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Le Songe d’Enfer de Raoul de Houdenc : l’allégorie au service d’une édification divertissante

p. 15-37


Texte intégral

1 Le Songe d’Enfer a été écrit, selon les critiques, soit en 1215, soit en 1225 par Raoul de Houdenc dont l’identification est incertaine1 ; certains voient en lui un clerc, d’autres un ménestrel, d’autres encore le neveu de Pierre le Chantre et dans ce cas il appartiendrait à la petite noblesse2. Le Songe d’Enfer comprend 678 octosyllabes et est conservé dans dix manuscrits ; ce titre n’apparaît que dans deux d’entre eux3, les autres donnent Voie d’Enfer.

2Ce texte qui adopte la forme allégorique relève des récits de voyage dans l’Au-delà et nous verrons dans une première partie ce qui le caractérise en tant que tel. Toutefois son écriture se démarque des conventions propres à ces types de narration et l’étude de ce qui fait son originalité fera l’objet d’une deuxième partie. Puis nous interrogerons sur les visées de ce récit qui constitue un contre modèle ludique et ironique aux genres dont il se réclame.

Le Songe d’enfer, voie d’Au-delà et récit allégorique

3Les récits de voyage dans l’Au-delà répondent à une interrogation fondamentale de l’homme médiéval : quel sera le sort de l’âme après la mort ? Cette question est liée à la notion de salut qui est au cœur du christianisme et à celle du jugement, dernier ou particulier. La conscience d’une séparation essentielle entre ce monde et l’Au-delà fait que le chrétien tend à vouloir la combler. Le voyage vers l’autre monde induit plusieurs types de parcours : métaphysique, moral ou pénitentiel et les textes que nous avons conservés s’inscrivent dans des traditions antérieures au Moyen Âge. Dans la période qui nous intéresse, ces récits se veulent des témoignages directs et donc véridiques sur les réalités de l’Au-delà ; le mode de transfert est le plus souvent raconté de manière précise, qu’il s’agisse d’une mort apparente, d’une vision ou d’une extase. À l’origine de ces voyages, il y a soit la volonté de Dieu qui désire que le voyageur témoigne ou qui veut l’avertir de ce qui l’attend s’il s’agit d’un pécheur, soit celle du voyageur. Le plus souvent celui qui se rend dans l’Au-delà est accompagné d’un guide qui lui donne des explications et répond à ses questions. Ces récits mettent en place une géographie de l’Au-delà et le voyageur appréhende physiquement les lieux de l’Autre-monde4.

4Le « genre » évolue du IIIe siècle au XIIIe ; le haut Moyen Âge reprend, en latin, les traditions apocalyptique et visionnaire et celle de l’immram5 ainsi que le modèle antique de la catabase6. Ces textes sont traduits en ancien français7 dès le XIIe siècle et les versions vernaculaires apportent des modifications importantes : les voyageurs sont des laïcs et ils sont généralement mis à l’épreuve8. Mais le changement radical intervient au XIIIe siècle par l’adoption de la forme allégorique.

5L’allégorie que l’on peut dans un premier temps définir à grands traits comme un procédé qui consiste à donner à une idée ou à une abstraction une expression concrète, narrative, descriptive ou picturale relève au Moyen Âge d’une double tradition, rhétorique9 et exégétique10. Pour les uns, elle est un ornement du discours relevant de la métaphore, pour les autres, elle est un mode de lecture qui consiste à chercher derrière le sens premier un sens second, voire des sens plus profonds que l’ancien français désigne par le mot senefiance11. Elle est alors un mode de déchiffrement du monde qui permet de trouver « la »/ une vérité12, toujours recouverte d’un voile, l’integumentum. Il n’est pas question de refaire ici l’histoire de l’allégorie13, mais pour éclairer la suite de cet exposé, je rappellerai encore l’importance du rôle joué par Boèce qui, au VIe siècle, dans la Consolatio Philosophiae raconte la rencontre et le dialogue entre l’auteur et une entité abstraite personnifiée, procédé que nous allons retrouver dans le Songe d’Enfer.

6Avec l’allégorie apparaît le songe :

En songes doit fables avoir,
Se songes puet devenir voir :
Dont sai-ge bien que il m’avint
Qu’en sonjant un songe, me vint
Talent que pélerins seroie.14

7Or c’est le Songe d’Enfer qui inaugure ce modèle. Cette utilisation du songe est à distinguer du rêve ou des visions qui permettent, dans les récits antérieurs, d’accéder physiquement à l’Au-delà ; cette communication directe laisse place à une représentation de l’esprit et le cadre du songe marque une frontière radicale entre l’autre monde et l’ici-bas. Le récit s’achève avec le réveil du voyageur :

Congié prend Raouls, si s’esveille
Et cist contes faut si à point,
Qu’après ce n’en diroie point,
Por aventure qui aviegne,
Devant que de songier reviegne
Raouls de Houdaing, sans mençonge,
Qui cest fablel fist de son songe ;
Ci fine li Songes d’Enfer :
Diex m’en gart esté et yver !15

Ainsi alors que les dormeurs gratifiés d’une vision la racontaient à leur réveil, Raoul affirme que son réveil signifie la fin du conte qu’il nomme « fablel » ; de fait, le songe comme cadre du récit donne ces textes pour fictionnels et si, au moment du réveil, Raoul de Houdenc emploie la troisième personne pour se nommer, le récit est fait à la première personne, son emploi coïncidant avec la forme allégorique et le songe-cadre16.

8Le mot « songe » qui apparaît au vers 679 comme désignation du récit est habituellement en concurrence avec « voie » qui a d’abord un sens concret en ancien français, mais qui dès le XIIe siècle peut, dans des locutions verbales, par métonymie désigner l’action de se déplacer et par métaphore une conduite à tenir. Ce terme lorsqu’il est utilisé pour désigner des voyages dans l’Au-delà se charge d’une double valeur, concrète et figurée et donne ces textes pour allégoriques. De plus, le voyageur est souvent, comme dans le Songe d’Enfer, assimilé à un pèlerin ; or cette métamorphose : « pèlerin seroit », qui met en place une analogie entre la vie humaine et un pèlerinage qui conduit l’homme vers Dieu, fonde le caractère allégorique du récit.

9Ainsi le Songe d’Enfer se donne pour un récit allégorique. De fait, le voyageur va pour se rendre en Enfer passer par différentes cités où, au cours de ses escales, il va rencontrer des personnages qui sont des vices. La première ville est : « […] Convoitise la Cité / En terre de Desléauté / [Est] la cité que je vos di »17 ; la deuxième est Foi-mentie ; la troisième Vile-Taverne ; la dernière Chastiau-Bordel. Ensuite pour trouver le chemin le plus direct pour aller en Enfer, le voyageur doit passer par Cruauté, Coupe-Gorge, Murtreville et nous apprenons que Mort-Soubite jouxte l’Enfer ; Raoul de Houdenc rappelle ainsi la crainte que tout chrétien concevait à l’idée d’une mort brutale, sans confession ni pénitence possible. De plus, il joue sur les sens du verbe « trespasser » : lui « dépasse » Montjoie [d’Enfer] et Mort-Soubite pour arriver directement en Enfer quand le lecteur pense à la mort suggérée par le nom du lieu. L’utilisation de notions abstraites comme noms propres renvoie au sens caché de leur signification : toutes les étapes du voyageur sont des vices et dans ces lieux, il va rencontrer des personnages qui sont autant de personnifications d’autres vices qui relèvent aussi de l’allégorie grâce à l’amplification que représentent leur portrait et/ou leur prise de parole, ou encore la description du lieu où elles habitent. À Convoitise, le voyageur est hébergé chez Envie qui est « la Dame de la ville ». Raoul ne la décrit pas ; elle est – paradoxalement – définie par la qualité de son accueil (nous y reviendrons). Il mange avec Tricherie, sa sœur Rapine et Avarice. Cette dernière l’interroge sur ce qui se passe sur terre et le voyageur lui explique que Largesse a été « du païs chacié », aussi n’a-t-elle plus ni « tor ni recet ». Dans sa réponse à Tricherie, il reprend, dans son propre discours, la personnification du vice qui lui parle ; il la décrit comme « Justice, Dame et Viscontesse » qui a, pour mieux régner, construit un « chastel de trahison », la réification renforçant le contexte allégorique qui concerne le monde humain. Ce château est « trop haut » et « le plus divers du monde » ; il est « toz enclos et çains par grant force » ; Tricherie l’a « garni de fausseté », autre utilisation du procédé de réification pour dramatiser la métaphore et faire le lien entre l’allégorie narrative du voyage et l’allégorie descriptive qui dans le discours du voyageur permet à Raoul de Houdenc de faire le lien entre le monde d’ici-bas et celui de l’Au-delà (nous reviendrons sur ce point en étudiant l’expression de la satire dans le texte). Foi-mentie, quant à elle, est décrite comme une petite cité :

