L’enseignement du FOU en milieu universitaire francophone : besoins et contraintes
p. 77-95
Texte intégral
1Bien que le français sur objectif universitaire (FOU) ait été initialement conçu pour venir en aide aux étudiants allophones intégrant les universités françaises, ce concept a très vite suscité l’intérêt des universités francophones. En effet, la demande de formations au FOU ne cesse d’augmenter pour diverses raisons : la curiosité scientifique, les limites des cours de français général, le besoin de développer chez les étudiants des compétences langagières, disciplinaires et méthodologiques. D’ailleurs, c’est dans ce contexte que j’ai pu animer, avec le bureau Moyen-Orient de l’agence universitaire de la Francophonie (AUF) de décembre 2011 à avril 2013, des sessions de sensibilisation au FOU dans de nombreuses universités de la région (l’Université Libanaise, l’Université d’Alexandrie, l’Université du Caire, l’Université de Djibouti, l’Université du Yarmouk en Jordanie).
2Comme on le sait, le statut du français n’est pas le même dans ces universités totalement ou partiellement francophones. À l’université de Djibouti, l’enseignement est exclusivement dispensé en français dans les disciplines scientifiques, techniques, médicales, économiques, etc. À l’Université Libanaise1, la situation est plus complexe. Dans les filières scientifiques, les étudiants suivent un cursus en français ou en anglais en fonction de leur langue de scolarisation. La faculté de médecine opte depuis quelques années pour un enseignement bilingue français / anglais. En sciences humaines, les cours sont généralement assurés en langue étrangère ou en langue arabe en fonction des sections régionales réparties sur l’ensemble du territoire libanais. En ce qui concerne les universités de tradition anglophone comme les universités égyptiennes et jordaniennes, seuls les départements de langue et de littérature françaises ainsi que les filières francophones jouissent officiellement d’un enseignement quasi-exclusif en français.
3Quelques années après ces formations-transfert, quelle place occupe le FOU au sein de ces universités ? Les enseignants élaborent-ils des programmes ou des modules de FOU ? Si oui, parviennent-ils à les intégrer au cours de français général ou de français sur objectif spécifique (FOS) ? Quels souhaits d’amélioration aimeraient-ils formuler à l’adresse de leurs collègues, de leurs universités et des institutions francophones ?
4Soucieux de mesurer le degré d’implantation du FOU dans les universités précédemment citées et d’en cerner les avantages et les limites, cet article suit une démarche en trois étapes :
- La première tentera de rendre compte de l’expérience qu’ont les enseignants à travers une enquête par questionnaire ;
- La deuxième étape procédera à l’analyse des programmes et des fiches de FOU que quelques enseignants libanais ont mis en place ;
- La troisième proposera des pistes de réflexion qui pourront éclairer responsables, didacticiens, concepteurs et formateurs dans le développement du FOU en milieu universitaire francophone.
1. Étude de terrain
5Pendant le mois de janvier 2014, j’ai repris contact avec soixante enseignants djiboutiens, égyptiens, jordaniens et libanais ayant validé la formation au FOU. La majorité a accepté de répondre à un questionnaire en ligne. Celui-ci tourne autour de trois axes : le concept du FOU (annexe 1), l’utilité et les limites d’un tel dispositif, ainsi que les recommandations pour une bonne mise en pratique du FOU. Faute de moyens, il n’était pas simple de me rendre dans les pays concernés pour réaliser des entretiens semi-directifs, effectuer des observations de classe ou encore analyser des modules. De ce fait, je me suis limité au contexte libanais.
Résultats
1.1. Le FOU : quelle(s) définition(s) / quelle(s) place(s) ?
6Depuis quelques années, le FOU occupe une place dans les colloques consacrés au FLE. Les enseignants de français expriment un grand intérêt pour ce concept. Les uns disent l’appliquer ; les autres souhaiteraient l’adopter. Pourtant, rares sont ceux qui en donnent une définition précise. Afin de vérifier si les enquêtés parlent tous le même langage, il leur a été demandé de définir le concept de FOU. Pour mémoire, lors de la formation, cette notion a été expliquée et illustrée à partir des travaux de Jean-Marc Mangiante et Chantal Parpette. Selon les résultats obtenus, 85 % des enquêtés font la distinction entre le français général (FG), le français sur objectif spécifique (FOS), le français sur objectif universitaire (FOU) ; 63 % reprennent judicieusement les objectifs et la démarche du FOU :
- « Le FOU est un concept didactique visant à préparer les étudiants des filières universitaires francophones à suivre une formation axée sur trois compétences : linguistique, méthodologique et disciplinaire ».
