Le dispositif intégré pour l’apprentissage du FOS à l’Université marocaine
p. 63-75
Texte intégral
1Dans ce contexte de communication planétaire, le Maroc accorde une grande importance à l’acquisition des langues, perçue comme un vrai levier de développement économique du pays et d’insertion sociale des individus. Le développement du pays repose sur l’accès au progrès technologique, à la science et au savoir-faire, à travers les langues étrangères. En application des recommandations de la Constitution Nationale, de la Charte Nationale de l’Enseignement et de l’Éducation et du Conseil Supérieur de l’Enseignement, les différentes réformes pédagogiques universitaires1 placent parmi leurs priorités la mise à niveau linguistique des étudiants. À cet effet, toutes les filières des établissements à accès ouvert (Facultés des Sciences / FS, Facultés des Sciences Juridiques et Économiques et Sociales / FSJES, Facultés des Lettres et des Sciences Humaines / FLSH) ont intégré à leur cursus des modules transversaux de langue et de communication (LC) pour favoriser l’intégration et la réussite universitaires des étudiants et pour les préparer à l’insertion socioprofessionnelle.
2Cette contribution présente le contexte et le processus d’élaboration d’un programme de formation qui vise à outiller les étudiants LANSAD2 de compétences langagières en français de spécialité. Nous puisons notre problématique dans de réelles pratiques d’apprentissage du français, langue d’enseignement des filières scientifiques et techniques.
3Nous nous proposons à travers des expérimentations menées sur le terrain, conduites par la Commission Nationale Langue, de vérifier deux hypothèses :
- l’acculturation des étudiants au genre discursif de leur spécialité, en adoptant la démarche du FOS (Français sur Objectif Spécifique) et du FOU (Français sur Objectif Universitaire) combinée à l’approche actionnelle, leur offrirait la sécurité linguistique dont ils ont besoin pour s’intégrer et réussir à l’université ;
- les activités d’« interaction » et les tâches signifiantes médiatisées permettraient l’acquisition du discours de spécialité par la « co-construction » des connaissances à laquelle l’étudiant prendrait part.
4Nous essayerons de montrer, comme l’explique Marie-Françoise Narcy-Combes (2013) :
- que les démarches didactiques interventionnistes ne sont pas univoques et qu’elles sont tributaires des situations et des contextes ;
nous montrerons également (cf. Narcy-Combes, id.) - l’intérêt du lien entre théorie et pratique pour résoudre des problèmes d’apprentissage / enseignement identifiés dans des contextes spécifiques ;
- l’intérêt du lien entre les théories et l’action de terrain et les impacts sociaux de la recherche-action.
5Dans un premier temps, nous commencerons par l’identification du problème de terrain qui justifie notre intervention. Nous nous arrêterons sur les théories qui ont permis de construire la réponse au problème posé par le contexte spécifique des étudiants LANSAD et qui intègre simultanément des éléments des théories de l’apprentissage, de la sociolinguistique, de la didactique du FOS et du FOU. Nous montrerons enfin que la réponse didactique n’est pas simple lorsqu’il s’agit de contextes complexes.
1. Identification du problème
6À leur arrivée dans le cycle supérieur, les étudiants se trouvent en situation d’échec, essentiellement à cause du déficit linguistique qu’ils ont notamment en français, langue d’enseignement des disciplines scientifiques et techniques. En effet, les étudiants vivent, depuis le processus d’arabisation lancé en 1986, une rupture linguistique entre le cycle secondaire où les disciplines scientifiques et techniques s’enseignent en arabe et le cycle universitaire où ces mêmes enseignements sont dispensés en français, ce qui crée ainsi un véritable hiatus entre les deux cycles. Cette fracture linguistique, lourde de conséquences, constitue un sérieux facteur d’abandon et de décrochage pour les étudiants aux prises avec leur nouveau contexte éducatif à l’université, exigeant une méthodologie de travail inhabituelle et une nouvelle langue d’enseignement. Les cultures d’enseignement sont différentes d’un cycle à l’autre. Dès que les étudiants intègrent l’université, ils changent d’environnement et de culture. Ce changement ne concerne pas seulement l’aspect linguistique. L’étudiant doit pouvoir s’adapter à ce nouveau contexte, en développant des compétences globales, mais également des ressources et des habiletés communicatives et pragmatiques d’interaction pédagogique. Il doit pouvoir mobiliser des stratégies d’apprentissage dans les différentes situations que lui offre ce nouveau cadre : en amphithéâtre, en classe de travaux dirigés ; au laboratoire pour l’exécution de travaux pratiques, en groupe, en binôme ou seul.
