L’ordre et la liberté
La rivalité de deux exigences politiques
p. 233-234
Texte intégral
1Issu des théories des jusnaturalistes, des écrits des philosophes des Lumières et du bouillonnement intellectuel qui accompagna la crise de Quatre-vingt-neuf, le langage politique de l’époque constituante trouva rapidement ses limites chez certains patriotes. Ainsi, Merlin de Douai prétendit toujours défendre la liberté, sous toutes ses formes, l’unité de la nation, la souveraineté nationale et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; derrière le discours transparaissaient pourtant les limites de ses engagements. Comme nombre de ses amis politiques, il ne pouvait accepter toutes les implications des principes défendus : député, il se présentait simultanément comme le représentant de la nation et le défenseur des intérêts particuliers de son département ou de sa commune ; il prétendait croire aux lumières du peuple mais refusait la démocratie ; il proclamait le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes sans renoncer à d’éventuelles annexions. Chez Merlin de Douai, la plupart de ces contradictions apparaissent à l’occasion des crises que surmonta l’Assemblée constituante : sa définition du mandat de député s’est construite lors de l’offensive provincialiste de l’hiver 1789-1790 ; sa conception des nouveaux rapports internationaux est en grande partie le fruit des affaires d’Avignon et des princes possessionnés d’Alsace. Pourtant, la plupart de ces choix ne prirent leur forme définitive qu’en l’an III ; 1795 apparaît ainsi comme une période de création où l’héritage constituant, qui n’était déjà plus un strict respect des principes d’août 1789, sans être renié, était profondément révisé à la lumière d’une expérience politique désormais rejetée.
2En l’espace de quelques années, Merlin, Reubell, Cambacérès et bien d’autres, avaient contribué à construire, au hasard des expériences, un modèle politique à la fois attaché à l’ordre et à la liberté. Chez Merlin de Douai, le choix de l’Etat de droit était une aspiration ancienne, nourrie par le rejet de l’arbitraire absolutiste ; le souhait de l’autoritarisme, peut-être toujours présent chez lui, avait été renforcé par la peur du peuple et de la contre-révolution ; quant à la soumission de l’Eglise au gouvernement, voire la laïcisation de l’Etat, elles étaient issues d’un rejet de l’Eglise de la sphère publique. Les désordres révolutionnaires donnaient au projet politique de Merlin l’essentiel de son aspect autoritaire et conservateur. Pour le jurisconsulte, la Révolution avait confirmé que la liberté ne pouvait s’envisager sans l’ordre. A notre avis, ces notions d’ordre et de liberté, qui seraient un jour les valeurs des Orléanistes de la résistance et d’anciens révolutionnaires comme Jullien de Paris1, contribuent à expliquer l’adhésion de Merlin à l’Empire. En effet, Bonaparte mit fin à la Révolution : il rétablit l’ordre, protégea les propriétés, contint le peuple, maintint l’Eglise dans une sujétion politique, assura la gloire de la Grande Nation et préserva, en apparence tout au moins, les nouveaux principes politiques, au premier rang desquels était la souveraineté nationale. Merlin de Douai, comme son ami Treilhard, qui avait affirmé que la Constitution de l’an XII « assurait la liberté civile, la liberté de la presse, celle de cultes et garantissait l’égalité »2, pensait que l’Empire préservait l’essentiel des conquêtes révolutionnaires. Son ralliement apparaît également comme une fidélité à un Etat fort, garant de l’ordre public et de la prospérité nationale. Par la suite, il ne renia jamais totalement l’Empire et Baudot put dénoncer ses « complaisances » pour les bonapartistes3.
3Cette analyse ne suffît cependant pas à expliquer l’adhésion de Merlin et de nombre d’anciens révolutionnaires aux valeurs du régime impérial, et notamment leur acceptation d’un rétablissement de la noblesse. Si cette étape de la vie du jurisconsulte a un sens et ne s’explique pas uniquement par l’opportunisme, les raisons de son attachement à ce nouveau modèle de société sont probablement à chercher dans sa pensée juridique et sociale.
Notes de bas de page
1 Palmer Robert R., Front Jacobin to Liberal. Marc-Antoine Jullien, 1775-1848, Princeton (New-Jersey), Princeton University Press, 1993, p. 146.
2 Discours de Treilhard devant le Tribunat le 28 floréal an ΧII (18 mai 1804). Cité dans Suratteau Jean-René, « Treilhard », dans Soboul Albert, s.dir., Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, P.U.F., 1989, p. 1046.
3 Baudot Marc-Antoine, op. cit., p. 276.
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