- « Le FOU repose sur le même principe que le FOS. Il a pour objectif de faire acquérir à l’apprenant un français spécifique en fonction de ses besoins langagiers et aussi selon les exigences de l’institution universitaire, contrairement au FLE, qui concerne plutôt l’enseignement général du français. Autrement dit, il ne s’agit pas de lui faire acquérir un français ayant un objectif général (langue, vocabulaire, lexique, grammaire, etc.) mais de proposer du français qui répond aux objectifs de l’institution universitaire ».
- « C’est une acquisition de compétences linguistiques combinée à une acquisition de savoir-faire en situation, en l’occurrence de savoir-faire universitaires. Il permet aux étudiants d’acquérir des compétences langagières, disciplinaires et méthodologiques. Cela concerne la vie de l’université, la compréhension orale du discours universitaire et les exigences de l’expression écrite ».
7En revanche, 37 % ne tiennent pas compte des différentes composantes du FOU2. En effet, ils le réduisent à sa dimension méthodologique, ce qui risque de faire du FOU une version revisitée des cours de techniques d’expression orale et écrite. Ces informateurs ne manquent pas d’arguments pour justifier leur choix :
- « Il est tout à fait normal de manier le concept en l’élargissant et d’opérer des modifications selon les contextes ».
- « Mes étudiants ne vont pas aller étudier en France. C’est la méthodologie de l’oral et de l’écrit qui leur pose problème, si vous voulez, la méthodologie française. Alors, je trouve inutile de suivre à la lettre l’approche FOU ».
- « Pour moi, le FOU doit porter sur la méthodologie. Il n’est donc pas orienté vers les besoins linguistiques mais vers les techniques universitaires transversales ».
8Comment expliquer cette attitude réductrice à l’égard du FOU ? À mon sens, la formation-transfert n’a pas donné de suite. Aucun accompagnement n’a été prévu pour encadrer les enseignants dans leur démarche. Ainsi, ceux qui étaient convaincus de l’utilité de ce concept, ont été livrés à eux-mêmes. À ce point s’en ajoute un autre, celui du statut non officiel du FOU. Celui-ci est par définition une branche du FOS, et pour le moment il n’existe qu’à travers le cours de FOS. Rares sont les universités qui adoptent le FOU en tant que cours ou module à part entière. Souvent des objectifs du FOU intègrent les cours de langue ou les cours de techniques d’expression orale et écrite à partir des niveaux B1 et B2 du cadre européen commun de référence pour les langues (CECR).
- « Pas de cours FOU. De simples objectifs sont intégrés au cours de langue à raison d’1h30 / semaine ».
- « Nous n’avons pas un programme de F.O.U. en tant que tel. Nous avons intégré quelques objectifs dans les différents cours des deux dernières années du cursus ».
- « Le FOU n’existe pas dans les programmes d’enseignement. Seuls les profs qui ont de l’expérience dans le FOS se permettent de développer des objectifs de FOU ».
- « Suite à la formation, j’ai continué de me documenter sur le sujet. Mon expérience est plutôt réussie malgré des heures interminables de travail. Résultats : mes étudiants ne ratent plus une séance ».
- « On ne propose pas de vraie formation de FOU. On aborde la question dans les cours d’expression écrite ou orale ou dans les cours de civilisation sans savoir vraiment qu’il s’agit du FOU. Mais ça reste quand même général ».
1.2. Mise en place du FOU : quelles difficultés ?
9Si l’utilité du FOU est incontestable pour suivre dans des conditions optimales des cours en filières francophones, la mise en place d’un tel dispositif se heurte toutefois à des contraintes que les informateurs, toutes universités confondues, classent comme suit :
10a) le manque de formation : les enseignants déplorent la rareté des formations dans ce domaine. Peu de mesures sont prises pour donner au FOU son droit de cité dans l’enseignement du FLE. Ce sont des initiatives prises par-ci par-là, d’où une diffusion limitée de ce concept. Il est évident que si les enseignants n’ont pas l’occasion de se former efficacement et de façon permanente, toute approche pédagogique proposant des changements restera une formule creuse sans conséquences.
- « Nous n’avons pas assez de personnes entraînées pour concevoir ce type de cours ».
