Fiction linguistique ou linguistique-fiction ?
p. 89-103
Texte intégral
1Plutôt que de questionner les structures génériques « englobantes » des littératures de l’imaginaire au XXe siècle, fantastique, fantasy et science-fiction, nous souhaitons, dans cet article, tenter de saisir les problèmes et la problématique qu’elles posent en quelque sorte, par le bas ; c’est-à-dire ici par l’intermédiaire de ce qui pourrait nous apparaître comme un sous-genre ou une micro-catégorie générique. Est-il possible d’interroger et de délimiter les notions de genre dans les littératures de l’imaginaire en s’attaquant non à l’insoluble problème d’une définition des ensembles continentaux que sont les grands genres, mais à la question de ces régions ou domaines insulaires que seraient les sous-genres ?
2Évitant soft science fiction et hard science fiction, space opera et speculative fiction, utopie, contre-utopie et dystopie, heroic fantasy, light fantasy, dark fantasy, weird fantasy ou space fantasy, gothique et néogothique, cyberpunk, steampunk, chickpunk ou ribofunk, cet article prend appui sur l’étude du terme « linguistique-fiction », néologisme forgé en 1984 par la linguiste Marina Yaguello sur le modèle évident du terme science-fiction. Après avoir expliqué que « la linguistique est une chose trop sérieuse pour la laisser aux seuls linguistes »1 et que certains écrivains sont « sans aucun doute des linguistes plus vrais que les vrais car la langue n’est pas pour eux un simple objet d’analyse abstrait »2, elle fonde son terme en présentant l’un des romans qui, selon elle, « méritent le mieux le nom de linguistique-fiction »3 : La Race à venir (The Coming Race, 1871) d’Edward Bulwer-Lytton. Ce roman comporte effectivement un chapitre entier consacré au langage des habitants du monde souterrain, la langue vril. Pour M. Yaguello, ce qui fait de cet ouvrage un repère important dans l’élaboration de la linguistique-fiction, c’est qu’il serait bien le premier à bâtir « une extrapolation des acquis de la science linguistique de l’époque »4 en s’inspirant des travaux du philologue et mythologue Max Müller. Selon elle, le terme de linguistique-fiction s’accolerait donc à des ouvrages utilisant, dans la présentation d’une langue imaginaire, un apport linguistique scientifique, de manière explicite et peut-être même implicite.
3D’emblée, cette démarche pourrait poser un problème historique ; l’apparition d’une étiquette générique succédant forcément aux œuvres sur lesquelles on l’appose suppose bien qu’on puisse en donner un point de départ. Si l’on songe, en écho, aux discussions qui entourent la mention de ce qui serait le premier texte de science-fiction, on voit que la question est épineuse. Il faut peut-être ici se rappeler le commentaire a priori définitif de Jean Gattégno sur la science-fiction (« Il n’y a pas à proprement parler de science-fiction tant qu’il n’y a pas de science »5), pour se demander de quand dater la naissance de la linguistique. On attribue la formalisation du concept moderne de linguistique, en tant que discipline scientifique à part entière, distincte de la grammaire des langues ou de la philosophie du langage, à Ferdinand de Saussure, auteur du Cours de linguistique générale en 1915. Néanmoins, certains travaux des philologues du XIXe siècle, comme ceux de l’américain William Dwight Withney, sont indubitablement précurseurs de cette linguistique moderne. Par ailleurs, puisque certains débattent du premier texte de science-fiction en évoquant Lucien de Samosate (IIe siècle avant J. C.), ne pourrait-on pas faire remonter les sciences linguistiques aux questionnements relevant de la philosophie du langage et aux réflexions du Cratyle de Platon (IVe siècle avant J. C.) ? Cette question d’historicité relative reste, évidemment, ouverte mais provoque des interrogations.
4De la même façon que d’autres éléments significatifs d’une architecture du monde ou d’une société, la présentation d’une langue ou d’un langage crédible est bel et bien un passage obligé dans la construction de l’Ailleurs ou de l’Autre des littératures de l’imaginaire. Nous pouvons rappeler en passant l’affirmation de Ludwig Wittgenstein selon laquelle « les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde »6. Rares sont donc les utopies ou les récits de voyages imaginaires des XVIe-XVIIIe siècles à négliger cet aspect et les romanciers des voyages imaginaires ne se privent pas d’aborder le domaine linguistique en introduisant des langues imaginaires dans leurs récits.
