Du « FOU » pour les étudiants francophones : une déclinaison des littéracies universitaires ?
p. 137-147
Texte intégral
1Il y a quelques années, je m’interrogeais, à propos de l’acculturation aux discours universitaires, sur les liens entre les dispositifs d’accompagnement pour étudiants allophones et étudiants francophones (Pollet, 2010).
2Ma question ne reposait pas sur l’hypothèse d’une assimilation de ces deux publics et ne relayait absolument pas une constatation, souvent exprimée mais à mon avis infondée, selon laquelle les étudiants francophones seraient des apprentis, voire des étrangers, de leur propre langue1. Elle concernait plutôt les points de rapprochement possibles de cadres théoriques et méthodologiques, et visait ainsi à cerner les contours d’articulations et de collaborations entre les champs du FLE et du FLM.
3Cette interrogation, toutefois, n’était pas naïve. Elle reflétait en fait des choix didactiques que j’ai opérés à la fois dans le cadre des enseignements du Centre de Méthodologie Universitaire2 que je dirige, consacrés au développement de compétences langagières d’étudiants francophones en contexte universitaire, et dans le cadre du cours d’écriture scientifique dont je suis titulaire. En effet, ces choix reposent sur une analyse fouillée des besoins et des discours universitaires, un travail sur des documents authentiques caractéristiques des rapports au savoir entretenus dans une discipline particulière, la contextualisation disciplinaire et institutionnelle, l’ancrage d’une formation linguistique dans des situations réelles d’enseignement et d’évaluation, la nécessaire collaboration entre linguistes, didacticiens et spécialistes de la discipline… bref, ce que l’on pourrait appeler une perspective pragmatique, qui est aussi le fondement de ce qui s’est aujourd’hui constitué en FOU (Mangiante et Parpette, 2011).
4Ces affinités ne relèvent pas du hasard : à un moment où les cours de français pour étudiants francophones dans l’enseignement supérieur, extrêmement normatifs, ne me semblaient pas répondre aux besoins des étudiants, je me suis intéressée aux méthodes de ce qui était à l’époque le FOS. C’est ainsi que j’ai tenté de les importer en FLM, mutatis mutandis bien entendu, de manière à construire un apprentissage linguistique centré sur les discours que véhicule l’Université et à le rendre ainsi légitime à ce niveau d’études.
5Dans cet article, je reviendrai brièvement, dans un premier temps, sur l’évolution des approches pratiques et théoriques du « Français à l’Université » pour montrer l’émergence du champ des littéracies universitaires. Ce concept sera ensuite développé, de manière à examiner son impact sur la Didactique du Français dans l’enseignement supérieur. La troisième partie se centrera sur des exemples d’enseignements envisagés à l’aune des littéracies universitaires, qui illustreront ainsi une parenté certaine avec les fondements du FOU.
6Puisque mon champ de recherche et d’enseignement se situe en FLM, on comprendra aisément que l’expression de cette parenté – tant sur le plan de la recherche qu’en ce qui concerne les exemples donnés – se cristallise ici sur les composantes linguistique, méthodologique et disciplinaire du FOU. Toutefois, j’espère montrer ainsi qu’en ce qui concerne l’apprentissage des discours universitaires, les rapprochements FLE / FLM, au départ « bricolés » intuitivement, peuvent être théorisés et didactisés autour du concept de « littéracies universitaires ».
1. Du « Français à l’Université » aux littéracies universitaires
7Dans le domaine de l’enseignement du français à l’université, les cadres conceptuels ont fortement évolué ces vingt dernières années.
8S’enracinant dans ce que l’on a longtemps appelé les « techniques d’expression », les travaux relatifs à la Didactique du Français dans l’enseignement supérieur ont émergé dans les années 90 et on rappellera ici l’ouvrage dirigé par Claude Fintz : La didactique du français dans l’enseignement supérieur : bricolage ou rénovation ? (1998), dont le titre évoque bien le chemin en train de se dessiner à l’époque. Dans la décennie suivante, on a vu poindre des recherches sur les pratiques de l’écrit dans l’enseignement supérieur, couplées au rapport au savoir3, et en particulier sur les « écrits scientifiques » (quelle qu’en soit la dénomination).
