Un âge d’or du football nordiste ?
p. 265-331
Texte intégral
1. Des parcours sportifs variables selon des options professionnelles différentes
1Les dix dernières années qui précèdent l’entrée en guerre constituent un âge d’or pour le football nordiste. Le palmarès des clubs amateurs ou professionnels constitue l’un des indicateurs de la vitalité sportive d’une Ligue qui compte en 1938 près de 500 clubs affiliés à la FFFA, dont 16 sont engagés en championnats nationaux, sur un total de 43 clubs autorisés : 16 clubs de Division I, 17 clubs de Division II et 10 clubs d’une éphémère Division III mise en place lors de la saison 1936/37. Elle sera supprimée pour des raisons économiques une année plus tard. D’autres clubs nordistes, engagés dans le Championnat de France Amateur créé en 1934, obtiennent également des résultats honorables. Cette importance numérique des clubs nordistes et leurs résultats montrent qu’ils ont fait preuve d’un opportunisme sportif ayant permis d’intégrer rapidement les principes et exigences du professionnalisme. Cette réussite également visible dans une concentration polarisée des clubs (Lille/Roubaix/Tourcoing, phénomène d’essaimage autour de Lens et Béthune, Boulogne et Calais sur le Littoral, Amiens en Picardie), s’explique par la conjugaison de trois facteurs : la structuration rapide des instances du football nordiste, le rôle essentiel du Président Jooris dans l’engagement en faveur du professionnalisme et l’organisation de compétitions hiérarchisées qui favorisent les processus de détection et de recrutement des futurs joueurs des équipes professionnelles.
2Pour la saison 1935/36, 4 clubs nordistes évoluent en première Division. L’Olympique Lillois, longtemps en tête après une brillante demi-saison, doit abandonner la première place au Racing-Club de Paris, qui réalise un sans faute dans la seconde partie du Championnat (4 points perdus sur 13 rencontres).
3Pour la saison 1935/36, le Championnat de seconde division regroupe 18 clubs (au lieu de 14 la saison précédente), dont 1/3 appartiennent à la Ligue du Nord (RC Roubaix, RC Lens, RC Calais, US Boulogne, Olympique de Dunkerque et Amiens AC). De nombreuses défections liées aux contraintes financières du professionnalisme ont entraîné désistements et promotions : départ de PUS Tourcoing qui fusionne avec l’Excelsior AC évoluant en première Division, arrivée du SO Montpellier, abandon du FC Hispano-Bastidienne, promotions de l’OGC Nice, du Stade de Reims, du FCO Charleville, de l’AS Troyes, du FC Nancy, de l’Olympique de Dunkerque et de FUS Boulogne enfin, pour La ligue du Nord.
4Au Racing-Club de Lens, cette deuxième saison professionnelle est placée sous le signe d’une certaine continuité, tant au niveau du recrutement que du maintien de l’équipe dirigeante : l’entraîneur belge De Veen conserve son poste mais, malade, il sera obligé de céder sa place à Raymond François puis à l’Anglais Galbraith en cours de saison. La plupart des membres du Comité Directeur, Conseil d’Administration et commissions demeurent en fonctions.
5Les transferts de l’intersaison sont moins nombreux que lors de la précédente saison (se reporter au tableau ci-dessous). On peut noter un changement de stratégie et d’orientation du Comité Directeur du Racing, qui dispose désormais d’un effectif professionnel plus homogène. Il convient simplement pour cette saison d’ajuster la composition du groupe à des choix tactiques : c’est en effet la ligne d’attaque qui se trouve particulièrement renforcée avec l’arrivée de trois professionnels qui compensent les départs de joueurs du RCL à PUS Boulogne, nouveau promu en deuxième division :
Racing-Club de Lens. Transferts pour la saison 1935/36. (*)
Arrivées Marian Calinski (Amateur, RC Sains-en-Gohelle), Stéphan Dembicki (AS Sallaumines) (**) Edouard Arravit (Amiens AC), Viktor Spechlt (HAC), Gaston Plovie (RC Roubaix), Abdeslam Ben Ahmed dit « Butina » (Tanger), Louis Saint Georges (ASSE) Départs Balavoine (Stade de Reims), Lechantreux (entraîneur au CS Avion). Debruykère, Penel, Rizzo, Keller, Walter (USB) |
6La transnationalité des transferts renforce la présence des joueurs d’origine étrangère au sein des équipes professionnelles. Ils représentent 30 % en moyenne des effectifs pros des clubs de première division pour la période 1932/39. Pour les principaux clubs nordistes de deuxième division, des proportions légèrement supérieures semblent indiquer une reproduction du phénomène de pillage des clubs d’Europe Centrale et de l’Est déjà observé. Les nouveaux joueurs recrutés au Racing pour la saison 1935-36 n’échappent pas à ce principe, mettant en évidence la qualité du football professionnel pratiqué en France, et indiquent également que les clubs nordistes disposent de moyens financiers permettant l’acquisition de joueurs de talent : Marian Calinski et Stéphan Dembicki sont d’origine polonaise, Viktor Spechlt est Autrichien (il jouait à l’Austria de Vienne avant d’être transféré au HAC puis au Racing), Edouard Arravit et Abdeslam Ben Ahmed (Olympique marocain puis FC Séville et Tanger) sont originaires d’Afrique du Nord. Les tableaux qui suivent permettent de recenser le nombre de joueurs étrangers évoluant dans quelques clubs nordistes pour les saisons 34/35 et 35/36. Si leur nombre par rencontre est limité à 3, ils représentent en moyenne 40 % de l’effectif professionnel pour les deux saisons observées. L’importance des courants migratoires dans les années vingt, l’installation de communautés étrangères dans le bassin minier et la position géographique de la région (proximité de la Belgique et de l’Angleterre) ont sans doute facilité cette présence soutenue de joueurs d’origine étrangère dans les clubs nordistes :
7Au Racing-club de Lens, la majorité du recrutement et des transferts s’effectue au sein de clubs professionnels : un seul joueur amateur, Marian Calinski (évoluant au poste d’arrière au 3e Génie puis au RC de Sains-en-Gohelle), est recruté pour la saison 1935/36. L’arrivée de Louis Saint-Georges, originaire de l’ASSE, est en fait un retour aux sources, dans la mesure où sa famille était installée à Loos-en-Gohelle. Disposant d’un effectif relativement jeune qui bénéficie des facilités offertes par la Compagnie des Mines, la question de la reconversion des anciens pro du Racing se pose moins sur le plan professionnel que sur le plan sportif : les joueurs de l’équipe première peuvent ainsi achever leur carrière au sein des sections amateurs du RCL, ou envisager une reconversion au poste d’entraîneur (c’est le cas de Lechantreux au CS Avion)1.
8Recruté au mois d’octobre 1935 pour dynamiser la ligne d’attaque du Racing (à l’issue des 8 premières rencontres de championnat le bilan est en effet plus mitigé que les années précédentes : 3 victoires, 4 nuis et 1 défaite), l’avant-centre Stéphan Dembicki ne pourra cependant disputer aucun match dans l’équipe première du RCL au cours de la saison. Il est en effet suspendu pour avoir signé deux licences (à l’AAE de Sallaumines et au Kurger d’Hames).
9A la différence du Racing-Club de Calais, dont les évolutions du style de jeu et les choix tactiques ont privilégié un milieu de terrain qui oriente et distribue le jeu, le Racing-Club de Lens continue de privilégier un jeu offensif, à l’image du recrutement effectué pour la saison 1935/36. La morphologie de Stéphan Dembicki, avant-centre massif qui entretient cette représentation athlétique du footballeur, perpétue finalement cette image de robustesse et de virilité qui demeure l’un des fondements du club. Il prolonge l’analogie entre football, monde du travail et de la mine, où la résistance physique, l’endurance et la force sont les images récurrentes des travailleurs du fond.
10Le calendrier sportif de la saison, calqué sur celui des saisons précédentes, alterne selon un rythme très classique matches de préparation, matches de championnat, matches de Coupe de France. Les rencontres amicales en fin de saison viennent compléter le calendrier du club, éliminé en Coupe de France au 6e tour de la compétition (1/16e de finale) face au FCO Charleville (4/2).
11En dépit d’une saison très inégale sur le plan des résultats (28 victoires, mais 40 % d’entre elles lors de rencontres amicales, 12 matches nuls et 11 défaites), le RCL termine à la 4e place du championnat de Division II. La moyenne du nombre de buts marqués par match (2,14) place le club au troisième rang, derrière le FC Rouen, vainqueur de la compétition (3,5), le RC Roubaix (second avec 2,45) et devant l’équipe des « millionnaires » de l’ASSE (2,04). Ce qui tend à démontrer l’efficacité du recrutement de l’intersaison et le poids des joueurs d’origine étrangère dans les succès enregistrés par le club : ils représentent non seulement les joueurs les plus fréquemment utilisés par l’entraîneur lors des rencontres officielles, mais sont également les meilleurs buteurs du club. Le recrutement ne peut plus être qualifié d’aléatoire ou répondant à de simples impératifs budgétaires, il devient l’un des moments essentiels de la vie du club, car son efficacité conditionne en partie sa réussite en championnat. Les critères géographiques qui étaient de mise lorsque le club évoluait en championnat de ligue amateur sont relégués au second plan au profit de critères techniques et tactiques.
12Outre la scientifisation de l’entraînement visible pour le RC-Calais, les stratégies de recrutement répondent donc à des impératifs précis qui se vérifient sur le plan de la stricte comptabilité. Les joueurs nouvellement recrutés et dont les performances sont en deçà des espérances sportives des dirigeants sont transférés en cours de saison (c’est le cas de Saint-Georges prêté en cours de saison à l’USB) ou placés sur la liste des transferts payants dès la fin de la saison (une commission de sélection et de transferts gère ces questions). Le rôle des « recruteurs » des clubs professionnels s’avère donc déterminant : il vient compléter les recrutements internes et les processus de détection au sein des équipes amateurs et de jeunes. A partir de 1936, le Racing-Club de Lens organise des journées de détection à l’occasion de tournois qui opposent les équipes scolaires des écoles Carnot, Paul Bert et Condorcet. Près de 250 jeunes footballeurs participent à ces rencontres organisées et encadrées par d’anciens joueurs ou entraîneurs du RCL.
