qui sont […] mes plus intimes amis, mon seul refuge et ma dernière pensée »39. Les deux versants de « l’explication orphique » se révèlent par deux formulations contraires. D’un côté : le Toast funèbre pour Théophile Gautier40, considéré comme l’illustration par excellence de ce principe qui veut que la poésie suscite la réalité en la nommant ; de l’autre, le récit d’une expérience sensible, celle du chant du grillon :
cette voix sacrée de la terre ingénue, moins décomposée déjà que celle de l’oiseau, fils des arbres parmi la nuit solaire, et qui a quelque chose de la lune et des étoiles, et un peu de mort ; […] Tout le bonheur qu’a la terre de ne pas être décomposée en matière et en esprit était dans ce son unique du grillon.41
27On croirait entendre ici une profession de foi moniste, et la voix du grillon semble préfigurer cette langue dont rêveront Lord Chandos puis Malte Laurids Brigge. Ainsi, la vision orphique concentre ce qu’on appellera, selon les interprétations, l’« immanentisme ambigu »42 de Mallarmé ou son idéalisme résiduel.
28Les formulations théoriques, elles aussi, sont délibérément ambivalentes, comme dans La Musique et les lettres où « Mystère » et « Idée » sont posés dans un rapport équivalent à la poésie43, et où l’idée elle-même se dédouble :
Je pose […] cette conclusion […] : que la Musique et les Lettres sont la face alternative ici élargie vers l’obscur ; scintillante là, avec certitude, d’un phénomène, le seul, je l’appelai, l’Idée.44
29Musique et lettres (celles de la magie) sont donc la face lumineuse et la face obscure de l’Idée, laquelle ne procède pas de l’absolu, mais de sa fiction nécessaire :
Nous savons, captifs d’une formule absolue que, certes, n’est que ce qui est. […] Mais je vénère comment, par une supercherie, on projette, à quelque élévation défendue et de foudre ! le conscient manque chez nous de ce qui là-haut éclate. À quoi sert cela – A un jeu.45
30Dans des propos que rapporte Henri de Régnier, Mallarmé déplore une double « erreur » ou « tricherie » : qu’on ait placé l’au-delà « en dehors de l’homme », et qu’on ait ensuite « born[é] l’homme à sa vie ». Mallarmé poursuit :
La vérité est que, pour l’homme, l’au-delà est en lui-même. L’au-delà est la connaissance du monde […]. L’acquisition de cette connaissance, je l’appelle la littérature. Le vrai nom serait la musique. C’est percevoir des rapports, recréer une représentation ordonnée des choses, s’élever jusqu’à l’idée. Dès qu’il y a littérature, il y a idéalisme.46
31On imagine que Rilke aurait volontiers souscrit à la première partie de cette proposition, l’immanence de l’au-delà, et Novalis à la deuxième, l’élévation à la connaissance. Ainsi, constater la dimension immanente de l’au-delà n’exclut pas d’en affirmer la fiction comme « pure forme de pensée »47. Ce dernier aspect permet de définir l’entreprise d’« explication » poétique de l’univers en des termes dignes de l’idéalisme magique : « saisir les rapports », c’est tracer « la totale arabesque », c’est opérer la « chiffration mélodique tue, de ces motifs qui composent une logique, avec nos fibres », c’est tracer « l’omniprésente Ligne espacée de tout point à tout autre pour instituer l’idée ». Cette opération de connaissance « déchaîn[e] l’Infini ; dont le rythme, parmi les touches du clavier verbal, se rend, comme sous l’interrogation d’un doigté, à l’emploi des mots, aptes, quotidiens »48. Devant de telles images, il est facile d’oublier que, pour Mallarmé, c’est la littérature qui est une condition de l’idéalisme, et non l’inverse…
IV
32Ainsi, le modèle orphique prend, dans l’œuvre de Mallarmé, un double visage que la réception n’a guère été en mesure de synthétiser, oscillant entre la sublimation spiritualiste et le retour aux fondements mythiques de l’existence, au « rythme essentiel » du langage humain. Pour cette raison, cette poésie et cette poétique se trouvent à la charnière du basculement dans l’immanence et de la restauration, par l’acte esthétique, d’une sorte de « transcendance immanente ». De ce fait, la réception complexe et contradictoire sinon de l’œuvre de Mallarmé, du moins de son projet théorique dans le domaine allemand, se conjugue en bien des points avec l’influence de Nietzsche. Dans ce contexte de médiation, il est intéressant de noter que, tandis que la plupart des disciples de Mallarmé soulignent son idéalisme, Stefan George, dans son Eloge, se montre déjà sensible à son ambivalence : ce qu’évoquent pour lui les « klangvolle dunkelheiten » du maître, ce sont « jene sinnlosen sprüche und beschwörungen die von unbezweifelter heilkraft im volke sich erhalten und die hallen wie rufe der götter und geister […] » ; mais George conclut aussi à une création idéaliste de la beauté : « Deshalb o Dichter nennen dich genossen und jünger so gerne meister […] weil du […] uns den glauben lässest an jenes schöne eden das allein ewig ist »49.
