Magrelli traduit de Chirico. Concordances dans les circuits du visible
p. 131-146
Résumé
Les traductions des poèmes français de Giorgio De Chirico faites par Valerio Magrelli constituent le lieu d’une rencontre poétique entre la sensibilité d’un poète-traducteur fasciné par l’œil et un artiste qui désire entrer dans l’énigme solaire pour y bâtir un temple où des statues mutilées parlent des langues mystérieuses. Les vers chiriquiens s’affirment ainsi incontestablement comme l’écho de la production figurative du peintre. Le choix prépondérant de son traducteur, Valerio Magrelli, est celui d’en devenir le double poétique presque littéral. Toutefois, une comparaison systématique des deux tissus poétiques révèle que par moments, le traducteur a pris des décisions traductives courageuses, entre explicitations, archaïsmes et amplifications inattendues. Ces « figures de traductions » interviennent notamment lorsque Magrelli, tout en suivant l’expression du peintre, ne peut pas s’empêcher de laisser surgir son propre « poieîn ». C’est ainsi que l’on voit se dégager les points forts d’un dialogue entre deux auteurs et entre deux circuits du visible.
Entrées d’index
Mots-clés : Fidélité, Circuit visuel, Figures de traduction, De Chirico (Giorgio), Magrelli (Valerio)
Texte intégral
1Rentrer dans les plis du dialogue poétique entre un poète traducteur (Valerio Magrelli) et un poète-peintre (Giorgio De Chirico) est une opération qui relève de l’analyse et de l’intuition surgissant autour de leurs assonances et de leurs passions esthétiques. Il s’agit de reconstruire les moments et les conditions d’une rencontre virtuelle qui n’a eu lieu que sur la page et qui laisse des traces chez le traducteur, notamment quand ce dernier est également poète, comme Valerio Magrelli.
2Le poète et traducteur Valerio Magrelli, dans son propre imaginaire lyrique, octroie au regard une place d’honneur et choisit souvent de traduire des auteurs charmés autant que lui par les mécanismes de l’optique et du regard. Lorsque Magrelli rencontre les poèmes français de Giorgio De Chirico, dont la diffusion est encore plutôt rare, le terrain d’entente s’instaure exactement autour de l’action du regard et de l’attention que les deux artistes portent au fonctionnement de l’œil : Magrelli entend par « fonctionnement » le sens anatomique, alors que De Chirico promeut une valeur presque exclusivement symbolique et magique, un œil capable de comprendre le monde et d’éloigner le mal, un œil « apotropaïque » (De Chirico 1985 : 81).
3Un autre élément commun aux deux poètes est l’attention portée à la poétique de la lumière : celle-ci tisse sur leurs pages des jeux d’ombres et des géométries solaires. De plus, le rôle fort important que les deux auteurs attribuent aux objets dans la vie de l’homme permet de tracer un ensemble de consonances dans leur circuit visuel. Par rapport à ces notions, les vers écrits en français par Giorgio De Chirico font naturellement écho à sa production figurative : ses poèmes reprennent par la parole des atmosphères mélancoliques évoquées dans ses toiles, jouées sur le fil des mêmes symboles, et de la même fascination inquiétée et inquiétante pour l’énigme. De nombreux titres de poèmes du peintre soulignent cette connivence avec son art figuratif : « L’homme au regard douloureux », « La mort mystérieuse », « Le chant de la gare », « La volonté de la statue », ou encore « Mélancolie ». En d’autres termes, De Chirico poète met en vers sa devise-questionnement : « Et que dois-je aimer si ce n’est l’énigme ? »1.
4Notre analyse voudrait tout d’abord faire état de l’approche globale que Magrelli adopte pour rendre en italien cette quête énigmatique : bâtir un temple en plein air peuplé de statues mutilées. Pour ce faire, nous analyserons les figures de traduction mises en jeu : quelques exemples suffiront. Dans un deuxième temps, nous abordons brièvement le rapport entre De Chirico et la poésie, pour ensuite revenir sur les affinités qui animent les noyaux poétiques des deux auteurs. L’analyse traductologique en amont sera ainsi suivie d’une évocation des résonances et des divergences entre les deux auteurs, pour tenter d’expliciter les motivations qui nous poussent à parler de « circuit visuel » plutôt que de poétique.
5Une comparaison méthodique révèle quelques points forts de la pratique traductive de Magrelli : certaines décisions courageuses tranchent sur un fond relativement littéral, d’une fidélité parfois extrême. Le poète-traducteur en arrive à utiliser des calques très encombrants, souvent pour récupérer la structure rythmique française : cette dernière semble être le critère qui l’emporte par rapport aux autres aspects du poème original, même si de temps à autre quelques choix révèlent plus une volonté personnelle du traducteur de s’approprier le texte et de laisser sa touche.
1. L’attitude traductive de Magrelli : quelle fidélité ?
6Bien que publiés dans plusieurs volumes, les poèmes en français de Giorgio De Chirico n’ont jamais éveillé l’intérêt des critiques ni en France ni en Italie. La traduction de Valerio Magrelli remonte à 2011 et pour l’instant est publiée seulement en format électronique, dans un numéro de la revue officielle de la Fondazione Giorgio e Isa De Chirico2.
7L’approche traductive de Magrelli, au plus près de l’original, engendre pourtant des dépaysements inattendus, puisque Magrelli prend par endroits des décisions plus audacieuses que s’il se détachait plus franchement du vers français original. Une fidélité parfois exacerbée cohabite avec quelques écarts qui tranchent sur une traduction littérale monocorde. C’est là que, hors des sentiers battus, Magrelli laisse des traces de son laboratoire de traducteur.
