Hugo Friedrich ou les incertitudes de la modernité
p. 19-44
Texte intégral
Hugo Friedrich en son temps
1On n’imagine pas d’étude sur la poésie moderne qui ne cite, au moins par scrupule, l’ouvrage de Hugo Friedrich, Die Struktur der modernen Lyrik1. Abondamment exploité, il fournit à de nombreux commentateurs le support implicite de leurs analyses, et fonctionne comme une sorte de paradigme de lecture : l’écart par rapport au « modèle » de Friedrich peut aujourd’hui encore aider à l’évaluation d’une production poétique. Le succès du livre à la fin des années cinquante2 est un signe du retour du public vers ce mode d’expression ; mais la réflexion poétologique, brillamment réintroduite par Benn lors de sa conférence de Marbourg3, stimula, autant que le goût de la lecture, celui de l’écriture, et la conscience peut-être naïve d’avoir retrouvé le fil de la « modernité ». Le jugement sévère de Hans Dieter Schäfer sur le caractère social de ce phénomène rappelle qu’on ne saurait apprécier l’œuvre de Friedrich sans y inclure le paramètre de l’actualité :
Der Ausstattung der Wohnungen mit Nierentischen, Picassolampen und Doppelbettcouch entsprach im Gedicht das geschmackvolle Arrangement von Lesefrüchten der Moderne.4
2Ce n’est en effet pas le moindre paradoxe de cette étude que d’avoir assuré une pertinence durable à des analyses tributaires des modes et du temps.
3Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé : c’est en établissant la continuité de ces trois œuvres, en en recherchant les antécédents chez Novalis et Diderot, et les prolongements chez Paul Valéry et Gottfried Benn, que le romaniste Hugo Friedrich dégage la « structure » d’une « poésie moderne » qu’il retrouve chez les auteurs latins et anglo-saxons, et qu’il intègre dans le vaste mouvement de l’art contemporain. Face à ce brillant panorama semé de formules incisives, le public n’a peut-être pas perçu dans toute sa vigueur la paternité de Gottfried Benn, l’affleurement constant d’un discours où s’articulent en une synthèse « moderniste » une poétique néo-expressionniste et l’assimilation tardive de l’héritage mallarméen, dans l’habillage théorique fourni par Paul Valéry : rappelant le mot de Hans Schwerte considérant la conférence de Benn comme « Abschluß hundertjähriger poetischer Experimenterfahrung », Otto Knörrich suggère qu’il s’appliquerait à plus juste titre encore à l’étude de Friedrich5. Karl Krolow juge ainsi rétrospectivement les observations de Benn sur les « problèmes de la poésie » :
Gottfried Benns poetologische Auffassungen – hoch artistisch ambitioniert – waren, als sie ausgesprochen wurden, bereits historisch geworden. Sie beriefen sich auf ein künstlerisches Klima, das seine Intention noch aus dem vorangegangenen Jahrhundert gewann.6
4Et quoi qu’on dise de la faculté d’adaptation de Krolow7, il devançait Benn et Friedrich en exprimant, dans l’Ode 1950, ses doutes sur la « magie du verbe » revendiquée, par le discours de Marbourg, comme attribut essentiel de la modernité8.
5On ne peut pas dire que les commentateurs de ce temps aient partagé cette sensibilité. Benno von Wiese, dont Knörrich rapporte et approuve le jugement9, regrette surtout l’absence de la poésie de langue allemande et de ses représentants les plus « modernes », George et Rilke, Trakl et Benn. Outre que Friedrich prévient cette objection dans la préface, on peut s’étonner d’un tel argument qui méconnaît à ce point l’hommage constant que les analyses de Friedrich rendent à Benn. Plus pertinentes sont, de prime abord, les remarques de Karl Otto Conrady sur l’emploi restrictif de la notion de modernité10 : les seules « catégories négatives » élaborées par Friedrich ne peuvent décrire toute la poésie moderne dans laquelle Conrady, cependant, fait entrer pêlemêle Hofmannsthal, Borchardt, Schröder, Carossa, Lehmann, Eich et Benn, sans oublier la paternité de Goethe et du maniérisme baroque. Il est manifeste que l’objection relève d’une compréhension inadéquate du problème posé par Friedrich, comme en témoigne ce correctif apporté à l’objet de l’étude : « die in speziellem Sinne moderne Lyrik ». Hans Robert Jauss ne déplore pas non plus l’inactualité de l’analyse de Friedrich ; il saisit au contraire l’occasion du débat qu’elle suscite11 pour présenter l’étude comparée d’une ode de Théophile de Viau et du Cygne de Baudelaire12, dans laquelle les positions de Friedrich sont plutôt intégrées que remises en cause ; Jauss reconnaît en effet le rôle premier de l’imagination destructrice de la réalité empirique et fondatrice d’un monde nouveau.
6Ces quelques réactions de la critique montrent que les préventions que pouvait susciter l’ouvrage n’étaient pas nécessairement liées à la relativisation historique des thèses présentées ; celles-ci avaient en effet suffisamment de « mordant » pour encourager une discussion fructueuse sur d’autres thèmes. C’est ainsi qu’à près de trente années de distance, il importe plus que jamais de les considérer sous le double aspect paradoxal de leur fécondité théorique peu commune et de leur situation historique quasiment « épigonale ».
Vingt ans après, ou les embarras de la traduction
7Dans cette perspective, la publication de la version française vingt ans après l’original13 n’est pas un mince sujet d’étonnement. Précédée d’« extraits de la préface de la première édition », elle ne précise pas cependant quel est son texte de référence. Considérant que Die Struktur der modernen Lyrik fait incontestablement date dans l’évolution de la théorie poétique14, c’est bien sûr de la première édition que nous nous servirons pour apprécier les conséquences de ce décalage historique. Car le caractère tardif de la traduction est cause de certains embarras qui posent la question de son opportunité, et dont la mise en lumière peut aider à comprendre la situation de Friedrich.
8Celui-ci utilise le terme de « Struktur » sans préalable théorique ni précision scientifique au sens de « Muster » ou « Grundgefüge ». Cette confiance terminologique n’est plus de mise à vingt ans de distance : « die Struktur » devient « structures ». Le traducteur évite le terme, parfois péniblement : si la poésie de Mallarmé « gehört zu einer Struktur des Dichtens » (72), on dira qu’elle est « inséparable d’une certaine poésie » (125). Ou encore, à deux lignes d’intervalle, « die Struktur » (21) peut se redéfinir par « l’atmosphère » ou « les caractéristiques » (30). Il est certain que Friedrich lui-même est confus, et nous y reviendrons ; mais on peut supposer qu’une traduction directement contemporaine de l’original n’aurait pas connu ces scrupules analytiques. De même, le concept clé de « diktatorische Phantasie » (61) se trouve incontestablement modernisé quand il se métamorphose en « dictature de l’imaginaire », lequel englobe, dans l’usage d’aujourd’hui, à la fois les forces et les créations de l’imagination. On comprend aussi les hésitations du traducteur devant la fréquence de la notion de « Abnormität » : Friedrich insiste beaucoup sur le fait que ses « catégories négatives » n’impliquent aucun jugement de valeur ; c’est à l’époque une position novatrice15, mais il subsiste un hiatus entre le vocabulaire et la méthode d’analyse, qui explique les fluctuations constatées vingt ans après : « vorsätzliche Abnormität » (46) restera, certes, l’« a-normalité » (77), mais des guillemets peuvent aussi rendre le terme positif (« Dissonanzen und Abnormität », 10 : « Dissonances et “normalité” », (9). « Im abnormen Sagen » (68) devient « dans un langage bien déterminé » (117), alors que curieusement « eine ungewöhnliche Technik der Aussage » (45) dérive vers l’« anormalité » : « une technique d’expression a-normale » (74). Mais le plus grave dans cette inconfortable mise au goût du jour est sans doute l’omission de la formule justifiant à elle seule toute l’entreprise de Friedrich et prévenant, à la fois sur la méthode et sur le fond, toutes les objections de partialité. Dans son préambule, Friedrich déclare en effet : « Mich interessiert es, die Symptome der harten, wagemutigen Modernität zu erkennen... » (8) ; le traducteur l’entend ainsi : « Ce qui m’intéresse est de discerner les symptômes de la modernité... » (8), sans plus. Dire qu’il s’agit d’« extraits » de la préface excuse bien faiblement ce manquement à la simple rigueur.
9Par ailleurs, le décalage temporel ne saurait expliquer un flou terminologique préjudiciable à la cohérence des raisonnements de Friedrich. Ainsi les termes « Moderne » et « Modernität », transpositions explicites de la « modernité » baudelairienne, font-ils l’objet de périphrases nombreuses allant jusqu’à l’anachronisme des « temps modernes »16. Dans la notion de « absolute Metapher », ce qui est capital, depuis la poétique de Benn, c’est l’association contradictoire de deux termes dont le premier implique l’absence d’une relation que le deuxième suppose. Or le qualificatif d’« absolut » se trouve évincé par celui de « total », dont les connotations sont fort différentes17. La distinction introduite par Friedrich entre « empirisches Ich » et « dichterisches Subjekt » (52) est d’une grande importance méthodologique18 et permet de décrire avec profit certains phénomènes de la poésie moderne19. Or si l’on trouve bien, dans la version française, la formule du « moi empirique » (89), le traducteur ne la maintient pas avec conséquence et lui préfère des périphrases curieusement contournées20, signes d’une incompréhension que confirme à l’évidence la restitution de « das künstliche Ich » (52) par « le “moi” de l’artiste » (88). Traduire « lyrische Urpotenzen » (59) par « les anciennes puissances du lyrisme » (102) révèle une méconnaissance de la fascination magique des mystères originels, qui est, tant chez Benn que chez Friedrich, une résurgence du discours expressionniste. La rigueur conceptuelle serait plus nécessaire encore dans la transposition de notions directement issues de la poétique de Benn : « Strukturzwang », « Ausdruckszwang » ou « artistisch » par exemple. Ce dernier terme aurait mérité une élucidation au moins égale à celle que donne le traducteur pour « Lyrik »21. Quant à « Ausdruckszwang » (46), emprunté à Benn, et « Strukturzwang » (41), variation de Friedrich sur la même idée, ce sont pour eux des facteurs tellement décisifs de la création poétique qu’ils nécessiteraient de la part du traducteur une véritable recherche terminologique, alors qu’ils ne sont restitués que par de confuses périphrases22.
