Conclusion
p. 333-343
Texte intégral
1Ce regard porté sur un demi-siècle de football nordiste avait pour objet de réajuster les pièces d’un puzzle complexe, en privilégiant une approche départementale. Le rétablissement d’une chronologie cohérente, au delà de sources fragmentaires, aura au moins permis d’identifier trois époques différenciées : Le temps des origines (avant 1914, il correspond à une phase complexe d’essaimage du football association), Le temps de l’enracinement (au lendemain de la première guerre mondiale, la structuration du football nordiste s’observe dans sa géographie et dans un processus complexe d’organisation des clubs, des instances et des compétitions), Le temps des mutations (les années trente voient l’émergence d’un football à deux vitesses, plutôt hiérarchisé, où chacun des clubs étudiés adopte une stratégie originale).
2Il s’agit désormais de rapprocher ces trois temps des phases de continuité et de ruptures mises à jour par les travaux de Pierre Lanfranchi et Alfred Wahl : l’histoire du football nordiste, sans se confondre avec celle du football français, en adopte au moins le rythme et valide les propositions formulées par les deux auteurs précités. Sans être différente, elle n’en possède pas moins quelques singularités, que nous avons essayé de mettre en évidence : précocité de l’enracinement du football association, rapidité du processus de verticalisation des instances, choix délibéré du professionnalisme pour les clubs du premier cercle, frénésie d’un racolage précoce lui aussi, etc. Renonçant à tout projet global et synthétique (que la précarité des sources rend de toute façon aléatoire), cette histoire s’inscrit peut être dans les perspectives d’une histoire plurielle du football en France, dont Alfred Wahl demeure l’ardent défenseur. Dans une récente communication, il insistait sur l’indispensable mise en chantier d’une histoire du football destinée à constituer une composante majeure de l’histoire (socio) culturelle de la France au XXe1.
3C’est à partir de trois déclinaisons principales que ces cinquante années de football dans le département du Pas-de-Calais auront finalement été abordées : elles supposent au préalable une indispensable histoire de sa pratique. Le jeu de balle au pied s’installe, s’enracine et se diffuse selon un processus complexe. Il implique très rapidement des lieux (une aire de jeu, un terrain, un stade), des instances sportives (les clubs, la LNFA, les districts) et des acteurs (les joueurs, les dirigeants). A mesure que le football tisse sa toile, il devient non un fait social total (il est délicat sans doute d’employer l’expression pour la période étudiée), mais un ensemble de réalités sociales tangibles : la pratique de distinction s’efface progressivement devant une logique de popularisation dont la vitesse de sédimentation varie selon les clubs et leur objet sportif. La pratique du football doit dès lors être considérée comme une pratique sociale à part entière : elle contribue à l’entretien et au développement de liens de sociabilité, elle diffuse et impose une conception démocratisée mais verticalisée de l’associationnisme, elle favorise des groupements ou regroupements sociaux par un principe de « cooptation sportive ». Elle offre également la photographie des rapports sociaux d’une époque, en montrant les limites du cloisonnement ou de la perméabilité d’une pratique socioculturelle. En cela, la notion de ciment culturel mériterait d’être davantage explorée. La caractère populaire du football association, si souvent sacralisé, constitue dans l’entre-deux-guerres une réalité complexe. La question de l’identité sportive en revanche, est beaucoup plus tangible : le football peut à certains égards représenter un facteur d’unité entre les communautés et les groupes sociaux. Il représente un lieu d’expression de sentiments identitaires, comme la manifestation d’un supportérisme naissant semble l’indiquer.
