Chapitre 1. Du garde-chiourme au dépositaire du jeu
p. 111-134
Texte intégral
1. L’entraînement en football professionnel sous l’Occupation
1Le football garde ses droits, malgré la période de guerre puis d’Occupation. Même si de nombreux joueurs professionnels sont mobilisés, la reprise du championnat en temps de guerre est annoncée en décembre 1939. La FFFA tente d’organiser une activité minimale, en supprimant la Deuxième Division et en organisant le championnat professionnel en trois zones pour la saison 1939-1940, puis en deux zones à partir de la saison 1940-1941. Dans un premier temps, même si le championnat professionnel perdure, les conditions d’entraînement sont précaires.
Au Stade rennais, l’entraînement des footballeurs de l’équipe première se heurte à bien des difficultés. Il y a là six étudiants qui disposent de peu de loisirs, et pendant la mauvaise saison, les séances de plein air sont impossibles. Scharwath est donc dans l’obligation de faire dans l’à peu près. Il entraîne comme il peut, quand il peut, où il peut, les joueurs en mesure de lui consacrer une heure de temps. Au début de la saison, cela se traduit par deux à trois tours de piste, des sprints et de la culture physique1.
2L’entraînement des footballeurs professionnels en période de guerre est revenu en quantité et en qualité au niveau qui était le sien au tout début du professionnalisme, voire même en deçà. La période d’Occupation contribue à renforcer les habitudes dilettantes prises par les footballeurs professionnels. La pénurie alimentaire se fait ressentir, les tickets de rationnement sont une réalité quotidienne et de ce fait, la priorité des joueurs n’est pas orientée forcément vers la pratique du football. De surcroît, la promotion de l’Education Générale et Sportive (EGS), portée par Borotra, ne favorise pas précisément le professionnalisme. Les joueurs sont dans l’expectative et se rendent compte qu’ils n’ont plus de perspective d’avenir dans le football professionnel. Dans ces conditions, ils ont tendance à négliger l’entraînement, ce qui rend la tâche de leurs entraîneurs délicate. À partir de 1942, la situation des professionnels paraît se compliquer davantage encore, lorsque Borotra leur demande de se reconvertir2 avant un terme de trois années. Les statuts du joueur professionnel et du joueur amateur sont établis en juin 1942. Ils obligent les joueurs professionnels qui veulent conserver leur statut à subir avec succès l’examen du stage national nouvellement mis en place. Jep Pascot, qui succède à Borotra en avril 1942 en tant que Commissaire Général à l’EGS, se prononce pour « le relèvement moral et social des joueurs professionnels », dont il désire la reconversion, voire à terme la disparition (J.-L. Gay-Lescot, 1991). Ces dispositions n’incitent pas des joueurs à l’avenir très incertain à s’exercer avec entrain. Jacques de Ryswick décrit ainsi l’entraînement de l’Olympique de Marseille :
Une courte séance de culture physique à laquelle ils se livrent sans forcer aucunement (il faut voir avec quelle désinvolture le jeune Scotti effectue les mouvements qui lui sont imposés, comme une corvée), un ou deux tours de piste au tout petit train, (plus souvent un que deux), enfin, un court match d’entraînement (?) contre les réserves ou les marins-pompiers. […] L’OM n’est pas seul dans ce cas. La plupart des équipes « pros » de zone Sud que j’ai vues s’entraîner cette saison le faisaient en « amateurs », sans directive, sans méthode et… sans profit3.
3En fait, les usages des joueurs en matière d’entraînement s’apparentent à ceux en vigueur jusque dans les années 1920. Les joueurs paraissent s’ennuyer à meubler le temps d’entraînement, ne transpirent pas, s’entretiennent à peine. La discipline est absente. Certes, les professionnels bénéficient de l’excuse de la situation liée à l’Occupation, qui se traduit par des pénuries en équipements, en moyens matériels tels que chaussures et ballons… mais leur motivation intrinsèque est faible. Le football comme le monde du sport vit en autarcie dans des conditions très difficiles (P. Arnaud, 2002). Les journalistes sont unanimes à déplorer une baisse de niveau à l’échelon professionnel, tangible en matière de qualité de jeu produit. Le principal facteur qui explique cette baisse réside dans le laxisme à l’entraînement, intimement lié à l’absence d’entraîneur.
L’Olympique de Marseille, finaliste de la Coupe, n’a point d’entraîneur et n’est pas la seule équipe « pro » dans ce cas… Oui, mais où sont les entraîneurs, dira-t-on ? Les étrangers qui avaient la direction technique de nos équipes « pros » avant-guerre ne sont plus là. Et le nombre de Français aptes à remplir ces délicates fonctions est encore limité4.
4Le régime de Vichy, à peine installé, a pris les mesures nécessaires pour annuler les naturalisations obtenues sous le Front Populaire et annoncer la révision de celles obtenues depuis 1927. De ce fait, sans entraîneur pour diriger l’entraînement, on confie parfois cette tâche à un non spécialiste ou encore à un novice. Le problème du technicien français, qui se posait avec insistance avant la guerre, devient crucial, d’autant plus que les journalistes sont unanimes à relever la baisse du niveau du jeu pratiqué par les formations hexagonales. Les dispositions prises par le Haut-commissaire aux sports permettent de combler en partie et de manière involontaire cette lacune. En décrétant que les trente-deux clubs du groupement professionnel ne sont plus autorisés et en leur substituant 14 équipes fédérales, Pascot bouleverse le paysage du professionnalisme. Désormais, les clubs5 ne peuvent plus admettre que des amateurs, et les 14 équipes fédérales regrouperont les professionnels. Cette réforme générale s’accompagne donc d’une mesure qui fait quasiment l’unanimité contre elle dans le monde du football, que la plume de Gabriel Hanot traduit par : « L’organisation du football chimérique en France »6. La suppression des clubs professionnels pour les remplacer par des équipes fédérales, qui représentent une région, est difficilement admise par les footballeurs, les dirigeants, les joueurs. Ces derniers sont désignés d’office pour défendre les couleurs de ces nouvelles équipes fédérales, parfois loin de leur club précédent, ce qui conduit à des déracinements. Ils n’ont guère le choix de refuser sous peine de se voir retirer leur licence de pratiquant. Chacune des équipes fédérales est dirigée par un directeur sportif et devrait être entraînée par un entraîneur officiellement désigné par la FFF, si la pénurie est endiguée. « La même question se pose pour les entraîneurs, avec plus d’acuité encore, étant donné le peu d’entraîneurs vraiment qualifiés dont on dispose actuellement »7. L’expérience ne dure que l’espace d’une année et ne sera pas reconduite pour la saison 1944-1945. La formule compte tant d’adversaires, qu’à la Libération, les instances se hâtent de rétablir le système qui existait avant-guerre. D’autre part, le nombre de joueurs professionnels qui décident de suivre les stages nationaux pendant l’occupation reste restreint. En effet, si le stage de 1942 consacre 43 diplômés, ils ne sont plus que 17 en 1943 et seulement 3 en 1944. Dans un même temps, le nombre de joueurs professionnels a également sensiblement diminué, passant de 878 en 1938 à 330 en 1941. La suppression de la Division 2 explique en partie cette réduction. Dans ce contexte spécifique, l’absence de caractère officiel du diplôme obtenu lors des stages d’entraîneur de la FFFA de l’entre-deux-guerres, son manque de lisibilité, ont sans doute également contribué au déficit de considération des joueurs envers la personne de l’entraîneur et envers l’importance de l’entraînement jusqu’en 1942. Il est vrai aussi que la jeunesse dans son ensemble est loin d’être conquise par la Révolution nationale (J.-P. Azéma, 1979) et que les footballeurs n’échappent pas aux comportements environnants.8 Des joueurs déracinés se sont retrouvés à défendre les couleurs d’une équipe au sein de laquelle ils n’ont pas souhaité être affectés et à laquelle ils ne s’identifient pas. Les mauvaises habitudes prises précédemment en matière de dilettantisme ne sont pas faciles à combattre et la nomination d’un entraîneur français ne suffit pas à elle seule à remettre les joueurs sur la voie de la motivation et du sérieux. Ceux qui n’ont pas fait le choix de passer l’examen de moniteur et occupent une profession en dehors du milieu du football se sentent moins obligés à participer à l’entraînement que ceux dont le football constitue l’unique source de rémunération9. Enfin, la résidence géographique des joueurs constitue également un frein à la tenue des entraînements tels qu’ils pouvaient se pratiquer en 1939, juste avant la guerre.