5Dans L’Homme dans la Lune (The Man in the Moone, 1638) et L’Autre Monde ou Les États et Empires de la Lune (1649), Francis Godwin et Cyrano de Bergerac proposent des langages musicaux ou gestuels tandis que Gabriel de Foigny, avec La Terre australe connue (1676), et Denis Veiras – parfois aussi orthographié Vairasse –, avec Histoire des Sévarambes (1677), exposent leurs langues imaginaires avec un luxe de précisions quasi scientifiques (vocabulaire, syntaxe, prononciation, etc.). Simon Tissot de Patot, dans Voyages et Aventures de Jacques Massé (1710), se lance dans des tableaux de conjugaison de sa langue australienne. Le recours à l’invention linguistique devient un passage obligé du voyage imaginaire : Jonathan Swift, dans Les Voyages de Gulliver (Gulliver’s Travels, 1726), ne déroge pas à la règle avec, notamment, le langage des Houyhnhnms, et Giacomo Girolamo Casanova dans son Icosaméron (1788) évoque les Mégamicres dont la langue chantée se fonde essentiellement sur les voyelles. Le genre utopique, par ailleurs, n’est pas en reste : ses initiateurs, Thomas More et Tommaso Campanella, évoquent, bien que plus discrètement, d’autres langues.
6D’une certaine manière, comme nous l’avons sous-entendu à plusieurs reprises, le nœud de la question n’est pas tant dans la définition étroite du terme de linguistique que dans son utilisation. Lorsque M. Yaguello fait apparaître celui de linguistique-fiction, elle le forge explicitement sur le modèle de science-fiction. Cette ascendance sémantique n’est pas sans conséquences sur sa perception : le mot renvoie ainsi clairement à un genre littéraire dont la délimitation porte sur une convention traditionnelle, c’est-à-dire, si nous suivons Jean-Marie Schaeffer, sur le contenu sémantique du discours7. Pour simplifier, nous pourrions dire, sans a priori, que la linguistique-fiction serait un genre où des œuvres de fiction évoquent des thèmes ou des questions relevant du champ de la linguistique ou peut-être des sciences linguistiques.
7Comme nous l’avons dit précédemment, dans La Race future, la discussion linguistique se borne à un chapitre consacré à la description d’une langue inventée par le narrateur. Bien qu’intéressant par sa présentation d’une langue assez élaborée, et utile dans sa précision qui rend exotique et crédible le monde souterrain des Vril-ya, et bien qu’à l’instar d’un néologisme il renvoie au paradigme absent cher à Marc Angenot8, ce chapitre ne joue aucun rôle majeur dans le déroulement narratif. Supprimé, il ne briserait pas l’économie du récit. Pourrait-on alors, comme M. Yaguello, dire du roman qu’il est un ouvrage de linguistique-fiction ? À notre sens, l’œuvre d’E. Bulwer-Lytton se lit plutôt dans la continuité des inventions linguistiques précédentes que comme le point d’ancrage d’une véritable révolution dans la conception et l’utilisation littéraire des langues imaginaires.
8Dans un recueil de 2005 intitulé Uglossie9, Sandrine Sorlin utilise le terme de linguistique-fiction, tout en le présentant comme une nouveauté, et lui adjoint le terme bien plus ambigu de « langage-fiction »10 mais ne définit précisément ni l’un ni l’autre. Il faut attendre sa thèse pour voir apparaître la mention suivante pour des œuvres où « c’est le langage et son évolution qui sont placés au premier plan » : « Nous pourrions alors parler de “linguistique-fiction” (expression qui a le mérite d’entrer en écho avec la “science-fiction”, laquelle met en avant la science et non le langage) »11. Elle fait ensuite un point plus précis sur la définition du terme au sein du Dictionnaire International des Termes Littéraires que l’université de Limoges propose en ligne12. Reprenant dans sa présentation l’origine du terme (« This lexical proximity of linguistic fiction with science fiction suggests a tight link between the two genres »13), S. Sorlin propose de distinguer trois domaines relevant de la linguistique-fiction : les ouvrages extrapolant des théories linguistiques qui leur sont contemporaines (« Extrapolation from contemporary linguistic theories »14), des ouvrages présentant des langues inventées (« Invented languages : an old tradition renewed ? »15) et des ouvrages où c’est le texte même qui matérialise une altération linguistique (« Linguistic defamiliarisation : alteration of a familiar language »16). Elle précise pour finir que ces trois domaines ne sont pas forcément étanches les uns aux autres. S. Sorlin étend ainsi le champ présenté par M. Yaguello. Du point de vue de l’historicité linguistique, elle remonte à Denis de Vairasse, qu’elle intègre dans sa deuxième catégorie, aux côtés de Tolkien. Du point de vue de la généricité, elle étend le genre de la convention traditionnelle à la convention régulatrice17 avec son troisième groupement.