33La compréhension allemande du « symbole » sera déterminée par l’élucidation du « mystère » mallarméen dans le sens de l’unité originelle immanente, choisissant, comme dit Maeterlinck, « l’ordre mystérieux et éternel de la force occulte des choses »50, plutôt que la « suggestion » de l’idée et de l’« absence ». Ainsi, la finalité esthétique résumée approximativement par les formules de « l’art pour l’art », puis de la « poésie pure », vient à se confondre avec l’exploration ontologique ou existentielle. Hofmannsthal écrit dans son commentaire de George : « und wir lösen uns in Symbolen auf, daß wir und die Welt nichts Verschiedenes sind »51. Dans les poèmes de jeunesse de Rilke, le moi s’approche de la totalité indicible : « Dem Namenlosen fühl ich mich vertrauter »52 (on se rappelle ici que « der Namenlose », dans Also sprach Zarathustra53, c’est aussi le principe de la vie universelle, Dionysos), et le prologue de Die Frau am Fenster évoque le poète « … der alle Stimmen in der Luft verstand […] und / Das schwerelose Gebild aus Worten schuf, / Unscheinbar wie ein Bündel feuchter Algen, / Doch angefüllt mit allem Spiegelbild / Des ungeheuren Daseins »54. On voit bien ici comme le mot, « envol tacite d’abstraction », s’alourdit d’un mystère ontologique et existentiel pour devenir peu à peu celui qui, selon Benn, recèle « ... genügend Dunkelheiten und Seinsabgründe […], um den Tiefsinnigsten zu befriedigen »55.
34Rien de tout cela n’aurait été possible sans la vision nietzschéenne du poète « artiste dionysiaque » : « Er ist […] gänzlich mit dem Ur-Einen… eins geworden und produziert das Abbild dieses Ur-Einen als Musik »56. C’est aussi Nietzsche qui, dans ce même passage, reconnaît « l’abîme de l’être » comme la source de l’expression lyrique. Ainsi l’on peut dire que la conjonction de Mallarmé et Nietzsche est sous-jacente à l’adaptation du symbolisme dans la poésie allemande : c’est dans l’œuvre des autres que leurs projets se rencontrent, comme si la réflexion nietzschéenne aidait à identifier le mystère qu’évoque le symbole mallarméen ; ce sera l’expression de l’unité originelle, « das Ur-Eine ». Leurs héritiers communs réunissent ainsi leurs problématiques propres pour associer l’esthétique et l’exploration de l’être.
35L’influence de Nietzsche se fait également sentir dans la reprise du thème d’Orphée en imposant, en filigrane de la représentation du poète, l’opposition fondamentale de Dionysos et Apollon. Nietzsche n’aimait pas Orphée. Dans le quatrième livre du Gai Savoir, il ironise sur le caractère désuet de ce modèle : « Steine bewegen, Tiere zu Menschen machen – wollt ihr das von mir ? Ach, wenn ihr noch Steine und Tiere seid, so sucht euch erst euren Orpheus »57. Et dans la Naissance de la tragédie, il l’assimile à Socrate, cet adversaire de l’art ancien qu’il veut réhabiliter :
insofern aber der Kampf gegen das Dionysische der älteren Kunst gerichtet war, erkennen wir in Sokrates den Gegner des Dionysus, den neuen Orpheus, der sich gegen Dionysus erhebt und, obschon bestimmt, von den Mänaden des athenischen Gerichtshofes zerrissen zu werden, doch den übermächtigen Gott selbst zur Flucht nötigt […].58
36Nietzsche place donc expressément Orphée du côté d’Apollon et, chez ses héritiers, les avatars poétiques d’Orphée resteront marqués par le tiraillement que l’option nietzschéenne impose entre les deux pôles de la création.