Quant à l’entraînement, n’insistons pas trop. Dans quantité d’équipes où des joueurs habitent dans plusieurs villes différentes, cette besogne en commun a été matériellement impossible. Faut-il dire en passant que Delfour s’est ainsi vu contraint de démissionner, parce qu’il ne pouvait grouper ses hommes et refusait d’endosser une responsabilité qu’il estimait excessive ?10
5Le paradoxe réside dans le fait que des entraîneurs français sont nommés dans les équipes fédérales pour promouvoir un jeu de qualité, mais que les dispositions en vigueur constituent une entrave au bon exercice de leurs véritables fonctions. À quoi peut servir un entraîneur, s’il ne dispose pas des moyens de mener à bien sa tâche ? Toutes ces raisons concourent à une baisse, reconnue par les spécialistes du niveau du football français : « Notre élite reste faible en qualité, réduite en quantité »11. Cette lacune, due avant tout au manque d’entraînement, est donc imputable à la fois aux joueurs français et à la fois à la politique timorée menée avant la guerre par la FFFA. Celle-ci dresse donc ce constat d’échec, mais réagit en mettant en place une formation officielle d’entraîneur.
2. Une formation nationale qui se pérennise
6En 1942, la FFFA change de dénomination pour devenir FFF. Ce changement pourrait paraître anodin s’il ne s’accompagnait de la volonté de promouvoir un football « à la française. » En ce sens, le changement de sigle s’inscrit dans la volonté du Maréchal Pétain et du régime de Vichy de promouvoir la « Révolution nationale » et de mettre en place « l’État français ». Les directives de Borotra conduisent la FFF à imposer dès 1942 le statut de joueur-moniteur. Ce dernier ne s’acquiert pas de droit, mais s’obtient par le biais d’un examen officiel fédéral.
Aujourd’hui, le joueur professionnel est défendu et dirigé par la Fédération tout en restant maître de sa destinée. Il est tenu de passer un examen de moniteur dont le titre lui assurera probablement toute sa vie un gagne-pain décent. Enfin, il conserve la possibilité d’avoir une situation extra-sportive12.
7La première finalité poursuivie, éminemment sociale, est d’assurer la reconversion des joueurs. Ces derniers connaissent une carrière éphémère, qu’ils ne peuvent prolonger tout au long de leur existence. Un état qui prône le redressement physique et moral de la France ne saurait tolérer l’oisiveté chez des joueurs dont la carrière touche à sa fin. La deuxième finalité est pédagogique. Le nombre de joueurs a explosé, passant de 188760 à plus de 216202 joueurs licenciés entre 1938 et 1942. Cette croissance spectaculaire des effectifs fait émerger des besoins en matière d’encadrement. Ce souci d’encadrement social n’est pas spécifique au football et il n’aura jamais été aussi fort qu’entre 1941 et 1942 (D. Peschanski, 1997). De ce fait, grâce à la promotion du statut de joueur-moniteur, Borotra puis Pascot espèrent aider le développement du sport amateur, tout en condamnant, parallèlement, le statut du football professionnel. Ils soutiennent finalement l’émergence d’une profession d’entraîneur professionnel de club amateur face à l’extinction de celle d’entraîneur professionnel de club professionnel. De surcroît, si le joueur-moniteur ne choisit pas une carrière dans l’encadrement en football, il lui reste la possibilité d’exercer un emploi à côté de la pratique du football. Pour assurer la formation de ces joueurs-moniteurs, la FFF organise la première formation officielle d’entraîneur du 16 au 31 juillet 1942. Ce premier stage13 diplômant en football donne clairement l’orientation politique de la FFF. Il montre une volonté forte de former de la façon la plus efficace possible des entraîneurs français, puisque la première condition à remplir pour y assister est d’être de nationalité française. Les deux autres sont d’être âgé de 30 ans minimum et d’appartenir à un club affilié à la FFF. Dirigée par des grands noms du football français dont Gabriel Hanot et Gaston Barreau (le sélectionneur unique de l’équipe de France avant la guerre), la formation réunit quatre-vingts stagiaires tous les jours entre 9 et 12 heures 30, et parfois l’après-midi si le besoin s’en fait sentir.
Devant le commandant Venturini, chef de cabinet Commissaire général, Mattler, Delfour, Simonyi, Perpère14 ont joué, hier, au football…, mais c’était au cours de la première séance de stage d’élèves entraîneurs de la FFFA […]. Un stage qui deviendra obligatoire pour les professionnels à partir de l’an prochain15.
8Le caractère officiel du stage est renforcé par la présence du représentant officiel de Jep Pascot. Il s’inscrit dans ce souci de contrôle permanent exercé par l’État, qui contraint les hauts fonctionnaires, magistrats ou militaires à prêter serment au chef de l’État (D. Peschanski, 1997). Comme le stage n’a pas été rendu obligatoire pour la session de 1942, des vedettes telles que Veinante, Jordan, Hiden, qui sont les joueurs internationaux les plus connus en France, se sont abstenus d’y participer. Dans la réalité, dès 1943, peu de joueurs optent pour le statut de moniteur-joueur. L’issue du stage est sanctionnée par l’obtention d’un diplôme officiel.
Le stage est terminé. Malgré le trac, 66 candidats moniteurs de football ont passé leur examen. Ce matin, au siège de la 3FA seront connus les résultats. Il y aura bien des joies mais aussi bien des déboires. Car, parmi les recalés, on notera quelques « pros » au grand nom. C’est qu’entre taper dans une balle et expliquer comment on fait et l’apprendre à des jeunes, il y a toute une nuance, qui est une des raisons d’être de ce stage16.
9La rupture avec la période antérieure est patente : la fédération a donc enfin mis en congruence l’examen terminal du stage avec les objectifs visés. Elle assume son rôle d’organiser le football en lui donnant des cadres, une discipline, en le rationalisant et en le modernisant. Contrairement aux stages des années 1930, au cours desquels les candidats étaient jugés sur leur maîtrise technique, désormais leur aptitude à enseigner est également évaluée. La compétence pédagogique acquiert dorénavant une dimension qui n’existait pas lors des stages d’avant-guerre, même si les connaissances exigées portent aussi sur d’autres domaines. En effet, le stage de 1942 poursuit l’effort qui s’était manifesté pour le stage de 1941, dont il s’inscrit dans la lignée. Gaston Barreau et Gabriel Hanot en demeurent les chevilles ouvrières, mais ils sont secondés par des moniteurs fédéraux, parfois lauréats du stage de l’année précédente, tels que Aston, Andrup, Herrera, Perpère, Simonyi17… Ces derniers donnent des cours sur des thèmes tels que le rôle du moniteur, le jeu aux différents postes, l’administration d’un club, l’alimentation, les massages, les premiers soins… Les stagiaires bénéficient également de l’apport de spécialistes, tels que le secrétaire général de la FFF Henri Delaunay18, l’arbitre international Baldway, le docteur Cals… Si Maurice Baquet19 s’occupe toujours de l’éducation physique et de l’initiation sportive, lors des séances de l’après-midi sur le terrain, ce sont les moniteurs fédéraux précités qui dirigent la technique et la tactique. L’examen final tente de balayer l’ensemble des champs étudiés : il comporte deux questions écrites, la première sur l’arbitrage, la seconde sur les connaissances médicales et l’entraînement. Puis, sur le terrain, chaque candidat doit répondre à trois questions tirées au sort : une d’éducation physique, une de technique, une de tactique. De ce fait, l’examen sanctionne d’une part l’apprentissage de connaissances, d’autre part une certaine faculté d’adaptation devant un problème posé. Mais si ce stage de 1942 connaît un succès réel, un déclin indéniable s’amorce dans les années suivantes. La position du Commissaire Jep Pascot, qui compare le professionnalisme à « une maladie honteuse » (J.-L. Gay-Lescot, 1991) ne contribue pas à encourager les joueurs à s’y inscrire. Il faut cependant reconnaître que l’effort porté par la FFF sur le stage national est tangible, même si la durée de deux semaines paraît bien restreinte à ses promoteurs. « Le programme qu’elle essaye de faire ingurgiter en quinze jours à ses candidats entraîneurs ne paraît pas facilement assimilable dans un laps de temps aussi réduit »20. Il faut néanmoins avouer que toutes ces louables attentions n’ont pas réellement été suivies d’effets. Si, en 1942, 43 inscrits dont Albert Batteux21 obtiennent le diplôme d’entraîneur-instructeur, qui certifie l’aptitude à encadrer des équipes professionnelles, le nombre effectif de joueurs qui utiliseront cette possibilité reste limité. Le décalage est grand entre les intentions émises par la FFF et les résultats acquis. En matière de formation des entraîneurs, cette baisse spectaculaire est probablement aussi liée à la perception mitigée que les joueurs ont de l’entraînement et de la profession d’entraîneur. En tant qu’acteurs impliqués dans le processus d’entraînement, ils se rendent compte que motiver et diriger des joueurs n’est pas chose aisée. De surcroît, les équipes fédérales sont bien ce que leur nom indique. Elles ne constituent pas des clubs, des associations au sein desquelles évoluent plusieurs équipes. Il ne peut donc exister de lien ni de filiation directe entre les différentes équipes, comme en club amateur, notamment lorsque les juniors accèdent à l’échelon supérieur. En réformant le football professionnel, Jep Pascot a démantelé la filiation qui existait entre l’équipe professionnelle et les autres équipes du club. Dans ce contexte, la formation de joueurs-moniteurs, après des débuts encourageants, n’obtient pas le succès escompté. Peu d’entre eux exercent réellement leur statut de moniteur en dehors de leurs heures d’entraînement personnelles. Dans certains cas, les équipes fédérales octroient à leurs joueurs-moniteurs un emploi qui ne leur laisse pas le loisir d’encadrer des équipes.