9Cette analyse n’est pas sans intérêt et pertinence mais, pour nous, elle renvoie encore, comme celles de M. Yaguello, à une question de critères génériques et définitoires. Le texte de S. Sorlin étant présenté en anglais, une interrogation nous paraît en effet fondamentale : l’expression linguistic fiction renvoie-t-elle en français au terme linguistique-fiction ou à l’expression fiction linguistique ? S. Sorlin nous apparaît fautive dans la présentation étymologique qui ouvre son article : « The term linguistic fiction as a literary genre is translated from the french linguistique-fiction ; it was coined on the English word science-fiction [sic] by Marina Yaguello in 1984 »18. Nous passerons sur la confusion franco-anglaise liée au tiret de science-fiction mais, concernant le terme qui nous occupe, l’erreur semble pour le moins patente et la différence est à la fois frappante et éclairante. En anglais, si l’on suit le modèle science fiction, ce n’est pas le terme linguistic fiction qui doit en effet être utilisé, linguistic n’étant bien qu’un adjectif et pas un nom. Une traduction du terme linguistique-fiction en anglais pourrait donc être plutôt, malgré son étrangeté, le néologisme linguistics fiction. Pour le coup, linguistic fiction se traduirait lui plutôt par fiction linguistique. Ceci posé, la distinction entre d’un côté un genre, la linguistique-fiction, et un élément caractéristique et typique, une fiction linguistique, se révèle, pour nous, beaucoup plus opérante19.
10L’insertion de langues imaginaires ou inventées, quelle que soit son degré de complexité, renvoie à la notion de fiction linguistique. En ce sens, nous pensons pouvoir dire qu’E. Bulwer-Lytton introduit dans son roman de science-fiction un élément relevant de la fiction linguistique, comme l’avaient fait avant lui les écrivains de voyages imaginaires et d’utopies et comme continuent à le faire après lui un grand nombre d’auteurs de textes de fantasy ou de science-fiction20.
11Toutefois, nous réserverons le terme linguistique-fiction à une catégorie spécifique d’ouvrages. La réunion d’une fiction linguistique et d’une volonté autoriale de réfléchir ou faire réfléchir sur un fait linguistique ou sur la langue ne suffit pourtant pas à caractériser, à notre sens, la linguistique-fiction. Il faut ajouter encore une dimension supplémentaire, constitutive à la narration romanesque elle-même : les langues imaginaires et les extrapolations linguistiques qu’elles proposent, imposent ou présupposent, doivent former le cœur de l’intrigue, de l’histoire ou de l’œuvre. Pour aller plus loin que S. Sorlin (« [l]oin d’être un simple instrument, le langage est donc le personnage principal de ces ouvrages »21), et pour paraphraser Walter Meyers lorsqu’il présente Les Langages de Pao (The Languages of Pao, 1957) de Jack Vance, il serait possible de dire qu’en linguistique-fiction la théorie ou l’idée linguistique n’est pas l’élément central de l’intrigue, c’est l’intrigue elle-même22. Un ouvrage de linguistique-fiction serait donc désigné par le fait qu’une question d’ordre linguistique forme sa matrice diégétique, indépendamment du rôle final des éléments linguistiques dans le récit.
12Pour éclairer notre propos, nous pouvons présenter quelques œuvres emblématiques du genre ainsi délimité. En 1957, Jack Vance écrit Les Langages de Pao dont l’intrigue s’élabore autour de l’idée qu’on peut changer un peuple en changeant sa langue, suivant en cela les travaux de sociolinguistique de Benjamin Sapir et Edward Lee Whorf. Pour changer une planète passive et dominée, des langues artificielles sont élaborées afin de produire des classes de combattants, de savants et de commerçants et de vastes enclaves linguistiques sont créées pour les enseigner. En 1966, Samuel Delany remporte le prix Nebula avec Babel 17 (Babel-17) dont l’intrigue repose sur une langue conçue par des extraterrestres, qui supprime toute notion de moi et modifie le comportement des êtres humains à qui elle est inculquée. L’écrivain britannique Ian Watson gagne le prix Apollo en 1975 avec L’Enchâssement (The Embedding, 1973), qui s’appuie sur le générativisme de Noam Chomsky et imbrique trois développements linguistiques distincts : des expérimentations secrètes menées sur des enfants à travers des langues artificielles conçues pour tester la perception du monde, la découverte d’une nouvelle langue amazonienne inspirée autant des procédés rousselliens que des théories chomskiennes, et l’apparition d’extraterrestres détenteurs d’une collection de langages récoltés à travers toute la galaxie, qui espèrent, leur collection complétée, déconstruire la structure de la réalité et partir au-delà. En 1992, c’est Le Samouraï virtuel (Snow Crash, 1992) de Neal Stephenson qui se construit sur une analogie audacieuse entre langues, programmation neuronale, mythologie sumérienne et virus informatique.
