Genre et Olympisme : problèmes du passé et enjeux du présent
p. 53-70
Texte intégral
1Pressés par l’injonction égalitaire de nos sociétés occidentales et le constat du maintien des hiérarchies entre les sexes, les défenseurs de l’olympisme comme la plupart des spécialistes s’étant intéressés à son histoire utilisent généralement un même indicateur pour analyser ses relations au genre : la participation des femmes aux Jeux olympiques. Les uns observent une progression telle en la matière qu’ils concluent à un effet d’entraînement ou de modèle pour les sociétés dans lesquelles les principes d’égalité femmes-hommes ne sont pas reconnus à leur juste valeur. Les autres concèdent des « progrès », tout en relevant d’évidentes insuffisances. Or l’analyse est ici doublement tronquée, parce qu’elle néglige à la fois la complexité et les dynamiques contextuelles. D’une part, en effet, le « genre » est un outil conceptuel qui permet d’envisager bien davantage que les indicateurs quantitatifs d’une participation des femmes à une activité initialement réservée aux hommes. Il désigne la construction sociale des identités féminines et masculines et l’organisation sociale des rapports sociaux de sexe1. En tant que telle, son utilisation pour comprendre le sport peut donc porter tout à la fois sur les individus, les pratiques, les discours et les institutions. L’olympisme, qui comprend des organisations (CIO, CNO), des champions et des championnes, des événements aussi médiatisés que les Jeux olympiques, et un système de rites et de valeurs − que nous apprend par exemple le rituel de l’allumage de la flamme sur le site d’Olympie en termes de stéréotypes féminins ? −, constitue donc un objet complexe que l’on peut appréhender par bien des facettes différentes. Il conviendrait par exemple d’apprécier quels modèles de masculinité et de féminité l’olympisme a pu implicitement ou explicitement favoriser. D’autre part, le constat d’une présence féminine en hausse ne dit pas grand-chose du contexte qui lui donne sens. Pointer l’augmentation d’un indice peut certes se traduire en termes de progrès, mais ces transformations peuvent en réalité refléter tout aussi bien une accélération de l’égalité entre les sexes qu’un renforcement de l’ordre du genre traditionnel. Entre la critique, toujours aisée, d’une institution qui stigmatise et exclut, et un discours tout aussi lénifiant qui n’envisage que les « progrès » enregistrés sur tel ou tel aspect de la participation des femmes, il y a pourtant la place pour une attitude plus distanciée, qui tente de comprendre la position historique de l’olympisme non pas au regard d’un idéal égalitaire, mais plutôt en le référant à la succession des contextes plus particuliers dans lesquels il s’est développé. Dès lors, tout porte à croire que la machine olympique est passée d’un registre globalement plutôt conservateur au regard des nations sportives qui l’ont fondé à une orientation davantage proactive en faveur d’une égale reconnaissance des hommes et des femmes.
Mouvement olympique et renforcement de l’ordre du genre (fin XIXe siècle-années 20)
2Dans ses premières années, l’olympisme s’est développé sous l’action et la philosophie d’un personnage central : Pierre de Coubertin. Ce n’est pas faire injure à la vérité historique que d’affirmer que le CIO s’est alors construit sur un mode largement autocratique, au moins jusqu’à la mise en place du comité exécutif au début des années 202. L’olympisme a été défini par ses défenseurs sur la base d’une idéologie de l’égal accès de tous (et donc théoriquement de toutes) au sport3, sous certaines conditions, mais l’Histoire nous apprend que l’institution olympique a en réalité davantage valorisé des idéaux masculins que féminins, occidentaux qu’orientaux, blancs que noirs. Règlements, participation, hégémonie masculine des dirigeants, médiatisation confirment plus particulièrement la manière dont le système olympique a eu tendance à reproduire, voire à renforcer les différences et, au-delà, la hiérarchie entre les sexes.
3Pour Coubertin, les Jeux olympiques sont une affaire d’hommes. Quelques mois avant la fin de sa vie, il écrit encore : « Le seul véritable héros olympique, je l’ai dit, c’est l’adulte mâle individuel. Par conséquent, ni femmes, ni sports d’équipes »4. Cet idéal masculin est défini en parfaite conformité avec les codes en usage dans les cercles de la bourgeoisie éclairée et de l’aristocratie républicaine dans lesquels circule le rénovateur des Jeux. La masculinité coubertinienne répond ainsi aux caractéristiques d’une élite sociale blanche, urbaine, chrétienne, hétérosexuelle et conquérante, si ce n’est en des termes martiaux, du moins en des termes économiques et impérialistes. Elle se construit à travers des expériences motrices diversifiées (sauvetage, défense, locomotion), mais si possible individuelles, comme en témoignent ses propos sur l’éducation sportive de l’adolescent, ses perspectives sur la gymnastique utilitaire ou même son enthousiasme récurrent pour un sport qu’il impose au programme olympique : le pentathlon moderne5. Elle s’oppose à la fois aux masculinités ouvrières et rurales, plus collectives et moins conquérantes, avec lesquelles elle ne partage guère que l’hétérosexualité normative et l’utilitarisme viril. Et bien que Coubertin ait été opposé aux Jeux anthropologiques de Saint-Louis, la masculinité idéale promue par l’olympisme n’est alors guère compatible avec les alternatives non occidentales. Est-ce un hasard si c’est un Amérindien, Jim Thorpe, double champion olympique dans deux épreuves combinées (décathlon et pentathlon)6 et à ce titre modèle idéal d’homme aux yeux des promoteurs de l’olympisme, qui fut le premier athlète disqualifié de l’histoire des Jeux pour fait de professionnalisme ? Surtout lorsque l’on sait que bien d’autres, en escrime ou en tir par exemple, étaient loin de respecter les règles de l’amateurisme.