7L’analyse des besoins spécifiques des étudiants de 1re année dans le cadre de leurs disciplines a montré qu’ils se trouvent dans une situation de rupture linguistique et discursive (Pollet, 2001) par rapport au lycée, en plus des autres cas de rupture : institutionnelle, psychologique, sociale, affective, géographique. Découragés et démotivés, un bon nombre de bacheliers scientifiques abandonnent leurs études ou, dans le meilleur des cas, fuient les facultés des sciences et s’inscrivent dans des filières de lettres, des sciences humaines ou des sciences sociales et juridiques dont la langue d’enseignement est l’arabe.
8L’étape d’audit linguistique menée dans différentes universités auprès de ces étudiants a permis de dresser un bilan du déficit de compétences à presque tous les niveaux :
- maîtrise insuffisante du code linguistique : vocabulaire pauvre, syntaxe défectueuse ;
- problèmes de prise de notes, de compréhension de cours magistraux, difficultés à distinguer les informations essentielles des informations secondaires ;
- difficulté à s’exprimer à l’oral ;
- non maîtrise des stratégies de lecture ;
- difficultés à lire et à écrire en français de spécialité, etc.
9Toutes ces difficultés linguistiques constituent un écran (Daunay, 2014) qui empêche les étudiants de percevoir les régularités discursives presque normées de leur communauté scientifique. Il paraît alors opportun de procéder à leur acculturation académique et discursive par la maîtrise d’un « habitus » (Bourdieu, 1980) discursif qui soit adapté aux exigences de leur spécialité.
10En effet, les communautés scientifiques ont développé des codes de communication et des sphères d’échanges disciplinaires qui façonnent leurs discours et qui les façonnent au retour. Les individus doivent se conformer à ces discours pour être acceptés comme membres. La socialisation de l’individu a lieu quand il adopte le code de communication de ses pairs, de façon à pouvoir s’engager dans un « processus d’intégration dans un groupe déterminé » (Gardner et Lambert, 1972, in Bogaards, 1991 : 53). La socialisation met à la disposition du groupe l’« ensemble de dispositions durables et transposables, structure structurée prompte à fonctionner comme structure structurante » (Bourdieu, 1980 : 88). En interagissant avec le milieu dans lequel il évolue, l’individu est progressivement amené à se « modeler » en vue d’une intégration dans le groupe social en question et d’une adaptation à l’environnement social où il doit vivre, ce qui va lui permettre d’acquérir une « culture » à travers des normes, patterns, schèmes. Comme la maîtrise d’un code langagier est une acquisition sociale (Atkinson, 2002, in Brudermann, 2010), l’appartenance au groupe passe par une « socialisation langagière ». L’étudiant en difficulté d’intégration universitaire peut trouver sa place parmi ses pairs par la socialisation langagière.
11Afin de favoriser une telle démarche, il est opportun d’aménager des formations linguistiques fonctionnant d’après plusieurs théories convergentes :
- la théorie du FOS et du FOU de Jean-Marc Mangiante et Chantal Parpette (2004 et 2011) selon laquelle la formation est envisagée sous ce prisme du rapport entre les discours scientifiques et les savoirs disciplinaires. Elle vise une acculturation contextualisée au discours de spécialité. Cette approche pragmatique s’inscrit dans le champ théorique de l’acquisition des langues et des discours universitaires qui mettent l’accent sur l’ancrage institutionnel et disciplinaire des pratiques du français à l’université. Pour ce positionnement, nous nous appuierons sur les travaux conduits par Jean-Marc Mangiante et Chantal Parpette en didactique du FOS et du FOU ;
- la théorie de l’apprentissage situé de Jean Lave et Étienne Wenger (1991) combinée au positionnement socioconstructiviste qui souligne l’importance des interactions sociales dans l’acquisition des langues (Vygotski, 1934-1997). Ce choix nous conduit à adopter l’approche par les tâches (Narcy-Combes, 2009) qui met l’accent sur l’implication des apprenants et leur participation à la co-construction des connaissances.