10Au défaut de clarté conceptuelle, nous ajouterons, pour finir de caractériser cette version, quelques « citations manquées » qui viennent entacher le travail considérable de la recherche des références originales. L’attribution à Mallarmé, au lieu de Verlaine, de la formule de l’« ange en exil »23 se retrouve inchangée dans la traduction (76). Quand Friedrich, parlant de « Initiativkraft der Sprache » (23), renvoie au propos mallarméen tant de fois cité de « céder l’initiative au mot », la version française donne « le pouvoir initiatique de la langue » (34). Et lorsque l’auteur, paraphrasant Rimbaud, mentionne « den brutalen geistigen Kampf », le traducteur oublie qu’il a déjà rencontré la formule et sa référence exacte dans le texte même de Friedrich (52) : le « combat spirituel » évoqué dans les dernières phrases de la Saison en enfer devient un « combat intellectuel » (123) ; on oublie alors ce mot clé de Baudelaire définissant le poète comme « un homme spirituel », et qui a marqué l’histoire de la poésie jusqu’à Gottfried Benn24.
11Peut-être ces insuffisances n’intéresseront-elles qu’un lecteur vétilleux. Mais s’il est vrai, comme le présente l’édition française, que « cet ouvrage de Hugo Friedrich est un apport essentiel à l’étude de la littérature contemporaine », la traduction devrait au moins essayer d’en restituer le caractère, et faire ressortir, par la rigueur terminologique et des élucidations appropriées, la tradition intellectuelle sur laquelle il s’appuie. Par ailleurs, l’étude de Friedrich n’est pas une construction dialectique : les thèses maîtresses sont données d’emblée et maintes fois reprises dans des illustrations convergentes. Plus que par une progression linéaire et conséquente, c’est par un mouvement de spirale que s’établit la démonstration ; la cohérence de la « poésie moderne » y apparaît alors dans un jeu de renvois et de correspondances qui développe les multiples facettes de quelques grands thèmes fondamentaux. C’est dire que l’art des formules pertinentes et les bonheurs d’expression de Friedrich fournissent une bonne part des ressorts de l’argumentation. Mais l’analyse incisive et la simplification percutante sont étouffées par un texte français lourdement circonstancié et dépourvu d’instruments conceptuels. Pour parler de ces maîtres du style que sont Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, Valéry, Friedrich avait lui-même trouvé un style, à mi-chemin entre l’exposé scientifique et la brillante causerie à la façon de Benn. La version française en laisse percevoir trop peu de chose pour qu’on puisse y reconnaître la marque originale de l’auteur. Le retard chronologique enfin parachève le décalage stylistique et technique de cette parution par rapport aux productions concurrentes de la critique d’aujourd’hui. Assurément, ce n’est pas le meilleur hommage que l’on pouvait rendre à Friedrich, ni la meilleure façon d’illustrer ses mérites.
Problèmes d’« actualité »
12Si la traduction vingt ans après accuse le caractère presque historique de cette étude, le même effet de relativisation est obtenu a contrario par l’affirmation, difficilement démontrable, de l’universelle validité de ses thèses. C’est ce qui se produit par exemple dans un récent article de Gérard Raulet sur le lyrisme allemand contemporain25 : « Au delà des différences stylistiques et même des différences d’écoles, le lyrisme allemand présente depuis l’après-guerre l’unité d’une même attitude ». Comme le notait Hugo Friedrich dans son ouvrage sur La Structure du lyrisme moderne « reconnaître cette unité de style est même le seul accès possible à des poèmes qui échappent volontairement à une compréhension normale »26. C’est étendre abusivement le champ d’application des conclusions de Friedrich : son vingtième siècle à lui n’est pas l’après-guerre ; c’est celui de Trakl et Benn, d’Apollinaire, de Cocteau et des Surréalistes, de Valéry et García Lorca. Ni Celan, ni Heissenbüttel, ni Bachmann, ni Eich, contemporains immédiats de son étude, n’y ont trouvé leur place. Or il ne s’agit pas là d’un simple défaut d’exhaustivité auquel on pourrait remédier en étoffant, par l’imagination, l’index des noms cités. Il est au contraire dans la nature même des thèses de Friedrich de résister à une application extensive telle que la pratique Gérard Raulet.
13Voici la justification que celui-ci donne de sa référence à Friedrich : « La nouvelle sensibilité poétique répond à une contrainte structurelle […] qui fait apparaître les diverses écoles comme de simples variations d’intensité d’un même rapport critique à la langue »27. Mais s’il est un terme qui définit, selon Friedrich, le rapport de la « poésie moderne » au langage, c’est bien au contraire celui de « Sprachmagie » : la réflexion de Friedrich, qui attribue à la poésie une fonction essentielle d’exploration de l’être28, de même que ses auteurs de référence, qui ont tous cherché à étendre, sinon à exacerber, les capacités expressives du langage, devaient nécessairement l’éloigner de ce courant de « Sprachskepsis » issu de Hofmannsthal et qui fonde en théorie ce que Knörrich appelle « die gewandelte lyrische Position »29 de l’après-guerre, avec ses phénomènes propres : « Entzauberung », « Entpoetisierung », « Reduktion », « Lakonismus », « Entemotionalisierung », « Intellektualisierung », « lyrisches Parlando »30... Rien n’est plus éloigné de cette évolution que le propos de Friedrich de retrouver dans la poésie, comme il le fait pour Mallarmé, « die Überzeugung […], daß im Wort Potenzen liegen, die mehr vermögen als der Gedanke » (80). La démarche initiale de la création « magique » est la libération de l’imagination, la rupture avec les représentations empiriques, et non le doute sur le langage. Fasciné qu’il était par ses modèles, Hugo Friedrich n’a pas perçu l’ampleur, ni les raisons historiques et épistémologiques de ce mouvement de « Sprachskepsis »31 qui commence à s’épanouir au moment même où son ouvrage assure la fortune de théories poétiques devenues inactuelles. On peut assurément conclure, avec H.D. Schäfer : « Hugo Friedrichs Definition ‘Moderne Lyrik ist seit Rimbaud und Mallarmé zunehmend Sprachmagie geworden’ […] scheint für unsere Zeit […] ihre Gültigkeit verloren zu haben »32.
14La première référence de Gérard Raulet est Hugo Friedrich, la seconde est Adorno. Or il est aisé de montrer que Friedrich échappe également à l’emprise théorique de la réflexion esthétique d’Adorno, et que sa « modernité » à lui est d’une autre nature. Raulet cite ce passage du discours Lyrik und Gesellschaft de 1957 :
La langue est double. Par ses configurations elle s’incorpore totalement aux émotions du sujet... Mais elle demeure par ailleurs le milieu des concepts, ce par quoi s’établit un lien indestructible avec l’universel et la société... La langue opère ainsi la médiation la plus intime entre le lyrisme et la société. C’est pourquoi le lyrisme présente l’authenticité sociale la plus grande lorsqu’il n’est pas l’écho de la société, lorsqu’il ne communique rien, mais lorsque le sujet, par une expression réussie, se retrouve en accord avec la langue — avec ce vers quoi elle tend elle-même.33
15Il s’agit là de la tentative de résoudre ce qu’Adorno appelle par ailleurs « die sture Antithese von engagierter und reiner Kunst »34 : l’exemplarité de la langue justifie donc l’écart comme garant de l’« authenticité sociale ». Or certaines remarques de Friedrich peuvent effectivement laisser croire qu’il entrevoit la possibilité d’une telle synthèse, par exemple lorsqu’il dit de Baudelaire qu’il comprend la poésie et l’art comme « gestaltschaffende Verarbeitung des Zeitschicksals » (25), ou alors quand il range la poésie dans cette catégorie étonnamment « moderne » de « Widerstand » (86). Mais Friedrich parle dans le sens de Benn, avec son goût de la formule paradoxale : « Lyrik muß entweder exorbitant sein oder gar nicht », et encore, raillant le « ton séraphique » :
Der große Dichter aber ist ein großer Realist, sehr nahe allen Wirklichkeiten — er belädt sich mit Wirklichkeiten, er ist sehr irdisch, eine Zikade, nach der Sage aus der Erde geboren, das athenische Insekt. (Probleme..., 505)
16En vérité, alors qu’Adorno s’efforce de résoudre l’opposition sujet/objet en établissant le statut social de la non-communication, Hugo Friedrich ne fait qu’exalter cet antagonisme dans le droit fil des réflexions de Benn. Ecoutons ce qu’il dit de Rimbaud :
Wer für niemanden mehr spricht, warum dichtet er? Die Frage wird kaum zu beantworten sein. Es sei denn, man faßt solches Dichten auf als äußersten Versuch, im abnormen Sagen und in der Diktatur der Phantasie die Freiheit des Geistes zu retten inmitten einer geschichtlichen Lage, wo wissenschaftliche Aufklärung, zivilisatorische, technische, ökonomische Machtapparate die Freiheit organisiert und kollektiviert – also um ihr Wesen gebracht haben. (68)
17Ce sont là des thèmes de « Kulturkritik » issus de Nietzsche et réactivés par Benn. Cette attitude, Friedrich la décèle encore chez Mallarmé, nous livrant le véritable sens de cette « résistance » poétique, « Widerstand [...] gegen die wissenschaftliche Austreibung des Weltgeheimnisses » (86). C’est ainsi que le propos ontologique attribué à la poésie devient la justification du refus de l’existence sociale. Et dans un sens tout à fait conforme à la pensée de Benn, l’imagination « dictatoriale », qui provoque la rupture avec le monde empirique, établit alors la poésie comme dernier refuge de l’esprit :
Ein Geist, dem alle Wohnstätten unwohnlich geworden sind, kann sich am Dichten die einzige Wohn- und Werkstätte seiner selbst schaffen. (68)
18Nous voyons ici Friedrich adhérer totalement à cette tendance du « renouveau » poétique de l’après-guerre qui se caractérise, selon Knörrich, par « einen starken anti-kontemporären, anti-historischen und anti-sozialen Affekt »35. Cette exaltation extrême de l’« Art », sous l’influence passagère de Benn, conduit la réflexion de Hugo Friedrich dans une direction qui n’est plus celle de la poésie qui s’écrit alors. Il est curieux de noter que c’est justement à propos de Valéry, que tous deux admiraient, qu’Adorno formule avec lucidité cette prudente hypothèse :
Man kann fragen, ob nicht in Valérys Werk und Philosophie, nach dem was geschehen ist und weiter droht, Kunst selber maßlos überschätzt sei; ob er nicht deswegen doch jenem neunzehnten Jahrhundert angehöre, für dessen ästhetische Unzulänglichkeit er ein so hellsichtiges Organ hatte.