Foi-mentie,
La corte, la mal compassée
Qui en poi d’eure est trespassée ;
N’i a qu’un petitet de voie.18

Là, il rencontre Tolir qui est « mestre et sire » de la cité et qui « De mentir ot le maïstire ». Lui aussi s’enquiert du pouvoir qu’il a sur terre, ce qui permet au voyageur de faire un portrait de Donner ; celui-ci est « las et mendis / Povres et nus et en destrece » ; il a perdu toutes ses prérogatives19 et il « n’ose montrer ses mains » ; son évocation se termine par une énumération d’adjectifs : « Lais, chétis, haïs et blasmez » qui fait se suivre des caractéristiques physiques et des traits moraux. Pour atteindre Vile-Taverne le voyageur doit traverser un fleuve « que l’on apele Gloutonie », mais il ne s’attarde pas parce que là « mains vilains se nie ». À son arrivée, il est accueilli par Roberie, la « tavernière » ; Raoul de Houdenc reprend ici un topos bien connu de la littérature médiévale : les taverniers sont des êtres cupides et des voleurs. De manière non moins topique, dans la taverne, il rencontre « Hasart et Mescont et Mestret »20, l’énumération des trois noms dans un même vers souligne le lieu commun. Raoul utilise, à nouveau, le discours indirect pour introduire une personnification qui règne non dans l’Au-delà, mais à Chartres « Où Papelardie se loge »21. Puis arrive : « Yvresse, la mère Versez / Et ses filz o li est alez ». Il s’ensuit une bagarre entre le pèlerin et Versez. Raoul de Houdenc reprend ici un motif d’un des épisodes topiques des voyages dans l’Au-delà : l’attaque du pèlerin par un Vice22, le développement de ces épisodes étant un procédé de l’allégorie narrative ; mais ici, comme nous le verrons, Raoul de Houdenc s’émancipe de la topique, tout en parodiant le style épique pour raconter le combat. La dernière étape est Chasteau-Bordel où le voyageur rencontre Honte, fille de Péché, et Larrecin qui l’interroge sur ce qui se passe sur terre. Puis le voyageur suit la route qu’on lui a indiquée et arrive à Désespérance « Où la greignor joie de France / oï » ; ce jeu d’opposition est repris par l’oxymore qui suit : « Car Desesperance est Monjoie / D’Enfer ». Ces nominations sont chargées de sens ; en effet, nous savons que dans la théologie du salut, le péché le plus grave est le désespoir (c’est ce qui a valu à Judas la damnation éternelle, lui qui n’a pas – contrairement à Pierre – cru dans la miséricorde divine) ; quant au lieu dit « Montjoie », il s’agit sur la route du pèlerinage de l’endroit où pour la première fois le pèlerin aperçoit le but de son voyage et se réjouit ; or, ici il s’agit de l’Enfer.

10Ainsi cette représentation mentale de l’espace perturbe les modes de représentation habituels et cet univers allégorique crée une esthétique du paradoxe qui construit une utopie (au sens propre du terme) ; comme l’écrit A. Strubel cet espace allégorique « n’existe que par effet de réel produit par les figures de rhétorique »23.

11La description de ce lieu s’écarte aussi des peintures habituelles parce que l’endroit est vu non du point de vue des pécheurs condamnés à des peines épouvantables, mais du point de vue des Diables. Les damnés sont transformés en objets ou en mets. Ici l’allégorie peut être définie comme un procédé d’écriture qui développe un double sens grâce à l’exploitation systématique d’une analogie entre deux éléments appartenant à deux réalités différentes. Comme l’écrit A. Strubel, « l’analogie structure les registres littéral et figuré globalement et dans le détail »24.

12Dès son arrivée en Enfer, le voyageur est convié à un magnifique banquet ; sur les tables, les nappes « sont faites de piaus / De ces useriers desloiaus »25 ; son siège « fu […] / Dui Popelican l’un sur l’autre », sa table « fu d’un toisserant » et sa serviette « Del’cuir d’une vieille putain ». Le verbe être met les deux éléments en relation, mais il fonctionne ici comme un trompe-l’œil et signale une équivalence métaphorique ; de même la préposition de sert de mise en relation dans un contexte synecdochique. De plus, nous retrouvons dans l’ameublement des vices qui seront ensuite stigmatisés en tant que plats : les usuriers, les hérétiques, les prostituées. Parce qu’il y a ici exploitation de l’analogie, nous pouvons parler d’allégorie. Il en est de même pour la description des plats présentés au festin. Ainsi offrir des « Useriers cras à desmesure » ne constituerait qu’une image, mais quand Raoul de Houdenc précise : « Cuit estoient ; et s’erent tel / Qu’il estoient d’autrui chatel / Lardé si cras dessus la coste », la lecture multiple implique un décryptage qui relève de l’allégorique. Par un jeu d’intertextualité le lecteur voit les chaudrons de l’enfer dans lesquels les diables cuisent les damnés, mais il comprend aussi la critique sociale sous-jacente à cette description culinaire, nous y reviendrons. De même l’exemple suivant suppose plusieurs niveaux de lecture :

Devant le Roi après cil mès
Aporta l’on un entremès,
Qui durement fu déparlez,
Qu’on apele Bougres ullez
A la grande sausse Parisée,
Qui de lor fez fu devisée,
Comment on lor fist, ce me samble,
Par jugement à toz ensamble
Sausse de feu finalement
Destrempée de dampnement.26

Au sens littéral, il s’agit d’un plat en sauce apprécié de tous et dont on discute les origines ; mais la signification du mot « Bougres » invite à chercher un sens second. Ces hérétiques servis en « sausse de feu » évoquent les bûchers allumés pour éradiquer l’hérésie cathare27 ; même si les Cathares ne sont pas brûlés à Paris, la croisade menée contre eux est diligentée de la capitale, ce qui peut expliquer le nom donné à la sauce : « la grande sausse Parisée »28 et l’explication proposée aux vers 492 à 494. De plus, au vers 496, la réification « destrempée de dampnement » rappelle le sort post mortem promis aux hérétiques.

13Les plats apportés sont nombreux et tous pourraient être ainsi commentés, mais les limites de cette communication ne permettent pas l’exhaustivité. À la fin du repas, le roi d’Enfer fait apporter un livre et demande au voyageur de le lire pour son plaisir, puis il le récompense en lui donnant « XL. Sols de déablies »29. Nous reviendrons sur cette fin qui éclaire la senefiance du récit, mais auparavant nous allons dégager les éléments qui concourent à l’originalité de ce récit.

Originalité du Songe d’Enfer

14Les Voies écrites au XIIIe siècle sont des Voies de Paradis30 ; le pèlerin désire connaître ce lieu perdu par la faute d’Adam et Ève et toujours regretté31 ; or dans le Songe d’Enfer, le voyageur ne souhaite qu’une chose, se rendre « tout droit » en Enfer. De plus, le traitement du temps est subversif. Contrairement aux Voies, les notations temporelles sont rares, mais elles permettent tout de même des conclusions. Le voyage, situé durant le Carême : « Errai tant quaresme et yver » commence un mercredi32 ; le lendemain, le jeudi, le pèlerin se trouve à Foi-Mentie ; puis il passe la nuit à Vile-Taverne et semble terminer son parcours le vendredi. Ph. Walter33 a proposé une lecture calendaire qui ferait culminer le récit sur une « anthropophagie en carême », ce qui rejoint la veine carnavalesque de la peinture de l’Enfer comme d’un monde inversé par rapport aux valeurs chrétiennes et aux représentations habituelles de ce lieu. Cette mention, à la fois précise et imprécise, enracine le récit dans l’immédiat et dans un temps symbolique. En plein carême, loin de faire pénitence, le voyageur se rend joyeusement en Enfer où il va participer, le vendredi, à un repas carné et plantureux.