4La précocité de la pratique du football association dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais résulte de la conjonction de facteurs multiples : la notion de prédestination sportive déjà évoquée repose sur une présence ancienne et affirmée de jeux traditionnels territorialisés qui auront très tôt développé une indispensable sociabilité ludique. Au XIXe siècle, ce tissu pré-associatif trouve ses relais dans la multiplication des sociétés conscriptives et patriotiques (de tir et gymnastique notamment), dont le développement accompagne un processus d’urbanisation, conséquence de la révolution industrielle. C’est précisément sur ce terreau favorable que viennent se greffer au milieu du siècle des pratiques sportives que l’on peut qualifier de duelles : pratiques anglaises aristocratiques visibles dans les villes du littoral, pratiques physiques mais également sportives qu’une USFSA dominante contribue à diffuser et à structurer. Si le football association représente la deuxième activité sportive pratiquée derrière la vélocipédie, son succès croissant s’explique par la rapidité de l’organisation de sa pratique. Entre les premières rencontres (1892), le challenge international du Nord (1899) ou le premier championnat du Nord USFSA (1901), peu de temps s’est finalement écoulé : ces dix années auront été essentielles, dans la mesure où elles assurent le passage d’un football composite (sur le plan du jeu, des règles et de l’origine des pratiques) à un football association désormais identifiable. Le choix des règles de l’association relève de l’évidence géographique : la proximité anglaise aura favorisé l’importation du modèle anglais, l’arrivée des premiers joueurs britanniques, la multiplication des rencontres amicales avec des clubs d’Outre-Manche. Au-delà des règles et d’un style de jeu, l’influence anglaise joue une rôle non négligeable dans la diffusion de principes éducatifs de distinction, présidant à la fondation des premiers clubs.
5La période de l’avant-guerre ne constitue pas véritablement une Belle Epoque pour un football association dont la pratique demeure encore marginale et rudimentaire : aménagement Spartiate des premières aires de jeu, caractère quelque peu aléatoire des premiers calendriers, confidentialité des premières rencontres... Néanmoins, un certain nombre d’indicateurs visibles accélèrent avant 1914 cette première phase de structuration du football nordiste : la naissance d’un temps sportif (ce calendrier géré par l’USFSA a pour effet d’homogénéiser les pratiques) accompagne un essaimage des clubs autorisant l’esquisse d’une première géographie. Cette identification des pôles de pratiques, favorisé par la densité de la trame urbaine, aboutit au développement de hiérarchies sportives. Elles entraînent de facto des rivalités sportives et de territoires (à l’image de l’opposition terrien/maritime) à l’origine des premiers derbies, qui favorisent également la naissance de premiers sentiments d’identité et d’identification au sein des clubs, par équipes interposées.
6La présence des troupes britanniques sur le sol nordiste durant la première guerre mondiale aura favorisé l’enracinement du football association : elle provoque un essaimage visible des clubs sur le littoral, en particulier dans le Boulonnais où un football de village peut être observé. A partir de 1919, le football nordiste entre dans une période de reconstruction : elle concerne tout autant les clubs que de nouvelles instances qui succèdent à l’USFSA. La création de la Ligue du Nord, héritage de la commission régionale de l’USFSA, permet de fédérer une vingtaine de clubs et d’organiser des compétitions plus structurées. Ces premiers championnats vont rendre plus lisible un ensemble de phénomènes : apparition d’une géographie polarisée des clubs (le littoral fait bien pâle figure face aux clubs de Lille, Roubaix ou Tourcoing), lent processus d’édification de la pyramide sportive régionale, premières formes de déconcentration des instances par la création des districts terrien et maritime... La LNFA devient l’élément incontournable d’organisation et de régulation du football nordiste, sous l’impulsion décisive de son président Henri Jooris.
7Les années vingt sont celles d’un nouveau temps sportif. L’augmentation numérique des clubs affiliés, la hiérarchisation parfois complexe des compétitions et le processus de verticalisation observé à la fois au sein des clubs et des instances peuvent expliquer la popularisation croissante de la pratique. Au niveau régional, la Coupe de France devient effectivement un véritable phénomène populaire : elle renforce l’émulation entre les clubs nordistes et accentue la constitution de premiers palmarès. En même temps, elle donne l’occasion aux clubs du premier cercle de se mesurer aux principaux clubs de l’hexagone, autorisant de fait un étalonnage des performances et la naissance des premiers sentiments identitaires. Un calendrier sportif plus chargé à la fin des années vingt (aux matches de championnat viennent s’ajouter un faisceau de compétitions, challenges et rencontres de sélection), conjugué à d’autres facteurs, entraîne le football nordiste vers une professionnalisation attendue ou violemment réprouvée. A l’aube des années trente, les pratiques du racolage et les déclinaisons complexes de l’amateurisme renforceront la logique d’un football à deux vitesses, qui devient l’une des caractéristiques majeures du football nordiste.