13Certains ouvrages, significatifs à nos yeux de ce que pourrait recouvrir le terme de linguistique-fiction, traitent moins de linguistique scientifique que de philosophie du langage. En 1938, La Grande Beuverie de René Daumal propose la traversée d’un monde imaginaire, ironique et onirique dont l’exploration du moindre recoin est l’occasion de s’interroger sur l’utilisation que nous faisons de notre langue. La dimension linguistique – mais aussi mystique et poétique – du roman est assurée dès un « Avant-propos pouvant servir de mode d’emploi » qui, par anticipation, semble faire écho aux Problèmes de linguistique générale (1966-1974) d’Émile Benveniste. Le roman hongrois Epépé (1970) de Ferenc Karinthy raconte l’histoire d’un linguiste hongrois en partance pour un congrès à Helsinki, qui se trouve accidentellement échoué dans une contrée inconnue dont la langue lui restera hermétique, ce qui le condamne à une terrifiante impuissance face aux événements. En 1997, La Maison muette (The Dumb House) de John Burnside répète, dans un contexte contemporain, l’expérience antique de l’isolement linguistique, qui serait susceptible de déterminer quelle est la langue naturelle de l’être humain et peut-être aussi de prouver la présence de l’âme23. En lien avec ces fantasmes de langues perdues et parfaites dont Umberto Eco a tiré un ouvrage fondamental24, nous pourrions citer ce qui serait peut-être pour nous le premier texte de linguistique-fiction, à savoir la courte nouvelle de Marcel Schwob intitulée « La Machine à parler » (1892) où une machine doit permettre à un savant fou de recréer le Verbe.
14À travers ce dernier exemple, il est par ailleurs intéressant de remarquer que le champ de la nouvelle reste un espace propice aux interrogations et suggestions de la linguistique-fiction, sa longueur moins contraignante permettant finalement de centrer un récit autour d’un élément frappant. Le sujet de la communication entre hommes et extraterrestres, bien que déjà évoqué par de nombreux romans25, a pu fournir à la linguistique-fiction un terreau fertile. « Le Don du bagout » (« The Gift of Gab », 1955) de Jack Vance, « Essayez de vous souvenir » (« Try to Remember », 1961) de Franck Herbert, « Voulez-vous parler avec moi ? » (« Shall We Have a Little Talk ? », 1965) de Robert Sheckley ou encore « L’Histoire de ta vie » (« Story of Your Live », 1998) de Ted Chiang explorent ainsi à différents degrés cette question éternelle. Sans qu’il faille forcément intégrer chacun des textes qui les utilisent à la linguistique-fiction, d’autres thèmes linguistiques sont aussi fréquemment exploités, comme le pouvoir de la dénomination (« Les Neuf Milliards de Noms de Dieu » [ « The Nine Billion Names of God », 1953] d’Arthur C. Clarke, « Le Système B.O.R.G.E.S » [1990)] de Jean-Claude Dunyach, « Soixante-douze lettres » [ « Seventy-Two Letters », 2000] de Ted Chiang, « Le Règne des apparences » [2002] de Bernard Werber) ou encore la recherche de nouveaux langages et d’autres langues (« Une Rose pour l’Ecclésiaste » [ « A Rose for Ecclesiastes », 1967] de Roger Zezlany ou « Les Yeux dans la nuit » [ « The Persistence of Vision », 1978] de John Varley). Comme on le voit avec la diversité des œuvres citées ici, le cadre de la linguistique-fiction n’est pas si aisé à définir et l’utilisation des thèmes présentés ci-dessus n’est pas une garantie de l’insertion de l’œuvre dans le genre. Par exemple, si une nouvelle comme « Kryptos » (2012) de Graham McNeill prend comme moteur la recherche et la capture d’entités qualifiées d’hôtes chiffreurs monolingues, le motif linguistique n’est finalement qu’un prétexte pour servir un très classique récit de science-fiction militaire.
