Écriture du futur et redistribution des cartes génériques dans deux romans britanniques contemporains : Cloud Atlas de D. Mitchell et The book of Dave de W. Self
p. 187-202
Texte intégral
« When Armageddon takes place, parking is going to be a major problem. »
J. G. Ballard, Millenium People (2003)
« L’imaginaire de la fin trahit une angoisse fondamentale : celle d’un univers que nous ne parvenons pas à maîtriser, celle d’un temps dont la science nous est tout aussi incertaine. »
J.-F. Chassay, Des Fins et des temps (2005)1
1On peut observer dans la littérature britannique contemporaine l’émergence d’un nombre important de romans dont la dimension la plus saillante est leur irréductibilité au carcan d’un genre. Depuis le tournant du XXe au XXIe siècle, des romans tels The Ice People de Maggie Gee (1998, non traduit), Oryx and Crake de Margaret Atwood (2003, Le dernier homme), Never Let Me Go de Kazuo Ishiguro (2005, Auprès de moi toujours), Cloud Atlas de David Mitchell (2004, Cartographie des nuages), The Book of Dave de Will Self (2006, Le Livre de Dave), ou The Road de Cormac Mc Carthy (2006, La Route) reposent sur un floutage des frontières génériques qui rend délicate la réduction à un genre, en particulier ceux de science-fiction ou de fantastique. Par ailleurs, ces romans sont généralement rattachés à la littérature « mainstream », ou littérature générale, et non à la paralittérature.
2Si la dimension ludique de l’inter-généricité est l’une des caractéristiques du roman post-moderne, ces textes s’émancipent cependant également de ce mouvement. Leur ancrage dans une réflexion sur la nature de l’humain et les évolutions/régressions du genre humain dans le contexte de la révolution de l’informatique et des bio-technologies leur confère une dimension sociale et politique qui mène aussi le lecteur vers une réflexion philosophique et éthique sur les perspectives induites par l’horizon d’une post-humanité dans le cadre de la globalisation à l’échelle mondiale.
3Cloud Atlas de David Mitchell et The Book of Dave de Will Self sont deux romans qui ont de nombreux points communs. Tous deux publiés dans les premières années du XXIe siècle (respectivement en 2004 et 2006), ils proposent une représentation d’un monde post-cataclysmique. Après une présentation rapide de chacun des romans et de leurs rapprochements, nous nous pencherons sur la construction d’une diégèse future qu’ils élaborent, et sur l’approche de l’humain, au sens de l’être humain mais aussi d’un point de vue social et politique, qui en résulte.
4Il s’agira donc, dans un premier temps, de s’intéresser à l’appartenance générique problématique de ces œuvres qui jouent sur les genres mais se jouent également d’eux et entrainent le lecteur dans un processus de dé-familiarisation qui s’apparente à l’hésitation fantastique sans pour autant se réduire à cette dernière. Par ailleurs, les deux auteurs nous introduisent à un monde post-cataclysmique, aspect qui n’est pas réellement novateur puisque le roman post-apocalyptique, les utopies, dystopies et autres uchronies ont bien souvent une visée eschatologique. Pour tenter de sérier les influences génériques, on s’attachera à la question d’un possible repérage du fameux « cognitive estrangement » (ou défamiliarisation cognitive), élément central de la définition de la SF par Darko Suvin2. Dans un monde qui tend coûte que coûte vers la globalisation, nous pourrons ensuite nous pencher sur la résistance de l’humain telle qu’elle apparaît dans ces fictions nourries d’une réflexion sociale, politique et philosophique.
Le meilleur des mondes post-cataclysmiques
5Commençons par un rapide tour d’horizon des diégèses. Cloud Atlas se compose de récits qui se suivent chronologiquement. Le premier adopte la forme d’un journal maritime écrit à la fin du XVIIIe siècle par un explorateur américain répondant au nom de Adam Ewing. Ensuite nous lisons les lettres d’un musicien, Robert Frobisher, des lettres qu’il a envoyées de Belgique au tout début du XXe siècle et dont le style et le contenu évoquent les écrivains du modernisme. Le troisième récit, écrit sur le mode du roman noir américain, nous narre les aventures de Luisa Rey, une journaliste américaine qui enquête sur un scandale financier dans les années 1970. Nous enchaînons avec une aventure picaresque, à la limite du non-sens et du grotesque, qui met en scène les pérégrinations de Timothy Cavendish pendant les années Thatcher. La rupture temporelle qui nous intéresse se produit après ce dernier épisode.
6Les deux derniers récits sont situés dans le futur. Tout d’abord, « An Orison of Sonmi̴451 » (L’oraison de Sonmi̴451), qui dépeint un futur orwellien où la troisième révolution industrielle a fait émerger une société caractérisée par l’assujettissement des clones et un contrôle de l’humain fondé sur la surconsommation et le règne du virtuel. Ensuite, nous découvrons le monde post-cataclysmique de Zachry, ou ce qu’il reste de l’humanité après le déluge et la montée des eaux qui ont détruit le monde post-humain de la narratrice Sonmi.