4La conception que Coubertin a de la féminité fonctionne logiquement en symétrie de la manière dont il perçoit les hommes et définit la masculinité. Il s’en explique notamment dans ses Notes sur l’Éducation publique quand il pose pour principe que « le rôle de la femme reste ce qu’il a toujours été : elle est avant tout la compagne de l’homme, la future mère de famille, et doit être élevée en vue de cet avenir immuable »7. Rien de bien surprenant, à vrai dire, dans cette vision des femmes à confiner dans la sphère domestique et à orienter vers la double fonction de femme et d’épouse. Le discours rejoint celui d’une frange dominante de médecins et scientifiques qui procèdent à la justification scientifique de la position dominée des femmes. Elle est aussi en étroite filiation avec une large partie des milieux de l’éducation qui jugent l’instruction dangereuse pour les filles au prétexte, précisément, qu’elles n’auraient pas la capacité intellectuelle et physique pour cela. Elle est enfin en adéquation avec les discours sur l’activité physique des femmes dans les domaines du sport ou de la gymnastique. Mais ce qui est une norme encore peu remise en cause en France à la fin du XIXe siècle n’est plus aussi hégémonique quelques années plus tard. Aux États-Unis, en Angleterre, les femmes accèdent, certes au prix de nombreuses difficultés, à des positions professionnelles qui leur étaient encore interdites quelques décennies plus tôt. Les corsets sont progressivement condamnés par les filles de celles pour qui son port était intégré dans la banalité du quotidien il y a encore peu. Des pratiques sportives se féminisent8. L’orthodoxie des modèles de féminité bourgeois est bousculée avant même la Grande Guerre qui lui infligera un coup plus radical. Mais Coubertin ne veut pas voir ces transformations. Tout juste admet-il que, face à des comportements qu’il désapprouve mais ne peut pas toujours interdite, il convient d’en limiter la visibilité. Encore en 1935, il admettra :
Je n’approuve pas personnellement la participation des femmes aux concours publics, ce qui ne signifie pas qu’elles doivent s’abstenir de pratiquer un grand nombre de sports, mais sans se donner en spectacle. Aux Jeux olympiques, leur rôle devrait être surtout, comme aux anciens tournois, de couronner les vainqueurs.9
C’est donc bien le rejet de l’exemplarité d’un modèle de féminité en rupture avec ses conceptions qui rejaillit dans le propos du Baron.
5L’équivalent politique de ce refus symbolique se retrouve dans l’institution olympique elle-même. Là, la question des rapports sociaux de sexe peut être utilement analysée en termes de relations de pouvoir entre les hommes et les femmes, une relation qui se reflète dans les positions des uns et des autres au sein des lieux de décision (CIO, CNO) ou, de manière plus pragmatique encore, dans l’accès aux espaces les plus visibles de la pratique sportive : les Jeux olympiques.
6Sur le premier point, il est clair que les instances olympiques et tous les lieux de décision demeurent sur cette période hermétiquement fermés aux femmes. Reflet de la position dominée des femmes dans la sphère politique au sein des sociétés occidentales, celles-là mêmes qui président aux destinées de l’olympisme, cette situation provoque, un quart de siècle après la rénovation des Jeux modernes par Coubertin, l’émergence d’un mouvement concurrent, dont la gouvernance, totalement féminine, expose en des termes assez radicaux et ostensibles la division sexuelle du monde sportif. Car Alice Milliat, puisqu’il s’agit d’elle, a dans un premier temps tenté de plaider la cause d’une meilleure intégration des femmes dans les Jeux olympiques avant d’être amenée, devant le refus poli mais systématique auquel elle se heurte, à utiliser le jeu institutionnel pour rendre visible la position dominée des femmes et leur donner un pouvoir décisionnel10. En 1921, elle lance ainsi l’idée d’une « olympiade féminine » qui se déroule à Monte-Carlo, en avril, avec des délégations de la Grande-Bretagne, de la Suisse, de l’Italie, de la Norvège et de la France. Une seconde édition a lieu l’année suivante, avec deux nations supplémentaires, la Belgique et la Tchécoslovaquie, avant que le CIO ne parvienne à mettre fin à l’initiative. Peu importe car dès 1921, Alice Milliat avait aussi fondé l’équivalent féminin du CIO, la Fédération Sportive Féminine Internationale, afin de gérer le sport féminin mondial. Sous sa présidence, elle met en place des Jeux mondiaux dont la première édition se tient à Paris en 1922, puis selon un rythme quadriennal valant pied-de-nez au CIO en 1926 à Göteborg, en 1930 à Prague et, pour l’ultime fois, en 1934 à Londres11. En outre, sur cette même période, elle organise une série de neuf congrès sur les questions de la pratique sportive des femmes, s’emparant ainsi d’un sujet que les dirigeants de l’olympisme avaient préféré évacuer de leurs débats. En 1905, lors du congrès olympique de Bruxelles, par exemple, la participation des femmes avait bien été mise à l’ordre du jour, mais Coubertin était parvenu à renvoyer le sujet à une période « plus appropriée », signifiant ainsi son hostilité à négocier l’indiscutable.
7Sur le second point, qui témoigne aussi d’une position dominée des femmes dans le mouvement olympique, la participation des athlètes féminines dans les premiers Jeux mérite quelques remarques. Partons d’abord d’un constat : jusqu’à la fin des années 40, soit pendant plus d’un demi-siècle d’olympisme moderne, la présence des femmes aux Jeux olympiques se réduit à une poignée de sportives dont le pourcentage par rapport à l’ensemble des participants demeure inférieur à 10 %. Les tableaux d’évolution de ces taux sont désormais largement connus et diffusés12. Les femmes sont absentes des Jeux olympiques d’Athènes en 1896 ; elles sont 19 à Paris quatre ans plus tard, puis leur nombre redescend à 6 à Saint-Louis. Elles sont 36 à Londres en 1908, 57 à Stockholm en 1912, 77 à Anvers en 1920 et 136 à Paris en 1924. En pourcentage du nombre total de participants, elles demeurent néanmoins sous les 5 % ; quant au nombre de nations concerné, il va de 1 à 20. Enfin, le nombre d’épreuves auxquelles les femmes sont conviées est de 3 jusqu’en 1908 ; il double en 1912 et 1920 et atteint 11 en 1924 sur un total de 126 (tableau 1).
