L’Edit de Nantes, un édit de tolérance ?
p. 35-42
Texte intégral
1Il faut commencer par une remarque préalable : que met-on derrière le mot de tolérance ? Car nous le savons bien, le mot a changé radicalement de signification par rapport au temps de l’Edit. Complètement positif aujourd’hui, il signifie acceptation sans réserve d’une religion différente et même respect de l’autre. Au XVIe siècle, et jusqu’au XVIIIe siècle, on tolère ce que l’on ne peut pas supprimer ; c’est au mieux, un moindre mal. C’est très clair dans les exemples que propose Furetière à propos du verbe tolérer :
On tolère à Rome les lieux de débauche, mais on ne les approuve pas (nous ne sommes pas loin de la célèbre phrase de Paul Claudel). Il faut tolérer les abus quand on ne peut pas les retrancher tout à fait ; tolérer les crimes qu’on ne peut pas punir1.
2Ceci dit, il est évident que l’interrogation n’a de sens que si l’on fait référence à la signification actuelle. On pourrait alors l’expliciter de la façon suivante : l’Edit de Nantes est-il un texte radicalement neuf qui préfigure les Lumières, l’avènement d’une véritable acceptation de la diversité religieuse, et même notre conception française de la laïcité ou un texte de circonstance, fruit d’un compromis et d’un rapport de forces, destiné dans son application à évoluer selon ce rapport de forces ? La question n’est pas nouvelle ; on pourrait l’apercevoir implicite dans la première histoire du sujet celle du pasteur Elie Benoît et surtout au XIXe siècle et à plus forte raison aujourd’hui avec la commémoration nationale actuelle, qui a tranché clairement en faveur d’une réponse positive telle qu’elle apparaît dans le texte du livre des commémorations du Ministère de la Culture et aussi dans les diverses cérémonies qui se sont déjà déroulées ainsi que dans plusieurs articles ou entretiens2. Les Protestants fidèles à la vision dominante de leurs ancêtres du XVIIe siècle sont beaucoup plus dubitatifs, ne serait-ce que dans leurs interventions publiques et plus encore par le titre de la publication de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, Coexister dans l’intolérance, avec l’introduction de Michel Grandjean très explicite à cet égard :
Le titre donné à ce recueil d’articles sera peut-être perçu comme un clin d’œil critique à l’actualité, tant il est vrai que les commémorations, qu’elles soient républicaines ou ecclésiastiques, peuvent mettre la mémoire en délicatesse avec l’histoire. Or la construction d’une société où la tolérance a sa place ne peut faire l’économie de l’analyse historique, ni se prévaloir d’un enracinement imaginaire »3.
3Les livres et les articles sont partagés, encore que se dessine une tendance dominante4. Mais je m’arrête là. Mon sujet aujourd’hui n’est pas historiographique. Il ne s’agit pas de s’interroger sur les représentations successives et leurs raisons d’être, assez faciles d’ailleurs à mettre en valeur y compris pour aujourd’hui, mais de chercher à vous donner des éléments de réponse : c’est beaucoup plus délicat, mais heureusement la commémoration a déjà suscité suffisamment d’études, sans parler de travaux plus anciens, pour avoir déjà des idées précises.
4Evitons d’abord le finalisme historique, comme nous y invite à juste titre Janine Garrisson. Que le petit-fils de Henri IV ait révoqué l’Edit, ne doit pas nous conduire à récuser sa portée d’entrée de jeu5. Ou alors, il faut démontrer que « le ver était dans le fruit », c’est-à-dire que son abolition était incluse dans sa rédaction, ce qui est une vraie question. On ne peut pas non plus retenir la réaction des Protestants hostiles. Car beaucoup de Catholiques ont aussi marqué de fortes réserves, les anciens ligueurs évidemment, mais aussi le monde parlementaire, comme en ont témoigné les difficultés d’enregistrement.
