La bibliothèque humaniste du Virgile Goguenard
p. 271-293
Texte intégral
1La bibliothèque représentée sur le frontispice du Virgile goguenard ou Le douziesme livre de l’Enéide travesty (Puisque travesty y a)1 s’avère doublement fictive, autant parce qu’elle a été imaginée, dessinée et gravée pour un ouvrage de fiction « traduisant » le douzième livre de l’Énéide, que parce qu’elle appartient à un personnage fictif inventé par l’auteur afin de justifier son entreprise de travestir Virgile en vers burlesques. Le Virgile goguenard a été conçu et imprimé en pleine Fronde, mais aussi en pleine vogue du burlesque, au moment où de nombreux auteurs s’amusent à parodier les grands textes de l’Antiquité2. L’« Extraict du Privilege du Roy »3 attribue l’œuvre à un certain « Claude Petit-Jehan Advocat en Parlement »4, tandis que l’Epistre fort longue à Henry de Savoye est signée L.D.L. Selon Frédéric Lachèvre, dans sa Bibliographie des recueils collectifs de poésies5, ces initiales renverraient à Laurent de Laffemas6, le fils d’Isaac de Laffemas, conseiller du roi et lieutenant civil dévoué à Richelieu7. L’attribution de l’œuvre convient donc mieux à un ami de Scarron et du Cardinal de Retz, abbé mondain qui composait des mazarinades8 et qui aurait également publié L’Enfer burlesque, ou Le sixiesme de l’Eneide travestie, […] Le tout accommodé à l’histoire du temps en 16499. La fausse attribution du privilège serait peut-être un leurre pour tromper la censure, d’autant qu’on ne devait pas céder légèrement les privilèges aux auteurs de mazarinades pendant la Fronde10.
2La gravure liminaire en taille-douce faite par François Chauveau, celui-là même qui a illustré les œuvres burlesques de Scarron, de Dassoucy et de Richer11, mérite qu’on s’y attarde dans le cadre d’une réflexion sur les bibliothèques imaginaires et leur rapport avec un ouvrage de fiction. Cette gravure représente en premier plan trois personnages principaux, un gentilhomme à la mode entouré de ses valets qui tient une édition du Virgile goguenard, un vieillard barbu qui possède la version latine du douzième livre de l’Énéide12 accompagné de son jeune élève, et un ecclésiastique en longue robe incliné tenant des vêtements. Une légende au bas de la gravure éclaire cette scène :
Entre Frizon, Louvard (et Floriot fait beau)
Fauconnier, Martial, Colin et Bastonneau,
Virgile, à la Francoize, est reconnu des Belles :
Ses habits, qu’on luy rend, n’ont pour luy rien d’exquis
Il se Delatinize et va dans les Ruëlles,
Debiter mots nouveaux, montrer modes nouvelles
Et devient Monsieur le Marquis.
Virgile13 est donc travesti et « délatinisé » par un auteur moderne pour devenir « Monsieur le Marquis », ce qui identifie les personnages comme l’ancien et le nouveau Virgile avec Laffemas lui-même en avant-plan. Ils constitueraient donc deux personnifications de l’œuvre, l’une latine et ancienne, l’autre française et moderne, dont la devise marque la relation étroite mais ambiguë : « Uterque ambo ; ambo neuter »14. La métaphore de la création et du « travestissement » investit ainsi la gravure de Chauveau en mettant côte à côte deux Énéide et en soulignant l’importance du traducteur moderne dans l’accommodation d’une œuvre antique à un nouveau contexte de diffusion.
3Derrière tous ces personnages se remarque le décor d’un cabinet, où sont représentés plusieurs rangs de livres reconnaissables par leur titre ou leur auteur. Il s’agira dans un premier temps d’interroger les œuvres présentes dans cette bibliothèque et d’en voir les liens avec une littérature plaisante. Ce questionnement amènera un développement sur le rapport qu’entretient l’auteur moderne avec ces ouvrages, non seulement sur le plan de l’érudition humaniste qui sous-tend la constitution de cette bibliothèque et du dialogue que celui-ci élabore avec ses références antiques et modernes, mais également sur ce que signifie pour lui travestir Virgile vis-à-vis des savants et des représentants de la culture scolaire. On tentera enfin d’observer comment une traduction plaisante et enjouée, à l’instar d’une bibliothèque, remplit un rôle de diffusion d’un savoir et participe à rendre ces connaissances accessibles à de nouveaux publics. On pourra ainsi mieux comprendre la poésie burlesque du XVIIe siècle et son rapport iconoclaste avec un savoir issu de la tradition humaniste, et en outre apprécier la posture originale de Laffemas quant à la diffusion des auteurs antiques.
La composition de la bibliothèque
4La bibliothèque du Virgile goguenard se compose de trois rangées de livres, où l’on observe un classement et une distribution des ouvrages selon les personnages présents dans la gravure. À gauche, derrière le marquis, une seule rangée contient une majorité d’ouvrages français et italiens des XVIe et XVIIe siècles, tandis qu’à droite, derrière le pédant, apparaissent deux rangées d’ouvrages exclusivement grecs ou latins, dont dix-neuf sont identifiables en tout, contre huit ouvrages modernes. En effet, des dix titres qui composent le côté gauche de la bibliothèque, seuls les Métamorphoses d’Ovide15 et le Satiricon de Pétrone16 proviennent de l’Antiquité. Les ouvrages modernes qui accompagnent ces deux titres participent tous d’une littérature enjouée et facétieuse, ils pourraient même figurer parmi les sources et les influences de la réécriture burlesque de Laffemas.
5En tête de cette liste viennent les deux travestissements de Scarron17 : le Typhon et le Virgile travesty. Non seulement Laffemas lui rend hommage dans sa préface18, mais cette présence illustre une dette envers celui qui a introduit les vers burlesques en France et qui a travesti le premier les hexamètres de Virgile en un style bouffon. Vincent Voiture19 est un autre contemporain de Laffemas, mort quelque temps avant la publication du Virgile goguenard et dont les œuvres complètes paraissent à Paris en 1650. Cet habitué du salon de Mme de Rambouillet passe à l’époque pour le modèle du badinage et de l’air galant, ce qui ne l’a pas empêché d’écrire des vers burlesques et des chansons satiriques. Mathurin Régnier20, autre poète français qui a publié au début du XVIIe siècle, a remis à l’honneur la poésie satirique en imitant les Anciens, particulièrement Horace et Juvénal. Neveu de Desportes, il a refusé la réforme de Malherbe et s’est dressé contre sa tentative de purifier la langue et les vers, sans vivre assez longtemps pour modifier la tendance générale de régularisation du Parnasse français21.
6Clément Marot22 et Mellin de Saint-Gelais23, deux poètes de la cour de François Ier, se sont illustrés dans la poésie de circonstance et l’art du badinage. François Villon24 est le dernier poète français de cette liste, et le plus ancien, qui forme avec ses compatriotes les maillons d’une histoire de la poésie enjouée, de la fin du XVe siècle jusqu’au milieu du XVIIe siècle. Les Macaronées de Gerolamo Folengo25, caché sous le pseudonyme de Merlin Cocaye, appartiennent également à cette tradition : ces poésies néo-latines sont truffées de jeux de langage et de plaisanteries savantes. Tous les ouvrages modernes de la bibliothèque entretiennent avec le texte de Laffemas une relation étroite par le biais du comique et du satirique.
7Tels sont donc les livres dont dispose le personnage du marquis si l’on donne crédit à l’hypothèse d’une double bibliothèque. L’interprétation de cet amalgame de livres de poésie et de prose française, italienne et latine, présente cependant quelques difficultés. On s’explique mal en effet la présence des deux ouvrages latins parmi les ouvrages modernes, comme si le personnage du marquis pouvait se divertir à la lecture de ces œuvres latines qui ont bien peu de points communs. Tandis que le contenu du Satiricon peut être considéré comme libertin, Les Métamorphoses ne sont « comiques » qu’à condition de les prendre au second degré. Par ailleurs, cette forte prépondérance de la poésie pourrait expliquer l’absence de certains textes en prose qui auraient pu figurer parmi cette sélection d’ouvrages comiques, comme les œuvres de Rabelais, les romans picaresques espagnols, ou même des textes rattachés aux genres comiques de la scène.