15Bon nombre de Voies de Paradis racontent des parcours pénitentiels et le pèlerin doit choisir entre la voie des Vices et celle des Vertus, ce qui conduit les auteurs à évoquer les sept péchés capitaux34 alors que dans le Songe d’Enfer le voyageur rencontre dans des lieux significatifs des Vices liés soit à la tromperie (« terre de Desléauté », Tricherie, Foie-mentie), soit à l’argent mal utilisé (Avarice, Rapine, Tolir, Larrecin), soit au couple gula-luxuria (Vile-Taverne, Hasart, Mescont, Mestret, Yvresse, Verez, Chastiau-Bordel) ; puis suivent comme points de repère des lieux liés à la violence (Cruauté, Cope-Gorge, Murtreville). Ce choix n’a rien de didactique ni de théologique et la seule explication possible semble liée à la subjectivité du voyageur.

16Une seule fois, Raoul raconte un combat entre un Vice et le pèlerin ; il s’agit de la lutte de ce dernier contre Versez. Un vers d’introduction souligne le caractère personnel de l’expérience : « Versez est si fors a merveille, / […] Qu’il gète les plus granz envers / Par moi le sai, oiez comment »35, puis le narrateur précise qu’il n’a pu éviter de combattre, « Mès tout aussi comme je fusse / A Guinelant et à Vuitier, / M’estut escremir et luitier »36 ; cette référence au monde quotidien enlève toute solennité au combat qui va suivre et invite à lui chercher un autre sens que le sens théologique et moral du combat du chrétien contre le péché. Les deux adversaires sont équipés par Yvresse qui leur donne, entre autres armes, un « baston de cler au coirre fort »37, détail qui conforte la remarque précédente. Suit le récit du combat qui utilise des procédés épiques : une syntaxe paratactique, l’opposition des pronoms personnels, le rythme des octosyllabes38 ; mais les effets des coups sur le voyageur sont les mêmes que ceux du vin sur le buveur terrassé par l’ivresse ; il titube :

Si durement me seut taper
Et si fort, ne l’m’escréez mie,
Qu’aus colées de l’escremie
Me fist si chanceler à destre
Qu’à poine chéi à senestre.39

Et la conclusion du combat renforce cette impression : « Ce fu li cops de sormontée / Quar il me monte en la teste ». Finalement le pèlerin tombe sur le sol, « Mès Yvrece me tint le chief / Par compagnie en son devant »40 ; chacun rit de sa mésaventure41 alors que : « Je remez qui fui estordiz »42. A. Scheler voit en Versez un amateur d’escrime, un lutteur de cabaret43 ; il me semble que Raoul de Houdenc joue sur les différents sens du mot, dénonçant et l’ivrognerie et la violence qui règnent dans les tavernes44. Ainsi Raoul modifie le topos de l’attaque d’un Vice contre un chrétien et le fait basculer dans un registre prosaïque ; le burlesque sert ici, comme nous le verrons, la senefiance du récit.

17Raoul de Houdenc ne se conforme pas non plus à la structure habituelle des récits de voyage dans l’Au-delà. Son héros rencontre les Vices, mais cet épisode ne se déroule pas selon le schéma type qui comprend, en particulier, une agression physique ou verbale du pèlerin par le Vice. Dans le Songe d’Enfer, non seulement l’échange est courtois puisque les Vices accueillent le voyageur aimablement et lui offrent le gîte et le couvert, comme par exemple Envie :

Si je herbergai chiés Envie :
Plesant ostel et bele vie
Eumes […]
Envie bien me herberja.
En l’ostel avoec nous manja
Tricherie […]
Et Avarice […]
Et vindrent et grant joie firent
De ce qu’en lor païs me virent.45

mais encore la conversation qui s’engage est courtoise et fructueuse. Comme nous l’avons vu un certain nombre de vices interrogent le voyageur sur ce qui se passe sur terre. Dans sa réponse le pèlerin évoque ce qui se passe ici-bas. À Avarice, il répond que Largesse a été chassée du pays ; à Tricherie, il assure qu’elle règne sur le Poitou ; à Tolir, il affirme que Doners est réduit à la mendicité et a perdu tout pouvoir et toute considération ; à Mestrait, Mescontes et Hasars, il apprend qu’ils ont de fidèles disciples. De plus, dans la relation de ces échanges, Raoul de Houdenc utilise deux procédés narratifs qui concourent à la signification de son récit. D’une part, le voyageur emploie dans son discours des personnifications allégoriques pour parler de ce qui se passe sur terre et d’autre part, à plusieurs reprises, il situe ses remarques dans des lieux réels, mêlant une onomastique allégorique et une onomastique géographique et historique, ce qui a pour effet de brouiller la frontière entre le monde de l’Au-delà et celui d’ici-bas qui devient un reflet de régions infernales (ou l’inverse ?). Dans d’autres exemples, les mêmes effets sont produits par l’emploi de noms propres ; ainsi dans la taverne, le voyageur est interrogé sur deux amis de Mestrait, Mescontes et Hasars : Charles et Mainsens ; puis il évoque les « tavernier de Paris » et d’autres personnages, tout dévoués au jeu : Gautiers Moriaus, Jehan le Boçus, Hermers, Guiars46.

18Néanmoins la subversion la plus évidente est la vision inversée de l’enfer qui ressort du récit alors même que Raoul de Houdenc reprend, à plusieurs reprises, en décalage, des topoi de l’imagerie infernale.

19L’enfer est habituellement pensé et représenté comme un lieu de souffrances, or le champ lexical de la joie est omniprésent dans l’évocation qu’en fait Raoul. Comme dans les autres Voies, le chemin vers l’Enfer est qualifié de « plesant chemin et bele voie », mais alors que dans les autres textes il s’agit de mettre en garde le pèlerin contre une facilité qui conduit aux tourments éternels alors que la voie difficile mène au paradis, ici cette mention introduit la gaîté qui règne en Enfer. Comme nous l’avons vu, le voyageur est accueilli avec joie par les Vices chez qui il loge47 alors que les damnés sont traditionnellement reçus à coups de bâton et autres maltraitances ; lorsqu’il les a rassurés sur l’emprise qu’ils ont sur terre, les Vices « grant joie en ot »48, expression qui revient de manière récurrente. Au cours du festin donné par le roi d’Enfer, chacun se réjouit, y compris le pèlerin : « je en fui moult joianz et lies ». Bref, la gaité règne en Enfer ! De plus, c’est un lieu d’abondance présenté comme un milieu curial et courtois ; le Roi d’Enfer règne sur une cour et réunit ses barons pour de grandes fêtes :

Cel jor tint li Rois d’Enfer cort,
Plus grant que je ne vous sai dire :
Cel jor furent a grant concire
Tuit cil qui de l’Roi d’Enfer tindrent ;
Li mestre principal i vindrent,
Cil qui sont de plus grant renom.49

Alors que dans les autres récits de voyage dans l’Au-delà les Vices sont décrits comme des créatures monstrueuses50, dans le Songe d’Enfer, ils sont beaux et possèdent des qualités prisées au XIIIe siècle51 ; ainsi Tolir « Cortois estoit et debonère » et son portrait physique est l’opposé de celui de Doners :

Tolirs est biaus et renommez ;
N’est pas chétis ne recreus.
Ains est et granz et parcréus,
De cuer, de cors, de bras, de mains
Est granz assez [… ]52

Et, par opposition, le dernier vers se termine par « Doners est nains ».