7The Book of Dave est également composé d’une suite de récits, mais contrairement à la chronologie d’abord linéaire de Cloud Atlas, sa structure repose sur un parallèle entre deux époques et deux personnages principaux : d’une part la vie de Dave Rudman, chauffeur de taxi à Londres à la fin du XXe siècle, et, d’autre part, les aventures de Carl, jeune homme originaire de l’île de Ham. Carl est à la recherche de son père, une quête qui se déroule dans un monde pré-industriel et post-cataclysmique situé dans le futur de Dave. Ce dernier devient le repère temporel qui délimite l’anté du post, le passé du futur, puisque les chapitres futurs sont annotés AD (ce qui signifie « After Dave », « après Dave »). Le livre mentionné dans le titre du roman va en effet fournir le lien entre ces deux périodes.
8Dave est un chauffeur de taxi qui sombre dans la dépression, puis la folie, à la suite de son divorce dans lequel il perd la garde de son fils Carl. Il en vient à penser qu’il est une sorte de prophète divin et qu’il doit écrire un livre dans lequel il couchera « The Knowledge » (La Connaissance), mais qui consiste en fait, pour une partie en une série d’itinéraires que tout chauffeur de taxi devrait connaître et, pour l’autre, en une suite de considérations misogynes et racistes écrites sur le mode de l’incitation à la violence et toutes liées à la vie familiale. Un fois gravé sur des feuilles de métal, il enterre son livre au cours de l’une de ses crises de délire et ce dernier va être déterré pour devenir le texte sacré sur lequel repose le monde féodal futur de Carl. Dans ce monde post-cataclysmique, The Book of Dave dicte coutumes, rites, et vision du monde. Cette « Bible » est censée contenir la somme des connaissances et du langage nécessaires à l’appréhension du réel.
9Premier point commun entre les deux romans : la nature du cataclysme. Une brusque montée des eaux détruit la vie qui ne persiste que sur quelques îlots isolés. Ce phénomène évoque immédiatement le Déluge biblique décrit dans la Genèse, une montée des eaux qui représente une tentative de purification symbolique avant le renouveau. Cependant, dans un roman du XXIe siècle, les figures tutélaires ne peuvent plus être le déclencheur d’un tel processus de tabula rasa : c’est désormais l’humanité, inconsciente des conséquences de la sur-industrialisation, qui déclenche le désastre écologique. Le déluge est toutefois à l’origine d’une renaissance qui s’inscrit dans une vision cyclique du temps. Ainsi, dans les deux romans, le cataclysme ne déclenche pas la fin du monde, mais la mort de la civilisation telle qu’elle existait, une civilisation mimétique de la nôtre, bien entendu3.
10Second point commun, l’intertexte religieux immédiatement repérable pour le lecteur, mais tout aussi rapidement détourné par les auteurs. Le déluge est par exemple appelé « The Fall » dans Cloud Atlas, mais cette « Chute » renvoie en fait à la disparition du monde post-capitaliste habité par le personnage de Sonmi. Le déluge est également présent par la référence à l’arche dorée de Papa Song, qui n’est plus le refuge qu’était l’arche de Noé, mais un abattoir où les clones sont recyclés4. Dans The Book of Dave, on repère le même phénomène. Le déluge mène à une sorte de renouveau mais ce dernier est fondé sur une connaissance et une compréhension pour le moins parcellaire et lacunaire du monde de Dave à la fin du XXe siècle. Ce roman relève en fait plus d’une satire de la religion où le logos perçu comme origine du langage et du monde est mis à mal par une figure christique totalement grotesque.
11Troisième point commun : l’endroit où la communauté humaine survit est une île, lieu clos et matrice potentielle, symbolique de l’origine d’un renouveau comme le veut la tradition de l’utopie. Son périmètre restreint permet d’introduire une réflexion sur la nouvelle organisation sociétale qui s’y met en place, dans la tradition de Robinson Crusoë, de L’Île du Dr Moreau ou de Sa Majesté des mouches5. Loin du développement urbain anarchique, les îles de ces deux romans (« Big I » et « Ham ») deviennent des microcosmes où une étude de l’organisation collective est possible.
12Quatrième point commun : la chronologie et la perception temporelle. Nos deux romans présentent des mondes post-cataclysmiques clairement ancrés à la fois dans le futur du lecteur et dans celui des personnages par divers procédés relativement classiques6 de la fantasy ou de la SF. Pourtant, la caractéristique commune de ces mondes futurs est de reposer sur des organisations sociétales archaïques. Celui de The Book of Dave est un monde féodal et dans Cloud Atlas, c’est une organisation tribale qui prédomine. La diégèse future nous ramène donc à des temps anciens, voire immémoriaux, ce qui induit une dynamique inversée. L’évolution n’est plus synonyme de progression graduelle et d’adaptation à l’environnement naturel. L’espace naturel devient au contraire la scène où se joue une rupture si profonde que le continuum temporel ne peut être maintenu. La fin des temps devient possible, et même si chacune des œuvres nie cette perspective en proposant une vision cyclique du temps sur le mode de l’éternel retour, cette dimension permet de remettre en question une vision progressiste et linéaire de l’Histoire.
