Qui assistait à un accouchement en France entre 1530 et 1630 ?
p. 33-49
Texte intégral
1La gravure qui figurait en tête du quatrième chapitre de la version allemande du Rosengarten d’Euchaire Rösslin‚ en 1513‚ fournit une image des accouchements pendant la Renaissance qui a acquis une valeur emblématique : nous y apercevons une sage-femme et une autre femme (celle-ci est-elle parente‚ amie‚ voisine ?) qui aident la parturiente‚ assise sur une chaise percée1 (fig. 1). Ce manuel‚ composé par un médecin allemand‚ circulait dans bien des pays de l’Europe ; il était‚ par ailleurs‚ traduit en plusieurs langues2‚ et les versions anglaises et françaises devaient être réimprimées pendant plus d’un siècle3. On serait donc tenté de croire que cette scène représente un accouchement « typique » ‚ Cependant‚ il est fort probable que Rösslin lui-même‚ en tant qu’homme de l’art du tout début du XVIe siècle‚ n’avait jamais assisté à un accouchement normal‚ et ne faisait donc que reproduire des informations de seconde main‚ livresques‚ et bientôt – à l’époque des découvertes anatomiques de Vésale‚ Charles Estienne‚ ou Fallope – surannées. Si nous souhaitons découvrir qui assistait à un accouchement au XVIe siècle en France‚ nous devrons donc faire preuve d’une certaine prudence devant cette gravure allemande‚ aussi répandue fût-elle‚ en nous interrogeant sur plusieurs détails de cette scène. Seules une sage-femme et une autre femme étaient-elles présentes aux accouchements ? Les hommes‚ par ailleurs‚ en étaient-ils toujours exclus ? Et quelles évolutions peut-on constater au cours de la période 1530-1630‚ c’est-à-dire avant la mise-au-point du premier forceps obstétrical – cet instrument étant fortement lié par la suite avec la présence du chirurgien-accoucheur4 ?
2Nous proposons de répondre à ces questions en nous penchant sur les indications que nous avons relevées dans les traités d’obstétrique imprimés en langue française avant 16305. La plupart parmi ceux-ci sont écrits par des hommes de l’art‚ quelques-uns par des chirurgiens ; une seule sage-femme‚ Louise Bourgeois‚ réussit également à se faire publier – la première en Europe. En dépouillant une vingtaine de textes qui ont paru pour la première fois entre 1530 et 1630‚ nous avons étudié tous les passages où un auteur indique la présence de telle ou telle personne pendant l’accouchement‚ soit pour exercer son métier (sage-femme‚ garde‚ nourrice‚ servante ; chirurgien‚ médecin‚ apothicaire‚ prêtre)‚ soit pour soutenir la parturiente (ami(e) s‚ parent(e) s‚ voisines)‚ soit comme simples témoins ou « assistants » (comme on les appelait le plus souvent). Nous verrons que ces données nous amèneront‚ d’une part‚ à remettre en question‚ du moins pour le cadre de Paris‚ l’idée selon laquelle une sage-femme présidait seule à tout accouchement naturel/normal‚ aidée éventuellement par une autre femme. Cela nous permettra‚ d’autre part‚ de mieux découvrir l’émergence des premiers chirugiens-accoucheurs‚ dont Jacques Gélis‚ a signalé la présence dès les dernières décennies du XVIe siècle pour le Nord de la France‚ tout en constatant qu’ils ne s’imposent à Paris pour les accouchements normaux que vers la fin du XVIIe siècle6.
Un chirurgien – et bien d’autres gens – admis lors d’un accouchement « contre nature »
3Quelques distinctions s’imposent au préalable‚ avant de nous concentrer sur le cas qui semble le plus intéressant‚ l’accouchement naturel/normal‚ dans les familles des élites – familles plutôt aisées ou nobles – à Paris au XVIe siècle finissant‚ ou dans les premières décennies du siècle suivant. Dans un premier temps‚ signalons que tout au long de cette période nos auteurs reconnaissaient une distinction binaire entre ce qu’ils appelaient un accouchement « naturel » – que nous dirions plutôt aujourd’hui « normal »7 – (le cas majoritaire)‚ et la minorité des autres accouchements‚ dits « contre-nature » ‚ c’est-à-dire‚ difficiles‚ laborieux‚ ou bien des naissances assistées (allant parfois jusqu’aux césariennes)8‚ voire ceux où la mère mourait en couches. Ces accouchements « contre-nature » ‚ bien que beaucoup plus rares‚ occupent néanmoins une place prépondérante dans les traités médicaux‚ puisqu’ils exigeaient des connaissances spécifiques. Or‚ personne ne contestait la présence d’un chirurgien – ou parfois d’un médecin – dans de tels cas. Ainsi Charles Estienne explique-t-il en 1545 comment extraire un fœtus mort afin de sauver la vie de la mère :
Quoy faict‚ courbons la femme en arriere‚ et la posons sur le dos : puis eslisons deux aydes qui luy tiennent de costé et d’aultre les cuisses‚ qu’elle ne les puisse varier ça ne là : et prenons lesdictz aydes et ministres de telle qualité‚ qu’ilz ne se puissent esmouvoir si facilement pour lascher leur prinse‚ soit en oyant les cris et lamentations de ladicte patiente‚ ou soit pour la veue des choses qu’ilz ne leur sont accoustumées.9
4Qui sont ces deux aides ? Sans doute des hommes forts‚ choisis par le chirurgien‚ qui devait pourtant cacher sa main sous un drap « sans que les assistans en puissent avoir aulcune fascherie ou compassion pour raison d’ennuyeulx spectacle »10. S’agit-il du mari‚ de parents‚ de voisins‚ voire de simples domestiques ? Charles Estienne ne fournit aucune indication. Presque quarante ans plus tard‚ en 1582‚ le médecin Jean Liébault préconise le même procédé lorsqu’un chirurgien est appelé à extraire un fœtus mort ou vivant‚ en précisant qu’on employera des « serviteurs »11 :
[La mère] sera tenue par serviteurs forts et puissans à fin qu’elle ne se mouve çà et là : on luy couvrira sa nature‚ à fin qu’elle soit plus honestement et que la matrice ne soit offencée de l’air exterieur.12
5De même‚ en 1581‚ citant des exemples de césariennes qui avaient sauvé la vie de la mère‚ François Rousset‚ homme de l’art également‚ veut que la mère soit « soustenue doulcement par gens familiers‚ forts et courageux ». Pour les accouchements difficiles (qu’on appellerait aujourd’hui « assistés »)‚ on avait donc l’habitude de faire appel à plusieurs hommes pour soutenir la patiente‚ tout comme‚ d’ailleurs‚ on le faisait pour la lithotomie (intervention chirurgicale consistant à couper la pierre dans la vessie) courante à cette époque.