8On pourrait tirer de ces données l’idée que la participation des femmes se développe en suivant les lents progrès du sport féminin dans la société. Une telle affirmation est fausse. Au regard de l’ensemble des nations où le sport s’est imposé le plus précocément, les femmes pratiquent bien davantage de disciplines, y compris sous la forme de compétitions. La réduction du programme olympique est en décalage avec ce qu’est la pratique sportive féminine à la Belle Époque. On pourra rétorquer que le CIO n’a pas formellement interdit la présence des femmes aux Jeux. Mieux même : Coubertin a, à plusieurs reprises, été mis en minorité lors du congrès de 1914 avec sa proposition de limiter davantage la présence des femmes dans l’enceinte olympique13, puis à nouveau en 1920. Mais à une époque où les relations entre l’instance créée par Coubertin, les comités d’organisation des Jeux olympiques et les fédérations internationales étaient encore fragiles, le pouvoir était encore largement entre les mains des deux derniers, raison d’ailleurs pour laquelle, au demeurant, il convient de ne pas réduire le « mouvement olympique » au seul CIO. Or, les organisateurs, tout comme les dirigeants fédéraux, sont en majorité favorables aux conceptions de Coubertin. On observe ainsi que les premiers sports féminins du programme olympique correspondent tous, sans exception, à des activités où l’acceptabilité sociale est la plus haute, soit parce qu’il s’agit de sports pratiqués dans la très haute bourgeoisie où les styles de vie s’accordent d’une certaine mixité hommes-femmes (golf, tennis, tir à l’arc)14, soit parce qu’il s’agit d’activités désignées précisément comme féminines par excellence en raison de leur vertus hygiéniques (natation)15. En outre, tout semble indiquer en réalité que les organisateurs n’aient pas souhaité la présence des femmes. Si à Paris, en 1900, des joueuses de tennis sont aux Jeux, c’est en fait qu’elles ont l’habitude de jouer des matches au sein des clubs dont elles sont membres, clubs qui s’affrontent précisément lors des Jeux. De même à Saint-Louis, en 1904, l’épreuve de tir à l’arc reconnu dans le programme olympique est en fait le championnat américain de la discipline, organisé annuellement depuis un quart de siècle, ce qui explique d’ailleurs qu’il n’y ait que des compétitrices américaines à cette occasion. Quant aux nageuses admises lors des Jeux de Stockholm sous la pression des Britanniques, elles n’ont droit qu’à une seule épreuve : le 100 mètres nage libre.
9La réduction de l’offre du programme olympique est un premier mécanisme démontrant la position du mouvement olympique au regard de la participation des femmes. Trois autres viennent cependant cumuler leurs effets. L’un est le refus opposé aux sportives désireuses de concourir, sous des prétextes divers allant du surcoût pour l’organisation à des délais d’inscription dépassés. C’est ainsi qu’à Athènes, en 1896, une mère grecque de trois enfants, Stamata Revithi, demande à participer au marathon olympique prévu le 29 mars et, devant le refus des organisateurs, est amenée à le courir le lendemain matin, sa performance étant même attestée par les officiels mis devant le fait accompli16. En 1912, Helen Preece se heurte au même refus des organisateurs suédois (en fait à l’absence de réponse) pour sa demande de participation aux épreuves de pentathlon moderne17.
10Un autre mécanisme de marginalisation visible dans les premiers programmes consiste à repousser les femmes dans des épreuves de démonstration au détriment des véritables compétitions, c’est-à-dire avec un statut différent qui hiérarchise les productions masculines et féminines. En effet, tous les chiffres de la participation féminine donnés plus haut minimisent considérablement la place des femmes dans l’événement. Selon le travail détaillé réalisé par Ana Maria Miragaya, les sources officielles du CIO indiquent que 112 femmes ont pris part aux Jeux olympiques avant la Grande Guerre alors que, en recoupant ces chiffres avec d’autres sources, elles furent en réalité près de quatre fois plus nombreuses, soit 41618 !
Tableau 2 : Présence des femmes aux premiers Jeux olympiques selon leur statut (à partir des chiffres fournis par Miragaya Ana Maria, op. cit.)
Jeux olympiques | Statuts des participantes | Nombre total | Sources CIO |
1896 | Non officiel : 1 | 1 | 0 |
1900 | Extra-officiel : 2 | 25 | 19 |
1904 | Compétition : 8 | 8 | 6 |
1908 | Compétition : 36 | 63 | 36 |
1912 | Compétition : 58 | 293 | 57 |
11Autant de femmes n’ont participé aux Jeux que sous la forme de démonstrations, moins parce qu’un vivier de compétitrices n’aurait pas existé que parce que la compétition même, symbole de lutte et d’effort, est associée aux stéréotypes de la masculinité et s’oppose à ceux de la féminité.
12En outre, qu’il s’agisse de compétition ou de démonstration, les organisateurs ou le CIO opèrent parfois un travail d’oubli lors de la rédaction des rapports officiels, amenant à ne pas identifier certaines des concurrentes dont, pourtant, la présence est confirmée par d’autres sources. Ainsi, à Paris en 1900, 22 femmes ont par exemple été autorisées à prendre part à différentes épreuves : sept en tennis, dix en golf, mais aussi trois en croquet, une en sports équestres et une en yachting. Or à ces chiffres devraient être ajoutées trois femmes qui n’apparaissent pas dans les bilans officiels : une en sports équestres et deux en ballons19.