8On aurait pu s’attendre à y retrouver des auteurs burlesques italiens du cinquecento comme Berni et Caporali26, voire ceux qui ont les premiers représenté les dieux lors de banquets bouffons comme Tassoni et Bracciolini27, ou encore l’Eneide travestita de Giovan Batista Lalli, premier travestissement de Virgile en « stile giocoso »28. Cette absence est surprenante quand on tente de repérer dans ce rayon les influences de la poésie burlesque, comme si le graveur n’avait pas cru bon d’inclure ces sources secondaires, ou que Laffemas n’ait pas été aussi bien informé que Gabriel Naudé sur les sources italiennes de la poésie burlesque29. Les ouvrages modernes de ce rayon révèlent tout de même une certaine logique associative autour d’un genre et d’un ton, ce que l’autre partie de la bibliothèque n’offrira pas complètement, dans la mesure où les textes et les auteurs qui s’y trouvent fournissent une variété beaucoup plus grande.
9Parmi les principaux genres représentés par les titres antiques placés derrière le personnage du pédant, la comédie et la satire dominent essentiellement, notamment à travers Aristophane30, Plaute31, Térence32 et Laberius33, ou encore Lucilius34, Perse35 et Lucien de Samosate36. On retrouve plusieurs représentants de l’épigramme et des genres poétiques brefs37 : Ésope38, Théocrite39 et Catulle40. Homère41 et Ennius42 se sont surtout illustrés par leurs œuvres épiques, mais passent également pour avoir écrit quelques « bagatelles » comme La Batrachomyomachie, qui n’est pas d’Homère mais qui lui est attribuée à l’époque43. Les autres livres témoignent plus directement d’une érudition antique appréciée par la tradition humaniste, livres qui traitent la plupart du temps de science, de philosophie ou de morale, par exemple ceux d’Hésiode44, d’Hermès Trismegiste45, de Lucrèce46 et de Plutarque47.
10Contrairement au personnage du marquis, le pédant possède exclusivement des ouvrages grecs et latins, mais les deux bibliothèques sont dominées par des auteurs satiriques et comiques. Tous ces ouvrages montrent une prédisposition, dans les langues anciennes et modernes, pour la satire et le rire, mais aussi l’érudition et la morale, particulièrement lorsque ces sujets sont traités sur le mode enjoué ou poétique. Cette érudition n’est pas simplement scolaire puisqu’elle dépasse le cursus des collèges, comme en témoigne l’absence de recours aux recueils scolaires comme les Thesaurus ou les Florilèges. On affiche une volonté de lire les textes dans la langue d’origine, et non pas d’y accéder par des extraits ou une médiation indirecte. De plus, si l’on écarte les poètes épiques Homère et Ennius, on observe peu de liens entre l’Énéide latine et les autres ouvrages situés derrière le pédant, comme s’il s’agissait des influences de la poésie burlesque et d’une tradition dans laquelle on voulait inscrire le Virgile goguenard48. Les deux bibliothèques deviendraient la possession virtuelle de l’auteur burlesque49, en relation directe avec sa traduction de Virgile.
11La composition de cette bibliothèque fictive procède d’une sélection qui ne relève donc pas d’un choix arbitraire, mais participe d’une énumération délibérée d’une littérature plaisante qui convient tout à fait à la scène qu’elle surplombe et à l’œuvre qu’elle introduit. Plutôt qu’une simple décoration iconographique, on doit considérer la représentation de ces livres comme le témoignage d’une construction voulue par l’auteur et communiquée au graveur pour mettre sous les yeux du lecteur une constellation livresque dans laquelle va s’inscrire cette nouveauté goguenarde. En plus d’un appel à la connivence avec le lecteur et un partage des références culturelles, il faut voir dans cette représentation de bibliothèque la recherche par l’auteur du travestissement d’une caution savante.
12Les livres de la bibliothèque donnent ainsi une clé de lecture au Virgile goguenard, et la gravure éclaire cette traduction burlesque de l’Énéide. Non seulement la bibliothèque inscrit l’œuvre dans une tradition autour d’un rire satirique d’Homère à Scarron, contrairement à ce que laisse entendre la citation de Juvénal en exergue50, mais elle remplit par la même occasion une fonction d’auctoritas, une valorisation de l’érudition par un hommage des principaux auteurs sur lesquels le poète fonde sa réécriture. La sélection de la bibliothèque procède alors d’un souci de représentativité plutôt que d’exhaustivité, dans la mesure où plusieurs textes importants ont été omis par le graveur. La bibliothèque met enfin en scène la marque d’un savoir, l’appartenance de l’auteur à une tradition humaniste, ce que l’on peut observer non seulement dans la traduction de Virgile, mais aussi dans les pièces liminaires farcies de citations latines et d’allusions à la littérature antique.
L’érudition du poète burlesque
13Le cas du Virgile goguenard est unique parmi les travestissements d’auteurs antiques publiés pendant la Fronde, tant à cause du nombre de pièces liminaires ornant l’ouvrage qu’à cause de la passion effrénée de Laffemas pour les références latines. On peut lire en effet une épître, une préface, un avertissement au lecteur, un argument de l’intrigue et une table des errata, trente-six pages en tout, contre cent quatre-vingt-six pages de texte51. Ce chiffre dépasse de beaucoup la proportion générale pour les autres travestissements, même dans des ouvrages dont l’appareil liminaire est considérable comme le premier livre du Virgile travesty de Scarron ou le Jugement de Pâris de Dassoucy52.
14De plus, une relation particulière se fait jour entre Laffemas et les auteurs antiques qu’il cite quand il se déclare « en humeur de citer & de parler Latin »53. Même si les ouvrages cités ne sont pas toujours ceux qui se trouvent dans la bibliothèque de la gravure, cette passion pour les ouvrages antiques prolonge celle qui en motive la composition. Une indéniable familiarité ponctue les échanges entre Laffemas et les Anciens, particulièrement lorsqu’il interpelle « le bonhomme Virgile »54, « ce bonhomme »55 Lucrèce, le « compere Claudian »56, ou qu’il partage l’amitié de « mon cher Lactance »57 au même titre que celle de « notre ami l’abbé Scarron »58. Il faut toutefois souligner que cette familiarité survient dans un contexte polémique suscité par les querelles qu’on a faites à l’auteur autour de son travestissement de Virgile.
15Laffemas commence en effet sa préface par la mention d’une réaction négative vis-à-vis de son entreprise :
On me fit reproche ces jours passez de l’attentat que je faisois à la majesté du Prince des Poëtes Latins. Et quelques gens soy disans interessez à sa memoire, me dirent avec un peu de chaleur & d’émotion, (quoy qu’assez modestement toutefois) que j’avois grand tort, aussi bien que beaucoup d’autres, de Travestir ainsi & deguiser ce grand Personnage, & que j’estois le premier qui avois esté assez hardy pour ozer faire la Barbe à Virgile.59
Toutes les pièces liminaires feront donc partie de cette plaidoirie de l’auteur pour se défendre contre les attaques de ces « quelques gens » intéressés à la mémoire et à la majesté de Virgile. Laffemas va répliquer à ces doctes mondains60 en adoptant une posture érudite et scolaire qui multiplie les références latines afin de présenter sa traduction de Virgile comme une entreprise respectueuse de l’auteur. Dans ce contexte, il devient pertinent de constater comment les portraits de Virgile et de son dédicataire Henry de Savoie participent à sa défense, où le rire ne désacralise pas complètement un ouvrage sérieux.