Est-ce que par exemple les footballeurs lensois ont pu, même en début de saison alors que les trains marchaient, porter la bonne parole dans leur région, eux qui sont tout à la fois joueurs-pros sujets à de longs déplacements et requis sur place par les mines en même temps que moniteurs fédéraux ? […]. L’action éducative de nos joueurs-vedettes aura été, cette saison, plus que modérée22.
10Le cas des footballeurs lensois est exemplaire. Le club de Lens est contrôlé depuis 1926 par la Compagnie des Mines de Lens, laquelle préfère rentabiliser l’investissement consacré à ses joueurs en les conservant dans l’entreprise, plutôt que de les envoyer entraîner d’hypothétiques associations ou clubs amateurs. La formation des moniteurs-joueurs est donc un relatif échec. On peut effectivement constater que l’imposition du statut de joueur-moniteur, qui induit la mise à disposition de ces derniers aux clubs, conduit à une fonctionnarisation des joueurs (O. Chovaux, 2002). Cependant, pendant l’Occupation, ce stage permet de dispenser une formation à quelques hommes qui deviendront après-guerre des acteurs importants du football français, et des entraîneurs reconnus. Et surtout, il jette les bases d’une formation qui ne s’interrompra plus.
3. Le recours au garde-chiourme23
11La Libération s’accompagne d’un retour à une formule de championnat qui redonne leur place aux clubs professionnels. C’est sans doute l’un des facteurs qui incitent une centaine de candidats à s’inscrire au stage national d’entraîneur en 1945. Vingt-quatre d’entre eux, dont les futurs entraîneurs de Division 1, Flamion, Schwartz et Roessler, obtiennent le diplôme d’entraîneur-instructeur donnant le droit d’entraîner une équipe professionnelle. Les autres candidats ne sont pas forcément recalés pour autant. En effet, certains obtiennent le diplôme d’entraîneur régional qui leur permet d’entraîner une équipe non professionnelle. Pour permettre un progrès d’ensemble du football français, la FFF décide de s’adresser également aux entraîneurs qui n’ont pas suivi cette session de 1945.
Puis attirons également l’attention sur la venue, les mardi et mercredi 7 et 8 août, à Paris de tous les entraîneurs de métier en exercice, auxquels les clubs utilisant des joueurs professionnels font confiance, et qui appelés par le groupement, pendront part obligatoirement à un stage d’information, destiné à leur permettre de renouveler leur documentation, de renouveler leur science, de se renseigner, d’unifier leurs conceptions, tout en conservant leur indépendance24.
12Le caractère obligatoire de la convocation est significatif d’une volonté de changement. Désormais l’entraînement doit être organisé de façon rationnelle. L’entraîneur ne peut plus se contenter d’un simple « bricolage », mais doit s’appuyer sur des fondations solides, même si sa méthode peut rester personnelle. La FFF a conscience du retard accumulé pendant la guerre en matière d’entraînement et du déficit accentué par le contexte en matière de formation d’entraîneurs français. La baisse de niveau du football français fait toujours consensus. Le retard doit être rattrapé grâce à l’entraînement et à la formation. Paul Wartel, entraîneur de l’Olympique de Marseille en est convaincu :
Il est indéniable qu’en France, l’entraînement a fait des progrès. Un bon noyau d’entraîneurs a été formé grâce à M. Gabriel Hanot, qui est à l’origine des stages d’entraîneur et de joueurs-moniteurs. C’est pourquoi j’ai la conviction que d’ici deux ou trois ans, le football français reviendra au niveau d’avant 1939 et le dépassera25.
13Pour Wartel, le meilleur remède aux maux du football français réside dans la formation des entraîneurs. C’est grâce à leur qualification et à leurs compétences que des progrès seront visibles dans le football français. Qu’attend-on de ces entraîneurs professionnels fraîchement diplômés ? Tout d’abord, de remettre les joueurs professionnels dans le droit chemin, c’est-à-dire leur redonner le goût à l’entraînement et les débarrasser des habitudes de dilettantisme prises sous l’Occupation. Il s’agit de rompre avec l’attentisme en vigueur sous le régime de Vichy (P. Laborie, 2001). Les velléités de dynamisme dans tous les domaines de la vie sociale ont été étouffées par la célébration de l’immobilisme, la soumission à la loi du moindre mal et le poids écrasant des préoccupations matérielles. À la Libération, les clubs expriment une demande prioritaire envers leurs entraîneurs : remettre les joueurs dans le droit chemin. « Paul Wartel26 se retrouve à Marseille, où son autorité ramène à une juste compréhension de leurs obligations des footballeurs à qui on avait laissé les coudées trop franches »27. Finalement, cette requête adressée par les dirigeants aux entraîneurs n’est pas vraiment différente de celle qu’on pouvait formuler avant 1939, voire même avant 1932 : (ré) accoutumer le joueur français à s’entraîner. Un entraîneur de l’ancienne école comme Jules Vandooren, lauréat du stage national d’entraîneurs de 1939, responsable du Stade de Reims en 1942- 1943, s’était étonné du manque de motivation des joueurs professionnels à se rendre à l’entraînement, d’autant que la mansuétude des dirigeants cautionnait l’attitude de joueurs qu’il qualifie de « professionnels sans conscience » et de « brebis galeuses » :
Je voulus alors vaincre le laisser-aller, remonter la pente, faire comprendre aux joueurs leurs obligations, leur donner une conception exacte du rôle qu’ils avaient à assumer, leur inculquer l’amour du métier choisi. Je ne fus pas toujours écouté et suivi. La discipline que je tenais à imposer gêna quelques footballeurs à qui on avait trop longtemps laissé la bride sur le cou. D’abord ils se montrèrent passifs, se soumirent à contrecœur aux exigences inhérentes à leur profession, suivirent irrégulièrement les séances d’entraînement pour ensuite entrer en conflit ouvert avec moi et me rendre la tâche impossible28.
14Même si, à partir de 1945, l’entraîneur professionnel est parfois un néophyte à ce niveau, il dispose de quelques méthodes et contenus d’entraînement hérités de son stage national de qualification professionnelle. S’il n’a pas suivi la formation d’entraîneurs, il peut recourir aux journées d’informations retirées des journées obligatoires mises en place par la FFF. Ces données de référence sont d’autant plus utiles que désormais, l’entraîneur professionnel est un entraîneur français, qui ne dispose plus vraiment du modèle étranger dont il peut s’inspirer.