15Nous pouvons d’ailleurs discuter de l’endroit où classer certaines œuvres particulières et emblématiques du domaine des langues imaginaires. Pourrions-nous dire que Le Seigneur des anneaux (The Lord of the Rings, 1954-1955) de John Ronald Reuel Tolkien ou 1984 (Nineteen Eighty-Four, 1949) de George Orwell sont des œuvres de linguistique-fiction ? Nous ne nions pas l’impact intellectuel, le rôle déclencheur ou l’importance structurante des langues des Terres du Milieu ou du novlangue de Big Brother. Ainsi, l’élaboration complexe des langues inventées joue un rôle primordial dans l’écriture des romans de Tolkien. Celui-ci n’a jamais hésité à affirmer que ses constructions linguistiques étaient à l’origine de sa création littéraire, le texte étant comme leur écrin. Toutefois, face à l’œuvre narrative achevée, l’existence et la présence de ces langues affectent-elle le déroulement du récit d’une manière réellement cruciale ?
16Pour Orwell, on sait que la question du novlangue, inspiré de ses réflexions sur le basic english d’Ogden et sur l’appauvrissement de la langue anglaise (notamment à travers le discours politique), est le cœur et le symbole d’un système synthétisant les régimes totalitaires. Présent à plusieurs reprises dans le récit, le novlangue se manifeste surtout dans l’« Appendice » qui clôt l’ouvrage sur une présentation de la nouvelle langue. Si l’on sait le rôle primordial qu’Orwell accorde à ce texte dans l’économie du roman (il en refuse ainsi la suppression lorsque celle-ci lui est demandée par son éditeur), on connaît aussi les portes de sortie qu’il offre à un récit désespéré. Ceci dit, sans le recours au novlangue et sans l’« Appendice » – d’ailleurs fréquemment passé lors de la lecture –, la perception du roman d’Orwell serait-elle totalement différente ? Comme le souligne Frédéric Regard, 1984 reste profondément ambigu en tant que roman. Au sens le plus usuel du terme, en tant qu’aventure d’un héros dotée d’un début (la révolte d’un individu, ou sa renaissance et donc sa naissance en tant que héros) et d’une fin (la mort du héros), le récit se lit à la fois simplement et abruptement. À aucun moment, le lecteur ne peut éprouver le besoin de se faire expliquer quelque chose, tout s’y déroule suivant un enchaînement implacable tenant à la fois de sa progression narrative et de la clarté de son univers. Et pourtant, dès les premières pages, le lecteur se trouve renvoyé à un appendice qui est à la fois le « couronnement d’une longue réflexion linguistique »26, mais aussi peut-être, dans une économie romanesque du texte, le point où l’idée principale de 1984 se fait la plus profonde et la plus menaçante, déplaçant la fiction du politique au linguistique, du discours au langage. L’appendice n’est pas un simple traité de grammaire et de syntaxe imaginaires. Est-ce pour autant le point focal d’où rayonne tout le texte ? L’élément qui en dirige toute la narration ? D’autre part, le lecteur de 1984 garde-t-il du livre l’impression ou l’idée que le novlangue en est l’élément le plus « important » ou le plus marquant ? Alors qu’il apparaît évident que le novlangue est une fiction linguistique complexe, sinon complète, l’appartenance du récit au genre linguistique-fictif nous paraît difficile à décider.
17Il semble aussi difficile de nier l’équilibre des forces dans le catalogue générique. Peut-on réellement, sans posture, traiter ces deux sommes autrement que comme des œuvres relevant d’abord de la fantasy, de l’heroic fantasy, ou de l’anticipation, de la dystopie ? Pour accroître ce sentiment d’indécision et de confusion – mais, après tout, nous parlons après Babel –, nous pourrions aussi évoquer le problème que pose la troisième catégorie présentée par S. Sorlin.
