Le protestantisme dans l’empire après 1555
p. 95-103
Texte intégral
1Dans l’Empire, en raison de son morcellement politique et du prestige de Luther (mort en 1546), l’implantation de la Réforme a connu une évolution totalement différente du royaume de France. La situation s’est stabilisée au moment de l’abdication de Charles-Quint en 1555.
La paix d’Augsbourg de 1555
2Cette paix constitue une véritable césure politique et religieuse dans l’histoire de l’Empire. Elle clôt une période d’effervescence et de troubles, incertaine et mouvementée de multiples épisodes guerriers, en général très limités (révolte nobiliaire de 1522, occupation du Wurtemberg et siège de Munster en 1534), soulèvement de Maurice de Saxe et prise des Trois-Evêchés de Metz, Toul et Verdun (1552), hormis la guerre des Paysans et la guerre contre la Ligue de Smalkalde (1546-1547).
3En raison de la durée des troubles religieux, la quasi-totalité des princes désire aboutir à une paix durable. Celle-ci entérine la réalité et sanctionne la renonciation définitive à une seule confession dans l’Empire. Désormais deux religions sont juxtaposées : l’Eglise catholique et les évangéliques membres de la Confession d’Augsbourg (Augsburgischen Confessionsverwandten), soit les seuls luthériens, ce qui exclut les anabaptistes, les zwingliens et les calvinistes (ou réformés). Ces derniers n’obtiendront leur reconnaissance juridique qu’en 1648.
4La liberté religieuse est accordée aux seuls Etats de l’Empire, environ trois cent quatre-vingt-dix avec les villes libres. Celles-ci sont seules, si le catholicisme a été rétabli lors de l’Interim, à tolérer l’exercice des deux cultes. Cette liberté est étendue à la chevalerie, mais interdite aux princes ecclésiastiques. La cause du réservat ecclésiastique (non signée par les Protestants) prévoit que, en cas de passage d’un prince-évêque au luthéranisme, il renonce à sa fonction, afin de préserver ces importants territoires de la Réformation. L’Eglise catholique y bénéficie ainsi d’une garantie de maintien territorial.
5Ce compromis contient certes des imprécisions et des lacunes, qui permettent des interprétations contradictoires. Il est prévu pour une durée indéterminée. Il sert effectivement de référence jusqu’en 1648 et il a permis de maintenir une paix religieuse jusqu’en 1618. Il est devenu un jalon de l’histoire allemande sous quatre aspects.
6L’Empire cesse d’avoir une connotation sacrée. Le schisme ruine la conception universaliste de l’Empire et de la chrétienté.
7Dans les Etats protestants les princes et magistrats urbains se voient attribuer les droits épiscopaux, une décision qui sanctionne un processus en gestation depuis les années 1520. Désormais l’Etat étend son pouvoir sur l’ensemble des domaines ecclésiastiques. Les principautés et les villes libres sont ainsi les grands bénéficiaires de la Réforme sur le plan politique.
8Mais le traité entre en contradiction avec les principes de base de la Réforme. La liberté religieuse, principe fondamental des Réformateurs, est limitée aux seuls princes immédiats de l’Empire, à la chevalerie et aux Magistrats des quatre-vingt-cinq villes libres d’Empire, qui ensemble ne représentent que 0,0025 % de la population. L’immense majorité des habitants n’ont qu’un choix très limité : la soumission ou l’émigration avec leurs biens, d’ailleurs limitée dans l’espace puisqu’interdite dans les territoires patrimoniaux des Habsbourg. La paix impose l’unité confessionnelle de chaque territoire et pose le principe cujus regio ejus religio (l’expression elle-même n’apparaît qu’en 1579). La liberté évangélique devient la liberté de disposer de la confession des sujets.
9Enfin la paix est l’aboutissement du demi-siècle de la Réformation. Elle reconnaît le luthéranisme, désormais protégé juridiquement, ce qui contribue à lui conférer une mentalité de possédant jaloux plus que de missionnaire. Celle-ci est favorisée aussi par le partage géographique précisé de manière juridique. Ce compromis met fin à toutes les espérances à la fois de Luther, désireux de rénover toute l’Eglise chrétienne de l’Occident européen, et de la papauté, soucieuse de rétablir la foi catholique dans tout l’Empire.