2. Apprentissage situé du français de spécialité
12Le français n’est pas la langue première des étudiants, c’est leur langue de scolarisation. Le français d’enseignement est une langue d’interaction scolaire qui présente des spécificités par rapport au français hors système scolaire. Dans leur situation d’apprentissage, les étudiants sont plus confrontés au français de spécialité qu’au français général. En effet, et comme le souligne Chantal Parpette, « les disciplines ne se manifestent pas à travers une langue mais à travers des discours » (2001). Par son aspect fonctionnel, nous considérons, en reprenant l’expression de Jean-Pierre Cuq et d’Isabelle Gruca (2005), qu’il s’inscrit dans la réflexion développée par le français sur objectif spécifique. La mission des modules LC à l’université, c’est de faire passer l’étudiant des formes langagières ordinaires à des formes discursives scientifiques en lui apprenant à s’appuyer sur ses capacités d’observation, de conceptualisation et d’appropriation.
13Le français universitaire et disciplinaire est une langue d’accès au savoir avec des variétés récurrentes, stables, normées, ritualisées, qu’il est possible de décrire et d’appréhender d’un point de vue linguistique, discursif et socioculturel.
14L’analyse du contexte universitaire marocain, l’identification des situations de communication auxquelles sont exposés les étudiants, la prise en compte de leur niveau, de leur domaine de spécialité à travers les thèmes étudiés, les supports utilisés, les tâches exigées, les activités proposées et le volume horaire alloué au module LC (ne dépassant généralement pas 45 heures) inscrivent l’enseignement du français pour les étudiants des filières scientifiques et techniques dans une approche FOS et FOU. Celle-ci offre l’avantage d’agir dans l’urgence et de cibler de façon étroite les situations de communication, les structures linguistiques et les formes discursives récurrentes dans les discours disciplinaires pour permettre aux étudiants de les acquérir dans le cadre de modules intensifs. Nous nous référons à ce positionnement et à la démarche développée par Jean-Marc Mangiante et Chantal Parpette.
15La démarche FOS repose sur une ingénierie pédagogique déclinée en cinq phases :
- Le constat d’une insuffisance et la commande de la formation exprimée en termes de besoins ;
- L’analyse des besoins ;
- La collecte des données par le biais de l’analyse des documents authentiques et des discours de spécialité ;
- Le traitement des données dans le but d’élaborer des référentiels de compétences ;
- L’élaboration d’outils pédagogiques : référentiels de compétences, programmes, manuels, cours, etc.
16Le recueil des supports d’enseignement, l’enregistrement de cours magistraux et l’analyse d’articles appartenant au champ disciplinaire des apprenants ont permis de collecter les données. Le traitement des données collectées a permis de définir :
- les situations de communication à traiter ;
- les thèmes à aborder ;
- les compétences langagières à faire acquérir ou à améliorer ;
- les structures syntaxiques et le vocabulaire récurrents ;
- les macrostructures et schémas discursifs relativement stables et ritualisés ;
- les aspects culturels à étudier ;
par rapport à un champ disciplinaire donné. Il a également permis de définir la présence de genres discursifs spécifiques à chaque domaine de spécialité, pour enfin élaborer des activités d’enseignement.
17Cette analyse met en évidence des particularités du discours de spécialité à partir desquelles on peut fonder un enseignement du français sur objectif spécifique afin de développer les compétences langagières des étudiants et de les accompagner dans leur socialisation au discours disciplinaire.
18Comme il ne suffit pas d’apprendre par cœur la terminologie pour comprendre et produire le discours d’une spécialité et qu’il faudrait recourir non seulement aux termes mais surtout à toutes les ressources linguistiques et discursives de la langue, l’étude des collocations phraséologiques s’impose. Elle permet de montrer qu’il ne suffit pas de faire se succéder des phrases pour créer l’unité d’un texte et que les énoncés ne sont pas enchaînés de façon aléatoire mais qu’ils sont soumis aux normes du genre discursif dans lequel ils s’inscrivent. Les formes linguistiques ne devraient pas être envisagées en dehors de contextes naturels de communication où le sens se construit à travers des échanges. De ce fait, apprendre une langue ne se réduirait pas à la mémorisation d’un ensemble d’automatismes ; l’apprenant ne doit plus subir de manière passive son apprentissage mais il doit y participer. Cette vision inscrit l’apprentissage du FOS que nous proposons dans une perspective communicative et actionnelle.
19Selon cette approche, toute forme d’usage et d’apprentissage d’une langue s’articule autour de plusieurs actions accomplies par des acteurs sociaux (des individus). Ces derniers développent un ensemble de compétences générales et notamment une compétence à communiquer langagièrement. Leurs compétences s’inscrivent dans des contextes et des conditions variées pour réaliser des activités langagières. Celles-ci sont présentées sous forme de textes portant sur des thèmes à l’intérieur de domaines particuliers (Conseil de l’Europe, 2001). Plusieurs stratégies sont mobilisées dans l’accomplissement des tâches. Pour la réalisation de ces tâches, l’apprenant doit recourir à un répertoire de ressources, non seulement disciplinaires, mais également langagières et procédurales (Conseil de l’Europe, 2007).