16D’une part, Virgile n’est pas seulement l’auteur sérieux d’une épopée nationale qui inspire le respect et la vénération des doctes en raison de sa rare beauté, il est également un personnage goguenard qui ne reculait pas devant les bons mots et les divertissements grivois :
Il estoit sans doute Goguenard, le bon-homme. Possible estoit-il encor plus que Goguenard. Et sans rappeller ici la memoire de sa seconde Eglogue61, ou sans luy imputer l’Opuscule des Priapées & des autres choses que Servius & Donat luy attribuënt, il ne haïssoit point du tout le Divertissement ny le Mot pour Rire.62
Laffemas appuie ses arguments par la citation des premiers vers du Culex ad Octavium63, ces aventures aux Enfers d’un moucheron mort, qu’il aurait dédiées à Octave Auguste :
Lusimus, Octavi, ------
Lusimus --------------- [… ]64
La posture de Virgile autorise l’entreprise de Laffemas à deux égards : Laffemas peut non seulement travestir le poète antique en vers burlesques parce que ce dernier aimait s’amuser, mais il peut également dédier un ouvrage burlesque à un grand65 parce que Virgile lui-même l’a fait avec le Culex. Le poète burlesque rapatrie alors une situation antique vers un contexte immédiat, traçant le parallèle entre lui et Virgile, entre Henry de Savoie et Octave, ce qui participe à l’éloge de son destinataire tout en valorisant une facette enjouée de l’œuvre de Virgile.
17D’autre part, Laffemas va encore justifier son entreprise par le tempérament et la personnalité de son dédicataire, en misant sur deux aspects divergents mais complémentaires : l’érudition et l’enjouement. Il résume cette posture dans les vers suivants :
Vostre Esprit met si bien d’accord
Le stile Agreable & le Fort,
Que mesmes en Riant vous estes Profitable ;
Et vous faites bien voir, par cet air Goguenard,
Que l’Utile & le Delectable
Ne peuvent rien valoir à part.66
Encore une fois, il autorise son éloge du duc de Savoie par la transposition d’une situation antique. Il s’agit ici du panégyrique de Claudien à la louange d’un certain Stilicon :
--------- Quin ipsa superbia longè
Discessit ; vitium rebus solenne secundis,
Virtutùmque ingrata Comes ; contingere passim,
Assaríque licet : non, inter pocula, sermo
Captatur, purâ sed libertate loquendi,
Seria, quisque, jocis, nullâ formidine, miscet. […]
------- Te, Doctus, Prisca loquentem,
Te, Matura, Senex audit ; te, Fortia, Miles ;
Aspersis Salibus.67
Tout comme ce Stilicon, Savoie se pare des plus grandes vertus et sait mêler le sérieux avec le plaisant dans ses harangues, ce qui en fait un destinataire de choix pour recevoir les éloges que lui font simultanément Laffemas et Claudien :
Il me semble que vous n’estes pas fort mal dépeint en ces vers, & vous diriez que le Compere Claudian ait voulu parler de vous par un esprit Prophetique. […] Ce qu’il a dit autrefois d’un grand homme, se peut bien encor aujourd’huy dire de vous ; & n’en déplaise à feu Monsieur Stilicon, vous meritez mieux cet eloge que luy.68
Cette désinvolture dans l’appropriation de ses sources, issue d’un télescopage pour le moins burlesque des deux destinataires et d’une usurpation complète de l’autorité du passage, souligne bien la feinte naïveté de Laffemas ainsi que sa complète innutrition d’une culture latine, grâce à laquelle tout écrit antique peut être recyclé et rénové pour son propre usage. L’ethos reconstitué de Savoie, à la fois docte et enjoué, justifie enfin l’entreprise de Laffemas et autorise son travestissement de Virgile :
Je suis bien aise, en cela, que vostre humeur justifie la mienne, & que j’aye par bonheur ce rapport avecque vous, que si mes occupations ne sont pas si serieuses & si profitables que les vostres, elles deviennent pour le moins agreables, ou ne soient pas tout à fait déplaisantes.69
Son travestissement ne manquera donc pas d’être utile et enjoué, à l’image de son destinataire, ce qui lui donnera un poids supplémentaire dans sa polémique avec les doctes. Cet argument sera appuyé par une série de citations latines qui permettront à Laffemas de transférer les réalités et les textes antiques dans un nouveau contexte, particulièrement quand il s’agit de faire valoir le mélange du rire et du sérieux dans les ouvrages poétiques.
18Il déclare son travestissement de Virgile aussi éloigné d’Héraclite que de Démocrite, et l’autorise par une citation de Pline sur le mélange de deux extrêmes :
Ce n’est pas que je voulusse le rendre Gaillard à chaque page, comme je me suis bien aussi gardé de le faire parestre serieux par tout. La trop grande Joye approche beaucoup de la Folie, & je ne tiens pas que Democrite, qui Rioit sans cesse, fût plus sage que de raison. Non plus que cet autre Philosophe d’Ephese qui pleuroit toûjours. Il faut garder le temperament en toutes choses. Ces gens-là ne valoient rien à part. S’il en estoit des Hommes comme des Metaux, je croy qu’on auroit fait un bon Personnage de ces deux Vizionnaires. Je suis, en cela, de l’avis de Pline, ut in vitâ, sic in studiis pulcherrimum & humanissimum existimo, Severitatem Comitatemque miscere : ne illa, in tristitiam, hæc, in petulantiam procedat [excedat]. Quâ ratione ductus, graviora opera Lusibus Iocisque distinguo70. Il ne pouvoit pas mieux exprimer ma pensée. Il semble que cet endroit soit un Passage de Commende. Car nôtre Virgile est tellement gay, qu’il ne laisse pas d’estre serieux.71
Laffemas a donc fondu un alliage composé de ces deux extrêmes afin de rendre son personnage « tellement gay, qu’il ne laisse pas d’estre serieux », grâce à un tour plaisant qui laisse apparaître sa dimension héroïque. C’est justement grâce à cette gaieté qu’il devient possible d’aborder des sujets sérieux, de faire passer un enseignement profitable à tous mais qui paraîtrait amer s’il était traité de manière trop dépouillée.
19Lucrèce avait fait de même avec la doctrine d’Épicure, en la reformulant d’une manière poétique propre à plaire à tous les esprits. Il avait lui-même justifié cette entreprise par l’exemple des apothicaires qui sucrent leur médecine pour les faire avaler plus agréablement, passage cité et réemployé par Laffemas :
Idquóque enim non ab nullâ ratione videtur ;
Nam veluti, pueris, absinthia tetra, medentes
Cum dare conantur, priùs oras, pocula circùm,
Contingunt mellis dulci flavóque liquore,
Ut puerorum ætas imprivida ludificetur
Labrorum tenùs ; intereà perpotet amarum
Absinthi laticem, deceptáque non capiatur ;
Sed potius, tali facto, recreata valescat.
Sic Ego nunc.72
Sans la poésie de Lucrèce, la doctrine d’Épicure pourrait rebuter certains lecteurs, de même que la médecine trop amère : il faut donc un miel adoucissant pour la consommer73. Laffemas transpose alors ces métaphores de l’amer et du doux à son propos, où le style burlesque devient le miel par lequel l’histoire d’Énée parvient à séduire et à divertir un nouveau public.
20Il va même plus loin quand il affirme que toute action humaine doit être motivée par un « bien délectable »74, notamment l’éducation par des lectures plaisantes, ou encore la reproduction de l’espèce humaine à travers la volupté rattachée à l’acte sexuel. Il cite et paraphrase Lactance à cette occasion :
Sans cela, je croy que le monde auroit trouvé sa fin dans son commencement, & je ne pense pas qu’il y eust une Femme assez hardie, ou du moins assez interressée en la cause commune, pour se vouloir exposer aux douleurs de l’accouchement, si elle n’avoit esté premierement invitée au Mariage par la volupté qui precede la peine, & (comme dit fort bien mon cher amy Lactance75) nous sommes naturellement si nonchalans aux choses qui regardent le Devoir, que, si la nature n’avoit prudemment attaché quelque volupté à l’office des gens mariez, touchant la multiplication de l’espece, la femme éviteroit sans cesse cette action comme la cause d’un supplice & l’homme la remettroit le plus souvent au lendemain, comme une affaire ou comme une corvée. Tant il est vray que le Delectable nous fait toujours faire le premier pas pour toutes choses.76
L’autorité de Lucrèce et de Lactance permettra de construire une philosophie de l’enseignement fondée sur l’importance d’un « bien délectable » et sur la nécessité de rendre divertissantes les activités profitables à l’esprit humain. Selon cette logique, l’Énéide aura besoin d’une transformation plaisante pour profiter aux femmes et aux enfants qui ne comprennent pas le texte dans sa langue originale. L’érudition de Laffemas ne se réduit donc pas à quelque usage stérile de la citation, mais implique une posture devant les détracteurs de son projet et donne une portée éducative à son entreprise.