10La paix d’Augsbourg a contribué à installer définitivement le luthéranisme dans l’ensemble de la Haute Allemagne aux dépens des idées sacramentaires (zwingliennes) et réformées et à consolider la mainmise des princes sur l’Eglise.
111555 marque l’apogée du protestantisme dans l’Empire dont il couvre la plus grande partie. Seules trois régions lui ont résisté, une large fraction de l’espace rhénan (« la rue des prêtres », Pfaffengasse), les évêchés franconiens et la majeure partie de l’Allemagne du Sud. Mis à part les possessions des Wittelsbach de Bavière et des Habsbourg, la quasi-totalité des princes immédiats temporels ont embrassé le luthéranisme, alors que les vastes territoires ecclésiastiques du sud et de l’ouest ont résisté au flot.
12Malgré le désarroi provoqué par l’Interim, le mouvement réformateur n’est pas encore éteint en 1555, époque où se manifeste au contraire une deuxième vague de conversions de clercs et de demandes aux autorités locales de postes de pasteurs. La paix retrouvée incite plusieurs villes à supprimer l’Interim et le culte catholique réintroduit à cette occasion. A Strasbourg par exemple le corps pastoral, soutenu par une large fraction de l’opinion, a exercé une pression constante sur le magistrat pour supprimer l’Interim, une victoire obtenue en 1559.
Les églises luthériennes
1) La consolidation géographique
13Après 1555 la carte du luthéranisme évolue peu. Il ne connaît plus que trois avancées, dont une limitée dans le temps. Certains princes qui avaient jusque-là hésité à braver Charles-Quint se trouvent désormais protégés par des clauses juridiques ; à côté de convictions profondes l’espoir d’étendre l’autorité sur l’Eglise et de faire main basse sur ses richesses a pu jouer un rôle pas nécessairement mineur. Ainsi la Réforme est introduite dans l’espace rhénan au Palatinat électoral et dans le margraviat de Bade (1556). De nombreux chevaliers et nobles médiats passent à la Réforme en Alsace et dans le Sud-Ouest, en particulier ceux qui sont attirés par les cours de Heidelberg, Stuttgart et Darmstadt, ainsi que dans les évêchés franconiens et en Westphalie.
14La ville de Ratisbonne devient à partir de 1560 le foyer de rayonnement, comparable à une échelle plus modeste au rôle de Genève pour la France, en direction des territoires patrimoniaux des Habsbourg. Grâce à l’envoi de cent-trente pasteurs et d’une abondante littérature, le luthéranisme connaît une remarquable extension dans les territoires autrichiens durant toute la seconde moitié du XVIe siècle : de nombreuses familles nobles, imitées par bien des villes en Haute et Basse Autriche, en Styrie et en Carinthie, passent au luthéranisme entre 1550 et 1570, année où est publiée une liturgie pour les Eglises autrichiennes par Chytraeus, professeur à Rostock et disciple de Melanchthon.
15Dans le reste de l’Empire on assiste, dans la décennie 1570, à une dernière vague luthérienne qui concerne surtout des villes de moindre importance, mais très disséminées dans l’espace comme Colmar, Haguenau, Dortmund et Essen. Cette vague se caractérise par deux faits : le mouvement est porté par le patriciat et la haute bourgeoisie, seule une partie de la population devient protestante, d’où une partition confessionnelle des villes. A côté de ces villes libres, certaines cités épiscopales sont également touchées : des minorités non négligeables, regroupant jusqu’à 10 à 14 % de la bourgeoisie, constituent des communautés dynamiques.
16Deux entités distinctes se forment et vont durer pendant des siècles. L’Allemagne centrale et orientale, comprise entre la Weser, le Main, la frontière polonaise et la Baltique, est formée de grandes principautés. C’est un bloc compact avec de rares enclaves catholiques, qui devient le véritable foyer de la culture et de la spiritualité luthériennes, dominé par la Saxe. Par contre dans l’espace rhénan et au sud du Main le luthéranisme est nettement minoritaire : en dehors du Wurtemberg et de la Hesse-Darmstadt il s’agit surtout d’un luthéranisme urbain et de modestes principautés. Il en résulte que le Main devient après 1560 une frontière culturelle séparant deux Allemagnes qui ne cessent d’accuser leurs différences durant plus de deux siècles, un Nord luthérien, fier de sa germanité, avec des universités et une vie intellectuelle et littéraire actives, face à un Sud marqué par le baroque, la romanité, une certaine indolence intellectuelle et un conservatisme accusé.
