Conclusion de la partie 1
p. 105-107
Texte intégral
1Il est certain que la position spécifique de la presse sportive du début du XXe siècle a constitué un élément déclencheur pour ce qui est des considérations à apporter aux rôles conjoints de l’entraînement et de l’entraîneur. En effet, les journalistes de sport présentent dès les années 1890 une double caractéristique : ils sont journalistes mais ils sont également sportifs, soit parce qu’ils sont passionnés, comme Marcel Rossini, Maurice Pefferkorn, Achille Duchenne ou Emmanuel Gambardella ; soit encore parce qu’ils ont pratiqué à très haut niveau, comme Gabriel Hanot, Lucien Gamblin, Jacques Mairesse… Davantage encore que ses confrères de l’information générale, le journaliste de sport est lié à la matière qu’il traite. Et à la fin du XIXe ainsi qu’au début du XXe siècle, le journaliste sportif « a créé le sport, il l’a développé, il l’a popularisé pour se fabriquer sa propre actualité » (J. Marchand, 2006). Très rapidement et inévitablement l’intérêt économique du sport s’est confondu ou ajouté à l’intérêt économique de la presse et cette alliance a provoqué des conflits d’intérêts. Dans ces conditions, il était inévitable que les journalistes, militent pour une accoutumance à l’entraînement indissociable du progrès du football français, lié au recrutement d’entraîneurs formés et qualifiés, afin de mener à bien cette amélioration du niveau de jeu souhaitée.
Mais c’est alors la durée de la formation qui ne répond plus à des exigences minimales en matière d’efficacité. Le véritable entraîneur doit avoir des notions étendues de physiologie, d’éducation physique et de technique. Pour bien le former à ces points de vue, il faut des mois, sinon plus d’une année1.
2Le programme énoncé par M. Pefferkorn est ambitieux et les embryons de formation proposés par la FFFA dans les années trente s’apparentent à un survol de ces disciplines, à une très rapide inculcation de principes, agrémentés de quelques conseils pratiques. Au quotidien, l’entraîneur est obligé de recourir à un empirisme constant. À la fin des années 1930, alors que des entraîneurs d’origine française commencent à s’imposer à la tête des équipes professionnelles françaises, ils sont obligés de recourir au pragmatisme le plus forcené, d’autant que les contours de leur tâche ne sont pas toujours définis avec précision. Si en matière d’exigences hiérarchiques des certitudes sont établies, telles que la mise en forme physique, l’entretien des joueurs ou l’agencement tactique des équipes, en revanche peu d’indications lui sont données quant à la méthode à suivre. De ce fait, consciemment ou non, les entraîneurs recourent à des modèles, à des recettes éprouvées ou imaginées, donc à tout un amalgame de solutions tirées de leur vécu, de leur passé, de leur perméabilité aux inventions et innovations enregistrées dans d’autres domaines sportifs voire dans le monde social, industriel, économique plus généralement (G. Vigarello, 1988).
3L’existence d’entraîneurs professionnels de football en France dans les années 1930 est certes confirmée. Mais peut-on affirmer que ces hommes constituent une réelle profession ? Deux facteurs essentiels contribuent à entraver la constitution d’une profession : la jeunesse de cette occupation, puisqu’elle ne peut se targuer que d’une décennie et demie d’existence ; et le faible nombre de ses représentants, puisque sur les 5 568 clubs que compte la FFFA en 1939, seuls trente-deux d’entre eux peuvent évoluer au niveau professionnel, réparti entre la Première et la Deuxième Division, avec seize équipes pour chaque niveau. Ces deux facteurs ne contribuent pas à provoquer une unité parmi les entraîneurs officiant en France, d’autant qu’avec l’arrivée de techniciens français lors des dernières années précédant la seconde guerre mondiale, une diversité des origines s’instaure dans leurs rangs. Leur font défaut deux traits qui les apparenteraient réellement à une profession : l’appartenance à une communauté unie autour des mêmes valeurs, et de la « même éthique de service » d’une part. Et d’autre part, « l’existence d’un savoir « scientifique » et pas seulement pratique » (C. Dubar, 1996). Si l’on considère plus simplement la classification établie par C. Dubar et P. Tripier (1998), à propos de la définition du terme français de « profession », on peut établir que les entraîneurs en France ont posé partiellement les bases de certains aspects de leur profession. En effet, la signification française recouvre quatre points de vue : la profession s’entend comme quelque chose qui s’énonce publiquement, et est liée à une déclaration de foi ; elle est le travail que l’on fait lorsqu’il permet d’en vivre ; elle désigne ceux qui ont le même nom de métier ou le même statut professionnel ; enfin, elle correspond à une fonction ou une position professionnelle dans un organigramme. À la lumière de ces quatre significations, on peut constater que les entraîneurs professionnels répondent à deux des quatre caractéristiques. En effet, ils exercent une activité rémunérée, qui leur permet de gagner leur vie ; et ils occupent une fonction dans un organigramme, qui les situe entre les dirigeants et les joueurs, même si une définition très précise de leur rôle est parfois difficile à cerner. En revanche, ils n’ont pas réellement souscrit à une profession de foi, une réelle vocation, dans le sens où nombre d’entre eux profitent de l’absence totale d’entraîneurs en France pour exercer2, et surtout dans le sens où la transmission technique prend le pas sur la transmission didactique. De ce fait, ils sont davantage des anciens techniciens que des hommes à qui l’on attribue les moyens de transmettre un savoir. Enfin, le statut professionnel de personnes exerçant un même métier n’est pas un axe qui a été développé par les premiers entraîneurs. Il est vrai qu’ils sont peu nombreux et issus de plusieurs nationalités différentes pour pouvoir prétendre, ou tout simplement avoir envie de se rassembler en une communauté bien identifiée et organiser son existence et sa protection.
4De ce fait, on ne peut arguer que les premiers entraîneurs français, jusqu’en 1941, se regroupent au sein d’une même profession. Sans doute peut-on qualifier l’ensemble des entraîneurs exerçant en France de « groupe professionnel » au sens ou l’entend Claude Dubar, puisqu’il ne constitue pas une « profession séparée, unifiée, établie ou objective » (C. Dubar, 2003). Par contre, nous verrons que ces pionniers ont jeté les bases de ce qui deviendra une réelle profession dans les années 1942-1972.
Notes de bas de page
1 M. Pefferkorn. Football n° 48, 30 octobre 1930.
2 Ce faible nombre de candidats disponibles pour exercer ces fonctions se traduit par une rotation importante des mêmes entraîneurs au sein des clubs, ce qui ne facilite pas le renouvellement. Ainsi, on retrouve par exemple Maghner à Dunkerque (1935-1937), Metz (1937-1938), Lille (1938-1939) ; Griffiths à Roubaix-Tourcoing (1932-1933), Valenciennes (1933-1935), au Racing (1935-1939) ; Aitken à Cannes (1932-1934), Reims (1934-1936), Antibes (1937-1938) ; Eisenhoffer à Marseille (1935-1938), Lens (1938-1939).
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