Les enjeux éducatifs du travestissement
21Laffemas partage cet a priori humaniste selon lequel le savoir contenu dans les œuvres antiques est encore utile aujourd’hui et mérite d’être transmis, tout individu devant former son esprit et son jugement par de telles lectures. Sachant que ces textes ne sont pas accessibles à tous les lecteurs en raison de la difficulté linguistique qu’ils présentent, Laffemas considère la traduction comme un moteur privilégié de leur diffusion et, par conséquent, du savoir qui s’y cache. Or, une traduction trop fidèle ne conviendrait sans doute pas à tous les publics, particulièrement si l’on pense à ce public mondain qui se divertit à des lectures galantes ou enjouées bien éloignées de ce duel sanglant qui clôt l’Énéide. Le poète doit donc soumettre son modèle épique à un principe de delectatio, d’agrément, afin de le rendre plus agréable. C’est dans ce contexte que Laffemas entreprend de travestir Virgile en vers burlesques français.
22En effet, affirme-t-il, « [c]e n’est pas assez de dire de bonnes choses ; il les faut dire Agreablement »77, et la meilleure éducation passe toujours par le jeu, de telle sorte que
l’Ecole & le lieu où l’on enseigne les bonnes Lettres […] s’appelle, en bon Latin, Ludus, qui signifie Jeu ; & […] le Maistre […] qui les enseigne est appellé Ludi Magister, comme qui diroit le Maistre du Jeu.78
Cet agrément de l’éducation trouve son explication dans le fait que les actions humaines sont motivées par l’apparence d’un « bien délectable », dont les rapports avec le plaisir et la peine s’avèrent assez épicuriens79. Dès lors, la manière enjouée du travestissement n’est pas étrangère à cette capacité d’allier l’utilité des connaissances contenues dans les œuvres antiques au plaisir de l’apprentissage dépouillé de son amertume et de son sérieux.
Cela estant ainsi, il faut que les Sciences, la Connessance des bons Livres, bref, toutes choses, […] soient Agreables & donnent du plaisir, autrement ce ne sont point des Biens : car les Biens ne sont point Desagreables, & ne peuvent jamais Déplaire. Il seroit fort avantageux de separer tellement les choses solides d’avec l’étude & le soin qu’elles nous coustent, l’amertume & le degoust qu’elles portent d’ordinaire avec elles, ou si bien confondre les Serieuses avec les Plaisantes, que l’on ne pust jamais rien lire qui ne fust Divertissant, ny rien gouster qui ne semblast Agreable.80
Grâce au travestissement, le principe du « bien délectable » trouve son accomplissement sur le plan pédagogique, et met en œuvre une acquisition des connaissances fondée sur le plaisir plutôt que sur le travail. Pour Lucrèce et pour Virgile, traduire en vers une matière épique ou philosophique contribuait déjà à rendre l’ouvrage délectable, tandis que pour le poète burlesque, la poésie doit se parer d’un écrin ludique et d’un style enjoué pour plaire davantage.
23Par cette traduction plaisante que constitue le travestissement, les œuvres antiques deviennent accessibles à tous ceux qui savent lire et les connaissances peuvent s’acquérir sans de longs et pénibles efforts. Le savoir et la sagesse ne sont plus le privilège d’une minorité vieillissante :
Si elles estoient generalement introduites, les moindres femmes & les plus petits enfans l’emporteroient sur l’experience de nos Vieillards. La connessance des choses anciennes, & de tout ce qui s’est fait dans les âges les plus reculez, ne seroit plus l’avantage de ceux qui ont le plus lû les Livres ; & comme les jeunes gens sont ordinairement attirez à la lecture par la curiosité des matieres divertissantes, ils seroient conduits insensiblement à l’acquisition des choses solides qui s’y trouveroient conjointes.81
Le travestissement participe ainsi à une démocratisation du savoir contenu dans les ouvrages antiques, à une entreprise de diffusion élargie des œuvres poétiques anciennes et à une volonté d’inclure les femmes dans la communauté des savants.
24Cette attitude pourrait également procéder d’une tentative érudite assez originale d’ériger les poètes antiques en monuments d’une culture actuelle, voire mondaine, plutôt que de les maintenir en tant que sources d’une culture latine et scolaire, comme l’indique ce rapprochement de textes antiques et modernes :
Par cette invention, il n’y a point de Femme qui ne sçeut son Virgile & son Homere, comme son Cyrus & sa Cassendre ; Point de petit garçon qui ne recitast Florus & Suetone, comme son Francion & son Dom Quichot.82
Il conviendrait alors de revêtir les œuvres antiques d’un nouveau costume divertissant pour en faciliter l’approche à un public habitué à goûter un certain enjouement dans ses divertissements. Le travestissement permet à Virgile et à Homère d’attirer l’attention d’un public adolescent ou féminin, d’entrer en compétition avec des auteurs contemporains à la mode, comme Charles Sorel et Madeleine de Scudéry. Par le traitement plaisant et burlesque, une délectation supplémentaire vient supporter l’intérêt éducatif indéniable inhérent aux œuvres antiques, si bien qu’un delectare propre aux goûts du jour vient prendre en charge le docere antique83.
25Il en arrive donc à formuler une définition du travestissement qui prend en considération cette utilité sur le plan des connaissances :
Si vous prenez le mot de Travestir pour une façon de Traduire ou expliquer un Ouvrage (quelque serieux qu’il puisse estre) avec des termes enjoüez, plaisans & Burlesques mesmes, si l’on veut, pourveu qu’ils ne luy dérobent rien, ny dans le sens, ny dans les choses, ny dans l’Histoire ; il est certain (du moins je le crois) que ce genre d’écrire n’est aucunement blâmable, & qu’au contraire, il seroit à souhaiter que les Anciens Auteurs, principalement les Historiens, tant Grecs que Latins, & les François mesme, fussent tous Travestis de cette sorte.84
Pour Laffemas, travestir ne signifie pas rabaisser un auteur antique pour le rendre ridicule, ni instaurer un décalage disconvenant entre la noblesse conservée des personnages et la bassesse de leurs paroles, mais favorise sa diffusion auprès d’un public français :
C’est pour vous & sous vôtre adveu, Monseigneur, que Virgile se hazarde de devenir François. […] Il y vient habillé comme nous ; de peur que sa mine ou sa façon estrangere ne donne de l’épouvente ou ne fasse rire : & s’il s’est donné la qualité de Goguenard, c’est afin de n’estre ennuyeux à personne.85
Le souci humaniste de diffuser les textes trouve alors son profit dans une manière enjouée de traduire les Anciens, pourvu qu’on ne leur dérobe rien et que les savants reconnaissent l’œuvre comme ils la lisent dans le texte original.
26L’auteur se défend bien alors d’avoir eu l’intention de « faire la barbe à Virgile », d’avoir voulu le rendre ridicule en désacralisant la noblesse de ses vers. Il fait preuve à cet égard d’une vénération tout à fait humaniste vis-à-vis de son modèle, vénération qui ne saurait faire subir le ridicule à Virgile :
Ce seroit un crime irremissible à Paris […] & nous aurions raison de nous écrier avec tous les Suppots du païs Latin, aussi bien qu’avec le Poëte Auzone, Erubescamus qui & Virgilium faciamus impudentem86 & de dire ce qu’il dit en un autre endroit, confessant qu’il estoit tombé dans ces deux fautes, piget Virgiliani Carminis dignitatem tam joculari dehonestasse materiâ87. Certainement il y a de l’effrontement à le rendre Impudent, & l’on se rend Risible, quand on le veut faire passer pour Ridicule.88
Le travestissement devra donc respecter par la même occasion la trame du texte, éviter de modifier le récit et les aventures racontées. Cette reprise nécessite la plus grande fidélité, sans quoi l’imitation ne saurait faire honneur au poète ancien et rebuterait les doctes et les honnêtes gens. Il distingue ainsi le travestissement d’une autre manière de réécrire qui déguiserait le texte à outrance :
Je ne doute point, que si l’on prend le mot de Travestir pour Déguizer, &, à plus forte raison, Déguizer tellement, qu’on ne puisse plus rien reconnestre de ce qu’on pense trouver, & que l’on veut connestre, une Traduction de cette sorte ne soit, impertinente & miserable. […] Il n’y a donc point de doute que le Travestissement, […] ne soit en ce sens odieux aux gens d’esprit, & ne doive estre rebuté de toutes les personnes qui font profession de Politesse.89
La reconnaissance du texte antique, que la fidélité de la réécriture rend possible, assure au travestissement une certaine légitimité face au modèle malgré le traitement stylistique burlesque.