8La notion d’écart employée ici renvoie, entre autres, à une réflexion du poète et traducteur Bernard Simeone, éditeur d’une très belle anthologie de la jeune poésie italienne ; préfaçant son volume, Simeone rappelait combien la proximité du français et de l’italien n’était pas toujours un véritable atout pour le traducteur et que le « presque-même » est une « catégorie poétique riche d’ambigüité » (Simeone 1995 : 7). Ce « presque-même » inspire souvent les analyses traductologiques, qui guettent l’apparat de figures de traduction signalant la présence d’une autre langue et d’une autre autorité à l’œuvre. Parler d’écart amène inévitablement à faire allusion, ne serait-ce que de manière très impressionniste, à son opposé, la fidélité. Nous avons d’ailleurs évoqué cette caractéristique de Magrelli traducteur de Giorgio De Chirico : sa réécriture des vers français ne propose pas son propre univers poétique à travers une répétition-créatrice, mais elle se limite à une mimésis aussi pure que possible du vers chiriquien. Lorsque la version traduite se détache de la source française, c’est le système rythmique et phonétique qui s’impose et l’emporte sur le sens au détriment, parfois, d’une parfaite adhérence au sens.
9Bernard Simeone et Valerio Magrelli ont montré l’un et l’autre combien la notion de fidélité est insaisissable et contradictoire ; elle n’en sous-tend pas moins toute réflexion traductologique et tout acte de traduction poétique, quel que soit le degré de liberté apparent. De son côté, Simeone en livre une interprétation aussi attachante que programmatique : « si fidélité il y a dans l’écriture, c’est envers une polysémie essentielle, une ambigüité »3. La catégorie d’ambigüité est sans aucun doute féconde et interpelle toute exégèse critique. En d’autres termes, l’ambigüité, tout comme la notion de l’intraduisibilité de la poésie, ne constitue pas un handicap mais de véritables moteurs, ce que Barbara Cassin appelle un « engagement à penser »4. Dans ce sens, la pluralité des langues demande qu’elles soient mises en rapport les unes aux autres pour remonter à un sens analogue, visant à la catégorie très ambitieuse du « même ». Chaque pas franchi vers cette identité n’en résulte pas moins d’une tentative de réduire l’écart tout en le mettant en valeur. De la sorte, la notion de fidélité agite l’univers théorique de tout traducteur ; Valerio Magrelli a lui aussi formulé une théorie qui guide son acte de traducteur de poésie, « la règle du moins un ». Il applique scrupuleusement cette méthode à De Chirico, quand il mise sur la fidélité à tous les éléments du poème original sauf un : ce « moins un » sacrifié au nom de l’harmonie du texte final. Le poète-traducteur est conscient qu’il lui sera impossible de sauver toutes les fonctions à l’œuvre dans l’original (rythme, rime, analogies, figures de style, etc.) : aussi lâche-t-il prise, sciemment, face à une seule de ses composantes. Magrelli affirme implicitement qu’il y a bien traduction dès lors qu’ont été reproduites toutes les fonctionnalités d’un texte sauf une :
Alla fine, si potrebbe arrivare a dare una definizione della traduzione come di qualcosa che, per definizione, può rispondere a tutti gli elementi presenti nell’originale tranne uno. Direi anzi che la definizione di traduzione che a me sembra più convincente potrebbe iscriversi nella “regola del meno uno”. Insomma, siamo di fronte a una traduzione quando almeno un elemento del modello originario va perduto.5
10Dans ce sens, sa traduction des poèmes chiriquiens se pose comme une lecture en profondeur de l’original : elle reproduit la même atomisation du signe, son caractère désarticulé, apparemment décharné. Une nature, non point dénuée d’abondance et de métaphore, mais qui préférait laisser parler les énigmes, en poésie comme en peinture. De Chirico désirait dégager les rapports entre les choses, non littéralement, mais par la mise en lumière des marques de l’absolu, proposées à la vision du spectateur. Une telle éthique privilégiait l’essence et entraînait une esthétique vouée à ce que Jean Cocteau, lorsqu’il se penchait sur le travail de Picasso, appelait « l’audace de reconquérir la simplicité » (Cocteau 1996). D’après nous, ce désir d’ouverture à l’infini était encore plus manifeste dans les poèmes du peintre. Cette posture, sans doute Magrelli l’a-t-il pénétrée au préalable, sans doute s’est-il approprié ces tendances plasmatiques (Burgos 1982 : 123) en suivant dans sa traduction la morphogenèse des images chiriquiennes.
2. Les écarts et les choix originaux du traducteur
11Sur ce fond de substantielle fidélité, le traducteur n’en a pas moins renoncé à l’audace de certains écarts, qui feront l’objet de l’analyse qui suit. Ces écarts se constituent habituellement en lieux privilégiés de la réflexion traductologique.
12D’ailleurs, l’élément délicat dans la dynamique traductive des textes poétiques est le moment où le traducteur-poète ne se limite plus simplement à se faire écho et engendre une œuvre autonome, même si cette « autonomie » se manifeste par intermittence et se limite à un aspect particulier. Ces écarts révèlent par quelles voies la traduction se constitue en réécriture : elle donne corps à l’attente d’une nouvelle voix qui en colporte une préexistante, cette attente perpétuelle de l’œuvre que constitue, pour Valéry, chaque acte d’écriture. Le traducteur éprouve lui aussi cette attente : il l’incarne et la prolonge dans chaque texte traduit, pierre d’attente féconde d’autres textes.
13Au premier abord, Magrelli s’en tient à un très haut degré de fidélité, procurant une « traduction de surface » (Vegliante) qui mettrait en valeur l’homophonie plus que tout autre procédé6. Mais les écarts qui s’offrent entre le texte chiriquien et celui de Magrelli n’en sont pas moins remarquables : archaïsmes, compensations, calques, rajouts, hausse de registre ou « ennoblissements ». Magrelli pratique ces différentes figures de traductions pour transposer des images appartenant au champ sémantique spatio-temporel. Pour traduire les coordonnées chiriquiennes, Magrelli ennoblit parfois le vers français, au prix d’une saveur désuète, linguistiquement marquée en italien. Là surgit son propre poieîn, dans une affinité du voir et du regard qu’il partage décidément avec De Chirico. En outre, tous deux affichent un sentiment presque animiste face au foisonnement d’objets dans le quotidien de l’homme, créant un sentiment d’étrangeté et d’inquiétude. Les deux poètes cèdent à l’emprise des natures mortes, moins pour leur drame de la finitude que pour interroger la nature et ses silences7.