V
37L’interprétation de l’Orphée de Rilke est une histoire sans fin. On s’en tiendra ici à l’enchevêtrement problématique des deux filiations, mallarméenne et nietzschéenne, aussi bien dans le texte même que dans sa réception.
38L’éventail des lectures déterminées par l’arrière-plan nietzschéen est riche en contradictions. Irina Frouwen59 estime que, dans les Marginalien zur Geburt der Tragödie, Rilke donne à Socrate musicien une fonction qui préfigure celle d’Orphée ; il réhabiliterait donc ceux que Nietzsche considère comme les deux ennemis de Dionysos. Pour Erich Heller60, Nietzsche résout l’antagonisme de Dionysos et d’Apollon non par la victoire de l’un sur l’autre, mais par la « synthèse » de ces deux principes, union indéfiniment nécessaire de la forme et du chaos, un « Dionysos-Apollon » dont le véritable adversaire est le Christ ; Rilke mène alors cette idée à son terme, réalisant l’espoir de la Naissance de la tragédie et ressuscitant les dieux dans leur grandeur première. Peter Pfaff61 constate, lui, la « métamorphose » d’Orphée. Rilke croit au pouvoir d’Orphée sur le réel : ce dieu antique métamorphosé en maître de la fiction esthétique est capable d’annuler les conditions de la vie moderne pour nous introduire dans le « reiner Bezug ». C’est ainsi que le poète radicalise le concept nietzschéen de « rédemption esthétique », « ästhetische Erlösung » ou « Erlösung im Scheine » ; par la formule « Gesang ist Dasein », Rilke irait au-delà de Nietzsche en niant la réalité ontologique du monde, la facticité du monde réel. La lecture de Peter Por62, enfin, s’apparente à celle-ci par l’accent qu’elle met sur l’autonomie de l’esthétique. La poétique de Rilke y apparaît comme celle d’un « Orphée post-nietzschéen » qui rétablit le poète dans son entière dignité, faisant de lui un « poète absolu » en une époque « hostile à la poésie » ; la figure d’Orphée devient le refuge de la fonction métaphysique de l’art afin de sauver l’art d’une situation de « leere Transzendenz » et d’autodestruction de la tradition européenne : « die Selbstrettung der Kunst und des Künstlers, ihre Verwandlung in eine singende Figur ».
39On constate, notamment dans ces deux dernières lectures, à quel point la métaphysique de l’art (venue de Nietzsche) et la théorie de la poésie pure (venue de Valéry disciple de Mallarmé) influent sur la perception de l’entreprise rilkéenne. Beaucoup d’interprètes ont ainsi souligné la prééminence du langage dans le modèle orphique de Rilke, qu’ils rattachent de ce fait à la ligne de la modernité mallarméenne comprise comme autonomisation du langage, « Sprachimmanenz », jeu esthétique. Si l’on y ajoute l’extrême rigueur formelle, on reconstitue facilement la filiation Baudelaire – Mallarmé – Valéry – Rilke… C’est un raisonnement pour le moins problématique, car toute la partie fonctionnelle – mythopoétique, apologétique, pseudo religieuse – des Sonnets à Orphée y échappe.
40L’interprétation de Sandra Pott résout cette difficulté de façon originale en supposant une double source : l’inspiration symboliste (comprise comme poésie pure), puis le dépassement de cette impulsion par l’intégration des idées du mouvement de « Lebensreform », en particulier de ces éléments de vulgarisation philosophico-scientifique qui réhabilitent les visions mythiques et cosmogoniques (notamment les mystères orphiques) dans une perspective de « Kulturkritik ». Bachofen, Kassner, Kayserling, Schuler seraient les inspirateurs de cette synthèse poétique63. Une telle composante idéologique permettrait d’infléchir la représentation d’Orphée et de convertir la conception « néo-romantique » d’une « poésie universelle réflexive » en une cosmogonie poétique de la métamorphose infinie, selon le précepte « Wolle die Wandlung », en un mot de transformer la réflexion en création. Si séduisante soit-elle, cette interprétation sous-estime l’importance du catalyseur Nietzsche dans ce processus qui éloigne l’Orphée rilkéen de l’Orphée romantique. Aussi, pour conclure ces remarques sur la dispersion de l’héritage romantique, on observera quelques convergences et divergences essentielles entre Rilke et les deux poétiques qui, parallèlement, font basculer la poésie allemande dans la modernité.