Écrire des mondes futurs : fondations et déconstructions
13Ces romans reposent sur un phénomène de reconnaissance d’un monde familier dans lequel pourtant un certain nombre d’aspects introduisent de l’étrangeté. Reconnaissance et mise à distance simultanées, le même se mêle à l’autre, le connu au difficilement reconnaissable. Les mondes qui nous sont présentés reposent nécessairement sur une construction, des fondations qui se posent à la fois dans une logique de continuité et de rupture. Ces fondations vont permettre de poser un cadre, mais à peine le lecteur sera-t-il parvenu à l’appréhender, que le cadre est déconstruit, créant ainsi un sentiment de défamiliarisation.
14La dichotomie entre rupture et continuité est évidente si l’on se penche sur la structure des deux romans. La construction narrative de Cloud Atlas s’apparente à un palindrome : nous ne lisons d’abord que la première partie des cinq histoires qui précèdent chronologiquement le récit post-cataclysmique. Pour autant, le lecteur est amené à mettre en relation ces cinq épisodes incomplets par un certain nombre de détails qui lient les diégèses et les personnages entre eux. Le lecteur herméneute lit ensuite le récit post-cataclysmique, le seul qui soit complet, situé au cœur du roman. La structure narrative nous renvoie alors dans le passé puisque nous lisons la fin des cinq premiers épisodes dans l’ordre inverse, soit d’abord la fin du récit de science-fiction, puis celle de l’histoire qui se passe dans les années 1980, et ainsi de suite jusqu’à la conclusion du récit de voyage qui se déroule à la fin du XVIIIe siècle. La continuité doit donc être rétrospectivement reconstruite par le lecteur. Diégèse et temps historique ne s’inscrivent plus dans une progression linéaire de sorte que la perception du cadre narratif formé par les différents récits place le lecteur face à un tout marqué par la rupture et la fragmentation. Paradoxe complémentaire : le seul récit livré dans son intégralité est le récit central, à la fois le plus éloigné dans le futur projeté par ces diégèses enchâssées mais aussi le plus éloigné par rapport au monde des lecteurs, du fait de son organisation tribale archaïque.
15Dans The Book of Dave, le lecteur alterne entre des récits ancrés dans deux temps diégétiques distincts mais récurrents. La continuité structurelle apparaît assez rapidement grâce aux nombreux échos qui surgissent entre l’Angleterre de Dave à la fin du XXe siècle et le mode de vie des « Hamsters ». Contrairement à la dynamique narrative de Cloud Atlas qui nous ramène dans un cadre diégétique évoquant des stades antérieurs de développement social, dans The Book of Dave, c’est le retour du même qui saisit le lecteur. Les écarts entre les deux mondes diégétiques reposent sur des variations qui permettent rapidement à ce dernier de comprendre que le monde du futur constitue un reflet déformé et parcellaire de l’Angleterre dont nous sommes familiers.
16La tension entre rupture et continuité renvoie dans les deux romans aux fondements anthropologiques de la communauté humaine représentée, le futur étant chaque fois synonyme de retour vers des temps primitifs et archaïques, dans des mondes dont les fondations épistémologiques relèvent du mythe. Il s’agit donc de nier une vision positive de l’évolution traditionnellement perçue comme un nécessaire progrès. Ce déni repose sur une péripétie aux conséquences tragiques qui ne menace plus seulement le héros mais concerne la survie de l’espèce humaine. La structure aristotélicienne du récit n’apparaît pas ici en filigrane par hasard.
17Le retour au mythe et à la croyance a une incidence double dans ces romans. Le mythe et la croyance se substituent à la raison et à la connaissance car ces derniers ont été les déclencheurs du cataclysme. Dans le même temps, ce retour vers le mythe est présenté non comme une régression mais plutôt sur le mode de la résurgence d’un fond commun et universel, d’une fondation sur laquelle repose toute forme de communauté ou de civilisation. Il nous faut cependant distinguer ici entre les deux romans. De fait, la visée satirique de The Book of Dave construit une vision statique et pessimiste de l’humanité future tandis que, dans le roman de Mitchell, le substrat mythique devient la matrice commune de l’espèce humaine, un noyau qui peut permettre à la raison et à la conscience de reposer les fondements d’une approche humaniste.
18Le phénomène de défamiliarisation repose donc à la fois sur l’opposition entre l’épistémè du lecteur et le monde diégétique post-cataclysmique mais, paradoxalement aussi, sur le phénomène de déjà vu, de reconnaissance entre ces deux mondes, puisque le monde fictif est très clairement construit en miroir de notre monde. L’envers du fictif et l’endroit du réel se réfractent et cherchent à construire un sens pour le lecteur7. L’étranger et l’altérité reposent donc sur le familier et l’identité, et le sentiment de défamiliarisation8 concerne dès lors avant tout le lecteur, même si chez Mitchell il peut aussi s’étendre aux personnages. Écrire le futur revient donc à inviter le lecteur à se pencher sur sa propre réalité et ce d’autant plus que les personnages principaux des romans sont des figures de rebelle. Carl comme Zachry s’opposent à l’ordre établi et remettent en cause les croyances habituelles des communautés auxquelles ils appartiennent.