27L’exercice du travestissement doit respecter une série de contraintes sur le plan textuel dès lors que l’auteur prétend diffuser un savoir antique déjà possédé par les savants. Laffemas vise ainsi à l’« utilité publique »90 par une version « presque litterale »91 du douzième livre de l’Énéide :
Maintenant il est à propos que je te die, touchant l’ordre & l’œconomie de cet Ouvrage, que tu peux t’assurer d’y lire Virgile tout pur, non obstant les Digressions, où il n’y a rien moins que le sens de l’Auteur. Car de peur qu’il n’y ait confusion, elles sont distinguées de la Traduction par deux points en cette façon .. au commencement de chaque ligne. De sorte que là où commencent les Digressions, là cesse la Traduction : & où finissent les Digressions & les poincts, là immediatement la Traduction recommence.92
Laffemas a donc travesti l’Énéide le plus fidèlement possible, sauf dans des digressions personnelles sur l’actualité ou des amplifications commentatives sur le récit virgilien. Même si elle ne doit pas « déguiser tellement », la reprise du récit antique s’accompagne d’une part de modifications ponctuelles qui témoignent d’un déplacement de l’action vers un contexte moderne, notamment par des digressions qui abordent certaines réalités de la Fronde93. L’auteur ajoute par ailleurs toute une série de commentaires pour clarifier certains passages de ce douzième livre94. Pour que sa traduction soit « avantageuse à tout le monde », Laffemas va faire subir à l’Énéide toute une série de transformations stylistiques pour en rendre la lecture plaisante, tout en opérant un travail éditorial sur le texte lui-même. Le travestissement remplit le même rôle pédagogique et éducatif que les traductions sérieuses, tout en illustrant la nécessité d’adapter le contenu des œuvres antiques aux goûts et aux mœurs du temps. On observe ainsi une double transformation du texte pour le public mondain et adolescent : d’une part, il rend ces œuvres accessibles par la traduction d’une œuvre latine en français et, d’autre part, il en facilite la réception par le passage d’un récit sérieux à un badinage enjoué qui intègre des commentaires pour en faciliter la compréhension.
28À la fois fidèle et infidèle, sérieuse et plaisante, l’entreprise de Laffemas se situe dans un équilibre précaire : il tente de demeurer respectueux envers l’auteur antique et, par extension, agréable aux savants qui le vénèrent, tout en adaptant l’œuvre antique à un public moderne, autant mondain qu’adolescent. L’auteur envisage ainsi la réception idéale de son travestissement auprès d’un public mêlé qu’il dépeint dans ce sonnet :
Sa Mine n’est point Ridicule,
Son Discours n’a rien d’Impudent :
Chez la Marquise & le Pedant
Il ne craint Busque ny Ferule.
Tous deux le lisent sans scrupule,
Et rien, ny Lascif ny Mordant,
Ne paroît dans tout l’Incident
Du Roy Troyen & du Rutule.
A Paris, en habit François,
Il est, comme à Rome autrefois,
Chery du docte & de l’ignare ;
Et reçoit un accueil égal,
Dans le College de Navarre,
Comme dans le Palais Royal.95
Le travestissement apparaît aux yeux de Laffemas comme la solution la plus enviable pour le texte antique, dans la mesure où il touchera un public élargi sans pour autant diminuer la vénération des doctes et du public scolaire :
J’ay tellement travaillé à faire gouster cette Histoire aux femmes & aux enfans mesmes, qu’elle ne laissera pas peut estre de plaire aux Sçavants de l’un & de l’autre Monde : C’est à dire, tant du païs Latin, que de la Cour. […] C’est pourquoy je conclus, & dis que tant s’en faut que ce soit un peché de traduire, ou Travestir […] le bon-homme Virgile en cette sorte, que j’en estime au contraire la maniere avantageuse à tout le monde.96
Les vers burlesques auront donc un effet positif sur la réception de l’Énéide et sur la diffusion des savoirs antiques dans la société française du XVIIe siècle. Dans ce contexte, la gravure en frontispice ne contiendrait pas seulement une métaphore de la création par la peinture des deux Virgile, mais pourrait bien receler une mise en scène de la réception de l’œuvre dans laquelle on pourrait observer un savant du « païs Latin » et un autre « de la cour ». Laffemas en avant-plan offrirait son travestissement en même temps au pédant et au marquis, multipliant ainsi la portée du texte antique. De la création à la réception, la gravure de Chauveau replace l’œuvre burlesque dans une dynamique de la communication, où l’événement de la publication mondaine prend place dans un contexte érudit favorisé et légitimé par la bibliothèque qui surplombe la scène.
29On peut donc constater toute la pertinence du lien qui unit la bibliothèque fictive avec l’œuvre qu’elle introduit. La bibliothèque éclaire le travestissement de Virgile et le place dans une constellation livresque où sont identifiées ses principales sources comiques et satiriques. On voit par ailleurs la portée du travestissement sur le plan éducatif, non seulement celui de l’éducation du poète, préalable à toute entreprise de parodie, mais également celui de la réflexion qu’il suscite à travers la traduction de Virgile. Une certaine conception critique du travestissement s’en trouve alors modifiée, qui ne peut plus faire abstraction des points de vue d’un auteur comme Laffemas et ne saurait se limiter dans des vues trop étroitement intertextuelles. En regard de la querelle des Anciens et des Modernes, la gravure illustre trois postures possibles et complémentaires. On observe la posture de l’Ancien qui lit encore le latin et le grec, celle du Moderne qui préfère les ouvrages des poètes français et italiens, celle enfin médiane du poète burlesque, à la fois Ancien par la culture humaniste qu’il possède et qu’il se fait un devoir de transmettre à un public néophyte et Moderne par la tournure tout à fait novatrice qu’il donne à une matière dont il se fait le médiateur. Par son goût pour les textes antiques, celui de Virgile, ceux qu’il cite ou ceux de la bibliothèque, Laffemas pourrait cependant s’avérer légèrement plus Ancien que Moderne.
Notes de bas de page
1 [Laurent de Laffemas], A. de Sommaville, 1652. L’achevé d’imprimé est du 20 décembre 1651, mais le privilège avait été donné dès le 13 juin 1650, un an et demi auparavant. Dans un avis préliminaire au lecteur, qui a probablement été écrit pendant l’automne 1651, l’auteur soutient que son livre a été entrepris depuis longtemps, peut-être dès l’automne 1649.
2 Par exemple dans le Virgile travesty en vers burlesques de Paul Scarron (1648- 1659), L’Enéide travestie, livre quatriesme contenant les Amours d’Ænee et de Didon d’Antoine Furetière (1649) et l’Ovide en belle humeur de Charles Dassoucy (1650). Sur cette vogue et l’importance du burlesque au XVIIe siècle, voir Francis Bar, Le Genre burlesque en France au XVIIe siècle. Étude de style, Éd. D’Artrey, 1960 ; Claudine Nédelec, Les États et empires du burlesque, H. Champion, « Lumière classique », 2004 ; Jean Leclerc, L’Antiquité travestie et la vogue du burlesque en France (1643- 1661), Québec, Presses de l’Université Laval, 2008.
3 « Il est permis à Claude Petit-Jehan Advocat en Parlement, de faire imprimer pendant le temps de vingt ans, un Livre intitulé Le Virgile Goguenard », « Extraict du Privilege du Roy », Virgile goguenard, op. cit., non paginé.