2) La genèse des Eglises territoriales
17Durant ces six décennies l’essentiel des forces, tant des autorités politiques que des dirigeants ecclésiastiques, est consacré à la genèse des Eglises territoriales. Rappelons que la paix d’Augsbourg a transféré aux princes membres de la Confession d’Augsbourg les jura episcopalia à l’intérieur de leur principauté, une décision qui influencera durablement les Eglises luthériennes germaniques jusqu’à l’effondrement du système dynastique en 1918.
18Les Eglises territoriales ont une triple originalité. La disparition du pouvoir épiscopal traditionnel entraîne le transfert de la législation et de la juridiction, en particulier matrimoniale, au prince, qui les confie à une instance juridique, et l’émergence d’un droit ecclésiastique évangélique qui s’inspire longtemps du droit canon. Ensuite l’autorité princière prend en charge les dogmes et la liturgie de l’Eglise, ce qui est illustré en particulier par l’acception ou non de la « Formule de concorde ». Cette évolution débouche, après 1600, sur une véritable étatisation de l’Eglise. Enfin le pouvoir politique dispose de l’ensemble des biens ecclésiastiques. La sécularisation est effectuée de manière très diverse : incorporation directe dans les biens princiers ou du territoire, ou administration autonome qualifiée de Kirchschaffnei ou de Kirchenkasten. Comme le rappellent, à la suite de Luther et de Melanchthon, la plupart des ordonnances ecclésiastiques, ces biens sont destinés ad pios usus, soit l’entretien des églises et des écoles et les traitements du corps pastoral et enseignant.
19Ainsi la tendance de Luther de considérer les questions d’organisation et de pouvoir comme secondaires entraîne des conséquences politiques fondamentales, à savoir la mainmise princière sur le pouvoir épiscopal et sur l’Eglise luthérienne pour des siècles. Malgré les critiques ultérieures, cette mainmise politique semble assez bien adaptée à l’état religieux et culturel de l’époque. D’ailleurs dans l’espace luthérien aucune alternative autre que très localisée n’a vraiment eu lieu.
20Le modèle le plus élaboré des institutions luthériennes est celui de la Saxe électorale, mis en place en 1580, et qui a servi de référence à la grande majorité des territoires passés à la Réforme. L’électeur est assisté d’un consistoire supérieur, composé de juristes et de deux théologiens, qui contrôle l’ensemble de la vie ecclésiastique de la Saxe. C’est lui qui nomme les pasteurs, surveille les affaires pastorales et ordonne les visites. Il associe les tâches administratives de gestion et la fonction de tribunal ecclésiastique.
21Entre le consistoire supérieur et les pasteurs, les surintendants ou inspecteurs ecclésiastiques constituent un relais. Leur fonction consiste à veiller au conformisme théologique et moral du clergé et au respect minutieux de toute la législation ecclésiastique. Leur fonction de contrôle et de conseil s’est révélée bénéfique pour l’essor des Eglises luthériennes.
22Le pouvoir épiscopal se manifeste ensuite par les ordonnances. Le XVIe siècle a connu une véritable floraison de Kirchenordnungen. Leur contenu est constitué de formulations doctrinales, de prescriptions pour le culte et l’administration des sacrements, pour les écoles, pour l’examen, l’ordination et la révocation des pasteurs, pour l’administration des biens ecclésiastiques, l’assistance et le contrôle de la vie ecclésiale.
23L’instrument privilégié du pouvoir central sur les paroisses est la visite, à savoir une inspection périodique des paroisses. Sa valeur normative est renforcée par son intégration dans les ordonnances ecclésiastiques. La visite devient un moyen privilégié de gouvernement pour les princes chargés d’édifier un Etat chrétien en soumettant la population au Décalogue et à l’absolutisme d’un césaropapisme.