19Dans les deux mondes futurs, croyance et mythe ont été élaborés à partir du même type de contenu, un contenu sémantique : dans le roman de Self, il s’agit donc du « Livre de Dave » et chez Mitchell de l’oraison de Sonmi. Chaque fois, le langage fonde les mythes qui structurent la communauté, mais reste insaisissable pour des personnages qui pourtant se transmettent ce substrat de génération en génération. La langue de Sonmi est en effet une langue morte, qui rend l’oraison fondatrice incompréhensible et lui confère une dimension sacrée. Dans The Book of Dave, le texte « sacré » a disparu mais, dans la diégèse future, la nouvelle langue parlée s’est constituée à partir d’itinéraires utilisés par les « cabmen » londoniens, c’est-à-dire à partir d’un registre très spécifique et particulièrement limité. Par ailleurs, les fondations mythiques de ces communautés s’élaborent à partir d’une histoire individuelle et unique, celle de Dave ou de Sonmi. L’écart entre ces vies individuelles et leur destinée collective, lorsqu’elles acquièrent une dimension mythique, invite le lecteur à s’interroger sur le statut du récit dans les diégèses et au-delà. Dave représente une caricature assez transparente de Jésus Christ, ce qui invite le lecteur, le seul à avoir en mains un « livre de Dave », à envisager le texte biblique comme un mythe qui ne reposerait sur aucune vérité. Dans Cloud Atlas, de même, le lecteur est le seul à avoir lu l’oraison de Sonmi dans le chapitre qui précède le récit post-cataclysmique. Il s’agit bien, dans les deux cas, de présenter le mythe comme une fiction9 et d’inviter le lecteur à une réflexion sur la nature illusoire de toute croyance fondée sur le mystère. Les textes pourraient alors être comparés à des miroirs déformants tendus aux lecteurs qui, seuls, sont en mesure de saisir les correspondances entre fiction et réalité. Le lecteur herméneute serait ainsi invité à questionner ses propres fondements anthropologiques, les dangers et le pouvoir inhérents au langage et au récit lorsque ces derniers sont décontextualisés et induisent une perception partielle de la réalité, qu’elle soit passée, présente ou future.
Vers un renouveau de l’écriture de la fin ?
20Les romans de D. Mitchell et de W. Self participent d’un phénomène plus vaste qui caractérise le tournant du siècle. On peut en effet repérer un nombre substantiel de romans dont les diégèses présentent des évolutions possibles de l’humanité et de la planète dans le cadre de la troisième révolution industrielle, celle des biotechnologies et du numérique. Une partie importante de cette production littéraire met également en texte un cataclysme et ses conséquences sur les environnements humains et naturels. Ces romans reposent généralement sur une dynamique commune : le cataclysme est suivi d’une forme de renaissance, ce qui les rattache à la fois aux récits eschatologiques et à l’utopie. Certes, ce type de récit existe depuis que les hommes ont une conscience politique et les tournants de siècle semblent particulièrement propices à la résurgence d’écrits eschatologiques. La fin du XIXe siècle est un cas d’espèce. Cependant, les fins du monde de cette époque s’accompagnaient d’une disparition totale de l’humanité, tout comme, dans les années cinquante et soixante, la menace atomique10 engendrait la peur d’une destruction totale de la planète. Au contraire, notre tournant du siècle explore ce qui pourrait advenir après le cataclysme, et le « post » y est donc avant tout mis en scène.
21S’ils ne représentent pas le cataclysme, nos deux romans montrent l’après, et chaque fois, comme on l’a dit, les lendemains de l’humanité se caractérisent par un retour vers un stade primitif du développement de l’humain et de la société11. Cet intérêt pour l’après nous amène naturellement à nous interroger sur le statut générique de ces romans qui mettent en scène une post-humanité et une post-histoire, deux aspects qui peuvent relever de la science-fiction. Il nous faut donc, dans un premier temps, nous interroger à nouveau sur l’appartenance de ces textes au genre de la SF, avant d’étudier plus avant les spécificités de la double temporalité qui les caractérise.
22Si nous repartons de la définition la plus couramment convoquée, celle de Darko Suvin et du concept de « cognitive estrangement », nous sommes rapidement amenés à constater que les romans qui nous occupent ne peuvent être rattachés au genre de la SF dès lors que seule une partie du roman répond à la définition de Suvin12. On pense alors à la dimension utopique puisque, dans les deux cas, les auteurs nous présentent une société post-cataclysmique. Pourtant, là encore, le phénomène de défamiliarisation cognitive, au sens de Suvin, n’est pas le ressort principal des textes. La particularité de nos romans est qu’ils juxtaposent l’avant et l’après, c’est-à-dire une double temporalité diégétique. Dans cette double temporalité, il convient de préciser que le passé renvoie mimétiquement à un cadre de référence qui correspond à celui de la réalité du lecteur, tandis que le futur relève de l’affabulation, d’une fiction dans laquelle la science et les progrès technologiques ont cédé le pas à un monde pré-industriel. D’une certaine façon, la science perd le rôle central qui est le sien dans la SF, elle disparaît au moment du cataclysme qui déclenche la résurgence d’une autre epistémè, dont elle est exclue. Structure, narration, intertextualité et métatextualité sont ainsi mis au service d’une co-perception constante de deux spatio-temporalités, celle du futur post-cataclysmique de la fiction, qui pourrait devenir le futur du lecteur, et celle du monde réel du lecteur. Cette perception duelle est nécessaire à la réflexion politique présente dans ces romans ainsi qu’à l’effet qu’ils produisent sur le lecteur13 sans que, là encore, la dimension politique inhérente à ce type de textes ne soit une nouveauté. Si nos romans ne peuvent donc recevoir l’étiquette SF stricto sensu, ils en relèveraient en partie, tout en se servant de cette référence à la SF pour mettre en place une proximité problématique entre deux epistémè, cette proximité entraînant un pacte de lecture fondé sur la défamiliarisation.