- « L’approche FOU n’est pas appuyée par toutes les facultés de l’université, du coup, c’est un projet incomplet ».
- « La formation académique des enseignants est éclectique ».
- « Les spécialistes en didactique sont peu nombreux ».
- « Si des professeurs travaillent en parallèle et n’ont pas suivi les mêmes formations, ils ne peuvent pas parler la même langue, ni avoir la même terminologie ».
11b) le manque de matériels : les supports consacrés au FOU font défaut. Ce qui dissuade les enseignants de l’intégrer dans leurs pratiques de classe. Certains enquêtés font remarquer que Le français sur objectif universitaire aux éditions PUG (Presses Universitaires de Grenoble), 2011, est la seule référence didactique à exploiter en classe de langue. Pour mémoire, cet ouvrage rassemble des instruments pour la formation des enseignants (analyses linguistiques de discours universitaires) et des outils de didactique pour les étudiants sous forme de fiches à partir de documents enregistrés sur un DVD.
12Pour les enquêtés en question, le fait de proposer des méthodes de FOU comme ce qui est déjà le cas pour les méthodes de français de spécialité pourrait servir de modèle aux enseignants qui n’ont ni les moyens, ni le temps de concevoir des fiches pédagogiques. Il semble que leurs souhaits commencent à se réaliser. En 2014, deux nouvelles méthodes de FOU ont effectivement fait leur apparition : Réussir ses études d’économie-gestion en français de Chantal Parpette et Julie Stauber, PUG, janvier 2014 et Réussir ses études d’ingénieur en français de Jacqueline Tolas, Océane Gewirtz et Catherine Carras, PUG, juin 2014.
13c) la difficulté à collecter des documents authentiques : pour de nombreux enquêtés, il est plus facile de constituer un corpus de sujets d’examen, de polycopiés, etc. que de filmer des cours magistraux. Les soucis techniques et logistiques et le refus de coopération des professeurs de spécialité avec les enseignants de langue sont particulièrement évoqués.
- « Les professeurs de spécialité pensent qu’on empiète sur leur territoire. Si l’Université ne leur impose pas de coopérer avec nous, on les filmera à leur insu, c’est-à-dire qu’on collectera des supports dans la clandestinité ».
14d) le niveau linguistique des étudiants : il est des enseignants qui appréhendent l’enseignement du FOU à des étudiants dont le niveau linguistique est faible. Pour certains, ce n’est qu’à partir d’un niveau B1 que l’on pourra aborder le français académique avec des compétences qui peuvent se différencier en B1 pour ce qui concerne la compréhension de cours et B2 pour la production écrite et orale en situation universitaire :
- « Il est difficile d’enseigner le FOU à des étudiants de niveau débutant. Les cours magistraux ne passeront pas en A1 / A2 ».
- « Les difficultés que peuvent rencontrer les enseignants de FOU au Liban, c’est le niveau relativement modeste des étudiants. Le cours de FOU nécessite des compétences linguistiques et cognitives développées ».
15Compte tenu de ces difficultés, les enseignants n’adoptent pas la même attitude face à l’enseignement du FOU. Soit ils abandonnent l’idée de concevoir un cours même s’ils se sont familiarisés à la méthodologie, soit ils assurent les cours sans tenir compte des différentes dimensions du concept et par conséquent, la formation n’arrive pas à atteindre ses objectifs, soit ils font l’effort d’enseigner le FOU conformément à la méthodologie malgré des résultats partiellement satisfaisants.
1.3. Recommandations
16Étant donné l’enjeu que représente le FOU dans le contexte universitaire, les informateurs ont formulé des souhaits d’amélioration qu’ils adressent à leurs collègues ainsi qu’à leur université. À titre d’exemple, les professeurs de français devraient se former au FOU sous peine de voir leurs cours désertés. Avec un emploi du temps chargé, les étudiants sont incapables de suivre des cours de langue inadaptés. Aujourd’hui, de nombreux professeurs prennent l’initiative de se lancer dans le FOU (activités, supports, etc.). Comme chacun d’entre eux travaille seul, ils n’avancent pas assez dans leur projet. Il serait donc judicieux qu’ils forment des équipes pour se répartir les tâches chacun selon son domaine de prédilection.