Le résultat d’une négociation
5Allons au plus simple, revenons d’abord aux textes, dans leur organisation générale comme dans l’analyse précise des expressions utilisées. Les textes, ai-je dit. Faut-il rappeler qu’en réalité il existe à côté de l’Edit proprement dit composé de quatre-vingt-quinze articles initiaux, précédés d’un préambule, trois autres documents : un premier brevet royal signé le 3 avril avant l’Edit lui-même, promettant une subvention aux Eglises protestantes, un deuxième brevet sur les places fortes des Protestants signé le 30 avril, date aujourd’hui aussi retenue pour la signature de l’Edit lui-même (et non plus le 13 avril), et enfin le 2 mai, cinquante-six articles particuliers qui explicitent l’Edit principal mais au statut juridique inférieur ? Ajoutons que cet Edit principal a encore été modifié d’une façon significative, lors de l’enregistrement par le Parlement de Paris le 25 février 1599, passant à quatre-vingt-douze articles. C’est cette version imprimée et conservée aux Archives de France6 qui a été appliquée. Paradoxalement, cette année, nous célébrons un texte qui n’a jamais été en vigueur. Nous devrions attendre quelques mois ! Boutade évidemment, mais qui permet de mesurer la complexité de cette opération. Janine Garrisson a raison d’utiliser l’expression de « bricolage ». Derrière, on sent le résultat d’une négociation âpre et qui se poursuit pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
6Mais les difficultés continuent à propos du titre donné à l’édit. Janine Garrisson en a relevé trois : sur le document conservé aux Archives Nationales, d’une écriture différente de celle du texte, mais de la même époque, « Edit de Nantes en faveur de ceux de la prétendue religion réformée, avril 1598 ». Dans le registre du Parlement apparaît la simple expression « Edit de Nantes » ; enfin les deux imprimeurs officiels de la couronne intitulent le texte « Edit et déclaration du Roi sur les précédents édits de pacification »7. Je m’attarderai volontiers sur le dernier titre, d’abord parce que c’est sous cette appellation que les autorités royales ont voulu faire connaître l’Edit, mais aussi parce qu’il contient deux points importants, la notion de continuité et le terme de pacification. Ne serait-ce que pour ne pas inquiéter, le roi ne veut pas affirmer une nouveauté mais insister sur la continuité.
7Je ne reviendrai pas sur ce qu’a dit dans cette rencontre Solange Deyon : tout ce que contient l’Edit de Nantes avait déjà été proclamé par ses prédécesseurs. Une seule remarque en rapport avec la question initiale posée : certains édits, comme celui de Beaulieu, allaient beaucoup plus loin dans les avantages accordés aux Protestants et donc dans le sens moderne de la tolérance : c’est ainsi que la liberté de culte était totale sauf à Paris et là où la Cour se trouvait. L’Edit de Nantes, très inspiré par celui de Poitiers (1577), se trouve en retrait sur ce point capital, mais plus généreux sur les garanties militaires des places de sûreté. C’est le résultat de négociations avec le parti protestant, pour qui ces garanties étaient les plus sûres. L’Edit de Nantes n’est pas un texte théorique et conceptuel, mais pragmatique ; ce qui fait sa valeur n’est donc pas son contenu mais sa réussite et sa durée, tous les édits précédents étant rapidement devenus caduques, Henri IV a véritablement réussi la pacification des esprits.