23On pourrait avancer qu’un sentiment d’inquiétante étrangeté saisit le lecteur dès lors que les auteurs introduisent des indices, des fragments et des détails qui ne peuvent faire sens pour les personnages des diégèses, mais uniquement pour le lecteur. Pensons par exemple, dans The Book of Dave, aux reliques sacrées que les habitants de Ham trouvent échouées sur le sable et que seul le lecteur identifie puisqu’il s’agit de morceaux de plastique sur lesquels apparaissent les lettres mystérieuses suivantes : « Made in », « .com » ou « China ». De même lorsque Zachry et Meronym découvrent les vestiges d’un complexe scientifique, la focalisation est celle d’un personnage qui n’a aucun repère lui permettant d’identifier la nature d’un lieu qu’il décrit uniquement pour que le lecteur puisse, lui, le reconnaître. Ce processus de défamiliarisation qui vise le lecteur est par ailleurs renforcé par la perception du temps que les romans construisent. Le lecteur identifie les temps présentés dans la diégèse, qui s’apparentent à un passé pré-industriel, voire tribal, de l’humanité, comme étant, pourtant, des temps futurs. Le futur diégétique reflète alors le passé historique du lecteur.
24C’est donc peut-être, dans un premier temps, le pacte de lecture lui-même qui reposerait sur une reconnaissance par le lecteur, dans la fiction, d’une ligne interprétative qui relève du merveilleux, ou pour être plus précise, du numineux : le sacré relève en effet dans les deux romans de l’impossible à appréhender, d’une transcendance qui correspond donc à l’approche du sacré développée par Rudolf Otto (Das Heilige [Le Sacré], 1917). Cependant, c’est surtout le phénomène de co-perception de deux lignes interprétatives qui suscite un phénomène de défamiliarisation typique du fantastique. Par ailleurs, le traitement du temps est indissociable de la récurrence du motif de l’île devenue théâtre du futur. L’île est aussi potentiellement atemporelle, un lieu où une rupture de la chronologie peut se produire, à l’instar de l’intrigue du roman de Somoza, La Théorie des cordes (2006)14.
25Écrire le futur reviendrait ici à poser le postulat d’une segmentation du temps, d’une rupture de la continuité temporelle. Nos textes seraient en ce sens apparentés au roman post-moderniste, qui remet en question une vision linéaire et chronologique de l’H/histoire. L’évolution et le progrès cèdent le pas au retour du même et à la régression. Le temps « sagittal », selon l’expression qu’utilise Stephen Jay Gould pour décrire la perception linéaire du temps historique15, disparaît dans les romans pris en exemple, pour céder la place au temps cyclique, à la reproduction, au retour du même et à la circularité. La structure des diégèses (palindrome et récits enchâssés) y questionne l’Histoire et sa linéarité supposée de sorte que, pour reprendre les termes de Jean-François Chassay :
Le temps de l’après n’est plus vectorisé par le devoir de son accomplissement, messianisme et jugement dernier obligent, mais par une espèce d’impératif d’apparition/disparition qui le livre aux principes de l’anamorphose, quand ce n’est pas aux aléas du réversible.16
26Ce serait donc du côté de l’anamorphose et de sa dualité qu’il faudrait nous tourner pour trouver une figure parlante permettant d’évoquer l’écriture du futur dans la littérature britannique contemporaine. Si l’on considère que les romans reposent sur le principe de l’anamorphose, de la saisie simultanée d’une double temporalité, il s’agirait bien dans les deux cas, de mettre le lecteur en présence de deux perspectives, de deux regards17 dont la proximité peut entrainer différents effets. Dans le cas de The Book of Dave, l’anamorphose déclenche la visée satirique uniquement : le pacte de lecture nous met en présence de deux « réalités », le monde futur est le reflet déformé et grotesque d’une vision partielle et fragmentaire (celle de Dave) qui signale au lecteur quelles peuvent être les conséquences d’un monde qui se construirait sur des images ne faisant pas sens. Dans le cas de Cloud Atlas, la visée serait sensiblement différente du fait d’une structure narrative qui repose sur le principe d’une récurrence de l’histoire et de la fiction posés comme vecteurs de la résistance de l’humain. Mitchell donne en effet à la fable ou au mythos un rôle fondamental qui inscrit ce roman dans une perspective progressiste18.
27L’anamorphose proposée aux lecteurs pourrait donc expliquer le phénomène de défamiliarisation à l’œuvre dans ces textes. Ce ne serait plus le rapport à la science qui conditionnerait la dimension générique de ces textes mais plutôt le traitement de la fiction et de l’histoire. Les récits qui nous sont proposés s’inscrivent peu à peu dans un temps cyclique. Or, contrairement au temps sagittal qui relève du transcendant, le temps cyclique et le retour du même (ou du sensiblement identique) relèvent de l’immanent. Chez Mitchell, la circularité souligne la primauté de l’immanent, un immanent qui s’inscrit dans le roman par l’intermédiaire d’une quête, celle du lien entre les diverses singularités individuelles peuplant le monde naturel.
