Le protestantisme dans les Pays-Bas espagnols
p. 67-74
Texte intégral
1L’histoire des Pays-Bas espagnols, des Pays-Bas dans leur ensemble, est une histoire immense car c’est l’histoire d’un grand Etat. Il fallait donc faire des choix et j’ai choisi d’aborder la question sur la longue durée. Je l’ai fait en privilégiant des temps forts qui sont dans l’esprit de ce colloque, c’est-à-dire dans la problématique de l’Edit de Nantes et des problèmes posés par l’Edit. Je ne ferai donc pas une histoire du protestantisme dans les Pays-Bas. Je me situerai légèrement en amont et en aval de 1598, plutôt que sur le premier XVIe siècle. Mais je voudrais, tout d’abord, présenter quelques observations liminaires qui feront une transition avec les communications précédentes.
2Nous sommes dans des territoires profondément marqués par l’économie de marché. Je le souligne parce que, par rapport à la France, ce n’est pas la même chose. Les Pays-Bas possèdent le premier port du monde à cette époque, Anvers, de grandes métropoles textiles : Gand, Lille, etc... Certes, il existe aussi d’importantes zones rurales, mais elles sont généralement marquées par une économie agricole relativement évoluée. Il y a surtout de nombreuses villes et une économie d’échange intense et ceci a une influence profonde car, d’une part, il y a échange des idées et ce n’est pas un hasard si Erasme est originaire de ces régions et, d’autre part, ceci a aussi une implication dans la manière dont les problèmes sont vécus. Beaucoup de contemporains posent, par exemple, la question de la coexistence pacifique en termes économiques. La deuxième observation, c’est que nous nous situons dans les dix-sept provinces « belgiques ». C’est un assemblage relativement hétérogène que cet ensemble de dix-sept provinces réunies historiquement. Pour ce qui concerne les provinces les plus septentrionales, le rattachement est même relativement récent puisque consécutif aux guerres de Gueldre. Comme l’a fait remarquablement observer Guillaume d’Orange dans son « Apologie », des contemporains ne considèrent pas le roi d’Espagne comme un « souverain ». C’est le comte de Flandre, Charles Quint, qui est devenu roi d’Espagne. Dans ces provinces il est comte d’Artois, comte de Flandre, duc de Brabant, et il ne gouverne pas « à plaisir ». Son autorité est bornée par les coutumes et les privilèges qu’il a juré de respecter, comme on peut le lire dans ce très beau texte politique qu’est 1’« Apologie ». La troisième particularité réside dans le fait que les troubles vont se dérouler avec, à la tête du pays, un prince considéré comme un « étranger » par une partie de la population. Le roi d’Espagne est catholique, alors qu’en France le problème qui s’est posé était de voir arriver sur le trône un roi huguenot. La superposition du problème national et du problème religieux donne donc aux événements des Pays-Bas une coloration spécifique.
3J’ai scindé mon propos en trois parties tout à fait inégales sur le plan chronologique. J’évoquerai d’abord la phase à la fois de naissance, de répression puis d’efflorescence, et de répression forte du protestantisme. C’est-à-dire, la période qui va des années 1530 jusqu’à 1576 environ. Nous avons ensuite une courte période passionnante (1576-1579), que je scruterai plus attentivement, qui est celle de toutes les possibilités, pendant lesquelles aurait pu se développer une situation susceptible de produire par anticipation des édits de pacification du type de ceux intervenus en France et évoqués par Solange Deyon. Et puis, une troisième phase que je ne ferai que survoler qui va de 1579 jusqu’à la conquête française du milieu du XVIIe siècle, qui est la période de volonté d’éradication du protestantisme dans les provinces méridionales et centrales des Pays-Bas et de reconquête catholique.