9La rencontre entre ces travaux et les recherches anglo-saxonnes des Composition Studies et des Academic Literacies, centrées sur l’écriture en contexte académique, ainsi que la (re)découverte, en didactique, des travaux sur la littéracie, ont présidé à la construction du champ des littéracies universitaires qui, selon Isabelle Delcambre et Dominique Lahanier-Reuter, se donne comme objectif de
théoriser ce qui fait la spécificité et la transversalité des pratiques d’écriture à l’université, dans les différents espaces qui constituent cette institution, l’enseignement, la formation à la recherche (master et doctorat) et la recherche elle-même (les pratiques des chercheurs). (2010 : 28)
10À raison, elles en montrent aussi l’intérêt,
à la fois par les liens affichés avec les recherches anglo-saxonnes qui nous précèdent (littéracies) et par les effets d’identification des pratiques visées (l’écrit à l’université). Et parmi ces liens, l’importance des contextes, disciplinaires ou institutionnels dans l’élaboration des pratiques est pour nous centrale. (Delcambre et Lahanier-Reuter, 2012 : 9)
11En tant qu’approche et formalisation générique, les littéracies universitaires recouvrent divers genres de discours, qui peuvent relever de l’écrit et de l’oral, aller du champ académique stricto sensu (par exemple, les écrits dits « de recherche ») au champ professionnel (ainsi, les écrits d’étudiants centrés sur une pratique professionnelle) en passant par des genres intermédiaires.
12De plus, elles concernent deux pans de la formation universitaire : d’une part, l’apprentissage de la recherche et de ses discours ; d’autre part, des situations d’évaluation telles que les énoncés et questions d’examens, les productions de réponses, de résumés, de synthèses, de rapports, etc.
2. Les littéracies universitaires : un champ pour penser et didactiser les écrits à l’université4
13On vient d’évoquer les littéracies universitaires en tant que conception générique des discours à l’université.
14Mais elles peuvent aussi être envisagées en tant que champ de recherche pour les penser… : un champ constitué récemment, dans nos pays européens, situé au carrefour entre les Sciences du Langage, la Didactique du Français, la Pédagogie Universitaire et ce qu’Yves Reuter nomme les « didactiques des disciplines universitaires » (2012 : 171). En effet, les littéracies universitaires semblent bien offrir un cadre de réflexion théorique et d’intervention didactique en permettant de mettre « l’accent sur les dimensions contextuelles, sociales et culturelles des pratiques de lecture et d’écriture » (Delcambre, 2012 : 29), de ne pas limiter celles-ci à « quelques caractéristiques techniques mais de les réinscrire dans des configurations socio-culturelles » (Reuter, 2012 : 132), d’envisager les liens entre écriture et savoirs dans une discipline, et surtout de penser à une continuité dans les pratiques et dès lors dans les apprentissages.
15Il est difficile de parler des littéracies universitaires sans évoquer le concept de littéracie, dont la définition de Jean-Pierre Jaffré me semble la plus adéquate :
La littéracie désigne l’ensemble des activités humaines qui impliquent l’usage de l’écriture, en réception et en production. Elle met un ensemble de compétences de base, linguistiques et graphiques, au service de pratiques, qu’elles soient techniques, cognitives, sociales ou culturelles. Son contexte fonctionnel peut varier d’un pays à l’autre, d’une culture à l’autre et aussi dans le temps. (Jaffré, 2004 : 31)
16L’idée de variation des pratiques selon les contextes soulignée ici est caractéristique de la notion de littéracie et se trouve affirmée de manière encore plus forte chez Isabelle Delcambre et Dominique Lahanier-Reuter qui parlent de littéracies au pluriel et les caractérisent comme :
des pratiques (de lecture et / ou d’écriture) situées, mettant en jeu des outils (matériels ou intellectuels) et des opérations (d’inscription, de décontextualisation…), tributaires de l’histoire des institutions et des sujets, et sujettes à des variations selon les contextes géographiques, historiques, culturels, institutionnels, où elles se déploient. (2012 : 6-7)
17Le concept de littéracie(s), tel qu’il a été construit par Goody, a fortement marqué la didactique du Français et la didactique de l’écrit en particulier. À ce sujet, Jean-Louis Chiss exprime comment, en tant que linguiste et didacticien des langues, il a été touché par la notion de littéracie