14Magrelli est fin connaisseur de l’art contemporain, en particulier de la production de Marcel Duchamp ; il est attiré par les formes plastiques, par la matière et ses métamorphoses8 ; son univers poétique dialogue volontiers avec l’atmosphère métaphysique de De Chirico et lui permet, en traduisant, de la traverser avec bonheur. La réussite de cette rencontre était donc inscrite dans la propension de Magrelli pour l’art et l’évolution de la matière, même s’il se montre plus enclin à un art conceptuel, à ce qu’il définit par une expression de Duchamp non plus comme un « art rétinien » mais plutôt comme un art qui pousse au raisonnement et ne se limite pas à la délectation esthétique. Sur ce plan, De Chirico ne l’aurait pas approuvé et c’est probablement le moment conceptuel qui les éloigne le plus. Pour le père de l’art métaphysique, l’art reste figuratif, lié à une expérience esthétique qui se frotte à la forme et non à l’idée ou, en tout cas, n’est pas exclusivement cérébrale. Le même axiome sous-tend la poésie du peintre. Ce qui importe incontestablement à De Chirico, c’est l’image. Chez Magrelli, le vers peut se faire porteur de méta-poésie, comme c’est souvent le cas dans le recueil Ora serrata retinae, l’œuvre-révélation qui inaugure la nouvelle poésie italienne des années 80 (Lorenzini et Colangelo 2013 : 275).
15Les procédés traductifs identifiés par l’analyse comparative relèvent des catégories détaillées ci-dessous.
2.1. Les rajouts d’une composante lexicale presque neutre dans le vers traduit
16Ce n’est ni une opération d’amplification ni une véritable explicitation. C’est une introduction de matériau verbal, pour des raisons principalement rythmiques. Par exemple, les vers suivants du poème chiriquien « rivages antiques » (De Chirico, Poème 42) :
Deux coursiers tout blancs hennissent sur la grève | Due corsieri bianchissimi nitriscono sul greto |
17Magrelli prend la liberté de qualifier de « secret » le rêve du poète, apparemment pour une question de rime. Cet adjectif, qui n’était point employé par le peintre, n’est pas dénué de pertinence, si on pense à la poétique métaphysique axée sur l’énigme.
18Le même mécanisme est à l’œuvre dans les vers tirés du poème « Prière » (De Chirico, Poème 69) :
Sur la plage obscure rêve un dieu qui dort. | Sulla spiaggia oscura sogna un dio che dorme |
19Dans la version italienne, les dieux sont « ignares » ; cet adjectif est absent chez De Chirico, et pourtant il est intrinsèque à son art, qui ne célèbre jamais la divinité comme cause du bonheur humain. Magrelli l’utilise pour reproduire une rime et au vers suivant, il élève le registre par le recours à une expression soutenue, « alle loro torme », choix très littéraire pour désigner des troupes armées ou une masse de gens. L’exemple n’est pas isolé : le traducteur intervient souvent en introduisant des termes plus « nobles » que les choix lexicaux de De Chirico. Ils seront analysés plus loin.
2.2. Les ennoblissements de la langue
20« Palmiers » devient « palmizi » au lieu d’un plus ordinaire « palme ». « Petit chien amoureux » est rendu par « un piccolo cane amoroso » au lieu de « cagnolino affettuoso » ou « adorabile » ou encore « amorevole ». Non seulement le calque « amoroso » teinte le vers italien d’étrangeté, mais il est aussi un hommage à la poésie classique italienne, un hommage à Dante9.
21De plus, la morphologie de l’italien permet au traducteur de changer à plusieurs reprises le syntagme français « d’après-midi » en un bien plus formel « pomeridiano » : il est vrai que l’italien préfère régulièrement l’adjectif relationnel au complément déterminatif prépositionnel.
22Dans la lignée d’une hausse de registre, à chaque occurrence de « troublant » chez De Chirico, Magrelli propose « conturbante », connotant de provocation le terme français choisi par le peintre. Parfois ces ennoblissements sont apparentés à des calques du français, qui puisent dans des formes italiennes désuètes. « Disserrare i denti » calque « desserrer les dents », mais fait signe en même temps à un verbe archaïque utilisé par Dante, Verga et Carducci. Ce vers extrait du chant « Poème » (De Chirico, Poème 43) sera réécrit en italien par le peintre lui-même qui optera pour la forme « ristringere i denti » : lorsque De Chirico s’auto-traduit, il s’éloigne de la phonétique française plus hardiment que Magrelli. Ce dernier choisit l’orthographe « irresoluti », et non « irrisoluti » ou « irrisolti », pour traduire « d’autres énigmes restées, hélas ! pour moi, jusqu’à présent irrésolues ». En privilégiant cette forme peu commune en italien, le traducteur fait allusion au manque de solution, à savoir à l’acception de « irrisolto » mais également à la première signification de « irresoluto », à savoir non risoluto, che rimane incerto signalant ainsi une faiblesse d’esprit qui n’était pas présente dans les vers chiriquiens et créant une atmosphère plus évocatrice.
23Magrelli accepte et parfois accentue la présence de la langue étrangère en italien : il choisit des mots recherchés pour adhérer autant que possible à l’étymologie chiriquienne. Dans « Une fête » (De Chirico, Poème 14), les deux vers « Toute la ville était pavoisée » et « Les bombardiers qui attendaient midi pour tirer les salves » sont rendus par Magrelli respectivement par « tutta la città era pavesata » et « i bombardieri che aspettavano mezzogiorno per sparare le salve ». Pourquoi utiliser l’expression marquée « le salve », alors qu’en italien le traducteur aurait pu laisser « sparare a salve » ? Pourquoi laisser « pavesata », terme plutôt obscur au public italien, sinon pour un souci de fidélité phonétique ? Un exemple analogue est fourni par la transposition du vers français « et le soleil qui meurt et qui naît tour à tour »10 en « e il sole che muore e nasce torno torno ». L’utilisation de « torno » au sens de « tout autour » récupère la polysémie de ce terme désuet. Le traducteur fait ainsi allusion à la circularité et au laps de temps, ce qui enrichit la sémantique du vers original sans pour autant le dénaturer.