18Que dire effectivement de romans comme Surface de la planète (1959) de Daniel Drode, Orange mécanique (A Clockwork Orange, 1962) d’Anthony Burgess ou Riddley Walker (1980) de Russell Hoban, qui prétendent employer la langue même du temps où se place leur action27 ? Le lecteur oscille entre un texte de prime abord presque indéchiffrable et une prose lisible, mais sensiblement différente de celle en usage. D’une certaine façon, de telles œuvres se rapprochent indéniablement de fictions linguistiques. Cependant, en jouant sur la convention régulatrice plutôt que sur la convention traditionnelle, ces textes modifient l’approche générique suivie jusqu’ici. Pour parler en linguiste, le fait « linguiste fictionné » n’est plus le signifié mais le signifiant. Dans ce type d’exercice stylistique, la publication début 2011 de Ward (Ier et IIe siècles) de Frédéric Werst marque une nouvelle étape. Cet ouvrage, sous-titré roman, est une anthologie de textes des deux premiers siècles de la civilisation des Wards et présente la particularité d’être écrit en wardwesân ; ce qui le rend totalement incompréhensible. Un traité de grammaire et un dictionnaire, occupant les cinquante dernières pages de l’ouvrage, peuvent toutefois permettre au lecteur tenace d’apprendre réellement cette langue inventée. En regard du texte qu’il convient de juger, selon les termes de l’auteur, comme original, est donnée la traduction française28. Encore une fois, nous avons affaire à une fiction linguistique mais est-ce de la linguistique-fiction telle que nous avons proposé de la définir ? Nous pourrions peut-être distinguer deux types de linguistique-fiction, l’une de fond, correspondant à la convention traditionnelle, l’autre de forme, impliquant la convention régulatrice.
19Genre à la fois vivace et persistant, la linguistique-fiction peut paraître mineure par sa quantité mais se révèle particulièrement majeure dans ses thèmes. Les questions de la communication, de la langue et du langage forment un ensemble d’une importance évidente pour la littérature elle-même, offrant ce qui pourrait presque sembler l’un des rares genres « directement » métalinguistiques.
20Que dire à la fin de ce parcours ? Nos distinctions entre fictions linguistiques et linguistique-fiction, entre linguistique-fiction de forme et linguistique-fiction de fond, s’avèrent certainement opérantes au regard du flou initial entourant le genre. Néanmoins, elles soulèvent aussi d’autres interrogations, notamment en posant la question de la hiérarchie et de la contingence des genres et des sous-genres entre eux. La linguistique-fiction pourrait ainsi passer pour une « espèce d’espace » spécifique de la science-fiction. Cependant, nous rangeons dans notre catalogue de linguistique-fiction aussi bien des œuvres relevant spécifiquement des registres de la littérature d’anticipation, avec le space opera, la fiction spéculative ou le cyberpunk, que celles s’inscrivant dans d’autres genres des littératures de l’imaginaire (le voyage extraordinaire, l’utopie, le fantastique moderne ou le conte contemporain) ou n’en dépendant même pas – le roman policier ou le thriller. Il est clair que la linguistique-fiction, se distinguant de son supra-modèle science-fictif, est un genre transversal, convoquant des œuvres spécifiques, et souvent atypiques, que ce soit dans la logique des genres paralittéraires ou dans une certaine forme de littérature mainstream. Il faut rappeler aussi que l’identification générique ne peut être que le résultat du choix du niveau où on l’appréhende.
21Ainsi, on ne peut nier que, confrontée à « ce vieux problème du catalogage »29, « l’apposition de l’étiquette »30 relève d’un choix partisan qui peut découler à la fois du défi ludique, de la nécessité critique, d’un besoin pour le lecteur et d’une exigence pour l’éditeur. Face aux termes apparaissant de jour en jour, nous devrions donc nous contenter, comme nous avons tenté de le faire ici, de regarder sous les mots.
22Pour conclure d’une façon plus ouverte et moins déceptive, nous aurions souhaité rapprocher deux citations. La première d’entre elles vient de la suite des Aventures d’Alice au pays des merveilles (Alice’s Adventures in Wonderland, 1865), « le plus linguistique des ouvrages de fiction »31 ; la seconde, moins répétée, est un échange entre un être humain et un extraterrestre que Jack Vance place dans « Coup de grâce » (« Coup De Grace », 1958), nouvelle proposant une intrigue policière dans le cadre d’un voyage spatial.
« Bien entendu, ils répondent à leurs noms ? » demanda négligemment le moucheron.
« Je n’ai jamais entendu dire qu’ils faisaient cela. »
« À quoi leur sert d’avoir des noms, demanda le moucheron, s’ils ne répondent pas à ces noms ? »
« À eux, ça ne leur sert à rien, dit Alice ; mais c’est utile, je le suppose, aux gens qui les nomment. Sinon, pourquoi les choses auraient-elles des noms ? »32
« Vous autres humains, vous êtes de plaisants animaux. Chacun a son nom particulier. Moi, je sais qui je suis – pourquoi me coller une étiquette ? C’est une idiosyncrasie, ce besoin d’affixer un son sur chaque réalité.