24De 1550 à 1570 les visites sont orientées vers le contrôle du comportement religieux (pratique régulière, usage des sacrements) et moral (cohésion familiale, rapports sociaux), de l’état matériel (état des églises et presbytères) et financier, de la vie religieuse, des écoles et du corps pastoral. Après 1570 les visites renforcent l’orthodoxie, en dépistant les hétérodoxes et l’emprise grandissante du pouvoir princier, d’où la place croissante des documents administratifs (dénombrements, inventaires des bibliothèques pastorales...). Ces visites sont assurées de manière régulière (tous les cinq à dix ans) et minutieuse.
25L’intense activité législative suscite l’apparition d’un droit ecclésiastique protestant qui reprend certaines dispositions du droit canon médiéval. En fait les princes maintiennent le statu quo pour tout le contexte juridique (patron de paroisse, droit de collation, fondations, paroisses et annexes), matériel (entretien des bâtiments cultuels et des presbytères) et financier (maintien de la dîme, de la propriété ecclésiastique et du mode de rémunération des clercs).
26La seule innovation d’ordre juridique est l’apparition d’un tribunal matrimonial, parfois identique au consistoire, et d’une jurisprudence qui admet le divorce, non sans hésitation et encore seulement après cinq ou dix ans d’abandon ou de séparation, au profit du seul conjoint innocent.
27Chaque territoire luthérien est intimement associé à la confession. Le prince impose l’unité religieuse, mais les opposants peuvent émigrer librement. A l’inverse l’Eglise contribue à renforcer l'unité politique et à accroître le pouvoir du prince, créant ainsi de nouvelles entités dont beaucoup ont maintenu leur identité jusqu’en plein XXe siècle, comme les margraviats franconiens en Bavière ou le pays de Hanau en Alsace.
3) La naissance d’une orthodoxie
28Après la mort de Luther (1546) on assiste à un éclatement de la théologie qui entraîne une multiplication de conflits locaux qui ont plus ou moins condamné à l’inertie le camp luthérien entre 1550 et 1570 : il s’agit du rôle des œuvres, de la Loi et de la justification.
29Une scission plus grave se produit entre les luthériens intransigeants (gnésio-luthériens) et les disciples de Melanchthon (philippistes). Les premiers ont exercé une influence considérable par leur aptitude à transmettre la théologie aux milieux populaires, au moyen d’une littérature catéchétique et de dévotion dont la dimension apocalyptique a connu un large écho dans les classes moyennes.
30Les philippistes constituent une nébuleuse formée en particulier de laïcs à culture universitaire. Ils aspirent à une rénovation humaniste de la théologie, de la science et de l’Eglise. Le conflit porte sur la conception de la cène et de la christologie.
31Ces querelles incitent plusieurs princes, dont l’électeur Auguste de Saxe, à intervenir pour retrouver l’unité par l’établissement d’une interprétation orthodoxe de l’héritage de Luther. L’artisan de cette union est Jacob Andreae de l’université de Tubingen. Il passe près de dix ans en déplacements et rencontres pour déboucher sur la « Formule de concorde » (1577), un commentaire de la « Confession d’Augsbourg », résultat de son activité inlassable et de sa rigueur. Résultat d’une voie moyenne en sacrifiant les gnésio-luthériens et les philippistes, la « Formule » constitue une formulation conforme à Luther, mais elle connaît un transfert d’accent dans l’énoncé de certains dogmes. Par ses énoncés christologiques et eucharistiques et par ses condamnations, elle est aussi, à côté de sa fonction d'unification, un texte de combat contre le calvinisme, donc une coupure avec une partie du protestantisme européen, et elle renforce la rupture avec Rome en associant dans la même condamnation les doctrines papistes et sacramentaires.
32En 1580, l’électeur Auguste de Saxe fait publier le Livre de concorde, qui contient le canon définitif du luthéranisme, soit en particulier les trois symboles œcuméniques, la « Confession d’Augsbourg », « le Grand » et le « Petit catéchisme » de Luther, ainsi que la « Formule de concorde ». Celle-ci est signée par cinquante-et-un princes, par trente-huit villes d’Empire et par huit mille cinq cents pasteurs sous peine de révocation. Durant plusieurs années elle a suscité des discussions animées et mobilisé les opinions dans les résidences princières, les chancelleries, les hôtels de ville et les presbytères. Elle s’est heurtée à diverses résistances, de sorte que près du tiers du protestantisme germanique a refusé la « Concorde », en particulier la Hesse-Cassel, le duché de Brunswick et la Poméranie.