24Au passage, nous signalons parmi les choix archaïsants que le « Frédéric Nietzsche » du poème en prose « Salve Lutetia » (De Chirico, Poème 108) est italianisé en « Federico Nietzsche » : dans les années 20, le fascisme imposait en effet une impérieuse normalisation linguistique, à laquelle De Chirico, écrivant en italien, se pliait lui aussi.
2.3. Les calques
25Plusieurs exemples peuvent être classés non seulement comme des ennoblissements de la langue traduisante mais aussi comme des calques. Leur emploi est justifié par la proximité phonétique des deux langues. Il permet aussi de faire écho à la langue de jeunesse du poète-peintre. C’est le cas non seulement d’« amoroso », mais aussi de « mantello » pour « cappotto » [manteau], d’« elevare la statua » pour « erigere », qui suit la forme française « élever la statue », ou encore « vettura » pour « voiture » au lieu de l’actuel « macchina ».
2.4. Les changements radicaux
26Rares, ils ne sont jamais neutres. Dans « Midi européen » (De Chirico, Poème 36), des archanges sont à table, sur des draps de lin ; ils deviennent chez Magrelli des archanges aimants. Comparons :
C’est bien doux aller au Change | Dolce cosa al Cambio andare |
à l’heure où à Berlin | all’ora in cui a Berlino |
les chefs des bons Archanges | I capi dei buoni Arcangeli pranzare |
Déjeunent en draps de lin | Amano in lenzuola di lino |
27Le traducteur décide de faire rimer les verbes à l’infinitif en les plaçant à la fin du vers ; mais il se voit obligé d’en introduire un autre pour équilibrer le dernier. Magrelli y introduit une forte rupture syntaxique avec un verbe conjugué à la troisième personne du pluriel et ajoute une image qui ne figure pas dans le poème français. Jouant sur le terme « drap » qui pourrait évoquer le champ sémantique du lit, Magrelli plie cette allusion vers une sorte de provocation ironique puisque les archanges, êtres divins et asexués, ne peuvent pas aimer. Si d’ailleurs De Chirico utilisait le mot « drap » dans son acception commune d’« étoffe », Magrelli aurait bien pu traduire par « lini » ou « tovaglie di lino ». Son choix d’introduire l’allusion au lit est un choix très personnel qui détourne la signification du poème. Toutefois, cette touche ne déplairait sans doute pas à De Chirico, dont les dieux sont souvent des êtres insondables.
3. De Chirico et la poésie
28La relation du peintre à la poésie se reflète bien dans le poème ci-dessous, « Per non pensare a tante amoralità… » (De Chirico, Poème 101)11, écrit en italien et publié en 1979 :
Per non pensare a tante amoralità
e stupidità, come a tanti orrori,
io sempre più cerco rifugio in quel
sacro tempio dove due Dee si tengono
per mano: la vera Poesia e la vera Pittura.12
29À l’instar de Jean Cocteau, qui mettait toute forme artistique sous le signe de la poésie, De Chirico vénérait autant la peinture que la poésie et plaçait toute manifestation artistique sous l’égide de l’image. Le critique d’art Achille Bonito Oliva (2008 : XI) développe cette interprétation en qualifiant le raisonnement chiriquien de « pensiero sempre-visivo del mito » [la pensée toujours-visuelle du mythe]. L’artiste n’aurait pas peur de rencontrer ce qui habite le langage poétique où « le immagini non sostituiscono altre immagini, sono le uniche possibili e rappresentabili » [les images ne remplacent pas d’autres images, ce sont les seules possibles et représentables]. Jacques rancière formulait semblablement notre rôle de spectateur : « les mots ne sont pas à la place des images. Ils sont des images c’est-à-dire des formes de redistribution des éléments de la représentation » (rancière 2008 : 38).
30Alors que la toile est pour De Chirico le lieu d’une entropie nihiliste, œuvre d’un démiurge du silence, les vers du peintre, réflexes de ses constantes iconiques, mettent en scène ses obsessions figuratives : la gare, les artichauts, les cheminées d’usines rouges, les murs de briques, les ombres denses projetées par les statues. Ce qui compte, c’est le regard porté sur les choses, un regard attiré par l’abîme comme par l’énigme, chambre noire de toute réalisation.
31De Chirico affirmait la prééminence du présage, voisin de la révélation, soumis au pouvoir des yeux. La poésie n’était pas, pour le poète-peintre, à détacher des autres codes d’expression, y compris la phase préliminaire à un projet, celle de l’étude des prototypes. Parmi ses écrits, un certain nombre de textes nommés « textes lyriques » montrent que le peintre considère comme poétiques à la fois les réflexions, les collages d’images, les mélanges de rêves et les ébauches de récits. Dans ce sens, toute manifestation expressive qui permet à l’artiste de devenir créateur de lui-même est poésie : « Seulement s’il [le sujet] peut créer sa création il aura une grande et éternelle valeur, ajoutée à l’éternité de toute autre valeur. Alors seulement il pourra devenir créateur » (De Chirico 1985 : 2). Le poète doit agir en dépassant les catégories du bien et du mal pour atteindre la dimension de l’éternité ; et celle-ci, dans la réflexion lyrique chiriquienne, « n’est ni bonne ni mauvaise, comme le vide n’a ni couleur ni odeur » (ibidem).