6S’il s’agissait d’une intervention rare‚ on relève parfois la présence d’autres témoins ou « assistants » ‚ qui n’assumaient pas de rôle direct. C’est notamment le cas dans les récits de Rousset‚ qui aime préciser qui était présent à telle ou telle césarienne pour que le lecteur se fie à ses récits. Par exemple‚ il constate que Bernarde Arnoul fut accouchée en 1556 par un jeune chirurgien : « és presences de plusieurs‚ aucuns desquels sont (encor comme luy) tesmoings de ce fait »13. Un autre médecin‚ Jacques Duval‚ se souvient en 1612 que‚ petit enfant‚ il avait été amené par son père (lui aussi médecin) assister à deux interventions césariennes :
Je l’avois veu deux fois pratiquer en pareil cas‚ sous Monsieur Duval mon pere Docteur en Medecine : qui curieux de mon advancement ‚ me faisoit assister aux operations qu’il estimoit rares‚ deslors que petit enfant‚ j’estudiois encore aux premieres lettres humaines.14
7Des femmes pouvaient-elles remplir les mêmes fonctions que des hommes lors d’une naissance difficile ou assistée ? Nous verrons plus loin qu’il n’est pas rare qu’au moins deux femmes soutiennent la mère alors que la sage-femme préside. Jacques Duval‚ comme bien d’autres‚ veut que la parturiente essaie de marcher pour accélérer le travail‚ en ajoutant : « Si la force n’est telle qu’elle puisse marcher seule‚ elle sera supportée sous les bras‚ par deux fortes femmes qui la tiendront de chacun costé »15. Mais pour les naissances assistées‚ les femmes ne peuvent servir‚ à son avis‚ qu’à condition de ne pas être trop timides : « Puis garni que [le chirurgien] sera d’hommes pour le servir‚ ou de femmes fortes qui ne soyent trop timides‚ il donnera ordre que les huis et fenestres soient closes et fermees »16.
8Vers le début du XVIIe siècle‚ au moins dans les familles nobles ou aisées‚ il devient de coutume à Paris d’appeler plusieurs chirurgiens et même plusieurs médecins au cas où un accouchement s’avère difficile ou dangereux‚ selon les indications fournies par Jacques Guillemeau – chirurgien – et Louise Bourgeois – sage-femme. Prenons un exemple chez Guillemeau‚ où nous retrouvons une sage-femme‚ trois médecins‚ un apothicaire et deux chirurgiens :
L’an 1603‚ Mlle Danzé‚ ou Chece‚ fut surprise estant en son travail‚ d’un pareil flux de sang‚ qui lui dura depuis le matin jusqu’à huict ou neuf heures du soir‚ estant assistée de Mme Boursier‚ sage-femme de la Royne. Messieurs le Fevre‚ Riolan‚ le Moine‚ docteurs régens en la Faculté de Medecine à Paris‚ et M. de St-Germain‚ maistre apothicaire‚ furent appellez pour la traicter : et comme elle perdoit son sang‚ appellerent Monsieur Honoré Chirurgien du Roy‚ lequel ne voulant rien attenter sans mon avis‚ l’on me manda quérir‚ et soudain que je fus arrivé‚ mon opinion fut avec celle de la compagnie de l’accoucher : ce qui fut faict par ledict Honoré‚ l’enfant estant vivant.17
9Dans d’autres cas‚ Guillemeau ne néglige pas non plus les « assistants » ‚ en précisant que‚ lors de l’accouchement d’une grande dame (qu’il ne nomme pas) en 1600‚ les quatre médecins et les deux chirurgiens avaient consulté les « parens et amys » avant de l’accoucher d’urgence18. De même‚ Louise Bourgeois précise que lorsqu’elle arriva auprès d’une dame très faible qui s’éteignait (on apprend ensuite qu’elle portait « un mauvais germe »)‚ la sage-femme envoya quérir le mari‚ le médecin‚ l’apothicaire‚ les voisines‚ et le prêtre. Pour des raisons sociales‚ familiales‚ religieuses‚ mais aussi pour se protéger contre toute plainte éventuelle de négligence professionnelle‚ si l’on craignait que la mère ne meure en couches‚ les sages-femmes‚ comme les chirurgiens et les médecins‚ préféraient que l’accouchement se déroule devant des témoins. Même dans des cas moins graves‚ vers 1600‚ nous constatons‚ en somme‚ que pour un accouchement qui s’annonçait « contre-nature » ou qui serait assisté‚ chez les familles des élites parisiennes‚ on comptait facilement une dizaine de personnes présentes19.