28Répétition, circularité, retour du même sont des principes fondateurs des romans britanniques post-cataclysmiques contemporains, mais il reste nécessaire de revenir sur un aspect laissé en suspens, c’est-à-dire le retour vers le passé, le fait que ces romans présentent un futur post-cataclysmique qui rime avec les origines de l’espèce humaine. Peut-on dès lors avancer une hypothèse, à savoir que ces textes proposeraient une réflexion commune portant sur le concept d’origine tel que Walter Benjamin le définit dans Origine du drame baroque allemand :
L’origine, bien qu’étant une catégorie tout à fait historique, n’a pourtant rien à voir avec la genèse des choses. L’origine ne désigne pas le devenir de ce qui est né, mais bien ce qui est en train de naître dans le devenir et le déclin. L’origine est un tourbillon dans le fleuve du devenir, et elle entraîne dans son rythme la matière de ce qui est en train d’apparaître. L’origine ne se donne jamais à connaître dans l’existence nue, évidente, du factuel, et sa rythmique ne peut être perçue que dans une double optique. Elle demande à être reconnue d’une part comme une restauration, une restitution, d’autre part comme quelque chose qui est là même inachevé, toujours ouvert19.
29Cette approche de l’origine a ceci d’intéressant qu’elle associe l’origine à un processus éternellement en cours, à un « toujours ouvert », et à un devenir qui naît du déclin, c’est-à-dire à la fois un retour du même (ce que Benjamin appelle « une restauration, une restitution ») mais aussi un potentiel d’altérité, d’écart et donc de renouveau. C’est pour ainsi dire ce que deux autres auteurs britanniques reconnus soulignent lorsqu’ils évoquent le rôle de la littérature contemporaine :
McEwan maintained that the nature of empathy is to see oneself as an other – and the basis for compassion and empathy is the imagination. […] Martin Amis echoed McEwan’s view, by arguing that « we » need to look beyond nationalisms, religions and ethnicities to develop further our « species consciousness ». [... in that perspective] an awareness of ourselves as members of a human community is not an intellectual construct […] but the natural outcome of our relationship to the natural world, not least because from the beginning, the existence of human beings as a species has demanded collaborative, socialized activity. Without it our survival as a species is simply inconceivable.20
30La « conscience de l’espèce » aurait donc émergé du fait de notre lien à un monde naturel qui nous définit et nous façonne. L’écriture contemporaine du futur transcenderait ainsi les catégories génériques en raison de sa portée philosophique et politique bien spécifique à l’heure de la globalisation21. Il s’agirait de réaffirmer la primauté d’une essence de l’humanité, non pas dans une perspective essentialiste bien sûr, mais pour susciter une telle « conscience de l’espèce », qui reposerait sur un sens du commun et du collectif échappant à l’ancrage temporel, et donc à l’Histoire et à ses grands récits. Réaffirmer la primauté d’une appartenance à un monde naturel fondamentalement hybride au sein duquel l’être social oublie parfois qu’il est lié au même et à l’autre, à la restauration et à l’éternellement différent, au « toujours ouvert ».
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Bibliographie
Corpus
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Parrinder Patrick (dir.), Learning from Other Worlds [Apprendre des autres mondes], Liverpool, Liverpool Univ. Press, 2000.
Sorlin Sandrine, La Défamiliarisation linguistique dans le roman anglais contemporain, Montpellier, Presses Universitaires de la Méditerranée, « Present Perfect », 2010.
Suvin Darko, Metamorphoses of Science Fiction [Métamorphoses de la science-fiction], New Haven et Londres, Yale Univ. Press, 1979.
— , « On the Poetics of Science Fiction » [Sur la poétique de la science-fiction], College English 34.3 (déc. 1972), p. 372-383, 2e édition dans Science Fiction : A Collection of Critical Essays, Mark Rose (dir.), Englewood Cliffs (NJ), Prentice-Hall, 1976, p. 57-71.
Notes de bas de page
1 Jean-François Chassay, Anne Elaine Cliche et Bertrand Gervais (dir.), Des Fins et des temps, Les limites de l’imaginaire, Figura, n° 12, Montréal, UQAM, 2005, introduction, p. 9.
2 Darko Suvin, Metamorphoses of Science Fiction [Métamorphoses de la science-fiction], New Haven et Londres, Yale Univ. Press, 1979, et « On the Poetics of Science Fiction » [Sur la poétique de la science-fiction], College English 34.3 (dec. 1972), p. 372-383, 2e édition dans Mark Rose (dir.), Science Fiction : A Collection of Critical Essays, Englewood Cliffs (NJ), Prentice-Hall, 1976, p. 57-71. « It was Darko Suvin who, in a bold and much quoted phrase from Metamorphoses of Science Fiction (1979), described utopia as the “sociopolitical subgenre of science fiction”. His classic 1972 essay “On the Poetics of the Science Fiction Genre”, together with the other pieces collected in Metamorphoses, brought the weight of modern critical theory to bear on the distinction between Sf and fantasy […] in the course of defining science fiction (and by extension, utopian writing) as the “literature of cognitive estrangement” », Patrick Parrinder (dir.), Learning from Other Worlds [Apprendre des autres mondes], Liverpool, Liverpool Univ. Press, 2000 « Introduction », p. 4. « C’est Darko Suvin qui, d’une phrase téméraire et abondemment citée, a décrit l’utopie dans Métamorphoses de la science-fiction comme le “sous-genre socio-politique de la science-fiction”. Son essai de 1972, qui fait figure de référence, ainsi que les autres textes rassemblés dans Metamorphoses, ont amené la théorie critique contemporaine à se pencher sur la distinction entre SF et fantasy […] dans une tentative de définition de la science-fiction (et par extension, de l’utopie) en tant que “littérature de la défamiliarisation cognitive” » (notre traduction).