8L’introduction du professionnalisme accentue les écarts déjà observés au sein de la pyramide des clubs nordistes. Les hésitations qui ont présidé à son adoption, la dénonciation des effets pervers d’une professionnalisation trop rapide se déclinent aussi au niveau régional. Les comités directeurs des clubs adoptent à son endroit des stratégies variables, mais en acceptent les conséquences : il étend le temps sportif à une intersaison où le recrutement accompagne matches de préparation, challenges et rencontres amicales. Il introduit la donnée fondamentale de la scientifisation du football association : un recrutement plus complexe obéit désormais à des choix tactiques précis. Il s’opère aussi selon des critères géographiques et, pour les clubs autorisés, prend en compte leurs limites financières. Les résultats et classements des clubs deviennent progressivement l’objet d’une frénésie statistique, qui fournit aux dirigeants de précieux indicateurs. La quantification de la performance situe le club au sein d’une hiérarchie, elle autorise la mesure de l’efficacité et de la rentabilité des joueurs, et devient de ce fait un instrument utile à une gestion optimisée des clubs.
9Le professionnalisme entraîne de facto un changement d’échelle du football nordiste : il accentue les écarts entre l’élite du premier cercle qui évolue dans les championnats nationaux, et une majorité de clubs d’envergure plus modeste qui redoutent et dénoncent la progressive logique de subordination dont ils s’estiment les victimes. Cette différence cultivée (sur les plans financiers et sportifs) renforce l’image d’un football à deux vitesses, dont les clubs du deuxième cercle constituent en quelque sorte l’interface. La géographie des clubs se trouve ainsi modifiée : définie à partir des aires de diffusion de la pratique avant les années vingt, elle utilise la hiérarchie sportive des clubs comme principal critère de répartition spatiale à la veille de la seconde guerre mondiale.
10L’importance et la densité du mouvement associationniste sportif dans le département du Pas-de-Calais auront également constitué une condition préalable au développement de pratiques sociales originales. L’anglomanie ambiante, qui caractérise une pratique diversifiée du football association (scolaire, régimentaire, confessionnelle et civile), l’associe de facto à une conception distinctive. Dans la majorité des cas recensés, le football ne constitue pas l’activité principale ou exclusive de ces sociétés sportives omnisports, dont l’associationnisme constitue l’un des traits essentiels2.
11Il permet d’observer avant 1914 les prémisses d’une sociabilité sportive, majoritairement bourgeoise et forcément distinctive. Le football semble être le prétexte ou le support au développement de pratiques sociales à forte plus value éducative : ces sociétés sont animées par un souci démocratique, qui n’empêche pas une forte bureaucratisation et hiérarchisation de leurs instances. Fonctionnant sur le principe de la cooptation (la sociabilité horizontale demeure ségrégative), elles font référence et diffusent un certain nombre de valeurs éducatives : souci d’exemplarité et d’assiduité, respect des règles au nom d’une morale sportive que l’on peut considérer comme une forme de transposition de la moralité bourgeoise.