L’exception à la règle que constituait une naissance royale
10Une naissance royale‚ surtout celui d’un dauphin éventuel‚ se distinguait de tout autre accouchement du royaume puisque la tradition voulait qu’un certain nombre de princes du sang (et‚ éventuellement‚ leurs épouses) soient présents pour empêcher toute tentative de substitution d’un héritier. Nous avons étudié ailleurs la naissance de Louis XIII‚ en nous penchant sur les récits de Louise Bourgeois (sage-femme de Marie de Médicis) et de Jean Héroard (premier médecin de Louis XIII)20. Selon Bourgeois‚ Henri IV réduisit au strict minimum le nombre de témoins‚ puisqu’il voulait ménager les sensibilités d’une épouse qui n’était guère accoutumée aux usages de la cour française. Néanmoins‚ dans le récit de Bourgeois‚ la sage-femme et la reine étaient entourées des personnes suivantes : le roi‚ trois princes du sang‚ trois grandes dames‚ la gouvernante des enfants royaux‚ Madame Conchine (dame d’atour de la reine)‚ quatre médecins et un chirurgien – sans parler des personnages de rang moins élevé : la première femme de chambre de la reine ; Gratienne‚ autre femme de chambre de la reine ; un apothicaire ; deux femmes de chambre italiennes ; l’un des premiers valets de la Chambre du roi ; et deux religieux de Saint-Germain des Prés – quatorze acteurs principaux et huit personnages secondaires‚ à savoir vingt-deux personnes réunies dans ce qui est devenu le Salon Louis XIII du château de Fontainebleau. Après la naissance‚ Henri IV‚ qui ne se sentait plus de joie‚ invita également quelque deux cents courtisans‚ qui attendaient dans l’antichambre‚ à venir saluer la reine et le dauphin ! Une naissance royale faisait‚ certes‚ exception à la règle‚ mais notons en passant quelques détails intéressants. Puisque l’accouchement était long et que la reine souffrait de douleurs pénibles‚ elle se mit sur une chaise percée. Voici la description fournie par Bourgeois : « La reine avoit desir d’accoucher dans sa chaise‚ où estant assise‚ les Princes estoient dessous le grand pavillon‚ vis-à-vis d’elle. J’estois sur un petit siege devant la Reine »21. C’est la même scène que la gravure chez Rösslin‚ à un détail près. Selon Héroard‚ celui qui se tient derrière la reine n’est pas une autre femme‚ mais le roi son époux ! L’homme de l’art le signale tout en notant l’impatience de la reine qui souhaitait voir le nouveau-né :
[La Reine] se leva en pieds de la chaise où elle venoit d’accoucher pour voir ce qui en estoit‚ le Roy ne l’en sceut empescher‚ qui estoit tout debout‚ derriere la chaise d’où il n’estoit party depuis l’heure qu’elle y fut mise.22
11Première constatation : en 1601‚ au moins un mari est présent à la naissance non-assistée de son premier enfant légitime23. Deuxième constatation : en 1601‚ ni Bourgeois ni Héroard n’évoque la présence d’un chirurgien-accoucheur. Cependant‚ en 1607‚ lors de la quatrième maternité de la reine‚ Bourgeois prévoyait un accouchement par le siège. Le roi‚ inquiet‚ demanda‚ selon les mots de la sage-femme‚ que « cet homme de Paris qui accouche les femmes » se tienne prêt dans le grand cabinet‚ au cas où l’on aurait besoin de lui ; il s’agissait d’un chirurgien-accoucheur sur lequel nous reviendrons‚ Monsieur Honoré. Bourgeois se flattait de ne pas avoir eu besoin de faire appel à lui : « [Monsieur Honoré] n’entra jamais ni pendant ni après l’accouchement dans la chambre de la reine »24. Cependant‚ à l’orée du XVIIe siècle‚ la réputation de Monsieur Honoré était parvenue jusqu’aux oreilles du roi25. C’est‚ par ailleurs‚ ce même chirurgien – désormais célèbre – qui attendra dans les coulisses en 1638‚ à l’occasion de la naissance du nouveau dauphin – le futur Louis XIV – au cas‚ de nouveau‚ où l’on aurait besoin de lui26.
L’enjeu géographique
12Si nous avons reconnu l’importance du rang social de la mère‚ il convient de signaler un autre critère d’importance : l’endroit où se trouve la mère au moment d’accoucher. Bien des ouvrages médicaux rédigés à l’intention des chirurgiens soulignent le fait qu’en pleine campagne‚ le chirurgien sera obligé de s’adapter aux circonstances ; pour la fin du XVIIe siècle‚ nous nous en rendons compte en parcourant les observations de Mauquest de La Motte qui exerçait à Valognes. Un siècle plus tôt‚ chez Rousset‚ on relève des exemples de chirurgiens peu expérimentés‚ qui réussissent néanmoins à sauver la vie à des femmes qui habitent loin des villes‚ sans attendre l’arrivée d’un confrère censé être plus habile. De même‚ chez Théophile Gelée‚ dans l’histoire « rare et merveilleuse » de l’extraction d’un fœtus mort (qui pourrissait depuis six mois et demi)‚ ce sont les conditions socio-économiques et géographiques qui concourent à mettre en danger les jours de la mère. Celle-ci habitait Neuville‚ près de Dieppe. Selon l’homme de l’art‚ « cuidant enfanter facilement‚ comme elle [Marion des Hayes] avoit fait toutes les autres fois‚ elle fit venir la sage-femme et quelques siennes parentes et voisines pour l’assister »27. Cependant‚ Marion des Hayes n’accoucha pas‚ de sorte que‚ pendant plusieurs mois‚ elle souffrait « d’un continuel découlement de matières sanieuses et purulentes ». Chose capitale que souligne Gelée : « la pauvreté l’[empêchait] d’emploier les Médecins et Chirurgiens »28. Enfin‚ lorsqu’un os de la tête du fœtus sortit par le nombril de la pauvre femme‚ son mari – présenté au début du récit comme un « homme rural et de basse condition » – dut appeler le chirurgien‚ bien qu’il fît nuit : « Estant donc tout esperdu‚ il [le mari] envoie en diligence au Pollet faux-bourg de Dieppe‚ querir un honneste et habile Chirurgien‚ nommé maistre Jean Colas‚ qui y tient sa boutique »29. En l’occurrence‚ ce Colas préféra ne pas essayer une opération hasardeuse avant le lendemain ; il attendit l’arrivée de deux autres chirurgiens et de Gelée lui-même. Or‚ ce récit nous avertit que‚ souvent‚ des facteurs aléatoires – la condition économique de la famille‚ la situation géographique‚ mais aussi tout simplement l’heure du jour‚ la disponibilité de tel chirurgien ou de telle sage-femme – jouèrent un rôle déterminant. Peu de femmes françaises étaient sûres d’accoucher devant les témoins (ou les praticiens) qu’elles avaient souhaités‚ à moins de les retenir longtemps à l’avance30.