Avant-guerre, l’étranger complétait largement un cadre squelettique, car rien de positif n’avait été entrepris en ce qui concerne l’avenir du football. Depuis, les évènements ont tari cette source de recrutement et la Fédération a pris des mesures pour pallier à cette impossibilité « d’importation ». Et si l’Anglais Kimpton officie au Havre, si l’Écossais Duckworth « chaperonne » les Lyonnais, on trouve des « nationaux » à la tête des grands clubs français29.
Il convient de nuancer ce propos. En effet, si les entraîneurs des clubs de Division 1 en 1946 sont en grande majorité des Français, parmi eux certains sont des naturalisés qui ont déjà officié en France en tant que joueurs ou entraîneurs avant la guerre (Tax à Saint-Étienne, Bunyan à Bordeaux, Georges Berry à Lille, Tony Marek à Lens). De surcroît, le discours employé semble soutenir que les Français ont été recrutés par défaut : sans la guerre, l’encadrement étranger serait peut-être encore largement majoritaire dans les équipes professionnelles. Le fait que la France, en raison de sa situation après 1945, ne présente plus le même visage de terre d’asile qu’elle pouvait offrir avant la guerre pour certains « mercenaires » étrangers du football représente peut-être une chance pour les entraîneurs français. Le faible nombre d’entraîneurs étrangers dorénavant présents sur le sol français réduit cependant ce type de menace. S’il faut remplacer un entraîneur, désormais, ce sera par un compatriote français. Les tentatives de reprise en main des destinées du football français professionnel par les entraîneurs du cru passent donc par la conversion des joueurs à une discipline d’entraînement. Les entraîneurs sont souvent plus enclins à se plaindre du manque d’obéissance de leurs joueurs. Une fois la prise en main des joueurs effectuée, il reste à conduire leur entraînement. Celui-ci se déroule à raison de trois à quatre fois par semaine. En comparaison avec le laxisme généralisé constaté et déploré sous la période de Vichy, le simple fait de respecter cette programmation ne peut que conduire à un progrès visible. Cette reprise d’activité s’inscrit dans un contexte de productivité, perçu d’autant plus comme un impératif par les Français qu’il est martelé dans les discours politiques, les médias, les lieux de travail (J.-P. Rioux, 1980). Dans ces conditions, il est logique que les efforts réclamés aux professionnels français soient plus conséquents. En matière d’entraînement, les premières mesures prises, si elles témoignent du simple bon sens, se révèlent insuffisantes. Travailler davantage devient un leitmotiv dans de nombreux sports français, à l’image de l’athlétisme, discipline dans laquelle Maurice Baquet exhorte les athlètes et l’encadrement à augmenter la quantité de travail dès 1946 (A. Roger, 2003). Accroître le rendement du travail, assurer le plein-emploi de la main-d’œuvre sont des axes du premier plan créé par décret le 3 janvier 1946. L’encadrement des professions assure une discipline collective. Le statut de footballeur, afin qu’il cesse d’être considéré comme une activité dilettante, doit sacrifier aux mêmes aménagements que ceux qui concernent les autres professions. Dans ce contexte, l’entraîneur devient le garant de l’encadrement de la profession de footballeur.
4. L’entraîneur professionnel de 1942 à 1973 : Que fait-il ? Qui est-il ?
15De 1942 à 1972, les contraintes liées à l’exercice de la profession d’entraîneur se sont diversifiées. À une période de relative quiétude quant à la stabilité de la fonction, période qui dure jusqu’à la fin des années 1940, succèdent des décennies qui voient une intensification de la pression subie par le technicien professionnel. Pour étudier ce qui constitue le quotidien de l’entraîneur, nous adopterons un plan basé sur un article de Gérard Houllier (1998) qui détaille les différentes compétences que doit mettre en œuvre l’entraîneur moderne. Nous prendrons garde à éviter les anachronismes, puisque l’article de Gérard Houllier caractérise une période récente. Néanmoins, nous tenterons de vérifier quelles étaient les compétences déjà exigées des entraîneurs lors des périodes 1942-1972, et à quel degré elles étaient sollicitées.
4.1. Le capital expertise
16Le capital expertise émerge réellement en 1941, avec la naissance des stages nationaux encadrés par des experts reconnus et délivrant une formation digne de ce nom. Dès 1942, cette expertise est validée par la délivrance d’un diplôme obtenu à l’issue de l’examen final. Elle se jauge tout d’abord à travers la direction de la séance d’entraînement quotidienne, car c’est la partie qui mobilise le plus les compétences des entraîneurs. Il s’avère que si les séances hebdomadaires sont au nombre de quatre jusqu’au début des années 1940, ensuite elles atteignent cinq par semaine dès les années 1950, à l’instar de ce qui se pratique dans les autres pays européens30. Selon France Football, en 1958 l’entraînement a lieu du mardi au vendredi et la durée des séances varie d’une heure trente à deux heures. Il apparaît que l’entraîneur doit se montrer persuasif, car les joueurs rechignent à se livrer totalement et sans retenue à l’entraînement. Gabriel Hanot en témoigne :
Si bien que la préparation… physique du footballeur français, loin de continuer sur sa lancée et d’évoluer avec le temps, ralentit jusqu’à faire du surplace. Elle est aujourd’hui non seulement rattrapée, mais encore dépassée. L’entraînement athlétique […] est subi comme une corvée par des joueurs édulcorés, affadis, qui répugnent à l’effort, n’aiment même plus courir et se contenteraient volontiers de la statique méthode suédoise31.
17De ce fait, l’entraînement n’est pas ressenti comme épuisant et des joueurs professionnels persistent à exercer une profession parallèle au cours des années 1960. Un des aspects de la tâche de l’entraîneur est de motiver ses joueurs afin qu’ils mobilisent le maximum de leurs ressources lors des séances. Cela peut passer par des démonstrations d’autorité. Selon des joueurs évoluant à l’étranger, comme Raymond Kopa (Real de Madrid) ou Antoine Bonifaci (Torino), l’assiduité à l’entraînement est nettement plus marquée à l’étranger qu’en France et les joueurs s’autorisent bien moins que dans l’hexagone à s’en dispenser ou à l’effectuer en dilettante32. Cependant les rythmes de travail augmentent, notamment à partir du mitan des années 1960. Les entraîneurs professionnels ont affaire à des joueurs qui ne sont pas tous totalement formés, car en effet beaucoup de ces joueurs professionnels sont originellement issus des rangs des clubs amateurs. La variété des exercices s’impose d’autant moins que les footballeurs doivent réviser leurs gammes et pour certains tenter de gommer des défauts qui ne l’ont pas été durant leur jeunesse.
Chaque jour, Paul Baron leur fait répéter l’ABC de leur métier : contrôle, frappe de balle. Moreel a dû s’habituer à traverser tout un terrain à cloche pied sur sa jambe gauche, cette mauvaise jambe d’appel ; à attaquer la balle du pied droit, ce pied qui hésite encore à frapper33.
18Tout au long de la période, l’homme qui prend en main une équipe professionnelle est un ancien joueur certes, mais qui est resté en pleine possession de ses moyens physiques. En effet, entraîner c’est d’abord être présent sur un terrain extérieur, quelles que soient les conditions atmosphériques, quelle que soit la période de l’année. La plupart des entraîneurs, qui officient seuls, se représentent la direction de la séance comme une tâche relativement éprouvante, qui nécessite la pleine possession de leur potentiel athlétique. L’opinion de Jean Snella reflète ce sentiment : « Pour l’instant, et tant que je m’en sentirai physiquement capable, je m’occuperai de l’entraînement ».34 Cette représentation perdure jusque dans les années 1970. Elle s’explique par la volonté de démontrer les gestes et habiletés techniques. En effet, beaucoup de joueurs professionnels proviennent des rangs des équipes amateurs et n’ont pas nécessairement reçu une formation de base très longue et très poussée au préalable. De ce fait, l’entraîneur professionnel reste un démonstrateur, qui même s’il ne possède plus la vitesse d’exécution de ses années de joueur, possède encore des qualités propices à la réalisation athlétique et technique. Dans les années 1960 encore, s’il est possible d’affirmer que les entraîneurs dirigent les séances de préparation physique de façon rigoureuse, néanmoins, ils se laissent parfois aller à l’usage de recettes personnelles dans la conduite de l’entraînement.
