Intégrité, idéalisme et intégration : trois valeurs humanistes portées par l’Olympisme ?
p. 107-117
Texte intégral
1L’idée sportive et particulièrement l’idée olympique ont subi des évolutions importantes, depuis 1894, lorsque Pierre de Coubertin réintroduisit le concept des Jeux olympiques. Dès le début des années 1980, lorsque Juan Antonio Samaranch fut élu à la présidence du Comité International Olympique, et particulièrement en 1984 lors des Jeux de Los Angeles, avec le premier programme de marketing crédible, et en 1988, lors des Jeux olympiques de Séoul, puis en 1992, lors des Jeux de Barcelone, avec l’arrivée des professionnels de la Dream Team de basketball américaine, le monde olympique et, plus largement, l’ensemble du monde sportif ont été confrontés à une véritable mutation des valeurs qu’ils véhiculent. Notre réflexion porte donc sur trois valeurs humanistes dont l’Olympisme se dit porteur. Il s’agit pour nous d’en réaffirmer la pertinence et parallèlement de proposer quelques modalités susceptibles d’en rendre la pratique opportune. L’intégrité, l’idéalisme et l’intégration se doivent, plus que jamais, d’être au cœur d’un humanisme Olympique.
Olympisme et intégrité
2Une pratique responsable du sport requiert plus que des lois ou des règles d’entraînement, de physiologie et de biomécanique. Elle exige davantage que des options médicales, paramédicales ou tactiques. L’activité sportive est avant tout une activité humaine où l’individu doit être considéré dans sa globalité. Les acteurs du sport que sont les éducateurs (qu’ils soient moniteurs ou entraîneurs) et, de façon différente, les gestionnaires interviennent en fait au niveau de l’être humain, ce qui appelle un réflexe éthique majeur. Dans ce contexte, ce qui donne sens à l’éthique, c’est sa capacité d’orienter les comportements de ces acteurs : leurs actions requièrent qu’ils fassent des choix et qu’ils les orientent sur la base de normes et de valeurs précises. Ce n’est que dans ce cadre qu’ils pourront agir de façon intègre. Dans le contexte sportif et Olympique, on peut décrire et interpréter la notion d’intégrité de diverses manières : d’une part, l’intégrité correspond à l’action intègre. Il s’agit d’agir en connaissance de cause, honnêtement, impartialement, dans le respect de ses propres valeurs et standards, avec probité et de bonne foi, avec empathie, droiture, effectivité et efficience. Agir de façon intègre peut ainsi être conçu comme une action qualitative.
3L’intégrité renvoie également à la sphère intime, à la particularité de l’individu. On ne peut porter atteinte à cette particularité. Il s’agit plus spécifiquement avec l’enfant et l’adolescent de prendre son développement physique et psychique en compte avec prudence et discernement. Ceux qui interagissent avec autrui et en particulier avec des jeunes doivent fonder leur intervention sur des valeurs fondamentales, au cœur desquelles le respect et la protection de l’intégrité d’autrui seront centraux.