4Je rappellerai simplement1 que le protestantisme s’est développé sous sa forme luthérienne, puis calviniste, et que Charles Quint publia de nombreux « placards » pour l’interdire : on en a compté onze entre 1521 et 1550 (mais il y en a peut-être eu plus...). Philippe II les a tous confirmés en 1556. Les premiers bûchers s’allumèrent dans ces régions peut-être dès 1523, sûrement vers 1531-1532. Les placards les plus durs frappèrent d’abord les anabaptistes. Le placard du 10 juin 1535 n’épargnait même pas ceux qui se repentaient, ce qui est rarissime. Ce placard prévoyait en effet que « ceux qui étaient obstinés mourront par le feu, et que ceux qui “renonchent” mourront par l’épée pour les hommes, et par la fosse pour les femmes ». Elles étaient condamnées à la fosse, c’est-à-dire à être enterrées vivantes. Toutes les études sur les anabaptistes montrent que ceux-ci ont fourni, tout au moins pour la première période de cette répression, le principal contingent de victimes. Le calvinisme s’est, pour sa part, développé par vagues successives dans ces régions. N’oublions pas, à ce propos, que si la mémoire collective assimile développement du calvinisme et provinces du Nord (Zélande, Hollande, etc...), c’est en fait dans les provinces méridionales des Pays-Bas, tout particulièrement dans les Flandres, en Hainaut, en Brabant qu’il s’est fortement développé au début. Ce n’est pas parce que le calvinisme s’est maintenu dans le Nord et a disparu au Sud, qu’il faut oublier que Tournai, Valenciennes, la vallée de la Lys, Bergues, Hondschoote (etc...), ont été des hauts lieux de la religion réformée. Ces solides implantations sont liées à la présence et à l’action de Pierre Brully vers 1545, puis de Guy de Bray, au développement de l’Eglise montoise, de l’Eglise clandestine lilloise, qui répondait au nom de code de « la Rose », des groupes tournaisiens.
5Le problème devient aigü à partir de 1564-1565. Les seigneurs du pays, pas seulement issus de la petite noblesse, mais aussi certains grands seigneurs, sont pour certains acquis à « la nouvelle religion » ou bien pour d’autres la perçoivent comme une force d’avenir avec laquelle il faudra compter. Or, la politique intransigeante du roi d’Espagne les inquiète énormément. Les nobles du pays décident de lui envoyer en ambassade le seigneur le plus prestigieux du pays : le comte Lamoral d’Egmont, qui commandait la cavalerie de l’armée espagnole lors de la mémorable victoire espagnole de Saint-Quentin (10 août 1557) sur les Français. Cet ambassadeur devait tenter d’infléchir Philippe II. Il fut très bien reçu, on flatta sa vanité mais on ne lui concéda rien. Non seulement il n’eut pas gain de cause mais le roi, dans ses célèbres dépêches datées du bois de Ségovie du 3 octobre 1565, déclare :
J’ai réexaminé, j'ai néanmoins bien voulu encore une autre fois diligemment et particulièrement examiner, le tout considéré n’ai trouvé qu'il n’y ait cause pourquoi je deusse changer ma précédente résolution, ni prompt ni dont on l’on peut espérer aucun bon succès.
Signamment en mon absence2
6Des nobles se sont organisés avec le fameux compromis pour bien préciser qu’ils souhaitaient qu’on change cette politique. Ils affirment :
Sa Majesté n'a voulu en rien adoucir les placards pour le respect de la religion, mais les renforcer davantage et mêmement nous introduire à toute force l’Inquisition laquelle est non seulement inique et contraire à toute loi divine et humaine surpassant la plus grande barbarie que oncques fut pratiquée entre les tyrans... A raison de quoi avons avisé de faire une sainte et légitime confédération et alliance promettant et nous obligeant l’un l’autre par serment solennel d’empêcher de tout notre effort que ladite Inquisition ne soit reçue ni introduite en aucune sorte.
7Nous sommes donc en présence d’un calvinisme qui s’est largement développé dans certaines zones, en particulier dans les zones urbaines et « industrielles » de la vallée de la Lys, avec des nobles qui soit le soutiennent, en particulier des nobles de second rang, et d’autres qui en tout cas ne veulent pas le combattre et sont partisans d’une certaine tolérance. Ceci aboutit à ce qu’on peut appeler une « manifestation » de nobles, la fameuse requête de mars 1566 où ils sont traités de « gueux ». Ils se sont emparés de ce terme de manière brillante et habile. Des seigneurs traités de « gueux », c’était un slogan extraordinaire pour l’époque et ils ont su utiliser l’incident pour se rendre encore plus populaires.
