Discussions
p. 31-34
Texte intégral
1• Mgr. Derouet, évêque d’Arras : En tant qu’évêque, je me suis intéressé à l’attitude des évêques au cours de cette période. J’ai travaillé avec le livre de Joseph Leder, Histoire de la tolérance au siècle de la Réforme, et j’ai constaté avec plaisir qu’au moins un évêque, Claude d’Angennes, évêque du Mans, soutenait que s’il y avait des hérésies, il ne fallait pas les combattre par l’épée et la force, mais par l’instruction et le bon exemple. Il fut alors chahuté par la Sorbonne et, un jour qu’il était absent, l’évêque de Chalons chercha à justifier son collègue mais, lui aussi fut chahuté par la Sorbonne et il dut interrompre sa démonstration. Il y avait donc, quand même, des évêques courageux. Pour ce qui est de l’attitude des évêques à l’égard d’Henri IV, et là je me tourne vers M. Benoit, j’ai relevé que huit évêques réunis à Chartres avaient signé une protestation contre la Bulle du Pape Grégoire XIV qui déclarait Henri IV indigne du trône. Ce qui m’a aussi beaucoup intéressé c’est de voir finalement ce qu’a été la personnalité d’Henri IV. J’ai été séduit par son humanité, sa tolérance. Bien sûr, il a été extrêment ondoyant et divers et j’ai à ce sujet relevé l’expression : « Instruisez-moi, je ne suis pas opiniâtre ». Mais, d’autre part, j’ai relevé de nombreux témoignages, comme celui de François de La Noue, affirmant que lorsque le roi aurait définitivement pris une position catholique, il serait libéral à l’égard de tous. Enfin, j’ai relevé que le 7 février 1589, le roi tança avec force une délégation du Parlement de Paris.
2• Mme Solange Deyon, (université de Strasbourg) : C’est vrai que l’évêque du Mans eut une attitude très courageuse, difficile et isolée. Mais je voudrais revenir sur le concept de « liberté de conscience » qui se trouve dans l’édit d’Amboise de 1563, et dire à quel point ce concept est alors encore fragile et que ni d’un côté, ni de l’autre, on est prêt à accepter cette notion. Il faudra un très long cheminement pour y parvenir.
3• M. Gilles Deregnaucourt (université Charles-de-Gaulle - Lille III) : Je voudrais rebondir sur l’intervention de Mgr. Derouet et aussi faire une remarque à propos des clauses de restriction et de restitution qu’on trouve dans les édits. Il ne faut pas interpréter l’attitude de l’épiscopat du XVIe siècle pendant les guerres de religion en termes de tolérance ou d’anti-tolérance, mais il faut aussi voir dans cette attitude la réaction d’une institution qui est menacée dans son existence aussi bien dans le domaine de l’intemporel que dans celui du matériel. L’épiscopat français a redouté le schisme, en particulier en 1551 lorsque Henri II envisagea la réunion d’un concile national. L’épiscopat est menacé de schisme et a cherché, d’une certaine manière, de l’éviter en accordant à la monarchie par le « contrat de Poissy » en 1561, le « don gratuit ». Enfin, l’épiscopat et l’Eglise en tant qu’institution observent que dans les régions où les Réformés deviennent une Eglise majoritaire localement, il y a grève du paiement des dîmes et les mariages mixtes se multiplient. Il y a donc une désorganisation de l’institution ecclésiale et de la société catholique, ce qui amène donc l’épiscopat à prendre des positions tranchées que l’on peut juger comme « ultras ». D’où l’existence, à mon avis, des clauses de restriction et surtout des clauses de restitution : il faut rendre les édifices au culte catholique et il faut rétablir une normalité institutionnelle.