33L’unité a été chèrement payée : elle a entraîné la pénétration du calvinisme dans la plupart des territoires qui ont refusé la « Concorde », en particulier dans l’espace rhénan. La « Concorde » a suscité l’animosité de nombreux politiciens contre les théologiens et leurs passions, et elle a maintenu jusqu’en 1635 la division des Protestants face aux progrès de la Contre-Réforme.
34Désormais le luthéranisme est dominé par l’orthodoxie pour plus d’un siècle et demi. Chaque faculté de théologie publie, avant 1620, un énorme traité, composé en général de sept à dix gros volumes, où l’ubiquisme (présence réelle) est le point le plus complaisamment développé. Il est vrai que le dogme de la présence réelle devient un véritable test de la théologie et de la sensibilité religieuse des luthériens.
35Le rôle historique de l’orthodoxie a consisté à entourer la vie ecclésiastique d’une enceinte intellectuelle qui a protégé le peuple des fidèles de toute influence externe. Elle est remplie d’une force spirituelle profonde (cantiques, recueils de prières) et accompagnée de tendances tournées vers une praxis pietatis.
4) La piété luthérienne
36La Réforme contribue à modifier la sensibilité religieuse. D’un salut collectif obtenu au moyen de rites on passe à un salut individuel qui nécessite des connaissances catéchétiques.
37La piété se caractérise par une pratique religieuse assidue et l’importance des cantiques qui expriment la certitude de la foi et l’assurance du salut. Ils favorisent une sensibilité basée sur l’affectivité, la vie intérieure et des relations directes avec Dieu. La communion, de simple rite indispensable, au contenu assez flou, devient une cérémonie mieux comprise et dont le mystère attire en raison de la présence réelle du Christ. Le rituel sensibilise les fidèles au binôme péché-grâce, et tend à devenir un instrument d’intégration sociale à la communauté.
38Le protestantisme a contribué aussi à inculquer à ses fidèles une culture biblique, en particulier le psautier. Les recueils de prières contribuent à nourrir la vie spirituelle.
39La préparation à la mort prend une orientation nouvelle : la mort est perçue comme domestiquée par la résurrection et donc comme un sas qui permet d’entrer dans la vie éternelle.
Un calvinisme modeste
40Les tensions entre gnésio-luthériens et philippistes ont entraîné le développement des idées réformées et l’apparition d’Eglises territoriales calvinistes. C’est d’abord l’électeur palatin Frédéric 111 qui se rallie en 1563 à la confession réformée. Il publie le catéchisme de Heidelberg (1563), qui est une synthèse des doctrines de Melanchthon et des théologiens de Zurich et de Genève. Il correspond à un zwinglianisme atténué, ce qui en fait rapidement la confession de tous les réformés allemands. Après 1580 la plupart des territoires qui refusent la « Formule de concorde » passent au calvinisme sous l’impulsion de leurs princes et de leurs conseillers théologiques : il s’agit principalement du duché de Deux-Ponts, d’une douzaine de principautés situées entre le Main et la Mer du Nord et de la ville hanséate de Brême. Au début du XVIIe siècle viennent s’y ajouter le landgraviat de Hesse-Cassel et l’électorat de Brandebourg.
41Le calvinisme pénètre également par la base dans l’Empire. Les émigrés néerlandais créent des communautés dans les régions frontalières du duché de Clèves et de la Frise orientale. Elles se fédèrent par une constitution synodale selon le modèle français et néerlandais, adoptée lors du synode général d’Enden (1571). A partir de 1611, les Eglises réformées de la Basse Rhénanie organisent des synodes réguliers.
42Les Eglises allemandes ont plusieurs caractères originaux. Celles de type princier sont assez proches des Eglises luthériennes : l’autonomie paroissiale demeure très relative, les consistoires locaux ne jouent en fait qu’un rôle de dépistage, de surveillance et de réconciliation. Seul le système presbytéro-synodal de Rhénanie et de Frise se situe dans la tradition de Calvin et de Genève.