Alors, entraînement, là c’étaient les entraînements professionnels de l’époque, hein, ce que je vous ai dit au téléphone, c’était tout à fait… empirique, c’était tout à fait… suivant l’entraîneur, quoi. Nous, c’était Jules Nagy35, un Hongrois… […]. Oui, très folklo, très folklo ! Un bon entraîneur, mais bon, le football, c’était, c’était… on faisait un bon échauffement, on s’échauffait très bien, des étirements, de la mise en jambes progressive, et puis on faisait un petit match… les célibataires contre les mariés, les cheveux bruns contre les cheveux blonds… Les vieux contre les jeunes, ça se terminait comme ça, hein ! Alors Schirschin36, lui c’était l’Allemand, il prenait une poignée de sable et il jetait un caillou à chaque tour de piste, quand il n’avait plus rien dans la fouille, on s’arrêtait, quoi… (rires). C’était le genre là, au début, il nous faisait faire un tour de piste avec le ballon, en se renvoyant le ballon de l’intérieur du pied, des trucs comme ça, il n’y avait pas ce que je connais aujourd’hui maintenant, depuis que je suis dans le foot avec les entraîneurs pros, toute cette connaissance technique, de récupération, de lactates, de machins, des trucs qu’on n’avait jamais entendus, quand t’étais fatigué, t’étais fatigué et l’entraîneur, un mec comme Nagy, René Fuchs, Schirschin moins parce qu’il était déjà plus âgé, ils marchaient comme eux ils se sentaient, si eux se sentaient bien, on faisait fort, s’ils ne se sentaient pas bien, ils nous faisaient récupérer, c’était tout à fait… ils tiraient de leur propre expérience. […]. C’étaient des joueurs de bon niveau qui reproduisaient sur nous ce qu’ils avaient appris. Et comme les autres, c’était vraiment, la séance de récupération, bon, le lundi et le mardi c’était léger, mercredi et jeudi c’était fort, le vendredi c’était de nouveau léger, puisqu’on jouait le dimanche, donc le vendredi, il fallait pas forcer 48 heures avant, oui, c’est tout un ensemble de trucs comme ça qu’on nous apprenait (J.P. Scheid, 2005)37.
19Les procédés d’entraînement, l’intensité donnée à la séance ou à l’exercice émanent donc parfois du ressenti personnel de l’entraîneur, en fonction de son propre état de forme. Certains entraîneurs aiment personnaliser leur entraînement, parfois tout simplement pour le rendre plus convivial ou plus original. Si la fantaisie peut y régner, en revanche, ces méthodes sont susceptibles de détendre les joueurs et de faire régner un esprit bon enfant dans l’effectif.
20Ainsi, même s’il est envisageable que tous les entraîneurs ne s’adonnent pas forcément à des exercices fantaisistes du type de ceux employés par Jules Nagy, néanmoins il est acquis que l’empirisme domine. Il n’est pas question ici d’accoler à ce terme une connotation péjorative. Il prouve simplement que les entraîneurs sur le terrain, en recourant à des procédés pragmatiques, recherchent des opportunités de diversifier leurs entraînements, ou tout simplement à appliquer et mettre en pratique des contenus théoriques dont ils ont bénéficié au cours de leurs stages nationaux.
21Le capital expertise se vérifie également dans les causeries qui précèdent les matches. Les discours d’avant match sont un élément essentiel pour l’entraîneur. En effet, c’est à partir d’informations prélevées sur l’adversaire, ainsi que d’éléments positifs relevés à partir des performances antérieures de sa propre équipe, voire des entraînements récents, que l’entraîneur tente d’élever le niveau d’attention et de motivation de son équipe. Certains entraîneurs développent de réelles compétences et suscitent l’admiration de leurs pairs ou de leurs joueurs en raison de leur facilité d’élocution. Robert Herbin juge ainsi son ancien entraîneur de l’A.S Saint-Étienne :
Batteux était un orateur né. […]. Une conférence d’avant-match, par exemple, durait un minimum d’une demi-heure, et curieusement, il ne parlait pas tellement de l’adversaire. Il abordait de nombreux sujets38.
22Parce que jusque dans les années 1970 l’analyse vidéo n’a pas cours et que les informations relatives aux adversaires sont moins nombreuses et plus difficiles à assembler, les causeries d’avant-match permettent à l’entraîneur de souligner des points primordiaux en matière de tactique et de psychologie, qui sont révélateurs de son expertise.
4.2. Le capital personnalité
23Une des tâches qui incombent à l’entraîneur est de veiller au quotidien à l’environnement interne et externe de son équipe. L’entraîneur de l’équipe professionnelle est également en quelque sorte l’homme à tout faire, le factotum de l’équipe. Il lui appartient par exemple de veiller simplement à la dotation en équipement des joueurs.
L’accord fut difficile. Veinante était exigeant. Pas pour lui, mais pour ses joueurs. Il réclama pour chacun d’eux : un ballon, deux jeux de survêtements, une paire de chaussures extrêmement légères pour le footing, une paire de chaussures d’entraînement, deux paires de chaussures de match, une pour terrain sec, l’autre pour terrain lourd. Il demanda de conserver ses joueurs toute la journée et réclama des repas pris en commun39.
24Les tentatives menées par les entraîneurs pour obliger l’effectif à demeurer au stade toute la journée n’ont en règle générale connu qu’un succès relatif et surtout temporaire. Néanmoins, ces expériences souvent menées en début de saison permettent de faire vivre des équipiers ensemble et contribuent à faire se côtoyer l’entraîneur et ses joueurs en dehors du cadre formel des séances. De surcroît, son rôle peut s’étendre jusqu’à la surveillance des installations, voire même leur entretien. Certains paient de leur personne en tentant de remédier eux-mêmes à des problèmes qu’on penserait dévolus à d’autres personnes, tels que les jardiniers ou les responsables de l’entretien, à l’image d’Émile Veinante : « Son premier soin a été de niveler le terrain de Saint-Symphorien. Il a même – en pure perte – essayé de l’ensemencer40. »
25Enfin, parce que les clubs professionnels ne disposent pas forcément de personnel en nombre suffisant, l’entraîneur s’acquitte également de tâches quotidiennes : véhiculer ses joueurs, les accueillir lorsque ces derniers reviennent de déplacement.
Cette radieuse journée […] avait pourtant débuté d’une façon assez contrariante pour Lucien Jasseron : étant allé à la gare de Nice sur le coup de 10 heures chercher ses militaires Combin, Di Nallo et Rivoire, il rata leur sortie et revint seul, dans un taxi, à l’hôtel41.
26En fait, l’entraîneur professionnel ne peut avoir l’esprit totalement tourné vers la réflexion liée à la tactique et à la stratégie. Certes, la conduite de l’entraînement et la préparation de la prochaine échéance constituent l’essentiel de ses prérogatives. Mais il est également accaparé par des problèmes de gestion et d’intendance que parfois personne ne règle à sa place. On pourrait penser qu’au fil des années, une amélioration des conditions environnementales relatives à l’entraînement s’opère dans les clubs professionnels. Il n’en est rien, et l’entraîneur de la fin des années 1960 rencontre les mêmes problèmes que celui des années 1940, ainsi que le révèle ce témoignage de Robert Domergue, promu entraîneur de l’Olympique de Marseille à partir de la saison 1966-1967 : « Il m’a fallu tout revoir, même la question des ballons pour l’entraînement »42. En définitive, le temps passé à organiser au mieux ce que l’on peut qualifier « d’environnement favorable » à la pratique du professionnalisme monopolise beaucoup d’énergie dans le corps des entraîneurs, et cette dérive contribue sans doute à diminuer l’efficacité des techniciens.