4 Il n’y a aucun parlementaire de ce nom dans la Prosopographie des gens du Parlement de Paris (1266-1753), Michel Popoff éd., Références, 1996. De plus, selon les catalogues de la Bibliothèque nationale de France et le Catalogue Collectif de France, il n’existe aucun auteur de ce nom à l’époque.
5 Frédéric Lachèvre, Bibliographie des recueils collectifs de poésies publiés de 1597 à 1700 [1903-1905], Genève, Slatkine Reprints, 4 vol., 1968, t. 2, p. 313-316.
6 Auteur sur lequel on sait peu de choses, mise à part l’épitaphe qu’en a fait Loret en 1655 dans sa Muse historique, citée par Lachèvre :
« Monsieur de Lafemas, l’Abbé,
Sous Atropos a sucombé,
Et cet agréable Génie,
Mardy, nous faussa compagnie,
Etant fort plaint et régreté
De pluzieurs Gens de qualité.
Or comme il chérissoit les Muzes,
La mienne seroit sans excuzes
Si montrant son zèle envers luy,
Elle n’essayoit aujourd’huy
De témoigner, avec sa rime,
Combien je l’avois en estime :
J’ay donc fait le Tombeau suivant
Pour cet homme rare et sçavant,
En stile assez simple et vulgaire ;
Mais certes, je n’ay pû mieux faire.
« Cy gît l’Abbé de Lafemas,
Dont l’âme étoit un noble amas
De mainte qualité jolie
Pour chasser la mélancolie.
Son Père, esprit très excélent,
Luy fit part de son beau talent,
C’est à sçavoir la Poëzie,
Des Dieux, pour langage, choizie ;
Mais hormis l’être corporel,
Et ce riche et grand naturel
Tant pour les Vers, que pour la Proze,
Il n’en eut jamais autre choze. » (Jean Loret, La Muse historique, « Lettre du 16 octobre 1655 », cité par F. Lachèvre, Bibliographie des recueils collectifs, op. cit., t. 2, p. 314).
7 Voir Georges Mongrédien, Le Bourreau du cardinal de Richelieu, Isaac de Laffemas (1584-1657), Éd. Bossard, 1929.
8 Selon Frédéric Lachèvre, il avait publié quatre libelles pendant le blocus de Paris en 1649 : La Dernière soupe à l’oignon pour Mazarin ou La Confirmation de l’arrêt du huitième Janvier 1649, en vers burlesques ; Lettre à Monsieur le Cardinal, burlesque ; Le Terme de Pâques sans trébuchet, en vers burlesques, suivant l’arrêt du 14 Avril 1649 ; Le Procès burlesque entre Monsieur le Prince et Madame la Duchesse d’Aiguillon, avec les plaidoiries, par le S. D. S. M. Voir F. Lachèvre, Bibliographie des recueils collectifs de poésies, op. cit., t. 2, p. 314.
9 [Laurent de Laffemas], L’Enfer burlesque, ou Le sixiesme de l’Eneide travestie, et dédiée à Mademoiselle de Chevreuse. Le tout accommodé à l’histoire du temps, Paris, Jouxte la Copie imprimée à Anvers, [s. n.], 1649. Victor Fournel affirme, au sujet de L’Enfer burlesque : « Suivant Marolles, l’auteur était un jeune abbé, fils d’un magistrat ». Voir La Littérature indépendante et les écrivains oubliés : essai de critique et d’érudition sur le XVIIe siècle [1862], Genève, Slatkine Reprints, 1968, p. 288.
10 Sur cette question, voir Hubert Carrier, La Presse de la Fronde (1648-1653) : les Mazarinades II. Les hommes du livre, Genève, Librairie Droz, 1991, particulièrement le chap. V : « Les entraves à la circulation des Mazarinades », p. 297-394.
11 Sur cette question, voir Claudine Nédelec, « Dassoucy et ses “figures burlesques” », Dominique Bertrand éd., Avez-vous lu Dassoucy ?, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2005, p. 93-125.
12 Dont on peut reconnaître l’incipit : « Turnus ut infractos […] » (Turnus, voyant que les Latins, dont les revers ont brisé les efforts […]), Virgile, Énéide, Henri Goelzer et André Bellessort éds, Les Belles Lettres, « Collection des Universités de France », 1938, t. 2, p. 194.
13 Virgilius Publius Maro a vécu en Italie de 71 à 19 av. J.-C., il est l’auteur de l’Énéide, des Bucoliques et des Géorgiques ; un Appendix vergiliana lui attribue certains poèmes de jeunesse, dont le Culex ad Octavium.
14 Traduite littéralement, cette phrase signifie : « chacun des deux, tous deux ensemble, tous deux ni l’un ni l’autre ».
15 Ovidius Naso a vécu de 43 av. J.-C. à 17 ap. J.-C. ; il est l’auteur des Métamorphoses, des Tristes, des Fastes, des Héroïdes, des Amours et d’un Art d’aimer.
16 Petronius Arbiter, mort en 59 de notre ère, auteur du Satiricon.
17 Paul Scarron (1610-1660), auteur également du Roman comique.
18 Laffemas affirme en effet : « nostre amy l’Abbé Scaron a le premier de tous mis la main avec tant de succez » à « l’utilité publique » du travestissement (« Préface », Virgile goguenard, op. cit., [p. XXIV]).
19 Vincent Voiture (1597-1648), auteur de Lettres et de Poésies publiées après sa mort par son neveu Martin de Pinchêne. Sur cet auteur, voir surtout Alain Génetiot, Poétique du loisir mondain, de Voiture à La Fontaine, H. Champion, « Lumière Classique », 1997. Voir aussi dans ce même volume l’article de Cécile Tardy.
20 Mathurin Régnier (1573-1613), auteur de Satires.
21 Sur cet aspect de la querelle du purisme, voir Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française des origines à nos jours. Tome III. La formation de la langue classique 1600- 1660, Librairie A. Colin, 1966, vol. 1, p. 10.
22 Clément Marot (1496-1544), auteur d’épîtres « du coq-à-l’âne » et d’un Jugement de Pâris, mais aussi d’une Paraphrase des Psaumes.
23 Mellin de Saint-Gelais (1491-1558), auteur de poésies italianisantes, introducteur du sonnet en France.
24 François Villon (1431-1463), auteur d’un Testament, de ballades et de rondeaux.
25 Gerolamo Folengo (1491-1544), auteur des Macaronées.
26 Voir notamment Pietro Toldo, Ce que Scarron doit aux auteurs burlesques d’Italie, Pavie, Fusio, 1893, et Silvia Longhi, Lusus. Il capitolo burlesco nel cinquecento, Padoue, Antenore, 1983.
27 Pour une étude portant sur ces banquets, voir Dominique Bertrand, « Invention burlesque et commentaire : Le “Banquet des Dieux” de Sorel ou la poétique de Janus », Poétiques du burlesque, Dominique Bertrand éd., H. Champion, « Champion-Varia », n° 27, 1998, p. 243-256.
28 Voir Giovan Batista Lalli, « L’Aurore al Lettore », Eneide Travestita [1633], Rome, A. Gisei, 1651, n. p. Gabriel Naudé, qui paraphrase Niccolo Villani (Ragionamento […] sopra la poesia giocosa […], Venise, G. P. Pinelli, 1634), traduit cette expression par « vers Burlesques » dans son Jugement de tout ce qui a esté imprimé contre le Cardinal Mazarin […], dit le Mascurat (s.l.n.d., p. 216).
29 Voir G. Naudé, Mascurat, op. cit., p. 212-218.
30 Aristophane (450-386 av. J.-C.), auteur grec de comédies satiriques, souvent burlesques, et s’en prenant parfois à des questions philosophiques (Les Nuées, Les Grenouilles).