4. Le Circuit visuel : entre poétique et posture de vie
32Sans nul doute, le point de convergence majeur entre l’univers chiriquien et l’esthétique de Magrelli est l’intérêt pour l’œil, pour le regard et pour leur fonction mythopoïétique toujours active, même dans le sommeil. Tout se passe sous l’égide de l’œil chez De Chirico comme chez Magrelli : une telle prépondérance nous incita à troquer le nom « poétique » contre celui de « circuit visuel », pour désigner l’action transfiguratrice de la création artistique. Dès le premier recueil de Magrelli, tout est un hymne à la vue et célèbre une fascination presque obsessionnelle pour l’œil. Le titre de l’ouvrage formulait une déclaration de poétique synthétique, puisque sous forme érudite et ironique, il affichait le nom latin donné au point anatomique qui marque la frontière de la vue. Ora serrata retinae désigne ainsi jusqu’où peut aller le regard du sujet, sur les plans conjoints du physique et de l’idéologique.
33De manière analogue, dans son dernier recueil Il sangue amaro, Magrelli souligne combien le germe de la vie réside dans la vision et combien la fonction vitale coïncide avec la vision même. Celui qui perd cette faculté, comme le célèbre acteur italien connu sous le nom de Totò auquel le poète consacre quelques vers, vit une sorte d’antichambre de la mort : perdre la vue équivaut à perdre le corps même13.
34La valeur vitale que De Chirico attribuait lui aussi à l’œil quand, hanté par son pouvoir, il en parlait comme d’un secret caché dans toute chose qui nous guetterait, innerve le texte en prose « Zeusi l’esploratore » (1917). Le peintre, après une considération pseudo-scientifique, met l’accent sur cette entité qui contemple constamment, comme à la fenêtre de la vie : « Même l’embryon de l’homme, du poisson, du poulet, du serpent, à son stade primitif n’est lui non plus au départ rien d’autre qu’un œil. Il faudrait découvrir l’œil en toute chose » (De Chirico 1985 : 81).
35Sans cet intérêt obsessionnel des deux auteurs pour le regard, une bonne part de leurs productions n’aurait pas vu le jour. Toutefois, si De Chirico reste un artiste figuratif et si ses vers vont dans la direction d’un art visionnaire, la poésie de Magrelli est par contre très axée sur la parole et formalise en vers le mécanisme de l’autoscopie. Magrelli est fasciné par la représentation du sujet qui, par la parole ou par l’image, rend compte de la façon dont il se voit, comme s’il était projeté au dehors de soi. Son essai Vedersi Vedersi. Modelli e circuiti visivi nell’opera di Paul Valéry14, traduit en français en 2005, se consacre aux formes de l’autoscopie dans la production de Paul Valéry et définit le circuit visuel : « uno sguardo organizzato in struttura »15 (Magrelli 2002 : 137), une manière de regarder le monde capable d’organiser toute une production artistique ou littéraire, d’engendrer une posture, d’animer les objets eux-mêmes. En effet, les objets fétiches de De Chirico regardent et observent16, comme chez Magrelli. L’objet observé renvoie le regard au sujet, par empathique, en engendrant un croisement de regard : par son mouvement, son itinéraire et son orientation, cette dynamique relationnelle visuelle régit la distribution des symboles et des rêves. Pour Magrelli, « Le circuit visuel devient ainsi l’espace qui permet une sorte de transvasement entre l’observateur et l’objet / sujet observé, à l’intérieur d’un cadre théorique » (Magrelli 2002 : 146).
36C’est en suivant les axes de leurs regards, en allant jusqu’au bout de ce réseau de réponses réciproques avec les objets regardés, que les deux auteurs engendrent leurs mythologies personnelles. Ce mécanisme éminemment valéryen que Magrelli étudie en détectant « il veduto come vedente »17 s’active dans ses vers et aboutit à une réflexion poétique où l’œil est le siège de la conscience, lieu de la création et propriété essentielle de l’individu. Magrelli se laisse charmer par ses aspects anatomiques, parfois chirurgicaux ; mais ce qui lui importe constamment est son lien avec la pensée spéculative, ce qui constitue l’écart majeur avec la posture de De Chirico.
37L’œil chiriquien est métaphysique : il se situe en amont de toute révélation, pour arriver à une œuvre qui est ainsi « produit de l’œil du corps et de l’œil de l’âme »18 et peut catapulter l’homme dans un paysage inachevé. Sa précarité est le seul hic et nunc de toute l’humanité, qui ne peut que se résigner à la côtoyer en la regardant et en y retrouvant le miroir d’elle-même. Les yeux chantés par le peintre sont « beaux et purs » (De Chirico 1985 : 26) et doivent tout attendre afin que chaque jour soit, comme il l’affirme au début de son poème en prose « Une vie », composé de « visions qu’on pressent » (ibidem). Voir équivaut incontestablement chez lui à se dépouiller de tout et, paradoxalement, c’est une faculté qui dépasse la raison, le dire et l’agir du nerf optique même relevant plutôt du présage, de la préfiguration.
38Face à la révélation d’un détail insoupçonnable, le sujet se transformerait en un nouveau Protée, le dieu marin de la mythologie grecque qui était voyant mais ne révélait le destin que lorsqu’il était obligé de le faire. Pour De Chirico, « Protée » (Poème 22) est toujours en nous et il est réveillé par les yeux de l’inconscient :
Soudain un moment, une pensée, une combinaison qui se révèle à nous avec la rapidité de l’éclair nous ébranle, nous jette devant nous-mêmes comme devant la statue d’un dieu inconnu. Comme le tremblement de terre secoue la colonne sur sa plinthe, nous tressaillons jusqu’au fond de nos entrailles. Nous jetons alors sur les choses des regards étonnés. C’est le moment. Le Protée qui dormait en nous a ouvert les yeux.
39Toute épiphanie chiriquienne, toute émancipation du sujet tourne autour du champ sémantique de la vision. Souvent Magrelli enregistre dans ses vers la même prise de conscience : dans ses poèmes foisonnent les miroirs, les reflets et les regards lancés par un « je » poétique se mettant à la fenêtre du monde et de la pensée. Tout ce que cherchent l’œil humain et la main de l’artiste est là, à portée de son regard : la ville, ce nouvel espace naturel, le temps, l’action de la lumière sur chaque élément ; et ses poèmes en rendent compte de manière absolue autant que ses toiles. La quête de Magrelli, en revanche, s’oriente vers une parole qui puisse alterner à la vision et la révéler comme dans une ekphrasis postmoderne, tant il est animé par la peur valéryenne que l’on doive vivre un jour dans une époque sans possibilité de représentation, où les images seraient usées autant que la trame de notre langage19.