17En ce qui concerne les universités, il faudrait qu’elles accordent plus d’importance au cours de FOU et qu’elles veillent à former, à accompagner et à soutenir les enseignants dans leur démarche de concepteurs, de formateurs et d’évaluateurs FOU. Si les moyens manquent, il serait judicieux de collaborer entre les universités de la région et de solliciter le soutien des institutions francophones qui, à leur tour, pourraient contribuer à mutualiser les expériences et les expertises au sein de l’espace universitaire francophone.
2. Programmes et fiches pédagogiques : quelles orientations ?
2.1. Modules de FOU à l’ISAE-Cnam de l’UL
18Comme on le sait déjà, les programmes de FOU sont quasi-inexistants dans les universités de la région, à l’exception de l’ISAE-Cnam3 de l’Université Libanaise qui a mis en place, parallèlement aux modules de préparation au DELF professionnel, des modules de FOU. Il faut compter 30 heures par niveau. L’élaboration de ces modules a repris la démarche FOS / FOU préconisée par Mangiante et Parpette (2011) pour ainsi tenir compte de plusieurs paramètres tels le contexte particulier de l’ISAE, le niveau linguistique, les besoins des étudiants en fonction du domaine d’études. En général, les auditeurs en mathématiques ont un usage très limité du français pour leurs activités académiques, contrairement à leurs camarades en économie et gestion ou encore en statistique. Il n’en reste pas moins qu’ils sont tous exposés au français à travers l’affichage, le site web de l’ISAE, les cours magistraux, les polycopiés, les sujets d’examen, etc. Une fois arrivés en master, ils entrent également en contact avec des enseignants français (séminaires, soutenance, etc.).
19À partir de ces données, des situations de communication orale et écrite en milieu universitaire ont été listées par niveau. Celles-ci se déclinent en objectifs généraux auxquels les enseignants-concepteurs ont fait correspondre des objectifs fonctionnels, linguistiques et sociolinguistiques. Parmi les objectifs fixés en A2 du CECR, je peux citer la découverte de l’environnement universitaire, la lecture d’extraits de cours, la prise de notes, etc.
- Découvrir son milieu universitaire : les étudiants seront capables de se présenter, de présenter leurs camarades et de décrire en termes simples leur domaine d’études, de se situer dans l’espace, d’indiquer une destination comme la bibliothèque ou le service de scolarité, d’explorer les différentes rubriques du site web de l’ISAE-Cnam, de consulter les différents types d’annonces administratives (dates d’examens, report de cours), de suivre et donner des instructions pour ouvrir un compte ISAE et se préinscrire en ligne. Ces quelques objectifs permettront aux étudiants de première année de se familiariser avec leur environnement universitaire partiellement francophone ;
- effectuer un bref et simple échange d’informations : interroger l’enseignant sur un point précis du cours, lui écrire un e-mail pour demander des renseignements. Il s’agit de tâches pour lesquelles les étudiants éprouvent des difficultés. Les e-mails qu’envoient les étudiants en master aux enseignants sont remplis d’erreurs linguistiques et surtout sociolinguistiques entravant le message.
- Lire un descriptif de cours ou un extrait de cours de spécialité rédigé en français facile : comme certains étudiants « bloquent » à l’idée de lire un texte en français, des stratégies de lecture sont développées. Ils seront par exemple capables de dégager les idées principales (Qui ? Où ? Quand ? Quoi ?) et de prendre des notes à l’écrit sous forme de grille ;
- comprendre un cours magistral présenté assez lentement et clairement en langue standard : démunis du point de vue méthodologique et linguistique, nombreux sont les étudiants qui assistent aux cours sans prendre de notes. Pour se préparer aux examens, ils se contentent de récupérer les notes des camarades ayant un bon niveau de français. À partir d’extraits de cours, l’apprenant sera capable d’identifier le thème et l’objectif du cours, de prendre des notes sous forme de grille (idées principales, chiffres, dates, etc.) ;
- comprendre une consigne : les étudiants seront capables d’identifier les différents types de sujets d’examen. Ce travail de repérage donnera lieu à une analyse des corrigés. Ainsi, ils apprendront à formuler des réponses courtes et précises en prenant en considération les productions attendues par l’enseignant. Pour mémoire, le taux de réussite à des UE dont les sujets d’examens requièrent des réponses commentées est faible ;
- réussir sa vie d’étudiant : le public de l’ISAE-Cnam exerce un métier et suit des cours du soir. Pour une meilleure intégration universitaire, des activités pédagogiques sont conçues à partir de documents déclencheurs. Il s’agit de faire réfléchir les étudiants aux moyens à adopter pour préparer efficacement leurs examens, concilier travail et études, se faire des amis sur le campus.