Un seul objectif : la paix civile
8Voilà le mot important qui a justifié à chaque fois la tolérance (au sens de moindre mal) d’une autre religion et les concessions faites à la minorité ; l’idée et souvent le terme apparaissent très clairement dans les préambules tels que les a analysés Marianne Carbonnier-Burckard8. Sur ce point, la rupture ne se situe pas en 1598, mais dès 1561. A partir de là, et contrairement aux édits des rois précédents, et même s’il y a jusqu’à l’Edit de Nantes, plusieurs repentirs, en particulier lorsque Henri III doit composer avec la Ligue, le rétablissement de la paix n’est plus lié à la désignation d’hérétiques coupables et à leur répression ; le mal peut encore venir de la division religieuse, mais souvent vue dans ses conséquences politiques de division du royaume. Il y a en quelque sorte une « désacralisation du mal ». Marianne Carbonnier-Burckard parle même de « laïcisation du discours royal »9. Il y aussi la disparition de coupables désignés qui annonce et prépare le compromis. Les premiers édits de pacification sont embarrassés pour nommer les Réformés, alors ils ne les désignent pas et utilisent des périphrases : en 1580, la solution est enfin trouvée qui porte la marque de ce compromis, religion prétendue réformée. L’expression reprise dans l’Edit de Nantes résume à elle seule parfaitement l’équilibre atteint, qui ne sera pas dépassé. En qualifiant le protestantisme de religion, le roi lui reconnaît « une vocation à l’exercice du culte, donc à un statut dans l’Etat »10. Mais cette concession qui permet la pacification, est immédiatement compensée par l’adjectif qui suit « prétendue, plaçant le protestantisme en état d’infériorité face à la « vraie religion ». Et cet adjectif suffit à marquer la fragilité du compromis qui n’est pas un idéal, mais un moindre mal et qui comme tel ne peut être que provisoire.
9L’ordre même des premiers articles exprime parfaitement la signification de toute l’entreprise : en tête, les deux premiers articles, la paix civile, grâce à l’oubli et l’amnistie. Et tout de suite après, le rétablissement de la religion catholique partout où elle avait disparu avec la récupération des biens perdus, les deux suivants. Et ce n’est qu’au sixième article qu’apparaissent les concessions faites aux Protestants, et la plus précieuse, la liberté de conscience, non pas comme une valeur en elle-même mais « pour ne laisser aucune occasion de troubles et de différends entre nos sujets » : c’est toujours la justification de la paix civile... Certes, ensuite sont détaillés tous les privilèges accordés aux Protestants, la liberté partielle de culte avec les trois types d’exercice bien connus, de fief (seigneurs hauts-justiciers, culte public, autres nobles culte privé), de possession (dans les lieux où le culte était attesté), de concession ailleurs (deux lieux par bailliage), l’égalité avec les Catholiques et les chambres mi-parties. Pour mieux faire passer les avantages accordés aux réformés, beaucoup de dispositions sont précisées dans les articles particuliers ou les brevets, moins visibles et donc suscitant moins de réactions hostiles.
10A juste titre, beaucoup de commentateurs ont insisté sur « l’endiguement » du protestantisme français, pour reprendre l’expression de Thierry Wanegffelen11. La situation est en effet figée pour les Réformés et leur influence ne peut plus progresser : par exemple, il ne leur est pas possible de prêcher, d’ouvrir des écoles ni de publier des ouvrages là où le culte n’est pas permis, ce qui n’est pas le cas du catholicisme omniprésent. Il ne subsiste aucune ambiguïté sur le caractère « officiel » de celui-ci. Marianne Carbonnier-Burckard fait remarquer que dans le préambule réapparaît la formule en usage dans les édits qui interdisaient toute autre religion que la catholique : « le titre glorieux de très chrétien [...] depuis si longtemps acquis » au roi de France et à son royaume12. On notera la place significative de cette dénomination dans une longue phrase sur la question de l’unité religieuse, juste après cette réflexion :
Et s’il [Dieu] ne lui a pas plu permettre que ce soit pour encore en une même forme et religion, que ce soit au moins d’une même intention et avec telle règle qu’il n’y ait point pour cela de trouble et du tumulte entre eux,
11et c’est ce qui permettra à Henri IV d’obtenir ce titre. Celui-ci a totalement assumé, sans état d’âme, la sacralisation de la monarchie française, il montre un soin jaloux à montrer l’efficacité de son toucher des écrouelles13. Plusieurs articles précisent, d’ailleurs, que le roi ne peut pas « symboliquement » supporter la possibilité de voir le culte protestant, puisque celui-ci est interdit partout où il est présent, dans sa capitale, aux armées14, à la Cour et chaque fois qu’il est dans une ville. N’est-ce pas un autre signe de fragilité, si déjà du temps d’Henri IV, le roi risque d’être souillé par le contact avec les « prétendus Réformés » ?
