Discussions
p. 55-59
Texte intégral
1• Mme Catherine Denis-Clemens (Université d’Artois) : J’ai une question pour M. le recteur Joutard. J’ai été très intéressée par les perspectives que vous avez ouvertes à propos du commentaire sur l’article 1 de l’Edit et justement sur la question de l’oubli, de l’extinction de la mémoire. Mais en même temps j’avoue être un petit peu mal à l’aise sur cette interrogation car je me demande si finalement cette interrogation n’est pas un gros anachronisme car, il me semble tout à fait normal qu’à cette époque, après une période de guerre, on impose une amnistie, quelque soit l’horreur des crimes qui ont été commis. C’est seulement à partir du XXe siècle que la notion de crimes imprescriptibles va se mettre en place et donc que toute cette interrogation sur la mémoire est apparue. Ainsi, peut-on vraiment poser cette question là pour l’article 1 de l’Edit de Nantes ?
2• M. le recteur Philippe Joutard : Je crois quand même que ce n’était pas indifférent que dans un édit précédent on ait suggéré cette question de l’oubli et de l’extinction de la mémoire. Il y avait là un véritable problème autour de la Saint-Barthélémy. Il se trouve que dans une période un petit peu lointaine, j’avais dirigé un ouvrage sur « la Saint-Barthélémy ou les raisons d’un massacre » et c’est là que j’ai fait allusion à Elisabeth Labrousse. Le problème dès le départ de la Saint-Barthélémy et la manière dont il faut l’interpréter est constamment présent, j’allais dire pratiquement au moment même où l’événement se produit dans les premières relations. C’est-à-dire, quel est le rôle qu’a joué ou non la royauté, et les débats sur la « mémoire » de la Saint-Barthélémy ne sont pas des débats du XXe siècle, ce sont des débats de type politique au sens fort du terme et l’évolution des représentations que l’on en a ne sont pas des phénomènes actuels. Je crois que la manière dont on se situe d’une part, par rapport aux origines, et d’autre part, par rapport à un certain nombre d’événements qu’on peut qualifier de fondateurs (ce mot de fondateur est un mot contemporain, actuel), l’approche du rôle que doit jouer le passé et la manière dont il faut l’articuler sur le présent, ce n’est pas faire de l’anachronisme. D’une certaine façon, la décision d’Henri IV, n’est pas l’œuvre du hasard, et je ne critique pas Henri IV d’avoir agi ainsi, car là ce serait de l’anachronisme. Je constate un fait et je le critique d’autant moins que sur ce point le roi, l’opinion et même les Protestants allaient dans le même sens. Alors la formulation que j’ai faite était peut-être un peu anachronique mais je pense que le rapport à un événement aussi important que la Saint-Barthélémy et son « oubli » n’est pas anachronique.
3• M. Jean-Pierre Duteil (Université du Littoral) : J’ai une question pour M. Joutard : quelle était l’attitude des Protestants vis-à-vis des écrouelles et des miracles ?
4• M. le Recteur Joutard : Il y a le principe et la réalité. Sur le principe ils ne pouvaient être que contre. Dans la réalité, en ce qui concerne l’attitude du Protestant « moyen », il faut être beaucoup plus nuancé. Voilà quelques années faisant mes enquêtes orales (travaux s’inscrivant dans le XXe siècle) concernant, dans le pays des Camisards, le rapport du protestantisme aux problèmes miraculeux et plus généralement, comme aurait dit notre ami Dupront, le « sacré panique »J’avais été stupéfait au détour d’une question de constater le maintien de certains phénomènes que l’on pourrait qualifier de « magiques ». Et, une personne que j’avais interrogée m’avait avoué qu’elle avait un rite de désensorcellement qui invoquait « Mgr. saint Pierre et Mgr. saint Jean ». J’ai d’ailleurs fait un article là-dessus*. C’est donc dire, nous le savons fort bien et ce n’est pas seulement vrai pour les seuls Protestants, qu’il y a toujours un intervalle très fort entre ce qui est affirmé et ce qui est pratiqué. J’ai un peu le sentiment que le témoignage que j’ai recueilli pour le XXe siècle peut-être applicable pour d’autres périodes.
5• M. Alain Joblin (Université d’Artois) : J’ai l’impression que les rapports du Protestant et de ce qu’il est convenu d’appeler la religion populaire, à l’époque moderne, ont été peu étudiés à nos jours. Il faudrait peut-être reprendre les procès-verbaux des synodes, et en particulier des synodes provinciaux, pour voir qu’elles étaient les peines que les consistoires pouvaient être amenés à prononcer contre les Protestants qui continuaient à faire, par exemple, tel ou tel pèlerinage. L’étude reste à faire me semble-t-il.