19Et, sans vouloir conclure : « Ob Valéry, oder auch Nietzsche, die Kunst überschätzt haben, wage ich nicht zu entscheiden »36... Ce qui est douteux pour Nietzsche l’est certainement moins pour Benn : installant l’artiste dans une situation épistémologique qui était celle de Nietzsche et des premiers expressionnistes37, il ressuscite une modernité qui n’était déjà plus, selon l’heureuse formule utilisée, entre autres, par Knörrich, qu’une « Tradition der Moderne » ; et Friedrich l’a suivi dans cette voie.
20Il semble que pour lui l’évolution de la poésie se soit arrêtée :
Rimbaud und Mallarmé hatten die äußersten Grenzen abgesteckt, bis zu denen das Dichten sich hinauswagen kann. Fundamental Neues bringt die Lyrik des 20. Jahrhunderts nicht mehr, so qualitätvoll auch einige ihrer Dichter sind. (107)
21Friedrich explore une direction particulière de la poésie : celle où la fascination du verbe s’allie à la recherche désespérée de l’être pour aboutir à des créations sensibles totalement étrangères au discours convenu, et cependant porteuses d’un message ontologique purement négatif. Alors, certes, il est difficile de faire mieux, dans ce domaine, que les modèles qu’il a choisis et interprétés. Mais il est sûr qu’après avoir posé ces jalons extrêmes de l’investigation poétique, Friedrich ne s’est guère interrogé sur l’éventualité d’autres évolutions. Voilà qui n’enlève rien à la qualité de ses analyses, mais qui montre avec quelle prudence elles doivent être appliquées à la poésie d’aujourd’hui, qui représente déjà pour elles un futur bien lointain.
Les grands thèmes de Friedrich
22Le parti pris de Friedrich en faveur de la modernité « radicale » procède des théories esthétiques de Baudelaire et de son assimilation de l’héritage romantique. Cette médiation ouvre à l’analyse des perspectives riches et nouvelles38 qui permettent d’englober à la fois les phénomènes de rupture et de continuité. À vrai dire, la rupture concerne moins le romantisme que sa postérité lyrico-sentimentale : « Mit Rimbaud zusammen bringt Mallarmé die radikalste Abkehr von der Erlebnis- und Bekenntnislyrik »... (83). Ces dénominations recouvrent ce que Rimbaud appelait avec mépris la « poésie subjective » représentée par Musset39, mais renvoient aussi à la longue tradition du XIXe siècle, dont Staiger a déduit ses critères : « Damals verlangte man vom Gedicht jenen Gefühlsausdruck, der uns auf die eigene Innerlichkeit zurückführt und Erlebnisse und Stimmungen vermittelt, in die wir uns einzustimmen vermögen »40. Friedrich se montre ici encore disciple de Benn, dont il cite la boutade « Gemüt ? Gemüt habe ich keines », et restitue fidèlement la pensée de ses modèles Poe et Baudelaire quand il insiste sur le divorce entre « Lyrik » et « Herz » (26). Mais son mérite est de mettre à cette occasion l’accent sur deux phénomènes qui réunissent le romantisme et la poésie moderne par-dessus les avatars lyrico-sentimentaux : d’une part la difficulté de lecture, d’autre part l’extension illimitée de la subjectivité. Friedrich éclaire en effet les conséquences proprement linguistiques de l’abandon de l’identification lyrique lorsqu’il constate l’absence de « kommunikative Wohnlichkeit » (11) dans la poésie moderne : tout autant que le confort affectif du lecteur, c’est la commodité de la communication qui est ainsi remise en cause. Par ailleurs, Friedrich a une intuition extrêmement profitable aux analyses ultérieures en distinguant entre « sentiment » et « subjectivité » :
Es ist eine Vielstimmigkeit und Unbedingtheit der reinen Subjektivität, die nicht mehr in einzelne Gefühlswerte zerlegbar ist. (11)
23Malheureusement, il se trouve en quelque sorte trahi par son vocabulaire : les catégories de « Entpersönlichung » et « Enthumanisierung » par lesquelles il décrit l’hypertrophie de la subjectivité sont inadéquates car trop restrictives, et ne rendent compte que de quelques phénomènes superficiels. « Mit Baudelaire beginnt die Entpersönlichung der modernen Lyrik, mindestens in dem Sinne, daß das lyrische Wort nicht mehr aus der Einheit von Dichtung und empirischer Person hervorgeht » (26) : un postulat comme celui-ci fait que la distinction entre « Gemüt » et « Subjektivität » tourne court, car le processus qu’il décrit ici englobe aussi bien Hölderlin que Rimbaud ou Trakl, pour qui l’« hyperbolisation du moi »41 est cause, à des degrés divers, d’une désorganisation de la communication poétique. Cette incertitude terminologique n’est pas sans conséquences, mais Friedrich la surmonte implicitement et montre la voie de la continuité :
Mallarmé ist den Weg weitergegangen, den Novalis und Poe empfohlen hatten, den Weg des dichterischen Subjekts in eine überpersönliche Neutralität. (83)
24En explicitant l’argumentation de Friedrich, on voit que l’extension de l’« Erlebnis » romantique au sens de Novalis n’aboutit pas à une véritable « déshumanisation », mais à l’approfondissement et à l’universalisation de l’expérience subjective42.
25Dans sa recherche des antécédents de la « poésie moderne », Friedrich remonte, au-delà de Novalis, à Rousseau et Diderot ; le fil conducteur de ce retour est la mise en lumière des pouvoirs grandissants de l’imagination43 : leur libération irréversible assure en effet tout autant la continuité de la poésie moderne avec le romantisme que sa rupture avec l’expression littéraire conventionnelle44. Car c’est l’imagination qui permet à la fois l’exploration subjective et l’exploration de l’être, l’abolition des représentations empiriques et la création d’un « verbe nouveau » non tributaire du « confort » de la communication. Friedrich a d’heureuses formules pour décrire cette toute-puissance de l’imagination, la plus célèbre étant celle de « diktatorische Phantasie » appliquée à Rimbaud. De ce concept découlent en fait tous les processus qu’il considère comme constitutifs de la poésie moderne. Les effets de la liberté sont d’abord perçus négativement (ce sont les fameuses « negative Kategorien ») : le précurseur Novalis met en honneur l’aléatoire, le particulier, l’indéfini, le fragment ; la revendication théorique du pouvoir subversif de l’imagination s’exprime dans la « déformation » baudelairienne45, avant de connaître, chez Rimbaud ses applications les plus radicales et les plus étendues. Le parti que tire Friedrich de ce phénomène est considérable : c’est en effet le moyen d’établir le fondement théorique d’une phénoménologie de la poésie moderne qui englobe aussi bien Rimbaud que l’expressionnisme ou Benn :
Die reale Welt bricht auseinander unter dem Machtspruch eines Subjekts, das seine Inhalte nicht empfangen, sondern selber herstellen will. (61)
26Mais l’intuition majeure de Friedrich est d’associer, dans son commentaire du Bateau ivre, l’entreprise de « destruction du réel » et l’échec de la quête ontologique :
Diese zerstörte Realität bildet nun das chaotische Zeichen für die Unzulänglichkeit des Realen überhaupt wie auch für die Unerreichbarkeit des Unbekannten. (57-58)
27Ainsi se constituent les deux pôles négatifs, « zerstörte Realität » et « leere Transzendenz », entre lesquels la poésie tirera son existence du seul « verbe » et de sa « magie ». En proposant cette interprétation de Rimbaud qui, modulée, s’applique aussi bien à Baudelaire qu’à Mallarmé, Friedrich place, avec une cohérence remarquable, la poétique de Benn dans la lignée de ces grands précurseurs. « die Wirklichkeitszertrümmerung […], die Freiheit schafft für das Gedicht – durch Worte » : c’est ainsi que Benn voit l’émancipation du sujet lyrique, remplaçant le « vide transcendantal » par une « nouvelle transcendance », « die Transzendenz der schöpferischen Lust » (512, 500). Face à une telle concordance des interprétations de la démarche poétique, cette mission « nietzschéenne » peut bien être considérée comme une simple variante, d’autant que la symétrie se prolonge par une valorisation extrême de la « langue » (Friedrich) ou du « mot » (Benn).