dans un contexte d’interrogations sur les formes et espaces des illettrismes (de l’école au monde du travail), sur l’immigration et la diversité culturelle des littératies, d’intérêt pour les « écritures urbaines » et les écrits sociaux, de travail sur l’échec scolaire en langue maternelle, la « maitrise de la langue », l’apprentissage de la lecture, l’organisation scripturale des disciplines scolaires. (2012 : 143)
18Cette approche militante, mettant l’accent sur les enjeux sociaux, était déjà présente chez Christine Barré-de Miniac qui soulignait que « la didactique de l’écrit peut gagner à l’introduction de cette notion dans son champ », étant donné qu’elle
sollicite différentes dimensions (linguistique, psycholinguistique et sociolinguistique, psychocognitive et psychosociale, anthropologique, sociologique, voire socio-économique et socio-historique). (2003 : 7)
19En phase lui aussi avec les enjeux sociaux, Yves Reuter souligne quant à lui deux apports majeurs de la notion de littéracie en didactique : l’analyse des pratiques scolaires et disciplinaires de l’écrit et la réflexion sur la construction de l’échec en relation avec l’écrit (2006 : 146-150). Il s’agit en effet, selon lui, de re-considérer ce que l’on appelle « échec » en l’appréhendant plutôt en termes de difficultés à affronter une (des) rupture(s) discursive(s), et en examinant attentivement le rôle qu’y jouent l’institution scolaire et les discours qu’elle produit. Il s’agit ensuite de concevoir des pistes didactiques appropriées à l’objectif de combler cette (ces) rupture(s).
20En ce qui concerne l’enseignement supérieur, c’est le concept de littéracies universitaires, comme nous l’avons vu, qui permet à la didactique de l’écrit d’évoluer.
21Yves Reuter met en avant six déplacements, induits par la notion, « dans les manières de penser l’écrit, les contenus, la formation et la recherche » (2012 : 161) : la perception de la lecture-écriture en tant que pratiques sociales ; le déplacement de la notion de savoirs abstraits vers celle de « pratiques discursives des savoirs » ; une analyse critique des fonctionnements universitaires pour réinterroger la question de l’échec ; l’idée que les difficultés rencontrées par les étudiants sont « légitimement traitables à l’université » ; la conception de dispositifs de remédiation reposant sur « l’analyse des pratiques disciplinaires propres aux études universitaires et cela aux différentes étapes du cursus et selon les différentes filières, sur l’analyse des représentations associées à ces pratiques (que ce soient celles des étudiants ou celles des enseignants), sur l’analyse des dispositifs d’enseignement eux-mêmes en tant qu’ils s’avèrent insuffisamment efficaces, voire qu’ils sont susceptibles d’engendrer certaines de ces difficultés ; la légitimation des littéracies universitaires comme objets de recherche possibles (ibidem : 162-164).
22Dans le même esprit, Isabelle Delcambre expose quant à elle cinq dimensions des pratiques de l’écrit que la notion de littéracies universitaires permet de penser : les dimensions contextuelles, sociales et culturelles ; le continuum dans lequel se déroulent les apprentissages de l’écrit, en réception comme en production ; l’influence des contextes de production sur l’élaboration des écrits ; la nécessaire identification de « la nature des liens entre usages de l’écriture et construction des connaissances » ; une reconsidération des difficultés des étudiants tenant compte des dimensions épistémologiques de l’écriture (2012 : 29-31).
3. Des exemples d’enseignements fondés sur les littéracies universitaires
23Tout ce qui précède me semble offrir un cadre idéal pour penser la question des discours universitaires dans une perspective d’analyse et d’enseignement-apprentissage respectant les principes suivants :
- une optique de formation (plutôt que de remédiation), organisée dans l’idée d’un continuum et d’une spécialisation de plus en plus importante (selon le type d’études et de demandes en compréhension / production) ;
- une contextualisation maximale, supposant la prise en compte des spécificités des pratiques de l’écrit dans l’environnement institutionnel précis (caractéristiques discursives, contraintes, supports, rapports au savoir, etc.), la prise en compte des spécificités disciplinaires dans les pratiques de lecture-écriture et, partant, une implication indispensable des spécialistes des disciplines auprès des linguistes dans les dispositifs de formation.