4Dans ce contexte, la définition que donne Claus Tiedemann du sport prend un sens particulier :
Le sport est un domaine de l’activité culturelle qui met les individus librement en contact, dans le but avoué de développer leurs talents et leurs aptitudes, particulièrement dans le contexte du mouvement, et de se confronter, dans le cadre de règles qu’ils se donnent ou qui préexistent, sans que cela ne nuise à leur intégrité ou à celle des autres.1
5Cette notion de nuisance à l’intégrité peut être la conséquence d’une action qui ne la respecte pas. Cette nuisance peut être physique, psychique ou combiner les deux. L’intégrité est donc bien faite d’une composante physique et d’une composante psychique. Travailler avec des jeunes suppose que l’on reconnaisse leur « être », leur niveau de développement. Cela signifie que l’on tiendra compte de leurs aptitudes physiques, de leurs talents, de leurs désirs, de leurs besoins et de leur maturité. Insuffisamment tenir compte de ces aspects liés à l’intégrité de la personne pourrait entraîner une désaffection rapide des jeunes pour le sport. On évoquera alors le phénomène du drop-out, que l’on pourrait, dans de nombreux cas, qualifier de kick-out en raison de sa brutalité. De bons entraîneurs tiennent compte de et composent avec les besoins réels, les centres d’intérêt, les motivations des jeunes et font, de la sorte, que la pratique sportive soit une fête. Ils veillent aux aspects qualitatifs et quantitatifs de l’activité, font en sorte que la détente et le repos succèdent à l’effort. En termes d’intensité, ils veillent à éviter les blessures et les lésions dues à la surcharge, retenant ce qu’écrit Jacques Personne : « Aucune médaille ne vaut la santé d’un enfant »2. Dans une perspective de préservation de l’intégrité psychique, les responsables sportifs doivent veiller au meilleur pour l’enfant, sans lui imposer une pression excessive. Ils éviteront de créer le stress ou la frustration et ne se projetteront pas dans l’enfant dont ils ont la responsabilité. Ils prendront en compte ses vrais besoins et ne s’imposeront pas à lui. Ils s’informeront de la façon de travailler au mieux avec des enfants, de leurs capacités, en fonction de leur âge et de leur maturité.
6Nous pouvons conclure en considérant que le sport est un domaine important au cœur de la formation des jeunes, c’est un atelier social qui permet de les conduire de façon constructive sur le chemin qui les mène à l’âge adulte. Cela suppose une intentionnalité bien précise, fondée sur des choix éthiques qui protégeront l’intégrité des jeunes qui nous sont confiés.
Idéalisme et Olympisme
7Platon évoquait, dans ses travaux, l’idéalisme en soulignant que certaines idées sont susceptibles d’inspirer nos actions et de nous conduire. L’idéalisme représente aussi une notion plus élaborée qui consiste à se battre pour la réalisation d’idéaux concrets.
8Pierre de Coubertin définissait l’Olympisme originel comme « un état d’esprit » lorsqu’il soulignait que « l’Olympisme est un état d’esprit issu d’un double culte : celui de l’effort et celui de l’eurythmie ». L’Olympisme originel de Pierre de Coubertin se fonde presque exclusivement sur le principe et les idéaux de l’amateurisme. De Coubertin a, plus tard, prétendu qu’il n’avait jamais été fortement mobilisé par la question de l’amateurisme, mais qu’il s’était saisi de cette thématique pour réaliser ses projets de renouveau olympique. La question de l’amateurisme n’était d’ailleurs pas uniquement soutenue par une motivation idéaliste. Elle protégeait également le sportsman bien né, issu de la leisure class, de la concurrence non souhaitable des sportifs professionnels de la lower class3. Ce sont les Jeux olympiques de Séoul (1988) qui sonnèrent le glas de cet amateurisme olympique sacralisé, en ouvrant larges les portes aux sportifs professionnels.
La doctrine éclairée de Coubertin
Une pédagogie sportive pour les jeunes gens dynamiques
9Comme de nombreux élèves, Coubertin considérait la gymnastique paramédicale rigide comme particulièrement ennuyante et insuffisamment virile. Il voulait que le sport soit fait de défis, de compétition intense et de dépassement de ses propres limites : « il lui faut la liberté de l’excès. C’est là son essence, sa raison d’être, c’est le secret de sa valeur morale »4. Coubertin voulait, par un amateurisme dénué de tout intéressement, qualifié de playing the game for the game’s sake, et par un esprit chevaleresque de fairplay, promouvoir un nouvel élan optimiste, grâce à une pédagogie sportive : « provoquer ou (...) favoriser l’opération du bronzage moral par le bronzage physique, du bronzage de l’âme par le bronzage du corps »5.