Une dynamique favorable aux Catholiques
12Ajoutons que la dynamique législative ne joue jamais en faveur du protestantisme, et ceci dès l’origine. Le passage devant le Parlement de Paris conduit déjà à une première restriction des avantages concédés15. L’Edit de Grâce d’Alais est de beaucoup plus grandes conséquences qu’on ne le dit, puisqu’il ne supprime pas seulement les places de sûreté, mais aussi les articles particuliers plus favorables que l’Edit lui-même. Enfin, les mesures restreignant l’Edit lui-même (l’application à la rigueur) ne commencent pas quelques années avant la Révocation, mais dès le début du règne personnel et même un peu avant, Jean Orcibal, en son temps l’avait bien montré16.
13La mise en application, là encore dès l’origine, révèle le déséquilibre au détriment des réformés, comme le rappelle Marc Venard dans un article récent au titre explicite « L’Eglise catholique bénéficiaire de l’Edit de Nantes, le témoignage des visites épiscopales »17. Et les plaintes des Réformés, réclamant la stricte application de l’Edit, confirme en creux ce diagnostic18. Soyons juste, Marc Venard oppose bien la France du Sud où l’Edit permet à l’Eglise catholique de reprendre l’offensive à la France du nord qui offre aux églises réformées très affaiblies « de respirer, voire de prospérer »19. On comprend alors mieux la différence d’attitude entre les Protestants du nord « qui se promet beaucoup de l’édit » et ceux du Midi, plus critiques et beaucoup plus méfiants20. Mais l’exposé de notre collègue A. Joblin sur le Calaisis et le Boulonnais nuance même cette remarque. Situation donc contrastée, mouvante, considérée très tôt, pour ne pas dire dès l’origine, comme provisoire. L’un des évêques les plus favorables à l’Edit n’écrivait-il pas « qu’il se falloit contenter de cette provision, en attendant mieux... »21. C’est un écho parmi d’autres à l’expression du préambule citée plus haut (Dieu qui n’a pas permis « encore »...). Tout indique que les autorités locales, civiles et religieuses ne cessaient de contester les libertés concédées et qu’à chaque fois, les Réformés devaient se tourner vers le roi et ses commissaires.
La seule volonté royale
14Nous touchons là le point central du dispositif. Ce qui fait la force de l’Edit, c’est la volonté royale. Lorsqu’elle faiblit, ou pire, s’inverse radicalement au temps de Louis XIV, les libertés des Protestants s’atténuent ou disparaissent. Cette volonté royale est totalement à l’œuvre dans l’enregistrement devant les divers parlements et devant le premier d’entre eux, celui de Paris. Les paroles sont connues, elles sont fortes : elles valent la peine d’être rappelées car elles justifient le sentiment des historiens pour qui l’Edit de Nantes est l’un des points de départ de l’absolutisme, un absolutisme fondé sur le droit divin :
Je vous prie de vérifier l’édit. Ce que j’en ai fait, est pour le bien de la paix ; je l’ai faite au dehors, je veux la faire au dedans de mon royaume. Vous me devez obéir, quand il n’y aurait considération que de ma qualité [...] Si l’obéissance était due à mes prédécesseurs, il m’est dû autant ou plus de dévotion parce que j’ai rétabli l’Etat, Dieu m’ayant choisi pour me mette au royaume qui est mien par héritage et acquisition [...]. Ne m’alléguez point la religion catholique. Je l’aime plus que vous. Je suis fils aîné de l’Eglise, nul ne vous ne l’ait ni ne peut l’être. Vous vous abusez quand vous pensez être bien avec le pape, j’y suis mieux que vous ; quand je l’entreprendrai, je vous ferai déclarer tous hérétiques pour ne me vouloir pas obéir22.
15Cette volonté royale se manifeste aussi clairement avec la nomination des commissaires à l’Edit dont on a pu faire l’une des origines des intendants. Au temps de Henri IV, le doute sur l’engagement en faveur de l’Edit n’est pas permis. Mais dès sa mort, commence l’ambiguïté pour ne pas dire plus23, qui laisse la place après 1660 à l’hostilité.
