Un homme, une génération
p. 141-142
Texte intégral
1Meme engagé en politique, Merlin de Douai ne cessa jamais d’être avant tout un juriste ; ses prises de position et son parcours ne se comprennent que par l’évocation d’un passage à la Faculté de droit, ainsi que d’une expérience professionnelle et d’une déontologie acquises aux barreaux de Douai et de Paris. Le « caractère social » de Merlin, sur lequel nous reviendrons en conclusion, explique donc en partie son surprenant itinéraire politique. Même s’il peut étonner, ce long cheminement n’est d’ailleurs guère isolé et rappelle ceux de Berlier, de Boissy d’Anglas, de Cambacérès, de Defermon, de Garat, de Treilhard, de Sieyès, de Lanjuinais et de bien d’autres contemporains qui, des Etats généraux aux Cent-Jours, et parfois au-delà, occupèrent presque de manière continue des fonctions au sein des assemblées législatives ou des organes du pouvoir exécutif.
2Tous les hommes cités ci-dessus, excepté Sieyès et Cambacérès, avaient exercé sous l’Ancien Régime la profession d’avocat. Formés à l’école du droit, ils illustrent la montée de ces nouveaux hommes d’Etat, les juristes, qui allaient en grande partie orchestrer la vie politique de la France du XIXe siècle. Sous la Révolution et dans les années qui suivirent, ces avocats ont développé un véritable culte de l’ordre, et surtout de la loi, qui est devenu l’un des traits majeurs de l’esprit de 1795 ; afin de défendre leurs valeurs, ils ont souvent accepté de se plier aux événements et de soutenir des régimes parfois éloignés de leurs convictions, comme le gouvernement révolutionnaire ou l’Empire, dans lequel semble généralement s’éteindre leur engagement politique.
3Pour autant, il serait abusif de faire de l’itinéraire de Merlin le reflet de celui de toute une génération socio-culturelle ; il est même évident que les juristes furent profondément divisés par la Révolution. Leur culture et leur formation les préparaient à l’engagement public, quel qu’il soit, et non seulement au soutien des idées nouvelles1. D’ailleurs, sans même évoquer ici le cas des avocats notoirement hostiles à la Révolution, l’on peut remarquer que, si les parcours des hommes cités plus haut se ressemblent, ils sont loin d’être identiques et représentent même plusieurs voies politiques ; sous la Convention, Lanjuinais, Defermon et Garat furent proches de la Gironde, Merlin et Berlier collaborèrent avec la Montagne, tandis que Boissy d’Anglas ne quitta jamais les bancs de la Plaine ; sous la Convention thermidorienne, Merlin voulut se montrer inflexible envers les émigrés et les prêtres réfractaires, alors que Lanjuinais parla de clémence ; en 1804, Merlin et Treilhard approuvèrent la proclamation de l’Empire, alors que Berlier se prononça contre son établissement.
4Au-delà de ces divisions, tous ces juristes-révolutionnaires nous semblent cependant partager, outre un même pragmatisme, une commune sensibilité politique, forgée par l’expérience, qui leur fit considérer comme indispensable la Révolution, mais inutile et dangereux tout recours à la force populaire et toute volonté de subversion sociale. D’une certaine manière, les Merlin, les Lanjuinais, les Berlier et les Defermon appartiennent à une génération politique dont les choix, qui se rejoignent dans le rejet définitif du jacobinisme et l’attachement aux valeurs thermidoriennes, paraissent également élaborer la matrice politique et sociale d’un libéralisme moderne, mais tempéré par l’expérience révolutionnaire, qui allait donner aux libéraux de gouvernement du premier XIXe siècle quelques-unes de leurs idées force2. A cet égard, ils nous paraissent être les véritables auteurs de ce compromis politique et social, opéré sous le Consulat et l’Empire, entre l’héritage de l’Ancien Régime et celui de la Révolution.
Notes de bas de page
1 Nous développons cette idée dans notre article : « L’engagement public et les choix politiques des avocats, de l’Ancien Régime à la Révolution. Les exemples de Douai et Rennes », R.D.Nord, no 302, 1993, p. 501-527.
2 Sur ce point, nos conclusions rejoignent en grande partie celles de Christine Le Bozec. Voir notamment Le Bozec Christine, « Le républicanisme du possible : les opportunistes (Boissy d’Anglas, Lanjuinais, Durand-Maillane...) », A.H.R.F no 299 1995, p. 67-74.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Essai sur le philosémitisme catholique
Entre le premier et le second Vatican. Un parcours dans la modernité chrétienne
Olivier Rota
2012
La traversée France-Angleterre du Moyen Âge à nos jours
Stéphane Curveiller, Florence Hachez-Leroy et Gérard Beauvillain (dir.)
2012
Les religions dans le monde romain
Cultes locaux et dieux romains en Gaule de la fin de la République au iiie siècle après J.-C : persistance ou interprétation ?
Marie-Odile Charles-Laforge (dir.)
2014
Les archives Princières xiie-xve siècles
Xavier Hélary, Jean-François Nieus, Alain Provost et al. (dir.)
2016
Les Comtes d’Artois et leurs archives. Histoire, mémoire et pouvoir au Moyen Âge
Alain Provost (dir.)
2012
Mobilités et déplacement des femmes
Dans le Nord de la France du Moyen Âge à nos jours
Youri Carbonnier, Stéphane Curveiller et Laurent Warlouzet (dir.)
2019
Deux siècles de caricatures politiques et parlementaires
Pierre Allorant, Alexandre Borrell et Jean Garrigues (dir.)
2019