13L’image d’un Racing forcément populaire, émanation directe de la classe ouvrière, doit être singulièrement nuancée dans les années trente, au moins en ce qui concerne le recrutement de ses professionnels : celui-ci répond effectivement davantage à des impératifs sportifs liés à la politique du club, qu’à une volonté réelle de constituer une équipe issue de joueurs-indigènes ». Ils sont d’abord recrutés, sur la base de leur valeur sportive et de leur efficacité face aux buts adverses, et non pas en raison de leur contribution au processus de construction d’une identité et d’une culture sportives originales. En dépit des discours contemporains constitutifs de la légende des Sang et Or, c’est d’abord autour du stade et dans les tribunes que cette identité populaire se constitue : elle viendra par la suite se greffer sur l’équipe première du Racing. Quant aux cercles dirigeants, ils sont et demeurent viscéralement l’émanation et la propriété des notables locaux et de la Compagnie des Mines.
14Au Racing-Club de Calais, la saison 1935/36 est celle du pragmatisme sportif, après l’euphorie raisonnable d’une première saison professionnelle, où le club avait cultivé son originalité. La lecture du Racing semble indiquer que les enjeux et préoccupations des dirigeants du club sont autant liés aux résultats sportifs et à la quête du maintien en D2, qu’au développement d’installations qui assureraient l’équilibre financier du club. L’introduction du professionnalisme en France a été plus rapide que la mise en place de structures adaptées, notamment au niveau des clubs : les moyens financiers et administratifs de la Compagnie des Mines de Lens évitent au Racing-Club de Lens de se voir confronté à ces difficultés (le siège social du Club est d’ailleurs transféré aux bureaux de la compagnie minière, trace physique de la dépendance ou subordination du club et de l’emprise de la CML). D’autres clubs de deuxième Division, et notamment ceux qui accèdent au professionnalisme, prennent conscience des impératifs du maintien. La pérennité du statut professionnel suppose une viabilité financière qui ne semble pas garantie au départ : l’organisation des compétitions sur l’ensemble du territoire provoque une distribution spatiale des clubs aboutissant à un système fermé (pour reprendre l’expression de Loïc Ravenel) qui concentre les clubs selon une diagonale NW/SE (grosso modo de Boulogne-sur-Mer à Nice)2.
15Le projet d’une régionalisation des compétitions, expérimenté lors de la saison 33/34 en deuxième Division (qui comptait alors un groupe Nord et un groupe Sud), susceptible de limiter les déplacements des clubs, sera finalement mis en place au cours de la saison 1937/38. Il fait d’ailleurs suite à l’éphémère création d’un championnat de 3e Division « Interrégionale » pour la saison 1936/37, réunissant une majorité de clubs nordistes, signe manifeste de la prééminence territoriale de son football3.
16Ce projet de régionalisation des compétitions limiterait les fluctuations des clubs au sein de l’élite (abandons suite aux dépôts de bilan, déclassements, etc.) et pourrait contribuer à une stabilisation de celle-ci. Il garantirait l’application d’une stricte logique sportive, sur les principes de montée ou de descente qui dépendraient exclusivement du classement des clubs et non de leur bilan financier. Ce projet semble en tout cas réclamé par le Racing-Club de Calais et sans doute l’Olympique de Dunkerque, au vu de ses résultats financiers. Les dirigeants de ces deux clubs dénoncent l’effet pervers des championnats professionnels et du groupement des clubs autorisés, qui fragilisent et précarisent les clubs, au lieu de contribuer à un équilibre synonyme de longévité :
Les clubs professionnels et surtout ceux de deuxième Division soufrent beaucoup, financièrement parlant, de la distance qui les sépare de leurs concurrents et de l’importance trop grande des déplacements qu’ils ont à effectuer pour les rencontres du championnat. Il est évident qu’en ce qui nous concerne, par exemple, ce n’est pas faire une promenade de santé que d’aller jouer à Nice Montpellier ou Saint-Etienne et que, par ailleurs, ces voyages qui nécessitent plusieurs jours d’absence, ne se font pas sans opérer, dans notre caisse, une « trouée » dont elle se passerait bien.
Ces détails, il faut le reconnaître en toute équité, n’ont pas échappé à l’active Commission des Clubs Autorisés dont les efforts tendent à créer deux groupes dans la Division Interrégionale : un groupe Nord et un groupe Sud, ce qui faciliterait singulièrement la tâche des clubs en leur supprimant d’inutiles frais de déplacement. Mais le nombre des clubs de la division Interrégionale est actuellement trop petit, surtout dans le Sud, pour permettre la formation de deux poules et, fort sagement, la Commission fait appel à de nouveaux adeptes au professionnalisme..4
17Si les dirigeants du Racing font preuve de pragmatisme, ils continuent cependant à entretenir cette « culture de l’élite », caractéristique de l’organisation du football français de l’entre-deux-guerres, dont le professionnalisme représente finalement l’incarnation. La régionalisation des compétitions, qui demeure souhaitable sur un plan strictement organisationnel, ne doit pas s’accompagner d’une paupérisation sportive dont le risque est clairement identifié : l’augmentation numérique des clubs peut en effet entraîner un phénomène de dispersion du public assistant aux rencontres, avec les conséquences sur les recettes déjà évoquées. La logique concurrentielle qui peut s’exacerber par un accroissement de l’offre, ne peut être envisagée sans limites, au risque de provoquer la faillite d’un système en cours de structuration.
18C’est finalement un sentiment d’ambivalence qui semble présider aux destinées du Racing-Club de Calais : fierté d’appartenir à une élite sportive, reconnue par les instances fédérales, et qui s’inscrit lentement dans la logique de construction pyramidale du football français. En même temps, volonté manifeste de limiter les excès ou formes de déviances qui résulteraient d’un professionnalisme tous azimuts et qui mettraient en péril l’équilibre financier du club. Pour gérer ces contradictions, le club accepte les arbitrages et décisions de la FFFA, signe que celle-ci a su progressivement imposer son autorité sur la gestion du football professionnel, après sa mise en place « à marche forcée », sous l’impulsion forte des dirigeants des clubs. Les velléités contestataires laissent progressivement leur place au champ de négociations et propositions plus techniques, qui doit rendre compatibles les contraintes de gestion des clubs et le développement du football association en France. Au milieu des année trente, la FFFA et la Ligue du Nord accentuent leur fonction de gestionnaires du football hexagonal et régional, tout en poursuivant leur politique de promotion de la pratique.
19Chez les dirigeants du RCC, la corrélation établie entre le niveau de pratique du club et la taille de la cité qui l’abrite doit assurer sa rentabilité, ce qui suppose par ailleurs des infrastructures adaptées pour l’accueil du public. La fréquentation régulière des stades devient un paramètre essentiel et préoccupant pour les dirigeants des clubs, déterminant en tout cas dans le choix du professionnalisme : c’est la proximité géographique du SC Fivois et la crainte d’un détournement du public lillois qui oblige le président Jooris et l’OL à franchir le pas. Ce sont ces mêmes interrogations qui agitent le Comité Directeur du RCL, avant que l’appui de la Compagnie des Mines de Lens ne balaie l’objection du nombre d’habitants de la cité minière. A Calais et Dunkerque, les nombreux débats au sein des comités directeurs des clubs respectifs mettent l’accent sur les difficultés des clubs de seconde Division à équilibrer leur budget. Fait extrêmement rare, le bulletin du Racing-Club de Calais présente en février 1936 un état assez précis des finances du club, du moins en ce qui concerne les dépenses et recettes provenant directement de quelques rencontres allers. Les chiffres mettent en évidence le risque de déficit structurel généré par une insuffisance des recettes et le poids des « prélèvements obligatoires » : remboursement des déplacements du club visiteur et part des recettes lui revenant, pourcentages prélevés par la Ligue et la FFFA, remboursement des arbitres et du délégué de la rencontre, taxes fiscales.
20A l’issue des matches aller, le Racing-Club de Calais présente un déficit de 16 973,10 francs, provenant en grande partie d’un cumul de résultats négatifs enregistrés lors du déplacement à Calais des clubs du Sud, de l’Ouest et de l’Est de la France. Les inquiétudes des dirigeants du RCC et leur souhait de voir la FFFA tenir compte de critères régionaux dans l’organisation des championnats de France professionnels se vérifient dans ces chiffres. Ils appellent un certain nombre de remarques, à commencer tout naturellement par la situation de précarité financière du club calaisien à mi-parcours de la saison 1935/36 (d’autant que le tableau ne fait pas mention des dépenses liées aux salaires des joueurs et de fonctionnement). Le déficit enregistré est donc plutôt de type structurel, dans la mesure où les recettes ne suffisent pas à subvenir aux dépenses liées à chaque rencontre. L’accueil des clubs géographiquement éloignés entraîne un déficit systématique lié à l’obligation de remboursement des frais de déplacements des visiteurs (ce qui représente de 30 à 90 % des recettes totales, selon les clubs rencontrés). Le chiffre moyen des recettes (14 726,35 francs) et les données disponibles pour chaque match montrent une stabilité de la fréquentation du stade Julien Denis et ce quelle que soit l’équipe visiteuse. Seule la rencontre RCC/Olympique de Dunkerque, qui peut être qualifiée de match de proximité plutôt que de derby, connaît un pic d’affluence, en raison du déplacement des supporters du club dunkerquois. L’adéquation entre derbies et affluence-record, avec les incidences financières que cela suppose, est loin d’être systématique : la venue du Racing-Club de Lens le 22 décembre 1935 représente la plus mauvaise recette de la première partie du championnat.
21Le tableau met en évidence l’esquisse d’une politique de fidélisation du public, dont l’assiduité aux matches est essentielle à la survie financière du club. Il existe un tarif préférentiel pour les abonnés, et le RCC distribue un nombre important de gratuités : elles représenteraient en moyenne 1/3 de recettes supplémentaires, si le principe n’était pas appliqué. On peut supposer que ce choix d’accueillir un public non payant est une nécessité, si l’on considère les difficultés économiques qui pèsent sur la cité au cours de la période : elles touchent essentiellement des milieux populaires qui constituent l’essentiel du public se rendant au stade. Cité par Le Racing, cet extrait du Bulletin de l’Olympique de Dunkerque intitulé « sport et finances » souligne les difficultés financières qui sont celles des deux clubs maritimes, et avance de précieux éléments d’explication :
La situation financière de certains clubs professionnels ne s’est pas précisément améliorée. L’on en cite deux, notamment en Division Interrégionale qui feront sous peu leurs adieux à la compétition...