20Habituellement, les pèlerins qui visitent l’Enfer sont effrayés et cette vision a pour but de leur faire craindre un tel sort53. Les représentations de l’Enfer, qu’elles soient littéraires ou iconographiques, reprennent une imagerie convenue : le pont suspendu au-dessus d’une vallée horrible, le fleuve tempétueux, les flammes, le bestiaire monstrueux, le puits d’enfer, etc. Or certains topoi liés à ces descriptions sont détournés par Raoul de Houdenc.

21Ainsi la gueule d’Enfer qui se trouve à l’entrée du monde infernal est le signe de toutes les dévorations qui caractérisent le royaume de Satan et les démons sont souvent représentés gueule ouverte, en train de mordre les damnés54 ; dans le Songe d’Enfer cette dévoration se transforme en un festin gastronomique.

22Dès qu’ils approchent de l’Enfer, les visiteurs sont incommodés par une odeur pestilentielle55 ; ce lieu commun est repris dans l’évocation des mets servis en enfer ; les convives aiment les odeurs fortes et jugées désagréables. Ainsi plusieurs plats sont accommodés à l’ail : les « champions vaincus a l’aillie »56, les « larrons murtriers […] / Qui furent destrempé as aus » ; un des mets favoris des invités sont :

Vieilles putains aplaqueresses,
Qui ont teus crevasses qu’asnesses,
Mengiés [ont] à verde saveur.
Moult s’en loèrent li pluseur ;
Si que lor dois en délechoient,
Por les putains qui lor puoient
Dont il amoient moult le flair.57

23Bien que le jugement des âmes se fasse avant leur entrée au paradis ou en enfer, de nombreuses représentations de l’enfer montrent que les Diables adaptent les peines aux péchés commis58. Dans le Songe d’Enfer, ces tourments sont transformés en préparations culinaires qui dépendent des fautes que les hommes ont perpétrées ; ainsi les langues des plaideurs sont : « Frites el tort, qu’il font del droit / Là ont les langues del tort droit / Et de lor faussetez merites »59 ; selon l’importance de leurs torts, elles sont frites dans du beurre ou noyées dans la friture60. Plus tard, un mortel qui arrive sera cuisiné en hochepot en raison de ses péchés61.

24L’Enfer fait d’autant plus peur que les supplices sont éternels ; or dans ce texte, le pèlerin vient en visiteur et il est clairement dit qu’il peut repartir sans encombre : « Au partir me firent tel joie / Que ce fut une grant merveille »62. En fait, alors qu’habituellement l’Enfer est évoqué du point de vue des pécheurs, ici il est décrit du point de vue des Vices et des démons et la position du « je » voyageur est particulièrement ambiguë, comme l’est aussi son statut. Les damnés, quant à eux, sont réduits à l’état d’objet ou de mets, ce qui empêche tout pathétique.

25Ainsi Raoul de Houdenc pervertit les modèles dont il s’inspire, mais dans quels buts ? La satire est évidente, comme la parodie ; quelle(s) senefiance(s) se cache (nt) derrière ces récritures ?

Satire, parodie et création : senefiances du Songe d’Enfer

26Dans le Songe d’Enfer, les critiques de Raoul de Houdenc sont de trois ordres. Ses cibles sont soit très générales et dans ce cas la satire devient quasiment classique et se retrouve dans d’autres textes contemporains, soit propres à son époque, soit à mettre en relation avec le statut qu’il se donne dans le texte et qui est peut-être le sien, à savoir, ménestrel.

27Certains discours satiriques sont quasi intemporels ; ainsi lorsque figurent au repas infernal des « Bediaux brulez bien cuiz en paste », des « Papelars à l’ypocrisie », des « Noirs moines à la tanoisie », des « Noires nonnains au cretonné », nous reconnaissons une veine anti-cléricale qui va perdurer bien au-delà du Moyen Âge. L’expression « cuits en pâte » fait songer à la représentation caricaturale des bedeaux, toujours bien en chair ; que les faux-dévots soient cuits « à l’ypocrisie » relève quasiment du pléonasme ; les Dominicains cuisinés « à la tanoisie », c’est-à-dire avec de l’herbe aux coqs, plante rustique, rappelle ironiquement leur profession d’humilité. Quant aux nonnes cuites « au cretonné », cela peut signifier soit « en purée », soit frites dans une poêle avec du lard ; la seconde hypothèse pourrait renvoyer au Carême durant lequel se déroule le repas : être ainsi cuisinées au lard serait un comble pour des nonnes qui ont voué leur vie à Dieu. Pour indiquer la satire, Raoul se contente d’une expression qui fait image et qui fait rire parce que le premier terme et le second entrent en résonance analogique ou antithétique.

28D’autres cibles sont plus liées à l’époque, même si elles ont été ou seront les objets de satire à d’autres périodes. Il en est ainsi des usuriers auxquels Raoul de Houdenc consacre un long passage, rappelant ironiquement qu’ils sont condamnés par l’Église63 parce qu’ils ont fait leur « lard » sur le bien d’autrui ; n’ont-ils pas « Devant et derrière et en coste […] bien deus doits de lart » dont on va se régaler en Enfer en dépit du Carême. Pour conclure, le voyageur précise que les convives n’apprécient pas ce mets, trop fréquemment servi64 : « […] il sont d’useriers servi / Toz tens ; et esté, et yver / C’est li generaus mès d’enfer ». Or au XIIIe siècle l’usure se développe en même temps que se multiplient les condamnations contre les usuriers65.

29Raoul cite aussi à deux reprises les hérétiques et une fois les sodomites ; là encore cette critique n’est pas spécifique au XIIIe siècle, néanmoins les conditions historiques leur donnent un arrière plan particulier. Les hérésies d’abord mollement combattues par l’Église qui préfère les phagocyter deviennent un enjeu politique à cette époque et la critique des « Bougres » peut tout aussi bien induire celle du pouvoir royal et de l’Inquisition ; de plus, c’est au XIIIe siècle qu’homosexualité et hérésie sont liées.

30Ensuite l’auteur consacre un long développement66 aux langues de plaideurs. Les diables conviés au repas commentent les agissements de ces « faus pledeors » qui rendent de faux jugements pour lesquels ils sont grassement payés ; grâce à ces gains importants, ils « […] achetent les viandes / de quoi il font lor pances grandes » ; ironiquement, le voyageur ajoute : « […] c’est uns mès, qui pas ne cort / Au cors »67. Non seulement leurs langues, métonymie culinaire pour désigner leurs fautes, sont cuisinées selon leurs torts, mais encore elles sont secouées pour en faire ressortir toute la malice, « por la savor bien aiguisier » ; puis pour rendre le plat plus délectable, on verse sur ces langues « de plain panier de maudiçons »68. Les plaideurs « Sont en Enfer mengié à joie / Greignor, que dire ne porroie » commente le pèlerin qui ajoute que leurs langues sont le plat préféré du Roi d’Enfer69. La critique de la justice et de ses travers est éternelle, mais si nous mettons cette satire en relation avec ce qui relève, semble-t-il, de l’autobiographie, nous pouvons y voir une attaque plus personnelle ou du moins l’écho de préoccupations plus privées, ce que semble conforter le commentaire final du narrateur ; il utilise une formulation générale « Qui veïst […] / Mander péust tout vraiement » pour s’adresser fictivement « Aus parjurez, aus menteors » afin de les rassurer sur la réputation qu’ils ont en Enfer :

[…] langues de faus pledeors
Ne sont pas en Enfer blasmées,
Mes chier tenues et amées.70

L’ironie de ces propos renforce la satire.

31Le cas de Tricherie que nous avons déjà évoqué est plus complexe ; en effet, lorsqu’elle interroge le voyageur, il lui répond que « Tricherie est en Poitou » ; or cette localisation permet la satire qui ne peut exister que si derrière une critique d’ordre général se profile une cible identifiable71 ; de plus Raoul reprend cette précision dans un rejet au début du vers 65, puis au vers 68 et il ajoute :

Car des Poitevins sai je bien,
Ceus qui connoissent lor couvine,
Que de lor roiaume est Roïne
Tricherie [… ]72

32Cette localisation de Tricherie est sans doute une allusion au fait que le Poitou qui s’était d’abord, en 1204, rallié à Philippe Auguste s’est ensuite retourné vers Jean sans Terre73.