12L’augmentation du nombre des clubs au lendemain de la première guerre mondiale ne va pas altérer le phénomène : ce souci éducatif lié à la pratique s’observe tout autant au sein des petits clubs, qui deviennent progressivement les dépositaires de l’amateurisme originel. L’entre-deux-guerres renforce le contrôle effectif des clubs par la bourgeoisie locale : le glissement des joueurs pionniers vers la sphère des dirigeants (au sein des clubs, de la LNFA et des districts) place la bourgeoisie aux commandes des clubs. Le phénomène peut être accentué par un processus encore peu fréquent de municipalisation (sous la forme de subventions versées aux clubs). Dans le bassin minier, le contrôle des clubs par les compagnies des Mines accélère ce basculement sociologique déjà évoqué, sur le modèle (peut être réducteur) du dirigeant / patron et du joueur / salarié. La prise de contrôle et l’exercice du pouvoir au sein des clubs deviennent la manifestation sportive d’une notabilité jusque-là exprimée sur les plans politique et économique. Encore peu nombreux sur le terrain, les ouvriers assistent aux rencontres et forment ce peuple des tribunes visiblement conquis par les modifications du jeu et par l’affirmation d’identités sportives, autour de clubs miniers. Ces derniers incarnent à leur manière les valeurs du travail, mais offrent aussi l’opportunité d’un contrôle social pour les compagnies minières3. Le Racing-Club de Lens constitue une singularité dans le paysage minier : il développe une forme avancée de supportérisme populaire à mesure de l’emprise de la Compagnie des Mines de Lens.
13La notion de ciment culturel pose davantage d’interrogations qu’elle n’apporte de réponses à un phénomène plutôt complexe. Le football association est cependant le lieu d’expression de manifestations collectives parfois originales : les conséquences démographiques et psychologiques de la première guerre mondiale provoquent une frénésie commémorative et la résurgence d’une forte sociabilité de type patriotique au sein des clubs et des comités. Le mythe du « poilu sportif », citoyen footballeur ayant accompli son devoir, est soigneusement entretenu autour de stades qui portent leur nom (à l’image de Julien Denis pour le Racing-Club de Calais)4.
14 Au lendemain de la guerre, le football association cesse d’être cette sorte de bachellerie sportive réservée aux gentlemen footballeur (pour reprendre la formule de Christian Bromberger)5. Il devient une discipline populaire qui, sans pour autant se substituer aux jeux traditionnels, met fin à leur monopole de sociabilité ludique. Le football association développe une sociabilité sportive, qu’accompagne de nouvelles formes d’expression collective : l’augmentation numérique des clubs, la multiplication des rencontres, leur théâtralité et leur territorialisation entraînent une montée du chauvinisme et de passions désormais partisanes. Elles s’expriment à des niveaux d’échelle différents et deviennent des éléments essentiels à la constitution d’une identité spécifique selon les clubs : les derbies illustrent ces rivalités parfois exacerbées, où s’opposent les clubs d’une même cité, de districts ou ligues en situation concurrentielle. La multiplication des sélections régionales recrée parfois des solidarités territoriales entre clubs nordistes. Elles s’effacent progressivement face à la montée d’un supportérisme qui repose sur une logique d’adhésion et d’engagement vis-à-vis du club. Développant des principes d’assiduité et d’exemplarité, le supportérisme minier présente un visage étonnamment moderne : il cultive au sein de chaque club une identité originale, traduite sous la forme de manifestations d’attachement au club (souscription, paris, bulletins et journaux, déplacements lors des rencontres à l’extérieur, symboles, etc.). Le Racing-Club de Lens et le Racing-Club d’Arras constitueraient en quelque sorte le creuset sportif de la nation artésienne. Si le supportérisme développe entre ses membres une forme particulière de sociabilité, ses manifestations demeurent le produit de la catégorie sociale qui en est dépositaire : le supportérisme du Racing-Club de Lens ne peut être confondu dans ses fondements avec celui du Racing-Club d’Arras, même si les moyens d’expression sont communs. Ce supportérisme de territoires laisse cependant penser que le football ne fait pas véritablement partie de la culture bourgeoise à la veille de la seconde guerre mondiale. Les difficultés du Racing-Club de Calais et de l’US Dunkerque à fidéliser une clientèle autre que populaire semblent indiquer que les couches supérieures demeurent encore spectatrices (dans les deux sens du terme) du spectacle sportif. Elles ont investi les comités directeurs et autres instances exécutives du football régional, mais ne font pas vraiment preuve de cette assiduité, qui distingue le supporter du simple spectateur.