8Et on aboutit à la grande explosion de « l’année des merveilles » de 1566 où on a l’impression que la « nouvelle religion » va l’emporter. Le gouverneur de Lille écrivait peu de temps avant : « les justices ont les mains closes ». Les juges, les magistrats ne veulent plus poursuivre les hérétiques tellement ils sont persuadés que tout va changer. De la même manière, lorsque se produit l’explosion iconoclaste (quatre cents églises détruites en Flandre, les cathédrales de Gand, de Tournai, d’Anvers dévastées, « ramonées », comme on disait à l’époque), la gouvernante, Marguerite de Parme, est désemparée. Le 23 août, elle se tourne vers la seule force existante, car pour dialoguer dans un conflit il faut trouver des personnes avec lesquelles il est possible de dialoguer. Seuls les nobles ont une certaine organisation avec leur confédération. Elle discute avec eux et ils s’engagent à arrêter « les sectaires », selon le terme consacré ; en revanche elle promet la liberté de culte « aux champs » là où cela existait avant. Les calvinistes valenciennois se sont alors dépêchés de tout casser le 24 août de manière à ce que la ville bénéficie des libertés accordées et publiées le 25...
9Il faut revenir sur ce qui s’est passé dans les Flandres et s’arrêter sur la personne de Lamoral d’Egmont. C’était apparemment un homme de bonne volonté. Il est gouverneur de Flandre et d’Artois et il va s’efforcer, assez loyalement, d’organiser la coexistence pacifique. Il va accepter, parfois, l’érection de temples près des villes. Il va laisser des maisons au culte réformé à Gand. Il ne comprend pas très bien ce qui se passe, mais il essaie d’appliquer l’accord. C’est une attitude qui lui sera fondamentalement reprochée. Mais il faut bien le dire, Egmont est un peu une exception, avec Hornes à Tournai, car aussi bien dans la région de Lille, que dans le Hainaut, on peut parler d’une interprétation à la rigueur de l’accord. Tant qu’on ne peut pas sévir, on ne le fait pas, mais dès qu’on le pourra on y mettra fin. Telle est la position de Rassenghien gouverneur de Lille ou de Noircarmes grand bailli de Hainaut. Je tiens à souligner qu’on n’a pas attendu l'arrivée du duc d’Albe pour commencer à réprimer et reprendre assez largement le contrôle du pays. Marguerite de Parme, dès mars 1567, a fait reprendre Valenciennes, Le Cateau, et un peu partout les « consistoriaux », sont arrêtés. Lorsque le duc d’Albe arrive, il trouve une situation qui est déjà assez largement contrôlée. Mais bien évidemment il va instaurer un régime de terreur avec la mise en place du Conseil des Troubles, l’arrestation puis l’exécution d’Egmont et de Hornes, l’exécution des casseurs de l’été 1566. C’est la fin, tout au moins temporaire dans les provinces méridionales, de tout espoir pour les Protestants. Beaucoup vont émigrer et trouver refuge en Angleterre et dans les provinces septentrionales.