20En B1 du CECR, certains objectifs du niveau A2 seront développés, comme écouter différentes parties d’un cours magistral en faisant appel aux différentes techniques de prise de notes, restituer l’essentiel d’un message, répondre à des consignes de façon structurée et élaborée. Un autre objectif fera son entrée en B1, à savoir l’initiation au projet de recherche. Dès la deuxième ou la troisième année de licence, selon les spécialités, les étudiants devront rendre « un écrit universitaire ». L’UE de 40 heures prévue à cet effet ne peut combler les lacunes des étudiants. Le module de FOU consolidera le cours de communication sans vraiment le remplacer. Plusieurs savoir-faire transversaux seront travaillés : se documenter, citer des sources, etc.
2.2. Remarques
21L’élaboration des modules de FOU est une tâche difficile à accomplir alors que les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. L’objectif permanent des enseignants-concepteurs est de servir l’intérêt de l’apprenant sans toutefois perdre de vue les principes pédagogiques. Étant donné le contexte de l’ISAE, on est toujours face à un dilemme lié au niveau A2. Est-il normal de ne pas respecter les descripteurs du CECR ? Est-il possible d’intégrer un cours magistral dès le niveau A2 ? Est-il profitable d’identifier les différents sujets d’examen à partir du A2 ?
22La prise en considération des besoins du public en contexte universitaire a amené les concepteurs de modules à ne pas respecter fidèlement les descripteurs du CECR. Les étudiants ayant le niveau A2 doivent suivre des cours de spécialité en français. Pour contourner leurs difficultés linguistiques, ils font appel à des stratégies de « survie » (bachotage, mémorisation, traduction des cours, sollicitation d’aide, etc.). Ainsi, des objectifs de niveau B1 ont été sélectionnés dans le module de niveau A2. Toutefois, pour faciliter la tâche des apprenants, les enseignants ont misé sur des supports accessibles et sur une exploitation pédagogique interactive.
23La sensibilisation au cours magistral dès le niveau A2 a posé un problème. En effet, il n’était pas facile de convaincre les enseignants de l’utilité de cette activité pour des étudiants de ce niveau. Pourtant, il s’agit bien d’une prise de notes « assistée » à partir d’une grille simplifiée. Précisons que l’analyse des discours universitaires d’enseignants de spécialité ont permis de dégager trois types de cours magistraux :
- le premier se déroule exclusivement en français : l’enseignant donne son cours avec une grande aisance linguistique en suivant une démarche pédagogique inspirée du modèle français (19 %) ;
- le deuxième relève de l’écrit oralisé : l’enseignant lit son cours et se met à expliquer et à reformuler des points précis du cours tantôt en français, tantôt en arabe (48 %) ;
- le troisième a un recours quasi-exclusif à l’arabe : seuls les mots techniques sont donnés en français (33 %). Cette alternance codique peut avoir plusieurs origines : les lacunes linguistiques des étudiants, le manque d’aisance à l’oral des enseignants, la facilité ou l’habitude, etc.
24La sélection de sujets d’examen : les consignes varient en fonction des spécialités, elles vont de consignes de calcul à des demandes de restitution, en passant par l’étude de cas. En A2, des choix ont certes été opérés, cependant, à défaut de pouvoir coopérer avec les enseignants de spécialité, le risque serait que les réponses données soient inappropriées du point de vue organisationnel et méthodologique.
3. Fiches pédagogiques
25Pour atteindre les objectifs précédemment cités, les enseignants ont sélectionné des supports puis élaboré des dossiers thématiques. Chacun est constitué de fiches pédagogiques. Le modèle et les principes méthodologiques mis en œuvre par les modules de FOU correspondent à ceux proposés par la FOAD Professionnalisation en FLE (PRO FLE4).
26Chaque fiche comprend une fiche descriptive, un fichier « professeur » et un fichier « étudiant ». À ce jour, une vingtaine de fiches ont été mises en application. Douze couvrent le niveau A2 et huit le niveau B1. Afin de peaufiner ces modules de FOU, les enseignants-concepteurs ont procédé à une évaluation des fiches pédagogiques à partir d’une grille d’analyse fondée sur les travaux de Mangiante et Parpette. Il s’agissait de vérifier si les compétences discursive, linguistique, disciplinaire et méthodologique avaient été prises en compte lors de l’élaboration des fiches, si les supports étaient adaptés au niveau des étudiants et si les activités étaient suffisamment cohérentes et variées. Par souci de clarté, les résultats obtenus sont présentés en chiffres sous forme de tableau. Les notes attribuées vont de 1 à 5 ; 1 étant la note la plus basse et 5 la plus élevée.