Et comment porter remède à la situation ?
1. Faire des recettes
2. Obtenir une meilleure distribution de celles-ci
Faire plus de recettes, c’est bien plus commode à dire qu’à réaliser [...]
La moyenne des clubs de la deuxième division professionnelle ne fait pas plus de 10 à 12 000 francs de recettes brutes par match de championnat. La région ne permet pas davantage où la concurrence vous prend une partie de la clientèle.
Or, il est indispensable pour boucler le budget que la moyenne soit de 14 à 15 000 francs.
De ce chiffre de recettes brutes, il convient de retenir :
1. taxes fiscales et participations municipales : 1600/1700 francs
2. part de la Fédération et de la Ligue : 3,5 %
3. frais de délégué et arbitres : 700/800 francs
4. frais de déplacements des équipes visiteurs : 10,00 francs par km
5. participation de celle-ci : 40 % du solde
De sorte que votre participation dans ces 14 à 15 000 francs de recette brute, si vous avez affaire à une équipe du Nord, de l’Est, où de Paris, se réduit à 6000 francs maximum et à zéro si vous rencontrez un des lointains : Montpellier, Nice et Villeurbanne.
En déplacement, votre participation excède rarement 3500 francs.
Ainsi donc, en comptant 4 dimanches du championnat dont 2 pour recevoir et 2 pour visiter, nous pouvez compter sur un net mensuel de recettes de 18 à 20 000 francs et il s’agit alors d’un mois bien tassé, c’est-à-dire ne présentant pas de dimanches creux dévolus à la Ligue, les rencontres internationales ou la coupe de France, dont le nombre hélas ne va que croissant5.
22Les chiffres avancés par le club dunkerquois sont très proches de ceux publiés dans le tableau publié par Le Racing en ce qui concerne la fourchette des recettes brutes et les divers prélèvements opérés. Pour le RCC, la situation est cependant plus préoccupante que celle de la majorité des clubs de deuxième Division. La présence d’autres clubs nordistes engagés dans la compétition limite la sphère d’influence du Racing-Club de Calais qui partage peut-être un « pouvoir d’attraction » avec les clubs de Dunkerque, Calais, Boulogne et Lens. Cette situation de concurrence et de proximité géographique des clubs rend obsolète tout principe de monopole sportif au sein de la ligue du Nord et finalement favorise la multiplication de derbies. Il semble cependant que cette concentration de clubs sur un territoire réduit contribue à banaliser les compétitions, au risque de provoquer une désaffection d’un public essentiellement populaire. On comprend dès lors mieux ce souci de fidélisation du public par une politique de promotion (prix des places et gratuités offertes), qui peut à terme engendrer et pérenniser un engouement que les affiches des rencontres (à l’exception peut être des derbies) ne réussissent plus à générer. Ce phénomène de lassitude, au moment où le football connaît une phase d’expansion, peut aussi s’expliquer pour les clubs professionnels par la frénésie des calendriers sportifs et les obligations des clubs vis-à-vis de la ligue et de la FFFA. Le calendrier des rencontres internationales et des sélections de Ligues de plus en plus nombreuses représentent une contrainte supplémentaire : interdiction de rencontres amicales qui pourraient concurrencer les matches officiels, meilleurs joueurs des clubs pros retenus lors de ces sélections (avec les risques inhérents de blessures et la période d’indisponibilité qui s’ensuit pour le club propriétaire du joueur)...
Or, le budget ne comporte pas que des recettes. Il y a le côté dépenses et je vous dirai qu’un club qui n’a besoin pour son train de vie (lisez salaires, loyers, frais d’exploitation) que de 25 000 francs est un club qu’on ne saurait accuser de faire danser l’anse du panier. Donc, vous avez déjà compté que le déficit mensuel oscille entre 5000 et 7000 francs. Pour le combler, il faut de la finance et celle-ci ne peut venir que d’un supplément de recettes ou de concours particuliers [...].
Dunkerque a tout ce qu’il faut pour faire de bonne recettes et rendre la vie facile au football professionnel : la contrée est riche, l’agglomération compte plus de 100 000 habitants, le stade est magnifique et devrait inciter tout amateur de sport à y passer une couple d’heures chaque dimanche à suivre le spectacle le plus ardent et le plus prenant qui soit [...].
Or, le plafond de nos recettes pour une moyenne de 1800 à 2000 spectateurs semble devoir se cantonner vers les 12 à 13 000 francs, chiffre absolument insuffisant et qui prouve au surplus, si l’on fait le dépouillement des places, que la clientèle aisée nous boude Ce qu’on y appelle la bonne société est une société fermée, plus incrustée dans ses quartiers de fraîche noblesse républicaine que les Légitimistes de la Restauration et qui se tient à l’écart du grand public.
Inutile de lui représenter que les grandes manifestations du football étant donné les masses qu’elles sont susceptibles de déplacer (Calais/Lille : 6000 spectateurs au Stade Tribut) contribuent à la prospérité de Dunkerque.
Inutile de lui dire qu’il s’agit de spectacles sains et moralisants par excellence qui fondent l’Education Physique et Sportive de la Jeunesse et sont à la base du nouveau programme de son éducation [...]
Notre clientèle, et je m’empresse de lui exprimer ici toute notre sympathie, se compose en majorité de commerçants, employés et fonctionnaires, artisans et dockers, et parmi eux, même des 1/2 chômeurs, économisant sur leur maigre pitance de quoi se payer l’entrée du dimanche au match !
Et voilà comme quoi les tribunes des secondes sont toujours abondamment garnies, alors que celles d’en face, les réservées et les premières, présentent 9 fois sur 10 de nombreux gradins vides.
Ah ! Si nous avions seulement de 3 à 400 spectateurs de plus le dimanche aux places de réservées et des premières, le problème serait résolu.
Par ailleurs, en fait de concours particuliers, il serait vain d’envisager des participations autres que celles qui nous ont été accordées par une dizaine de personnalités de la ville, devenues à juste titre nos membres bienfaiteurs, en souscrivant à la caution de 50 000 francs à la FFFA6.
23Si l’agglomération dunkerquoise dispose à l’évidence d’une population nombreuse, sa présence au Stade Tribut ne suffit pas non plus à générer des recettes suffisantes : situation moins paradoxale qu’il n’y parait si l’on compare le chiffre moyen du club maritime (moins de 2000 spectateurs par rencontre) à celui des autres équipes de la Ligue du Nord engagées dans les championnats professionnels : au cours des années trente, il est de 5 à 7000 spectateurs pour les clubs nordistes. Il demeure en deçà des données disponibles pour les grands matches de la Coupe de France (surtout lorsqu’il s’agit de rencontres de proximité ou de matches opposant clubs amateurs « rescapés » et clubs professionnels) et les rencontres internationales. Il convient également de relier ces chiffres aux capacités d’accueil des infrastructures sportives des clubs respectifs, qui, à l’exception du stade Virnot du SC Fivois (25 000 spectateurs), disposent rarement de stades dotés de plusieurs tribunes en dur, permettant d’accueillir plusieurs dizaines de milliers de personnes.
24Si le nombre moyen de spectateurs de l’Olympique Dunkerquois parait modeste, encore faudrait-il pouvoir le comparer aux affluences d’autres manifestations sportives (courses cyclistes et rencontres de boxe notamment) et prendre en compte la fréquence des matches, ainsi que leur nombre sur la totalité de la saison. Ce qui donnerait en affluence cumulée, des chiffres de toute autre dimension (près de 70 000 spectateurs pour Dunkerque, en ne prenant en compte que les rencontres du championnat de division II).
25La fréquentation du stade par un public majoritairement issu des classes moyennes et populaires ne constitue pas une originalité : les supporters de l’Olympique Dunkerquois sont socialement proches de ceux du Racing-Club de Calais, du RCL, de l’US Boulogne ou encore du Sporting Club Fivois. Elément qui participe au développement d’une culture associative avant 1914, le football association intègre progressivement les domaines de la culture populaire dans l’entre-deux-guerres, et devient une activité privilégiée dans un temps des loisirs identifié. Les « artisans, ouvrier, employés et commerçants » qui se rendent aux Stades Bollaert, Tribut ou Julien Denis constituent donc ce peuple des tribunes dont la présence massive inquiète les dirigeants dunkerquois : le sentiment d’agoraphobie, perceptible avant 1914, a certes disparu. En revanche, le clivage ouvriers/spectateurs et bourgeois/joueurs/dirigeants, pour être simpliste et réducteur, n’en constitue pas moins une réalité. Si le football se popularise dans les années trente, c’est avant tout autour du stade et dans les tribunes que cette démocratisation est visible, et non au sein de la composition des équipes et des comités directeurs. L’échec patent du développement d’un football ouvrier autonome et les aléas du football corporatif ont montré les limites d’une appropriation de la pratique par la classe ouvrière. Les exemples de paternalisme sportif suffisent à montrer que le patronat local a su parfaitement transposer dans le domaine du football et du sport en général les règles du philanthropisme social du XIXe.
26Les dirigeants de l’Olympique Dunkerquois peuvent insister sur les vertus éducatives et hygiénistes de la pratique du football, et sur la dimension saine et moralisante d’un spectacle sportif susceptible d’attirer une clientèle bourgeoise, celui-ci demeure aux marges d’une culture bourgeoise encore classique, héritière des pratiques de la Belle Epoque. Dans les villes du Littoral, les pratiques de loisirs de la bourgeoisie se déroulent en effet au sein de cités industrielles ou portuaires ayant développé une activité balnéaire saisonnière, à l’origine de pratiques sportives et de loisirs spécifiques et d’une vie culturelle originale. A Calais, si la démocratisation des sports modernes se vérifie par le large inventaire des disciplines, elle demeure aussi distinctes de pratiques culturelles plutôt bourgeoises ou aristocratiques (fréquentation des salles de spectacle et de cinéma, concerts, conférences et sociétés littéraires, telles les Rosati de Calais).