L’Olympisme international et le volontariat
10Comme la Croix Rouge (1863), l’Internationale Socialiste (1864), l’Esperanto (1887) et le Scoutisme (1908), le mouvement olympique (1894) a été initié comme un courant internationaliste et idéaliste promouvant la fraternité universelle, l’égalité des races, la tolérance religieuse et la paix universelle. Le mouvement olympique ne serait jamais né sans l’engagement d’un grand nombre de bénévoles, membres de clubs et de fédérations. À partir de 1912, les Scouts se présenteront régulièrement comme volontaires olympiques6. En 1952 apparaissent les premiers volontaires individuels, lors des Jeux d’Helsinki. Le thème du volontariat est d’ailleurs le point d’équilibre des bonnes pratiques qui doivent traduire l’idéalisme sportif en actions concrètes.
Le post-coubertinisme : de l’idéologie aux affaires
Les Jeux olympiques : une multinationale avec une mission unique
11De tous les mouvements internationaux mentionnés ci-dessus, le Mouvement Olympique est sans conteste celui qui connaît le succès le plus universel, particulièrement au niveau commercial. L’Olympisme amateur des bons vieux jours a fait place au « Prolympisme » : un accord commercial entre des athlètes professionnels et leur Comité National Olympique. La question qui se pose donc est de savoir si le business est bien le core-business de l’Olympisme.
Olympisme et éducation Olympique
12Sanctus Coubertinus ora pro nobis ! : Certains pédagogues de l’Olympisme en appellent, aujourd’hui encore à l’esprit de Coubertin. Ils plaident en fait pour un credo Olympique renaissant, plutôt que pour un mission statement olympique affairiste. Ce sont en particulier des pédagogues du sport allemand, comme Roland Naul, qui entendent propager le patrimoine humanitaire du mouvement olympique dans les milieux de l’enseignement.
La Charte Olympique : mystique ou dogmatique ?
13Les principes fondamentaux et les valeurs de base de l’Olympisme contemporain sont expliqués dans la Charte Olympique en 2010. Celle-ci précise que la mission du CIO consiste en la promotion de l’Olympisme dans le monde entier et la conduite du mouvement olympique. Le problème crucial procède du fait que le concept « Olympisme » n’est pas décrit avec suffisamment de précision, ce qui donne lieu à des interprétations contradictoires, à des appropriations auto-justifiées et à des anomalies.
Olympism is a philosophy of life, exalting and combining in a balanced whole the qualities of body, will and mind. Blending sport with culture and education, Olympism seeks to create a way of life based on the joy of effort, the educational value of a good example, and respect for universal fundamental ethical principles.7
Olympisme : une marque commerciale ou un idéal ?
14L’amateurisme « du bon vieux temps », qui était devenu un anachronisme, ne peut que déboucher sur une nouvelle faillite d’un Olympisme étymologique, sans fondements juridiques et philosophiques solides. Le Mouvement Olympique en effet, après la période d’Avery Brundage, n’a pas été sauvé par son idéologie mais par l’opportunité économique des droits de télévision. Si l’Olympisme moderne souhaite être plus qu’une marque commerciale prestigieuse, plus qu’une success-story commerciale8, il doit formuler ses objectifs éducatifs et moraux de façon plus opérationnelle, les mettre en œuvre et les évaluer. Dans cet esprit, de concert avec de nombreux collègues qui portent la tradition de l’éducation physique, nous préférons parler d’éducation par le mouvement plutôt que de pédagogie sportive et − plutôt que d’évoquer un Olympisme ésotérique − d’une culture du mouvement portée par des motivations éthiques. Afin de rendre opératoires ces principes fondés sur l’idéalisme et de les mettre effectivement en œuvre, nous formulons ci-après quelques prises de position qui peuvent être soumises à discussion.
Le sport n’a pas de valeur éducative ou humaniste qui lui soit propre. Il les puise dans un contexte pédagogique fondé sur l’éthique.
Le sport en tant que tel est un concept trop ethnocentrique occidental, porteur d’une monoculture trop marquée.
Une séance quotidienne d’éducation par le mouvement dans tous les niveaux et dans toutes les formes d’enseignement reste encore trop souvent une utopie.
Le sport pour tous a été promu, à l’origine, pour favoriser le pluralisme en son sein et pour offrir au plus grand nombre des opportunités de mouvement.
Le sport professionnel est une activité commerciale importante et doit, pour cette raison, être conduit selon les principes de la gouvernance d’entreprise.