27En général, le degré d’élaboration des dossiers varie selon la thématique. Ceux réservés à l’environnement francophone et à la vie universitaire sont les plus fournis. En revanche, les dossiers relatifs au cours magistral et à la compréhension d’extraits de cours manquent de fiches pédagogiques. Cette disparité au niveau des dossiers a pour origine la rareté des enregistrements. Seuls les documents écrits sont à portée de main : les brochures, le guide de l’étudiant et les annonces administratives, le site web de l’ISAE. Pour contourner cette difficulté, il a été convenu de sélectionner des documents vidéo, notamment du site web Canal U. Tout au long du second semestre 2014, des cours de spécialité ont été filmés : trois enseignants en économie-gestion ont finalement accepté de se prêter à ce jeu. Il faut dire que les professeurs de spécialité sont de plus en plus démotivés à l’idée d’enseigner à des étudiants démunis au niveau langagier, disciplinaire et méthodologique. Ils ont tout tenté de leur côté sans y parvenir. Par exemple, le recours à la traduction et à la reformulation a montré ses limites. Ainsi, en coopérant avec la cellule de langue française, les professeurs de spécialité pourront se consacrer davantage à leurs cours. Mais tant que les cours de langue ne sont pas obligatoires, la formation linguistique risque de ne profiter qu’à une minorité d’étudiants.
28Par ailleurs, si la plupart des supports (60 %) sont judicieusement exploités, certains objectifs (31 %) ne sont pas toujours respectés. Malheureusement, la tendance est de privilégier les composantes linguistiques et techniques au détriment de la composante pragmatique et discursive. Malgré les nombreuses formations dans le domaine du FLE, certains enseignants ont le souci d’exploiter davantage les notions grammaticales qu’ils repèrent peut-être plus facilement que les actes langagiers dans le document déclencheur.
29De ce qui précède, il ressort que le FOU est encore en phase d’expérimentation à l’ISAE. S’il a toute sa légitimité dans ce paysage partiellement francophone, des efforts sont à fournir pour développer les programmes et pour continuer à élaborer des dossiers pédagogiques, notamment dans le domaine de la prise de notes.
4. Enquête de satisfaction
30Au cours du premier semestre 2014, une étude de terrain a été menée auprès des étudiants ayant bénéficié de ce module. L’objectif était de mesurer le rendement des modules du FOU. Le questionnaire (annexe 2) comprenait trois grands volets : la pertinence et l’efficacité des cours de FOU, le degré d’implication des étudiants et les éléments de remédiation à apporter aux cours.
4.1. Choix du public
31Comme l’ISAE est implanté dans des régions de tradition francophone (Nahr-Ibrahim, Bikfaya), des régions de tradition arabophone (Baalbeck, Tripoli), des régions de tradition anglophone (Baakline et Gaza) ou mixte (Beyrouth), il a été décidé d’enquêter dans les centres où les effectifs sont les plus élevés, c’est-à-dire ceux de Beyrouth et de Nahr-Ibrahim. Le sondage visait 137 étudiants ayant validé le niveau A2 : 97 au centre de Nahr-Ibrahim et 40 au centre de Beyrouth. Alors que le premier groupe est majoritairement issu d’un enseignement scolaire francophone5 et que le second vient habituellement d’écoles publiques ou d’écoles privées de seconde catégorie, dans lesquelles le français est considéré comme une langue étrangère, ils ont tous deux été classés A2 au test de positionnement. La baisse du niveau de français pourrait s’expliquer par différentes raisons. Premièrement, il s’agit de scientifiques pour lesquels le français n’est pas prioritaire. Deuxièmement, ces étudiants ont suivi un enseignement scolaire traditionnel peu adapté au contexte local. Enfin, ils s’orientent vers un marché du travail où l’anglais gagne de plus en plus de terrain par rapport au français.