5. Une nouvelle fréquentation de la mort. Des traces chiriquiennes dans la dernière production de Magrelli
40Valerio Magrelli publie ses traductions des vers chiriquiens en 2011. Nous avons par conséquent pensé conclure notre réflexion en renvoyant à son dernier recueil poétique, Il sangue amaro, qui date de 2014, pour repérer, au-delà de sa propre parole poétique, quelques traces chiriquiennes restées manifestes. Au niveau des influences figuratives, l’intérêt de De Chirico pour la mort se devine dans toute sa création artistique et semble filtrer dans la plus récente production de Magrelli. Si généralement cette dernière est axée sur l’aspect pathologique et ineffable de la mort, les vers les plus récents affichent une nouvelle posture du poète, plus serein et plus intéressé à un stade préalable à la mort en elle-même.
41En effet, chez le peintre, la mort est omniprésente, sans toutefois jamais le hanter : elle intègre son quotidien et assume une multiplicité de nuances, souvent suggérées par le corrélatif objectif.
42Dans le poème en prose « Une fête », par exemple, De Chirico met en scène une mort en filigrane à toute existence et toujours liée à l’acte de voir : « Dans les chambres obscures et silencieuses les horribles épées pendent aux murs. La mort est là, pleine de promesse. Méduse aux yeux qui ne voient pas » (De Chirico, Poème 14). Méduse représente la mort en puissance mais elle n’est plus effrayante. En revanche, elle a quelque chose à offrir et ses yeux cruels ont perdu tout pouvoir de provoquer une fin tragique : Méduse, devenue aveugle, perd son identité autant que tout autre homme mortel. Magrelli prend appui sur ce même réseau de mythes et de traditions iconographiques quand il écrit de manière ironique « Usanza dell’Isola di Ceo » (2014 : 7) : ce poème a tout l’air d’un petit hommage à la représentation chiriquienne de la mort, un clin d’œil aux origines grecques du peintre qui met la mort en scène de manière sardonique. Le poète cite en exergue la traduction en italien d’une pensée de Montaigne « La morte volontaria è la più bella. La vita dipende dalla volontà altrui, la morte dalla nostra », et il enchaîne avec les vers ci-dessous :
Se Cristo volle scegliere di vivere,
perché non potrei scegliere di s-vivere?
La libertà di amare il suo Natale
Si specchierà nel mio giorno Mortale
Scelto attraverso Santa Eutanasia
Nostro natale, auto-eucarestia.20
43Sans aucun doute, le ton de Magrelli affiche une ironie depuis toujours, inhérente à sa poétique mais il la mélange avec une touche de délectable inquiétude qui suggère une attitude moins obsédante à l’égard d’une mort imagée en maladie non dramatique : le rire estompe le tragique et rappelle qu’il faut balayer
cette fausse idée de l’au-delà et de la vie éternelle [qui] détruit tout ce que la vie et la mort peuvent avoir de beau. Qu’y a-t-il de plus noble, de plus sublime que de sentir la vraie beauté de la mort qui vient comme récompense au penseur fatigué et las de longs chemins […] il y a peu d’hommes qui ont senti la grandeur de la mort, je ne dis pas la profondeur parce qu’il y en a pas. (De Chirico 1985 : 14)
44Le regard plus désenchanté que Magrelli jette sur la réalité de la mort vient-il de sa fréquentation-traduction du vers chiriquien ? L’hypothèse peut sembler risquée. Toutefois, une comparaison avec sa production précédente montre que, dernièrement, Magrelli ironise davantage au sujet du suicide et de la mort, moins pour l’exorciser21 que pour cohabiter pacifiquement avec cette dimension.
45L’acte de traduire De Chirico permet probablement au poète-traducteur italien de côtoyer une vision de la mort énigmatique sans être sournoise : pour sa part, il la charge d’une transfiguration ironique très accentuée. À travers ce procédé rhétorique, il peut proposer différents hommages aux auteurs qu’il a traduits et, en même temps, il peut se laisser aller à sa prédilection pour les néologismes et les autocitations22. En raison de l’écart chronologique entre De Chirico, mort en 1978, et Magrelli, certains thèmes liés aux absurdités de notre société post-technique ne peuvent pas se constituer en nœuds poïétiques partagés. Toutefois, le dernier recueil du poète italien semble dominé plus que jamais par des éléments métaphysiques et par la relation entre l’homme et le soleil. L’atmosphère africaine aveuglante du poème chiriquien « Une fête » semble évoquée par ce que Magrelli définit comme une « nudissima luce definitiva » (« Giugno » 2014 : 65) : chez les deux poètes l’affinité se joue autour d’images qui se renvoient de manière suggestive, il est impossible de ne pas penser aux toiles et aux vers du peintre lorsqu’on lit, dans « Invisible et invincible » (Magrelli 2014 : 127) :
Dov’è la libertà, se la malinconia
accoglie le sue nuvole senza nessun perché?
Son qui e subisco il loro lento transito
solo aspettando
all’ombra di me stesso.23
46Les traces de la poétique métaphysique nous semblent évidentes : la mélancolie, le silence et la solitude du sujet renvoient inévitablement au peintre : « et la statue dans un bonheur d’éternité noie son âme / dans la contemplation de son ombre » (De Chirico, « La volonté de la statue », Poème 16).