27Le capital personnalité de l’entraîneur repose également sur son exemplarité, sa passion, sa capacité à établir des relations et à communiquer, même en dehors des matches. L’entraîneur de la période 1942-1972 dispose de beaucoup de temps pour dialoguer avec ses joueurs. Il peut dès lors s’adonner à ce que préconise Georges Boulogne : « Le rôle social de l’entraîneur »43. Il s’agit ici de sensibiliser les joueurs à adopter un comportement de sportif de haut niveau, donc exempt de tout reproche. Cela peut consister aussi bien à les rendre réceptifs à la valeur du travail bien fait, qu’à l’adoption de principes régissant une vie saine et équilibrée, voire à la sensibilisation aux valeurs du football. Sur un plan purement technique, l’entraîneur peut effectuer un suivi personnalisé de ses joueurs et représenter pour eux un véritable tuteur dans l’évolution de leur parcours professionnel. Bernard Bosquier, défenseur central de l’AS Saint-Étienne révèle :
Je dois ceci à Jean Snella. C’est lui qui m’a appris à être autre chose qu’un démolisseur ; Il n’a cessé de me répéter qu’il me fallait toujours chercher un partenaire quand j’avais récupéré la balle et non dégager à l’aveuglette comme j’avais souvent tendance à le faire auparavant. Tous les quinze jours environ, il me prenait à part dans son bureau pour me reprendre en main44.
28Ainsi, les entraîneurs disposent de temps pour mener à bien des tête-à-tête ou des entretiens individuels afin de solliciter les joueurs de façon personnelle, de les faire progresser dans la conception de leur rôle. Pour autant, leur dialogue avec les joueurs n’occulte pas celui qu’ils entretiennent avec le président du club. Ces relations ne sont pas toujours aisées, notamment dans le cadre des entreprises paternalistes auxquelles on peut assimiler les clubs professionnels. En effet, les présidents, conseillés par des dirigeants proches, entendent souvent avoir un droit de regard quant au recrutement des joueurs et à la composition de l’équipe, ainsi qu’en témoigne la réaction de M. Herlory, président du FC Metz : « Lorsque Veinante lui déclara qu’il entendait avoir seul le pouvoir de former l’équipe, il avala sa salive de travers »45. Certes, il faut se garder de généraliser, mais si certains entraîneurs avouent avoir toute latitude pour prendre des décisions, nombreux sont ceux qui voient les leurs soumises à l’aval du président. Dès lors, un dialogue s’opère naturellement entre l’entraîneur et le président, le premier étant naturellement tenu de rendre des comptes au second. En résumé, l’entraîneur bénéficie de temps au quotidien pour dialoguer avec le président, mais surtout avec ses joueurs. Il n’est pas rare qu’il passe avec eux de longs moments dans le vestiaire.
4.3. Le capital stratégie
29La pensée stratégique se développe tout au long de la saison, du jour de la reprise jusqu’à la dernière journée de compétition. Les effectifs ne sont pas très fournis numériquement. Les entraîneurs disposent souvent d’un groupe de quinze ou seize joueurs au mieux, au sein duquel nombreux sont des titulaires indiscutables.
Quelles différences entre les entraînements professionnels des années 1950-1960 et les entraînements actuels ? Aujourd’hui, on a le souci du détail. Chaque détail est important. À l’époque, il n’y avait que 15 ou 16 joueurs dans l’effectif. Le club qui alignait 18 joueurs dans son effectif, c’était un club très riche. Il faut dire qu’on jouait à 11, les remplaçants ne rentraient pas (Carlo Molinari, 2001)46.
30Parfois au cours de la semaine, quelques joueurs amateurs, souvent ceux qui sont jeunes et prometteurs, sont intégrés le temps d’une ou deux séances à l’entraînement du groupe professionnel. Durant les années 1940 et 1950, la séance d’entraînement du jeudi après-midi consiste souvent en un match qui oppose les professionnels aux amateurs du club. Helenio Herrera en témoigne : « Je suis contre le match d’entraînement du jeudi contre les amateurs. Le joueur n’apprend rien, se relâche, dribble, relâche le marquage, court lorsque cela lui plaît et à sa main ». Cette habitude tend cependant à disparaître au cours des années 1960, sans doute parce que les entraîneurs émettent les mêmes constats que ceux produits par Herrera : les joueurs professionnels abordent ce type de confrontation avec d’autant plus de décontraction qu’elle se banalise. L’entraîneur de la période 1942-1972 a la certitude de bénéficier d’un effectif stable, qui ne connaîtra pas de variation tout au long de la saison. Il peut donc inculquer un projet de jeu bien défini à ses joueurs, puisqu’il est sûr que ceux-ci auront toute la saison pour tenter de le concrétiser.
31Il est avéré qu’à partir des années 1960, les footballeurs professionnels se consacrent avec davantage de sérieux à l’exercice de leur métier et que l’entraîneur peut disposer de la totalité de son effectif lors de la reprise. Cela lui garantit la possibilité de peaufiner dans les meilleures conditions les choix tactiques qu’il est désireux de mettre en œuvre, d’autant que les joueurs titulaires sont bien souvent assurés de le rester tout au long de la saison.
32Il semble que la fonction d’entraîneur ne suscite un engagement professionnel excessif et ne le contraint pas à y consacrer sa journée entière. Certains exercent un autre métier en sus de celui-ci, preuve qu’encadrer une équipe professionnelle laisse des disponibilités. Louis Dugauguez est de ceux-là :
Quand il fut appelé par les frères Laurant, en 1948 ou 1949, l’ancien instituteur du Pas-de-Calais s’attela à la double tâche de lancer l’affaire des Draperies Sedanaises et une équipe de footballeurs-ouvriers aux moyens limités. On connaît la suite47.
33Si un homme comme Dugauguez entraîne une équipe tout en en étant lié aux affaires commerciales extra-sportives de ses employeurs, il n’est pas le seul à exercer un métier en dehors du football. Ils sont sept dans ce cas en 1957, pour l’ensemble des entraîneurs de Division 1 et Division 2. L’exemple de Paul Frantz est significatif : de 1964 à 1966, il est enseignant titulaire au CREPS de Strasbourg, chargé de former des enseignants d’éducation physique. Si le football lui laisse l’alternative d’entraîner le RCStrasbourg sans avoir besoin de quitter sa fonction principale, c’est sans aucun doute parce que l’entraînement est loin d’accaparer les techniciens à temps plein. Paul Frantz le reconnaît : « Comme je passe toute la semaine entre les entraînements et le CREPS, je pourrais avoir besoin de me reposer. Pourtant, ma meilleure détente reste le football »48. Les entraîneurs professionnels ne consacrent pas forcément tous la totalité de leur temps à réfléchir au football, à préparer leurs entraînements, à peaufiner leur composition d’équipe, d’autant qu’ils ont un choix relativement restreint de joueurs éligibles, car la coutume veut que la plupart des joueurs soient inamovibles. Cela n’empêche pas certains d’entre eux de passer le plus clair de leur temps au stade. Ainsi, Robert Herbin décrit son entraîneur Jean Snella en ces termes : « Un gros travailleur, un homme exigeant qui avait le souci de la perfection. Il arrivait au stade tous les jours à 7 heures du matin pour en repartir le soir après 18 heures »49. Cependant, ces comportements ne concernent pas l’ensemble des entraîneurs. Effectivement, plusieurs d’entre eux occupent leur journée dans les environs du stade, parce qu’ils gèrent également des problèmes d’intendance, qu’ils supervisent aussi les entraînements des équipes amateurs ou de jeunes, lorsqu’ils ne les conduisent pas eux-mêmes. Mais ces entraîneurs-là ne constituent pas l’idéaltype de la profession. Même les plus titrés et les plus reconnus d’entre eux, à l’image d’Albert Batteux, ne jugent pas indispensable de consacrer la totalité de leur temps au football, ou tout du moins ne sont pas présents physiquement dans l’enceinte du stade toute la journée.
Albert Batteux faisait ses entraînements, point à la ligne. Il n’avait pas le même enracinement à Saint-Étienne que son prédécesseur. Son point d’attache familial était Grenoble, il y retournait souvent50.
34Bien plus, certains entraîneurs peuvent parfois se laisser aller à des conduites dilettantes vis-à-vis des formes à respecter.
Un jour, les joueurs de Marseille étaient arrivés à neuf heures comme d’habitude à l’entraînement. L’entraîneur téléphonait, ce qui est bien compréhensible. L’ennui, c’est que la conversation se prolongea jusqu’à plus de onze heures […]. Toujours est-il que l’entraîneur, sans s’excuser bien sûr, dit simplement aux joueurs : « Il est trop tard pour s’entraîner ce matin. Rendez-vous cet après-midi, à quatorze heures ! »51.