4.2. Résultats
32Avant leur inscription au cours de langue, les étudiants n’avaient pas l’habitude de pratiquer le français. Avec le dispositif FOU, ils ont pris confiance en eux. Dorénavant, ils participent mieux en classe. Toutefois, les étudiants de Nahr-Ibrahim (49 %) pensent avoir moins fait de progrès à l’oral que leurs camarades de Beyrouth (75 %) en raison de leurs absences à répétition. Il faut dire que le créneau horaire était contraignant (14h15-16h) pour des auditeurs suivant des cours du soir. D’ailleurs, l’une des conditions d’inscription à l’ISAE-Cnam consiste à exercer un métier dans la journée et à poursuivre ses études le soir et le samedi. Quoi qu’il en soit, il semble que l’écrit est moins bien maîtrisé que l’oral, aussi bien à Beyrouth qu’à Nahr-Ibrahim.
33La majorité des étudiants affirment avoir adopté une attitude positive à l’égard de ce module qu’ils qualifient d’utile, d’efficace et d’intéressant. Selon eux, le FOU leur a permis de mieux intégrer l’environnement de l’ISAE. Les dossiers qu’ils apprécient le plus concernent la vie universitaire. Ceux qu’ils maîtrisent le moins traitent de la prise de notes et de tout ce qui relève des écrits académiques. Il semble que les supports sont difficiles et les activités insuffisantes. En effet, de nombreuses unités d’enseignement (UE) exigent un travail écrit que les étudiants réalisent difficilement. Pour profiter davantage de ce cours, ils souhaiteraient avoir plus d’activités de compréhension orale et de production écrite, allant de la simple définition d’un principe à l’analyse d’un phénomène en passant par la comparaison de deux systèmes, etc.
34Les six enseignants chargés de ce module ont tenté de commenter ces résultats. Ils commencent sur une note positive : le taux d’assiduité au cours est plutôt en augmentation puisque les étudiants prennent conscience de l’utilité de se perfectionner en français. La thématique liée à l’environnement francophone est d’un grand secours pour les étudiants de première année. Les stratégies d’apprentissage, la typologie textuelle en contexte universitaire les aident à mieux se « débrouiller » en cours de spécialité. Toutefois, les niveaux hétérogènes et les classes surchargées compliquent leur tâche. En trente heures, il n’est pas aisé de couvrir un programme opérationnel, de sélectionner des supports adéquats et de proposer des activités en contexte, riches et variées.
Conclusion
35Bien que le FOU soit plébiscité en milieu universitaire francophone, peu de programmes d’enseignement lui ont été dédiés à ce jour. Comme on l’a déjà signalé, la mise en place d’un tel dispositif peut rencontrer des difficultés d’ordre logistique, financier et surtout pédagogique. L’expérience menée à l’ISAE en est un petit exemple. Avant d’opérer des choix méthodologiques, les réalités du terrain ont amené concepteurs et didacticiens à s’interroger sur plusieurs points : l’efficacité du FOU à partir du niveau A2, le respect des descripteurs du CECR par niveau, la spécificité des discours universitaires en contexte libanais (le mélange des codes), les limites d’un professeur de langue dans le choix des supports et l’enseignement du FOU dans un environnement peu habitué au changement.
36Face à cette situation, l’idée de créer des réseaux de chercheurs, de didacticiens et d’enseignants de FOU suit son chemin. Il s’agit de développer une action liée à la promotion de ce concept en liaison permanente avec les structures ad hoc des établissements de la région. La recherche pratique dans le domaine du FOU, la formation, ainsi que la création d’une banque de fiches pédagogiques prêtes à l’emploi, accessibles aux enseignants, seront les mots d’ordre d’un tel projet. Au moment où les étudiants libanais se tournent de plus en plus vers les universités anglophones pour échapper aux difficultés du français, le FOU pourrait être d’une grande utilité. Alors, donnons au FOU la chance de réussir et aidons ainsi les étudiants à réussir leurs études en français.
Bibliographie
Références bibliographiques
HAFEZ Stéphane-Ahmad, 2011, « Le français sur objectifs universitaires au Liban : dispositif, contenus, enquête de terrain », [En ligne], http://eprints.aidenligne-francais-universite.auf.org/642/1/Fran%C3%A7ais_sur_objectifs_universitaires_au_Liban_St%C3%A9phane_HAFEZ.pdf (consulté le 15 mars 2014).
MANGIANTE Jean-Marc & Chantal PARPETTE, 2011, Le Français sur objectif universitaire, Grenoble, PUG, p. 41-123.
