Les limites du renouveau de l’ordre civil
p. 333-334
Texte intégral
1A la différence de la plupart des Jacobins de l’an II, Merlin n’envisagea jamais une véritable subversion de l’ordre civil. Certes, il contribua au renouveau du droit et à la transformation de la société ; le droit civil intermédiaire libérait et défendait la propriété, il instituait l’égalité civile, tandis que le nouveau Code pénal recevait la tâche de protéger les individus et les institutions politiques. Cependant, des pans entiers de l’ancien droit demeuraient : ainsi, le droit civil empruntait beaucoup aux juristes modernes, tandis que le rôle de la justice pénale restait essentiellement répressif. En fait, en lecteur attentif de Montesquieu, Merlin, comme nombre de ses amis politiques, fréquemment juristes de formation, ne devait guère croire en la possible utilisation du droit pour bâtir une société entièrement nouvelle, et moins encore pour engendrer un homme totalement nouveau.
2Dans ces conditions, l’on ne s’étonnera pas que Merlin, pourtant séduit et considérablement influencé par le jusnaturalisme rationaliste, n’ait jamais totalement renié l’héritage de la France Moderne, comme sa collaboration à la codification du droit civil nous l’a nettement démontré. L’on peut même affirmer que ce fut dans cette France d’Ancien Régime qu’il puisa nombre des principes qui le guidèrent dans ses réformes : la transformation de la justice pénale put ainsi apparaître comme la victoire de Voltaire, la libération de la propriété comme celle de Boncerf, l’unification du droit civil comme celle de Pothier et de Bourjon. Cependant, les innovations des assemblées révolutionnaires ne doivent pas être sous-estimées et l’épisode jacobin ne peut être omis ; ainsi, les réformes auxquelles Merlin collabora revêtirent un indiscutable caractère politique issu des principes d’unité et de souveraineté de la nation : la justice criminelle était celle du nouveau souverain, qui l’exerçait par l’intermédiaire du jury ; l’élaboration d’une propriété libre, subjective et exclusive se doublait d’une volonté d’utiliser la suppression de la féodalité et la vente des biens nationaux pour attacher le peuple à la Révolution ; l’unité nationale avait imposé une codification du droit respectueuse des principes du jusnaturalisme et des exigences de la raison. Malgré ces enjeux politiques, omniprésents dans la décennie révolutionnaire, il semble évident que l’inspiration du législateur, malgré un discours évoquant sans cesse une rupture totale et définitive avec l’Ancien Régime, se nourrit en grande partie des expériences et des projets du XVIIIe siècle.
3Dans cette régénération juridique et sociale, l’Empire, même s’il marque incontestablement un reflux, a pu apparaître comme la dernière étape d’un long processus qui aboutit notamment à la codification tant attendue. Il semblait que l’on revenait alors à la société dont Merlin avait brossé le tableau dans son Recueil de jurisprudence, en février 1790, lorsqu’il avait présenté les citoyens égaux devant la loi, tout en défendant l’organisation d’une noblesse utile qui récompenserait les talents ; il est vrai aussi que la dimension politique des transformations du droit s’était en grande partie dissipée, en même temps que la lutte révolutionnaire, avec d’autant plus de facilité que l’unité et la souveraineté nationales étaient officiellement préservées : au Conseil d’Etat, Merlin ne s’opposa ainsi ni au rétablissement des peines perpétuelles, ni à la remise en cause du jury. Au-delà de ces renoncements, en grande partie liés au contexte politique, Merlin de Douai peut cependant apparaître comme un homme profondément attaché à la liberté privée, à la propriété et à la loi. Dans l’ordre civil, comme dans l’ordre politique, le fil directeur de sa longue et surprenante carrière fut ainsi la volonté de préserver avant tout deux valeurs considérées comme garantes de la paix sociale et déjà isolées à l’issue de la partie précédente : l’ordre et la liberté.
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