— Nous aimons savoir de quoi nous parlons […]. C’est ainsi que nous fixons les objets dans notre esprit : par leur nom.
— Et par là vous vous privez de grandes intuitions. »33
23C’était là notre propre coup de grâce puisque, comme J.-M. Schaeffer l’a déjà montré, il nous est impossible à nous, êtres humains, de nous passer du genre lorsque nous nous confrontons à la Littérature.
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Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Marina Yaguello, Alice au pays du langage, Paris, Seuil 1981, p. 14.
2 Ibid., p. 14.
3 M. Yaguello, Les Fous du langage, Paris, Seuil 1984, p. 67. Cet ouvrage a été réédité dans une version légèrement augmentée en 2006 sous le titre Les Langues imaginaires : mythes, utopies, fantasmes, chimères et fictions linguistiques.
4 Ibid., p. 67.
5 Jean Gattégno, La Science-fiction, Paris, Presses Universitaires de France, 1971, p. 5.
6 Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus [1918], Paris, Gallimard, 1999, p. 86.
7 Cf. Jean-Marie Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ?, Paris, Seuil, 1989.
8 Marc Angenot, « Le Paradigme absent », Poétique, n° 33, février 1978, p. 74-89.
9 Nous notons que ce néologisme, pourtant apparemment transparent pour le littéraire, n’est cependant clairement défini ou explicité ni dans l’« Avant-propos » de Raymond Trousson (Uglossies, Françoise Sylvos, dir., Saint-Denis, Université de La Réunion, 2005, p. 7-12), ni dans la « Préface » de Françoise Sylvos (ibid., p. 13-15). À la lecture de ces deux textes, on peut supposer qu’il désigne une utopie linguistique ou, tout au moins, l’apparition d’une langue imaginaire dans un cadre utopique. On peut ajouter que cette langue serait entrevue évidemment comme aussi parfaite que le monde qui l’a vu naître (la mention par Trousson du terme « dyglossie » s’appliquant alors à une dystopie linguistique ou à un langage inventé présenté dans une dystopie pourrait d’ailleurs conforter cette interprétation…). Pour une autre approche de cette imprécision, nous renvoyons à la recension de l’ouvrage par Romain Vaissermann, « Uglossies », Acta Fabula, octobre 2006 (volume 7, numéro 5), http://www.fabula.org/revue/document1657.php (12 octobre 2012).
10 Sandrine Sorlin, « La Linguistique-fiction dans la littérature anglaise du XXe siècle : notes sur Orwell, Burgess, Hoban et Golding », in Françoise Sylvos (dir.), Uglossies, op. cit., p. 123-135, p. 123.
11 Sandrine Sorlin, Des utopies linguistiques aux langues fantastiques : les cas de Orwell, Burgess, Hoban, et Golding, thèse soutenue en 2006 sous la direction de Frédéric Regard et Jim Walker, ENS Lyon, p. 23. Toutefois, le regroupement d’œuvres auxquelles elle applique ces dénominations paraît relativement hétérogène, ne concordant pas, dans tous les cas, avec le critère choisi par Yaguello.
12 Sandrine Sorlin, Article « Linguistic fiction », http://www.flsh.unilim.fr/ditl/linguistic%20fiction.doc (12 octobre 2012). Les traductions suivantes sont de nous.
13 Ibid. « Cette proximité lexicale entre linguistique-fiction et science-fiction [nous rétablissons les tirets d’usage] suggèrent un lien étroit entre les deux genres ».
14 « Extrapolation à partir de théories linguistiques contemporaines ».
15 « Langues inventées : une ancienne tradition remise au goût du jour ? ».
16 « Défamiliarisation linguistique : l’altération d’une langue usuelle ».
17 Nous nous référons ici aux mises au point opérées par Jean-Marie Schaeffer dans Qu’est-ce qu’un genre littéraire ? qui distinguent trois conventions régulant le lien d’une œuvre à ce qui est perçu comme son genre ; à la notion de convention traditionnelle – opérant sur le contenu sémantique – s’ajoutent, dans le cas du roman par exemple, la convention constituante (nécessaire au repérage même de l’œuvre en tant que telle), et la convention régulatrice, qui concerne les contraintes formelles à respecter par une œuvre pour s’inscrire dans un genre donné. Ces deux dernières ne sont pratiquement, dans la majorité des œuvres que nous utilisons, ni contestées ni différenciées.