47Seul le poète-traducteur peut faire état de manière incontestable de ses influences et de ses allusions. Toutefois, rien n’interdit de pointer du doigt un tissu intertextuel liant le dernier recueil de Valerio Magrelli (2014) et les vers chiriquiens traduits au moins trois ans auparavant. L’itinéraire suivi par le regard des deux auteurs oriente leurs réseaux d’images, leurs mythèmes et leur représentation du monde d’une manière qui, par moment, semble se superposer et dialoguer en profondeur. C’est au centre de ce que nous avons défini comme le « circuit visuel » que leurs affinités s’affichent, éclairant la manière dont l’homme habite le monde. roger Caillois considérait que tout auteur suit une véritable architecture surgissant d’une grande unité et d’une forte cohérence d’inspiration en fournissant le portrait d’une société donnée (Caillois 1981 : 142). L’histoire de l’art et de la poésie pourraient s’écrire en montrant l’amour des artistes et des poètes pour la vision et l’action de leurs regards. Leurs fruits peuplent leurs toiles et leurs pages, nous livrant constamment, au fil de l’histoire, un réseau d’autobiographies optiques.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Bibliographie
BLANCO Massimo et COLANGELO, Stefano, 2003, Cerchi d’acqua : materiali per Paul Valéry [Des cercles dans l’eau : matière pour Paul Valéry], roma, Edizioni di Storia e Letteratura.
BONITO OLIVA Achille, 2008, « Il pensiero sempre-visivo del mito » [La Pensée toujours visuelle du mythe], DE CHIRICO Giorgio, Scritti. 1911-1945, Romanzi e scritti critici e teorici, Milano, Bompiani, p. XI.
BURGOS Jean, 1982, Pour une poétique de l’imaginaire, Paris, Le Seuil.
CAILLOIS Roger, 1981, Chroniques de Babel, Paris, Denoël & Gonthier.
COCTEAU Jean, 1996, Picasso / Jean Cocteau, Paris, L’École des loisirs.
DE CHIRICO Giorgio, 1985, Il meccanismo del pensiero. Critica, polemica, autobiografia (1911-1943) [Le Mécanisme de la pensée. Critique, polémique, autobiographie (1911-1943)], Torino, Einaudi.
——, 1985, « Zeusi l’esploratore », DE CHIRICO Giorgio, Il meccanismo del pensiero, roma, Torino, Einaudi, p. 81.
——, 2008, « Tutte le poesie » [Poésies complètes], Metafisica, n° 7/8, 2007-2008, http://www.fondazionedechirico.org/metafisica/n-910-2010 (consulté le 21 août 2014).
LE GOFF Jacques, 2009, « Le colonne d’Ercole e l’occhio dell’anima » [Les colonnes d’Hercule et l’œil de l’âme], La Repubblica, article du 21 décembre.
LISA Tommaso, 2004, Scritture del riconoscimento : su ‘Ora serrata retinae’ di Valerio Magrelli [Écriture de la reconnaissance : à propos de Ora serrata retinae de Valerio Magrelli], roma, Bulzoni, p. 77-79.
LORENZINI Niva e COLANGELO, Stefano, 2013, Poesia e Storia [Poésie et Histoire], Milano, Mondadori.
MAGRELLI Valerio, « Cuore di poeta » [Coeur de poète], http://www.letteratura.rai.it/articoli-programma/valerio-magrelli-cuore-di-poeta/1213/default.aspx (consulté le 20 août 2014).
——, 2002, Vedersi Vedersi. Modelli e circuiti visivi nell’opera di Paul Valéry [Se voir se voir. Modèles et circuits visuels dans l’œuvre de Paul Valéry], Milano, Feltrinelli.
——, 2008, « Valéry on the beach », L’idea fissa [L’idée fixe], Milano, Adelphi.
——, 2010, « Poesie », Metafisica, n° 9/10, 2009-2010. http://www.fondazionede chirico.org/metafisica/n-910-2010 (consulté le 21 août 2014).
——, 2014, Il sangue amaro [Le sang amer], Torino, Einaudi.
10.3917/lafab.ranci.2008.01 :RANCIÈRE Jacques, 2008, Le spectateur émancipé, Paris, La Fabrique Éditions.
SIMEONE Bernard, 1995, Lingua. La jeune poésie italienne. Édition bilingue, Paris, Le Temps qu’il fait.
——, « Transmettre, écrire, communiquer », Remue.net, http://remue.net/spip.php?article3209 (consulté le 21 août 2014).
Notes de bas de page
1 C’est la célèbre inscription (« Et quid amabo nisi quod aenigma est ? ») que le peintre appose en latin sur le fond de son premier autoportrait et qui influence beaucoup son exégèse en tant qu’artiste.
2 Pour faciliter le repérage des poèmes en français de Giorgio De Chirico, nous les citerons à partir de la version électronique publiée sur le site de la fondation, http://www.fondazionedechirico.org/wp-content/uploads/424-500Metafisica7_8.pdf, nous nous limiterons à donner le numéro du poème dans ce document. (consulté le 20 mars 2014).
3 Simeone, Remue.net, http://remue.net/spip.php?article3209 (consulté le 21 août 2014).
4 Voir l’émission de France Culture, La traduction (4/4) : Que faire des concepts intraduisibles ? par Adèle Van reeth interviewant Barbara Cassin, http://www.franceculture.fr/emission-les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance-la-traduction-44-que-faire-des-concepts-intraduisibles (consulté le 20 mars 2014).
5 [En fin de compte, on pourrait désigner la traduction comme quelque chose qui, par définition, peut répondre à tous les éléments présents dans le texte original sauf un. Je dirais en effet que la définition de traduction qui me semble la plus convaincante pourrait s’inscrire dans la « règle du moins un ». Bref, nous avons affaire à une traduction quand au moins un élément du modèle original n’a pas été reproduit.] (Valerio Magrelli, « Cuore di poeta », http://www.letteratura.rai.it/articoli-programma/valerio-magrellicuore-di-poeta/1213/default.aspx, consulté le 20 août 2014). Notre traduction.
6 http://circe.univ-paris3.fr/JCV%20traduire%20une%20pratique%20theorie.pdf(consulté le 20 août 2014).
7 Sur la relation entre la poétique de Magrelli et la matière humaine comparée à la matière minérale et à l’art, voir son recueil Nature e Venature publié en 1987, republié en 1992 et traduit en français par Bernard Simeone sous le titre de Natures et signature.