Les bénévoles, dans le sport, doivent être davantage respectés, bénéficier d’un statut adapté et d’un accompagnement professionnel de qualité qui soutienne moralement leur engagement.
Le « post-nationalisme », comme l’a récemment plaidé Guy Verhofstadt9 au Parlement Européen, pourrait lui aussi être source d’inspiration pour le Mouvement Olympique.
Sans Jeux olympiques, le monde serait probablement moins beau et plus ennuyeux.
Les Jeux olympiques de la Jeunesse, en 2010, ont manifesté l’objectif que des programmes éducatifs soient mis en place qui soutiennent le fait que le sport est un des éléments d’un style de vie saine et porteur de valeurs sociales, et que soulignent les dangers du dopage et du surentraînement.
« Wahrheit und Dichtung » : le sport a besoin de bénéficier d’une réflexion sociétale.
15C’est dans ce contexte que se pose la question de la réconciliation de l’idéalisme et de l’Olympisme. En effet, dans le monde entier, les Jeux olympiques, le mouvement olympique, les athlètes de haut niveau, les managers, les volontaires et les sportifs en général sont source d’enthousiasme et d’inspiration. L’historien français du sport Gilbert Andrieu dit d’eux qu’ils sont « le dernier rempart que propose le sport face à un matérialisme déshumanisant »10.
16Nous en venons dès lors à répéter une conclusion que nous émettions lors de notre toute première intervention académique, au cours d’un congrès, il y a quarante ans : « Si nous voulons protéger les richesses que véhicule le sport des pratiques irrespectueuses de l’homme, il nous faut, en plus des “missionnaires” du sport, des “protestants” du sport »11.
Olympisme et intégration
17L’intégration est au cœur de nombreux débats, dans une multitude de domaines. Souvent, elle est l’objet de confusion avec les termes d’insertion ou d’association. L’intégration, au sein de notre société, vise généralement les réfugiés, les allochtones, les personnes qui ne parlent pas la langue du lieu où elles s’établissent, les personnes qui souffrent d’un handicap, physique ou mental, les personnes défavorisées. Parallèlement, on recourra à différents moyens d’intégration, qu’il s’agisse de groupes d’entraide, de familles ou d’activités particulières, comme le sport. Ainsi se pose la question de savoir si le sport, en tant que tel, est susceptible d’intégrer les individus ou si le sport est un outil, un facteur, à la disposition d’une démarche intégrative. Le sport, dans son acception la plus large est « une activité humaine qui repose sur des valeurs sociales, éducatives et culturelles essentielles »12. On conclurait que les acteurs politiques et sociaux lui reconnaissent par conséquent une capacité d’intégration en ce qu’il serait « un facteur d’insertion, de participation à la vie sociale, de tolérance, d’acceptation des différences et de respect des règles »13. Ainsi définie, la capacité du sport à aider à l’intégration des individus serait multifactorielle : insertion, vie sociale, tolérance et acceptation des différences. La richesse de ces angles d’approche ferait donc du sport, en Europe, un facteur essentiel d’intégration.
18Différents groupes sociaux bénéficieraient de cette capacité intégrative des activités physiques et sportives, qu’il s’agisse de jeunes ou d’adultes en rupture sociale, de migrants, de personnes moins valides ou de groupes stigmatisés14. Il faut cependant souligner, comme le note William Gasparini15, que le terme d’intégration, appliqué au sport, pose question en tant que tel. Il cite Sayad, qui définit l’intégration comme un « processus dont on ne peut parler qu’après coup, pour dire qu’elle a réussi ou qu’elle a échoué ; un processus qui consiste à passer de l’altérité la plus radicale à l’identité la plus totale »16. Si l’on suit Gasparini, il s’agira dès lors de ne pas étudier l’intégration en tant que telle, mais d’analyser ses diverses dimensions à un moment donné. En tant que pratique génératrice de lien social dans la société, le sport constituera alors l’une des dimensions du processus d’intégration. Mais l’ambiguïté dans l’usage des termes « intégration » et « insertion » en matière de sport montre la difficulté à penser le rôle réel du sport dans les mécanismes sociaux.