10J’aborde la deuxième phase de cette période, qui est la plus incertaine car tout apparaît possible. Nous sommes en 1576, la politique espagnole a montré ses limites, a même échoué et la situation est très incertaine. Les députés des Etats discutent à Gand lorsque survient, le 4 novembre 1576, la nouvelle de l’épouvantable sac d’Anvers, qui a fait sept mille à huit mille morts selon les historiens. J’insiste sur ce fait parce qu’on parle souvent de grands massacres dans l’histoire, mais on ne parle pas suffisamment du sac d’Anvers et de ses milliers de morts en quelques jours. Ceci provoque immédiatement l’aboutissement des discussions gantoises avec, le 8 novembre, l’adoption de la fameuse « Pacification de Gand ». Celle-ci est un acte qui s’inscrit dans l’axe des réflexions de ce colloque. Pour les signataires, la priorité des priorités c’est de rejeter l’Espagnol hors des Pays-Bas, de laisser le gouvernement aux autochtones et de mettre la question religieuse entre parenthèses mais en laissant au catholicisme sa position dominante. On reconnaît à la Hollande et à la Zélande le droit d’avoir des libertés religieuses ; pour les autres provinces on tolère et on prévoit d’en discuter plus tard. On ne va pas plus loin mais la liberté de conscience est quand même mentionnée. Cette « Pacification de Gand » va être la base de l’uniori sacrée et faire beaucoup gloser. En effet, on a évoqué Duplessis-Mornay et d’autres ; dans certains de leurs textes ils ont, à la demande de Guillaume d’Orange, vulgarisé assez largement une pédagogie de la « Pacification de Gand ». Pour eux la paix de ce pays est en deux articles : au fait de l’Etat ; au fait de la religion. Sur le fait de l’Etat, ils sont unanimes : le départ des Espagnols et la restauration des libertés anciennes. En ce qui concerne la religion ils se retrouvent sur un point commun : chacun veut vivre en liberté sans être recherché par un inquisiteur. C’est le plus petit dénominateur commun. Duplessis-Mornay souligne :
il faut que nous en fassions encore un autre qui est de n’empêcher point l’un l'autre en la liberté de sa conscience et exercice de sa religion en tous pays.
11Je pourrais encore citer de nombreux documents comme « Le Discours contenant le vrai entendement de la Pacification de Gand » qui est anonyme mais dans lequel on retrouve les idées de Duplessis-Mornay avec des positions qui sont intéressantes et qui vont être reprises dans le projet de « Religionsfrid » de Guillaume d’Orange. Cette « Pacification de Gand » a reçu une interprétation restrictive dans un sens catholique à « l’Union de Bruxelles » (9 janvier 1577) et dans « l’Edit perpétuel » signé par don Juan d’Autriche le 12 février 1577.
12Le calvinisme se développe non seulement au Nord mais par le biais de « communes » à Bruxelles, à Gand notamment et dans bien d’autres villes dans lesquelles les calvinistes ont un pouvoir réel. II y a là des expériences de démocratie urbaine qui évoquent des situations qu’on retrouvera pendant la Révolution française avec les sans-culottes. Ainsi le terme « patriote » est alors couramment utilisé en 1577. Ce n’est pas une invention de la fin du XVIIIe siècle. Or, ces patriotes sont extrêmement « zélateurs » et ils cherchent à « révolutionner » par la force certains Magistrats, c’est-à-dire certaines « municipalités » modérées comme à Lille ou Arras. Ceci inquiète les esprits les plus sages, ceux qui voient plus loin et tout particulièrement Guillaume d’Orange qui perçoit le danger car simultanément les Catholiques, les Wallons plus particulièrement, s’inquiètent et veulent sortir de « l’Union ». Un bourgeois arrageois, Ponthus Payen, a dressé un portrait particulièrement incisif du prince :
... ledit prince parlait toujours froidement et sans colère, sa contenance était humble et gracieuse mêlée d’une bienséante gravité. Il avait la parole tant attirante qu'il tournait aisément ceux qui l'écoutaient à suivre ses opinions. Quant au fait de la religion, il s’y comportait si dextrement que les clairvoyants n’y savaient rien reconnaître. Les catholiques le réputaient catholique, les luthériens, luthérien, car il allait journellement à la messe combien que sa femme et sa fille fissent profession de l’hérésie de Luther publiquement et en sa présence sans toutefois leur en savoir malgré. Il trouvait mauvais la sévérité de nos théologiens de garder exactement les constitutions d'Eglise sans céder un seul point à leurs adversaires. Blâmait les calvinistes comme gens séditieux et sans repos et néanmoins avait en horreur le placard de l’Empereur qui les condamnait à la mort estimant que c’était chose cruelle de faire mourir un homme pour avoir seulement soutenu une opinion erronée. Et qu'en chose qui touchait la religion qu’il fallait avoir grande modestie : « Sire servez-vous des corps sans vous soucier des âmes ». Qui l'eu voulu croire l’on eu établi une espèce de religion qu'il fantastiquait en son esprit, demi catholique, demi luthérienne, pour donner contentement aux uns et aux autres. Mais si vous considérez de près son inconstance au fait de la religion, vous trouverez qu’il mettait l’Etat par dessus la religion chrétienne, comme une invention politique pour contenir le peuple en nos fils par une crainte de Dieu.