24Ce cadre évolutif et collaboratif est celui qui, à l’Université Libre de Bruxelles, préside à la création de cours centrés sur le développement des compétences langagières requises au sein de l’Université en général et des diverses filières d’études en particulier.
25Une première étape du continuum consiste en l’organisation, avant même la rentrée, de cours préparatoires intitulés : « Pratiques des discours universitaires », où il s’agit d’acculturer les futurs étudiants à diverses pratiques de communication de savoirs à l’Université, différents genres et différents supports : cours ex cathedra-séminaires, travaux pratiques, exercices, syllabus, ouvrages de référence, ouvrages et articles scientifiques, diaporamas, Université Virtuelle, etc.
26Le travail linguistique et méthodologique s’organise autour d’activités de prise de notes, résumés, synthèses, recherches en bibliothèque, élaboration de fiches de lecture. Son efficacité requiert une contextualisation par regroupements disciplinaires : même si les étudiants ne sont pas encore engagés dans une filière, on sépare d’office les sciences dites « exactes » et les sciences dites « humaines », et il est encore possible de prévoir, au sein de ces deux grandes orientations, des regroupements par affinités disciplinaires.
27Dès le début de la première année, une deuxième étape repose sur un travail exploitant les situations d’apprentissage et d’évaluation dans les contextes disciplinaire et institutionnel particuliers des étudiants. Il s’agit par exemple de les amener à mettre en relation un cours ex cathedra et / ou un diaporama, un syllabus, un ouvrage de référence, à en construire une synthèse, à rédiger une question de cours, un rapport, un compte-rendu, etc.
28Une troisième étape consiste en la formation à l’écrit scientifique. Cette formation est fondamentale car on sait que l’univers de la recherche – de ses pratiques et de ses discours – est au centre de la rupture entre les études secondaires et les études supérieures, et de ruptures au sein même des études supérieures (de la synthèse de sources au mémoire, il y a en effet un chemin considérable).
29Encore faut-il s’entendre sur la caractérisation des écrits scientifiques. La définition proposée par Françoise Boch me semble intéressante par la dimension institutionnelle qu’elle exprime :
nous entendons par écrits scientifiques les écrits produits par des chercheurs (doctorants ou chercheurs professionnels) ayant pour but la construction et la diffusion du savoir scientifique. De manière plus institutionnelle, nous désignons par écrit scientifique toute production scientifique (article, thèse, actes de colloques, etc.) reconnue comme telle par un cadre habilité pour le faire : organismes de recherche, universités, mais aussi comités de revue scientifique, qui sont eux-mêmes constitués pour la plupart de chercheurs appartenant à ces organismes. (2013 : 544)
30Cependant, j’intègrerai quant à moi, dans les exemples de genres particuliers, les mémoires et travaux d’étudiants. Même si ceux-ci ne sont pas publiés et ne doivent donc pas être légitimés par un « cadre habilité » tel que le décrit Françoise Boch, ils sont pourtant tenus de répondre à des normes définies institutionnellement et garanties, en quelque sorte, par les promoteurs. J’ajouterai donc, aux doctorants et chercheurs professionnels que cite Françoise Boch, les chercheurs novices que sont les étudiants. Yves Reuter les envisage d’ailleurs, puisqu’il estime que l’exigence de production de connaissances est « variable selon le cadre considéré » (1998 : 12).
31Ainsi, dès lors qu’on englobe dans les écrits scientifiques certaines productions étudiantes, et puisque de toute manière, dès le début du cursus, il semble souvent aller de soi que l’on demande aux étudiants d’en lire, l’étape de formation peut commencer tôt et s’étendre sur plusieurs années. Elle gagne aussi à être scindée en deux périodes : une acculturation tout d’abord, amenant les étudiants à découvrir l’univers de la recherche, ses pratiques et ses discours (notamment par un travail sur le contexte éditorial, les enjeux et les fonctions de l’écrit scientifique), à comprendre les écrits scientifiques et à en rendre compte (en exploitant les outils de l’Analyse du Discours et de la Pragmatique, y compris ce qui relève de l’argumentation) ; ensuite, une formation de plus en plus fine, amenant les étudiants vers la production personnelle, centrée sur les conduites discursives de construction / problématisation d’un objet de recherche et de résolution de question(s) d’ordre scientifique, ainsi que sur leurs marques textuelles et linguistiques.
