Conclusion*
p. 107-109
Texte intégral
1La conclusion est un exercice difficile et je voudrais commencer, tout d’abord, par souligner la pleine réussite de cette journée d’études artésienne. Je pourrai témoigner, avec mon ami Bernard Vogler, que la qualité ne dépend pas de la durée. Qualité au niveau de l’organisation matérielle et je dois renouveler mes félicitations à tous les organisateurs de cette journée. Je me réjouis aussi de l’assistance qui a regroupé près de deux cents personnes dans un amphithéâtre tout à fait plein. Au-delà de la quantité, il faut souligner la qualité de cette assistance : il y a eu là un mélange intéressant de spécialistes, dont certains venaient de Belgique, d’étudiants, et je pense qu’il faut souligner cette présence étudiante car il est important d’avoir cette occasion de voir l’Histoire en train de se construire. Il faut également se féliciter de la présence d’amateurs éclairés qui savent que, d’une certaine façon, l’Histoire répond aux questions du présent, mais à une condition et c’est là que je viens au fond de ce colloque. Je ne cache pas que nous sommes un certain nombre d’historiens à être parfois agacés lorsqu’on fait des commémorations par ce que j’appelle « l’instrumentalisation de l’Histoire ». On commet à cette occasion des anachronismes. Dans le cas précis, par exemple, on voit la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen » dès 1598, mais c’est là péché véniel car il y a plus grave encore, c’est l’idée selon laquelle les Français sont les meilleurs partout, et que nous sommes les seuls à avoir inventé la tolérance. De ce point de vue là, et j’en parle d’autant plus aisément que je n’ai pas participé à l’entreprise et que je ne suis pas membre de « la Religion », je lis dans l’introduction de l’excellent petit recueil du Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français consacré à l’Edit de Nantes, cette phrase qui s’applique tout à fait à l’entreprise que vous avez menée, que nous avons menée :
... la construction d'une société où la tolérance a sa place ne peut faire l’économie de l’analyse historique, ni se prévaloir d’un enracinement imaginaire.
2Nécessité très forte, si nous voulons être efficaces en tant qu’historien : ce n’est pas en brûlant les étapes mais c’est au contraire en faisant une analyse précise. J’ai le sentiment que pendant toute la journée, nous avons cherché, avec toutes les incertitudes liées à ce genre d’opérations, à faire une analyse historique précise. D’abord en replaçant cet événement dans le contexte européen. Pour une université de « frontière » c’est la moindre des choses, mais je remarque que dans la longue litanie des rencontres suscitées par cet évènement, l’université d’Artois est une exception. Il y a bien de temps en temps quelques éléments mais cela reste tout de même rare, sauf sur le phénomène de l’émigration. Montrer comment nous sommes dans un ensemble européen, est une démarche relativement exceptionnelle, pour l’Edit de Nantes entre autres. Je regrette profondément qu’à la fin du XXe siècle, alors qu’on parle de l’Europe, la plupart de nos événements français ne fassent pas l’objet d’une démarche comparatiste. Nous avons sur ce point de gros efforts à faire et l’université d’Artois donne ici un bel exemple. Quand je vois avec quel intérêt nous avons suivi durant toute l’après-midi les communications sur l’Espagne, les Pays-Bas espagnols, l’Angleterre et l’Empire, nous avons tous découvert un certain nombre de choses dont même les spécialistes n’avaient pas pris conscience. Il y a là des parties qui doivent encore être creusées.
3Il était normal aussi qu’on fasse un retour sur la France. Les communicants de la matinée ne s’étaient pas concertés et pourtant j’ai été surpris par le fait que, pratiquement par des voies différentes, nous aboutissions aux mêmes conclusions. A partir de là, un bon colloque c’est celui qui pose les questions plutôt qu’il n’arrive à les résoudre. Je crois qu’il y a un certain nombre de questions qui ont été posées. En partant, par exemple, de la distinction qu’a faite Solange Deyon entre trois types d’Europe : Europe latine, Europe moyenne, Europe du Nord, on s’aperçoit à la fin de la journée que ces distinctions sont relatives. On a ainsi rappelé qu’il existait un protestantisme espagnol autochtone pour éviter les simplifications. De la même façon, Bernard Vogler a montré que le calvinisme introduisait dans l’Empire un élément de différence. Or, on y aurait jamais pensé en mettant d’un côté toutes les « Réformes » et de l’autre le catholicisme. Donc on sort de ce rapide survol européen avec l’image de la complexité des phénomènes. Il y a aussi un certain nombre de personnages-clés qui sont apparus. On a parlé de Duplessis-Mornay qui est aussi important pour les Pays-Bas espagnols que pour la France. Il y a comme cela des personnages qu’il faut replacer dans une dimension européenne. Yves-Marie Hilaire a posé une grande question sur l’influence d’Erasme. On a vu à quel point un certain nombre d’événements ne sont pas seulement français comme, par exemple, la répercussion de la Saint-Barthélémy en Europe. Et puis j’évoquerai la comparaison des chronologies en essayant de dégager, par exemple, les moments où « tout est possible » : les moments où un certain nombre de gens ont cherché la tolérance et comment, finalement, quand les esprits ne sont pas préparés cela échoue. Quand un édit de pacification réussit-il ? Quand échoue-t-il ? C’est dans la recherche et l’étude de ce genre de mécanisme, plutôt que dans la recherche d’une espèce de filiation purement artificielle, que nous, historiens, pouvons être utiles à nos contemporains. L’Histoire peut enseigner le présent à condition qu’elle soit vraiment Histoire, qu’elle nous fasse saisir les différences dans le temps, qu’elle nous évite de faire des contresens anachroniques et qu’elle nous permette de poser les questions plutôt que de chercher à tout prix à les résoudre.
Notes de fin
* Nous avons conservé à cette conclusion improvisée à la fin de la journée sa forme orale.
Auteur
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