6• M. le Recteur Joutard : Je voudrais ajouter un autre élément pour vous répondre, non pas sur les écrouelles, mais ça rejoint un peu ce que j’ai dit sur l’absolutisme forcené des Protestants. Et bien, à propos de la naissance dite « miraculeuse » de Louis XIV, « Dieudonné », les théoriciens protestants ont été parmi ceux qui ont développé ce thème.
7• M. Alain Joblin : Il faut remarquer que le plus grand nombre d’ouvrages évoquant la capacité du roi à guérir les écrouelles ont été publiés sous le règne d’Henri IV. Mais justement Henri IV avait quelque chose à prouver : il devait prouver qu’il était bien l’Elu de Dieu et qu’il avait le pouvoir de faire des miracles.
8• le docteur de Bures-Mackensen : Je voudrais savoir si Henri IV, qui a été sacré non pas à Reims mais à Chartres, a guéri des écrouelles à Chartres ?
9• M. Robert Benoit : Il faut d’abord souligner que le fait qu’il soit sacré à Chartres n’avait aucune importance. Au moment du sacre, je ne sais pas, mais nous savons qu'après son abjuration à Saint-Denis, le roi s’est dépêché de sortir de la Basilique pour aller toucher les malades. Les malades présentés au roi étaient fort nombreux et nous savons qu’Henri IV mettait un point d’honneur à toucher et à guérir. Les écrouelles, c’est une maladie de carence, c’est de l’adénite tuberculeuse. On sélectionnait les malades et pendant quinze jours on les faisait vivre correctement : bonne hygiène, et surtout bonne nourriture. Il y avait donc une régression de la maladie. Les malades étaient des pauvres et donc, le fait de voir le roi, d’être touché par lui, provoquait sans doute un choc psychologique. Il n’en reste pas moins, même aux dires des médecins les plus sérieux, les plus sceptiques, on ne pouvait que constater un grand nombre de guérisons.
10• M. Monnier (Etudiant en DEA) : A propos des écrouelles, je voudrais rappeler que le Prince impérial, le fils de Napoléon III a été soigné à Berck pour une adénite tuberculeuse cervicale, donc cette maladie pouvait aussi toucher les milieux princiers. Mais ma question est toute autre : j’ai cru comprendre que le Parlement avait limité les effets des articles de l’Edit, ou en avait modifié certains. Etant donné qu’en 1598, Henri IV disposait de toute la puissance royale, on peut s’étonner qu’il n’ait pas cherché à imposer au Parlement la réception de l’Edit de Nantes tel qu’il avait été rédigé ?
11• M. le recteur Joutard : Sur ce point, il faut bien voir que Henri IV n’était pas une girouette, il avait un certain nombre de principes politiques, mais c’était aussi un homme extrêmement pragmatique, capable de bien évaluer les rapports de force. Il savait ainsi qu’il lui fallait éviter de voir se mettre en place contre lui une trop grosse coalition. Il savait en particulier que le parti ligueur restait très populaire et restait influent dans des régions comme la Picardie. Il ne fallait donc pas ajouter à ce parti le poids de gens plus modérés dont l’opposition était plus ponctuelle. Les Parlements voulaient exprimer un certain sentiment populaire, et aussi l’opposition de l’Eglise qui obtiendra une modification sur la question des archevêques et des évêques. Il paraissait donc de bonne politique d’accorder un certain nombre de concessions. Ces concessions furent essentiellement accordées au Parlement de Paris, mais la position des autres parlements fut plus ou moins ignorée. On laissa faire le temps comme avec le parlement de Rouen, ou comme à Aix ou à Toulouse on repoussa avec fermeté des remontrances pourtant fortement exprimées. Pour mieux aborder cette question de la modification des articles de l’Edit, on peut se référer au livre de Janine Garrisson sur l’Edit de Nantes, ou à celui de Thierry Wanegffelen.
12• M. Raymond Puchulu : Connaît-on les noms des rédacteurs de l’Edit de Nantes et leurs méthodes de travail ?