32Si une formation poussée à l’écrit scientifique (et plus particulièrement la thèse) est cruciale pour les doctorants et implique nécessairement, à ce stade, « la fréquentation des équipes de recherche et l’inclusion du jeune chercheur dans le circuit de la recherche » (Grossmann, 2010 : en ligne), le défi peut être relevé beaucoup plus tôt, dans le principe du continuum que prônent les littéracies universitaires, mais à plusieurs conditions (Pollet, 2014 : 46) :
- la formation à l’écrit scientifique doit accompagner / être accompagnée d’une initiation à la recherche dans la discipline ;
- les approches plus spécifiquement linguistiques ne doivent pas être abordées et exercées sans que soit / ait été menée une réflexion sur la recherche, ses pratiques et ses discours, y compris dans une dimension institutionnelle et éditoriale ;
- cette formation n’est donc pas la seule affaire des linguistes… ni la seule affaire des spécialistes de la discipline ;
- elle doit s’organiser dans un continuum qui permette aux étudiants de découvrir et comprendre les caractéristiques, les enjeux et les fonctionnements des écrits scientifiques dans leur diversité, appréhendés dans un premier temps en tant que genres et en compréhension, pour en arriver ensuite à la production personnelle de plus en plus poussée (des premiers « travaux » au mémoire) ;
- dans cette optique, l’activité d’écriture proprement dite doit être décomposée, faire l’objet d’apprentissages ciblés et progressifs, et correspondre à un projet ayant du sens dans le cursus des étudiants.
33Je terminerai cette partie par un exemple de cours consacré à l’écrit scientifique en Histoire, dispensé aux étudiants de BA 1 Histoire de l’Université Libre de Bruxelles, et dont je suis co-titulaire avec des collègues historiens.
34Il s’agit avant tout d’acculturer les étudiants à une communauté discursive et épistémologique, de les faire entrer en littéracie à la fois universitaire, scientifique et historique.
35Il convient donc de prendre en compte des spécificités d’une culture disciplinaire et d’un espace géographique et linguistique. En effet, dans le cas de la discipline Histoire, on constate de nombreuses variations culturelles et géographiques : dans les traditions de recherche et d’écriture, dans les objets de recherche, les regards posés sur l’histoire, les types de sources exploitées, et dans les manières de concevoir la formation des étudiants.
36Ainsi, en ce qui concerne les différentes traditions de recherche et d’écriture, la priorité peut être donnée, comme en Belgique ou en Allemagne, au travail sur les sources (les chercher, les trouver et les « faire parler ») ou à la production de grandes synthèses basées sur l’historiographie, comme c’est le cas en France ou aux États-Unis).
37De même, pour les spécificités concernant les objets de recherche, les regards posés sur l’histoire, les types de sources exploitées, on peut observer des différences entre les choix opérés par exemple par l’École des Annales (France) ou la Global History (monde anglo-saxon).
38Enfin, à propos des spécificités dans l’enseignement prodigué aux étudiants, on trouvera des formations en rapport avec les traditions de recherche et d’écriture, mais aussi des formations dépendant de réalités extérieures (par exemple, les concours comme en France).
39À titre d’illustration, sont reproduits ci-dessous quelques extraits d’un « Focus groupe » composé de professeurs belges en Histoire (Université Libre de Bruxelles), interrogés, dans le cadre d’une recherche ANR5, sur les spécificités de la formation belge (francophone) des étudiants en Histoire :
Il y a des différences de formation en Histoire en France et en Belgique : nous n’avons pas de dissertations historiques, les Français mettent l’accent sur l’écriture, alors que nous, notre formation met l’accent sur la recherche.