18 Sandrine Sorlin, « Linguistic fiction », op. cit. Notre traduction : « Le terme linguistic fiction, envisagé comme un genre littéraire, est une traduction du français linguistique-fiction, terme forgé à partir de l’anglais science-fiction [sic : science fiction] par Marina Yaguello en 1984 ».
19 Nous précisons ici qu’en travaillant dans le domaine littéraire nous excluons les langues imaginaires ou inventées à d’autres fins qu’artistiques. Si cette catégorie peut comprendre toutes les langues inventées à des fins progressistes, comme l’espéranto (1887), elle peut aussi comprendre des projets plus atypiques comme, de manière emblématique, l’incroyable œuvre linguistique de Jean-Pierre Brisset.
20 Nous délimitons ainsi un champ d’études riche et spécifique, développé dès les années trente par Émile Pons qui publie plusieurs articles dans la Revue de Littérature Comparée sur les langues imaginaires dans le voyage utopique et introduit l’idée somme toute novatrice d’étudier le versant purement linguistique de ces créations de fiction dans « Swift créateur linguistique : à propos du Lilliputien » ; une idée dont l’intérêt semble avoir été vite compris puisque, en 1980, l’universitaire américain Walter Meyers publie à son tour un ouvrage consacré à la question du langage dans la science-fiction avec Aliens and Linguistics. Language Study and Science Fiction [Les extra-terrestres et la linguistique : études du langage et science-fiction]. Excédant les simples langues issues de fictions, l’ouvrage de référence de Paolo Albani et Berlinghiero Buonarrotti, le Dizionario delle lingue immaginarie [Dictionnaire des langues imaginaires], paru en 1994 en Italie, propose, lui, un recensement consistant.
21 Sandrine Sorlin, « La Linguistique-fiction dans la littérature anglaise du XXe siècle : notes sur Orwell, Burgess, Hoban et Golding », art. cit., p. 123.
22 Walter Meyers, Aliens and Linguistics. Language Study and Science Fiction, Athens (USA), University of Georgia Press, 1980, p. 166.
23 Pour plus de détails, se reporter à Jérôme Dutel, « Figures du monstre : créateur et créatures dans The Dumb House (1997) de John Burnside », article mis en ligne dans le premier numéro des Cahiers du CELEC, Les figures du monstre : regards croisés dans la culture occidentale, décembre 2010 <http://cahiersducelec.univ-st-etienne.fr>.
24 Umberto Eco, La Recherche de la langue parfaite dans la culture européenne [La Ricerca della lingua perfetta nella cultura europa, 1994], Paris, Seuil, 1997.
25 Tels En Terre étrangère [Stranger in a Strange Land, 1961] de Robert A. Heinlein, L’Étoile et le fouet [Whipping Star, 1970] de Franck Herbert, voire peut-être Solaris [1961] de Stanislas Lem.
26 Frédéric Regard, 1984 de George Orwell, Paris, Gallimard, 1994, p. 25.
27 Il serait possible aussi de se demander de quelle manière intégrer à cette catégorie des ouvrages fort voisins dans la démarche comme Mémoires de la jungle (2010) de Tristan Garcia où la parole est donnée à un singe éduqué et formé à la langue humaine ou Pygmy (2009) de Chuck Palahniuk, rédigé dans un anglais approximatif et « parasité ».
28 Pour une analyse plus précise, il est possible de se reporter à Jérôme Dutel, « Un roman français ? Ward (Ier et IIe siècles) de Frédéric Werst (2011) », Recherches en Langue et Littérature Françaises n° 10 (année 6), Université de Tabriz (Iran), automne-hiver 2012, p. 41-48.
29 Chris Moriarty « Confessions d’une hardeuse de la SF… » (Hard SF, 2005), Science-fiction 2007, Paris, Bragelonne-SF, 2007, p. 101-124, p. 116.
30 Ibid., p. 106.
31 Claude Hagège, L’Homme de paroles [1985], Paris, Gallimard, 1986, p. 169.
32 Lewis Carroll, De l’autre côté du miroir et ce qu’Alice y trouva [Through the Looking-Glass and What Alice Found There, 1871] in Œuvres (t. 1), Paris, Robert Laffont, p. 119-217, p. 155.
33 Jack Vance, « Coup de grâce » [ « Coup De Grace », 1958] in Les Mondes de Magnus Ridolph, Paris, Presses Pocket, 1982, p. 161-190, p. 184.
Auteur
Université Jean Monnet, IUT de Roanne, E.A. 3069 CELEC (Centre d’Études sur les Littératures Étrangères et Comparées)
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