15Il conviendra bien évidemment de poursuivre les investigations au delà de 1940, en élargissant le cadre départemental au territoire plus vaste de la Ligue. Cette extension chronologique et géographique devrait enfin permettre de rédiger une histoire du football nordiste des origines à nos jours. La consultation des Archives Départementales du Pas-de-Calais indique la présence de sources plus nombreuses pour la période contemporaine, notamment à partir des années cinquante. Approche classique qui devrait permettre de porter également sue ce football nordiste un éclairage plus thématique, prolongeant certaines de nos conclusions.
16 Les monographies de clubs, les biographies ou portraits de joueurs et de dirigeants (à l’image d’Henri Jooris), l’histoire des instances (le fonds documentaire de la ligue du Nord est nettement plus conséquent à partir de 1962) peuvent également constituer des entrées à ne pas négliger, à partir de différents niveaux d’échelle. L’organisation pyramidale du football nordiste (selon la logique des cercles évoquée ou le découpage territorial des districts) peut faciliter cette approche. Elle autorise pour la période la plus récente, sur le modèle réalisé, la confrontation de cette histoire régionale du football avec l’histoire du football français depuis 1945.
17L’écriture d’une histoire du jeu de la balle au pied pourrait également constituer un axe de recherche encore peu abordé. Si les règles du football association datent de 1863, leur processus d’apprentissage par les joueurs, dirigeants et spectateurs nordiste s’inscrit dans un temps relativement long. Les règles demeurent approximatives lors de certains rencontres au début des années vingt, en dépit des efforts pédagogiques des clubs et de leurs bulletins. Quant au jeu lui même, cette approche régionale a mis en évidence une absence d’homogénéité dans les pratiques : le football minier apparaît plus rugueux que le football littoral, avant que le milieu des années vingt ne montre un nivellement par le haut des pratiques. Le principe d’éradication de la violence physique et de la brutalité sur les terrains correspond au milieu des années vingt à une scientifisation du jeu. Le « kick and rush » est révolu, le jeu devient plus aéré, plus technique et les premières combinaisons tactiques (qui constituent aujourd’hui des fondamentaux) sont relatées et même expliquées par la presse sportive. Le principe du WM, visible dès 1927 à Auchel, se diffuse très rapidement sur le territoire de la Ligue. Le choix du professionnalisme va accélérer technicité du jeu : il impose un recrutement individualisé, davantage fondé sur les qualités techniques que sur la valeur foncière du joueur.
18Rapidement abordée, la thématique de l’immigration doit aussi faire l’objet de prolongements. Pour le football nordiste, le principe de libre circulation des joueurs s’observe très tôt et s’inscrit dans la logique de liens transfrontaliers entre les états concernés. Le football association donne naissance à une euro-région sportive, que les mouvements migratoires de l’entre-deux-guerres viennent irriguer. Si la présence de joueurs d’origine et de nationalité étrangère dans les équipes nordistes peut être mesurée, la notion d’une intégration par le football mérite d’être nuancée pour la période étudiée et supposerait que l’on s’y arrêtât davantage. De la même manière, les relations entre joueurs et dirigeants, entre dirigeants et supporters, les rapports entre dirigeants des clubs, instances fédérales ou pouvoir municipal constituent d’autres supports à l’étude des relations sociales qu’engendre la pratique du football association. Il en est de même pour la fonction et le poids économique des principaux clubs nordistes, leur mode de gestion lié aux impératifs du professionnalisme. Le pouvoir des clubs et de leurs dirigeants, notamment dans le bassin minier, supposerait d’autres développements qui pourraient préciser la nature des relations entre petits clubs et clubs professionnels...
19Ces approches thématiques centrées sur le football association pourraient également être étendues à d’autres disciplines sportives. Le recensement des séries M, W et Z des Archives Départementales du Pas-de-Calais et la consultation de la presse sportive locale autoriseraient la rédaction d’une histoire régionale de l’éducation physique et des pratiques sportives. Elle permettrait de mieux identifier leurs origines, leur répartition et diffusion géographique, et la dimension socioculturelle de leur pratique.