33D’autres attaques sont apparemment liées au statut que se confère le voyageur. On se souvient qu’à la fin du Songe d’Enfer, le Roi lui fait apporter un livre et lui demande de le lire, ce qu’il fait : « Et g’i commençai tout à droit, / Et tout au miex que je soi, lire ». Le voyageur tient donc en Enfer, le rôle d’un ménestrel ; or dans la première partie du Songe d’Enfer, les critiques les plus violentes concernent les qualités qui ont disparu sur terre et tout particulièrement la largesse. Répondant aux questions d’Avarice, le voyageur fait une évocation accablante de l’état dans lequel se trouve Largesse. Comme pour Tricherie, il utilise une allégorie bien qu’il s’agisse du monde d’ici-bas. Le rejet, aux vers 44 et 45, met en valeur la personnification de cette qualité fondamentale de l’éthique courtoise : « Avoient [les parents d’Avarice] du païs chacié / Larguece ». Elle n’a plus « Tor ne recet ; ne ne savoit / Quele part ele puet durer »74. Son sort est intolérable et « ainz est si mal en point, / Que chiés les riches n’en a point ». Puis en réponse aux interrogations de Tolir, il fait un portrait misérable de Doner, en tous points antithétique à celui du Vice qui accueille le voyageur et il précise : « Jamès Doners chiés nul haut homme / Ne fera . II. biaus cops ensamble »75. Raoul vise ici les nobles avares et les riches bourgeois âpres au gain et peu généreux avec les jongleurs et les ménestrels. La satire est reprise lorsqu’il raconte l’arrivée du pèlerin en Enfer ; quand il entre, les démons sont en train de dresser les tables et de les préparer pour le repas ; or commente-t-il :

Onques portiers por retorner
Ne me prist ; et itant vous di
Qu’une coustume en Enfer vi,
Que je ne ting mie a poverte,
Qu’il menjuent à porte ouverte.
…………………………………
Nus en nul tens leenz ne trait
Que ja porte li soit fermée.
Iceste coustume est faussée
En France ; chascuns clot sa porte :
Nus n’entre léenz, s’il n’aporte ;
Ce veons nous tout en apert.76

Ainsi le roi d’Enfer fait preuve de plus de largesse que les nobles français, voire que le roi de France. Philippe Auguste est un grand politique et un grand bâtisseur, mais il n’est ni un protecteur des arts ni des lettres ; la seule forme littéraire qui l’intéresse est l’historiographie et les chroniques qui chantent ses louanges77. Il en est de même pour son fils, Louis VIII et Rutebeuf dans Renart le Bestourné fustige, lui aussi, la décision de Louis IX de manger portes fermées, signe d’un manque de libéralité qui prive les ménestrels de revenus indispensables78. Robert de Blois dans l’Enseignement des princes se plaint aussi que, contrairement à l’ancien usage, les grands se mettent à table après avoir fait évacuer leur salle et fermer les portes. Manifestement, ici, la satire de Raoul de Houdenc est intéressée : il plaide pour les ménestrels dont il fait sans doute partie.

34La suite du parcours va mener le voyageur à Vile-Taverne et à Chastiau-Bordel ; ici pas de satire explicite, seul le lieu où se trouvent ces cités, à savoir l’Enfer, et l’assimilation des habitants à des vices pourraient conduire le lecteur à penser à une critique, mais les précisions données par le pèlerin sur leur influence sur terre sont pour le moins ambivalentes. Les joueurs nommés par Mestrait, Mescontes et Hasars les « aiment moult durement » et, ajoute le voyageur : « Si vous vuelent acompaignier / A eus tout par droit heritage »79. Ensuite, il nomme des taverniers de Paris qu’il semble bien connaître : Gautier Moreau, Jean le Bossu, l’artésien, Hémart, Guyart, le rusé compère, comme les personnages (les personnes ?) dont parle Hasart : Michel de Treilles, « dan Sauvage et […] sa gent » et Girard de Troyes, victime habituelle puisque « Chascuns i prent, chascuns le plume, / C’est lor béance et lor coustume »80. Après cet échange, le voyageur rencontre Yvresse et Versez dont il devient la victime ; l’ensemble de ce passage campe un milieu bien connu de la littérature du XIIIe siècle, la taverne et ses tentations81 ; on y joue, on triche, on vole, on y prépare de mauvais coups, on y boit et on y rencontre des filles. Raoul, lui, a placé les prostituées à Chasteau-Bordel, mais comme nous l’avons vu ces deux lieux sont à mettre en relation. Le nom de la tavernière, « Roberie », renvoie au portrait habituel du tenancier, hypocrite, tentateur, fraudeur et son sexe ne fait que rendre plus crédibles ces travers. C’est à Chastiau-Bordel que le voyageur rencontre Larrecin, « li filz Mienuit », qui vient le voir « à grant déduit », preuve que le vol et les mauvais coups (qui sont les prochains points de repère sur la route du voyageur) sont liés à ces lieux. En fait, Raoul semble bien connaître ces maisons et nous ne pouvons que songer à des poètes postérieurs comme Rutebeuf ou Villon qui se plaignent apparemment des conséquences néfastes de la passion du jeu, de la boisson ou du commerce des prostituées, mais le font sur le ton facétieux d’une confession sans repentir82.

35Peut-être faudrait-il parler ici d’ironie puisque V. Jankélévitch rapproche allégorie et ironie dans son essai sur L’Ironie : « L’Ironie est une allégorie (elle pense une chose mais en dit une autre). Plus précisément, c’est une pseudogorie (la chose dite, plus que d’être autre à celle qui est pensée, est fausse »83. Or Raoul de Houdenc joue sur le décalage entre ce qui est dit et ce qu’il faut comprendre ; ces critiques contre ceux qui ne savent plus récompenser les ménestrels, comme cette évocation somme toute complaisante de ces lieux mal famés nous conduisent à envisager une autre visée de ce texte, mise en évidence par la fin du récit et par l’utilisation de la parodie qui fait le lien entre satire et revendication littéraire.

36La parodie est une notion souvent difficile à utiliser pour le Moyen Âge parce que nous ignorons la plupart du temps l’intertexte ; néanmoins nous pouvons considérer que le traitement décalé et le travestissement de motifs religieux généralement admis ressortissent de la parodie84.

37Deux motifs fondamentaux sont parodiés : la Cène et la communion eucharistique, et le Livre ; nous nous intéresserons au second. Dans le monde chrétien, le Livre par excellence est la Bible et tout particulièrement le Nouveau Testament. Les Évangiles sont écritures de vérité et transcription de la parole et des actes du Christ par des témoins oculaires, les Apôtres. Mais il est une autre représentation du Livre comme parole de vérité et de révélation : celui de l’Apocalypse. Jean est « ravi en esprit » quand une voix lui intime l’ordre d’écrire « dans un livre » ce qu’il verra dans son extase ; puis il voit un premier livre tenu par « Celui qui était assis sur le trône », scellé de sept sceaux qui indiquent son caractère secret : ce livre contient les décrets de Dieu sur le destin du monde et seul l’Agneau est digne de l’ouvrir ; ensuite un ange lui apporte un « petit livre ouvert » et lui dit : « Prends et dévore-le ; et il remplira ton ventre d’amertume, mais dans ta bouche il sera doux comme du miel », cette ingestion lui permettra de prophétiser le contenu du livre85.