31 Plaute (254-184 av. J.-C.), auteur latin de comédies.
32 Térence (190-159 av. J.-C.), auteur latin de comédies.
33 Decius Laberius (106-43 av. J.-C.), auteur latin de mimes et de farces.
34 Lucilius (mort en 103 av. J.-C.), prolifique auteur latin de satires.
35 Aulus Flaccus Perse (34-62 de notre ère), auteur latin de satires et de fables.
36 Lucien de Samosate (125-192 de notre ère), auteur grec de dialogues et de fictions satiriques et burlesques (Le Dialogue des dieux, Les Sectes à l’encan).
37 La présence de Pindare (poète grec, 518-438 av. J.-C., auteur d’odes encomiastiques) s’explique mal, sinon parce qu’il a été la cible des Modernes pour son style réputé obscur et ampoulé.
38 Ésope (VIe av. J.-C.), auteur grec de fables, à moins qu’il ne s’agisse de cet autre Æsope, contemporain de Cicéron et joueur de farces.
39 Théocrite (315-250 av. J.-C.), poète grec auteur de mimes et de pastorales.
40 Catulle (87-54 av. J.-C.), poète latin.
41 Homère (IXe siècle av. J.-C.), auteur grec d’épopées (L’Iliade, L’Odyssée).
42 Ennius (239-169 av. J.-C.), auteur latin des Annales, de satires et de comédies.
43 La Batrachomyomachie (épopée burlesque) a été attribuée à Homère pendant tout le XVIIe siècle. Voir Noémi Hepp, Homère en France au XVIIe siècle, Klincksieck, 1968, p. 4 et 35.
44 Hésiode (VIIIe ou VIIe siècle av. J.-C.), auteur grec de La Théogonie et de Les Travaux et les jours.
45 Hermès Trismégiste, philosophe hermétique du IIe ou du IIIe siècle av. J.-C.
46 Lucrèce (98-55 av. J.-C.), poète latin, a mis la philosophie d’Épicure en vers dans le De Natura rerum.
47 Plutarque (46-125 de notre ère), auteur grec des Vies parallèles des hommes illustres et de nombreux traités.
48 Même si le père Vavasseur défendra ces auteurs antiques d’avoir jamais écrit en burlesque dans le De ludicra dictione (1658).
49 La rareté et la variété des ouvrages de la bibliothèque infirme l’hypothèse d’une bibliothèque réellement possédée par Laffemas et dessinée d’après nature par Chauveau. Sur les bibliothèques au XVIIe siècle, voir Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle [1969], Genève, Droz, « Titre Courant », n° 14, 2 vol., 1999, et du même, Le Livre français sous l’Ancien Régime, Promodis, Éd. du Cercle de la Librairie, « Histoire du livre », 1987.
50 Juvénal fait apparaître l’innocuité des aventures d’Énée aux prises avec Turnus :
Securus, licet, Æneam, Rutulumque ferocem
Committas : nulli gravis est percussus Achilles ;
Aut multùm quæsitus Hylas urnámq[ue] secutus.
[Tu peux, en toute sécurité, mettre aux prises Énée et le fier Rutule ; la mort d’Achille, voilà un sujet qui ne fait de mal à personne, non plus qu’Hylas, si longtemps cherché et qui avait pris le même chemin que son urne], Juvénal, Satires, Pierre de Labriolle et François Villeneuve trad., Les Belles Lettres, « Collection des Universités de France », 1994, « Satire I », p. 12. Quoi qu’il en soit, les parallèles entre le siège de la ville de Laurente et celui de Paris pendant la Fronde sont si flagrants dans le texte qu’ils incitent à lire ce duel d’Énée contre Turnus comme un combat entre les Frondeurs et les partisans de Mazarin. L’exergue constituerait un autre leurre pour tromper la censure et les poursuites du lieutenant civil, au même titre que la fausse attribution du privilège.
51 Si Laffemas est aussi l’auteur de l’Enfer burlesque dédié à Mlle de Chevreuse, la différence entre les deux ouvrages est marquante et fait preuve d’un tout autre contexte de publication. Il est vrai que la dédicace de l’œuvre à une jeune femme incitait l’auteur à emprunter un ton plus galant qu’érudit. « Madamoiselle, depuis vostre retour, que nous estimons un des plus doux & considerables fruicts de nostre Paix, le desir que j’ay de vous dedier le premier quelque Livre, m’a fait precipiter cét Ouvrage, qui n’a pas moins besoin de vostre cœur pour le defendre, que de vostre bonté pour le recevoir » (« À Madamoiselle de Chevreuse », L’Enfer burlesque, op. cit. [p. I-II]).
52 Pour comparer, le premier livre du Virgile travesty compte onze pages de l’édition moderne, tandis que le Jugement de Pâris de Dassoucy en contient vingt-quatre de l’édition originale. Voir Paul Scarron, Le Virgile travesti, Jean Serroy éd., Paris, Garnier, « Classiques Garnier », 1988, et Charles Dassoucy, Le Jugement de Pâris en vers burlesques, Paris, Toussaint Quinet, 1648.
53 L. de Laffemas, « Épître », Virgile goguenard, op. cit., [p. XIV].
54 « Préface », ibid., [p. XXVI] et « Argument », [p. XXXIV].
55 « Préface », ibid., [p. XXV].
56 « Épître », ibid., [p. XIV].
57 « Préface », ibid., [p. XXIII].
58 Ibid., [p. XXIV].
59 Ibid., [p. XVIII].
60 La mention du terme « fat » permet de conclure au contexte mondain de cet échange : « Et au lieu d’en craindre la reprimande de Messieurs les Universaux, dont me menaçoit le Fat de tantost, j’espere recevoir Compliment là dessus, d’une demy-douzaine pour le moins des plus haults huppez, soit entre les Grammairiens, soit parmy les Humanistes » (ibid., [p. XXVI]).
61 Une note marginale indique l’incipit de sa seconde églogue : « Formosum pastor Corydon ». Voir Virgile, Bucoliques, Eugène de Saint-Denis et Jean-Pierre Néraudau éds, Les Belles Lettres, « Classiques en poche », 2002, p. 14-21.
62 L. de Laffemas, « Épître », Virgile goguenard, op. cit., [p. VII].
63 Tout comme La Batrachomyomachie est attribuée à Homère au XVIIe siècle, les pièces de l’Appendix vergiliana sont considérées avoir été écrites par Virgile à l’époque, même si les critiques plus contemporains remettent en doute cette attribution dont l’« authenticité […] est hautement contestable ». Voir Jean-Paul Brisson, Virgile, son temps et le nôtre, F. Maspero, 1966, p. 385. André Bellessort ne mentionne simplement pas ce recueil dans son Virgile, sa vie, son œuvre, Librairie Perrin, 1949.
64 Nous nous amusons, Octave, […] nous nous amusons […]. (Les tirets indiquent les coupures effectuées). Cité par L. de Laffemas, « Épître », Virgile goguenard, op. cit., [p. VII].
65 « Nôtre Virgile […] vous aborde seulement avec un esprit Goguenard & enjoüé, & dans la mesme humeur qu’il estoit quand il donna ses sçavantes Bagatelles à Octave Auguste », ibid., [p. VI].
66 Ibid., [p. XV]. Il avait également affirmé, quelques pages plus tôt : « Vous estes sçavant sans parestre ny rigide, ny severe ; […] Vous sçavez accorder les choses utiles avec celles qui sont purement delectables. Vous conciliez les serieux entretiens du Cabinet, avec l’Agreable conversation des Ruëlles, & faites toûjours rencontrer la raison avec les fleurettes & parmy la belle raillerie », ibid., [p. XIII].
67 « Le succès non plus n’enfle point ton cœur d’un vain orgueil : que dis-je ? la fierté même, vice ordinaire de la prospérité, cette compagne disgracieuse de la vertu, n’eut jamais d’accès chez toi : partout on peut t’aborder, partout on peut se faire entendre de toi ; point de discours qui soient épiés au milieu des épanchements du vin ; mais, libre dans ses propos, chacun mêle sans nulle crainte le sérieux à la plaisanterie. […] Au savant tu parles de l’antiquité ; au vieillard, des leçons de l’expérience ; au guerrier, de bravoure militaire ; et tes discours, mêlés d’un aimable badinage, ont de tant de charmes […]. » (Claudien, « Éloge de Stilicon », Œuvres complètes, H. de Guerle, A. Trognon et Y. Germain trad., Clermont-Ferrand, Paleo, « Sources de l’histoire antique », 2003, p. 189-235, p. 209). Cité par L. de Laffemas, ibid., [p. XIV]. L’auteur souligne.