20À titre d’exemple, la cohérence discursive en sciences prend en charge l’organisation des informations dans le texte en s’appuyant sur des macrostructures récurrentes telles que :
- la désignation des disciplines, des théories, des êtres, des choses, etc. ;
- la définition d’une discipline, d’un concept, d’une démarche, etc. ;
- l’explication d’un mécanisme, d’un processus, d’une transformation, etc. ;
- la démonstration ;
- le raisonnement par hypothèse, par déduction, par récurrence, par l’absurde, etc.
21Les étapes du raisonnement mathématique s’organisent, quant à elles, selon une logique serrée hypothético-déductive où tout ce qui est établi procède par enchaînements déductifs (Tolas, 2004 ; Terrada, 2013) :
- on pose le problème ;
- on introduit des hypothèses ou des conditions et leurs conséquences immédiates ;
- on s’appuie sur des théorèmes, axiomes, ou propositions supposées vraies ;
- on conclut.
22Pour comprendre et produire ce genre de discours, l’étudiant doit mobiliser des ressources relevant à la fois du savoir, du savoir-être, du savoir-apprendre et du savoir-faire, comme par exemple (Conseil de l’Europe, 2007) :
- savoir identifier, repérer, reconnaître des indices particuliers ;
- savoir observer / savoir analyser ;
- maîtriser la démarche inductive ;
- maîtriser des démarches de comparaison / savoir prendre en compte les différences ;
- savoir identifier des fonctions pragmatiques ;
- savoir identifier des genres discursifs ;
- savoir interagir ;
- savoir apprendre ;
- être capable de mémoriser des éléments nouveaux ;
- savoir reproduire des éléments nouveaux ;
- savoir argumenter ;
- savoir apprendre de façon autonome ;
- savoir gérer son apprentissage de façon réflexive.
23L’enseignement / apprentissage du FOS, selon l’approche actionnelle, revient à relever et à didactiser les structures récurrentes auxquelles l’étudiant est exposé dans son domaine, afin de lui permettre, par le processus d’observation, de conceptualisation et d’appropriation, de les comprendre et de les produire à son tour.
24La mise en application de cette approche, qui combine des éléments théoriques du FOS et de la perspective actionnelle, a donné lieu à la conception d’outils pédagogiques contextualisés pour l’enseignement / apprentissage du français disciplinaire dans le cadre des modules LC.
25Un dispositif intégré, centré sur les besoins des étudiants, a été élaboré selon l’hypothèse que l’accompagnement à l’acculturation des étudiants au genre discursif de leur spécialité leur permettrait de s’intégrer et réussir à l’université.
26Il s’articule autour :
- d’un test de positionnement en amont de la formation ;
- des cours en présentiel améliorés par l’utilisation d’outils pédagogiques adaptés aux besoins des étudiants ;
- des centres de ressources en langues pour l’autoformation guidée ;
- d’un système de certification en aval de la formation.
27La mise en œuvre de ce processus ingénierique commence par l’identification du niveau des étudiants qui, au cours de leur inscription, passent un test de positionnement en ligne, permettant de les situer sur l’échelle de niveaux du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL).
28Le test de positionnement, planifié dans le cadre du Programme d’Urgence 2009-2012 et par la Commission Nationale Langue en 2013- 2014 pour diagnostiquer le profil d’entrée des étudiants nouvellement inscrits à l’Université marocaine, a révélé des niveaux très hétérogènes mais qui se situent beaucoup plus en A1 et en A2 qu’en B1 ou B2.
29Un total de 14191 étudiants a bénéficié du test de positionnement ; il représente 45 % des nouveaux inscrits dans les neuf universités qui ont mis en place cette opération. Cet effectif concerne les trois établissements à accès ouvert. Sur l’ensemble des étudiants qui ont passé le test de positionnement au niveau national, 42 % ont le niveau A1. Ce pourcentage varie entre 40 % et 46 % selon les champs disciplinaires. Il est de 40 % en sciences juridiques et sociales, de 46 % en lettres et sciences humaines et de 44 % en sciences. Le pourcentage le plus élevé est enregistré dans les Facultés des Lettres et des Sciences Humaines.