38Or dans le Songe d’Enfer, c’est Belzébuth qui fait apporter « un sien livre » au voyageur « por lui deporter ». Ce livre a été écrit par « uns mestres » et contient :

Les droiz le Roi, et les forfez,
Les fols vices et les fols fez
Qu’on fet et tout le mal afère
Dont li Rois doit justice fère.86

Le Livre d’Enfer est révélation, mais Révélation diabolique. Commençant à le lire, le voyageur découvre que :

En cel livre qui estoit tels,
Les vies des fols menestrels
En un quaier toute escrites.87

Or le lecteur va bientôt découvrir l’identité de ce pèlerin qui parle à la première personne puisque dès qu’il évoque le réveil du rêveur, Raoul se nomme à deux reprises88 ; aussi des jeux de miroir se mettent-ils en place ; « Raoul lit le livre d’enfer tandis que le lecteur lit le Songe d’Enfer ; le roi d’Enfer entend lire le livre d’Enfer tandis que l’auditeur entend lire le Songe d’Enfer »89. Si le livre d’Enfer fonctionne comme la révélation des péchés du monde et plus particulièrement de ceux des ménestrels, le Songe d’Enfer apparaît comme son double, lui qui révèle l’itinéraire d’un pécheur, devenu ménestrel à la cour de Belzébuth. De fait, non seulement le voyageur lit ce livre pour distraire le roi d’Enfer : « Ices me dites / Quar ci me plest moult à oïr », mais encore il est payé pour ce travail : « Et quant assez escouté m’ot / Tant com lui plot, ne mie mains, / XL. Sols de deablies »90.

39Et que retient-il de cet ouvrage ? Il s’arrête moins à son caractère « sacré » qu’à ses qualités littéraires : « Des fols menestrels pris a dire / Les faiz trestout à point en rime / Si bel, si bien, si leonime »91. Il insiste sur l’importance de l’écriture par l’emploi récurrent des verbes « conter », « raconter » et des mots « escrit » et « livre »92 et sur l’exhaustivité du texte qui consigne méticuleusement les vices de chacun :

Et n’i remest riens à conter,
Péchiez, ne honte, ne reprouche
Que nus hom puis dire de bouche,
Que tout ne fust en cel escrit.93

40Le lecteur ne mange pas le livre pour prophétiser, mais il l’apprend par cœur pour qu’il soit pour lui source d’inspiration : « Je reting du livre par cuer […] / Dont je cuit encore biaus diz / Dire sanz espargnier nului »94 ; or le mot livre désigne originellement un texte, le plus souvent en latin, reçu comme référence et qui fait autorité ; ce n’est que secondairement que ce terme a désigné l’œuvre elle-même, et que dit Raoul à la fin de son récit :

Et cist contes faut si à point,
Qu’après ce n’en diroie point,
Por aventure qui aviegne,
Devant que de songier reviegne.95

Ainsi, c’est en « songeant » que travaille le trouvère96 et le songe mentionné initialement prend un autre sens ; il est non seulement cadre du récit, mais aussi indice de la création littéraire. Raoul de Houdenc inaugure un des nouveaux sens possible du mot songe au XIIIe siècle, à savoir la métaphore de la création littéraire97. Et les vers qui concluent le texte font écho à ceux du prologue :

Raoul de Houdaing, sans mençonge,
Qui cest fablel fist de son songe ;
Ci fine li Songes d’Enfer.98
………………………………
En songes doit fables avoir,
Se songes puet devenir voir :
Talent que pélerins seroie.99

« Songe » rime avec « Mensonge », mais l’expression « sans mençonge », par sa place, renvoie au nom du trouvère, de celui qui a trouvé « cest fablel », ce récit fictionnel, dans son songe et cette assertion doit se lire au second degré : Raoul a, sans mentir, tiré cette « fabula » (par opposition avec « historia ») de ses pensées, de son imagination. Se pose alors, et sur plusieurs plans, la question de la vérité : le songe allégorique peut-il / pourrait-il énoncer une vérité eschatologique ? La vérité du récit n’est-elle pas paradoxalement celle de la fiction ? Dans ce premier quart du treizième siècle, les auteurs se réclament d’une vérité littéraire qui fait échapper les œuvres fictionnelles à toute justification morale ou religieuse. C’est à cette vérité là que se réfère Raoul de Houdenc qui, à nouveau, se joue des conventions. Ces jeux sur songe / mensonge / écriture nous renvoient à l’importance que prenaient Hypocrisie et Tricherie sur le chemin du pèlerin ; or ces défauts sont ceux que le discours religieux et moral attribue aux ménestrels ; ils « passe[nt] pour faux, menteurs[s], joueur[s], médisant[s] »100 et sont considérés comme des débauchés qui aiment le vin, le jeu et les femmes101. Raoul, tout à la fois, se fait le double du voyageur et met son personnage à distance, et brouillant à plaisir la temporalité (le temps du songe, celui de l’éveil, celui de l’écriture), il laisse au lecteur la liberté du décryptage ; à lui de relire le Songe d’Enfer comme une défense du travail et du statut des ménestrels et comme la revendication de la liberté de la création ! Derrière une banale allégorisation des vices du monde contemporain se profile une vision assumée et ironique des vices attribués aux ménestrels et une dénonciation de ceux qui rendent si difficile leur vie ; Raoul ne pourrait-il pas dire comme Aucassin :

En paradis, qu’ai-je à faire ? […] C’est en enfer que je veux aller, car c’est en enfer que vont les beaux clercs, les beaux chevaliers morts dans les tournois ou les guerres glorieuses, les valeureux hommes d’armes et les nobles : c’est avec ceux-là que je veux aller. Y vont aussi les belles dames courtoises pour avoir deux amis ou trois en plus de leur mari ; y vont aussi l’or et l’argent, les fourrures de vair et de petits-gris ; y vont encore les joueurs de harpe, les jongleurs, les rois de ce monde : c’est avec ceux-là que je veux aller, à condition que j’aie avec moi Nicolette ma très douce amie.102

41Le lecteur, comme le Roi d’Enfer se réjouit de ce mensonge fécond, mais à cette seconde lecture s’en ajoute une autre, plus complexe et plus dérangeante, du moins pour l’époque où écrit Raoul ; en effet, nous devons nous demander pourquoi avoir choisi comme cadre du récit un voyage dans l’Au-delà. En pervertissant ce modèle, Raoul de Houdenc ne revendique-t-il pas la liberté de la création littéraire qui n’a d’autres références qu’elle-même et le plaisir qu’elle apporte ? Dans cette fin du récit, deux champs sémantiques dominent, celui de la création littéraire, de l’écriture et celui de la réception et de la joie qui se trouvait aussi présent dans la vision de l’Enfer : « oïr » rime avec « joïr » et « mentiroïe » avec « Joïe »103. À la vision inversée d’un Enfer joyeux et festif répond celle d’une littérature qui refuse toutes les contraintes morales et religieuses, qui revendique une liberté créatrice et affirme n’avoir d’autres buts qu’elle-même104, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs, et la fonction de l’exégète n’est-elle pas de dépasser la semblance pour retrouver la senefiance ?

42Le détournement d’un modèle didactique souligne cette indépendance de l’auteur qui innove tout en se jouant de topiques convenues. Comme les draperies transparentes des tableaux de Botticelli suggèrent mieux encore la nudité, le voile de l’allégorie se révèle le signe de vérités plus profanes qu’eschatologiques et la subjectivité assumée du récit met en scène un destin personnel et littéraire attaché à ce monde et à ses plaisirs plus qu’à l’Au-delà.

Notes de bas de page

1 Ces dates sont avancées d’une part par A. Fourrier et d’autre part par E. Faral et J. Bastin. Raoul de Houdenc signe d’autres œuvres : un roman arthurien, Méraugis de Portlesguez, un poème didactique, Le Roman des Eles, un dit allégorique, Le Borjois borjon, un roman arthurien dont Gauvain est le héros, La Vengeance Radiguel et, mais cette attribution est très douteuse, la Voie de Paradis qui est associée au Songe d’Enfer.

2 Cette dernière hypothèse est celle que défend A. Fourrier dans son article : « Raoul de Houdenc : est-ce lui ? », in Mélanges de linguistique romane et de philologie médiévale offerts à M. Delbouille, Gembloux, Duculot, 1964, t. II, p. 165 à 193.