16Mais ici, éclate la contradiction qui est fatale aux Protestants français. La solution retenue pour rassurer les Protestants et garantir leurs libertés, celle des places de sûreté, issue même de l’expérience qui vient d’être vécue, est en quelque sorte féodale, elle s’appuie sur la noblesse ; elle va donc à l’encontre d’une monarchie absolue en train de se constituer et la position future de Richelieu est parfaitement logique. La contradiction est d’ailleurs à l’intérieur même du camp réformé : d’un côté, les Protestants ont défendu jusqu’au bout ces garanties du XVIe siècle, de l’autre, ils pressentaient les temps nouveaux, d’où leur excès de déclarations absolutistes, en particulier à partir des années 1640, excès qui a été noté par nombre d’observateurs. Malheureusement, ils n’ont pas réussi à convaincre le roi Louis XIV, à cause du souvenir du siège de La Rochelle, et des guerres de Monsieur de Rohan et plus gravement encore à la suite des événements d’Angleterre où des presbytériens très proches, quant à l’organisation et à la théologie des Réformés français ont exécuté un roi. Louis XIV était aussi convaincu que seule l’unité religieuse garantissait l’unité politique et le pouvoir absolu.
L’Etat garant de la paix civile
17Il est temps de conclure. Je le fais aussi clairement que possible.
18L’expression la plus adéquate est bien celle qu’avait suggérée le titre de l’imprimé, un édit de pacification qui correspond le mieux à l’objectif premier du roi et qui a l’avantage de placer l’Edit de Nantes dans une double continuité : achèvement d’une évolution du pouvoir royal déjà visible au temps de Charles IX et de Catherine de Médicis, et participation à « l’Europe des paix de religion »24. Ce n’est pas pour autant diminuer le mérite de Henri IV qui a réussi à faire accepter le compromis alors que ses prédécesseurs avait toujours échoué, grâce à une série de solutions juridiques soigneusement calibrées et qui sont un modèle du genre : voilà la véritable nouveauté. Quant à l’originalité vis-à-vis du reste de l’Europe, elle n’est pas niable, non plus : c’est d’avoir établi un compromis en faveur d’une petite minorité, beaucoup moins de 10 % de la population, il est vrai recrutée dans des groupes stratégiquement importants, nobles, bourgeois des villes, élites du monde populaire et formant des îlots géographiquement bien protégés et difficile à réduire. Ajoutons la lassitude, mais aussi déjà un certain sentiment national qui privilégie chez des Catholiques modérés (les « politiques »), très influents, la France aux querelles religieuses. Si donc l’on veut utiliser le mot de tolérance, il faut le prendre dans le sens premier du terme et non dans son acception actuelle.
19« Armistice », « trêve armée » : contrairement à ce qui a été dit et peut-être à ce que croyaient les Protestants eux-mêmes, la situation ne pouvait qu’être provisoire pour les autorités elles-mêmes, le roi compris, et pour la plus grande partie des Catholiques : il fallait attendre une conversion miraculeuse ou tout simplement que le système de l’édit produise ses effets et étouffe lentement « la petite minorité ». Bernard Cottret dans un article parfaitement provocateur, mais juste, montre que l’Edit de Nantes a doublement réussi « dans ses buts avoués (la coexistence religieuse des Catholiques et des Protestants) et inavouables (la victoire programmée de la religion romaine sur l’hérésie) »25. A peine, l’Edit de Nantes est-il en application, qu’Henri IV encourage la controverse « avec l’espoir avoué de ramener les “séparez” à l’Eglise » note Robert Mandrou citant une lettre à Epernon du 5 mai 1600, et il remarque que loin de rapprocher les points de vue « les conférences ont creusé le fossé »26.
20Si donc, il est audacieux et pour tout dire, anachronique, de voir dans l’Edit de Nantes les prémisses d’une véritable acceptation de la diversité religieuse, en revanche, il est tout à fait juste d’y voir l’émergence d’un pouvoir politique, au dessus des factions religieuses et assurant la coexistence entre elles. Sur ce point-là et sur ce point seulement, on pourrait parler d’une première approche « laïque ».