MANGIANTE Jean-Marc, 2009, « Vers un référentiel de formation linguistique pour les étudiants étrangers à partir de la construction de corpus professionnels », Terres de fle, n° 2, L’ouverture des filières universitaires francophones aux étudiants étrangers : enjeux politiques, implications didactiques, culturelles et institutionnelles, Besançon, Centre de Linguistique Appliquée, Université de Franche-Comté, p. 19-30.
MANGIANTE Jean-Marc & Chantal PARPETTE, 2004, Le Français sur objectif spécifique : de l’analyse des besoins à l’élaboration d’un cours, Paris, Hachette FLE, coll. F.
NASR Bernadette & Christophe VERSIEUX, 2001, Rapport sur la situation de l’enseignement du / en français à l’Université Libanaise, Beyrouth, AUF, p. 10- 11.
Annexe
Annexe 1
Annexe 2
Notes de bas de page
1 Nasr et Versieux, 2001 : 10-11.
2 Parpette et Mangiante (2011) classent les compétences à acquérir en FOU en trois catégories :
- les compétences langagières liées aux exigences universitaires : compréhension du discours pédagogique parenthétique, polymorphe, polyphonique, multiréférentiel, compréhension et production des écrits spécialisés ;
- les compétences pragmatiques liées à la méthodologie universitaire : compréhension des situations de communication écrite universitaires (études de cas et simulations), savoir-faire et savoir-être, etc. ;
- les compétences culturelles : être capable de mettre en perspective les contenus culturels abordés dans le cours ; « relativiser » sa culture source, la comparer, replacer dans un contexte plus global, etc.
3 L’ISAE est un centre associé au Cnam de Paris. Depuis sa création en 1968, il offre à ses auditeurs la possibilité de suivre des formations accréditées en France et reconnues au Liban. Le français y est la première langue d’enseignement. Depuis octobre 2008, la délivrance de la licence est conditionnée par l’obtention du DELF B1. L’inscription à des unités d’enseignement (UE) en master et surtout l’admission à l’EICnam (École d’Ingénieurs Cnam) doit être précédée par la réussite au DELF B2 (Hafez, 2011 : en ligne).
4 http://www.ciep.fr/expert_langues/francaise/profle/module1.php
5 Il existe au Liban 3 secteurs d’enseignement :
- le secteur public s’est répandu à partir des années cinquante sur l’ensemble du territoire libanais notamment dans les zones économiquement pauvres ;
- le secteur privé subventionné, instauré à partir de 1956 pour combler le manque d’écoles publiques dans les quartiers défavorisés ou les régions rurales sous-développées ;
- le secteur privé payant, qui comprend d’une part le privé national laïc et le privé religieux, et d’autre part, le privé étranger : anglais, allemand et surtout français.
La disparité flagrante dans la qualité de l’enseignement des langues entre les écoles publiques et les écoles privées prestigieuses aboutit à une hétérogénéité au niveau du rendement scolaire, particulièrement en français. Ainsi, un étudiant ayant suivi un cursus dans une école publique ou privée de seconde catégorie sera non seulement désavantagé, mais handicapé par sa quasi-ignorance des langues étrangères.
Auteur
Université Libanaise, Liban
Enseignant-chercheur en didactique des langues à la faculté de pédagogie de l’Université Libanaise. Ses travaux de recherche portent sur l’enseignement du et en français en milieu francophone.
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L’enseignement-apprentissage des langues étrangères à l’heure du CECRL
Enjeux, motivation, implication
Denis Vigneron, Déborah Vandewoude et Carmen Pineira-Tresmontant (dir.)
2015
Le Verbe
Perspectives linguistiques et didactiques
Cécile Avezard-Roger et Belinda Lavieu-Gwozdz (dir.)
2013
Temps, aspect et classes de mots
Études théoriques et didactiques
Eugénia Arjoca-Ieremia, Cécile Avezard-Roger, Jan Goes et al. (dir.)
2011
Le Français sur objectif universitaire
Entre apports théoriques et pratiques de terrain
Widiane Bordo, Jan Goes et Jean-Marc Mangiante (dir.)
2016
Le langage manipulateur
Pourquoi et comment argumenter ?
Jan Goes, Jean-Marc Mangiante, Françoise Olmo et al. (dir.)
2014
L’Intraduisible : les méandres de la traduction
Sabrina Baldo de Brébisson et Stéphanie Genty (dir.)
2019
La phrase : carrefour linguistique et didactique
Cécile Avezard-Roger, Céline Corteel, Jan Goes et al. (dir.)
2019