30Les résultats du test ont donné lieu, dans les universités qui ont adopté ce programme, à des enseignements par groupes de niveau.
31Des manuels de français de spécialité pour les disciplines scientifiques, économico-juridiques et littéraires ont été édités qui articulent les orientations à la fois du FOS / FOU et de l’approche actionnelle. Ils sont mis à la disposition à la fois des étudiants et des enseignants. Ces manuels ont été élaborés en prenant en compte les niveaux du CECRL et les spécificités discursives des champs disciplinaires à travers les thèmes, les supports, les tâches et les activités auxquels sont confrontés les étudiants.
32L’entraînement à la mise en texte, à travers les activités de compréhension et de production proposées dans ces manuels, permet aux étudiants de prendre conscience du fonctionnement et de l’organisation textuelle de leur discours disciplinaire.
33Le bilan de l’expérimentation de cette ingénierie pédagogique est positif. L’étude comparative des résultats du test de positionnement, en amont, et de l’évaluation finale, en aval, a montré des évolutions en termes de compétences, ce qui permet de valider notre première hypothèse. Nous pouvons confirmer la validité de cette expérimentation, étant donné qu’elle a été menée dans 9 universités sur 14.
34En effet, comme le montrent les résultats de l’évaluation calibrée sur le niveau B1, à laquelle ont été soumis les étudiants, le pourcentage des étudiants ayant passé une évaluation finale à la fin du semestre 2 au niveau national est de 52 %. Il varie entre 45 % et 62 %. Il est de 51 % dans les FSJES, de 45 % dans les FLSH et de 62 % dans les FS. Le meilleur pourcentage est réalisé dans les FST suivi des FSJES.
35Le pourcentage des étudiants inscrits au semestre 2 qui ont validé le niveau B1 est de 31 %. Ce pourcentage national varie selon le type d’établissements entre 21 % et 40 %. Il est de 21 % dans les FSJES, de 29 % dans les FLSH et de 40 % dans les FS. Les meilleurs résultats relèvent des FST.
36Nous notons aussi que les résultats sont nettement meilleurs dans les filières à effectifs réduits. Sur un total de 1221 étudiants scientifiques qui ont passé l’évaluation finale du niveau B1, à l’université Ibn Tofaïl, 76 % sont de la filière SMAI (Science des Mathématiques Appliquées et de l’Informatique), 62 % sont de la filière SVT (Science de la Vie et de la Terre) et 61 % sont de la filière SMPC (Science de la Matière Physique et Chimique).
37Cette remarque nous amène à parler des limites de l’approche que cette expérimentation a fait émerger et qui sont plus associées à des problèmes de terrain qu’à la conception du programme.
38Les sureffectifs des groupes LC, dépassant la centaine, ne permettent pas de mettre en place les interactions préconisées par l’approche actionnelle, ce qui conduit encore à un taux d’abandon de plus de 30 %. Un autre problème d’ordre institutionnel remet en question la planification des modules LC qui sont programmés en même temps que les modules disciplinaires. Cette organisation simultanée ne permet pas aux étudiants d’avoir le recul nécessaire pour mettre à contribution les compétences acquises dans ces modules en vue de l’appréhension des cours de spécialité. D’un autre côté, la mise en application du programme se heurte à la résistance au changement et à la conception que les enseignants LC, eux aussi de profils hétérogènes, ont de la classe de langue, réduite encore à sa dimension linguistique.
39Dans sa perspective interventionniste didactique, la Commission Nationale Langue a mesuré les limites de cette expérience et a recherché de nouveaux paradigmes qui viennent non pas pour remplacer le premier mais pour l’enrichir et l’améliorer.
3. Un dispositif hybride pour un apprentissage situé du FOS et du FOU
40Pour faire face à la massification, au manque d’encadrement et à l’insuffisance du volume horaire alloué aux modules LC, un dispositif hybride combinant des cours en présentiel et des cours à distance a été conçu. Il s’agit d’offrir aux étudiants des conditions d’exposition accrue à la langue, via les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication), par des cours à distance qui viennent compléter et enrichir les cours en présentiel.