4• M. Bernard Vogler (université de Strasbourg) : Comme les organisateurs ont eu le souci de la comparaison à l’échelon européen, je voudrais simplement, concernant la communication de Mme Deyon, faire trois remarques à titre comparatif. La première concerne la dénomination de « Protestants ». Je remarque que pour la paix d’Augsbourg, on mentionne comme Protestants uniquement les membres de la Confession d’Augsbourg et pas les autres Eglises réformées. Deuxième remarque concernant la liberté de conscience, ce qu’on constate à l’intérieur des divers Etats allemands, aussi bien catholiques, luthériens que réformés, c’est qu’on tolère parfaitement les personnes qui ne sont pas officiellement membres de paroisses institutionnelles dans la mesure où ils ne pratiquent pas leur culte, mais comme le morcellement territorial est extrêmement marqué surtout dans l’Allemagne du Sud-ouest, on les autorise à aller pratiquer leur culte dans une seigneurie voisine. C’est intéressant car il y a là une liberté de conscience qui n’est pas officialisée dans des textes juridiques mais qui est reconnue de fait. Et puis, ma troisième observation concernera les chambres mi-parties. Je voudrais dire que dans l’Empire, il existe une « Chambre impériale » qui est la plus haute instance judiciaire, dans laquelle on veillera à partir de 1555 dans la nomination des juges, à ce qu’il y ait toujours un équilibre entre juges catholiques et luthériens. Par contre, il faudra attendre la paix de Westphalie pour qu’à la « Diète impériale » il y ait vraiment, pour traiter des questions de religion, deux corps : le « corpus catholicorum » et le « corpus evangelicorum ».
5• Mme Solange Deyon : A propos de la dénomination des Protestants. Dans l’Edit de janvier 1562, effectivement on dit : « Ceux de la nouvelle religion ». Mais ensuite cette dénomination va disparaître et on utilisera : « Ceux de la religion dite réformée ». Puis, très vite à partir de 1568, ce sera : « Ceux de la religion prétendue réformée ». Cette expression se retrouvera désormais dans tous les édits y compris dans l’Edit de Nantes. Les Protestants auraient souhaité qu’on utilise plutôt : la « religion dite réformée » car ils trouvaient que le terme de « prétendue » était choquant.
6• M. le docteur Boucher : Quand on aborde la question de la personnalité de Henri le Grand, on est surpris par la différence de traitement qui est faite dans les livres d’histoire en France d’une part, et à Genève d’autre part, à une certaine époque (avant 1914). En France on écrit qu’à la suite de la conquête du Bugey : « Rosny alla à Genève voir ses amis Huguenots ». Alors que dans les livres genevois on montre Henri le Grand mener personnellement le siège de la forteresse savoyarde1 proche de Genève et s’entretenir très aimablement avec les représentants de Genève. Les ouvrages de la ville de Genève multiplient les petits détails anecdotiques et montrent un roi qui reste proche de ses anciens correligionnaires.
7• M. Yves-Marie Hilaire (université Charles-de-Gaulle - Lille III) : Il y a à cette époque, en Europe, un pays où il existe une certaine tolérance qui s’est établie vers la fin du XVIe siècle. C’est la Pologne. Le futur Henri III a été pendant quelque temps, roi de Pologne. Est-ce que dans les débats sur la tolérance, l’argument est utilisé sur ce qui se passe dans ce lointain pays considéré comme oriental ? Henri III a-t-il conservé de son passage un souvenir de la situation religieuse dans ce pays ? Le parti des « Politiques » utilise-t-il cet argument d’une certaine tolérance dans ces pays lointains ?
8• Mme Solange Deyon : Effectivement, les Polonais ont perdu leur roi, Sigismond, en juillet 1572 et ils ont élu roi le duc d’Anjou (futur Henri III). Mais il y aura une longue période d’interrègne. Or, si la majorité du pays est catholique, on trouve une forte minorité protestante, il y a des anti-trinitaires, des anabaptistes. Les nobles polonais ont pu craindre une explosion du pays et ils signèrent avec les responsables des principales confessions un traité en 1573 : la « Confédération de Varsovie ». Par ce traité, les parties s’engageaient à ne pas se faire la guerre. C’est un texte relativement peu connu mais très intéressant. Après l’élection du duc d’Anjou comme roi de Pologne, des ambassadeurs polonais se rendirent auprès du duc qui assiégeait alors, sans succès, la ville protestante de La Rochelle, et lui demandèrent de s’engager à respecter la constitution de la Pologne et le traité de 1573. Bon gré, mal gré, le duc d’Anjou voulant devenir roi accepta. Je crois qu’on retrouve, ensuite, dans les édits de Beaulieu (1576) et de Poitiers (1577) des échos de cet engagement, mais il n’y a pas eu de transposition directe en France, mais tout de même, il y a quelquechose qui s’est joué là.