28C’est en effet la dernière habileté convaincante de Hugo Friedrich que de conjuguer ces deux fonctions « négatives » de l’imagination toute-puissante : destruction de la réalité empirique et recherche infructueuse de l’être, pour lui attribuer la tâche véritablement constitutive de la modernité poétique, qui se résume à cette formule tant de fois citée : « das [...] Dichten von der Sprache her », « der Griff nach dem im Wort selber liegenden Impuls » (23). On voit avec quelle facilité la « magie » rimbaldienne s’inscrit dans ce propos, de même que les expériences mallarméennes. En outre, bien des commentateurs se serviront sans discernement de cette analyse comme d’une définition commode du « symbolisme ». Friedrich, lui, en tire des descriptions pertinentes des phénomènes propres à la poésie de Rimbaud, qu’il résume par le mot de « sinnliche Irrealität » (60) : « Wir sind in einer Welt, deren Realität allein in der Sprache existiert » (61). Il donne ainsi la formule d’une poésie constitutive de sa propre réalité, dont les analyses de tendance « textuelle » tireront grand parti dans les années soixante46. Certes, une fois encore, la nouveauté tient surtout à la cohérence du système de relations qu’établit Friedrich, car l’idée vient aussi de Novalis. Mais il sait lui donner des prolongements nouveaux dont l’aboutissement est encore Benn, « der große Zauberer » (11), dont on devine qu’il sait allier la « magie » et le « calcul »47 pour exalter toute la « fascination » du mot48.Ainsi, ce n’est pas le moindre intérêt du travail de Friedrich que d’avoir mis au jour des jalons oubliés et proposé d’autres itinéraires.
29On peut néanmoins s’étonner qu’un ouvrage au titre aussi catégorique ne contienne pas une définition concise de la « structure » de la poésie moderne. Le terme revient souvent, sous des formes variées : « eine Struktur des Dichtens », « ein Grundzug modernen Dichtens », « gemeinsames dichterisches Verhalten », « Strukturverwandtschaft », « überparteiliche Struktureinheit », « Grundgefüge », « Muster », sans oublier les concepts empruntés à Benn : « epochaler Stil- und Strukturzwang ». Chacune de ces apparitions est l’occasion d’un nouveau chatoiement d’antithèses et de paradoxes, de descriptions et de mises au point : l’examen de chaque poète apporte des correctifs et des compléments à ce qui est plutôt un catalogue descriptif des phénomènes de la poésie moderne. Friedrich parvient ainsi à circonscrire, sous la forme typique de l’énumération, ce qu’il appelle fort justement « die aggressive Dramatik modernen Dichtens » (11). La « structure » fait plutôt fonction de terme générique aux spécifications variables. Elle peut être circulaire :
Hier schließt sich der Ring, hier zeigt sich eine weitere Folgerichtigkeit in der Struktur der modernen Lyrik. Ein Dichten, dessen Idealität leer ist, entrinnt dem Wirklichen durch Erzeugen einer unfaßlichen Geheimnishaftigkeit. Um so mehr kann es sich durch die Sprachmagie unterstützen lassen.49
30Elle peut être antithétique, comme dans cette définition globale des tendances de la poésie du XXe siècle issues de Rimbaud et Mallarmé :
Grob bezeichnet handelt es sich bei der einen um formfreie, alogische Lyrik, bei der anderen um Lyrik der Intellektualität und Formenstrenge. (109)
31Mais cette « polarité générale » à laquelle la poésie ne saurait échapper50 s’abrite tout de même sous une structure unique et conciliatrice51, dont la définition doit être déduite d’une nouvelle énumération52. L’attention minutieuse que Friedrich porte, selon son propre terme, aux « symptômes »53, n’autorise pourtant pas à dire qu’il ne donne aucune idée claire de la structure ; mais c’est plutôt au lecteur d’en percevoir le filigrane. En voici un exemple qui justifiera par contrecoup nos analyses ; il concerne Rimbaud et Mallarmé, considérés comme des points extrêmes que l’évolution ultérieure n’a pas dépassés :
Soweit das Dichten Mallarmés überhaupt noch die erscheinende Welt streift, rückt es sie um und entzieht sie der normalen Sachordnung des Raums und der Zeit. Hier liegt - bei aller Andersartigkeit der Begründung – die Strukturverwandtschaft mit Rimbaud. (105)
32Il est donc bien clair que pour Friedrich c’est l’acte de désorganisation de la réalité empirique par l’imagination toute-puissante qui est fondateur de la poésie moderne et détermine sa structure.
33Si la description répétitive est parfois un obstacle à la formulation des résultats, il reste que l’acuité des analyses aura fourni à la critique de nouveaux instruments de définition de la poésie affranchis des concepts de Staiger. Voici quelques propositions prises dans des études de caractère fort différent, qui montrent à quel point les perspectives de Friedrich sont devenues un bien commun. S’appuyant sur Paul Valéry, référence commune à Benn, Adorno et Friedrich, Lothar Jordan définit ainsi la polarité de l’intellect et de la subjectivité :
Dies ist sozusagen die mittlere, in größter Vielfalt differenzierte Position der modernen Lyrik: von der Tradition her kommt es auf die Bewegung der Seele an, die neu einströmenden Normen aber binden die Sprache an Kalkül, Konstruktion und Innovation.54
34Bernhard Böschenstein retrouve chez Paul Celan des composantes de la poésie moderne dont la plupart ont été mises en lumière par Friedrich :
Die Komponenten seiner Poesie finden sich als Grundzüge der Poesie unseres Jahrhunderts: Kritik am Weltzustand, Sprachkritik, artistische Perfektion in der Ausarbeitung einer poetischen Gegenschöpfung.55
35Quant aux catégories antithétiques fondamentales qu’Ute Maria Oelmann place à l’opposé de la conception du lyrisme traditionnel, elles sont, elles aussi, malgré la référence à Adorno, contenues dans les développements de Friedrich :
die für die moderne Lyrik fundamentale Spannung zwischen Abstraktion und Konkretion, Bild (Besondere) und Begriff (Allgemeine), Reflexion und Beschwörung (Magie), Diskursivität und Anschaulichkeit.56
36Mais cette fécondité théorique s’accommode curieusement de la mise en honneur de critères d’appréciation issus de la poétique expressionniste dont la validité semblait déjà douteuse à l’époque où Friedrich écrivait.
Le discours néo-expressionniste et l’« art poétique » de Benn
37La réflexion de Friedrich sur la poésie moderne a commencé, comme il le révèle dans sa préface, sous le signe de l’anthologie de Pinthus, Menschheitsdämmerung. C’est l’expérience de cette lecture qui a nourri les observations ultérieures sur les poètes occidentaux et sur les précurseurs français du XIXe siècle. Étant donné la vivacité de l’héritage romantique transmis par Baudelaire à Rimbaud et Mallarmé, et d’autre part les liens étroits qui unissent l’expressionnisme au romantisme, cette démarche, si empirique fût-elle à l’origine, n’a rien de surprenant. Ce qui est plus singulier, en revanche, et caractéristique de la situation de Friedrich, c’est que le ton adopté pour décrire la poésie est souvent proche du discours expressionniste.
38C’est sans doute la quête rimbaldienne de l’« inconnu » qui inspire à Hugo Friedrich ses accents les plus « néo-pathétiques », si l’on se rappelle l’essai de Stefan Zweig sur « das neue Pathos »57. Cette recherche du « poème originel » où s’expriment les forces antérieures à la logique est à la fois une revendication de la poésie nouvelle d’alors, et une constante de l’interprétation de Rimbaud : « Der Expressionismus war vor allem die Revolution zum Elementaren » écrit Paul Hatvani58, et Wolfenstein : « Rimbauds Dichtung ist urwüchsige Intuition »59. Ainsi, à propos de Mallarmé, Friedrich décrit la démarche poétique comme « urtümlicher Schöpfungsakt der Sprache » (88). Il explicite en ces termes le « Je est un autre » :
Andere Mächte treten an seine Stelle (i.e. des empirischen Ich), Mächte von unten, vorpersönlicher Art, aber mit zwingender Verfügungsgewalt. (46-47)
39L’exploration se fait dans les fièvres : « Solche Realitäten […] (i.e. celles de la laideur) sind Hitzespuren einer fiebrigen Intensität » (58). Zweig, lui, voyait le Bateau ivre comme une « phantastische Symphonie fiebernder Worte »60. Le « dérèglement » volontaire libère les forces primitives de la création : « Auch die eingelegten Reste des ‘Schönen’ […] bringen lyrische Urpotenzen mit Banalem zusammen » (59). Voilà qui ressemble aux « mots » de Rimbaud vus par St. Zweig : « Unerwartet schnellen sie auf, überraschen und zwingen wieder, noch ehe man sie logisch faßt61 ». Au prix d’un contresens sur l’« âme universelle », Friedrich se laisse ainsi entraîner au pathétique du plongeon dans l’inconscient :
die Überwältigung kommt jetzt von unten. Das Ich versinkt nach unten, wird entmächtigt durch kollektive Tiefenschichten (« l’âme universelle »). Wir stehen an der Schwelle, wo modernes Dichten beginnt, neue Erfahrung, die der verbrauchte Weltstoff nicht mehr hergibt, sich aus dem Chaos des Unbewußten zuwerfen zu lassen. (47)
40Cette dramatisation de l’« élémentaire » n’était plus une fatalité de l’interprétation rimbaldienne à l’époque où Friedrich écrivait. On peut alors l’expliquer par une contamination de la vision « expressionniste » de la poésie, celle de Zweig dans ses essais sur Rimbaud et Verhaeren, reprise sans discernement par les commentateurs des années vingt et trente.