43Ils ont le souci de procéder à une seconde Réformation pour « épurer le levain papiste », à savoir la suppression des images. Plus rationalistes ils rêvent d’une foi épurée. Ils accordent une plus grande place à l’investissement éducatif : ils bénéficient d’établissements universitaires très actifs. Herbom devient une citadelle de l’orthodoxie réformée et bénéficie de la renommée de plusieurs théologiens et surtout du philosophe Alsted. Heidelberg devient la seconde métropole du calvinisme européen derrière Genève et favorise chez les réformés une solidarité à l’échelle européenne, absente chez les luthériens.
Le confessionalisme
44La consolidation des Eglises protestantes entraîne à l’image des régions demeurées catholiques l’apparition d’un sentiment confessionnel, favorisé par des polémiques. Face aux Catholiques, les débats portent sur la messe, les jésuites et le Concile de Trente.
45Tout aussi importants sont les conflits intraprotestants. L’introduction du calvinisme dans les territoires luthériens se traduit par une modification du décor des églises et de la liturgie, la suppression du rite luthérien de la communion et la révocation de la majorité des pasteurs.
46La résistance se cristallise principalement en Saxe. Les disciples de Melanchthon font régner à l’université de Wittenberg un cryptocalvinisme qui provoque en 1574 une crise théologico-politique. Plusieurs théologiens et hommes politiques sont condamnés à des peines de prison, dont le chancelier Cracov qui se suicide et Peucer, le gendre de Melanchthon. Douze ans plus tard l’avènement d’un nouvel électeur, Christian 1er (1586-1591), entraîne le retour des réformés, ce qui suscite une vive résistance de la majorité de la population, encouragée par la mise à l’écart de nombreux Saxons des postes de la Cour et de l’administration au profit d’éléments étrangers à l’électorat. Aussi à la mort prématurée de l’électeur assiste-t-on à une violente réaction luthérienne qui se traduit par de nombreuses révocations de professeurs et de pasteurs. L’exécution du chancelier Crell (1601) symbolise l’acharnement du conflit confessionnel et le retour de la Saxe dans le camp luthérien.
47Un peu partout le confessionalisme se traduit par le rejet de tout accommodement avec les autres confessions. Les membres de celles-ci sont présentés comme ayant une doctrine obscurcie, pervertie de manière blasphématoire et inspirée par le diable.
48Cette attitude se traduit par un processus de consolidation doctrinale, de réorganisation institutionnelle et de réforme religieuse et morale. On assiste à la mise en place d’un réseau clérical serré pour contrôler le comportement religieux et moral des fidèles. Les pasteurs deviennent à la fois des chefs spirituels, des officiers de morale, des gendarmes des services sociaux et des fonctionnaires princiers.
***
49A la différence de la France et des Pays-Bas la paix d’Augsbourg a permis d’éviter les violences physiques. Vers la fin du siècle on assiste à un rapprochement entre luthériens et catholiques selon le slogan lieber papistisch als calvinisch. Lors des passages d’un territoire du catholicisme au luthéranisme ou inversement on trouve peu de traces de résistances ou de départs avant 1618 à la différence du passage au calvinisme.
50Il subsiste des espaces de liberté. Dans la grande majorité des territoires la présence de personnes isolées d’autres confessions est tolérée à condition de ne pas célébrer publiquement leur office. Elles peuvent à tout moment quitter le territoire avec leurs biens, soit plus d’un siècle d’avance sur la France où Louis XIV a refusé cette libre circulation.
51Néanmoins les tensions, provoquées par la montée de la Contre-Réforme et l’agressivité des calvinistes rendent la paix de plus en plus fragile et débouchent en 1618 sur l’explosion de la Guerre de Trente Ans.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
Vogler (Bernard), Le monde germanique et helvétique à l’époque des Réformes (1517-1618), Paris, 1981.
Vogler (Bernard), Vie religieuse en pays rhénan dans la seconde moitié du XVIe siècle (1556-1619), Lille, 1974.
Vogler (Bernard), Histoire du christianisme, t. 8, Paris, 1992.
Auteur
Professeur, Université de Strasbourg
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