3 J’utilise l’édition de Ph. Lebesgue, parue chez Slatkine Reprints, Genève, 1974, qui est une réimpression de l’édition de Paris de 1908. J’y renverrai désormais sous le titre abrégé Songe d’Enfer.

4 La bibliographie sur ces genres littéraires est importante ; je ne renvoie ici qu’à la thèse de F. Pomel, Les voies de l’Au-delà et l’essor de l’allégorie au Moyen Âge, Paris, Champion, 2001, et pour un point rapide et une bibliographie à mon article : « Les récits de voyage dans l’Au-delà avant Dante », in Dante et ses lecteurs, La Licorne, Poitiers, 2001.

5 C’est le cas, par exemple, du Voyage de saint Brendan.

6 Cf. le Purgatoire de saint Patrick.

7 Citons les six versions françaises de la VIsion de saint Paul et la VIsion de Tondale pour les premiers et la Navigation de saint Brendan pour la seconde.

8 Même si dans certains textes, les voyageurs échappent à ces épreuves : cf. les VIsions d’Albéric, de Turchill, de Gunthelm.

9 C’est celle d’Aristote, la Rhétorique, Paris, Flammarion, GF, 2007 (traduction de P. Chiron) et de Quintilien, Institution oratoire (7 vol.), Belles Lettres, 1976/2000, VIII, 3.83.

10 C’est la définition d’Héraclite reprise par saint Augustin, Isidore de Séville, Bède le Vénérable, saint Thomas d’Aquin, entre autres. Sur l’histoire de l’allégorie au Moyen Âge, voir : A. Fletcher, Allegory. The Theory of a symbolic mode, Ithaca / New York, Cornell University Press, 1964 ; L’Allégorie du Moyen Âge au XVIe siècle. Éd. D. Poirion, Cahiers de l’Association Internationale des Études françaises, 28, 1976, p. 5-116 ; A. Strubel, « Grant senefiance a ». Allégorie et littérature au Moyen Âge, Paris, Champion, 2002.

11 Ceci renvoie aux quatre sens de l’Écriture : H. de Lubac, Exégèse médiévale. Les quatre sens de l’Écriture, Paris, éd. Montaigne, 1959. À senefiance s’oppose la semblance, comme à la parole overte s’oppose à la parole coverte.

12 Cette question de la vérité est fondamentale, mais complexe au Moyen Âge où seul Dieu peut connaître la vérité ; les hommes ne pouvant atteindre qu’à des vérités partielles et partiales. Cf. les Actes du colloque du Centre d’Études Médiévales et Dialectales de Lille III, Le vrai et le faux au Moyen Âge, in Bien dire et bien aprandre, n° 23, Lille, 2005.

13 À nouveau, la bibliographie est trop abondante pour être citée ; voir, entre autres, M. R. Jung, Études sur le poème allégorique en France au Moyen Âge, Berne, Francke, 1971 ; J. Ch. Payen, « Genèse et finalités de la pensée allégorique au Moyen Âge », in Revue de métaphysique et de morale, LXXVIII, 1973, p. 466-479 ; A. Strubel, La Rose, Renart et le Graal. La littérature allégorique en France au XIIIe siècle, Paris, Champion, 1989.

14 Songe d’Enfer, v. 1-5.

15 Songe d’Enfer, v. 672-680.

16 M. Zink, La subjectivité littéraire, Paris, PUF, 1985, p. 143 à 170. Voir aussi F. Pomel, op. cit. p. 415 sq. L’auteur écrit, p. 416 : « Le récit prend une dimension pseudo-autobiographique par la superposition instaurée entre le je, personnage nommé Raoul, et le narrateur qui se nomme à la fin du récit ».

17 Songe d’Enfer, v. 19-20.

18 Songe d’Enfer, v. 98-102. J’avoue ne pas comprendre pourquoi : est-ce parce que ce vice est, selon Raoul de Houdenc, moins répandu que Convoitise ? Y a-t-il une autre raison ?

19 « Qui soloit avoir l’ainsnéece / Or est mainsnez », Songe d’Enfer, v. 120-121.

20 Songe d’Enfer, v. 156 ; l’énumération est reprise au v. 163.

21 Je ne sais pas expliquer cette localisation ; certes, l’École de Chartres perd de son influence à partir du moment où Philippe Auguste accorde des privilèges à l’université de Paris, mais à ma connaissance elle ne participe pas à la querelle de l’université et il semble qu’il serait plus logique que ce soit Chartres qui accuse Paris d’Hypocrisie.

22 Fabienne Pomel a dans son étude sur les Voies de l’Au-delà dégagé le schéma habituel des rencontres entre le pèlerin et les vices : nous y reviendrons.

23 Renart, la Rose et le Graal, Paris, Champion, 1989, p. 32.

24 Ibid., p. 15.

25 Songe d’Enfer, v. 431-432.

26 Songe d’Enfer, v. 487-496.

27 La croisade dure de 1208 à 1249. Le roi n’intervient qu’en 1226 ; mais dès 1211, Simon de Montfort et Arnaud Amaury condamnent au bûcher quatre cent Bonshommes et Bonnes femmes à Lavaur. Au vers 500, il est précisé que les hérétiques sont apportés « en broche de fer », ce qui rappelle l’image des condamnés attachés à un poteau.

28 À moins qu’il ne s’agisse d’une sauce connue, comme l’est, par exemple, la « béarnaise » de nos jours.

29 Songe d’Enfer, v. 657.

30 Citons les plus connues : La Voie de Paradis anonyme qu’on a voulu attribuer à Raoul de Houdenc est une voie de pénitence avec trois étapes attendues : contrition, confession, pénitence ; en chemin vers Pénitence, il se retrouve seul et est attaqué par Tentation accompagnée de Vaine Gloire, Orgueil, Envie, Haïne, Avarice, Ire, Fornication et Désespérance ; s’ensuit une psychomachie. Le pèlerin retourne chez Confession et Pénitence lui présente l’échelle des vertus qui lui permettra d’atteindre le Paradis. Il arrive au Paradis, mais se réveille. Rutebeuf a aussi écrit, sans doute en 1276, une Voie de Paradis, encore intitulée Voie d’Humilité ; elle s’inscrit dans le contexte liturgique de Pâques. Le pèlerin s’arrête dans la cité de Pénitence ; il est accueilli par Pitié et Charité. La première lui décrit son parcours : il peut s’engager sur la voie des sept vices ou sur celle des sept vertus ; s’il emprunte la seconde, il arrivera à Repentance. Baudouin de Condé écrit une Voie de Paradis dans le dernier tiers du XIIIe siècle ; le pèlerin choisit un chemin difficile, arrive au pied d’une croix où il rencontre un prêtre ; il se confesse, puis s’engage sur la voie de Satisfaction ; arrivé à Pénitence, il a une vision du Paradis. Au XIVe siècle, on voit apparaître des voies doubles comme celle de Jean de la Motte, Voie d’Enfer et de Paradis.

31 Au début du Voyage de saint Brendan, nous apprenons que le saint homme « conçut un désir tout particulier », voir le Paradis : Songe d’Enfer, v. 47-62.

32 Songe d’Enfer, v. 8 et 22.

33 Compte rendu de l’édition de M. Timmel Mihm, « The Songe d’Enfer of Raoul de Houdenc », in Cahiers de Civilisation Médiévale, t. XXX, 1987, n° 1, p. 96-97.

34 Après Prudence et Cassien, Grégoire le Grand fixe, pour l’occident, la liste des péchés capitaux : l’orgueil, la vaine gloire, l’envie, la colère, la tristesse (ou acédia), l’avarice, la gourmandise, la luxure. Sur la structure des Voies de Paradis, voir F. Pomel, op. cit., p. 112.

35 Songe d’Enfer, v. 230-233.

36 Ibid., v. 240-242.

37 Ibid., v. 250.

38 Voir les v. 253-259 et 267-269. Voir aussi F. Pomel, op. cit. p. 213.

39 Songe d’Enfer, v. 260-264.

40 Ibid., v. 284-286.

41 Ibid., v. 299.

42 Ibid., v. 302.

43 Voir la note 219, p. 358 de son édition ; il écrit : « Si ce nom devait personnifier les buveurs, le poète ne l’eût pas présenté comme fils, mais comme père d’Ivresse ».