41Il est incontestable que Rilke a hérité de Nietzsche le sentiment d’une situation d’« immanence absolue »64 dont on trouve l’expression dès le Journal florentin :
Wir brauchen die Ewigkeit, denn nur sie gibt unsren Gesten Raum: und doch wissen wir uns in enger Endlichkeit. Wir müssen also innerhalb dieser Schranken eine Unendlichkeit schaffen, da wir an die Grenzenlosigkeit nicht mehr glauben.65
42La poétique de Rilke est déjà dans ces images : le refus général de la métaphysique et sa conséquence directe, le refus de nier la finitude ; puis son corollaire paradoxal, l’affirmation de l’infini compris comme la finitude inépuisable des choses ; enfin, le pouvoir transcendant de la création subjective. Sans doute, cela est aussi dans la formule mallarméenne « n’est que ce qui est », mais l’« immanentisme » de Mallarmé se drape dans une imagerie trop idéaliste pour ne pas être source de confusion.
43Le dialogue avec les choses, qui est une conséquence pratique de l’approche antimétaphysique du monde, est déjà préfiguré par Zarathoustra66 ; il s’épanouit dans les Elégies et les Sonnets où le « dire » de l’« appréhension lyrique »67 du monde exprime, comme pour Nietzsche, un avènement de l’être : « […] zu sagen, verstehs, / oh zu sagen so, wie selber die Dinge niemals / innig meinten zu sein »68. Le « sens de la terre » et « la valeur de toutes choses » dont procèdent les mots selon Zarathoustra69 ne peuvent produire la même réalité poétique que l’« abolition » mallarméenne, qui s’accomplit dans l’ « inanité sonore » : « Les choses me faisaient sourire de pitié […] je savais que l’essentiel était figure », avouait encore Valéry70, tandis que Rilke inscrivait sa « figure » dans l’être des choses et célébrait, jusque dans les Sonnets, l’union du mot et de la nature :
Voller Apfel, Birne und Banane,
Stachelbeere… Alles dieses spricht
Tod und Leben in den Mund. […]
Wo sonst Worte waren, fließen Funde, aus dem Fruchtfleisch überrascht befreit. [… ]71
44Nous en conclurons que la matière du réel est bien l’antidote du néant ; que le physique est bien le vecteur de l’être ; que la parole métamorphose le réel mais se nourrit physiquement de lui. Dans la Naissance de la tragédie, la nature s’adresse ainsi à l’homme : « Seid wie ich bin ! […] die ewig schöpferische, ewig zum Dasein zwingende […] Urmutter […] »72. La devise rilkéenne d’Orphée, « Gesang ist Dasein », repose sur un tel préalable. Elle n’est pas la sublimation musicale de l’existence, à la manière romantique ; le chant est réponse à l’appel de la terre, il procède de la terre : « Die Erde schenkt »73.
45Les images d’élévation sont celles qui produisent la plus grande confusion entre l’infini ressenti comme absolu et l’infini qui n’est que, selon les termes de Rilke, « [die] Tiefendimension unseres Inneren »74. Nous avons vu combien les étoiles de Mallarmé sont abstraites et lointaines. Elles expriment la nécessité d’une transcendance que le poète reconnaît comme illusoire, mais qu’il transcrit poétiquement par un processus de spiritualisation :
[…] je veux me donner ce spectacle de la matière, ayant conscience d’être, et cependant, s’élançant forcenément dans le rêve qu’elle sait n’être pas, chantant l’Âme et toutes les divines impressions pareilles qui se sont amassées en nous depuis les premiers âges, et proclamant, devant le Rien qui est la vérité, ces glorieux mensonges !75
46Les étoiles de Rilke, au contraire, sont proches : « die Sterne standen so wirklich da » dit Malte76, et même les images de la dispersion du moi dans l’univers reviennent aux valeurs de l’être, « das Vollsein »77, à cette complémentarité universelle de l’être et du devenir à laquelle participe le sujet. L’inaccessible devient tangible parce qu’il contribue à constituer le monde, qui est infini dans son immanence. C’est bien la leçon de Nietzsche que Rilke retient pour l’opposer à l’expérience du néant. Dans le dithyrambe Ruh und Ewigkeit, en effet, Dionysos s’exprimait ainsi :
Ich sehe hinauf –
… ich sehe ein Zeichen –,
aus fernsten Fernen
sinkt langsam funkelnd ein Sternbild gegen mich… […] Höchstes
Gestirn des Seins […]
Du kommst zu mir ?78
47Pour mesurer à quel point Rilke s’éloigne de la vision néo-idéaliste du néant à la façon de Mallarmé, on peut rappeler ici le poème Orphée de Valéry79, et sa paraphrase dans le Paradoxe sur l’architecte : « Le dieu chante, et, selon le rythme tout-puissant, s’élèvent au soleil les fabuleuses pierres, et l’on voit grandir vers l’azur incandescent, les murs d’or harmonieux d’un sanctuaire »80.