3 Philippe Ney, « Post-atomique cinématographique : un futur conjugué au passé antérieur », Gianni Haver, Patrick J. Gyger (dir.), De Beaux lendemains ? Histoire, société et politique dans la Science-fiction, Lausanne, Antipodes, 2002, p. 108 : « Selon Lucian Boia, la fin du monde signifie prosaïquement “le changement radical, la restructuration globale. Elle ne fait que donner forme en même temps à son angoisse (que tout se dégrade) et à son espérance (que tout sera mieux)”. Ainsi elle prend souvent l’apparence d’une fin incomplète, c’est-à-dire celle de la civilisation et non celle de l’humanité dans son intégralité ».
4 David Mitchell, Cloud Atlas, London, Hodder and Stroughton, 2004, p. 357-360.
5 Daniel Defoe, Robinson Crusöe (1719), Herbert George Wells, The Island of Dr Moreau (1896), William Golding, Lord of the Flies (1954).
6 La datation des chapitres rend cet aspect explicite dans The Book of Dave, le caractère post-humain du récit de Sonmi dans Cloud Atlas est évident et le récit suivant (Slosha’s Crossing) évoque le monde de Sonmi sur le mode du passé. Il y aurait par ailleurs beaucoup à dire sur les transformations du langage dans ces mondes post-cataclysmiques. Voir à ce sujet Sandrine Sorlin, La Défamiliarisation linguistique dans le roman anglais contemporain, Montpellier, Presses Universitaires de la Méditerranée, « Present Perfect », 2010.
7 À ce sujet voir Jean-Michel Ganteau, « “This Empty Tale” : monstration de l’envers et dire politique dans How the Dead Live de Will Self », Études Britanniques Contemporaines, n° 34, juin 2008, p. 129-144. Dans cet article, on peut lire la citation de Self qui suit (p. 139-140) : « I have no fear of the world beyond sensible phenomena either, magical thinking is as integral a part of the mental life of modern Westeners, as it is of the life of traditional peoples, it’s just that it lies a few strata below the habitual humus of everyday life ». « Je ne redoute pas le monde de l’au-delà des phénomènes sensibles non plus, la pensée magique fait tout autant partie de la vie mentale des Occidentaux qu’elle fait partie de la vie des peuples traditionnels, c’est juste qu’elle se situe quelques strates plus en profondeur, sous l’humus habituel de la vie de tous les jours » (Notre traduction).
8 Nous touchons ici à un aspect générique complexe mais central puisque le processus de défamiliarisation cognitive que décrit Suvin rejoint, en terme d’effet pour le lecteur et, donc, dans le cadre d’une théorie de la réception, l’inquiétante étrangeté décrite par Freud au sujet de la nouvelle d’Hoffmann (L’inquiétante étrangeté, 1919). L’expression « inquiétante étrangeté » est reprise dans les écrits critiques relatifs à la théorie de l’effet fantastique, sans pour autant être cantonnée à une analyse et une approche psychanalytiques. Le terme anglais « uncanny », qui est utilisé dans la traduction de l’essai de Freud en anglais, est d’ailleurs en ce sens plus parlant.
9 Voir à ce sujet Hélène Machinal, « David Mitchell’s Cloud Atlas, from Post-modernity to the Post-human » [Cartographie des nuages de David Mitchell, du post-moderne au post-humain], Mitchell Studies, Ch. 6, Sarah Dillon (dir.), Gylphi Arts and Humanities, 2011, p. 126-153.
10 Voir à ce sujet l’article de Philippe Ney, art. cit.
11 David Mitchell évoque « the latent eschatologist, who is still morbidly concerned with the awful collapse of civilization » (« celui qui se penche sur la fin du monde, et dont les craintes morbides associées à l’horreur d’une disparition de la civilisation demeurent »), David Mitchell, Writer’s Talk [Parole d’auteur], Philip Tew, Fiona Tolan, Leigh Wilson (dir.), Londres, Continuum Series, 2008, p. 89. Il évoque aussi les causes d’une fin du monde : « On the bigger issues, I’m getting concerned that consumerism is destroying the ecosystem of our planet, and that apoliticism might be a form of passive suicide, a collaboration in the premature death of our children. I’m getting itchy to write a book that will try to disseminate this unease with where our species is blundering more explicitly than Cloud Atlas did » (ibid., p. 97). « Dans une perspective plus vaste, je m’inquiète de plus en plus d’une destruction de l’écosystème de notre planète résultant de la consommation, et d’un apolitisme qui pourrait être une forme de suicide passif, une façon de collaborer à la mort prématurée de nos enfants. J’ai de plus en plus envie d’écrire un livre qui essaiera de disséminer plus explicitement que Cloud Atlas cette inquiétude relative aux errances de notre espèce » (notre traduction).