41Ses prolongements théoriques sont importants, car elle permet de réunir dans une même interprétation la longue tradition d’« occultisme » du XIXe siècle, sa fascination romantique pour le langage secret du monde, et le déchirement spécifique de l’expressionnisme entre les pôles contraires du « vitalisme » et du « spiritualisme ». Friedrich applique cette double perspective à Rimbaud, voyant dans l’Alchimie du verbe « die spezifisch moderne Neigung, die Poesie zu spannen zwischen Intellektualität und archaischem Geheimniszauber » (70), mais aussi à Mallarmé : « Auch Mallarmé nimmt an dem Bedürfnis modernen Dichtens teil, eine hochreflektierte Poesie zu verbinden mit magisch-archaischen Seelenschichten »62. C’est à vrai dire Mallarmé qui réalise la synthèse la plus parfaite de l’élévation spirituelle et de la suspicion envers le concept qui empêche d’accéder à l’« essentiel ». Zweig disait de l’expression rimbaldienne : « Es ist Poesie ohne Begrifflichkeiten, Symbolkunst ohne Verstandesbeihilfe : Instinkt, Magik...»63 ; Friedrich attribue à Mallarmé la « conviction » selon laquelle :
im Wort Potenzen liegen, die mehr vermögen als der Gedanke. Dies ist wie ein Aufleben uralten Wortglaubens, wie er bis in die hochmittelalter-liche Philosophie und Dichtung hinein bestanden hatte. (80)
42C’est ainsi que le mot révèle en quelque sorte sa substance, s’imprègne du mystère, dont il communique directement à l’âme la fascination : « Darum ist das Lyrik : Gesang des Geheimnisses mit Worten und Bildern, bei deren Wahrnehmung die Seele vibriert... » (73).
43La magie mallarméenne représente l’ultime degré de la modernité en ce sens qu’elle ne procède plus de forces premières longtemps étouffées, mais de la faculté de spiritualisation du langage, qui mène inexorablement à la rencontre avec le néant :
Das ontologische Schema Mallarmés [...] setzt Nichts (das Absolute) und Logos in Beziehung zueinander: der Logos ist die Stätte, an der das Nichts zu seiner geistigen Existenz geboren wird. (88)
44C’est une lecture qui, bien sûr, n’a rien d’abusif et représente un avatar de la théorie des « correspondances », qui avait aussi permis l’interprétation « mystique » ou « spiritualiste » de Rimbaud. Mais ce qu’il faut noter ici, c’est que le commentaire assure une remarquable continuité de Mallarmé à l’« Artistik » de Benn dont la formule « die formfordernde Gewalt des Nichts » s’intègre tout naturellement, comme l’hommage d’un continuateur, à la démonstration de Friedrich. Mallarmé fournit ainsi à Hugo Friedrich toutes les justifications de la « modernité » de Benn : l’aspiration métaphysique de la création poétique, l’affirmation théorique du vide transcendantal, la volonté enfin de faire de l’acte poétique, donc de la création linguistique, la seule manifestation possible de ce contact avec l’absolu. Benn y ajoute son « expressionnisme » personnel, l’affirmation fervente des capacités expressives du « mot ».
45Les emprunts de Friedrich au discours expressionniste ne sont pas sans ambiguïté. Knörrich lui attribue par exemple le mérite d’avoir démontré la « modernité » de ce mouvement :
Daß der deutsche Expressionismus selbst wieder in einer internationalen Tradition der Moderne steht, hat vor allem Hugo Friedrich in seinem Buch gezeigt. Dieses hat wie kein anderes zum Verständnis der lyrischen Moderne beigetragen.64
46Ce jugement doit être corrigé : en réalité, Friedrich souscrit à la dramatisation existentielle de l’expressionnisme qui était de mise dans les années cinquante, et l’intégration de l’expressionnisme au courant de « modernité » se fait plutôt en sens inverse, par l’extension de ce schéma à la description des poètes français. Ce n’est pas là le plus réussi. Corrélativement, la rencontre du pouvoir absolu de l’imagination et de la capacité créatrice du langage, qui est la marque essentielle de la modernité, n’est aucunement attestée, pour l’expressionnisme, dans l’étude de Friedrich. Ce qui est au contraire largement démontré, c’est la jonction qu’opère Benn lui-même avec cette modernité, par le moyen d’une « auto-interprétation » où interviennent à la fois le discours néo-expressionniste et l’assimilation de l’héritage mallarméen.
47La place de Benn dans l’étude de Friedrich ne laisse pas de susciter des interrogations quant au rôle du poète des Probleme der Lyrik dans l’histoire littéraire. Pour Friedrich, il ne fait aucun doute : « Sein Vortrag Probleme der Lyrik ist die ars poetica der heutigen Generation geworden » (117). Pour Knörrich non plus, semble-t-il :
Kein anderer Autor ist so repräsentativ für den Durchbruch der Moderne in der deutschen Gegenwartsdichtung, kein anderer hat so wie er die Entwicklung des lyrischen Sprechens im Zeitalter der Moderne beeinflußt und mitgeprägt.65
48Edgar Lohner, dans l’interprétation du poème consacré au « spätes Ich » fait de lui le représentant de l’« homme moderne », celui qui manifeste « das Unerbittliche und Ausweglose der modernen Situation »66. Mais curieusement, comme pour contredire ces affirmations de nouveauté, tout le commentaire met en concordance le poème et les propositions esthétiques de Benn avec celles de Mallarmé. L’« évocation » mallarméenne assure ainsi le lien entre la « poésie moderne » et la poésie « symboliste »67. Où est alors le mérite de Benn, sinon dans l’acclimatation d’une théorie, et peut-être d’une pratique ? À l’ontologie poétique de Mallarmé, il ajoute le scepticisme, la liberté, le détachement de Valéry, pour donner un ars poetica des années trente qui resurgit de l’étouffement national-socialiste. Au fond, n’est-ce pas ce que reconnaît Friedrich quand il dit : « In Deutschland hat Benn das alles nachgeholt, in schlagenden Formulierungen, die reine Luft schaffen » (117) ? Sans doute Benn a-t-il été l’artisan de la « percée » de la « modernité » en Allemagne, même si elle fut « tardive »68, mais son rôle fut plutôt celui d’un médiateur que d’un initiateur : Knörrich montre bien que les directions prises par la « nouvelle » poésie ne sont pas les siennes et, se souvenant de son admiration pour Valéry analyste et théoricien de la poésie, on pourrait dire que le succès de Benn dans les années cinquante est avant tout celui d’un discours sur la poésie.
49À ce discours, Friedrich a fait de nombreux emprunts, facilement assimilables puisqu’ils provenaient en partie du fonds commun des poètes français, après avoir reçu l’empreinte des théories esthétiques et métaphysiques de Nietzsche. Sans revenir sur les convergences déjà notées au cours de cette étude, nous en évoquerons encore trois, qui semblent utiles pour bien comprendre la position de Friedrich.
50La première concerne le rapport d’implication réciproque entre poésie et poétique. Friedrich le souligne fréquemment et en donne une description qui semble faire la synthèse des expériences de Baudelaire, Mallarmé, Valéry, et Benn :
dies [entspringt] der modernen Überzeugung, daß das poetische Tun ein Abenteuer des operierenden und dabei sich selber zusehenden Geistes ist, der mit der Reflexion über sein Tun die poetische Hochspannung sogar verstärkt. (111)
51En effet, le rôle déterminant de l’esprit à la fois téméraire et sceptique, le côté instrumental de la « fabrication » poétique, et son association avec l’extrême tension de l’acte créateur sont des thèmes favoris de la démonstration poétologique de Benn : Valéry est son modèle, « bei dem die Gleichzeitigkeit der dichterischen mit der introspektiv-kritischen Tätigkeit an die Grenze gelangt, wo sich beide durchdringen » (495/96). Les formules ne manquent pas : « Philosophie der Komposition », « Systematik des Schöpferischen » (496), « Phänomenologie der Komposition » (497), ni les exemples, que Friedrich d’ailleurs reprendra. Il est intéressant de noter qu’Adorno, le grand maître du discours sur l’art, apprécie avec le même enthousiasme que Benn la rencontre de la création et de l’analyse chez Valéry69. Cela s’explique bien sûr par son importance exceptionnelle dans l’histoire littéraire, mais on pourra peut-être se demander un jour si cette vogue de la réflexion poétologique, puis la multiplication, dans le lyrisme contemporain, des phénomènes d’« isotopie poétique »70 et de « Metapoesie »71 ne sont pas, parallèlement à la disparition de l’« évidence » de l’acte poétique, le signe d’une crise de la création. Quoi qu’il en soit, le résultat de cette introduction de la distance analytique dans l’élaboration du poème est la prédominance de la « technique » au détriment du « contenu » : « Die Deutung eines modernen Gedichts sieht sich genötigt, sehr viel länger bei seiner Aussagetechnik zu verweilen als bei seinen Inhalten, Motiven, Themen » (113). C’est en ce sens que Benn parle de « Kunstprodukt » dont la « confection » est affaire de « Bewußtheit », « kritische Kontrolle », « Artistik »72. Friedrich cherche ici encore la caution de Benn, en citant l’un de ses aphorismes provocants : « Der Stil wird in Schwung gehalten durch Tricks [...] Nichts wird stofflich psychologisch verflochten, alles angeschlagen, nichts durchgeführt »73. De façon remarquable, il rattrape le caractère iconoclaste et grinçant de cette proposition en l’intégrant à sa démonstration, dans une présentation qui dramatise la lutte entre les contraintes du sens et les pouvoirs « exorbitants » du langage créateur :
Der Stil modernen Dichtens aber, den solche Sätze aussagen, verwehrt den Inhalten ihren Anspruch auf Eigenwert und Kohärenz, nährt sich aus seinen eigenen diktatorischen Ansprüchen und befindet sich in ungelöster Dramatik zwischen diesen und seinen Inhalten. (114)
52Gottfried Benn radicalise l’expression théorique de la solitude du moi, qui est en quelque sorte la quintessence de toutes ses souffrances et justifie le caractère monologique de la poésie74 ; Hugo Friedrich reprend et développe cet argument, c’est la deuxième convergence que nous voudrions souligner ici. Les images de la solitude et du monologue réapparaissent tout au long de l’exposé de Benn avec une vigueur obsessionnelle, toutes ont la même densité et la même pertinence. Friedrich tire parti de cette analyse en combinant, conformément à la ligne générale de sa démonstration, la dramatisation existentielle et l’exaltation des pouvoirs du langage. Ainsi, c’est la solitude qui est posée comme fondement de l’existence du poète : « Einsamkeit (die Ursituation des modernen Dichters) » (90). Dans cet état, le langage devient le lieu de la plus grande liberté :
Was bleibt? Ein Sagen, das seine Evidenz in sich selber hat. Der Dichter ist ganz allein mit seiner Sprache. Hier hat er seine Heimat und seine Freiheit, um den Preis, daß man ihn ebensogut verstehen wie nicht verstehen kann. Wäre dies nicht die Ursituation modernen Dichtens, hätte Mallarmé nicht so viel Verehrung gefunden. (106)
53Toujours à la recherche d’une parole « originelle », Friedrich ne la discerne plus, comme jadis Stefan Zweig étudiant Rimbaud, au sein d’une magie évocatoire et communicative, mais au contraire dans l’isolement singulier de l’individu qui approche le néant. Le langage est à la fois le lieu et la manifestation de cette rencontre, il absorbe l’âme du poète : « Sprachwerdung der modernen Seele »75. On peut ici rappeler que Benn avait opposé le romancier, qui se sert du mot, et le poète, qui se trouve en relation existentielle avec lui : « Das Wort nimmt nicht wie beim primären Lyriker die unmittelbare Bewegung seiner Existenz auf, der Romancier beschreibt mit dem Wort » (497).