13Ce portrait de Ponthus Payen est certes partial mais souligne nettement que le prince d’Orange est avant tout un grand politique.
14Celui-ci perçoit le danger que font courir à l’Union les extrémistes calvinistes. Il fait adopter le 10 juillet 1578 par les Etats son célèbre projet de « Religionsfrid », c’est-à-dire la « paix de religion ». Nous sommes au cœur du sujet de ce colloque :
A savoir liberté et exercice d’icelle aussi bien que de l’ancienne religion soit permise par un accord amiable ou « religionsfrid ». Touchant lesdites religions chacun demeurera franc et libre, il en voudra répondre devant Dieu de manière que l’on ne puisse troubler l'autre.
15Il prévoit le retour du culte catholique là où cent ménages le demanderont dans des régions où pourtant dominait la religion protestante comme en Hollande ou en Zélande. Réciproquement, il faudrait accepter, permettre le culte réformé là où il n’existait pas.
16Les propagandistes du prince d’Orange s’en prennent, par ailleurs, aux extrémistes protestants : la liberté que ceux-ci réclament pour eux-mêmes, ils doivent la laisser aux autres, disent-ils. Si on veut la liberté pour soi, on ne doit pas contrarier celle des autres. Dathenus, pasteur extrémiste de Gand, répond : il faut être athée pour tolérer le catholicisme. Il y a là des débats importants et riches d’arguments. Cette politique des modérés, qui évoque celle de Michel de l’Hospital et de bien d’autres en France, ne peut pas réussir dans le climat d’exaltation qui règne alors aux Pays-Bas.
17La déchirure finale intervient à Arras. L’« Union d’Arras » signée à l’abbaye Saint-Vaast le 6 janvier 1579 fut, comme l’a brillamment dit Henri Pirenne, un grand succès pour le roi catholique et un grave échec pour le roi d’Espagne. Effectivement dans ce texte qui marque l’union du Hainaut, de l’Artois, l’accusation est formelle : les Protestants n’ont pas respecté la « Pacification de Gand » :
Et combien qu’en conformité desdictes pacification et union, chascun se devoit contenir en ses bornes, sans rien attenter de faict ny de parolles, au préjudice d’icelles, signamment de nostre saincte foy, religion catholique, apostolique, romaine et deue obéissance de Sa Majesté, sy estoit-il advenu que plusieurs séditieux, hérétiques et perturbateurs du repos publique,... etc...
18On fait allusion bien sûr aux Gantois. Le texte conclut :
A ceste cause, en vertu de nos pouvoirs et commissions, respectivement et aultrement, avons promis et juré, promettons et jurons les uns aux aultres, en foy de chrestiens et gens de bien, pour nous et noz successeurs à jamais, suyvant le contenu exprès de ladicte union, et à l'effet et accomplissement d’icelle, de persévérer et maintenir nostredicte saincte foy catholique, apostolique, romaine, deue obéissance de Sa Majesté et pacification de Gand... etc...
19Le 17 mai 1579, « l’Union d’Arras » devient la Paix d’Arras, ratifiée également par Lille-Douai-Orchies et bientôt par Valenciennes.
20Je ne peux que donner quelques indications très sommaires sur le siècle qui suit. A « l’Union d’Arras » a répondu « l’Union d’Utrecht » (29 janvier 1579) des calvinistes ; ainsi dès 1579 s’opère la scission définitive des Pays-Bas. En effet, même si Alexandre Farnese, avec les troupes espagnoles, a failli reprendre militairement le contrôle de la Hollande et de la Zélande, nous savons bien que cela n’aurait pas tenu face à la volonté des peuples. Observons tout de même que ce sont des décisions peu pertinentes de Philippe II qui firent échouer Farnese. Une première fois, le roi le fit redescendre sur la côte belge actuelle pour le faire embarquer à bord de l’invincible Armada, et ensuite pour venir secourir Paris et la Ligue.