La formation historique en Belgique est beaucoup plus libérée de la formation littéraire et scolastique qu’en France, et c’est ça qui fait la différence.
Nous, on apprécie très fort les démolitions, mais alors là, il y a un critère qui est vraiment absolu : c’est l’exigence d’un travail de première main, c’est-à-dire sur sources, l’historiographie ne venant qu’en second lieu… Il y a aussi l’essai anglo-saxon, où on va dire à l’étudiant : parlez-moi des conséquences de la peste noire du 14e siècle, et l’étudiant va être capable d’orchestrer un discours historique mais c’est un discours qui souvent n’est plus qu’un discours… Il n’y a pas de retour vers les sources…
40Ces déclarations n’exigent pas un grand travail d’exégèse… et il semble évident, dans ce contexte culturel particulier, qu’un cours sur l’écrit scientifique en Histoire devra avant tout veiller à ce que les étudiants puissent voir et dire la différence entre une « source » et un « travail de seconde main », basé sur l’historiographie.
41À partir de là, il s’agira aussi – et là, on s’ouvre à des caractéristiques génériques – de les éveiller à la fois à des considérations épistémologiques complexes et à des compétences souvent considérées comme techniques, et de leur montrer l’articulation entre les dimensions discursive, épistémologique et heuristique des discours scientifiques en Histoire.
Conclusion
42Les littéracies universitaires me semblent être le champ dans lequel peuvent s’articuler les réflexions théoriques et les pratiques constitutives des didactiques du Français Langue Maternelle et du Français Langue Étrangère en contexte académique.
43Celles-ci reposent en effet sur les mêmes principes fondamentaux : le caractère pragmatique de la formation, la contextualisation disciplinaire, le travail collaboratif entre les linguistes et les spécialistes des disciplines, l’analyse de discours universitaires en tant que genres particuliers et révélateurs de difficulté, la reconnaissance de la légitimité de leur apprentissage.
44Bien entendu, si les principes et les méthodologies se rejoignent et s’il devient de plus en plus clair que les enseignants de FLM et de FLE dans le contexte universitaire ont tout à gagner à travailler ensemble, les spécificités des publics impliquent malgré tout des focalisations pédagogiques différentes, comme on l’a déjà signalé par ailleurs (Pollet : 2010). Il reste que, comme j’ai tenté de le montrer par un survol théorique et par quelques exemples, le champ des littéracies universitaires représente l’espace idéal d’articulations et de collaborations, tant sur le plan de la recherche que de la pratique.
Bibliographie
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Références bibliographiques
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Notes de bas de page
1 En effet, il n’est pas rare d’entendre que les étudiants francophones maitrisent moins bien le français que des étudiants allophones l’ayant appris avec rigueur… Même s’ils ne résistent pas à l’analyse, ces discours de lamentation sont tenaces et circulent régulièrement (Pollet, 2010 : 134-136).
2 Université Libre de Bruxelles : http://cmu.ulb.ac.be
3 Par exemple : Lidil, 17 (1998), Ateliers. Les Cahiers de la Maison de la Recherche, Université de Lille 3 – Charles-de-Gaulle (2000) – Spirale, 29 (2002) – Enjeux, 53 et 54 (2002) – Pratiques, 121-122 (2004), Diptyque, 18 (2010) – M.-C. Pollet, Pour une didactique des discours universitaires, Bruxelles, De Boeck, 2001.
4 Ce point reprend en partie des passages de : Pollet, 2014, L’écrit scientifique à l’aune des littéracies universitaires : approches théoriques et pratiques, Namur, Presses Universitaires de Namur, p. 17-38.
5 Les écrits à l’université : inventaire, pratiques, modèles : ANR – 06 – APPR – 019 (direction scientifique : Isabelle Delcambre). Je remercie Isabelle Delcambre de m’avoir donné accès aux enregistrements et de m’avoir permis de les utiliser.
Auteur
Université Libre de Bruxelles, Belgique
Professeure à l’Université Libre de Bruxelles. Elle y est titulaire des cours d’Écriture scientifique et de Didactique du Français. Elle y est aussi la directrice du Centre de Méthodologie Universitaire. Ses recherches portent sur les littéracies universitaires et plus particulièrement les discours scientifiques.
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