9• M. Raymond Puchulu : Je suis un Basque du Nord. Le mot de Navarre a été employé à plusieurs reprises. C’était d’ailleurs un mot qui était cher aux rois de France car ils le conserveront jusqu’à la Révolution. Or, on nous a parlé du Béarn, mais peu de la Navarre. J’aurais donc voulu savoir ce qui se passait en Navarre avant l’Edit de Nantes, et ce qui s’y passera après. D’autre part, je pense qu’il serait intéressant de savoir quelles étaient les relations entre Henri de Navarre et les conversos2 d’une part, et les morisques d’autre part.
10• M. Robert Benoit (université d’Artois) : La Navarre c’est un mot. C’était en fait une mosaïque de territoires, le comté de Foix, vicomté de Béarn, etc..., qui étaient sous l’autorité des rois de Navarre. Jeanne d’Albret3 allait imposer la Réforme dans ses Etats qui étaient catholiques. En fait seul le Béarn bascula dans la Réforme, la Navarre française restant catholique. Les Navarrais français allaient recevoir des subsides du roi d’Espagne qui les poussait à la résistance. Quant aux relations entre le roi de Navarre et les conversos ont peut supposer que ces pauvres gens opprimés purent rechercher un protecteur auprès du prince.
11• Mme Aline Goosens (université libre de Bruxelles) : J’aurais deux remarques à faire. Tout d’abord à propos de l’exposé de Mme Deyon. J’ai moi aussi étudié les édits de religion adoptés par Philippe II dans les Pays-Bas espagnols et je remarque qu’on retrouve des termes similaires dans ces édits et les édits français : clauses de restitution, pratique limitée de l’exercice public du culte réformé, personne ne pouvant être contrainte dans sa conscience... Il serait intéressant de voir dans quels textes ces termes apparaissent d’abord. Ma deuxième remarque s’adresse à M. Benoit dont l’exposé met bien en évidence le poids du religieux comme facteur social et politique d’intégration dans une société. Mais la question de la piété personnelle, de la dévotion n’est-elle pas un peu oubliée ? J’aurais donc voulu savoir si il existait des textes de la main de Henri IV ou de son entourage proche qui pourraient attester de ce qu’il pratiquait réellement, lui, malgré tous ses changements ?
12• M. Robert Benoit : Il y a quantité de textes et surtout la correspondance personnelle du roi. Mais, forcément le roi était d’abord roi avant d’être chrétien et j’insiste sur ce mot de chrétien parce que Henri de Navarre d’abord, puis Henri IV était chrétien, et pour lui calviniste, catholique, c’étaient des notions relativement secondaires. Malheureusement on ne peut pas faire venir le roi pour lui demander. Mais il nous mentirait car c’était de toute façon, d’abord un homme politique. La piété est jugée d’une manière extérieure. Oui, quand il était calviniste, il était pieux. Passé catholique, il était pieux. Il manifestait beaucoup de convictions sincères, mais je pense qu’il devait surtout s’efforcer de se placer au-dessus de toutes ces querelles.
Notes de bas de page
1 Il s’agit de la forteresse Sainte-Catherine (conquête du Bugey en 1600-1601).
2 Conversos, morisques : il s’agit des Juifs et des Musulmans espagnols convertis de force au christianisme. Philippe II engage contre eux une politique de répression qui débouchera sur leur expulsion du royaume d’Espagne.
3 Jeanne d’Albret : reine de Navarre ; mère d’Henri IV.
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