41La conception de ce dispositif se base sur les fondements théoriques du cognitivisme et du socioconstructivisme. Ce choix n’est pas aléatoire, il veut combiner les conceptions de l’apprentissage des deux théories. Le constructivisme met l’accent sur les capacités d’apprentissage propres à l’individu et le socioconstructivisme considère que l’apprentissage fait partie des activités sociales et que la connaissance se co-construit avec autrui. À cet égard, l’environnement numérique offre plusieurs possibilités de modélisations et d’applications pédagogiques (Brudermann, 2010). À distance et à travers une plateforme numérique pédagogique, les apprenants peuvent apprendre seuls, avec leurs pairs, avec d’autres apprenants en dehors de leurs universités et même de leur pays, comme ils peuvent être accompagnés et suivis par un enseignant / tuteur. Les plateformes permettent de concevoir des apprentissages situés qui offrent aux apprenants, par la réalisation de tâches concrètes, signifiantes et sociales (Narcy-Combes, 2009) plusieurs possibilités de développer leurs compétences, de co-construire des connaissances et d’acquérir la culture de la communauté constituée par leurs pairs qui les considère, au retour, comme membres.
42En combinant des micro-tâches simples d’entraînement et des macro-tâches complexes d’interaction et de collaboration, le dispositif hybride met l’accent à la fois sur les capacités individuelles et sur l’implication collective des étudiants. Grâce au sentiment d’appartenance à la communauté de pratique (Brudermann, 2010) et à la socialisation universitaire qu’il permet de générer, les étudiants vont développer une posture positive vis-à-vis de leurs études, de la motivation et un effet d’émulation.
43Le dispositif met à la disposition des apprenants des ressources et une modélisation qui permet de combiner les activités individuelles, les activités en interaction en petits groupes et l’accompagnement par un enseignant ou par un tuteur. L’apprenant devient acteur de son propre apprentissage ce qui réduit l’intervention de l’enseignant, dont le rôle se limite au guidage afin de favoriser l’autonomie et la responsabilisation des apprenants.
44La mise en œuvre du dispositif a nécessité des cycles de formation au profit des enseignants LC et aussi des doctorants en didactique du FLE et du FOS pour résoudre les problèmes relatifs à la conception – très chronophage – des contenus numériques et au tutorat en ligne.
45Les contenus scénarisés et mis en ligne sur la plateforme Moodle sont adossés aux contenus des cours en présentiel. Ils sont élaborés à partir de la combinaison de l’approche FOS, de l’approche actionnelle et de l’approche par les tâches. Ils comprennent plusieurs séquences :
- la sensibilisation ;
- l’exposition ;
- l’appropriation et l’assimilation ;
- l’interaction et la production ;
- l’auto-évaluation et l’évaluation.
46Ce dispositif est en train d’être testé sur le terrain, afin de vérifier les difficultés relatives à sa mise en place technique et d’évaluer son potentiel au niveau du tutorat à distance et de l’interaction entre les apprenants. Cette phase d’expérimentation permet d’intervenir pour réajuster et adapter le dispositif à la réalité du terrain qui diffère d’une université à l’autre.
47L’état d’avancement de la mise en application du dispositif ne nous permet pas encore de tirer des conclusions pour valider notre deuxième hypothèse, mais nous pouvons renvoyer à des expériences identiques dont le bilan est positif. Nous évoquons à cet effet, à titre d’exemple, l’expérience menée dans le cadre d’une action intégrée entre l’Université Hassan II de Mohammedia et l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, pour le Master de Didactique du FLE et du FOS. Les échanges médiatisés des participants dans le dispositif hybride montrent la pertinence d’un apprentissage situé et collaboratif en ligne. La formation est signifiante pour les apprenants parce qu’elle est orientée vers des savoir-faire pratiques et vers la réalisation de tâches concrètes et sociales.
Conclusion
48En conclusion, nous pouvons souligner l’intérêt de combiner la démarche FOS/FOU avec la perspective actionnelle pour une prise de conscience chez les apprenants des particularités du discours de leur spécialité et pour leur autonomisation. En outre, lorsque cette modélisation s’appuie sur un dispositif hybride, elle est susceptible d’augmenter la qualité de l’exposition des étudiants à la langue d’enseignement et de développer leur responsabilisation et leur motivation. Nous espérons ainsi, grâce au sentiment d’appartenance à la communauté universitaire par la médiation de leurs pairs, couplé à la présence d’un « tuteur », réduire le taux d’échec et d’abandon en première année dans les établissements à accès ouvert. Mais il est important, pour atteindre cet objectif, de pouvoir compter sur la conscientisation et l’implication de toutes les composantes institutionnelles.
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Notes de bas de page
1 Réforme LMD (Licence / Master / Doctorat) de 2003, le Programme d’Urgence 2009- 2012, le Programme de Développement 2012-2016.
2 Formation en langues pour les spécialistes d’autres disciplines.
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Le Français sur objectif universitaire
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