48Le paradoxe de Mallarmé, qui nourrit la splendeur abstraite de ses images, tient à la volonté de maintenir une tension vers l’absolu tout en affirmant son caractère illusoire. C’est toute la définition de la « fiction », « positivité créatrice »81 susceptible de « douer d’authenticité notre séjour terrestre ». Or ce « dire » qui émane « d’un art consacré aux fictions »82 n’est-il pas de même nature que le « mensonge », l’apparence esthétique que l’artiste nietzschéen estime nécessaire à la vie83 ? Ne relève-t-il pas de la toute-puissance de l’artiste, selon le principe de la Naissance de la tragédie : « das ganze Buch kennt nur einen Künstler-Sinn und Hinter-Sinn hinter allem Geschehen »84 ? Il est plus que douteux que Rilke ait eu connaissance de la « fiction » mallarméenne ; il est en revanche certain qu’il a partagé la glorification nietzschéenne de l’esthétique. Mais il n’a pas suivi Nietzsche dans l’exaltation radicale du sujet créateur. Le poète nietzschéen n’est pas seulement Zarathoustra, qui commande à son âme de chanter85, c’est aussi le Dionysos des Dithyrambes – celui de l’explosion du moi, de sa libération tragique dans une course à l’abîme qui est la conséquence de l’exaltation absolue de l’apparence esthétique. Dans l’Essai d’autocritique, Nietzsche écrira : « Sie hätte singen sollen, diese neue Seele – und nicht reden ! wie schade, daß ich, was ich damals zu sagen hatte, es nicht als Dichter zu sagen wagte »86.
49On voit bien, par contraste, que la figure d’Orphée est pour Rilke le moyen de restaurer à tout prix le pouvoir du chant, non pas ce chant autarcique qui délivre le sujet par le jeu esthétique, par la mascarade de Dionysos (« Nur Narr, nur Dichter »), celui, au contraire, qui aide à vivre, qui aide à « compléter » l’existence non pour « vaincre la réalité »87, mais pour l’intégrer au monde dans sa totalité. C’est le sens si particulier de ce poème sur Baudelaire, où Rilke transforme la vision cruellement dualiste qu’avait le poète français en une manifestation poétique de l’unité :
Der Dichter einzig hat die Welt geeinigt,
die weit in jedem auseinanderfällt.
Das Schöne hat er unerhört bescheinigt,
doch da er selbst noch feiert, was ihn peinigt,
hat er unendlich den Ruin gereinigt:
und auch noch das Vernichtende wird Welt.88
50L’entreprise mythopoétique de Rilke, le rêve de refonder la vie sur la poésie n’est pas sans analogie avec le rôle « politique » qu’envisageait Mallarmé pour le « Livre ». Mais la singularité de Rilke est d’être passé par l’adhésion nietzschéenne à la « terre » sans y renoncer ensuite pour les « plus purs glaciers de l’esthétique »89, résolvant ainsi la contradiction de Nietzsche tout en ménageant dans son œuvre la rencontre improbable de deux pensées poétiques décisives pour la modernité.
***
51En suivant Orphée, ses images et leurs extrapolations, nous sommes arrivés aux confins du Romantisme, sinon au-delà de ses frontières, là où il se disperse et s’atomise, bien au-delà de la fin de l’idéalisme qui avait fait naître ses images. Entre l’anti-idéalisme de Nietzsche et l’idéalisme rémanent de Mallarmé magnifié par le nihilisme de Valéry, le chant de l’Orphée rilkéen peine à faire reconnaître son enracinement et sa destination purement terrestres. C’est que la vision apollinienne d’Orphée continue de hanter les esprits après l’avènement du nihilisme. Même Gottfried Benn qui, en réaction sans doute à Rilke, installe son Orphée dans les cellules les plus archaïques du « cerveau de l’occident », dans la « communion phrygienne » avec Dionysos, succombera vingt ans plus tard à la tentation apollinienne pour donner une vision quasi élégiaque de la mort d’Orphée et de la pérennité de son chant90.