35Même si ce témoignage concernant Robert Domergue ne saurait conduire à une généralisation, il contribue néanmoins à montrer que les entraîneurs ne sont pas infaillibles, pas plus que ne le sont les joueurs, et qu’ils sont susceptibles eux aussi de prendre parfois quelques libertés avec la conduite de l’entraînement. Et de surcroît, une fois réglés les problèmes matériels et la conduite de la séance, même en dialoguant avec certains joueurs, les occasions de s’éterniser au stade ne sont pas extrêmement nombreuses.
Schirschin passait-il beaucoup de temps au stade dans la journée, plus que les joueurs ? (Silence)… Il n’y avait aucune raison d’être au stade ! Il n’y avait pas de magnétoscope, il n’y avait pas de télé, il n’y avait pas de machin comme ça… Donc ce n’est pas comme… un Jean Fernandez actuellement, ou d’autres qui passent leur journée, à… Il n’y avait pas de raison, en fait… de motif à y passer leur journée, quoi ! Non, non ! (J.-P. Scheid, 2005).
5. Qui est l’entraîneur professionnel ? Essai de typologie
36Les entraîneurs des années 1942-1972 sont souvent des hommes autoritaires, comme l’a montré Alfred Wahl (1989). Les articles de la presse écrite montrent que dans les années 1940 et 1950, ce type d’entraîneur est très répandu dans les équipes professionnelles françaises. Quelques exemples en témoignent, tels que la description d’Henri Roessler : « C’est un entraîneur autoritaire et qui veut se donner des manières brusques, tranchantes, qui en imposent. Il veut être une terreur »52. Un entraîneur comme Jules Vandooren semble être issu du même moule : « Le démon du football l’habite. Totalement donné à son sport, il ne supporte pas la facilité, les laisser-aller, les renoncements. Ses coups de gueule sont célèbres »53. Enfin, les traits de Louis Dugauguez sont dépeints de manière similaire : « Le ton est bourru, le verbe haut, l’autorité implacable… »54. Comment expliquer la prédominance de ce type d’entraîneur ? Depuis la Libération, l’ordre et l’ardeur sont les deux maîtres mots de l’autorité de l’État (J.-P. Rioux, 1980). Un retour à l’ordre est perceptible dans tous les secteurs de la vie publique. Rétablir l’État a pour corollaire l’implication de l’autorité centrale dans le remembrement de la nation. À l’échelle des clubs professionnels, si l’autorité administrative est personnifiée par le président, elle est du ressort de l’entraîneur en ce qui concerne la gestion des joueurs. À partir des années 1950, même si ces entraîneurs autoritaires tels que Jules Vandooren, Paul Baron, Lucien Jasseron, Louis Dugauguez ou Robert Domergue… constituent des modèles souvent imités, certains de leurs collègues moins dirigistes obtiennent des résultats probants avec leurs équipes, à l’instar de Jean Snella ou Albert Batteux. Ils sont relayés dans les années 1960 par d’autres techniciens tels que José Arribas, qui préfère user de psychologie pour convaincre davantage qu’imposer :
Je crois d’ailleurs que les entraîneurs ont accompli d’énormes progrès. Autrefois, c’était pire, peut-être par nécessité, les joueurs ne possédant pas une mentalité aussi bonne qu’à l’heure actuelle55.
37Malgré tout, les entraîneurs de cette période sont en majorité des hommes autoritaires, qui entendent se faire respecter. Ils sont également des bricoleurs, des touche-à-tout, capables de faire travailler leurs joueurs, mais en usant de trucs spécifiques qui leur appartiennent.
Eh bien… les entraîneurs avant, faisaient leur métier avec une forme de décontraction. Jules Nagy, il voulait surprendre les joueurs, il faisait des paris. Il pariait des tournées de bières, on buvait plus de bière que de coca à l’époque. Il pariait contre un joueur sur une course de 100 mètres, mais lui, ne faisait que 50 mètres, mais sur une seule jambe… À votre avis, qui gagnait ?… Je pense que chaque entraîneur fait des formes de pari, pour entretenir l’esprit sportif. Il recherche la gagne, la motivation, il peut parier n’importe quoi, un repas, un restaurant… (C. Molinari, 2001).
38Peut-on caractériser l’entraîneur professionnel de la période 1942-1972 de façon bien précise ? En 1957, voilà comment est établi son portrait : « L’entraîneur français type a 42 ans et est 5 fois international »56. Nous avons mené à bien une étude qui montre que le nombre d’entraîneurs étrangers employés par les clubs de Première Division s’est stabilisé et a diminué dans les années 1950 puis 1960. S’il est relativement important dans les années 1940, il décroît dans les années 1950. Le chiffre de cinq est atteint pour la dernière fois lors de la saison 1957-1958, par la suite il ne dépassera jamais quatre unités jusqu’en 1972.
39Contrairement à la période précédente, l’entraîneur professionnel qui exerce dans le championnat de France est bien un entraîneur français dans la majorité des cas. L’effet des stages nationaux mis en place en 1942 s’est fait immédiatement sentir et a permis aux clubs professionnels de recruter dans un vivier plus conséquent qu’avant la guerre, en ayant la garantie que l’homme chargé de former l’équipe aurait validé une formation en adéquation avec la conduite d’une équipe professionnelle.
40Une autre étude57 se consacre à l’âge moyen et à l’expérience des entraîneurs de Division 1, en ciblant également leur passé éventuel de joueur professionnel.
Caractéristiques des entraîneurs officiant en Division 1 (1948-1969)
Saison | Âge moyen | Expérience en Division 1 | Nombre d’anciens joueurs pro | Nombre d’anciens internationaux |
1948-1949 | 42 ans 2 mois | 1 an 6 mois | 18/18 | 5/18 |
1953-1954 | 40 ans 10 mois | 1 an 8 mois | 17/18 | 6/18 |
1958-1959 | 41 ans 8 mois | 3 ans 6 mois | 18/20 | 8/20 |
1963-1964 | 43 ans 8 mois | 2 ans 5 mois | 15/17158 | 6/172 |
1968-1969 | 45 ans 9 mois | 3 ans 3 mois | 16/18 | 5/18 |
41L’âge moyen des entraîneurs officiant en Division 1 évolue relativement peu, puisqu’il se situe dans une fourchette comprise entre quarante ans et dix mois (saison 1953-1954) et quarante-cinq ans et neuf mois (saison 1968-1969). Dans tous les cas, les entraîneurs sont des hommes qui sont dans la force de l’âge. En effet, même si l’âge moyen a sensiblement augmenté, il est à mettre en perspective avec l’espérance de vie masculine : 63,4 ans en 1950 contre 67,4 ans en 1969. Cela corrobore le fait que les entraîneurs sont physiquement sollicités, qu’ils ont intérêt à faire preuve d’une bonne condition athlétique et d’une bonne santé afin de diriger leurs séances. Il est à noter un rajeunissement significatif lorsque l’on compare les saisons 1948-1949 et 1953-1954. En fait ce phénomène s’explique par l’apport des stages nationaux d’entraîneurs. Si à la Libération, l’âge moyen est supérieur, c’est sans doute que les clubs font appel à des entraîneurs qui officiaient déjà pendant l’Occupation, voire même avant la guerre. C’est le cas des Britanniques Kimpton et Maghner, respectivement recrutés par Le Havre en 1945 à l’âge de cinquante-neuf ans et Metz en 1946 à l’âge de cinquante-cinq ans. Cependant, dans le même temps le stage national mis en place en 1942 commence à porter ses fruits. Dès lors, il n’est pas étonnant de voir des footballeurs qui ont mis assez récemment terme à leur carrière de joueur prendre des responsabilités au niveau professionnel, à l’image d’Albert Batteux, promu entraîneur de Reims en 1951 à l’âge de trente et un ans. Recruter ces entraîneurs nouvellement formés constitue une alternative pour les clubs du haut niveau. Ensuite, parce que certains donnent satisfaction, ils sont maintenus plusieurs années de suite dans leur poste, pour peu que leur équipe n’enregistre pas de résultat trop négatif. De ce fait, le nombre d’années d’expérience croît au fil des années, suivant une courbe irrégulière. Malgré un nombre de plus en plus conséquent d’entraîneurs diplômés et donc aptes à entraîner en Division 1, les clubs français ne puisent pas dans le réservoir d’entraîneurs disponibles autant qu’ils le pourraient. Les prétentions financières de la plupart des entraîneurs ne sont pas exorbitantes et les clubs, qui ont pour la plupart des budgets relativement modestes, réfléchissent à deux fois avant de décider de se séparer rapidement de leur technicien dès le moindre problème.