Le sport favori, le sport populaire demeurait sans conteste le football [...]. L’admiration des foules se portait sur l’équipe du Racing, club professionnel en 1933. Sur le Stade Julien Denis, dédié à la mémoire de l’international tué à la guerre, on put admirer de très bonnes équipes étrangères [...]. On jouait beaucoup au basket ; la boxe, le hockey, le tir à la carabine et à l’arc, le cyclisme, le billard, l’automobile et la moto, l’athlétisme, l’aviron, la natation, l’haltérophilie, le ping-pong se partageaient également les faveurs du public. La gymnastique et particulièrement la société « l’Etoile » était l’ambassadrice du sport calaisien [...].
Une compétition motocycliste connut un grand succès sur le plan national et même international. Cette compétition s’appelait « le circuit du Camp du Drap d’Or » et se déroulait près de Guines. Pendant plusieurs années, elle fut le rendez vous des champions et de la belle société qui rivalisait d’élégance7.
27L’intérêt de la bourgeoisie locale pour son club de football se limite donc à des fonctions classiques de mécénat et de direction : les fonctions exécutives l’emportent largement sur des pratiques plus participatives, ce qui semble indiquer que le rapport de la bourgeoisie d’affaires et industrielle aux clubs de football évolue peu dans l’entre-deux-guerres : il demeure essentiellement un rapport de pouvoir, traduction sportive d’une réussite sociale généralement inscrite dans l’exercice de fonctions politiques. La situation de l’Olympique de Dunkerque ne doit pas être considérée comme exceptionnelle. Elle traduit la précarité financière des clubs de division II, conséquence directe d’un passage accéléré au professionnalisme. Si les dirigeants du club déplorent le manque d’enthousiasme de la bourgeoisie locale dans les tribunes (dont la présence augmenterait les recettes), ils réclament aussi une aide substantielle de la municipalité et de la Chambre de Commerce, qui fait défaut jusqu’à présent. L’utilisation du club de football comme « vitrine » de la cité portuaire et l’exploitation de ses résultats sportifs (notamment à l’occasion des rencontres de Coupe de France et des déplacements du club à l’extérieur) ne constituent pas encore les priorités des édiles. Le processus de municipalisation des clubs semble pour le moment se polariser sur des aspects financiers et de développement des infrastructures.
28Les difficultés financières des clubs du Littoral coïncident également avec le temps des crises, observé à la fin des années vingt et qui touche particulièrement les cités industrielles du Pas-de-Calais. S’il est difficile de mesurer leur impact sur les taux de fréquentation des stades (encore que le Bulletin de l’Olympique de Dunkerque fasse mention de 1/2 chômeurs n’hésitant pas à économiser sur leur maigre pitance pour se payer l’entrée au match du dimanche...), la situation de marasme économique constatée dans la région n’incite pas les municipalités à investir dans le domaine des équipements sportifs et des installations8. Cette situation intervient pourtant au moment où le pays connaît une première phase de massification des pratiques, dont le gouvernement du Front Populaire prendra la pleine mesure, en favorisant précisément la création d’infrastructures sportives.
29Dans un courrier au Ministère de l’Education Physique, Eugène Millien, adjoint au maire de Calais, président de la Commission des Sports, fait état de la vétusté des infrastructures sportives de la cité et de l’urgence de « mesures exceptionnelles » : leur mise en œuvre permettrait à Calais de disposer d’un stade municipal conforme aux besoins et au statut professionnel du Racing-Club de Calais. Au-delà de la classique et peu surprenante demande de subvention, il faut s’intéresser à la tonalité du discours et à une argumentation qui en disent long sur les représentations des fonctions sociales des pratiques sportives :
Cette demande n’est pas de celles que vous recevez habituellement. C’est un appel angoissé au nouveau Ministre des Sports, au moment où il va entrer en ses hautes fonctions. Président de la Commission des Sports à Calais et adjoint à l’hygiène, j’ai le devoir urgent de vous signaler la situation lamentable des jeunes gens s’adonnant aux sports chez nous.
Vous connaissez sans doute la situation catastrophique de l’industrie calaisienne de la dentelle au point de vue économique. Sur une population de 70 000 habitants, nous avons 4800 chômeurs totaux (semaine du 19 au 26 janvier), toute une catégorie d’industriels fabricants de tulle ruinés, vivant sans ressources près d’un matériel qui les rendait millionnaires il y a quelques années et qui ne vaut plus que le prix de la ferraille. Seuls les commerçants paient difficilement les impôts et le budget communal réduit à sa plus simple expression, s’équilibre avec bien des difficultés.
La commission des sports réunit en cinq commissions toutes les sociétés sportives de la ville, sans distinction d’opinions politiques, groupant des milliers d’adhérents licenciés, sans compter les supporters.
Calais, ville sportive, n’a pas de stade, pas de piscine, pas de gymnase municipal. Cependant, grâce à des initiatives privées, ces sociétés sportives sont très nombreuses et l’entraînement sportif est des plus en vogue dans toutes les branches du sport.
Malheureusement, cet entraînement se fait souvent dans des conditions telles qu’il est parfois préjudiciable à la santé des athlètes, plutôt que favorable à leur développement physique.
J’estime qu’il est même criminel, de la part des pouvoirs publics en ce qui les concerne (et c’est mon cas), de tolérer que des jeunes gens se déshabillent sur certains terrains de football ou basket en plein vent, ou derrière une haie, faute d’une baraque servant d’abri et de vestiaire, et qu’ils se rhabillent hélas trop souvent en mettant sur leur corps mouillé des habits trempés par la pluie.
Ces jeunes gens n’ont qu’un but : satisfaire à un besoin d’activité, de mouvement nécessaire à leur santé, et qui est bien de leur âge. Notre devoir est de les encourager dans le bon chemin du sport, mais avec un minimum de soins, de précautions qu’ils ne peuvent trouver ici.
Veuillez me permettre, Monsieur le Ministre, de vous faire remarquer que, parmi les 4800 chômeurs cités plus haut, auxquels s’ajoutent les nombreux adolescents n’ayant pas droit au chômage pour diverses raisons, il en est qui n’ont pas travaillé depuis leur sortie de l’école, qui flânent dans les rues, livrés à eux-mêmes, en proie à toutes les tentations, désœuvrés sinon complètement démoralisés, jusqu’au moment où... N’est-ce pas effrayant ?.
Orienter ces jeunes gens vers le sport, occuper leurs loisirs par de l’exercice physique, des jeux, ne serait-ce pas, à défaut de travail qui manque, faire œuvre généreuse, utile, morale ? Vous le pensez sûrement comme moi, je n’en doute pas un seul instant.
Ce qui me désole, c’est l’impossibilité où je suis de faire la chose. La municipalité apporte un faible appui aux initiatives privées, mais sans concours financier. La générosité publique dans une ville comme Calais n’a plus les moyens de s’exercer en faveur du sport, et ceux qui président aux destinées du RCC, société de football professionnel, vivent journellement avec le spectre de la faillite devant les yeux. Le terrain de cette société est d’ailleurs trop petit et aménagé de façon déplorable9.
30La crise du tulle calaisien, visible à partir de 1927, a effectivement bouleversé la situation économique et sociale de la cité : 50 % de la population active est au chômage en 1932, et la réduction du trafic portuaire relaie la crise chez les marins et dockers. C’est donc au sein d’une cité particulièrement sinistrée que les pratiques sportives se développent, sans que l’aménagement des infrastructures indispensables accompagne cette phase « d’expansion dans la crise ». Au delà des conceptions hygiénistes classiques de l’éducation physique et des pratiques sportives, ces dernières se voient affublées de vertus civiques, en même temps qu’elles pourraient constituer un dérivatif ou un exutoire pour une jeunesse désœuvrée. Cet effet de paravent ou d’occultation de la réalité socio-politique, rideau idéologique derrière lequel se concentre le désastre réel peut en effet surprendre. Il s’inscrit fort logiquement dans les analyses plus contemporaines d’un sport-spectacle constituant un appareil idéologique d’Etat performant, au pouvoir de chloroformisation des masses particulièrement efficace. Si une simple transposition rétrospective est sans doute excessive, il faut admettre que cette conception pacificatrice des pratiques sportives s’inscrit dans la logique d’un football élément de contrôle social.
31Cette course aux infrastructures peut également s’expliquer par une logique concurrentielle, observée entre les villes de Calais, Boulogne et Dunkerque, qui multiplient chacune des projets d’aménagements, en rapport avec la première vague de massification des pratiques sportives et les ambitions de sociétés ou clubs de football de premier plan. Les premiers signes d’intervention des communes en matière d’équipements sportifs remontent au lendemain des élections municipales de 1925, et accompagnent un souci de politique publique, aux visées sanitaires, éducatives et sociales, mis en évidence par Pierre Arnaud10. Pour les cités maritimes, le développement rapide des sociétés sportives omnisports au lendemain de la guerre aura constitué un accélérateur à la naissance des premiers projets d’urbanisme sportif, aux finalités hygiénistes prononcées, conséquence des effets physiologiques de la première guerre mondiale dans la région sur les populations civiles. Un article du Réveil du Nord développe les différents projets d’aménagement d’un stade Vélodrome municipal à Boulogne-sur-Mer, véritable complexe sportif destiné à accueillir les nombreuses disciplines pratiquées dans la cité balnéaire :
Trois projets sont à l’étude à Boulogne-sur-Mer :
– l’un se situe à Malborough (Commune de Saint-Martin)
– le second à la Colonne (Commune de Wimille)
– le troisième est à Boulogne même.
Les terrains disponibles sur les rives de la Liane forment un ensemble suffisant pour réaliser un édifice convenable, si l’on songe que la superficie pourrait atteindre 34 225 m2 (dimensions moyennes : 250 m x 120 m). L’emplacement permettrait de construire des pistes de 454,50 m pour le cyclisme (11 tours = 5 kms) et de 400 m pour le sport pédestre avec alignement droit de 125 m.
Dans les tribunes envisagées, 5000 personnes pourraient confortablement prendre place.
La construction d’un stade à cet endroit de Boulogne aurait en outre un avantage urbain marqué : il provoquerait la construction du Boulevard de la Liane dont on a déjà parlé, boulevard qui prolongerait le boulevard Daunou et déboucherait au bas de la côte du Pont Pidendal, quasi en ligne droite vers Pont-de-Briques. Boulevard qui pourrait être transformé en autodrome pour le compétitions en ligne droite, et dont la construction permettrait l’emploi d’une importante main d’œuvre locale.