13Réduction du programme, refus de participation, valorisation des démonstrations et oublis de la mémoire sont autant d’indices de discriminations faites aux femmes. Les quelques sportives qui parviennent à forcer les portes du stade sont d’ailleurs encore en nombre trop important pour Coubertin qui demeure toute sa vie hostile aux « olympiades femelles », parce que les Jeux doivent demeurer un symbole de la masculinité conquérante. Et puisque des compétitions mixtes conduiraient inéluctablement à la victoire des hommes, il ne reste que la solution d’épreuves ou même de Jeux olympiques distincts. Or, conclut-il :
Impratique, inintéressante, inesthétique, et nous ne craignons pas d’ajouter : incorrecte, telle serait à notre avis cette demi-Olympiade féminine. Ce n’est pas là notre conception des Jeux olympiques dans lesquels nous estimons qu’on a cherché et qu’on doit continuer de chercher la réalisation de la formule que voici : l’exaltation solennelle et périodique de l’athlétisme mâle avec l’internationalisme pour base, la loyauté pour moyen, l’art pour cadre et l’applaudissement féminin pour récompense.20
14Coubertin se voulait certes internationaliste et volontiers ouvert au monde anglo-saxon ; du point de vue de l’ordre du genre, il était en fait pénétré de la culture française traditionnelle qui l’avait façonné. Éduqué à l’aune de la vision traditionnelle des rapports de sexe propres à l’aristocratie libérale qui a traversé la Troisième République, il n’a jamais vraiment élargi son horizon sur la place des femmes, négligeant les avancées considérables que connaissent alors les sociétés américaines et britanniques en la matière. Coco Chanel, qui repose à quelques mètres de Pierre de Coubertin dans le cimetière de Lausanne, à quelques encablures du siège du CIO, aura bien davantage fait pour la cause des femmes que le rénovateur de l’olympisme.
Le mouvement olympique, reflet d’un patriarcat banal (années 20-années 70)
15Après 1925, le retrait de Coubertin, la concurrence de la Fédération Sportive Féminine Internationale et la reconnaissance des droits civils des femmes dans la plupart des grandes nations sportives du monde à l’exception notable de la France et de la Suisse21 favorisent une inflexion significative des positions de genre dans le mouvement olympique. Toutefois, d’autres facteurs jouent, dans les années soixante, un rôle tout aussi considérable. Pendant une quarantaine d’années, l’olympisme est ainsi entraîné dans une série de renouvellements qui le dépassent et que l’institution olympique accompagne, bon gré, mal gré, hésitant selon les cas entre conservatisme et progrès social.
16Du point de vue de la transformation des modèles de masculinité et de féminité mis en scène par l’institution olympique, deux conjonctures sont à privilégier, à commencer par le « moment 28 » pour s’achever dans les années 60 et 70. Sur fond de culture coloniale en Europe et de ségrégation raciale aux États-Unis, les Jeux olympiques d’Amsterdam constituent en effet, malgré leur médiatisation modeste, une rupture dans la visibilité d’un nouveau modèle de masculinité. Avec la victoire d’Ahmed Boughera El Ouafi dans le marathon olympique, le monde découvre ainsi qu’un homme « noir » est capable de performances supérieures aux hommes blancs dans une épreuve où la conviction d’une hiérarchie entre les « races » est extrêmement forte. Après l’ébranlement des certitudes provoqué par les succès des boxeurs de couleur22, voilà que l’athlétisme de fond révèle à son tour un potentiel physique pouvant concurrencer les qualités viriles des dominants de toujours. L’historien américain Mark Dyerson a démontré qu’aux États-Unis, la performance de l’Algérien a durablement modifié les représentations scientifiques sur les capacités physiques des « noirs »23. Certes, les Européens seront moins touchés, sans doute parce que la Fédération Française d’Athlétisme disqualifie El Ouafi pour professionnalisme et le fait retomber du jour au lendemain dans l’oubli collectif24. Pourtant, bientôt, l’admiration que provoque un Jess Owens en s’imposant face aux sprinters blancs et devant les yeux de celui qui, dans les tribunes, fait déjà trembler le monde, confirme la coexistence d’un nouveau modèle de masculinité, certes largement fantasmé, mais qui assume sa visibilité grâce aux Jeux olympique. Dans les années 60, avec les indépendances des nations africaines et leur reconnaissance par le CIO, les masculinités noires, dans une plus grande diversité encore, semblent trouver un terrain d’expression encore plus favorable.
17À vrai dire, le « moment 28 » pèse sans doute moins sur les modèles de féminité que sur les modèles de masculinité. Si les femmes sont plus présentes que jamais à Amsterdam, les discours du monde de l’olympisme n’évoluent en revanche guère à cette occasion. L’essentialisation de l’infériorité supposée des femmes, le maintien de représentations les enfermant dans des attributs spécifiques, la conviction qu’elles sont faites pour être épouses et mères ou l’idée que l’effort intense n’est approprié ni à leur tempérament, ni à leurs capacités, tout ceci traverse les décennies sans réelle transformation. En France comme ailleurs, les femmes accèdent toujours davantage à des positions qui leur étaient interdites dans les sphères politiques, économiques et sociales, mais elles le font en étant contestées. Il faut en fait attendre les années 60 et 70 pour que la féminité traditionnelle fasse l’objet d’une critique militante systématique dans plusieurs pays. Et c’est dans ce contexte qu’apparaissent dans les Jeux olympiques des modèles alternatifs de féminité qui bousculent d’une certaine manière la norme.
18Ces nouveaux modèles sont au moins au nombre de trois. Le premier vient de l’Est. Lorsque le sport s’impose au cœur de la guerre froide comme un moyen d’afficher sur l’autre camp une supériorité symbolique attestée par le classement des nations selon le nombre de médailles remportées, les pays de l’Est, URSS et Allemagne de l’Est en tête, fondent une partie de leurs espoirs de succès sur la préparation systématique de sportives, c’est-à-dire là où la concurrence semble provisoirement moins forte que dans les épreuves masculines. En utilisant des programmes d’entraînement pensés pour les hommes, en puisant dans un arsenal thérapeutique que la lutte antidopage, encore non organisée, est incapable de détecter, les Soviétiques et les Allemandes exposent bientôt, par leur victoire, l’image de corporéités nouvelles, plus masculines (selon les codes occidentaux) et où le muscle et la puissance ne semblent plus une exclusivité masculine.