42Dans l’immense majorité des cas, l’entraîneur professionnel est issu du sérail, de la « famille »59 du football (L. Grün, 2013). Il a lui-même presque invariablement été footballeur professionnel et une proportion non négligeable a connu une carrière d’international. En ce sens, l’objectif de reconversion ambitionné par Gabriel Hanot et les autres chantres du football français dès la mise en place des premières tentatives de formation est atteint, puisque les places, certes peu nombreuses, sont presque systématiquement dévolues à des hommes issus de la famille, plus précisément celle du football.
Notes de bas de page
1 Le Miroir des Sports, nouvelle série, n° 33, 17 novembre 1941.
2 Ils peuvent devenir moniteur-entraîneur, affectés à l’entraînement des clubs amateurs, à la fois dans les équipes seniors, mais aussi les équipes de jeunes.
3 L’Auto n° 15 412, 10 mai 1943.
4 L’Auto, 10 mai 1943.
5 Les équipes fédérales qui comprennent des professionnels se différencient des clubs, qui ne peuvent enrôler que des joueurs amateurs.
6 Le Miroir des Sports n° 101, 21 juin 1943.
7 L’Auto n° 15 449, 16 juin 1943.
8 G. Hanot. Instauration du football chimérique en France. Le Miroir des Sports n° 101, 21 juin 1943. L’article de Gabriel Hanot occupe l’intégralité de la page.
9 « Le fait d’exercer un autre métier que celui de footballeur professionnel ne dispense pas le joueur professionnel de l’assiduité à l’entraînement ». L’Auto n° 15 146, 19 juin 1942. Cette remarque laisse entendre que le manque d’assiduité de ceux qui ont choisi d’occuper une profession à côté du football est une réalité.
10 M. Rossini. Football n° 633, 8 juin 1944. Edmond Delfour, 41 sélections en équipe de France entre 1929 et 1938, évolue en tant qu’entraîneur-joueur dans l’équipe fédérale du FC Rouen-Normandie en 1943-1944. Il deviendra par la suite entraîneur professionnel en France (Stade Français, Le Havre) et en Belgique.
11 Ibid.
12 Tous les Sports n° 51, 1942.
13 Rappelons que ce stage est précédé d’un stage de formation en 1941, mais que celui-ci n’est pas sanctionné par un diplôme obtenu par examen.
14 Nous avons déjà évoqué le palmarès de Delfour et Mattler. Simonyi compte 4 sélections en équipe de France entre 1942 et 1945. Il entraînera le Red Star et Angers à la fin des années 1940. Lucien Perpère a été joueur professionnel au Stade de Reims avant la seconde guerre mondiale. Il entraînera Gueugnon, puis Roanne, Mulhouse et Nancy dans les années 1940 et 1950.
15 L’Auto n° 15 168, 16 juillet 1942.
16 L’Auto n° 15 182, 1er et 2 août 1942.
17 Ces moniteurs exercent leur métier de footballeur professionnel au cours de la saison. Simonyi (4 sélections entre 1942 et 1945) et Aston (31 sélections entre 1934 et 1946) sont des internationaux reconnus. Andrup est un international danois (18 sélections).
18 Henri Delaunay est en 1942 secrétaire général de la FFF. Il est le fondateur de la Coupe de France en 1917.
19 Maurice Baquet est Directeur de l’Institut national des Sports en 1942.
20 M. Pefferkorn. Football n° 603, 4 novembre 1943.
21 Albert Batteux est sélectionné à 8 reprises en équipe de France entre 1948 et 1949. C’est surtout sa carrière d’entraîneur qui assurera sa renommée entre 1950 et 1972, puisqu’il est considéré par les spécialistes comme l’un des plus grands entraîneurs français de l’histoire.
22 Football n° 633, 8 juin 1944.
23 Le terme est emprunté à A. Wahl (1989).
24 A. Duchenne. France Football n° 6, 1er août 1945.
25 L’Almanach du Football, 1946. Paris, Ce soir éditions.
26 Paul Wartel ne reste à Marseille que jusqu’à la fin de la saison 1946. Il entraînera ensuite Sochaux de 1946 à 1952.
27 L’Almanach du Football, 1946. Paris, Ce soir éditions.
28 Miroir Sprint n° 13, 19 août 1946.
29 L’Almanach du Football, 1946. Paris, Ce soir éditions.
30 France Football n° 618, 21 janvier 1958.
31 G. Hanot. France Football n° 615, 31 décembre 1957.
32 France Football n° 618, 21 janvier 1958.
33 France Football n° 81, 9 octobre 1947.
34 France Football n° 908, 6 août 1963. Jean Snella entraîne l’AS Saint-Étienne en 1963.
35 Jules Nagy a entraîné le FC Metz de 1959 à 1963 (en Division 2 pour la période 1959- 1961 et 1962-1963, et en Division 1 en 1961-1962). Sans être régulièrement titulaire, il a lui-même disputé plusieurs matches professionnels en tant que joueur lors de chaque saison de son mandat à Metz.
36 Max Schirschin a entraîné le FC Metz de 1966 à 1968.
37 Entretien du 20 mai 2005. Jean-Paul Scheid a disputé 148 matches professionnels sous les couleurs du FC Metz, entre 1959 et 1963, puis 1967 et 1970.
38 Paul Bonnetain-Claude Chevally. « Le football, mot à maux ». Roanne, De Boréee Thobas, 2004. p. 89. À la mort de Batteux, plusieurs joueurs qui l’ont fréquenté en tant qu’entraîneur, tels que Raymond Kopa, Bernard Bosquier, Aimé Jacquet… corroborent les propos de R. Herbin et considèrent A. Batteux comme un orateur exceptionnel. Consulter à ce sujet France Football n° 2969, 4 mars 2003.
39 France Football n° 230, 10 août 1950.
40 Ibid.
41 France Football n° 890, 21 mai 1963.
42 Football Magazine n° 80, septembre 1966.
43 France Football officiel n° 851, 3 juillet 1962.
44 France Football n° 1123, 19 septembre 1967.
45 France Football n° 230, 10 août 1950.
46 Entretien du 20 mars 2001. Charles Molinari, dit Carlo Molinari (et identifié sous l’unique pseudonyme de Carlo par les supporters messins), champion de France de motocross à 3 reprises entre 1952 et 1955, gère une société de concession de poids lourds en 1967, lorsqu’il prend la présidence du FC Metz. En dépit d’un intérim entre 1978 et 1983, il en demeure l’emblématique dirigeant jusqu’en 2009, lorsqu’il cède la place au chef d’entreprise Bernard Serin. Toujours adulé par les fans du FC Metz, pour lesquels il symbolise l’âge d’or du club, Carlo Molinari se rend quotidiennement au siège du club dont il est le président d’honneur.
47 France Football n° 1001, 18 mai 1965.
48 France Football n° 1038, février 1966.
49 P. Bonnetain-C. Chevally (2004), opus cit.
50 Ibid.
51 Football Magazine n° 107, janvier 1969.
52 France Football n° 223, 28 juin 1950.
53 France Football n° 903, 2 juillet 1963.
54 France Football n° 1001, 18 mai 1965.
55 Football Magazine n° 66, juillet 1965.
56 France Football n° 57, numéro spécial (1957). On recense 10 étrangers sur le 38 équipes professionnelles, dont 5 pour les 20 équipes de Division 1.
57 Nous avons fait le choix arbitraire de caractériser une saison tous les cinq ans, et de relever systématiquement les noms des entraîneurs qui officient en Division 1, leur âge, leur nombre d’années d’expérience en Division 1, s’ils sont anciens joueurs professionnels et anciens internationaux.
58 Pour la saison 1963-1964, nous n’avons pu obtenir aucun renseignement sur l’un des entraîneurs de Division 1.
59 Ce terme de « famille » est utilisé et revendiqué par les entraîneurs eux-mêmes (voir infra).
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