54La condensation des pouvoirs du langage dans le mot est instaurée par Mallarmé, Hofmannsthal la proclame également76, Benn la combine avec son propre souci ontologique, Hugo Friedrich en fait un thème du bilan de la poésie moderne, sous le titre « Sprachmagie und Suggestion ». Écoutons Benn :
Wir werden uns damit abfinden müssen, daß Worte eine latente Existenz besitzen, die auf entsprechend Eingestellte als Zauber wirkt und sie befähigt, diesen Zauber weiterzugeben. Dies scheint mir das letzte Mysterium zu sein, vor dem unser immer waches, durchanalysiertes, nur von gelegentlichen Trancen durchbrochenes Bewußtsein seine Grenzen fühlt. (514)
55Dans ce passage se trouvent réunies les conditions du pouvoir du mot : sa magie sensible, sa charge existentielle, et sa capacité de suggestion ontologique. Ce que recherche Benn, ce n’est pas, comme le proposera quelques années plus tard Günter Eich77, la concordance du mot avec une réalité à découvrir et jalonner, c’est au contraire l’extrême limite où la conscience analytique échoue face au mystère de l’être. Car le « poème absolu », qui n’est fait que de « mots » combinés78, est une « forme » qui manifeste la « substance », si bien que « hinter Faszination und Wort genügend Dunkelheiten und Seinsabgründe liegen, um den Tiefsinnigsten zu befriedigen » (524). Friedrich reformule ainsi ce raisonnement :
Für solches Dichten ist nicht die Welt real, sondern einzig das Wort. Daher wird von den gegenwärtigen Lyrikern auch immer wieder betont: das Gedicht bedeutet nicht, sondern ist79. Die vielen Erörterungen über die« poésie pure »kreisen um diesen Gedanken. (133)
56Mais c’est encore en décrivant la rencontre du « logos » et de l’« absolu » chez Mallarmé qu’il intègre le mieux les accents de Benn à son propre raisonnement :
Damit ist auf ontologischem Weg die moderne Machtstellung des Worts, aber auch der unbeschränkten Phantasie begründet. (96)
57On aura vu, ainsi, que Hugo Friedrich, contrairement à ce que prétendait Benno von Wiese, n’oublie pas les poètes allemands. Son étude, qui paraît l’année même de la mort de Benn, est un hommage à cet avocat de la « modernité », la démonstration de sa qualité de continuateur des plus grands. Il reste que cette « ligne dure » de la modernité, qui cherche à concilier la liberté absolue du « verbe » et la manifestation de l’expérience ontologique, n’est déjà plus praticable alors même qu’elle triomphe en théorie ; Mallarmé et Valéry, entre autres, ont trop fait pour en épuiser les possibilités. Les conditions nouvelles de l’après-guerre, l’hypothèque morale imposée par le national-socialisme, l’obsession des expériences vécues, la tournure prise par l’évolution de la société, contribueront tout autant que la réflexion et l’exemple des grands prédécesseurs, à orienter la création poétique dans d’autres voies sinon moins « hermétiques », en tout cas moins « abstraites »80.
L’« après-Friedrich » : prolongements et lacunes
58À vrai dire, c’est à cet endroit que pourrait commencer l’histoire de la poésie de l’après-guerre, une fois rattrapé le retard accumulé sous le règne hitlérien. Car, si Friedrich a retracé l’évolution d’une pratique poétique dont le caractère exceptionnel l’autorisait sans doute à revendiquer pour elle seule les attributs de la « modernité », son livre demeure un bilan : on ne saurait attendre de lui qu’il annonce des voies nouvelles ; en revanche, la qualité de sa réflexion a puissamment stimulé le discours critique, en même temps qu’apparaissaient d’autres poésies, face auxquelles ses critères se révélaient inadéquats. C’est cette postérité contradictoire que nous évoquerons brièvement ici, en guise de conclusion. Ce sont d’abord trois exemples de nature et d’ampleur fort différentes qui témoignent de l’influence des analyses de Friedrich. Dans la postface de sa célèbre anthologie de 1961, Deutsche Lyrik-Gedichte seit 1945, Horst Bingel reprend le thème de l’isolement du poète et de sa résistance à l’avènement de l’ère scientifique et industrielle ; son interprétation de Rimbaud est littéralement celle de Friedrich : « Und nicht zuletzt durch Rimbauds Flucht in die monologische Dichtung wird besonders die isolierte Stellung des modernen Dichters deutlich »81.
59L’étude souvent citée de Walter Muschg, Der Zauber der Abstraktion in der Dichtung82, qui parcourt les générations de Kleist à Dürrenmatt, semble bien devoir une part de son inspiration aux perspectives et aux méthodes de Hugo Friedrich. On y trouve des formules de ce genre : « unbegrenzte Möglichkeiten der selbstherrlichen Sprachkunst », « avantgardistische Dichtwerke, die als Sprachexperimente [...] die absolute Freiheit der Phantasie demonstrieren »83, ou encore cette explication : « Die romantische Dichtung entsprang aus der Sehnsucht nach dieser absoluten Freiheit des Ich »84. De manière générale, les considérations de Muschg sur l’abstraction et la magie du langage85 paraissent difficilement concevables sans la référence à Friedrich.
60Mais la proposition la plus stimulante sera sans doute celle du langage constitutif de sa propre réalité. On peut en donner pour exemple un ensemble d’études publiées par Wolfgang Iser sous le titre Immanente Ästhetik, ästhetische Reflexion – Lyrik als Paradigma der Moderne86. Ainsi, dans une interrogation fondamentale sur le thème « Sprachsituation und immanente Poetik »87, Hans Blumenberg rappelle les données de l’évolution de la poésie : éclatement de la structure sous la pression de l’indicible, perte de la fonction communicative, détachement de la réalité empirique, conscience de la liberté esthétique, toute-puissance de l’imagination, le tout sous le signe de Valéry et de sa mise en garde contre « l’oubli de la condition verbale de la littérature »88. Le problème ainsi dégagé apparaît dans les termes mêmes où le posait déjà Friedrich : « Weshalb eigentlich ist dieser Wirklichkeitsbezug der Sprache so störend und worin besteht die neue ‘Realität’, die in der Dichtung die Sprache selbst gewinnt »89 ? D’autres commentateurs essaient de le résoudre en abordant les textes « hermétiques » non plus par leur face la plus abrupte, celle d’une sémantique insaisissable ou aléatoire, mais par le côté plus « facilement » analysable de leur fonctionnement linguistique. C’est ainsi que Karl Heinz Stierle tente de concilier les deux perspectives dans sa longue étude sur Nerval, Mallarmé et Rimbaud, Möglichkeiten des dunklen Stils90. L’aboutissement extrême de l’explication poétique uniquement fondée sur la réalité du fonctionnement linguistique sera sans doute l’ouvrage fort discuté de Kloepfer et Oomen sur les Illuminations de Rimbaud91 : les lois de la « cohérence référentielle », inopérantes et bafouées dans ces textes obscurs, seraient remplacées par des schémas constitutifs de nature linguistique92. Ce présupposé de la « nature fermée » de la « parole poétique »93 centrée sur sa propre existence linguistique n’est pas d’une adéquation universelle, ainsi que tend à le prouver a contrario cette affirmation de Wolfgang Preisendanz à propos de Trakl94 :
Trakls sprachliche Bilder sind nicht mehr als Anwendung auf eine außersprachliche gegenständliche Realität zu interpretieren, auch nicht als Anweisung auf eine gegenständliche Realität, an der Ungegenständliches zum Vorschein kommt.