Une perspective historique positive
19Patrick Mignon17, lorsqu’il pose la question explicite du sport comme facteur de socialisation et d’intégration, constate que cette interrogation n’est pas nouvelle. Même si le vocabulaire était un peu différent, la promotion du sport au XIXe siècle était liée à une interrogation sur la force de cohésion des sociétés nées de la Révolution française et de la révolution industrielle. Mignon souligne qu’aujourd’hui, on accorde, dans les politiques publiques,
une place considérable au sport parce qu’il apparaît, avec la culture, comme l’autre moyen que l’on peut mettre à contribution pour réparer un tissu social qui se défait, pour retrouver les chemins de l’insertion économique, bref, pour faire face à la dérive des quartiers en difficulté, à l’échec scolaire, à la délinquance, aux risques de communautarisme et de racisme.18
20Le sport serait symbole « de l’égalité à atteindre, en plus du caractère formateur que représente l’expérience sportive »19. Pierre de Coubertin ne disait pas autre chose lorsqu’il mettait en avant l’égalité intrinsèque des individus face au sport mais la différentiation de leurs performances. Cette mobilisation du sport comme moyen de résoudre des problèmes sociaux résulterait de
son attrait, non démenti depuis vingt ans, de son rapport privilégié à la jeunesse – il est porteur de l’espoir d’un avenir différent qui échapperait au poids des déterminismes sociaux et culturels – son histoire plus ancienne, surtout en France – où le sport est d’emblée lié à la capacité à faire participer tous les groupes habitant sur le territoire – et enfin les valeurs qu’il incarne : l’égalité, la juste compétition et la visibilité de tous.20
C’est ce que nos amis français affirmaient lorsqu’ils glorifiaient, en 1998, après la Coupe du Monde de Football, la France « black, blanc, beur ». Cette équipe, multiraciale et multiethnique, se devait d’être le symbole de l’intégration par le sport. C’était oublier un peu vite que Zinedine Zidane, Thierry Henry et Lilian Thuram étaient les arbres qui cachent la forêt.
21Abandonnons brièvement cette approche critique de l’intégration par le sport. Le sport est en effet un microcosme de notre société. Il est un facteur d’éducation aux rôles, aux responsabilités et au respect de l’autre. Son organisation et ses règles requièrent que les acteurs du sport les connaissent, qu’ils les respectent. Le sport est, plus que jamais, une activité à laquelle chacun peut participer, selon ses capacités et ses besoins. À ce titre l’intégration doit viser l’égalité de chance, même si l’égalité de niveau, de performance, est à jamais une illusion. À cet égard, Patrick Mignon écrit encore que « le sport en général constitue une reprise du principe égalitaire […], il initie aux valeurs de justice et d’égalité, qu’il confronte à la réalité de l’inégalité et à la part de la chance et du hasard »21.
Une vision contemporaine qui met en cause la capacité socialisatrice du sport
22Cette conception positive est aujourd’hui mise en cause par divers auteurs22. Ils ne sont pas uniquement sociologues ou pédagogues. Certains d’entre eux sont économistes.
23Gasparini estime que la vision d’une capacité socialisatrice et intégratrice du sport
repose sur un mythe qui s’exprime à travers « l’idéologie sportive » promue par les pères fondateurs du sport moderne. En premier lieu, le schème des vertus sociales et éducatives du sport est suffisamment vague (de la pacification des banlieues à la sociabilité et la réalisation de soi) pour emporter une adhésion peu critique ; ainsi en est-il de la conviction largement partagée que la seule pratique sportive peut produire, au-delà des stades, un comportement citoyen et éthique. Par ailleurs, cette doxa est relayée par un « cercle de croyants » bien plus large que les seuls représentants du mouvement sportif, ceux-là mêmes qui, historiquement, ont toujours défendu les vertus du sport de compétition.23
Ces réflexions soulignent combien le discours sur l’intégration par le sport serait chargé d’une valeur symbolique, pour le politique et pour les acteurs sociaux. Il faut donc, pour le décoder valablement, passer par une approche de terrain qui libérerait de la symbolique, véhiculée par la tradition consensuelle des discours politiques, sociologiques ou psycho-sociaux. L’identification de bonnes pratiques, la mesure de leurs forces et faiblesses, la capacité à saisir des opportunités et à écarter les menaces seront autant de voies à parcourir pour réconcilier le sport et l’intégration qui, selon la posture scientifique de Sayad serait un « processus dont on ne peut parler qu’après coup, pour dire qu’elle a réussi ou qu’elle a échoué ; un processus qui consiste à passer de l’altérité la plus radicale à l’identité la plus totale »24.