L’acquisition des propriétés, l’aménagement des terrains, les constructions comportant notamment une tribune à gradins de 95 m de longueur et de 7 m de largeur sont d’ores et déjà estimés à 1 900 000 francs. Le « stade de Boulogne » comprendrait un terrain d’athlétisme ou stade, incluant un terrain de football association ou de rugby, soit 66 x 100 pour le premier et 66 x 95 pour le second ; un terrain étant également réservé pour le football féminin de la dimension de 70 x 91m, sans oublier que le ballon libre ou le base-bail pourraient également y être pratiqués. Des surfaces de lancement situées dans les emplacements libres entre les raccordements courbes de la piste et le terrain de football, enfermés dans la piste de cyclisme qui comportera des tribunes assez vastes, un terrain de basket, de volley, trois courts de tennis.
Le vélodrome proprement dit comporterait une piste découverte de deux parties droites de 195 m et deux courbes de 122,50 m, soit au total 454,50 m. Cette piste aurait une largeur de 5 m en ligne droite et 6,20 m dans les courbes. Les virages étant relevés à 40° environ.
En ce qui concerne les constructions, des tribunes abritées pourraient contenir 5000 personnes. Pavillons d’Education Physique, vestiaires et douches, pavillons d’administration, W-C et tribunes seraient construits en dur. Non moins qu’un abri pour cycles et motocycles, il aurait un parc ouvert pour autos. Ce parc, d’une superficie de 1950 m2, pourrait au besoin servir de terrain supplémentaire en temps ordinaire. Et au besoin, en des temps meilleurs, une piscine directe sur la Liane, un vaste champ propice à l’aviron, permettrait de lui donner encore plus d’avantages...
32Cet extrait souligne la vitalité des pratiques sportives dans la cité boulonnaise. Les infrastructures qui seraient nécessaires à leur pratique s’inscrivent dans un projet résolument moderne : terrains de sport dont les dimensions sont conformes aux règlements, assurant des pratiques différenciées selon chaque discipline : football association, rugby, basket-ball, football féminin (contrairement aux années vingt, il ne semble plus considéré comme une pratique exotique, signe visible du processus d’appropriation et de féminisation des pratiques sportives), vélodrome dont la précision des dimensions (longueur, largeur, inclinaison, etc.) témoigne de la logique de standardisation des constructions, salles de gymnastique et vestiaires qui montrent là encore le changement d’échelle des pratiques sportives. L’aménagement d’une tribune de 5000 places et de parcs de stationnement pour les véhicules aux abords des terrains montre que les architectes ont intégré le caractère populaire de compétitions susceptibles d’accueillir un public nombreux : le nombre de places assises est d’ailleurs proche des affluences moyennes connues pour les rencontres de football, sans que l’USB et le football soient d’ailleurs explicitement privilégiés dans le projet.
33Les préoccupations des municipalités boulonnaise et calaisienne et les projets d’aménagements d’infrastructures municipales (différés au lendemain de la première guerre mondiale face aux impératifs de la reconstruction) précèdent l’élan généreux de la politique sportive et culturelle du Front Populaire11. Ils indiquent un changement progressif mais inéluctable des lieux des pratiques sportives, pour peu qu’elles soient structurées au sein de clubs reconnus on programme de véritables complexes sportifs, qui intègrent les contraintes de la voirie et de l’urbanisme des cités (l’installation d’un stade municipal aux abords de la Liane permettrait d’aménager de nouveaux axes de circulation, d’ailleurs réutilisables pour les courses automobiles), ainsi qu’une plus grande diversité des disciplines pratiquées au sein d’installations spéciales.
34Les difficultés structurelles du Racing-Club de Calais (creusement du déficit, limitation volontaire de joueurs professionnels au sein de l’équipe première, vétusté des installations), n’affectent visiblement pas sa saison sportive. Le classement aux 2/3 du Championnat, à la veille du match contre l’USB, place le RCC en 5e position, rang conforme à son classement final (7e). La saison du Racing s’organise autour des rencontres officielles de Division II et de Coupe de France (parcours qui s’achève le 5 janvier 1936 lors des 1/16e de finale : défaite face à l’Olympique Lillois (3/0) sur le terrain de l’Olympique Dunkerquois). Le bilan de l’équipe première à l’issue des matches aller (9 victoires, 5 matches nuis et deux défaites) est d’ailleurs publié par le bulletin du Racing, qui tient à l’intention des supporters une comptabilité stricte des résultats du club.
35Ce souci statistique déjà observé chez la majorité des clubs professionnels disposant d’un bulletin permet également d’inscrire les résultats et les rencontres dans un temps sportif qui dépasse le simple cadre de la saison. En accueillant l’Union Sportive Boulonnaise en février 1936 (qui a opté pour le statut professionnel en 1935, en même temps que l’Olympique de Dunkerque), le Racing de Calais renoue avec une longue tradition de « derbies », qui constituent autant de temps forts dans l’histoire du club. Les enjeux des rencontres opposant les clubs du Littoral (USB, RCC et dans une moindre mesure l’Olympique de Dunkerque-Malo), ont toujours été dramatisés, quelle que soit la nature des matches disputés (championnats, coupe de France, challenges ou matches amicaux) : au-delà du simple résultat sportif, il faut sans doute voir dans ces rencontres l’occasion d’affïrmer une suprématie de type territorial, qui prolongerait sur le terrain sportif des rivalités séculaires entre les cités maritimes, notamment sur le plan économique :
L’USB sera le dimanche 23 février 1936 l’adversaire du RCC, sur le stade Julien Denis, en un match comptant pour le championnat de France professionnel. Ainsi, la chaîne des luttes épiques qui mirent tant de fois en présence Boulonnais et Calaisiens dans des rencontres toujours passionnantes au cours d’un passé mémorable, va se renouer après quelques années d’interruption. Elle s’est brisée au moment où le RCC descendit de la DH en Promotion. Et depuis, en dépit de quelques matches amicaux, et même d’une inégale rencontre de coupe de France, l’an dernier, nous étions privés des légendaires batailles d’antan12.
36Paradoxalement, la hiérarchie sportive importe peu : elle ne fait que limiter ou au contraire favoriser les rencontres entre les clubs, lorsqu’ils évoluent à un niveau de compétition identique. La logique des derbies dépasse la pyramide sportive et la valeur intrinsèque des équipes qui s’affrontent. Au-delà des enjeux sportifs, c’est bien la dimension symbolique de la victoire et l’ascendant qu’ellè procure sur l’équipe rivale qui en constituent l’intérêt. Une victoire face à l’USB est sans doute plus importante, ou en tout cas semble plus recherchée et espérée par les dirigeants du RCC, qu’une victoire face à un autre club du championnat, fût-il mieux classé. Les rencontres de proximité possèdent cette plus-value territoriale qui permet de déterminer des hiérarchies géographiques et régionales qui ne reproduisent pas nécessairement la hiérarchie purement statistique des championnats professionnels. On comprend dès lors l’attachement des clubs de la Ligue à ces rencontres et la pérennité du phénomène des derbies, visible dans l’organisation de challenges à l’intersaison.
2. Les facteurs de la vitalité du Racing-Club de Lens
37Les années qui précèdent la guerre permettent au football nordiste d’arriver à maturité, tant sur le plan des résultats sportifs que de son organisation interne. Les clubs nordistes qui appartiennent ou accèdent à l’élite professionnelle ont su dans leur majorité se doter de structures solides et adopter des stratégies de recrutement en rapport avec leurs ambitions sportives. Les principes d’une cohabitation pacifique et d’une complémentarité nécessaire semblent s’imposer entre le football professionnel et les clubs amateurs. La hiérarchisation prononcée des compétitions et la verticalité des structures n’empêchent pas la perméabilité d’un système en faveur des clubs professionnels : ils puisent dans le vivier de joueurs offert par les clubs amateurs périphériques, et contribuent à tisser une géographie du football nordiste. Celle-ci tient compte de la hiérarchie des clubs et de leurs classements, et d’une implantation fondée sur un déterminisme industriel classique, mais qui repose également sur d’autres logiques historiques13.
38La « Révolution Culturelle » provoquée par l’arrivée au pouvoir du gouvernement de Léon Blum le 6 juin 1936, et les nouvelles ambitions du Front Populaire en matière de sports et de loisirs n’auront pas de retombées significatives sur le processus de développement et d’expansion du football nordiste. On peut néanmoins constater que les intentions et objectifs définis par le Sous-Secrétariat d’Etat aux Sports et aux Loisirs de Léo Lagrange accompagnent dans le département du Pas-de-Calais des pratiques initiées depuis les années vingt : cette invention des loisirs (ou plutôt leur institutionnalisation) et ce souci manifeste d’une démocratisation des pratiques sportives doivent en effet être dissociés. Ils ont pour finalité de combler le vide dégagé par un nouveau temps libéré, qu’il convient désormais d’occuper par des pratiques culturelles non exclusives14.
39Dans la région du Nord, le caractère populaire des rencontres de football dans l’entre-deux-guerres n’est plus à démontrer. Les analyses ont montré un glissement sociologique des spectateurs. Visible avant la première guerre mondiale, amplifié dans les années vingt, il suscite chez les dirigeants des clubs professionnels quelques inquiétudes, essentiellement financières (le cas du Racing-Club de Calais est tout à fait significatif). Pareille mutation peut également être observée, de manière plus nuancée en ce qui concerne les joueurs de football. Sur cette question, le football minier est riche d’enseignements : le recrutement du Racing-Club de Lens, particulièrement distinctif avant 1914, se démocratise au lendemain de la guerre, nourri par les vagues d’immigration et la prise de contrôle du club par la Compagnie des Mines de Lens. Au milieu des années trente, le Racing apparaît peut-être comme un club de mineurs, mais ces derniers demeurent plus nombreux autour du stade que sur la pelouse... Au delà de la thèse convenue d’une analogie entre monde du travail et pratique du football dans des clubs nordistes contrôlés (ou instrumentalisés ?) par le patronat local, il faut admettre que le caractère populaire de la discipline est avéré au seuil des années trente. Les orientations du Front Populaire en matière de massification des pratiques sportives auront peu d’effets sur le football nordiste15.