61Les travaux récents montrent au contraire que la complexité référentielle des textes de Trakl n’est pas réductible à ce type de fonctionnement autarcique du langage.
62Friedrich n’est certes pas le seul responsable de ces orientations de la critique : celles-ci témoignent plutôt des développements extrêmes que pouvaient connaître certaines de ses intuitions après l’abandon du garde-fou ontologique auquel lui-même s’était toujours tenu. Mais l’inadéquation de son modèle proprement dit se révèle déjà dans quelques observations relatives à d’autres contemporains que Benn. Par exemple, le poème Genazzano de Marie-Luise Kaschnitz, se trouve cité parmi les « Auswirkungen der diktatorischen Phantasie » (149-150), simplement parce que le passé et le présent, le réel et l’irréel y sont mêlés ; mais le poème a tout de même d’autres mérites qui l’écartent de manière bien plus décisive de la poésie conventionnelle. Quant à Brecht, que Hamburger lui reproche d’ignorer, si Friedrich évoque son nom, c’est pour ranger le procédé de « Verfremdung » parmi les symptômes de « Kontaktstörung » entre l’homme et le monde, dont il fait une condition systématique et nécessaire de la poésie moderne. À vrai dire, tout cela est de peu d’importance, et confirme surtout que l’originalité de Friedrich est ailleurs que dans l’adéquation de ses théories à la poésie de son temps. Aussi n’est-il pas nécessaire de trop insister sur tout ce qui échappe à ses critères, ou plutôt ne se réduit pas à son schéma d’interprétation.
63On pourrait cependant remarquer que les conditions de l’« hermétisme » ou de l’obscurité délibérée de certains poètes de l’après-guerre sont différentes de celles que Friedrich a définies pour sa « modernité ». H.D. Schäfer montre ainsi que Eich, Celan ou Bobrowski font cohabiter leur refus des contenus immédiatement identifiables avec l’assimilation des données historiques et biographiques ; que leur rejet de la communication conventionnelle cache le désir d’associer le lecteur à la reconstitution du poème ; que le tour « monologique » s’accompagne de l’existence effective d’un public95. La « détresse existentielle » et la solitude de Paul Celan n’ont par exemple pas produit les phénomènes de « Entpersönlichung » chers à Friedrich. La démarche initiale de Günter Eich, son souci de « Benennung » et de « Wirklichkeitserfassung » sans a priori métaphysique ou magique, prouve que la situation créée par Mallarmé et Benn n’était pas le point de départ nécessaire de toute poésie. Le retour de l’« Erlebnis » dans son sens le plus psychologique et le plus biographique, souvent sous la forme de la douleur insurmontable de l’expérience nazie, ne trouve pas non plus sa place dans le schéma d’interprétation de Friedrich. Même la réflexion poétologique devait nécessairement prendre, après le drame hitlérien, des allures plus graves, plus « morales », plus pénétrées de la conscience des devoirs de la poésie.
64Cette énumération superficielle veut simplement faire sentir que, si les catégories de Friedrich peuvent encore servir à la description de certains phénomènes de la poésie d’aujourd’hui, son système d’interprétation ne lui est plus applicable. Et pourtant : Weinrich n’a pas manqué de faire figurer Celan dans ses Linguistische Bemerkungen96 ... sous le signe de Mallarmé, Valéry, Benn et Friedrich, pour souligner le divorce entre le « mot » et les contenus empiriques :
Es ist im linguistischen Sinne folgerichtig, daß die Gedichte von Band zu Band weniger welthaltig werden. Sie können nicht welthaltig sein, weil sie worthaltig sein wollen.
65Qu’une telle interprétation puisse être contestée sur la base même des propos de Celan97 ne fait qu’ajouter une touche d’ironie à ce curieux témoignage du pouvoir de Friedrich.
Notes de bas de page
1 Hamburg, Rowohlt, 1956. Les références à cette édition seront indiquées entre parenthèses, dans le texte, à la suite des citations. Éd. revue 1967.
2 « Daß ein Buch wie Hugo Friedrichs Die S. der mod. L. von 1956 bis 1960 70 000 mal verkauft wurde, belegt, wie wenig exklusiv damals diese ‘exklusive’ Lyrik tatsächlich war », Hans Dieter Schäfer, Zusammenhänge der deutschen Gegenwartslyrik, Deutsche Gegenwartsliteratur, hrsg. von Manfred Durzak, Stuttgart, Reclam, 1981, p. 166-203, ici : p. 169.
3 Probleme der Lyrik, 21. Aug. 1951. Cité d’après : Gesammelte Werke, hrsg. von Dieter Wellershoff, Wiesbaden, Limes, 1959-1962, Bd. 1. Références à cette édition entre parenthèses dans le texte.
4 Schäfer, op. cit., p. 168-169.
5 H. Schwerte, « Die dt. Lyrik nach 1945 », Der Deutschunterricht 14 (1962), H. 3, p. 47-59. Cité d’après Otto Knörrich, Die dt. Lyrik nach 1945, Stuttgart, Kröner, 1978, 2. erw. Aufl., p. 67-68.
6 « Das Problem des langen und kurzen Gedichts – heute ». Akzente 13 (1966), p. 271- 287, ici p. 276.
7 Cf. Schäfer, op. cit., p. 167 : « In allen Fällen paßte er sich den jeweils neuen Traditionszusammenhängen an und schwächte die Intentionen seiner Vorbilder zum Gefälligen und Ornamentalen ab ».
8 C’est Knörrich qui attire l’attention sur cette curiosité historique, op. cit., p. 43-44.
9 Knörrich, op. cit., p. 19. B.v.W., Die dt. Lyrik der Gegenwart, Dt. Literatur in unserer Zeit, hrsg. von W. Kayser, Göttingen, 1959, p. 32-57.
10 « Moderne Lyrik u. die Tradition ». Vortrag vor der Goethe-Gesellschaft, Hannover, 1958. In : GRM 41 (1960), p. 287-304.
11 Concurremment avec la thèse inverse de Heinz Otto Burger, « Von der Struktureinheit klassischer und moderner deutscher Dichtung », Festschrift für Franz Rolf Schröder, Heidelberg, 1955.
12 Ibid., p. 231-266.
13 H.F., Structures de la poésie moderne, trad. Michel-François Demet, Paris, Denoël/ Gonthier, 1976. Références à cette édition entre parenthèses dans le texte.
14 Knörrich, op. cit., p. 68 : elle coïncide avec la mort de Benn, la parution de ses Gesammelte Gedichte et de l’anthologie de Höllerer, Transit.
15 Par exemple, l’étude de K.L. Schneider, Der bildhafte Ausdruck in den Dichtungen Heyms, Trakls und Stadlers, Heidelberg, 1954, qui ouvre la voie de l’analyse métaphorique, est encore fortement tributaire du jugement de valeur.
16 « Auch Rimbaud deutet sein geistiges Schicksal aus überpersönlichen Verhältnissen der Modernität » (52) : [R. lui-même interprète son propre destin en se référant aux faits caractéristiques des Temps modernes et dépassant la personnalité individuelle] (89) ; « tief sitzender Drang der Modernität » (90) : [tendance profonde des Temps modernes] (158) ; à propos de l’absurde, « dieses Kennwort der Modernität » (95) : [cette idée-clé des Temps modernes] (166).
17 Cf. « ce genre de métaphore que nous dirons ‘totale’ » (95).
18 Quand Michael Hamburger, Die Dialektik der modernen Lyrik, München, 1972, attaque Friedrich sur ce point, il lui reproche, non pas d’avoir opéré cette distinction, mais de supposer qu’elle n’existe pas chez les poètes romantiques (p. 85).
19 H. Esselborn, par exemple, tirera le meilleur parti de l’analyse de la fonction du « sujet lyrique » dans l’œuvre de Trakl, G. Trakl. Die Krise der Erlebenslyrik, Köln/ Wien, 1981.
20 « Die Einheit von Dichtung und empirischer Person » (26) : [l’unité qui s’instaure entre la poésie et un homme donné] (41) ; « sein empirisches Ich » (27) : [lui-même] (42).
21 « Das Artistische » (117) : [le concept d’œuvre d’art] (222).
22 « Structures qui s’imposent à toute une époque » (67), « force qui contraint à l’expression » (76).
23 Friedrich, 45. Verlaine, Les Poètes maudits, Œuvres compl., IV, Paris, 1908, p. 12.
24 On pourrait encore mentionner quelques erreurs incompréhensibles : « Vergeistigung des Künstlichen » (41) : [il spiritualise les éléments artistiques] (67) ; « die Antworten sind recht ungriechisch » (46) : [la réponse rappelle sans doute la tradition grecque] (77) ; « Lyrik als Widerstand » (86) : [la poésie [...] un obstacle qui résiste au poète] (150).
25 « Engagement et utopie dans le lyrisme allemand contemporain », Études germaniques 36 (1981), n° 2, p. 176-187.
26 Ibid., p. 176. Citation de Friedrich, p. 107.
27 Ibid.
28 C’est ainsi que reviennent souvent sous sa plume les notions de « Geheimnis » ou « Weltgeheimnis », et qu’il définit le surréalisme, citant Julien Gracq, par ces mots : « eine unter den vielen Formen der modernen ‘Sehnsucht nach dem Mysterium’ » (141).
29 Knörrich, op. cit., p. 50.
30 Ibid., p. 52.
31 Cf. sur ce sujet Knörrich, p. 52 sq.
32 H.D.S., « Zur Spätphase des hermetischen Gedichts », Die dt. Literatur der Gegenwart, hrsg. von M. Durzak, Stuttgart, 1971, p. 148-169, ici p. 148.