Les naissances « naturelles/normales »
13Pour ce qui est‚ vers la même époque‚ des naissances naturelles/normales‚ en dehors de la famille royale‚ il n’y avait pas de modèle unique. Cependant‚ la plupart des auteurs semblent envisager la présence de plusieurs personnes – tout comme nous venons de le constater au début de l’accouchement de Marion des Hayes. Tout d’abord‚ des femmes « auxiliaires ». Nous relevons plusieurs situations où les auteurs de traités d’obstétrique s’attendent à ce que la femme soit soutenue par deux autres femmes (parentes‚ voisines‚ amies ou simples domestiques‚ selon le cas)‚ pendant qu’une troisième appuie éventuellement sur le ventre‚ alors que la sage-femme se tient prête à recevoir l’enfant‚ comme le raconte Duval :
Et quand l’achée [la douleur] surviendra‚ deux des femmes qui l’assisteront‚ la souleveront avec la nappe ou eleze‚ qu’elles tiendront par les deux bouts […]. Et estant ainsi la patiente retenue par dessoubs les aisselles‚ et souslevée par dessoubs les lombes‚ une femme poussera l’enfant tout doucement‚ et l’obstetrice oignant sa main‚ dilatera l’orifice de la matrice.31
14Lazare Pena‚ éditeur et continuateur de Liébault‚ avait esquissé en 1609 une variante de ce scénario selon lequel il s’agirait de deux hommes‚ mais ceci dans un pays lointain‚ plus chaud‚ aux mœurs sexuelles censées être plus libres‚ et‚ aux yeux des Français‚ moins civilisé : « En Égypte deux homes prennent de chasque costé un bras de la femme et le poussent en dedans les aisselles‚ ce qui a du pouvoir à pousser en bas le fœtus »32. En effet‚ selon les indications fournies par Liébault‚ Bourgeois‚ Guillemeau et Duval – c’est-à dire les auteurs dont les traités d’obstétrique sont parus entre 1580 et 1620 – la parturiente et la sage-femme étaient souvent accompagnées de plusieurs femmes sans formation médicale‚ mais qui jouaient un rôle auxiliaire ; moins de personnes que pour un accouchement assisté‚ certes‚ mais plus que ne l’aurait fait croire l’image retrouvée chez Rösslin. Par ailleurs‚ Guillemeau va jusqu’à exiger au moins quatre personnes auxiliaires :
Outre les deux servantes et femmes qui souslevent la bande‚ il y en aura deux autres de ses amies ou parentes‚ ausquelles elle tiendra la main‚ pour la serrer et comprimer quand les tranchées viendront. Et de l’autre main luy tiendront le haut des espaules‚ afin qu’elle ne se sousleve pas trop… […] Quelquesfois j’ay ordonné à l’une desdites femmes‚ de presser doucement du plat de la main les parties superieures du ventre.33
15Pourtant‚ nos auteurs ne veulent pas que ces personnes dérangent la femme ; Bourgeois préfère qu’on évite de parler beaucoup‚ par respect pour la femme qui accouche34 ; Duval veut qu’on permette à l’accouchée de se reposer tranquillement une fois la naissance accomplie35. Et au cas où un accouchement naturel/normal prendrait une mauvaise tournure‚ il est formel : « En esté que le temps est trop chaud‚ il [=le chirurgien] fera retirer les personnes qu’il voit inutiles »36. Mais nos auteurs admettent-ils parfois‚ à côté de ces femmes (avec ou sans formation médicale)‚ la présence d’un homme lors d’un simple accouchement naturel/normal ? Penchons-nous sur deux cas précis : le mari‚ et le chirurgien-accoucheur.
16En ce qui concerne l’époux‚ Henri IV ne fut peut-être pas le seul à suivre un accouchement non-assisté au premier XVIIe siècle‚ du moins selon une gravure d’Abraham Bosse‚ réalisée vers 1633‚ qui s’intitule « L’Accouchement » ‚ et qui faisait partie d’une série de six planches représentant plusieurs actes de la vie d’une jeune citadine37 (fig. 2). À la différence de la gravure qui avait paru plus d’un siècle plus tôt dans le texte de Rösslin‚ cette fois-ci le graveur dépeint avec un soin particulier le contexte socio-économique du jeune ménage. Le décor‚ les meubles‚ les costumes indiquent qu’il s’agit de la bourgeoisie parisienne des années 1630 : il suffit de regarder la chaussure d’intérieur de la femme‚ le chapeau en feutre du mari‚ l’une et l’autre déposés devant le petit lit de travail. Nous remarquons qu’à côté de la sage-femme (qui reçoit l’enfant) et de la servante (qui prépare de nouveaux draps pour le grand lit)‚ il n’y a pas moins de quatre femmes auxiliaires‚ dont deux soutiennent la mère par les bras‚ une autre – est-ce la mère de celle qui accouche ? – se tient à la tête du chevet‚ alors que la quatrième détourne un peu le regard. Les vers en bas de la gravure supposant la présence d’une dévote sont peut-être une fausse piste‚ puisque ceux-ci‚ anonymes d’ailleurs‚ étaient souvent rédigés sans trop de rapport avec les détails de la gravure elle-même. Mais ce qui mérite surtout de retenir notre attention‚ c’est la présence du mari auprès de son épouse. Habillé d’une robe de chambre élégante‚ coiffé d’un beau bonnet‚ il attend avec fierté‚ dirait-on‚ l’arrivée de son héritier ; bien que l’accouchement s’annonce naturel/normal‚ il s’y trouve à sa place. Est-ce le reflet de la réalité sociale vécue par les bourgeois parisiens ? Ou n’est-ce qu’une illusion‚ voire une erreur de la part de Bosse‚ renouvelée d’ailleurs par l’auteur des vers38 ?
17Nous avons déjà constaté que les accouchements difficiles‚ dangereux ou assistés occupent une place prépondérante dans les traités médicaux de cette époque‚ ce qui ne saurait guère nous étonner puisqu’ils se prêtent aux récits les plus intéressants. Dans un tel contexte‚ une sage-femme‚ un chirurgien ou un médecin demandait souvent au mari l’autorisation de faire telle ou telle intervention39. Mais il faudrait‚ en revanche‚ dépouiller avec soin les récits d’accouchements naturels/normaux afin de déceler la présence des témoins masculins « auxiliaires » ‚ dont parfois le mari. Encore n’est-il pas sûr que le mari‚ bien que présent à la maison‚ soit au chevet de sa femme40. Par exemple‚ dans le deuxième volume de ses Observations‚ paru en 1617‚ Bourgeois raconte une histoire qui se déroule en deux temps :
[Une] dame de Lorraine‚ riche extremement‚ et des-ja assés âgée devint grosse‚ elle et tous les siens eurent le soin de faire chercher deux sages-femmes‚ les plus estimées du pais‚ pour l’assister en son accouchement.41
18Ce premier accouchement étant plutôt long‚ mais sans complications‚ les sages-femmes attendaient la naissance‚ mais le mari‚ impatient‚ fit venir un chirurgien de la ville pour accoucher sa femme rapidement – bien que l’enfant fût sur le point de naître. Lors de la deuxième grossesse de sa femme‚ le mari‚ ne faisant confiance qu’à ce même chirurgien‚ retint ses services trois mois avant la date prévue ; mais le chirurgien‚ comptant sur une seconde naissance aussi facile que la première‚ arriva sans instruments. Lorsque l’enfant se présenta par les pieds‚ il ne put pas l’extraire ; ensuite – se servant du « crochet du manche d’une cuillère à pot » ‚ il tira si fort qu’il finit par tuer la pauvre femme. Cette fois-ci le pauvre mari s’était absenté‚ puisqu’il avait fait entièrement confiance au chirurgien. Que savons-nous précisément du rôle de celui-là lors de la première naissance ? Sa présence dans la chambre est incontestable‚ puisque c’est le mari qui ordonne aux deux sages-femmes de s’écarter pour faire place à l’accoucheur. Bourgeois rapporte d’ailleurs un dialogue‚ en présence de la mère‚ entre ce dernier‚ cherchant à se faire valoir‚ et le mari‚ qui se laisse tromper. Le mari était-il cependant présent plus tôt‚ avant qu’il ne fût question d’un accouchement assisté ? Nous aurions lieu de le croire‚ sans pour autant en être sûrs. Selon Bourgeois :
[…] pendant lequel temps Monsieur son mary vaincu d’impatience se tourmentoit fort‚ l’on luy dit le voyant douter du rapport des sages femmes‚ qu’il y avoit un habile Chirurgien en une ville proche.42
19La mention « l’on luy dit » nous indique que‚ tout comme l’on s’y attendrait pour une famille riche‚ d’autres personnes sont présentes ; alors que « le rapport des sages femmes » laisserait croire que tout se passe dans la chambre même. Au moins ce mari était-il impliqué dans le déroulement de la naissance‚ et sa présence dans la chambre ne semble pas exclue.