40Pour la saison 1936/37, la création par les instances fédérales d’un éphémère championnat de Troisième Division contribue à renforcer la primauté du football nordiste, qui repose cependant plus sur le nombre de clubs engagés dans les championnats professionnels que sur leur palmarès16. Le championnat de Troisième Division, remporté par le RC Arras, réunit en effet une majorité de clubs nordistes, qui adoptent le statut professionnel : manifestation de l’engouement suscité par le professionnalisme, la disparition de la Troisième Division dès la saison suivante atteste également de la fragilité des structures financières des dits clubs, déjà observée pour une majorité de clubs de Division II. La proximité géographique des clubs engagés, destinée à limiter les déplacements, donne finalement à la compétition une dimension Interrégionale, qui aurait pu constituer une interface durable entre les championnats hexagonaux et les championnats de Ligue.
41Sur les 43 clubs autorisés engagés dans les championnats professionnels de la saison 1936/37 (16 clubs de Division 1, 17 clubs de Division 2 et 10 clubs en Division 3), 16 sont affiliés à la Ligue du Nord. Cette forte présence des clubs nordistes au sein de l’élite professionnelle, manifeste en 1936/37 (25 % des clubs de D1, 30 % des clubs de D2 et près des deux tiers des clubs de Division 3), prolonge un mouvement perceptible dès l’instauration du professionnalisme, et concrétise au plus haut niveau la vitalité des clubs régionaux. La montée en puissance observée pour le Championnat de Division 1 (pour la saison 1937/38, plus du tiers des clubs engagés sont affiliés à la Ligue du Nord) est également visible en seconde Division : l’atténuation à partir de 1937 est la manifestation statistique d’un simple phénomène d’ascendance sportive, de la D2 vers la D1.
42Au Racing-Club de Lens, les résultats obtenus lors des deux saisons précédentes sont la traduction de l’option professionnelle prononcée prise par les dirigeants. Le trinôme « Compagnie des Mines, supporters, municipalité » constitue finalement plus qu’une originalité conjoncturelle : il convient de voir dans cette association d’intérêts, non seulement l’un des fondements de la culture du RCL, mais sans doute également l’une des explications à la stabilité que connaît le club dans l’entre-deux-guerres, à la différence de ses voisins littoraux. Absence de soucis budgétaires, pérennité d’un exécutif noyauté par les notables lensois, pertinence des recrutements autant d’éléments dont la conjugaison lors de la saison 1936/37 propulse le club en première Division. Provoquant l’installation d’un paternalisme sportif qui accompagne et prolonge pendant des années un paternalisme industriel plus classique, caractéristique du pays minier.
43Le recrutement opéré à l’intersaison est la manifestation visible des ambitions sportives du club et de la volonté de ses dirigeants de le voir enfin accéder à l’élite, par un renforcement de l’ossature de l’équipe première. Les choix techniques l’emportent sur la dimension affective : le Racing se sépare d’un certain nombre d’anciens joueurs de métier, dont le seuil de progression ne correspond pas aux exigences de l’entraîneur. Ce sont donc des joueurs plutôt expérimentés, que l’on peut qualifier « d’anciennes gloires » du Racing qui quittent le club ou retrouvent les équipes amateurs. Un recrutement massif s’opère en direction des clubs professionnels ou des clubs amateurs miniers périphériques, selon un processus devenu classique. Il s’opère en fonction des objectifs sportifs. Les choix du staff du Racing pour la saison 1936/37 sont particulièrement éclairants : a l’exception de Plovie qui rejoint un club de Première Division (le Racing-Club de Roubaix, qui terminera en douzième position), les joueurs qui quittent le club vont évoluer en division inférieure. Ceux qui sont placés sur la liste des transferts dits « libres » éprouvent toutes les difficultés à retrouver un club professionnel (seul Paul Meklush pourra rejoindre Abdelslam Ben Ahmed au SC Albert, club néo-professionnel de Division III). Ils mettent souvent un terme à leur carrière, à moins qu’ils ne fassent les beaux jours des clubs amateurs du bassin minier (c’est le cas de Wambeke et Andrejesack). Il ne semble point y avoir de « salut sportif » en dehors d’un marché officiel des transferts, où le maquignonnage sportif acquiert progressivement ses lettres de noblesse : si les transferts demeurent subordonnés à la signature d’un contrat offrant au joueur et aux clubs un ensemble de garanties réciproques, des aménagements et adaptations demeurent possibles, notamment lorsque des joueurs sont en situation de concurrence sur le même poste. Après quatre mois passés au club en équipe réserve, l’avant centre marocain espagnol Blanco, ne pouvant obtenir sa naturalisation, retourne au CA Casablanca au bout de quatre mois. La naturalisation de Stephan Dembicki (dit Stanis) en octobre 1936 amène les dirigeants du Racing à se séparer de Sécember, (avant-centre pourtant arrivé à l’intersaison) qui retrouve son club d’origine (Excelsior de Roubaix Tourcoing), après avoir évolué quelque temps en équipe réserve17.
44Une dizaine de joueurs vient donc compléter l’effectif de l’équipe première du Racing, après l’échec du transfert de l’arrière du Star-Club de Caudry Cathelain (il signera à la fin de la saison 1937 au Racing-Club de Paris, dont Louis Sandras deviendra le Président). Les dirigeants du RCL offrent 25 000 francs à l’avant-centre du SO Montpellier Ebner, mais le joueur signera finalement à l’USVA. Cette somme sera finalement utilisée par les dirigeants du RCL pour la réalisation du transfert du gardien de but du SM Caen, Didier, dès la saison suivante.
45Quant aux recrutements que l’on peut qualifier de périphériques, ils s’inscrivent dans une logique à la fois politique et tactique : les meilleurs joueurs des lignes d’avant des clubs amateurs du bassin minier constituent un vivier où les dirigeants du Racing viennent s’alimenter. La proximité géographique, les possibilités d’emploi et de reconversion offertes par la Compagnie des Mines, la notoriété acquise par la signature d’un contrat professionnel et les perspectives de carrière qui s’offrent ainsi à de jeunes joueurs talentueux constituent autant d’éléments qui justifient leurs choix. Il est légitime de penser que l’aspect financier représente un élément décisionnel déterminant. Pour la saison 1936/37, la priorité donnée à l’offensive sur le plan tactique (pour monter en première Division, il n’y a d’autre alternative que de gagner des matches) se vérifie en amont par un recrutement ciblé. S’établit ainsi une corrélation entre politique de recrutement, choix tactiques de l’entraîneur et objectifs des dirigeants. Cette réflexion fait aujourd’hui partie du registre des évidences en ce qui concerne non seulement les clubs professionnels, mais également ceux des divisions inférieures. Elle souligne à l’époque la modernité des stratégies et des procédures des clubs professionnels.
46Autre signe tangible d’un processus de scientifisation dans l’analyse des résultats et des enseignements qu’il convient d’en tirer, la prise en compte d’un goal average dans la comptabilité des résultats du Racing. Aux tableaux des saisons précédentes, qui indiquaient le nombre de buts marqués et de buts encaissés, vient s’ajouter un classement des meilleurs buteurs du club, ainsi qu’une savante mise en équation du rapport entre buts marqués et encaissés. Les performances de l’équipe et des joueurs se mesurent et se quantifient, permettant ainsi d’établir des données statistiques et comparatives, pouvant constituer pour les dirigeants et entraîneur des indicateurs qui autoriseront de futurs choix sportifs.
47Le classement final est désormais complété par un ensemble de chiffres, moyennes et autres statistiques venant s’ajouter au comptage classique des matches joués, gagnés, nuis ou perdus, traduits en nombre de points. Il permet d’établir le classement et le palmarès final des clubs. Ce principe existe depuis la création des premiers championnats et compétitions : les premiers tableaux de classement apparaissent avant 1914, ils se généralisent dès la création de la Ligue du Nord, accompagnant le processus d’uniformisation et de contrôle des compétitions. Les chapitres précédents ont montré un développement progressif de ce souci de quantification et d’enregistrement des performances des différents clubs, processus que le professionnalisme institutionnalise et banalise : la hiérarchisation des clubs et des compétitions et la verticalisation des instances de la FFFA qui l’accompagne passent par une systématisation de la mesure et l’adoption de principes communs. Si cette accumulation de classements, tableaux et résultats peut paraître fastidieuse et inutile, elle devient essentielle aux joueurs, dirigeants et spectateurs des clubs : elle permet de mesurer la valeur sportive d’une équipe, établissant ainsi des hiérarchies qui reposent sur une valeur sportive scientifisée dans des classements ou statistiques devenant des instrument de mesure indispensables.
48L’accès en Première Division du RCL à la fin de la saison concrétise cette priorité donnée à l’attaque, qui se vérifie au plan des statistiques : sur les 28 joueurs constituant la base de l’effectif professionnel, 12 sont effectivement des attaquants. Le recrutement de Grauby et de Daumin a cependant permis de consolider la ligne des demis, dont le rôle tactique devient essentiel. Ce renforcement de la ligne d’avants a visiblement payé : un total de 84 buts marqués (soit 1,88 par match), et des buteurs plutôt efficaces, qui représentent les valeurs sûres du club : Spechlt (30 buts), Stanis (22), Novicki (16 buts).
49L’entraîneur dispose d’un effectif suffisant autorisant une mise en concurrence des joueurs : la composition des équipes au gré des rencontres permet d’observer à la fois un turn over au sein des différentes lignes, et le caractère inamovible de certains joueurs, dont bien évidemment les buteurs. Ce principe de concurrence entre les joueurs de l’équipe première aura des incidences en fin de saison lors de la période des transferts : un certain nombre de joueurs, pourtant récemment recrutés mais ayant disputé peu de rencontres, seront placés sur la liste des transferts dès la saison suivante. Les principes d’efficacité et de rentabilité semblent désormais s’appliquer de manière systématique aux néo professionnels du Racing : éviction des anciens joueurs au rendement insuffisant, transfert des joueurs n’ayant pas donné satisfaction lors de la saison, contribuent au développement d’une émulation interne ayant sans doute permis l’accession du RCL en première division.