33 Raulet, op. cit., p. 177.
34 La formule est appliquée à Valéry, « Der Artist als Statthalter », Noten zur Literatur, Frankfurt a.M., 1981, p. 115.
35 Knörrich, op. cit., p. 22.
36 « Der Artist als Statthalter », op. cit., p. 125.
37 Cf. à ce sujet le chapitre 2.6.2., Wissenschafts- u. Erkenntniskritik um die Jahrhundertwende, dans : Vietta/Kemper, Expressionismus, München, 1975, p. 144 sq.
38 Pour voir ce que donnent des présupposés tout différents, on peut lire l’étude de Wilhelm Emrich, « Die Struktur der modernen Dichtung », Wirkendes Wort 3 (1952- 1953), H. 4, p. 213-223, qui explique les phénomènes de la littérature moderne à partir de la « révolution naturaliste » d’Arno Holz.
39 Lettre à Izambard du 13 mai 1871 : « votre poésie subjective sera toujours horriblement fadasse », éd. A. Adam, Paris, Gallimard, p. 248 ; cf. aussi lettre à Musset du 15 mai 1871, ibid., p. 253.
40 Paul Böckmann, Dt. Lyrik im 19. Jahrhundert, Formkräfte der dt. Dichtung, hrsg. von Hans Steffen, Göttingen, 1967, p. 165.
41 Selon la formule employée par Kittang dans son étude sur Rimbaud, Discours et Jeu - Essai d’analyse des textes d’A.R., Grenoble, 1975.
42 C’est par exemple le cas pour la revendication d’« impersonnalité » exprimée par Trakl dans sa lettre de l’automne 1911 à Buschbeck. S’interroger sur l’adéquation entre « Dichtung » et « empirische Person » n’est pas d’un grand secours, alors que la distinction entre « Gemüt » (de la tradition sentimentale) et « Subjektivität » (de la poésie « moderne ») peut être ici d’un tout autre intérêt.
43 « Neue Funktionsbestimmungen der Phantasie und Dichtung » (19).
44 Friedrich parle aussi, à ce propos, de « Nichtassimilierbarkeit » (12).
45 Friedrich, op. cit., p. 41 : « Das ist ein Fundamentalsatz der modernen Ästhetik. Seine Modernität besteht darin, daß er an den Anfang des künstlerischen Aktes das Zerlegen stellt, einen zerstörenden Vorgang ».
46 Cf. Knörrich, op. cit., p. 291 : « Die konkrete Poesie ist jene Richtung innerhalb der Moderne, die mit dem “Dichten von der Sprache her” am radikalsten Ernst gemacht bat, und wenn Lyrik jene Gattung ist, die den sprachkünstlerischen Aspekt des literarischen Sprechens am stärksten betont, dann ist die konkrete Poesie geradezu Lyrik par excellence ». Il va de soi qu’on ne peut apporter la caution de Friedrich à une telle proposition, car pour lui la poésie ne saurait être amputée de ses antennes « transcendantes ». Elle reste suggestive du « mystère » ultime, de sorte qu’un jeu du langage créateur d’une « linguistische Poesie » selon le mot de Weinrich (« Linguistische Bemerkungen zur mod. Lyrik », in : Akzente 15 (1968), p. 29-47, ici : p. 42) n’a plus rien de commun avec l’interprétation qu’il donne de la « poésie moderne ». Le raisonnement de Knörrich est néanmoins révélateur de la fécondité des formules de Friedrich. Inversement, l’association « zerstörte Realität »/ « Dichten von der Sprache her » engagera certains commentateurs à rechercher l’expérimentation linguistique chaque fois que la poésie, expressionniste notamment, les met en présence d’une phénoménologie de la destruction. Or l’originalité de l’expressionnisme est loin de répondre systématiquement à ce schéma.
47 Friedrich : « Mit Novalis und Poe war der Begriff des Calculs in die Dichtungstheorie eingezogen. Baudelaire übernimmt ihn » (30) ; à propos de Mallarmé : « durchdachte Dunkelheit » (91).
48 Probleme der Lyrik, op. cit., p. 508-509.
49 Friedrich à propos de Baudelaire, p. 39.
50 « Die allgemeine Polarität modernen Dichtens überhaupt », ibid.
51 « Die gleichsam überparteiliche Struktureinheit », ibid.
52 Cf. p. 109.
53 « Symptome gemeinsamen dichterischen Verhaltens », p. 107.
54 [Variation über « moderne Lyrik »], Lyrik von allen Seiten, hrsg. von Jordan/Marquardt/ Woesler, Frankfurt a.M., 1981, p. 117-126, ici p. 118.
55 [Der späte Celan], Lyrik von allen Seiten, op. cit., p. 399-411, ici p. 407.
56 Deutsche poetologische Lyrik nach 1945 : I. Bachmann, G. Eich, P. Celan, Stuttgart, 1980, p. 87. Cf., pour évaluer la parenté des concepts, cette formule de Friedrich à propos du Rêve parisien de Baudelaire : « Bildwerdung einer konstruktiven Geistigkeit » (41).
57 Contenu dans sa monographie sur Verhaeren parue en 1910, publié en avant-première en 1909, et partiellement repris comme éditorial du numéro un de la revue du même nom.
58 « Versuch über den Expressionismus », Die Aktion, 1917. Cité d’après Paul Pörtner, Literaturrevolution, I, Darmstadt / Neuwied / Berlin, 1960, p. 215.
59 Cité d’après Etiemble, Le Mythe de Rimbaud, I, Paris, 1954, p. 440-441.
60 St. Zweig, Einleitung zu : A.R. Leben und Dichtung, Leipzig, 1907. Cité d’après : St. Zweig, Begegnungen mit Menschen, Büchern, Städten, Berlin /Frankfurt a. M., 1956, p. 433.
61 Ibid., p. 438.
62 Friedrich, op. cit., p. 102. Cf. encore p. 109 : « die fast in jedem Lyriker vorhandene Spannweite zwischen zerebralen und archaischen Kräften ».
63 St. Zweig, op. cit., p. 437.
64 Knörrich, op. cit., p. 149.
65 Ibid., p. 154.
66 « Welt und Ausdruck des späten Ich », GRM 41 (1960), p. 305-325. Ici p. 319 et 306.
67 Ibid., p. 308-309 : « Durchschimmern ist ein bedeutsames Wort. Es rückt das poetische Denken Benns unmittelbar in die Tradition der “modernen”, wenn man will der “symbolistischen” Dichtung ».
68 Cf. Knörrich, op. cit., p. 20 : « Tatsache, daß die Moderne in Deutschland nach 1945 einen verspäteten [...] ! Durchbruch erlebte ».
69 « Der Artist als Statthalter », op. cit., p. 115 : « Nun besteht aber [...] das Valérysche Werk keineswegs bloß in Lyrik, sondern auch in Prosa wahrhaft kristallinischer Art, die sich auf dem schmalen Grat zwischen ästhetischer Gestaltung und Reflexion über die Kunst provokativ bewegt ».
70 Selon le mot de Kittang, op. cit.
71 Selon le mot de Weinrich, « Linguistische Bemerkungen... », op. cit.
72 Probleme der Lyrik, p. 495 : « auf der einen Seite steht das Emotionelle, das Stimmungsmäßige, das Thematisch-Melodiöse, und auf der anderen Seite steht das Kunstprodukt ».
73 Cité par Friedrich, p. 114.
74 « der monologische Charakter der Lyrik », Probleme der Lyrik, p. 502. C’est à cet endroit qu’on trouve également la définition citée par Friedrich : « sie ist in der Tat eine anachoretische Kunst ».
75 P. 71, à propos de Rimbaud qui, selon Friedrich, n’a pas encore totalement réalisé ce processus.
76 Tous deux mentionnés par Benn, op. cit., p. 509.
77 « Einige Bemerkungen zum Thema Literatur und Wirklichkeit », Akzente 3 (1956), H. 4, p. 313-315.
78 Probleme der Lyrik, p. 524 : « das absolute Gedicht, das Gedicht an niemanden gerichtet, das Gedicht aus Worten, die Sie faszinierend montieren ».
79 Cf. Benn, Probleme der Lyrik, p. 509 : « Ein Gedicht drückt gar nichts aus, ein Gedicht ist ».
80 Si l’on peut se permettre une telle simplification.
81 Cité d’après l’édition dtv, p. 223.
82 Euphorion 58 (1964), p. 225-242.
83 Ibid., p. 235.
84 Ibid., p. 231.
85 P. 234-235 notamment.
86 München, 1966.
87 Ibid., p. 145-155.
88 Weinrich recourt à la même formule deux ans plus tard, dans ses Linguistische Bemerkungen déjà citées.
89 Blumenberg, op. cit., p. 152.
90 Dans : Immanente Ästhetik..., op. cit., p. 156-194.
91 Rolf Kloepfer /Ursula Oomen, Sprachliche Konstituenten moderner Dichtung. Entwurf einer deskriptiven Poetik, Bad Homburg v.d.H., 1970.
92 P. ex. p. 77 : « Die Motivierung für die Wahl bestimmter Formen durch die Strukturmuster tritt hier an die Stelle der Motivierung durch außersprachliche Inhalte ».
93 Roland Barthes cité par Kloepfer/Oomen, op. cit., p. 22.
94 Dans le résumé qu’il donne de sa propre intervention, [ « Auflösung und Verdinglichung in den Gedichten Georg Trakls »], Immanente Ästhetik..., op.cit., p. 486.
95 Zusammenhänge deutscher Gegenwartslyrik, op. cit., p. 171-172.
96 Op. cit., p. 39.
97 Cf. Oelmann, op. cit., p. 255.
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