Réconcilier le sport et l’intégration sociale par les bonnes pratiques
24Dans une étude publiée en 2009, Vandermeulen et Cloes25 nous mettent sur la piste de la réconciliation entre sport et intégration sociale. Ils ont répertorié les objectifs poursuivis par les responsables de différents projets d’intégration par le sport. Ils estiment que
les personnes qui s’investissent dans des actions de « sport social » agissent spontanément dans la perspective d’apporter un bénéfice aux participants. En effet, s’occuper de personnes socialement défavorisées relève d’un idéal centré sur l’humain. Dans le sport « traditionnel », ces valeurs peuvent être partagées mais elles sont généralement placées en arrière-plan.26
Ils notent également qu’il n’y a pas de moment privilégié pour l’utilisation des activités sportives dans un souci d’intégration et concluent que « les actions menées sur le terrain nécessitent un investissement permanent »27. Le fonctionnement des structures d’accueil reposant sur le bénévolat ou des rémunérations officieuses par manque de statut professionnel adapté, un fossé se crée entre besoins et réalisation. La plupart des activités d’intégration par le sport se déroulent dans des infrastructures sportives spécifiques ou non. Il semble logique, pour Vandermeulen et Cloes, que le sport soit pratiqué dans des infrastructures traditionnelles. Toutefois, lorsque l’on considère leur degré de saturation, il est possible de s’interroger sur les difficultés rencontrées par les responsables de projets pour y obtenir des créneaux horaires.
25L’apport principal des activités souligne leur adéquation par rapport aux objectifs annoncés dans le domaine d’intervention concerné et se distinguerait des thèmes généralement présents dans les activités sportives traditionnelles. En effet, la « vie en groupe », le « comportement et l’attitude envers les autres » et le « respect » seraient centraux, de telle sorte qu’il semble bien que les responsables des structures impliqués dans l’enquête qu’ont menée les auteurs estiment clairement jouer un rôle social.
26Sur la base d’une analyse des facteurs favorables ou défavorables aux initiatives en matière de « sport social » mais aussi des facteurs qui en limiteraient le développement, Vandermeulen et Cloes proposent de concentrer les énergies sur quatre axes qui généreraient le succès des actions d’intégration par le sport. Il s’agit de la promotion dans le but d’amener une prise de conscience du support, afin de contribuer à l’amélioration des conditions d’intégration par le sport, de l’analyse pour permettre de développer des connaissances pertinentes dans le domaine, et de la coordination des actions dans le cadre d’une planification afin d’en augmenter l’efficacité.
Conclusion
27L’ambition de notre réflexion était d’éclairer trois valeurs humanistes dont l’Olympisme se dit porteur. Il s’agissait d’en réaffirmer la pertinence et parallèlement de proposer quelques modalités susceptibles d’en rendre la pratique opportune. C’est donc à une confrontation des concepts, des arguments et de certains faits que nous avons procédé en vue de tenter de donner un juste sens à la capacité prêtée aux activités physiques et sportives, dans le contexte de l’Olympisme, d’être des vecteurs de promotion de l’intégrité, d’une forme d’idéalisme et de l’intégration. Nous concluons en affirmant que ces valeurs sont, plus que jamais, centrales pour qui a l’ambition de développer un humanisme olympique, ou, pour être plus précis, l’humanisme par l’Olympisme.