13• M. le recteur Joutard : Oui, il y a un certain nombre de ces rédacteurs qui ont été étudiés. Nous sommes toujours dans le même monde de ces « Politiques » qui sont en place depuis une vingtaine d’années. Ce sont essentiellement des gens qui partent, Solange Deyon l’a bien indiqué, de la notion d’émergence d’un véritable Etat qui est supérieur aux dénominations religieuses et qui ont beaucoup réfléchi sur l’ancienneté de la monarchie française, ce qui, au passage, me permet de rebondir sur la notion de la mémoire. Ce sont des juristes, des historiens, des catholiques convaincus mais qui ont déjà la notion « d’Etat-Nation ». Ils sont très proches d’un Michel de l’Hospital. Je suis assez frappé de voir à quel point la notion de « citoyen » est présente. Ils ont, par ailleurs, capitalisé des solutions qui étaient connues vingt ou vingt-cinq ans avant, mais le temps n’était alors pas mûr pour les réaliser.
14• Mme Solange Deyon : On connaît bien les rédacteurs de l’Edit. Ce sont des gens qui ont de l’expérience. A côté de la signature d’Henri IV, il y a celle de Forget qui avait été un proche conseiller de l’ancien roi Henri III. Il y a donc bien une sorte de continuité dans ce personnel. On sait aussi que parmi les gens qui ont contribué à l’élaboration de ces solutions il y a un grand historien Jacques de Thou, qui est catholique mais aussi homme d’ouverture. Du côté protestant, il y a parmi les représentants des communautés protestantes, un homme qui a joué un rôle très important, Duplessis-Mornay, qui est un grand seigneur. On connaît donc un certain nombre d’artisans de l’Edit, qui étaient à l’œuvre depuis un certain temps et qui, difficilement, ont tout fait pour convaincre les uns et les autres qu’il fallait arriver à une solution de compromis.
15• M. le recteur Joutard : Sur ce sujet, on doit évoquer l’image négative de Henri III, qui pourtant a eu une parfaite conscience de l’intérêt du pays en ce domaine. Bien sûr il n’a pas pu réaliser une politique qui allait en ce sens.
16• une intervention : Je voudrais insister sur la particularité de la Picardie, le nombre de lieux de culte était notoirement insuffisant et donc le mouvement protestant n’a pu se developper que grâce aux familles nobles, de petite noblesse à la différence du XVIe siècle. Je voudrais aussi insister sur le rôle des femmes et du mariage : bien souvent, on devient protestant après un mariage calviniste, et le protestantisme s’éteint après un mariage catholique. Il faut donc rendre hommage à ces femmes. Et pour en finir avec les écrouelles, on dit que le pouvoir de guérir les écrouelles était le fait des rois de France, or les rois anglais guérissaient aussi les écrouelles.
17• M. Jung (étudiant en DEA) : Je reviens sur la communication de M. Joblin. Je pense qu’il serait souhaitable de ne pas trop forcer le trait en ce qui concerne les relations inter-confessionnelles. Je termine un DEA sur l’économie de la baie de Somme aux XVIe et XVIIe siècles, et la situation est assez complexe quand on se penche sur des problèmes de micro-histoire. On voit, selon les bailliages, les seigneuries, les familles, des situations qui présentent une grande diversité. J’ai des marins de La Rochelle qui viennent commercer avec une cité très ligueuse comme l’était Saint-Valéry. J’ai des marchands hollandais qui mettent leurs enfants en formation dans des familles catholiques de Saint-Valéry. Donc il y a une grande variété de situations qui appelerait beaucoup de nuance.
18• M. Alain Joblin : En effet, il faut être très prudent. Mais, quand des marchands protestants placent leurs enfants en formation chez des Catholiques, ou quand des Catholiques placent leurs enfants en apprentissage chez des artisans protestants, ils prennent des précautions. J’ai les exemples de parents catholiques qui placent leurs enfants chez des maîtres protestants et qui font figurer dans le contrat d’apprentissage la clause selon laquelle, si l’artisan cherche à convertir l’apprenti, le contrat sera cassé sans que les parents soient obligés de rembourser quelquechose. Je crois que dans ce genre de situation, les « garde-fous » étaient nombreux. Quant à ces marchands rochellois qui trafiquent avec une ville ligueuse, je ne peux m’empêcher de penser à cette réflexion que nous nous faisions tout à l’heure, Mme Deyon et moi, qu’en matière de commerce, les frontières religieuses avaient tendance à s’atténuer ! On peut penser à ces communautés de marchands protestants qui s’installèrent à Cadix, on donna alors ordre à l’Inquisition de ne pas trop les inquiéter.
Notes de fin
* Ph. Joutard, « Protestantisme populaire en Cévennes et univers magique », Le Monde alpin et rhodanien, 1977, p. 145-171.
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