19Le second modèle est celui qui renvoie à la femme-enfant, la femme en devenir. Avec l’exploit de la jeune roumaine Nadia Comaneci à Montréal en 1976, l’image d’une féminité en construction conjugue idéalement esthétique, grâce et performance dans une compétition où les hiérarchies générationnelles traditionnelles sont brutalement renversées. La perfection d’un 10/10, accentuée par l’impact des retransmissions télévisées qui touchent désormais la plus grande partie de l’humanité, perturbe les logiques traditionnelles dans lesquelles se reconnaissait le monde olympique.
20Le troisième modèle est celui qu’incarne « la Perle noire ». L’Américaine Wilma Rudolph est la première athlète à descendre sous les 23 secondes au 200 mètres. Triple médaillée d’or à Rome en 1960, elle y éblouit autant par ses performances que par la grâce de son allure. Son histoire, aussi, est importante : dix-septième enfant d’une famille de vingt et un, elle est issue d’une famille modeste du ghetto noir de Bethlehem et a été gravement touchée par une double pneumonie et la poliomyélite dans son enfance. Dès lors, en adoptant les codes féminins dominants dans sa coiffure comme dans ses attitudes et en démontrant par sa trajectoire que l’effort récompense, elle donne une visibilité nouvelle et fédératrice à la féminité noire.
21Enfin, l’olympisme permet à des types de féminité et de masculinité tout à fait marginaux jusqu’ici d’être associés à leur tour à l’excellence sportive. À Rome, en 1960, 400 athlètes de 23 nations s’opposent dans des « Jeux olympiques parallèles » requalifiés de premiers Jeux paralympiques. En projetant des représentations inédites du handicap, l’événement brouille les repères et entreprend de renouveler les associations traditionnelles entre invalidité, dégénérescence physique et atonie sexuelle25.
22Tous ces nouveaux modèles de masculinité et de féminité s’expriment aux Jeux olympiques et bénéficient grâce à eux d’une visibilité croissante. Cependant, l’institution olympique est équivoque et hésitante. La masculinité noire est par exemple repoussée aux limites de la visibilité, qu’il s’agisse de la mise en place de Jeux africains26, donc en marge des JO, dans les années 20 ou, quarante ans plus tard, des tergiversations pour intégrer les CNO africains nouvellement créés au sein du CIO27. Quant à la féminité, les réactions crispées de l’institution face à des alternatives qui dérangent peuvent s’appréhender à travers la mise en place de tests de féminité imposés lors des Jeux olympiques à compter de 1968. Les femmes peuvent réaliser des exploits sur les stades, mais doivent prouver que, ce faisant, elles n’ont pas abandonné leur « nature » féminine, révélée d’abord anatomiquement, puis de manière plus sophistiquée par la suite, génétiquement28.
23La participation des femmes dans les lieux de décision comme dans les Jeux olympiques demeure un bon indicateur du maintien des hiérarchies de pouvoir entre les sexes. Des années 20 aux années 70, plusieurs propositions ont été portées à l’attention des présidents successifs et des membres du CIO pour favoriser la cooptation de femmes, mais la question a systématiquement été repoussée. Dans les années 60 et 70 encore, la France, par les voies de Jean de Beaumont puis de Maurice Herzog, se heurte à un même refus, même si c’est une Française, Monique Berlioux, qui succède en l’occurrence à Otto Mayer comme directrice générale du CIO. La place des femmes dans les CNO est à l’image de celle qu’on observe au CIO, c’est-à-dire à peu près nulle.
24Quant à la présence des femmes aux Jeux olympiques, s’il est vrai qu’elle augmente, elle plafonne cependant à moins de 10 % jusqu’en 1952 et dépasse rarement les 15 % avant 1972, avant de se stabiliser autour de 20 % en 1976 et 1980. Le programme olympique a connu en 1928 une inflexion majeure avec l’accord sur l’athlétisme, même réduit à cinq épreuves, mais à Amsterdam, les Britanniques organisent le seul boycott féminin de l’histoire olympique, en ne participant pas aux Jeux afin de dénoncer les disparités dont sont victimes les femmes dans les épreuves. De fait, après l’athlétisme et la gymnastique en 1928, le programme des Jeux d’été s’enrichit uniquement des sports équestres en 1952 et du tir à l’arc en 1972, et il faut attendre le milieu des années 60 pour que les sports collectifs, avec leurs connotations masculines, soient concernés : volley en 1964, puis basket et handball en 1976, et hockey en 1980. C’est en fait surtout dans les épreuves, à l’intérieur des disciplines, que les progrès sont les plus importants, au fur et à mesure qu’elles apparaissent au sein des fédérations internationales concernées. Les épreuves féminines représentaient 13 % de l’ensemble des épreuves olympiques en 1928 ; le taux a quasiment doublé en 1980 (24,63 %) tout en demeurant deux fois inférieur au taux des épreuves masculines (tableau 3).
Tableau 3 : Participation des femmes aux Jeux olympiques (sources : CIO)
Année | Sports | Épreuves | Participantes | % |
1928 | 4 | 14/109 | 290 | 9,6 |
1932 | 3 | 14/117 | 127 | 9 |
1936 | 4 | 15/129 | 328 | 8,1 |
1948 | 5 | 19/136 | 385 | 9,4 |
1952 | 6 | 25/149 | 518 | 10,5 |
1956 | 6 | 26/151 | 384 | 16,1 |
1960 | 7 | 29/150 | 610 | 11,4 |
1964 | 7 | 33/163 | 683 | 13,3 |
1968 | 7 | 39/172 | 781 | 14,2 |
1972 | 8 | 43/195 | 1058 | 14,8 |
1976 | 11 | 49/198 | 1247 | 20,7 |
1980 | 12 | 50/203 | 1125 | 21,5 |
25Sur ce demi-siècle couvrant la période des années 20 aux années 70, le mouvement olympique est globalement à l’image des sociétés qui le composent. Il reflète l’ordre du genre que l’on retrouve dans la plupart des nations sportives. Les discours demeurent conservateurs mais les réticences frontales d’un Coubertin ont fait place à des mécanismes plus cachés. L’institution est traversée par le maintien des codes et stéréotypes sexués ; elle est modelée par les divisions hiérarchisées et essentialisées des hommes et des femmes, que l’on observe aussi dans les sphères économiques et politiques. Complice d’un système qui la dépasse, elle ne fait cependant rien pour le transformer dans un sens ou dans un autre et participe à ce titre à la banalisation d’une économie politique des rapports sociaux de sexe.