20Nous avons choisi ce récit pour approfondir le lien avec cet autre personnage masculin qui nous intéresse vers la même époque‚ le chirurgien-accoucheur. En tant que sage-femme‚ mais aussi épouse d’un chirurgien (Martin Boursier)‚ Louise Bourgeois reconnaît l’importance des chirurgiens‚ voire blâme les sages-femmes qui hésitent à appeler un chirurgien au cas où un accouchement se révélerait impossible sans intervention chirurgicale. Cependant‚ elle s’oppose farouchement à une autre évolution qu’elle juge affreuse‚ voire indécente : le désir de certaines femmes de se faire accoucher par un chirurgien même pour une naissance qui s’avère normale. Or‚ ses critiques acerbes à l’égard du chirurgien qui avait fini par tuer la dame de Lorraine se laissent interpréter dans un contexte où‚ selon la lettre que Bourgeois rédige à l’intention de sa fille vers 1617‚ cette nouvelle mode s’imposait au moins parmi la bourgeoisie et la noblesse parisiennes. La sage-femme de la reine-mère ne cache pas ses regrets pour « les jeunes femmes qui‚ dés leurs premiers enfants‚ font eslection d’un homme pour les accoucher‚ j’en rougis pour elles ! »43. Au dire de Bourgeois (reçue sage-femme en 1598)‚ cette évolution se serait accomplie en moins de vingt-cinq ans. Mais dans quelle mesure s’agit-il plutôt d’une rivalité sournoise entre Bourgeois et un seul chirurgien‚ ce Monsieur Honoré qu’elle avait réussi à tenir à l’écart de toutes les naissances royales ? C’est certes lui qui est visé à plusieurs reprises dans cette lettre à sa fille‚ notamment lorsque Bourgeois ironise sur ces femmes qui n’hésitent pas à « se faire toucher par les hommes » :
Monsieur Honoré en sçauroit bien que dire : une infinité de coquetes disent qu’elles ayment beaucoup mieux qu’aux accouchemens où l’enfant se presente bien‚ qu’il les accouche qu’une femme ; cela est présent à la mode.44
21Pourtant‚ si nous relevons‚ chez Bourgeois et d’autres auteurs‚ un certain nombre de cas spécifiques où Honoré accoucha une femme‚ lui sauvant parfois la vie‚ dans tous ces cas il s’agit d’accouchements difficiles. Nous avons déjà cité le cas de Mlle Danzé‚ en 1603‚ rapporté par Jacques Guillemeau ; celui-ci cite également l’intervention de son confrère lors de l’accouchement de Mlle Coulon en 160045‚ et lors de celui d’une fermière de Mlle Scaron‚ où pas moins de douze médecins et chirurgiens assistaient à l’accouchement. Dans ce dernier cas‚ la femme ne fut sauvée que grâce au speculum matricis‚ instrument qu’Honoré avait mis au point :
A l’heure de son accouchement […] Monsieur Honoré chirurgien du Roy et moy‚ on luy fit une incision‚ par le consentement de tous‚ puis soudain le Speculum dilatatoire fut si bien appliqué‚ que toutes les cicatrices furent eslargies : Ce qui succeda si heureusement‚ que trois heures après elle accoucha facilement.46
22Jean Girault‚ auteur d’une nouvelle édition augmentée de La Chirurgie françoise de Jacques Daleschamps‚ ne tarit pas d’éloges non plus‚ en 1610‚ quant à cette invention d’Honoré‚ en citant à son tour l’accouchement chez Mlle Scaron (accompli‚ selon lui‚ en 1608)‚ ainsi que celui de la femme d’un cordonnier47. Nous aurions lieu de croire que la mise-en-œuvre de ce speculum matricis explique au moins en partie la réputation exceptionnelle d’Honoré – tout comme le forceps chez les Chamberlen. Nous n’avons relevé‚ en revanche‚ aucune description d’un accouchement pour le compte d’Honoré qui soit naturel/normal. Selon les accusations de Bourgeois‚ en 1617‚ de tels accouchements ont dû se produire‚ mais ils n’ont pas laissé de traces écrites autant que nous sachions‚ ne serait-ce que parce qu’il s’agissait précisément de naissances « normales » ‚ donc sans grand intérêt48.