20Le présent ouvrage aura sans doute permis, au-delà de ses imperfections et de ses limites, de réunir un ensemble de données et de matériaux autorisant la poursuite de travaux plus thématiques. Il aura rendu plus lisible, au moins jusque 1940, une histoire du football nordiste, à partir d’une approche géographique sélective. Il aura mis en évidence un certain nombre de similitudes et singularités, à partir de l’histoire de quelque clubs, joueurs ou dirigeants aujourd’hui emblématiques. Il aura peut être contribué à défendre et à illustrer la légitimité d’une histoire du sport et des pratiques sportives, à partir d’une discipline populaire, désormais planétaire, et aujourd’hui partie intégrante de notre histoire sociale et de notre patrimoine culturel.
Notes de bas de page
1 « Alors qu’elle est depuis longtemps reconnue dans les pays anglo-saxons et en Allemagne, l’histoire du sport n’en est encore, en France, qu’à ses premiers balbutiements. L’histoire du football n’échappe pas à cette règle, même si un important colloque organisé en mai dernier à Paris vient peut être de mettre un terme à l’ostracisme dont elle était frappée jusqu’alors. Sans doute les chroniques et les fabuleuses histoires qui garnissent les rayons sports et loisirs de nos librairies laissent-elles dans l’ombre les véritables travaux historiques réalisés sur cette question. Toutefois, en marge des champions, des clubs et des compétitions qui attirent la curiosité des chroniqueurs (et des lecteurs), il existe d’innombrables chantiers sur lesquels pourrait être menée avec profit une histoire plurielle incluant des approches sociale, économique et politique du football. Quels sont ces chantiers ? Quelles en sont les sources ? Quelles questions l’historien doit-il leur poser ? Et, en définitive, dans quelle mesure et à quelles conditions l’histoire du football apparaît-elle comme une composante majeure de l’histoire (socio) culturelle de la France du XXe siècle ? ». Texte de présentation de la conférence-débat animée par Alfred Wahl, lors des Tables rondes 1998/99, organisées par le Centre Lillois de Recherche en Analyse du Sport, Université de Lille 3, 7 décembre 1998.
2 Les statuts du Racing-Club Etaplois (fondé en 1912) ne mentionnent même pas la pratique du football association : il constitue une discipline sportive parmi d’autres. 1) Il est fondé, sous le nom de Racing-Club Etaplois, une société ayant pour objet la pratique de tous les sports, de la gymnastique, de la préparation militaire, de l’éducation physique sous toutes ses formes. 4) Les ressources de la société sont constituées par des dons, des subsides et la cotisation des membres. 5) La société se compose de membres actifs, honoraires ou bienfaiteurs. Tous les membres doivent être français. 6) Les membres actifs sont : les membres du comité et ceux pratiquant les sports et exercices faisant l’objet de la société. Leur cotisation est fixée à 1 franc par mois plus 1 franc de droit d’entrée ».
3 Dans une note de service envoyée aux différents centres d’extraction, la Compagnie des Mines de Lens indique que tous les salariés de votre groupe qui désirent se consacrer au football devront obligatoirement s’inscrire, soit au Racing-Club de Lens, soit à l’USVA. Sur le terrain des valeurs véhiculées par les pratiques sportives, les sociologues observent que « les sports durs s’investissent alors de toutes les valeurs du travail manuel masculin... Au football par exemple, « on préfère de loin le travail carré à la dentelle », et au rugby d’avants, « on va au charbon »... Dans tous les cas, ce qui semble ici pertinent c’est, d’une part, l’intensité de la dépense physique et, d’autre part, « un investissement énergétique dominant du corps sur des matières. » Cité par : Pociello (Christian), Sports et société, Vigot, 1981, p. 191.