68 L. de Lafemas, ibid., [p. XIV-XV].
69 Ibid., [p. XVI].
70 « Dans les lettres comme dans la vie, j’estime excellent et très conforme à la nature de mélanger l’austérité et l’amusement, pour que la première ne dégénère pas en maussaderie, le second en légèreté. C’est ce principe qui me conduit à faire alterner des œuvres sérieuses avec des plaisanteries et des badinages », Pline le Jeune, Lettres, Anne-Marie Guillemin éd., Les Belles Lettres, « Collection des Universités de France », 1959, Livre 8, Épître 21 « À Arrianus », t. III, p. 83.
71 L. de Laffemas, « Épître », Virgile goguenard, op. cit., [p. VII-VIII].
72 « Cette méthode même n’apparaît point comme absurde. Quand les médecins veulent donner aux enfants la répugnante absinthe, ils parent auparavant les bords de la coupe d’une couche de miel blond et sucré : de la sorte, cet âge imprévoyant, les lèvres séduites par la douceur, avale en même temps l’amère infusion et, dupe mais non victime, en retrouve au contraire force et santé. Ainsi fais-je aujourd’hui […]. », Lucrèce, De la nature, Alfred Ernout trad., Les Belles Lettres, « Collection des Universités de France », 1964, t. 2, liv. IV, p. 6, cité par L. de Laffemas, « Préface », ibid., [p. XXV].
73 Voir le commentaire sur la citation de Lucrèce : « Cela veut dire, qu’il est souvent à propos de dorer la pilule. Ce bon-homme, tout Philosphe qu’il est, dit qu’il faut corriger l’amertume des choses qui doivent profiter, par une douceur qui attire & qui plaist. Il traite une matiere difficile & ennuyeuse, en vers qu’il appelle Agreable & doux, suavi loquenti carmine, & fait voir qu’il seroit impossible de comprendre la doctrine qu’il entreprend d’établir, sans la rendre intelligible par la douceur d’une expression agreable & familiere. » (ibid., [p. XXV-XXVI]).
74 « Il est certain que les hommes, pour la pluspart, sont naturellement ennemis de la peine, & nous sommes bien souvent rebuttez de la possession des bonnes choses, par les difficultez qui les environnent, & par les obstacles qui se rencontrent au passage. Il n’y a que l’apparence d’un Bien Delectable qui nous attire », ibid., [p. XXII].
75 On peut lire, dans la marge : « Cum excogitasset Deus, duorum sexuum rationem, attribuit eis se ut invicem appeterent & conjunctione gauderent. Itaque ardentissimam cupiditatem concturum animantium corporibus admiscuit, ut in hos affectus avidissime ruerent, eàque ratione, propagari & multiplicari genera possent. », ibid., [p. XXIII]. Selon l’édition de Christiane Ingremeau : « Cum excogitasset deus duorum sexuum rationem ; adtribuit his, ut se inuicem adpeterent & coniunctione gauderent. Itaque ardentissimam cupiditatem cunctarum animantium corporibus admiscuit, ut in hos adfectus auidissime ruerent eaque ratione propagari & multiplicari genera possent. / Dieu, ayant conçu le principe des deux sexes, leur a donné de se rechercher mutuellement et de prendre plaisir à s’unir. C’est pourquoi il a mis dans tous les êtres vivants un désir physique aussi ardent, afin qu’ils cèdent impétueusement à ces impulsions, et que, par ce moyen, les espèces puissent se multiplier et se propager ». Lactance, Institutions divines, Christiane Ingremeau éd., Éd. du Cerf, 2007, Livre VI, chap. 23-2, p. 338-339.
76 L. de Laffemas, « Préface », Virgile goguenard, op. cit., [p. XXIII].
77 « Épître », ibid., [p. XVI].
78 « Préface », ibid., [p. XXI].
79 Outre les passages déjà cités de Lactance, on peut évoquer ce passage de la préface : « Il est certain que les hommes, pour la pluspart, sont naturellement ennemis de la peine, & nous sommes bien souvent rebuttez de la possession des bonnes choses, par les difficultez qui les environnent, & par les obstacles qui se rencontrent au passage. Il n’y a que l’apparence d’un Bien Delectable qui nous attire », ibid., [p. XXII]. Au sujet de la philosophie épicurienne dans la littérature du XVIIe siècle, on peut se référer à l’ouvrage de Jean-Charles Darmon, Philosophie épicurienne et littérature au XVIIe siècle en France, Puf, « Perspectives littéraires », 1998.
80 L. de Laffemas, « Préface », Virgile goguenard, op. cit., [p. XXIV].
81 Ibid., [p. XX]. Il poursuit : « Le soin des affaires dont l’Adolescence (qui est donnée aux plaisirs & à la joye) les dispense, ne les empeschant point de donner tout leur temps à leur divertissement, ils deviendroient en peu de jours aussi Sçavans que leurs Maistres, dont la science ne paroist bien souvent qu’avec les cheveux gris, & la barbe blanche. »
82 Ibid., [p. XX].
83 « C’est ce que j’aurois bien voulu faire en ce Poëme à qui j’ay donné le Stile un peu Goguenard, aussi bien que le Tiltre, afin qu’il pust divertir & profiter tout ensemble », ibid., [p. XXV].
84 Ibid., [p. XX].
85 « Épître », ibid., [p. IV].
86 « ut bis erubescamus, qui et Vergilium faciamus impudentem. » (ainsi j’aurai deux fois à rougir, puisque j’aurai fait de Virgile lui-même un impudent), Ausone, « Digression », Centon nuptial, Œuvres en vers et en prose, Max Jasinski trad., Garnier frères, 1932, t. 1, p. 272-273. L’auteur souligne.
87 « Piget enim vergiliani carminis dignitatem tam joculari dehonestasse materia. » (J’ai honte en effet d’avoir ravalé la noblesse de la poésie virgilienne à un emploi si bouffon), Ausone, « Ausone à Paulus, Salut », Centon nuptial, ibid., p. 256-257. L’auteur souligne.
88 L. de Laffemas, « Épître », Virgile goguenard, op. cit., [p. V]. Il affirme également : « Ce n’est point faire tort à la memoire de Virgile, que de le rendre Agreable & Divertissant, pourveu qu’on ne le rende ny Impudent, ny Ridicule. Car en ce cas, j’avouë que ce seroit des-honorer les belles Lettres, & offenser les Sçavants au premier chef. », ibid., [p. IV].
89 « Préface », ibid., [p. XVIII-XIX].
90 Ibid., [p. XXIV].
91 Ibid., [p. XXVI].
92 Ibid., [p. XXVIII-XXIX].
93 Comme dans l’exemple suivant, qui trace un parallèle entre les Italiens de la ville de Laurente et les Parisiens assiégés par les armées de Condé pendant le Blocus :
« Ce qui leur donna peur extreme [aux Italiens],
& qui les fit trembler jusqu’aux os ;
.. Autant que nos pauvres Bados :
.. Lors que n’ayans plus rien à frire,
.. Les bonnes gens leur vinrent dire,
.. Que Saint-Germain, de Conseil pris,
.. S’en venoit devorer Paris » (ibid., p. 90).
94 Il suffit de citer ces deux exemples, le premier se retrouve en marge du texte et le second est inséré à la narration, entre crochets : « Turne pour répondre aux reproches de Drance dont il estoit outré, avoit promis en plein Senat de se battre seul contre Enée. Lisez Virg. L. 11 vers le milieu » (ibid., p. 2) et, plus loin :
« Là fût un Olivier sauvage,
[Soit doux, soit amer de feüillage,
Ces termes semblent superflus
Et ne nous importent pas plus,
Que s’il eust esté vert ou jaune] » (ibid., p. 152-153).
95 « Épître », ibid., [p. V].
96 « Préface », ibid., [p. XXVI].
Auteur
Docteur ès lettres, professeur adjoint, Université de Western Ontario (Canada).
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