50La saison 1937/38 confirme l’hégémonie du football nordiste au plus haut niveau : 6 clubs (sur 16) sont engagés dans le championnat de première division (Olympique Lillois, RC Roubaix, Fives, USVA et Racing-Club de Lens). Les aléas du professionnalisme vont compliquer l’organisation d’un championnat de seconde division, initialement composé de 31 clubs : les défections d’Amiens, de Caudry, d’Epemay, d’Abbeville et d’Albert, compensées par de nouvelles candidatures (Toulouse, Bordeaux, Nîmes et Colmar notamment), vont aboutir à la constitution d’une seconde division composée de 26 clubs. Les contraintes du calendrier amènent la FFFA à régionaliser la première partie de la compétition, afin de dégager deux groupes : les quatre premiers qualifiés de chaque groupe disputent un championnat classique, tandis que les 9 derniers sont regroupés dans une poule de consolation, sur le modèle d’une Troisième Division finalement reconstituée.
51La première saison du RCL au sein de l’élite du football français accentue la professionnalité du club, à l’image du poids des impératifs technico-tactiques qui président au recrutement de l’intersaison. Ceux-ci ne sont pourtant pas nouveaux : les saisons passées en seconde division avaient en quelque sorte constitué une période de rodage, indispensable aux prétentions élitistes du club et garantes d’une certaine longévité au sein de cette élite.
52La différence de niveau entre la première et la seconde division amène un comité directeur du Racing également remanié à poursuivre une politique de recrutement toujours fondée sur une culture de l’offensive. Les sommes engagées à l’intersaison démontrent à posteriori la logique de la prise de contrôle du club par la Compagnie des Mines de Lens. Après avoir investi dans les infrastructures, le Conseil d’Administration du club porte ses efforts sur un recrutement maximalisé, qui concerne l’ensemble des compartiments du jeu : 12 joueurs (soit une équipe complète) viennent compléter un effectif profondément remanié, touchant tous les postes : un gardien de but, 2 arrières, 3 demis et 6 avants. Le club dispose pour sa saison d’un effectif de 29 joueurs, dont la moitié compose la ligne d’avants.
53Avant que ne vienne le temps d’une reconversion « extra sportive » toute relative, la majorité des anciennes gloires du RCL fera le choix de clubs amateurs de proximité : situés à la périphérie de Lens, ils permettront de mettre progressivement un terme à une longue carrière footballistique. Quant aux autres départs, il s’agit visiblement de séparations à l’amiable, le RCL souhaitant se séparer de joueurs dont la valeur sportive s’est visiblement altérée ou émoussée. Dautheribes est placé sur la liste des « transferts dits libres », n’ayant pu trouver d’arrangement financier avec les dirigeants du Racing18.
Mouvements de l’intersaison au Racing-Club de Lens . Saison 37/38. Départs. (*)
Noms | Transféré à | Pro. | Amateur | Montant |
Arravit | SR Colmar | x | 15 000 | |
Novicki | Excelsior Roubaix | x | 65 000 | |
Dautheribes | FC Dieppe | x | ? | |
Devlin | Fleetwood FC (GB) | x | ? | |
Leroux, Wambeke | Stade Béthunois | x | ||
Zornig | Saint Pierre Lens | x | ||
Andrejazack, Saint Georges Kulick | US Liévin Hénin Liétard | x x | ||
Guémart, Raczinski | Wingles | x | ||
Meklush, Vrobel | AC Cambrai | x |
54Nous ne disposons pas de la totalité des sommes avancées par le Racing pour s’attacher les services de nouveaux joueurs : l’échec du transfert du britannique Robert Calder semble indiquer que le budget du club n’est pas extensible. S’il bénéficie des 80 000 francs provenant de la vente d’Arravit (SR Colmar) et de Novicki (Excelsior de Roubaix puis SC Fives à partir de février 1938), il doit débourser au moins 127 000 francs pour disposer de trois nouveaux professionnels. Si l’on peut parler d’un recrutement composite au plan des origines géographiques et des clubs, celui-ci demeure caractérisé par le souci des références et de la technicité : 3 joueurs évoluent à l’étranger dans des clubs de première division nationale, 6 sont des professionnels issus des championnats français de D1 et D2 (Franz Unser est international B), 2 proviennent de clubs amateurs (Paul Roussin a remporté le concours du jeune footballeur en 1937). Trois jeunes joueurs enfin sont issus du sérail (Paul Mouton, Descamps et Linglart) : évoluant en équipe juniors, ils bénéficient de la promotion interne au sein du club, mais ne disputeront aucune rencontre de championnat au cours de la saison. A la différence des saisons précédentes, un recrutement périphérique limité (Joseph Flament, de l’US Drocourt) confirme la professionnalisation du Racing.
5519 joueurs vont être utilisés par l’entraîneur anglais John Galbraith au cours de la saison. 8 des 12 joueurs recrutés à l’intersaison vont disputer l’intégralité des rencontres du championnat. Le classement du club en fin de saison (le Racing évite de peu la relégation) ne remet pas en cause la pertinence du recrutement : on peut même supposer que c’est sa qualité qui a évité au club de redescendre en division inférieure. L’utilisation de la majorité de l’effectif nouvellement recruté peut également signifier une volonté de rentabiliser l’investissement réalisé. Il s’agit pour le Racing de faire fructifier son « capital joueur », même si Stanis (14 buts) et Spechlt (13 buts) sont encore les meilleurs buteurs du club.
56Dernière avant la période de guerre, la saison 1938/39 ne modifie pas de manière significative la hiérarchie du football français : elle confirmera finalement la bonne tenue des clubs nordistes au sein d’une élite professionnelle encore affectée par des désistements provisoires (Nice, Nîmes, Montpellier, Troyes) ou définitifs (Club Français, Amiens AC, SM Caen, US Tourcoing, Villeurbanne) : le championnat de deuxième division, initialement composé de 23 clubs, est ramené à 21.11 clubs nordistes se trouvent engagés dans les championnats de D1 et de D2, avant que la guerre ne vienne bouleverser des compétitions finalement peu stabilisées.
57Le palmarès des clubs nordistes pour 1938/39 est plus conséquent : chez les professionnels, l’Olympique Lillois est battu à Colombes le 14 mai 1939 en finale de la Coupe de France, après que le SC Fivois ait été éliminé en 1/2 finale par le RC-Paris, futur vainqueur. Chez les amateurs, le Stade Béthunois remporte la première édition de la coupe de France des clubs amateurs, tandis que FUS Bruay est battue en finale du championnat de France des Amateurs (CFA).
58Au Racing-Club de Lens, l’intersaison est marquée par la nomination de Richard Buisson au poste de directeur sportif. Situation originale d’un dirigeant désormais rémunéré par le club : elle peut se concevoir comme l’une des manifestations de la professionnalisation entreprise par la Compagnie des Mines depuis deux saisons. Le temps du « dirigeant sportif » semble révolu. L’étude de l’évolution de la structure et de la composition du conseil d’administration du Racing a permis de distinguer trois instances principales, qui constituent autant de lieux de pouvoir : en 1936, de nouveaux membres rejoignent le conseil d’administration, qui fixe la ligne politique du club. Le pouvoir réel appartient au comité directeur, responsable de la gestion au quotidien : véritable interface du Racing, il réunit des membres du conseil d’administration les plus importants, des responsables sportifs (notamment l’entraîneur John Galbraith). Le comité fait également fonctionner la structure administrative du club (secrétaires général et administratif, trésoriers). Un troisième ensemble est composé de commissions techniques, assurant la promotion du club, l’organisation des équipes inférieures, et la gestion des transferts. Les nouveaux administrateurs appartiennent à la bourgeoisie locale, au delà d’un cercle strictement lensois.
59L’accession du Racing en première division ne modifie pas la composition du Conseil d’Administration et de son Comité Directeur (en 1938, François Sésame, transporteur à Angres, rejoint le CA). L’analyse des différentes instances et commissions met d’ailleurs en évidence un phénomène de « cumul », qui permet à une demi douzaine de membres du CA de se retrouver dans la plupart des commissions du club. Le caractère plutôt composite des instances dirigeantes (membres de la Compagnie des Mines, notables locaux, anciens joueurs) n’empêche pas ce processus de verticalisation déjà observé pour la LNFA. Si le recrutement de notables locaux se poursuit, il a pour objectif la constitution d’un groupe de mécènes et de donateurs, indispensables au recrutement de nouveaux joueurs.
60L’arrivée de Richard Buisson au poste de directeur sportif accompagne le changement d’échelle observé depuis trois saisons, sous l’impulsion de la compagnie des Mines. Cette nomination provoque une première crise au sein de l’équipe dirigeante du Racing, et se traduit par le départ de l’entraîneur anglais John Galbraith lors de l’intersaison ; dès la reprise des entraînements. Joseph Eisenhoffer, joueur hongrois de l’Olympique de Marseille, recruté en novembre 1938, mettra fin à la période d’intérim assurée par Raymond François et le nouveau directeur sportif du club. Les fonctions d’entraîneur dépassent désormais le simple cadre de la préparation physique des joueurs : le début de saison du Racing est en effet catastrophique, et le recrutement en cours de saison du Hongrois Eisenhoffer. L’anecdote affirme la spécificité de la fonction d’entraîneur au sein du football professionnel. Sa présence au sein des instances dirigeantes souligne la polyvalence de ses fonctions : recrutement et formation des joueurs, composition de l’équipe première, préparation physique et entraînements, et premières formes de management sont la conséquence d’une obligation de résultats. L’absence d’un véritable entraîneur au cours de trois premiers mois de la saison aura de réelles incidences sur les résultats sportifs et le classement du Racing : le club enregistre une victoire, deux nuis et sept défaites (dont deux concédées à Bollaert) lors des dix premières rencontres. La nette inversion de la tendance à compter de novembre 38 peut s’expliquer par une sérénité retrouvée au sein de l’équipe première. La confusion des fonctions administratives et sportives aura été une expérience malheureuse pour le Racing.