Mouvement olympique et impulsion égalitaire (années 80-2000)
26Depuis les années 1980, le monde de l’olympisme a revu ses valeurs et sa gouvernance. Il s’est professionnalisé dans tous les sens du terme. La place des médias et des partenaires économiques n’y a jamais été aussi forte. Dans ce contexte, masculinité et féminité bénéficient de plusieurs prolongements qui, d’une certaine manière, s’opposent tout en contribuant à leur renouvellement.
27D’une part s’observe une sexualisation de l’image des champions et des championnes. Non pas que l’association entre érotisme, sexualité et images du corps sportif n’ait jamais existé, bien au contraire, ces articulations étant même récurrentes dans les modèles identitaires idéaux29. Mais ce qui change dans la période contemporaine est que cette sexualisation, de cachée car honteuse, devient à présent positive, recherchée et même commercialisée par les athlètes eux-mêmes et leurs sponsors. Les stars des Jeux, quel que soit leur sexe, vendent désormais l’image de leur corps, valorisant ainsi financièrement le travail qui a forgé leur corps, du moins quand le résultat correspond aux modèles sexués idéaux.
28Simultanément, le spectacle olympique devient un lieu où s’expriment de plus en plus ouvertement les orientations sexuelles que les convenances obligeaient jusqu’alors à taire ou camoufler. Depuis Greg Louganis, le quadruple champion olympique de Los Angeles et Séoul, l’homosexualité sort du tabou et questionne les identités traditionnelles même si, dans le cas du plongeur américain, le coming out est fait non aux JO mais à l’occasion d’une participation aux Gay Games en 1994.
29Enfin, les récents Jeux olympiques de la Jeunesse déplacent assurément les modèles identitaires en valorisant les masculinités et féminités adolescentes, mais les travaux sont encore inexistants sur l’impact de ces nouveaux événements sur les relations de genre. En assurant la visibilité de ces différents modèles alors même qu’il s’est imposé comme un élément totalement international, le mouvement olympique contribue assurément à modifier les perceptions des normes de genre dans les sociétés où les définitions de la masculinité et de la féminité demeurent figées sur des repères traditionnels. Certes, les médias continuent de diffuser des préjugés finalement peu différents de ceux de l’entre-deux-guerres, sous des formes à peine plus subtiles. Plusieurs processus de discrimination ont ainsi pu être mis en évidence à l’égard des sportives. Elles font l’objet de discours plus dénonciateurs, plus infantilisants et plus sexualisants que les sportifs. Les présentations qui sont faites d’elles ont tendance à les subordonner aux hommes. Elles sont toujours victimes d’une essentialisation qui les construit en miroir inversé de celle des hommes30. Enfin, les sportives bénéficient d’une place moindre que les sportifs, qui ne correspond pas à la réalité de la participation des athlètes des deux sexes aux Jeux olympiques. Pour le dire autrement, les hommes, qui sont déjà plus présents dans les stades avec 62 % des titres mis en jeu, sont encore plus présents dans les journaux où les articles commentent leurs victoires à 82 % contre 18 % pour les femmes31. C’est donc moins l’olympisme qui est ici à dénoncer que le pouvoir des médias.
30Par ailleurs, la question de la présence effective des femmes dans l’institution olympique connaît avec la politique développée par Antonio Samaranch de profonds changements. De 1981 à 1999, 16 femmes sont entrées au CIO sur un total de 117 membres. En outre, une femme, Anita De Frantz, devient vice-présidente en 1997. Surtout, l’institution olympique devient proactive. Elle inscrit le principe de l’égalité entre hommes et femmes dans sa charte. Elle sensibilise et informe, par exemple avec une conférence mondiale sur la femme et le sport tous les quatre ans depuis 1996. Elle incite au changement en fixant pour objectif en 1995 d’attribuer aux femmes 10 % au moins des postes de direction dans le mouvement olympique avant le 31 décembre 2000 et de porter ce chiffre à 20 % au minimum avant 2005. Dès 2004, les Comités Nationaux Olympiques affichent des résultats remarquables au regard de la situation antérieure puisque 54 d’entre eux ont plus de 20 % de femmes dans leur exécutif (soit 29,3 %) et 125 ont atteint l’objectif prévu des 10 % (soit 67,9 %). Elle va encore plus loin, quand, sous l’impulsion du « Comité Atlanta + », association féministe issue de la Ligue du Droit International des Femmes, elle menace un temps de ne pas accepter aux JO d’Atlanta des délégations exclusivement masculines, seuls trois pays se retrouvant finalement dans cette situation. Tous les indicateurs ne sont certes pas au vert, mais le changement est patent. Il est surtout plus net que dans les sphères économiques et politiques de nombreux pays membre du CIO. Le mouvement olympique, qui s’était longtemps montré plus conservateur que la moyenne de ses pays membres, semble désormais pousser davantage que bien des institutions vers l’égalité en s’attaquant au plafond de verre.
31Du reste, cette dynamique se retrouve sur les stades. Si l’on en juge au nombre de sports et d’épreuves ouverts pour les deux sexes, les indices de parité sont en effet nettement orientés à la hausse et se rapprochent de l’égalité (voir tableau 4). Les femmes constituent plus de 40 % des participants à Athènes en 2004, 42 % à Pékin en 2008, un chiffre qui devrait encore augmenter à Londres, alors que le programme olympique compte désormais autant de sports pour les hommes que pour les femmes32.