44 Je rejoins ici la lecture faite par Fabienne Pomel.

45 Songe d’Enfer, v. 23-34.

46 Ibid., v. 189-191. Chacun de ces personnages semble bien connu de l’auteur.

47 Ibid., v. 33, 216, 245, 299, 359, 388.

48 Ibid., v. 53, 82, 83, 84, 212, 213,

49 Ibid., v. 392-397.

50 Rutebeuf dans la Voie d’Humilité décrit ainsi Avarice : « Enmi sa sale seur .I. coffre / Est assise mate et pencive : / Mieulz cemble estre morte que vive », v. 208-210 ; Avarice est « une vilainne fame », elle a toujours les dents serrées et elle perd ses couleurs, v. 225-242 ; Envie a « pale vis » et « Ainz gist en fienz et en ordure » ; elle « char de serpent manjue », v. 289-308, éd. M. Zink, Paris, Lettres Gothiques, n° 4560, 2001.

51 De même Versez « est granz et parcréus », v. 219 ; voir aussi les v. 230 à 232.

52 Songe d’Enfer, v. 130-134.

53 Cf. la réaction des compagnons de saint Brendan dans le Voyage de saint Brendan, éd. I. Short et B. Merrilees, Paris Champion, 2006, v. 1173 à 1182 et 1204, ou celle de Tondale dans La vision de Tondale, versions françaises de Jean de VIgnay et David Aubert, éd. M. Cavagna, Paris, Champion, 2008, p. 88 et 176.

54 Le motif est très répandu ; je ne citerai que quelques exemples : le tympan de Conques, Le Jugement dernier de Giotto à Padoue, celui de Fra Angelico, etc.

55 Ainsi alors que Brendan et ses compagnons arrivent près de l’Enfer : « Püur lur vent forment grant / Del fum chi luign par l’air s’espant. / Endurerent cum melz pourent ; / Eschiverent cum plus sourent », v. 1169 à 1172.

56 Songe d’Enfer, v. 451.

57 Ibid., v. 479-485. Plus tard, au cours du repas, est servi un pâté de vieilles putains déloyales qui plait parce que « les putains puoient », v. 577-582.

58 C’est le cas, en particulier, dans les différentes versions de La VIsion de saint Paul où l’archange Michel commente les peines infernales que voit saint Paul.

59 Songe d’Enfer, v. 545-547.

60 S’opposent ici la douceur prêtée au beurre et la violence d’une cuisson en friture.

61 Songe d’Enfer, v. 517-527. Il s’appelle « Gormons d’Argent », son nom signifiant la nature de ses péchés.

62 Ibid., v. 670-671.

63 « Usuriers […] qui bien avoient leur droiture », écrit-il au v. 456.

64 Songe d’Enfer, v. 454-470.

65 Cf. J. Le Goff, La bourse et la vie, Paris, Hachette, 1986. Notons que le personnage de l’usurier revient de manière récurrente dans les exempla. Cf. également la peinture des usuriers dans la Divine Comédie de Dante : Enfer, chant XVII, v. 54-57.

66 Songe d’Enfer, v. 525-576.

67 Ibid., v. 528-534. « C’est un mets qui tient au corps ».

68 Ibid., v. 542-564.

69 Ibid., v. 528-529 ; 535-536 ; 565-569.

70 Ibid., v. 574-576.

71 Dans la taverne, Chartres et Paris sont évoqués : v. 165 et 183.

72 Songe d’Enfer, v. 76-79.

73 Je remercie vivement François Neveux, professeur émérite de l’université de Caen en histoire médiévale, de m’avoir éclairée et permis de donner ce commentaire.

74 Songe d’Enfer, v. 48-49.

75 Ibid., v. 124-125.

76 Ibid., v. 372 à 383.

77 Philippe Auguste demande à Guillaume le Breton d’expurger la chronique de Rigord qu’il jugeait trop peu laudative ; son nouveau biographe écrit La Philippide entre 1214 et 1224.

78 Songe d’Enfer, v. 110 à 116.

79 Ibid., v. 171 à 175.

80 Ibid., v. 183 à 208.

81 Le thème de la taverne se retrouve aussi bien dans le théâtre arrageois, que dans la poésie goliardique, que dans la littérature didactique ou allégorique. Citons le Jeu de saint Nicolas de Jean Bodel, Courtois d’Arras, le Jeu de la Feuillée d’Adam de la Halle.

82 Cf. La Griesche d’Yver et La griesche d’Eté ou encore La Complainte Rutebeuf. Le jeu de dés est réprouvé par tous les moralistes et il est interdit à de multiples reprises au cours du XIIIe siècle, preuve de l’inefficacité des interdictions.

83 L’Ironie, Paris, Flammarion, 1964, chapitre II.

84 G. Genette dans Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Poétique Seuil, 1982, p. 49 parle de « transformation textuelle à fonction ludique » ; de même A. Strubel dans « La psychomachia grotesque. Genèse du comique dans la représentation allégorique », in Le Rire au Moyen Âge dans la littérature et les arts, Actes du colloque international, Bordeaux, 1988, définit la parodie comme une distorsion qui ne remet pas en cause la validité du modèle, mais fonctionne comme « une référence amusée ». Selon la problématique posée par A. Strubel dans son article « L’ironie et la littérature du Moyen Âge : esquisse d’un chantier », in Revue des Langues Romanes, t. CXII, 2008, n° 2, L’ironie au Moyen Âge, p. 285 à 293, nous pourrions alors parler d’« ironie » pour « échapper à la “tarte à la crème” de la “parodie” », mais donner des définitions aussi larges de la notion d’ironie ne revient-il pas au même, malgré la qualité des articles qui montrent la pertinence de cette nouvelle problématique ?

85 Apocalypse de Jean, 1, 9 à 11 ; 5, 1-14 ; 6, 1-17 ; 10, 8-11.

86 Songe d’Enfer, v. 617-620.

87 Ibid., v. 625-627.

88 Ibid., v. 672 et 677.

89 F. Pomel, op. cit. p. 261 ; p. 262, l’auteur écrit que l’on peut voir dans le Songe d’Enfer « le récit allégorique d’un fol ménestrel ».

90 Songe d’Enfer, v. 654-658. En guise de souvenir, le voyageur rapporte de l’Enfer des objets sans valeur, achetés avec la monnaie de singe que lui a remis le roi d’Enfer ; s’installe tout un champ sémantique du factice qui prépare la suite.

91 Songe d’Enfer, v. 634-636.

92 Ibid., v. 615-616 ; 621 ; 623 ; 625 ; 641 ; 645 ; 648 ; 652.

93 Ibid., v. 638-641. Voir aussi les vers suivants : v. 642-645.

94 Ibid., v. 647-651.

95 Ibid., v. 673-676.

96 Dans La Voie d’Humilité, Rutebeuf se présente en train de dormir, au lever du jour ; quand le laboureur se lève, lui, il dort, mais c’est pour mieux travailler : La Voie d’Humilité, dans Rutebeuf, Œuvres complètes, éd. et trad. M. Zink, Paris, Lettres Gothiques, p. 344, v. 1-25.

97 F. Pomel, op. cit. p. 250.

98 Songe d’Enfer, v. 677-679.

99 Ibid., v. 1-3.

100 E. Faral, Les jongleurs en France au Moyen Âge, Paris, Champion, 1910, p. 106.

101 Ibid., p. 96.

102 Aucassin et Nicolette, éd. et traduction (modifiée) de J. Dufournet, Paris, Garnier-Flammarion, 1984, partie VI.

103 Songe d’Enfer, v. 629-630 et 669-670.

104 Je retrouve ici la lecture de F. Pomel et renvoie à son étude : op. cit. p. 267-268. Voir aussi H.R. Jauss, L’Humanisme médiéval dans les littératures romanes du XIIe au XIVe siècles, Paris, Klinckieck, 1964, p. 124.

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