12 D. Suvin, Metamorphoses of Science Fiction, op. cit., p. 7-8 : « SF is, then, a literary genre or verbal construct whose necessary and sufficient conditions are the presence and interaction of estrangement and cognition, and whose main formal device is an imaginative framework alternative to the author’s empirical environment ». « La SF est donc un genre littéraire ou une construction verbale dont les conditions nécessaires et suffisantes sont la présence et l’interaction de la défamiliarisation et de la cognition, et dont la forme principale est un cadre imaginaire alternatif à l’environnement empirique de l’auteur », (notre traduction). Carl Freedman ajoute une facette pertinente pour notre propos lorsqu’il module cette définition en y ajoutant la notion d’« effet cognitif » : « The crucial issue for generic discrimination is not any epistemological judgment external to the text itself or the rationality or irrationality of the latter’s imaginings, but rather […] the attitude of the text itself to the kind of estrangements being performed » Carl Freedman, Critical Theory and Science Fiction [La théorie critique et la science-fiction], Wesleyan University Press, 2000, p. 18. « L’aspect crucial dans la distinction entre les genres n’est pas le jugement épistémologique extérieur au texte lui-même ou le caractère rationnel ou irrationnel des projections imaginaires à l’oeuvre, mais plutôt […] l’attitude du texte lui-même par rapport au type de défamiliarisation qui se joue ». (Notre traduction).
13 Patrick Parrinder, op. cit., p. 6. : « Learning from other worlds is always a potentially political act as well as an adventure of disinterested cognition, as Galileo’s own struggle with the church testifies ». « Apprendre des mondes alternatifs est toujours un acte politique potentiel de même qu’une aventure de la cognition désintéressée, comme l’illustre la lutte de Galilée avec l’église » (notre traduction).
14 Voir l’analyse du roman que propose J.-F. Chassay, « Vies et morts d’un trait d’union. Le cas de la science-fiction », in Poétiques du zombie, S. Archibald et A. Dominguez Leiva (dir.), Otrante, n° 33-34, Paris, Kimé, 2013, p. 257-276.
15 « […] chacune de ces deux métaphores temporelles procède d’une grande perspicacité intellectuelle. Le temps cyclique, c’est la quête de l’immanence, et ce terme regroupe une somme de principes si généraux qu’ils sont extérieurs à la durée, dénotent un caractère universel et un lien commun entre les innombrables singularités de la nature. Le temps sagittal, c’est le grand principe de l’histoire, l’assertion selon laquelle la durée court inexorablement vers l’avant, ce qui fait qu’on ne peut, stricto sensu, se baigner deux fois dans la même rivière. L’histoire confère au tout une absolue unicité, alors que les principes intemporels ne peuvent gouverner que le fragmentaire et l’abstrait ». Stephen Jay Gould, Aux racines du temps [Time’s Arrow, Time’s Cycle, 1987], Paris, Grasset, 1990, p. 32.
16 Jean-François Chassay, art. cit., p. 11.
17 On retrouve une ambivalence similaire dans le pacte de lecture qu’Ishiguro propose au lecteur dans son roman Never Let Me Go. Voir H. Machinal, « Narrating monstrosity, reality versus virtuality in Ishiguro’s Never Let Me Go » [Raconter le monstrueux : réalité versus virtualité dans Auprès de moi toujours d’Ishiguro], Gothic N.E.W.S., vol. 1, M. Duperray (dir.), Paris, Houdiard, 2009, p. 332-344.
18 Voir Hélène Machinal, « David Mitchell’s Cloud Atlas, from Post-modernity to the Post-human », Mitchell Studies, op. cit.
19 Walter Benjamin, Origine du drame baroque allemand, Paris, Flammarion, 1974, p. 43-44 (nos italiques).
20 « Pour McEwan, la nature de l’empathie se définit par la capacité à se percevoir soi comme un autre (et l’imagination est le fondement sur lequel reposent empathie et compassion). […] Martin Amis fit écho à McEwan en avançant que “nous” devons dépasser les perspectives nationales, religieuses et ethniques pour développer davantage notre “conscience de l’espèce”, [… ainsi] la conscience que nous avons de nous-mêmes en tant que membres de la communauté humaine n’est-elle pas une construction intellectuelle […] mais l’aboutissement naturel de notre rapport au monde de la nature, ne fût-ce que parce que depuis l’origine, l’existence de l’espèce humaine repose sur la collaboration et la socialisation. Sans cela, notre survie en tant qu’espèce est tout simplement inconcevable ». Peter Childs, Contemporary Novelists, British Fiction since 1970 [Les romanciers contemporains, la fiction britannique depuis 1970], Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2005, p. 276. (Notre traduction.)
21 Les écrits de Fredric Jameson sont bien sûr fondamentaux pour développer cette perspective : voir F. Jameson, Archeologies of the Future [Archéologies du futur], Londres, NY, Verso, 2005.
Auteur
Université de Bretagne Occidentale, E. A. 4249 HCTI (Héritages et Constructions dans le Texte et l’Image)
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