21Il y a aussi et surtout le bannissement des Protestants des villes par proscription à partir de 1579. Je renvoie au document que j’ai publié dans la Revue du Nord avec des listes de noms3. Ceci était mal connu et a son importance. On a convoqué par dizaines, à plusieurs reprises, par petits groupes de dix, entre 1579 et 1581, les calvinistes ou les suspects de calvinisme, ou même de mauvais esprits qu’on accusait ainsi, en leur signifiant qu’ils avaient trois heures pour faire leurs bagages et partir. Trois cents personnes quittèrent ainsi la ville de Lille, et cela se produisit aussi dans d’autres cités3. Simultanément, toute une politique de censure des livres, de répression des jeux scéniques et théâtraux est mise en œuvre. Puis se développe une réforme catholique active avec les jésuites, les capucins et bien d’autres.
22Je voudrais enfin signaler pour conclure que pendant la guerre au XVIIe siècle, l’Artois et la Flandre seront paradoxalement pro espagnoles et hostiles aux Français. Richelieu avait coutume de dire que les Arrageois étaient plus espagnols que les Castillans ! Mais il faut surtout insister sur la vision qu’on avait, dans ces régions, du roi de France. Il était perçu comme un hérétique, comme celui qui tolérait l’hérésie en son royaume à cause de l’Edit de Nantes. Lorsqu’en 1640, Louis XIII fait la conquête d’Arras, première grande ville des Pays-Bas à capituler, le Magistrat de la ville fait stipuler dans l’acte de capitulation cet article 2 :
la liberté de conscience ne sera pas permise dans la dite ville et cité, faubourgs et banlieue d’icelle, mais la foy catholique, apostolique et romaine seule maintenue et conservée, et le Roi sera supplié de n’y établir aucun gouverneur, officier et soldats d’autre religion.
23Lors des conquêtes suivantes, et encore à Lille en 1667, partout il est précisé que l’Edit de Nantes ne s’y applique pas. J’ai par ailleurs montré à quel point le petit peuple lillois était hostile aux « hérétiques » et à tout libre exercice du culte réformé4. Lorsque des soldats protestants de l’armée française pratiquent leur religion, des habitants viennent les troubler. Louis XIV est accusé d’être un mauvais chrétien, et lorsqu’il révoque en France l’Edit de Nantes, le chroniqueur Chavatte le mentionne au passage en considérant que c’est tout à fait normal. Enfin Louis XIV est par dessus tout un mauvais chrétien parce qu’il n’est pas aux côtés de l’Empereur pour défendre Vienne et la Chrétienté contre le seul véritable danger qui compte : le Turc. C’est inadmissible ! : « il préférait piller les pauvres paysans de Flandre plutôt que de se battre aux côtés de l’Empereur contre le Turc »juge sans appel l’ouvrier lillois.
24La Réforme catholique a fait son œuvre ; la terre des Gueux du XVIe siècle est devenue la catholique Flandre.
Notes de bas de page
1 Solange Deyon & Alain Lottin, Les casseurs de l’été 1566. L'iconoclasme dans le Nord de la France, Paris, Hachette, 1981, 255 p.
2 Philippe II entretiendra le mythe de son « éternel » retour aux Pays-Bas. Il n’y reviendra jamais, mais ne cessera d’en parler.
3 Alain Lottin, « Le bannissement des protestants de Lille après la paix d’Arras (1579-1582) », Lille, Revue du Nord, t. LXVI, no 261/262, avril-septembre 1984, p. 481-498.
4 Alain Lottin, Chavatte, ouvrier lillois. Un contemporain de Louix XIV, Paris, Flammarion, 1979, 445 p.
Auteur
Professeur, Université d’Artois
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