32Au regard de la situation de plusieurs pays européens et américains, ces avancées peuvent paraître normales et même incomplètes. Il est vrai qu’on ne peut se contenter de 20 % de femmes dans les postes de direction du mouvement olympique ou d’une offre d’épreuves encore inégale entre les hommes et les femmes, tout comme on ne peut admettre le maintien de discours et de comportements d’un autre temps chez certains responsables de l’institution. Pour autant, sans se satisfaire de données qui indiquent que l’égalité est encore loin dans tous les domaines, il n’empêche que, même s’il n’est pas exempt de critiques, les inflexions politiques du CIO depuis une trentaine d’années situent désormais l’institution comme l’un des moteurs du changement, à même, peut-être, de relever les défis du nouveau siècle.
Conclusion : les défis du nouveau siècle
33L’olympisme et l’institution qui le gère et le représente ont aujourd’hui au moins quatre défis majeurs à relever en matière de genre, d’égalité des chances et de lutte contre les discriminations. Le premier consiste à identifier, révéler et combattre les mécanismes cachés de la domination masculine dans le sport. Car l’analyse a ici occulté par exemple la question des rites et des symboles. Elle a aussi négligé les dimensions réglementaires des sports, fixées par les fédérations internationales sur des fondements largement essentialistes qui se déclinent dans l’imposition normatives de vêtements, le poids des engins, les distances à parcourir ou la durée des matches ou des assauts. Le second défi, que l’institution olympique ne pourra relever seule, porte sur la prise en compte des contradictions internes au sport lui-même pour assurer l’égalité des chances de chacun et de chacune. Les controverses autour de l’athlète sud-africaine Caster Semenya, par exemple, ont mis sur le devant de la scène les conséquences d’une gestion floue des cas d’hyper androgynisme pour une institution où la séparation des sexes en deux catégories quasiment hermétiques est un principe fondateur. Le troisième défi touche à la nécessité de faire exploser le plafond de verre pour atteindre la parité dans la gouvernance et les décisions au sein du CIO (car celui-ci est vu comme modèle), mais aussi et surtout pour l’ensemble des 205 CNO, ce qui suppose des mesures courageuses de discrimination positive, voire de sanctions, que l’on espère provisoires. Enfin, le quatrième défi concerne la pleine participation des femmes de tous les pays aux Jeux olympiques, certes dans le respect des différences culturelles et religieuses, mais sans concession pour les politiques discriminatoires en vigueur dans certains pays. En effet, aux Jeux d’Atlanta en 1996, une compétitrice iranienne s’est présentée couverte de la tête aux pieds, initiant un mouvement qui s’est développé ensuite puisque, à Pékin, 14 délégations comportaient des femmes voilées dont le caractère religieux plus que culturel a été admis par exemple par l’athlète du Bahreïn, Rakia Al-Gassra. Au-delà de la question du hidjab, trois pays font obstacle à la participation de leurs sportives aux Jeux olympiques. Si le Qatar et le Brunei ont fini par céder devant les pressions, ce n’est pas encore le cas de l’Arabie Saoudite qui, par la voix du président de son Comité olympique, le Prince Nawaf bin Faisal, résiste encore et toujours aux appels du CIO et de la communauté internationale.
Notes de bas de page
1 Pour une présentation du concept et son utilisation en histoire du sport, nous renvoyons aux positions que nous avons prises dans Thierry Terret (dir.), Sport et genre, volume 1 : « La conquête d’une citadelle masculine », Paris, L’Harmattan, 2005. Thierry Terret, « Le genre dans l’histoire du sport », Clio. Femmes, histoire, société, « Le genre du sport », n° 23, mai 2006, p. 211-240.
2 Sur le CIO et la présidence de Coubertin, voir notamment Pierre-Yves Boulongne, « Les présidences de Démétrius Vikelias (1894-1896) et de Pierre de Coubertin (1896- 1925) » dans Raymond Gafner (dir.), Un siècle du Comité International Olympique. L’Idée. Les Présidents. L’Œuvre (vol. 1), Lausanne, CIO, 1994. Ainsi que John Mac Aloon, This Great Symbol Pierre de Coubertin and the Origins of the Olympic Games, Chicago, The University of Chicago Press, 1981.
3 Pour Stephan Wassong et Karl Lennartz, l’olympisme est « une philosophie pratique de la vie portant une attention particulière à l’éducation et se voulant universelle envers chacun, dans la mesure où elle s’applique indépendamment de la classe sociale, du genre, de la religion ou de l’ethnie » (Stephan Wassong et Karl Lennartz, « olympisme », dans Michaël Attali et Jean Saint-Martin Jean (dir.), Dictionnaire culturel du sport, Paris, Belin, 2010.
4 Pierre de Coubertin, Le Journal, Paris, 27 août 1936.
5 Pierre de Coubertin, L’éducation des adolescents au XXe siècle, Paris, Alcan, 1905. Pierre de Coubertin, La gymnastique utilitaire. Sauvetage. Défense. Locomotion, Paris, Félix Alcan Éditeur, 1906. Sur le pentathlon moderne et la masculinité, voir les travaux de Sandra Heck, « Modern Pentathlon and World War I. When Athletes and Soldiers Meet to Practise Martial Manliness », The International Journal of the History of Sport, vol. 28, n° 3-4, mars 2011, p. 410-428.
6 Fabrice Delsahut, Les Hommes libres et l’Olympe, L’Harmattan, 2004.
7 Pierre de Coubertin, « L’éducation des femmes », dans Notes sur l’Éducation publique, Paris, Hachette, 1901, p. 297-310.
8 Kathleen Mc Crone, « Class, gender, and English Women’s sport, (1890-1914) », Journal of Sport History, vol. 18, n° 1, 1991, p. 159-182. James A. Mangan & Roberta Park (Eds), From ‘Fair Sex’ to Feminism. Sport and the Socialization of Women in the Industrial and Post-Industrial Eras, London, Frank Cass, 1987. Jennifer Hargreaves, Sporting Females. Critical Issues in the History and Sociology of Women’s Sports, London, Routledge, 1994.