23Nous avons‚ cependant‚ retrouvé des indications d’une telle activité chez plusieurs autres chirurgiens vers la même époque‚ personnages moins célèbres et donc moins controversés qu’Honoré peut-être‚ mais qui représentent‚ néanmoins‚ le début d’une nouvelle ère. Tout d’abord‚ Jacques Guillemeau lui-même affiche un fort intérêt pour tout ce qui touche à la chirurgie obstétricale. Son fils‚ qui réédite l’ouvrage de son père en 1620‚ sous le titre De la Grossesse et accouchement des femmes‚ constate que‚ pendant ses quarante années d’activité professionnelle‚ Jacques Guillemeau a assisté à environ 500 accouchements49. Il reste certes en retrait par rapport aux sages-femmes les plus expérimentées – Louise Bourgeois se targue en 1609 d’avoir présidé à plus de 2000 naissances depuis le début de sa carrière50 – mais dans De l’heureux Accouchement des femmes‚ il cite surtout des naissances au cours de la décennie précédente lorsqu’il semble s’être plutôt spécialisé dans ce domaine. Parmi divers récits d’accouchements assistés‚ il existe au moins une naissance normale‚ où il était présent avec la sage-femme et se chargea d’extraire le placenta :
Je me suis trouvé il y a quelque temps à l’accouchement d’une honneste dame‚ qui estoit grossse de deux Enfans. Et comme elle fut delivrée du premier‚ sans que la sage femme eust recogneu qu’il y en avoit un second ; voulant tirer l’arrierefais je recogneu qu’il s’en presentoit un second au couronnement. Et comme il venoit naturellement‚ elle en accoucha fort heureuesment.51
24Guillemeau avait choisi cette histoire pour démontrer qu’on ne peut pas toujours prévoir une naissance multiple ; dans ce cas-ci‚ l’arrivée de jumeaux était tout à fait inattendue. Pourquoi le chirurgien était-il donc présent‚ et pourquoi la sage-femme ne s’était-elle pas chargée elle-même de délivrer le placenta – une des responsabilités les plus importantes qui lui incombaient ? Pourrait-on croire que cette « honnête dame » eût cédé à la mode parisienne en voulant qu’un chirurgien‚ aussi bien qu’une sage-femme‚ assiste à son accouchement ?
25Si nous pensons que la « mode » des accoucheurs était surtout un phénomène parisien à l’orée du XVIIe siècle‚ dans d’autres villes‚ il y a lieu de croire que certains chirurgiens s’étaient également spécialisés dans ce domaine. Jacques Bury‚ natif de Châteaudun et auteur d’un petit traité d’obstétrique qui parut en 1623 (Le Propagatif de l’homme et secours des femmes en travail d’enfant)‚ affirmait qu’on faisait appel à lui « en la plus grande partie des accouchemens difficiles qui se font en ce Conté de Dunois »52. J. Gélis a constaté‚ en s’appuyant sur le cas de Mauquest de La Motte à Valognes‚ qu’un chirurgien-accoucheur qui avait acquis sa réputation en présidant à un accouchement difficile‚ avait de fortes chances de se faire appeler par la même femme lors de ses prochaines couches. Ainsi passait-on‚ par souci de sécurité‚ « du recours exceptionnel au recours régulier à l’accoucheur »53. En était-il de même chez Bury ou chez Guillemeau‚ autant que chez Honoré ?
26Quelles conclusions faudrait-il tirer de ces témoignages écrits pour mieux apprécier la scène représentée par Bosse en 1633 ? Dans le premier tiers du XVIIe siècle‚ il ne nous semble pas du tout inconcevable que‚ dans la bourgeoisie parisienne‚ le mari soit présent pour la naissance de son hériter‚ même lorsqu’il s’agit d’un accouchement naturel/normal – à côté de plusieurs témoins « auxiliaires » féminins‚ une domestique‚ et la sage-femme. Quant aux chirurgiens-accoucheurs‚ même s’ils devaient bientôt s’imposer davantage‚ au détriment des sages-femmes‚ dans cette gravure‚ somme toute très réaliste‚ pour un accouchement « heureux » ‚ l’artiste ne met en scène que la sage-femme. Cinq ans plus tard‚ en 1638‚ nous avons vu que le chirurgien-accoucheur ne pénètre pas non plus dans la pièce où la reine accouche de Louis « Dieudonné ». Il faudra attendre l’accouchement clandestin‚ en 1663‚ de Louise de La Vallière pour qu’un roi de France‚ à l’instar de certains de ces sujets‚ choisisse un chirurgien plutôt qu’une sage-femme pour présider à un accouchement normal.
Notes de bas de page
1 De telles chaises étaient courantes au XVIe siècle en Allemagne‚ mais selon les traités médicaux français de la seconde moitié de ce siècle ou du début du XVIIe siècle‚ en France elles étaient plutôt réservées aux accouchements difficiles ou laborieux. À la fin du XVIIe siècle‚ à l’ère des chirurgiens-accoucheurs‚ l’accouchement dans un petit lit se généralise en revanche‚ de sorte que même Mauquest de La Motte‚ qui accepte éventuellement d’autres positions si la femme le souhaite‚ s’oppose formellement à la chaise percée. Voir Jacques Gélis‚ Accoucheur de campagne sous le Roi-Soleil. Le traité des accouchements de G. Mauquest de la Motte (éd. originale Toulouse‚ Privat‚ 1979)‚ Paris‚ Imago‚ 1989‚ p. 92-93.
2 L’ouvrage fut rapidement traduit en tchèque (1519) et en hollandais (1528) ; ensuite une version latine (1532)‚ réalisée par le fils de l’auteur‚ permit des traductions en français (1536 ; une seconde version dut en écarter la première en 1563)‚ italien (1538)‚ anglais (1540)‚ et espagnol (1538 ?). Voir l’analyse fournie par Monica H. Green‚ « The Sources of Eucharius Rösslin’s ‘Rosegarden for Pregnant Women and Midwives’ (1513) » ‚ Medical History‚ n° 53-2‚ avril 2009‚ p. 167-192.
3 Pour la version française‚ les Divers travaulx et enfantemens des femmes‚ nous avons relevé pas moins de huit éditions jusqu’en 1632. Voir notre livre : Les Traités d’obstétrique en langue française au seuil de la modernité : bibliographie critique des « Divers Travaulx d’Euchaire Rösslin » (1536) à l’« Apologie De Louyse Bourgeois sage femme » (1627)‚ Genève‚ Droz‚ 2007‚ p. 89-117.
4 Sur la mise-au-point des premiers forceps obstétricaux vers 1665-1670‚ voir Jacques Gélis‚ La Sage-Femme ou le Médecin. Une nouvelle conception de la vie‚ Paris‚ Fayard‚ 1988‚ p. 348-357. Gélis constate‚ par ailleurs‚ que ce n’est qu’à partir des années 1720- 1730 que le forceps commence à être diffusé en Europe occidentale.
5 Les traités d’obstétrique en français sont beaucoup plus nombreux que leurs équivalents en d’autres langues vernaculaires au XVIe et pendant le premier XVIIe siècle ; ils fournissent donc une source particulièrement importante. Voir Les Traités d’obstétrique en langue française au seuil de la modernité‚ op. cit.‚ p. 44-46. Nous avons par ailleurs reproduit les « récits de naissances » puisés dans ces traités sur notre site de recherches : http://www.birthingtales.org/.