Notes de bas de page
1 Claus Tiedemann, Sport (and culture of human motion) for historians. An approach to precise the central term(s), lecture held at the IX international CEHS Congress, 25 september 2005, Crotone, Italy.
2 Jacques Personne, Aucune médaille ne vaut la santé d’un enfant, Paris, Denoël.
3 Roland Renson, Ameye Thomas, Marc Maës, « Coubertin », Bulletin du Bureau International de Pédagogie sportive, 1931, n° 4, p. 10.
4 Pierre de Coubertin, Bulletin du bureau International de Pédagogie Sportive, 1931, n° 4, p. 10.
5 Ibid.
6 Roland Renson, Scouting at the Olympics : Boys Scouts and Girl Guides as Olympic volunteers (1912-1998), Journal of Olympic History, 2011, n° 19, p. 6-17.
7 Charte olympique, 2010, extrait.
8 Albert Jacquard, Halte au Jeux !, Stock, 2004, p. 95-110.
9 Guy Verhofstadt a été Premier Ministre belge. Il est actuellement le président du groupe parlementaire libéral au Parlement Européen.
10 Gilbert Andrieu, Les Jeux olympiques : un mythe moderne, L’Harmattan, coll. Espaces et temps du sport, 2004, 186 p.
11 Roland Renson, « sport een cultuur », Sport cahier, 1970, n° 1, p. 12-22.
12 Déclaration relative aux caractéristiques spécifiques du sport et à ses fonctions sociales en Europe, devant être prises en compte dans la mise en œuvre des politiques communes, Conclusions de la Présidence, Conseil Européen de Nice, 2000.
13 Ibid.
14 Anne Marcellini, Nicolas Lefèvre, Gilles Bui-Xuan, « d’une minorité à l’autre… Pratique sportive, visibilité et intégration sociale des groupes stigmatisés », Loisir et Société, volume 23, n° 1, p. 251-272.
15 William Gasparini, « l’intégration par le sport. Genèse d’une croyance collective », Sociétés contemporaines, 2008, n° 69, p. 7-21.
16 William Gasparini, Gilles Vieille-Marchiset, Le sport dans les quartiers : pratiques sociales et politiques publiques, PUF, 2008, 176 p.
17 Patrick Mignon, « sport et politique », Politix, 2000, n° 50, 205 p.
18 Ibid.
19 Ibid.
20 Ibid.
21 Patrick Mignon, op. cit.
22 Anne Marcellini, op. cit. E. Gerlach, W.D. Brettschneider, Effects of Physical Activity in Sports Clubs on Self-Concept and Health in Children, dans H.W. Marsh, J. Baumert, G. E. Richards, U. Trautwein (Eds.), Self-Concept, Motivation and Identity : Where to from Here ?, Collected Papers of the Third Biennial Self-Concept Enhancement and Learning Facilitation (SELF) Research Centre International Conference, Berlin, July 4-7, 2004. William Gasparini, L’intégration par le sport, op. cit.
23 William Gasparini, op. cit.
24 William Gasparini, op. cit.
25 M. Vandermeulen, M. Cloes, Analyse des structures valorisant le rôle social du sport en Communauté Wallonie-Bruxelles, Département des Sciences de la motricité, université de Liège, Belgique, eJRIEPS, 16 janvier 2009.
26 Ibid.
27 Ibid.
Auteurs
Université de Gand
Université de Leuven
Université catholique de Louvain
Thierry Zintz est professeur en Management des Organisations Sportives et doyen de la Faculté des Sciences de la Motricité de l’Université catholique de louvain (Belgique). Il y est titulaire de la Chaire olympique Henri de Baillet latour – Jacques Rogge. Il collabore avec la Louvain School of Management comme chercheur senior au Center for Research in Entrepreneurial Change and Innovation Strategies (CRECIS). Il est vice-président du Comité Olympique et Interfédéral Belge depuis 2001 et président de l’European Observatory of Sport and Employment (EOSE). Il a publié chez De Boeck, en 2014, Management et évaluation de la performance. Un défi pour les organisations sportives.
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