Notes de bas de page
1 Par exemple : Hugo Friedrich, Die Struktur der modernen Lyrik, Reinbek, Rowohlt, 1988 (première édition 1956) ; Werner Vordtriede, Novalis und die französischen Symbolisten. Zur Entstehungsgeschichte des dichterischen Symbols, Stuttgart, Kohlhammer, 1963 ; Axel Goddbody, Natursprache. Ein dichtungstheoretisches Konzept der Romantik und seine Wiederaufnahme in der modernen Lyrik, Neumünster, Wachholtz, 1984 ; Paul Hoffmann, Symbolismus, München, Fink, 1987.
2 Orpheusdarstellungen im Kontext poetischer Programme, Innsbruck, Institut für Germanistik, 1992.
3 Poetiken. Poetologische Lyrik, Poetik und Ästhetik von Novalis bis Rilke, Berlin, de Gruyter, 2004.
4 Paul Hoffmann, op. cit., p. 7.
5 « Orphée ». In : Pierre Brunel (dir.), Dictionnaire des mythes littéraires, Monaco, Éditions du Rocher, 1988 (nouvelle édition augmentée), p. 1129-1139.
6 Ibid., p. 1137.
7 Ibid.
8 Novalis, Heinrich von Ofterdingen. In : Werke in einem Band, hrsg. von Hans-Joachim Mähl und Richard Samuel, München, Hanser, 1981, p. 325.
9 Pierre Brunel, op. cit., p. 1130.
10 Ibid.
11 Henri Lemaitre, La Poésie depuis Baudelaire, Paris, Armand Colin, 1965, p. 11.
12 Ernst Behler, Frühromantik, Berlin, de Gruyter, 1992, p. 102.
13 Novalis, Werke in einem Band, op. cit., p. 68.
14 Op. cit., p. 27.
15 « Sollte es noch eine höhere Sphäre geben, so wäre es die zwischen Sein und Nicht-Sein – das Schweben zwischen beiden – Ein Unaussprechliches… » Novalis, cité d’après Walter Müller-Seidel, Probleme neuerer Novalis-Forschung, in GRM 34 (1953), p. 285.
16 Werke in einem Band, op. cit., p. 149.
17 Georg Trakl, An Novalis [2. Fassung (a)]. Werke. Entwürfe. Briefe, hrsg. von Hans-Georg Kemper und Frank Rainer Max, Stuttgart, Reclam 1984, p. 155.
18 « Wenn Orpheus silbern die Laute rührt, / Beklagend ein Totes im Abendgarten, […] ». Passion [3. Fassung]. Werke, op. cit., p. 81.
19 Siebengesang des Todes, Werke, op. cit., p. 83.
20 Novalis, Aus dem ‘Allgemeinen Brouillon’ 1798-1799. Cité d’après Novalis, Werke, herausgegeben und kommentiert von Gerhard Schulz, München, Beck, 1981, p. 462.
21 Fragmente und Studien 1799-1800, ibid., p. 561.
22 Ibid., p. 542.
23 Lettre du 21 janvier 1856 à Toussenel. Baudelaire, Œuvres complètes. Texte établi, présenté et annoté par Claude Pichois, Paris, Gallimard, NRF, 1975, volume I, p. 841. Termes soulignés par Baudelaire.
24 Ibid., p. 842.
25 Salon de 1848. Œuvres complètes, volume II, ibid., p. 421.
26 Paul Celan, Der Meridian. Endfassung, Vorstufen, Materialien. Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1999, p. 232.
27 Cf. Heinrich von Ofterdingen, (Die Erwartung Kap. 9), Werke in einem Band, op. cit., p. 353.
28 Ibid., p. 267.
29 Novalis, Fragmente und Studien 1799-1800, Werke (éd. Schulz, op. cit.), p. 562.
30 « […] Mais proche la croisée au nord vacante, un or / Agonise […] encor / Que, dans l’oubli fermé par le cadre, se fixe / De scintillations sitôt le septuor. » Mallarmé, Œuvres complètes. Édition établie et annotée par Henri Mondor et G. Jean-Aubry, Paris, Gallimard (= Bibliothèque de la Pléiade), 1945, p. 69.
31 Ibid., p. 1490.
32 H.P. Lund, « Pratique et poésie de l’Idée : Stéphane Mallarmé ». In : Histoire littéraire de la France, dir. Pierre Abraham et Roland Desné, Paris, Éditions sociales, 1978, vol. X, p. 166.