6 J. Gélis‚ La Sage-femme ou le médecin‚ op. cit.‚ p. 315-327.
7 Aux XXe et XXIe siècles‚ une autre distinction s’est établie‚ qui n’existait pas autrefois‚ entre accouchement « naturel » et « normal » : voir par exemple‚ les définitions proposées par la Société des Obstétriciens et Gynécologues du Canada (http://sogc.org/fr/publications/accouchement-normal/) : « Accouchement naturel : L’enfant naît en position “tête première”‚ par le vagin (filière pelvigénitale)‚ supervisé par un professionnel de la santé qui s’assure que la mère et le bébé sont en bonne santé‚ mais le travail évolue sans assistance médicale. Accouchement normal : L’enfant naît en position “tête première”‚ par le vagin (filière pelvigénitale)‚ mais une intervention par un professionnel de la santé peut être nécessaire pendant l’accouchement ». Parmi les interventions les plus fréquentes‚ on cite : accélération du travail‚ suivi de la fréquence cardiaque du bébé‚ rupture artificielle des membranes‚ réduction de la douleur pendant le travail‚ prise en charge active du troisième stade du travail. Pour éviter toute distinction anachronique‚ nous employons donc‚ dans nos remarques sur les accouchements aux XVIe et XVIIe siècles‚ la formule « naturel/normal ».
8 Sur les débats très vifs quant à la césarienne sur une femme vivante au XVIe siècle‚ voir notre livre Les Traités d’obstétrique en langue française au seuil de la modernité‚ op. cit‚ p. 245-246.
9 Charles Estienne‚ La Dissection des parties du corps humain‚ Paris‚ S. de Colines‚ 1546‚ p. 287.
10 Ibid.‚ p. 287.
11 Voir notre analyse de l’ouvrage de Liébault dans notre édition critique (traduite en anglais) : Pregnancy and Birth in Early Modern France. Treatises by Caring Physicians and Surgeons (1581-1625) [Grossesse et naissance dans la France de la première modernité : les traités des médecins et chirurgiens]‚ Toronto‚ Iter‚ « The Other Voice in Early Modern Europe » ‚ 2013‚ p. 66-74.
12 Jean Liébault‚ Trois Livres appartenant aux infirmitez et maladies des femmes‚ Paris‚ J. Dupuis‚ 1582‚ p. 900.
13 François Rousset‚ Traitté nouveau de l’hysterotokotomie ou enfantement cœsarien‚ Paris‚ D. Duval‚ 1581‚ p. 18.
14 Jacques Duval‚ Des Hermaphrodits, accouchemens des femmes‚ Rouen‚ D. Geuffroy‚ 1612‚ p. 216.
15 Ibid.‚ p. 184.
16 Ibid.‚ p. 212.
17 Jacques Guillemeau‚ De l’heureux Accouchement des femmes‚ Paris‚ N. Buon‚ 1609‚ p. 224.
18 Ibid.‚ p. 223.
19 Selon Jacques Gélis‚ un siècle plus tard en milieu rural (Valognes en Normandie)‚ on recense dix‚ vingt‚ et même parfois trente personnes présentes en cas de couches difficiles‚ ne serait-ce que pour témoigner leur soutien à la famille (Accoucheur de campagne sous le Roi-Soleil‚ op. cit.‚ p. 27).
20 Voir notre étude : « La théâtralisation de la naissance du dauphin (1601) chez Louise Bourgeois‚ sage-femme de Marie de Médicis » ‚ dans Le « Théâtral » de la France d’Ancien Régime‚ dir. Sabine Chaouche‚ Paris‚ H. Champion‚ 2010‚ p. 137-154.
21 Louise Bourgeois‚ Récit véritable de la naissance de messeigneurs et dames les enfans de France (1617)‚ textes établis et annotés par François Rouget et Colette Winn‚ Genève‚ Droz‚ « Textes littéraires français » ‚ 2000‚ p. 78. Notons‚ par ailleurs‚ que dans une gravure de cette scène (« Der Dauphin in Frankreich wird geboren anno 1601 den 27. September » [Le Dauphin de France est né le 27 septembre 1601]) réalisée vers 1725 par Franz Christoph Khevenhiller pour les Annales Ferdinandei‚ la disposition des personnes n’est pas très exacte‚ et la chaise percée est remplacée par un petit fauteuil.
22 Journal de Jean Héroard (manuscrit vers 1601-1628)‚ éd. Madeleine Foisil‚ Paris‚ Fayard‚ 1989‚ p. 370.
23 En revanche‚ en 1638‚ Louis XIII n’assiste pas à la naissance du dauphin (le futur Louis XIV) : le roi déjeune alors que la reine accouche en présence des grandes dames de France et du frère du roi (héritier de la couronne jusqu’à la naissance du dauphin). On n’appelle le roi que pour recevoir le nouveau-né des bras de la sage-femme‚ Dame Peronne.
24 L. Bourgeois‚ Récit véritable‚ op. cit.‚ p. 90.
25 N’oublions pas que Gabrielle d’Estrées‚ favorite d’Henri IV‚ était morte en 1599 des suites atroces d’une fausse-couche au quatrième mois de sa grossesse‚ des chirurgiens ayant tenté de retirer tant bien que mal les morceaux du fœtus qu’elle n’arrivait pas à expulser.
26 « Les sieurs Bouvard premier Medecin du Roy‚ et Honoré Chirurgien fameux pour les accouchements‚ se tenans en l’antichambre‚ en cas de besoin » (Le Mercure françois‚ 1638‚ p. 292). Pour une analyse des sources écrites et surtout des images qui accompagnèrent la naissance du futur Louis XIV‚ voir Hélène Duccini‚ « Le Dauphin du Miracle (5 septembre 1638) » ‚ dans Pouvoirs, contestations et comportements dans l’Europe moderne : mélanges en l’honneur du professeur Yves-Marie Bercé‚ dir. Bernard Barbiche‚ Jean-Pierre Poussou‚ Alain Tallon‚ Paris‚ Presses de l’Université Paris Sorbonne‚ 2005‚ p. 209-226.
27 Elle en était à son dixième enfant (Théophile Gelée‚ Histoire rare et merveilleuse, mais veritable d’une femme du village de Neufville aupres de Dieppe, laquelle ayant porté son enfant mort en la matrice l’espace de six moys et demy, fut enfin heureusement delivrée par une incision faite au costé du ventre‚ Dieppe‚ Nicolas Acher‚ 1622‚ p. 9).