9 Pierre de Coubertin, Sport suisse, 7 août 1935.
10 Mary H. Leigh, Thérèse M. Bonin, « The pioneering role of Madame Alice Milliat and the F.S.F.I. », Journal of Sport History, vol. 4, n° 1, 1977, p. 72-83. André Drevon, Alice Milliat. La Pasionaria du sport féminin, Vuibert, 2005. Thierry Terret, “From Alice Milliat to Marie-Thérèse Eyquem : Revisiting Women’s Sport in France (1920s-1960s)”, The International Journal of the History of Sport, vol. 27, n° 7, May 2010, p. 1154-1172.
11 Nathalie Rosol, L’Athlétisme français au féminin (1912-fin des années 1970). Des athlètes en quête d’identité, thèse de doctorat en STAPS, Université Lyon 1, 2005.
12 Voir par exemple Annita Defrantz, « Women’s participation in the Olympic Games : lessons and challenges for the future », dans Final Report of the International Olympic Committee’s IInd IOC Conference on Women and Sport : New perspectives for the XXI century, Paris, International Olympic Committee, 2000, p. 21-35. S. Mitchell, « Women’s participation in the Olympic Games (1900-1926) », Journal of Sport History, 1977, vol. 4, n° 2, p. 208-228.
13 Arnd Krüger, « Forgotten decisions : the IOC on the eve of World War I », Olympika : The International Journal of Olympic Studies, vol. VI, 1997, p. 85-98.
14 Pierre Arnaud, Thierry Terret (dir.), Histoire du sport féminin, Paris, L’Harmattan, 1996.
15 Thierry Terret, « “La natation est le sport féminin par excellence”, Femmes, pratiques aquatiques et traditions sportives dans la première moitié du XXe siècle », dans Nicole Lemaitre (dir.) Les femmes, supports de la tradition ou actrices de l’innovation, Paris, ministère de l’Éducation nationale, Éditions du CTHS, 2010 (édition en ligne), p. 185-196.
16 T. Tarassouleas, The Annals of the Pre-Olympic Period Athens 1895-1896, Athens, Chrysoula Kapioldasi-Sotiropoulu, 1997.
17 Sandra Heck, « Modern Pentathlon and Symbolic Violence. A History of Female Exclusion from Stockholm 1912 to Paris 1924 », International Journal of Sport and Violence, mai 2010.
18 Ana Maria Miragaya, The Process of Inclusion of Women in the Olympic Games, thèse de Doctorat, Gama Filho, Rio de Janeiro, 2006, p. 178.
19 Ibid.
20 Pierre de Coubertin, « Les femmes aux Jeux olympiques », Revue olympique, Juillet 1912, n° 79, p. 109-111.
21 Le droit de vote est par exemple donné aux femmes de façon complète en Australie en 1902, en Finlande en 1906, en Norvège en 1913, au Danemark au 1915, au Canada, en Tchécoslovaquie, en Pologne et aux Pays-Bas en 1917, en Géorgie en 1918, en Allemagne, au Luxembourg, en Belgique, en Suède et en Nouvelle-Zélande en 1919, aux États-Unis, en Autriche et en Hongrie en 1920, en Angleterre en 1928.
22 Timothée Jobert, Champions noirs, racisme blanc. La métropole et les sportifs noirs en contexte colonial (1901-1944), Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2006.
23 Mark Dyreson, « Imperishable Sports History ? Interpreting El Ouafi in the United States and Mexico », Journal of Sport History, vol. 36, n° 1, spring 2009, p. 19-43.
24 Thierry Terret, Anne Roger, “Managing colonial contradictions : French attitude to El Ouafi’s 1928 Olympic victory”, Journal of Sport History, vol. 36, n° 1, spring 2009, p. 3-18.
25 Sur l’histoire de ces Jeux, Steve Bailey, Athlete First : A History of the Paralympic movement, New Jersey, ed. Wiley and Sons, 2007.
26 P. Auger, « The African Games : an attempt to colonial modernization », Journal of Olympic History, 2007.
27 Pascal Charitas, L’Afrique au Mouvement olympique : Enjeux, stratégies et influences de la France dans l’internationalisation du sport africain (1944-1966), Thèse de doctorat en STAPS, Université Paris XI-Orsay, 2010.
28 Catherine Louveau, Anaïs Bohuon, « Le test de féminité, analyseur du procès de virilisation fait aux sportives », dans : Thierry Terret (dir.), Sport et Genre, vol. 1 : La conquête d’une citadelle masculine, L’Harmattan, 2005, p. 87-118.
29 Allen Guttmann, The Erotics in Sports, New York, Columbia University Press, 1996.
30 Thierry Terret, « Femmes, hommes, sports et médias : stigmatisation et discrimination », dans Enjeux sociopolitiques du sport, Beyrouth, éditions Université Antonine, sous presse.
31 Selon une enquête menée sur les médias norvégiens par Kari Fasting et J. Tangen, « Gender and Sport in Norwegian Mass Media », International Review for the Sociology of Sport, n° 18, 1983, p. 61-70. Voir aussi Margaret C. Duncan, Mickael A. Messner, « The Media Image of sport and sex », dans Lawrence A. Wenner. (Ed), Media Sport, London, Routledge, 1998, p. 170-185.
32 Pour un exemple parmi d’autres d’enrichissement du programme olympique féminin en fonction des différentes épreuves au sein d’un sport, voir le cas de l’escrime : Thierry Terret, Cécile Ottogalli-Mazzacavallo, « Women in Weaponland : the Rise of International Female Fencing », The International Journal of the History of Sport, vol. 29, n° 2, février 2012, p. 286-301.
Auteur
CRIS, Université Lyon 1
est Professeur des Universités en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives à l’Université de lyon 1, et Recteur de l’Académie de Rennes. Auteur d’une soixantaine d’ouvrages et de près de 400 articles et chapitres, ses travaux analysent le phénomène sportif dans trois directions : l’histoire culturelle et politique, les études de genre et l’interculturalité.
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