33 « un coup de dés jamais n’abolira le hasard », et « rien n’aura eu lieu que le lieu excepté peut-être une constellation ».
34 Mallarmé, La Musique et les lettres, Œuvres, op. cit., p. 648.
35 Paul Valéry, Variété II, cité d’après Mallarmé, Œuvres complètes, op. cit., p. 1582.
36 Cité d’après Ludwig Lehnen, Mallarmé et George. Politiques de la poésie à l’époque du symbolisme. Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2010, p. 103.
37 Ludwig Lehnen, ibid., p. 87. C’est cette opération qui autorise le constat : « die reine absolute Ewigkeit ist in uns » (cité par Lehnen, ibid.).
38 Mallarmé, Correspondance 1871-1885. Recueillie, classée et annotée par H. Mondor et L. J. Austin, Paris, Gallimard, 1965, p. 301.
39 Cf. Lehnen, op. cit., p. 119-120.
40 « Le Maître, par un œil profond, a, sur ses pas, / Apaisé de l’éden l’inquiète merveille / Dont le frisson final, dans sa voix seule, éveille / Pour la Rose et le Lys le mystère d’un nom. » (Œuvres complètes, op. cit., p. 55).
41 Lettre du 27 mai 1864 à Lefébure, citée d’après Lehnen, op. cit., p. 120.
42 Lehnen, op. cit., p. 140.
43 « Cette célébration de la poésie […] en les attributs de Musique et de Lettres : appelez-la Mystère ou n’est-ce pas le contexte évolutif de l’Idée – […] » (Œuvres complètes, op. cit., p. 653).
44 Ibid., p. 649.
45 Ibid., p. 647.
46 H. de Régnier, Les Cahiers inédits, Paris, Pygmalion, 2002, p. 319, cité d’après Lehnen, op. cit., p. 397.
47 Lehnen, ibid.
48 La Musique et les lettres, op. cit., p. 648.
49 Stefan George, Lobrede. In : Werke in zwei Bänden, Stuttgart, Klett-Cotta, 1984, vol. I, p. 506 et 508.
50 Maeterlinck dans sa réponse à l’Enquête sur l’évolution littéraire, publiée par Jules Huret, cité d’après Henri Lemaitre, op. cit., p. 113.
51 Das Gespräch über Gedichte. In : Gesammelte Werke in zehn Einzelbänden, hrsg. von Bernd Schoeller, Erzählungen, erfundene Gespräche…, Frankfurt a.M., Fischer, 1979, p. 503.
52 Vor lauter Lauschen und Staunen sei still. In : Sämtliche Werke in sechs Bänden, hrsg. vom Rilke-Archiv, besorgt durch Ernst Zinn, Frankfurt a.M., Insel, 1987, vol. I, p. 154.
53 Von der großen Sehnsucht. In : Nietzsche, Werke in drei Bänden, hrsg. von Karl Schlechta, München, Hanser, 1966, vol. II, p. 469.
54 Hofmannsthal, Gesammelte Werke, Gedichte und Dramen I, hrsg. von Bernd Schoeller, Frankfurt a. M, Fischer, 1979, p. 328-329.
55 Gottfried Benn, Probleme der Lyrik. In : Gesammelte Werke in vier Bänden, hrsg. von Dieter Wellershoff, Stuttgart, Klett-Cotta, 1986, vol. I, p. 524.
56 Nietzsche, Die Geburt der Tragödie, Werke, op. cit., vol. I, p. 37.
57 Die fröhliche Wissenschaft, ibid., vol. II, p. 167.
58 Die Geburt der Tragödie, ibid., vol. I, p. 75.
59 « Nietzsches Bedeutung für Rilkes frühe Kunstauffassung ». In : Blätter der Rilke-Gesellschaft 14 (1987), p. 25-30.
60 « Rilke und Nietzsche. Mit einem Diskurs über Denken, Glauben und Dichten. » Dans Erich Heller, „ Nirgends wird Welt sein als Innen“ – Versuche über Rilke, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1975, p. 73-120.
61 « Der verwandelte Orpheus – Zur « ästhetischen Metaphysik » Nietzsches und Rilkes. » Dans Karl Heinz Bohrer (dir.), Mythos und Moderne. Begriff und Bild einer Rekonstruktion, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1983, p. 290-317.