28 Ibid‚ p. 14.
29 Ibid‚ p. 14.
30 C’est la raison pour laquelle on exigea que Louise Bourgeois reste tout le temps près de la reine pendant les six semaines avant la date prévue de la naissance (L. Bourgeois‚ Récit véritable‚ op. cit.‚ p. 64-65). Chez Mauquest de La Motte‚ un siècle plus tard‚ on constate un certain nombre de patientes à Valognes qui retiennent ses services‚ comme la dame parisienne qui l’acceptait à la place de Mauriceau en 1705 : elle retint le chirurgien-accoucheur douze jours avant la naissance – et cependant son travail ne dura qu’une heure ! (J. Gélis‚ Accoucheur de campagne du Roi-Soleil‚ op. cit.‚ p. 85).
31 J. Duval‚ Des Hermaphrodits, accouchemens des femmes‚ op. cit.‚ p. 188. Bourgeois offre le même conseil‚ mais sans préciser le sexe des personnes : « Pourveu qu’elle soit menée de deux personnes fortes‚ qui lors de la douleur la puissent soustenir ». (Observations diverses sur la sterilité, perte de fruict, fœcundité, accouchements et maladies des femmes et enfants nouveaux naiz‚ Paris‚ A. Saugrain‚ 1609‚ p. 39).
32 Jean Liébault‚ Les Maladies des femmes‚ éd. par L. Pena‚ Paris‚ J. Berjon‚ 1609‚ p. 863.
33 J. Guillemeau‚ De l’heureux Accouchement des femmes‚ op. cit.‚ p. 160.
34 Instruction à ma fille‚ dans L. Bourgeois‚ Récit véritable‚ op. cit.‚ p. 135.
35 « Quand l’obstetrice aura ainsi remis la femme dans son lict‚ tiré les rideaux ou abatu la house‚ la conseillant de se reposer sans dormir‚ et les assistans de ne l’inquieter […] » (J. Duval‚ Des hermaphrodits, accouchemens des femmes‚ op. cit.‚ p. 254).
36 Ibid.‚ p. 212.
37 L’ensemble des six planches s’intitule « Le Mariage à la ville » : il comprend : « Le Contrat de mariage » ‚ « La Mariée reconduite chez elle » ‚ « L’Accouchement » ‚ « Le Retour du baptême » ‚ « La Visite à l’accouchée » et « La Visite de la nourrice ». Voir l’analyse de cette série‚ proposée par Carl Goldstein‚ Print Culture in Early Modern France. Abraham Bosse and the purposes of print [La culture de la gravure dans la France de la première Modernité. Abraham Bosse et les desseins de la gravure]‚ Cambridge‚ Cambridge University Press‚ 2012‚ p. 59-68. Le même graveur devait également préparer une planche en 1638 pour fêter la naissance du futur Louis XIV : « La sage-femme présentant au Roy Monseigneur le Dauphin ».
38 Goldstein nous invite à nous interroger sur les rapports fondamentaux mais complexes entre vers et images chez Bosse‚ ibid.‚ p. 118-125.
39 Voir par exemple le récit‚ chez Guillemeau‚ de l’accouchement d’urgence de Mlle Simon (fille d’Ambroise Paré) en 1599 : De l’heureux Accouchement des femmes‚ op. cit.‚ p. 221.
40 Un siècle plus tard à Valognes‚ selon le témoignage de Mauquest de La Motte‚ les maris étaient rarement présents aux couches de leurs femmes‚ à moins qu’ils ne soient appelés à aider la sage-femme en cas d’accouchement difficile (J. Gélis‚ Accoucheur de campagne du Roi-Soleil‚ op. cit.‚ p. 27). Lui-même fit‚ cependant‚ exception à cette règle générale puisqu’il accoucha sa propre femme au moins six fois (ibid.‚ p. 119).
41 Louise Bourgeois‚ Observations, de Louyse Bourgeois ditte Boursier, sage-femme de la Royne. Livre deuxiesme‚ Paris‚ A. Saugrain‚ 1617‚ p. 41.
42 Ibid.‚ p. 42.
43 Instruction à ma fille dans L. Bourgeois‚ Récit véritable‚ op. cit.‚ p. 138.
44 Ibid.‚ p. 130.
45 La parturiente souffrait d’une hémorragie. Voir J. Guillemeau‚ De l’heureux Accouchement des femmes‚ op. cit.‚ p. 224.
46 Ibid.‚ p. 196.
47 « Le mesme Honoré rapporte avoir faict une semblable operation aux Faulxbourgs de Montmartre à Paris‚ depuis peu à la femme d’un Cordonnier‚ qui apres avoir langui trois jours au mal d’enfant sans apparence de pouvoir accoucher‚ à cause de la closture et callosité de ses parties‚ fut promptement par luy delivrée avec son dilatatoire » (Jacques Daleschamps‚ La Chirurgie Françoise‚ éd. par Jean Girault‚ Paris‚ O. de Varennes‚ 1610‚ p. 663-664).
48 Notons un parallèle entre les critiques de Bourgeois à l’égard des jeunes femmes qui préfèrent se faire accoucher par un homme‚ et la constatation de J. Gélis selon laquelle ce sont surtout les jeunes femmes de Valognes – et celles des classes aisées – qui franchirent le pas d’accepter un chirurgien-accoucheur pour un accouchement normal. (J. Gélis‚ Accoucheur de campagne sous le Roi-Soleil‚ op. cit.‚ p. 29-31). Dans un cas comme dans l’autre‚ il n’y a peut-être rien d’étonnant à ce que les jeunes femmes soient plus prêtes à suivre une nouvelle mode.
49 Jacques Guillemeau‚ De la Grossesse et accouchement des femmes (revu par Charles Guillemeau)‚ Paris‚ A. Pacard‚ 1620‚ p. 146. Nous ne savons pas s’il s’agissait dans presque tous ces cas de naissances « assistées » ‚ mais Jacques Guillemeau est néanmoins loin d’atteindre le niveau d’expérience de Mauquest de la Motte un siècle plus tard à Valognes‚ dont J. Gélis prétend qu’il a mis au monde plusieurs enfants par jour (J. Gélis‚ Accoucheur de campagne du Roi-Soleil‚ op. cit.‚ p. 27).
50 L. Bourgeois‚ Observations diverses‚ op. cit.‚ p. 56.
51 J. Guillemeau‚ De l’heureux Accouchement des femmes‚ op. cit.‚ p. 285.
52 Jacques Bury‚ Le Propagatif de l’homme et secours des femmes en travail d’enfant‚ Paris‚ M. Mondiere‚ 1623‚ p. 5.
53 J. Gélis‚ Accoucheur de campagne sous le Roi-Soleil‚ op. cit.‚ p. 307.
Auteur
Trinity College, Université d’Oxford
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