Notes de bas de page
1 Cité par T. Wanegffelen, L’édit de Nantes, une histoire européenne de la tolérance (XVIe-XXe siècles), Paris, Livre de poche, 1998. p. 89.
2 Cf., entre autres, Le Monde des livres du 13 février 1998, Le Monde des 15-16 février 1998, p. 10 et Le Figaro littéraire du 19 février 1998 et plus récemment, après la journée d’Arras, Le Nouvel Observateur des 16-22 avril 1998, p. 62.
3 Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (en abrégé B.S.H.P.F.) janvier-juin 1998, introduction de Michel Grandjean, p. 7-14 ; lire dans le même sens l’entretien du président de la société Laurent Theis, Le Monde, 13 février, p. 9. Plus proche du point de vue de la commémoration nationale Jean Baubérot dans la même livraison du monde, p. 8, l’entretien est intitulé « la plus actuelle des leçons de tolérance pour la France d’aujourd’hui ».
4 Le contraste est assez grand entre le point de vue de J. Garrisson, L’Edit de Nantes, Paris, Fayard, 1998 et plus encore dans sa présentation de L’édit de Nantes, Biarritz, Ed. Atlantica, 1997 (p. 24) et B. Cottret, L’Edit de Nantes, Paris, Librairie Perrin, 1998, ou P. Joxe, L’Edit de Nantes, une histoire pour aujourd’hui, Paris, Hachette, 1998.
5 Cf. « Entretien avec J. Delumeau », Le Monde, 15-16 février, p. 10.
6 Sur ces questions assez complexes et sur les modifications entre la version initiale et la version finalement appliquée, voir J. Garrisson, L’Edit de Nantes, op. cit. (publication des quatre textes) et T. Wanegffelen, op. cit., qui donne une présentation par thèmes.
7 J. Garrisson, idem, p. 15.
8 « Les préambules des édits de pacification (1562-1598) », B.S.H.P.F., janvier-juin 1998, p. 75-92.
9 Art. cit., p. 83.
10 Ibid., p. 89.
11 L’Edit de Nantes, p. 270. Voir aussi « les subtiles limites d’une tolérance », Le Figaro littéraire, jeudi 19 février, p. 4.
12 art. cit., p. 84.
13 Cf. R. Mandrou, Introduction à la France moderne, essai de psychologie, Paris, Albin Michel (Nouvelle réédition aug.), 1998, chapitre IV-3.
14 sauf, lorsque le général est Protestant.
15 Voir la publication de l’Edit par J. Garrisson ou T. Wanegffelen, op. cit., p. 273.
16 J. Orcibal, Louis XIV et les protestants, Paris, Vrin, 1951
17 B.S.H.P.F., 1998. p. 283-302.
18 F. Chevalier, « Les difficultés d’application de l’Edit de Nantes d’après les cahiers des plaintes (1599-1600) », B.S.H.P.F., 1998, p. 303-320.
19 Art. cit., p. 301.
20 J. Garrisson, op. cit., p. 355.
21 Idem, p. 301-302.
22 Reproduit dans La Croix-Réforme, « Les quatre cents ans de l’Edit de Nantes, les religions de la guerre à la paix », Hors-série. 1998, p. 19.
23 En attendant la publication de notre ami Pierre Deyon sur Rohan. Pour lui, il ne faut pas attendre Louis XIV pour avoir une application de l’édit « à la rigueur ».
24 Voir sur ce point les travaux de O. Christin, en particulier La paix de religion. L’autonomisation de la raison politique au XVIe siècle, Paris, Le Seuil, 1997.
25 « Pourquoi l’Edit de Nantes a-t-il réussi ? », B.S.H.P.F., 1998, p. 447-461. Sur le deuxième point, la réussite n’est que partielle comme le note Cottret, mais ce n’est pas le fait du pouvoir.
26 R. Mandrou, op. cit., ibidem.
Auteur
Université de Provence
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