62 Die orphische Figur. Zur Poetik von Rilkes„ Neuen Gedichten“, Heidelberg, Winter, 1997, p. 22-25.
63 Sandra Pott, Poetiken, op. cit., p. 336-338.
64 Erich Heller, op. cit., p. 104.
65 Rilke, Tagebücher aus der Frühzeit, Frankfurt a.M., Insel, 1973, p. 62.
66 « Hier kommen alle Dinge liebkosend zu deiner Rede [… . ». Ecce Homo, Nietzsche, Werke, op. cit., vol. II, p. 1132.
67 « alle Erscheinung […] lyrisch zu begreifen ». Rilke, Vorrede zu einer Vorlesung aus eigenen Werken, Sämtliche Werke, op. cit., vol. VI, p. 1097.
68 Rilke, Sämtliche Werke, op. cit., vol. I, p. 718.
69 « [der] Sinn der Erde », « aller Dinge Wert », in : Also sprach Zarathustra, Werke, op. cit., vol. II, p. 339.
70 Mauvaises pensées et autres, in : Œuvres, op. cit., vol. II, p. 1534.
71 Die Sonette an Orpheus, I/13, Sämtliche Werke, op. cit., vol. I, p. 739.
72 Werke, op. cit., vol. I, p. 93.
73 Sonette I/12, Sämtliche Werke, op. cit., vol. I, p. 738.
74 Lettre du 11 août 1924 à Nora Purtscher-Wydenbruck. Rilke, Briefe. Frankfurt a.M., Insel, 1980, p. 871.
75 Mallarmé, Propos sur la poésie, Monaco, Éditions du Rocher, 1953, p. 66.
76 Die Aufzeichnungen des Malte Laurids Brigge, Sämtliche Werke, op. cit., vol. VI, p. 894.
77 Elegie an Marina Tsvetajewa-Efron, ibid., vol. II, p. 271-273.
78 Sämtliche Werke, op. cit., vol. II, p. 1262.
79 « Il chante, assis au bord du ciel splendide, Orphée ! / Le roc marche, et trébuche ; et chaque pierre fée / Se sent un poids nouveau qui vers l’azur délire ». Œuvres, op. cit., vol. I, p. 76.
80 Valéry, Œuvres, op. cit., vol. II, p. 1405-1406.
81 Selon le mot de Bertrand Marchal, cité par Lehnen, op. cit., p. 153.
82 « … le dire […] retrouve chez le Poëte, par nécessité constitutive d’un art consacré aux fictions, sa virtualité ». Crise de vers, Œuvres, op. cit., p. 368.
83 « Daß die Lüge nötig ist, um zu leben, das gehört selbst noch mit zu diesem furchtbaren und fragwürdigen Charakter des Daseins ». Nachlaß, Werke, op. cit., vol. III, p. 691- 692.
84 Versuch einer Selbstkritik, Werke, op. cit., vol. I, p. 14.
85 « daß ich dich singen hieß, siehe, das war mein letztes », in : Werke, op. cit., vol. II, p. 469.
86 Œuvres, op. cit., vol. I, p. 12.
87 « Es gibt nur eine Welt, und diese ist falsch, grausam, widersprüchlich, verführerisch, ohne Sinn… Eine so beschaffene Welt ist die wahre Welt. Wir haben Lüge nötig, um über diese Realität, diese ‚Wahrheit’ zum Sieg zu kommen, das heißt, um zu leben […] ». Nachlaß, Werke, op. cit., vol. III, p. 691-692.
88 Sämtliche Werke, op. cit., vol. II, p. 246.
89 Mallarmé, lettre de juillet 1886 à Cazalis. Correspondance 1862-1871, Paris, Gallimard, 1959, p. 220.
90 Cf. Orphische Zellen (1927) et Orpheus’ Tod (1947). Gesammelte Werke, op. cit., vol. III, p. 76-77 et 191-193.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Poison et antidote dans l’Europe des XVIe et XVIIe siècles
Sarah Voinier et Guillaume Winter (dir.)
2011
Les Protestants et la création artistique et littéraire
(Des Réformateurs aux Romantiques)
Alain Joblin et Jacques Sys (dir.)
2008
Écritures franco-allemandes de la Grande Guerre
Jean-Jacques Pollet et Anne-Marie Saint-Gille (dir.)
1996
Rémy Colombat. Les Avatars d’Orphée
Poésie allemande de la modernité
Jean-Marie Valentin et Frédérique Colombat
2017