8 À titre d’exemple, nous rappelons son long poème en prose « Moore bianco, Esercizi di Tiptologia » (1992). Ce poème en prose est consacré à l’œuvre du sculpteur anglais Henry Moore. Magrelli se laisse charmer par l’espace aveuglant dessiné par une lumière à l’allure très chiriquienne, qui « piove dall’alto sulla folla di abbaglianti tumori ossei » [qui pleut du haut sur la foule de tumeurs osseuses éblouissantes].
9 Comme le souligne Emilio Pasquini dans son étude étymologique sur le lemme amoroso dans http://www.treccani.it/enciclopedia/amoroso (Enciclopedia-Dantesca), il s’agit d’un adjectif propre à Dante prosateur. Toutefois, il l’emploie également dans la Divine Comédie à des moments cruciaux. Le son des mots de Béatrice est « amoroso » tel que le décrit Dante au chant XVIII du Paradis « io mi rivolsi a l’amoroso suono/ del mio conforto ; e qual io allor vidi/ ne li occhi santi amor qui l’abbandono ».
10 Voir aussi De Chirico, Poème 54 : « Je sais ton casque est lourd à ton front tourné ».
11 Dans ce cas, nous ne proposons pas de traduction à ce poème écrit en italien, comptant sur la transparence, par rapport au français, de la plupart des mots.
12 [Pour ne pas penser à tant d’immoralité / et de stupidité, comme autant d’horreurs, / de plus en plus je cherche refuge dans ce / temple sacré où deux Déesses se tiennent / par la main : la vraie Poésie et la vraie Peinture]. (Ma traduction)
13 Magrelli 2014 : 92 affirme explicitement « deposta la visione, deposta la parola / Il corpo pinzillacchera discende nella Tomba ». Dans une traduction qui soit fonctionnelle exclusivement à la compréhension, nous pourrions traduire comme suit : [une fois déposées la vision et la parole / le corps bagatelle descend dans son Tombeau].
14 [Se voir se voir. Modèles et circuits visuels dans l’œuvre de Paul Valéry].
15 [un regard organisé en structure].
16 Voir par exemple les vers du poème « Mélancolie », 1985 : 33, qui affirment « Deux artichauts de fer me regardent » ; ou encore le poème en prose « Le chant de la gare » qui personnifie de manière presque enfantine et animiste la gare « Petite gare, petite gare, quel bonheur je te dois. Tu regardes de tous les côtés, à droite, à gauche et par derrière aussi [...] Sous les portiques il y a des fenêtres ; à chaque fenêtre un œil nous regarde ».
17 [ce qui est vu comme celui qui voit] (Blanco 2003 : 16). La traduction est nôtre.
18 C’est la définition utilisée par Le Goff (2009) pour décrire les images métaphysiques du photographe italien Cesare Di Liborio.
19 À ce propos, Magrelli mène sa réflexion en partant d’une crainte exprimée par Valéry. Le poète français songeait non sans inquiétude à la possibilité de vivre un jour à une époque où il serait impossible de s’exprimer par analogie, à travers des miroirs, des correspondances visuelles et des formes en général, se demandant « Que faire dans un ordre de grandeur où il ne sera plus question d’images ? » (Magrelli 2008 : 150).
20 [Si le Christ voulut choisir de vivre / pourquoi ne pourrais-je pas choisir de dé-vivre ? / La liberté d’aimer son Noël / Se reflétera dans mon jour Mortel / Choisit grâce à sainte Euthanasie. / Notre nativité, auto-eucharistie.] (Ma traduction).
21 Sur le sujet de la mort dans le recueil Ora serrata retinae, voir Lisa 2004 : 77-79, qui détaille le répertoire d’images évoquant la limite de sa vie et de son œuvre, empreintes d’une volonté de prise de distance et anéantissement de son pouvoir.
22 Tout comme De Chirico, « le meilleur faussaire de lui-même », Magrelli aime récupérer des vers traduits pour des projets éditoriaux et les glisser dans ses propres vers, ou bien paraphraser ses propres poèmes en proposant des variantes. Avec un brin d’ironie, Magrelli parle de ses auto-traductions comme des auto-transfusions nécessaires et vivifiantes pour son circuit créateur.
23 Où est la liberté, si la mélancolie / accueille ses nuages sans aucun pourquoi ? / Je suis ici et je subis leur lent passage / attendant simplement.
Auteur
Université Grenoble Alpes Laboratoire GREMUTS
Emanuela Nanni a une double formation de traductrice diplômée et d’italianisante. Elle est Maître de conférences en italien à l’Université de Grenoble Alpes et membre de l’unité de recherche ILCEA4, plus particulièrement du laboratoire GREMUTS. Ses recherches portent sur la poésie contemporaine dans toutes ses perspectives, y compris les relations avec l’esthétique, ainsi que sur l’histoire de la traduction selon une approche comparatiste. Elle collabore avec l’artiste italien Nicolò Cecchella, avec lequel elle mène des recherches autour de l’image, de la poésie et de la mytho-critique, en mettant en relation le code poétique avec le code visuel.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Pour une interdisciplinarité réciproque
Recherches actuelles en traductologie
Marie-Alice Belle et Alvaro Echeverri (dir.)
2017
Le double en traduction ou l’(impossible ?) entre-deux. Volume 1
Michaël Mariaule et Corinne Wecksteen (dir.)
2011
Le double en traduction ou l’(impossible ?) entre-deux. Volume 2
Michaël Mariaule et Corinne Wecksteen (dir.)
2012
La traduction dans les cultures plurilingues
Francis Mus, Karen Vandemeulebroucke, Lieven D’Hulst et al. (dir.)
2011
La tierce main
Le discours rapporté dans les traductions françaises de Fielding au XVIIIe siècle
Kristiina Taivalkoski-Shilov
2006
Sociologie de la traduction
La science-fiction américaine dans l’espace culturel français des années 1950
Jean-Marc Gouanvic
1999