4 « Né en 1887 dans un petit village du Cambrésis, comme ses trois frères, il passe de l’Ecole communale à l’Ecole Supérieure de Foumes, alors dirigée par monsieur Gombert, une figure originale et énergique qui, devançant les vieux pontifes, avait compris dès 1900 que le sport doit être pour les jeunes gens voués à la vie pénible et ingrate de la pension une distraction bienfaisante et salutaire. Une plaine attenant au pensionnat fut mise à la disposition des élèves et ce fut le point de départ d’un mouvement puissant et irréversible en faveur du football. La cour de récréation elle même devint le lieu de luttes homériques où le dribbling, le shoot et même la charge franche et loyale étaient à l’honneur : admirable école de football qui devait jouer dans le Nord un rôle d’une importance capitale. Julien Denis, suivant l’exemple de son frère aîné qui eut quelque notoriété à l’UST puis à l’AS Française de Paris, fut vite conquis par le sport captivant du football. Sa ténacité, son application et ses moyens physiques remarquables en firent bientôt un équipier brillant qui retint l’attention de tous ses camarades : ceux-ci d’ailleurs lui confièrent bientôt le capitanat. Confiance extrême qui lui accordait le droit exclusif de porter une superbe écharpe sur sa robuste poitrine les jours de matches. Faut-il rappeler aux extra-vieux que l’équipe de Fournes avait acquis à l’époque une notoriété supérieure dans la région du Nord ? Il est vrai qu’elle comportait des joueurs de grand valeur : Degouve, Jonvel, Bontagne, Gravelines, Baligand... Tous ont illustré le football nordiste d’un vif éclat. [...] Julien Denis était un sportif né. Il fit un jour un pari qui fit sourire malicieusement ses camarades de classe. Il paria de faire 30 fois le tour du terrain de football. On se moqua de lui. A l’époque, on ne parlait guère de courses de fond. Le jour venu, il couvrit avec le sourire les 9 kilomètres. Prouesse remarquable d’autant plus significative que notre coureur n’était ni spécialisé ni entraîné dans ce sport, mais qui témoignait d’un souffle inépuisable et d’une résistance physique incomparable. Julien quitta le pensionnat Gombert muni de son brevet. A 18 ans, il s’engagea pour libérer son frère Léon et c’est ainsi qu’il fut amené à servir un 8e RI à Calais. Repéré par les dirigeants du RCC, il devint le pilier incontesté de l’équipe et occupa durant 7 ans le poste de demi centre. Il fut surtout un défenseur remarquable. Il lui est arrivé maintes fois de museler à lui seul une triplette adverse, même quand celle-ci était de classe. Ajoutez à cela un esprit de club incomparable et un cœur d’or. Lutteur de premier ordre, loyal et tenace, il servit toujours d’exemple à ceux qui le côtoyaient. [...] Demandez aujourd’hui à ceux qui ont défendu les couleurs noir et or à ses côtés ce qu’ils pensent de Julien Denis ? Ils vous diraient qu’il était leur idole, leur frère adoptif et que sa mort, le 15 août 1914 (à l’âge de 27 ans) face à l’ennemi dans les fossés de Dinant les a jetés dans la profonde consternation. Jeunes générations qui ne l’avez pas connu, vénérez ce nom bien-aimé de la grande famille noir et or. Il mérite bien cela... »
5 Bromberger (Christian), Football, la bagatelle la plus sérieuse du monde, Bayard Editions, 1998, p. 119.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Rugby : un monde à part ?
Énigmes et intrigues d’une culture atypoque
Olivier Chovaux et William Nuytens (dir.)
2005
50 ans de football dans le Pas-de-Calais
« Le temps de l’enracinement » (fin XIXe siècle-1940)
Olivier Chovaux
2001
L’Idée sportive, l’idée olympique : quelles réalités au XXIe siècle ?
Olivier Chovaux, Laurence Munoz, Arnaud Waquet et al. (dir.)
2017
Un pour Mille
L'incertitude de la formation au métier de footballeur professionnel
Hugo Juskowiak
2019