61Le résultat décevant de la saison précédente et la volonté de maintien affichée par le conseil d’Administration du club rendent indispensables un recrutement devant offrir davantage de garanties sportives pour la saison 38/39. Il s’agit d’abord de procéder à une forme « d’épuration sportive », en remerciant les joueurs n’ayant pas donné satisfaction : sur les 9 placés sur la liste des transferts, 6 avaient été recrutés la saison précédente... Leur passage éphémère au Racing leur permet toutefois de retrouver un club conforme à leurs ambitions (Roussin signe au RC Arras, Didier à l’AS Troyes, Grauby et Daumin, arrivés ensemble deux saisons auparavant, signent tous deux à l’USB, etc.). Pour Staho, qui évoluait à Waziers en 1936, le transfert au RC Roubaix représente une véritable plus value sportive. Signe que le recrutement opéré par les dirigeants du Racing n’avait pas été forcément un mauvais choix sur le plan technique. L’adaptation des nouvelles recrues au style de jeu du RCL, la cohabitation avec des joueurs plus anciens auront été plus difficiles. D’autres semblent indiquer des fins de carrière plutôt prématurées : George Waiz signe au club amateur de l’US Drocourt ; Franz Unser, n’ayant pas trouvé de club, revient au Racing mais ne disputera aucune rencontre du championnat de France, Camille Salas met un terme à sa carrière sportive, Ortin retourne diriger à Casablanca l’entreprise familiale (il signera finalement à l’US marocaine, son ancien club).
Mouvements de l’intersaison au Racing-Club de Lens. Saison 37/38. Départs (*)
Noms | Transféré à | Pro. | Amateur |
Roussin | RC Arras | x | |
Didier | AS Troyes | x | |
Strohs | RC Calais (**) | x | |
Waiz | US Drocourt | x | |
Ortin | US Marocaine | x | |
Staho | RC Roubaix | x | |
Grauby | US Boulogne | x | |
Daumin | US Boulogne | x |
62Autant de situations individuelles qui, observées sur deux saisons, renforcent les constats mis en lumière par Alfred Wahl et Pierre Lanfranchi. La période des transferts devient une véritable « foire aux joueurs », où les dirigeants se soucient plus de la valeur et de la cotation du marché que de la situation personnelle et de l’avenir sportif des joueurs concernés. Pour le Racing-Club de Lens, le renouvellement sur deux saisons de près de la moitié de l’effectif professionnel nous fournit de précieux renseignements : il semble indiquer l’adoption d’un principe de flexibilité, selon la loi de l’offre et de la demande sportive. Les néo-recrutés sont écartés au bout d’une saison s’ils n’ont pas donné leur pleine mesure sur le terrain, les anciens joueurs n’ont pas de possibilité de reconversion à l’interne et doivent monnayer leurs services dans des clubs amateurs ou mettre fin à leur carrière. Il n’est donc pas étonnant, comme le souligne Pierre Lanfranchi, que nombre de bons joueurs issus des couches populaires, aient hésité à passer professionnels. Le caractère aléatoire de la carrière et le déracinement géographique provoqué par un éventuel transfert suffisent à justifier ces résistances19.
63Ces départs en nombre s’accompagnent donc d’un large recrutement à l’intersaison. La participation financière des administrateurs et le financement direct de la Compagnie de Mines de Lens peuvent expliquer le niveau (considérable cette fois-ci) des sommes engagées : Georges Beaucourt, international et capitaine de l’Olympique Lillois, signe en effet au RCL pour la somme de 150 000 francs. Le fait qu’il soit titulaire d’un diplôme d’ingénieur des mines n’est sans doute pas étranger à son transfert. Il indique une reconversion garantie, à l’issue de la carrière sportive. Chiffre-record qui s’ajoute aux 70 000 francs déboursées pour la venue de Marcel Ourdouillie, ailier gauche de PUS Dunkerque. Le club enregistre au total 11 arrivées, sur les principes de la saison précédente : 5 joueurs sont issus de clubs professionnels, 6 sont amateurs, près de la moitié vient renforcer la ligne d’avants. Un seul joueur du RCL, évoluant en équipe réserve, est intégré à l’équipe professionnelle (il s’agit de Mouton, issu des juniors depuis la saison précédente). Le recrutement de trois gardiens de but montre que le choix de Didier (transféré à PAS Troyes) n’avait pas été des plus heureux. Il indique également que le poste requiert de réelles qualités techniques et qu’il ne doit pas être négligé. Peut être faut-il voir dans cette scientifisation du poste de gardien de but (et non de dernier défenseur comme on l’écrit souvent), l’une des conséquences du WM et d’un jeu d’attaque plus élaboré. La spécialisation progressive au poste de gardien de but demeure toutefois relative : la situation de concurrence crée et les défections en milieu de terrain amèneront Heidelberger à occuper le poste de demi au cours de 4 rencontres de championnat.
64Le Racing dispose donc d’un effectif moins pléthorique que la saison précédente : 22 joueurs et une ossature qui demeure constituée par les anciens du club, qui disputent la majorité des rencontres du championnat. La 7e place du RCL en fin de saison est l’indicateur d’une stabilité retrouvée : défense moins perméable visible dans un goal average qui s’améliore avec 45 buts marqués contre 63 encaissés, soit un coefficient de 0,71 pour la saison 37/38. 51/42 pour la présente saison, soit 1,21 en moyenne. « L’effet Beaucourt » (qui disputera la totalité des rencontres) s’avère payant.
65Il semble que les dirigeants du Racing aient finalement tiré les enseignements de la précédente saison, signe de maturité et d’une expérience rapidement acquise par les administrateurs du club. Au recrutement tous azimuts de la première saison succède un recrutement peut être plus ciblé, de type correctif, visant à assurer le maintien du club au sein de l’élite, sans abandonner un style de jeu offensif.
3. Football et immigration en pays minier : les limites de l’intégration sportive
66La thématique d’une immigration dans et par le football est largement répandue et soigneusement entretenue. La récente victoire d’une équipe de France composite lors de la Coupe du Monde 1998 aura provoqué une résurgence du phénomène. Cette notion de creuset d’intégration est confirmée par les chiffres avancés il y a quelques années par Didier Braun20. Ce lien explicite entre football et immigration reposerait sur une correspondance entre le développement de la pratique au cours du XXe siècle, son enracinement au sein d’aires géographiques identifiées, et les différentes vagues d’immigration que connaît le pays. Dans un article de référence, Stéphane Beaud et Gérard Noiriel ont décrit les grandes phases de cette immigration dans le football, dont nous pouvons reprendre les principales conclusions : la carte du football se calque sur celle du travail immigré, ses contingents fournissent à l’Equipe de France un pourcentage de joueurs naturalisés qui varie selon les arrivées et les générations. La diffusion du football immigré se fait essentiellement par le biais d’un paternalisme sportif déjà décrit et d’une culture ouvrière qui s’approprie dans les deux guerres le football association. Quant aux phénomènes de sur-concentration observé dans les clubs de football, il correspond à une sur représentation des immigrés au sein de régions industrielles délaissées par les ouvriers français (en raison de la pénibilité de l’activité : mines et sidérurgie). Le paternalisme industriel sportif visible dans les régions du Nord et de l’Est de la France est finalement responsable de cette promotion du « football immigré » : l’émergence rapide de vedettes ou d’étoiles d’origine étrangère s’explique par des conditions précoces de recrutement. Détectés par les patrons ou les contremaîtres, ces footballeurs « protégés » sont rapidement « mis sur la touche » et bénéficient de conditions d’entraînement adaptées : les exemples de mineur footballeur demeurent cependant rares avant les années cinquante. C’est seulement à partir de cette période, date de l’accélération du professionnalisme, que le phénomène devient plus visible.
67Il s’agit de vérifier l’adéquation et la validité de ces constats avec les réalités minières de l’entre-deux-guerres. En signalant l’absence de travaux significatifs sur le sujet, Stéphane Beaud et Gérard Noiriel posent le problème des sources et de la méthodologie. Il s’agit en effet d’interroger à la fois les lieux et l’objet d’investigation. Pour le département du Pas-de-Calais, une approche quantitative de type ethnographique est possible, mais ne constitue que la partie visible de la réalité. Le premier niveau concerne effectivement les spectateurs et supporters dont on peut supposer qu’ils ne furent pas exclusivement composés de nationaux. Les travaux menés par Didier Demazière et Williams Nuytens ont montré que le supportérisme minier se matérialise et s’amplifie à partir des années cinquante, par la multiplication des sections de supporters. Que des ressortissants étrangers aient participé à ce mouvement, assistent aux rencontres et participent aux déplacements ne fait aucun doute. La mesure quantitative du phénomène est plus problématique21. Par contre, la composition des équipes des clubs amateurs, mais surtout des clubs professionnels nordistes engagés dans les championnats de première, seconde ou troisième division de 1932 à 1939 peut fournir quelques éléments statistiques. Le Racing-Club de Lens constitue à ce titre un support privilégié de l’analyse : non seulement parce que les indicateurs existent, mais parce que cette culture de l’intégration y constitue un thème récurrent participant de l’identité du club.
68Encore faut-il effectivement mieux cerner et identifier l’objet. Si l’on parle d’immigration, le football devient en quelque sorte un simple indicateur de la mesure des flux migratoires du bassin minier : la composition des équipes établit une distinction entre une immigration sportive de type conjoncturel et une immigration plus structurelle, vérifiée dans la constitution des équipes. Les joueurs anglais et belges présents dans les équipes boulonnaise, calaisienne ou béthunoise avant 1914 et au lendemain de la guerre sont la manifestation d’un flux limité, pragmatique, placé sous le signe de l’opportunité sportive : il s’agit simplement de gagner en technicité par l’adjonction de joueurs étrangers de talents. La précocité du football anglais, la vitalité du football belge et la proximité géographique expliquent un phénomène aux origines strictement sportives. Par contre, la présence de joueurs originaires d’Europe centrale et de l’Est dans les équipes nordistes, largement visible dans les années trente (mais minoritaire sur le plan statistique), relève d’un mécanisme plus complexe : la présence de certains joueurs perpétue cette logique d’importation de la technicité, mais d’autres joueurs de nationalité étrangère, arrivés en France à la faveur des flux migratoires, viennent intégrer des équipes et leur donnent cette image composite savamment entretenue. On assisterait alors dans de nombreux clubs du bassin minier à un phénomène de polonisation, qui participe au processus d’intégration des populations étrangères. Si le phénomène est manifeste dans les années cinquante, il faudra sans doute y apporter quelques nuances dans l’entre-deux-guerres, en distinguant les années vingt des années trente. Le football cesse alors d’être un simple lieu d’observation des mouvements migratoires pour devenir un moyen d’intégration : il apporte puis garantit aux joueurs concernés une reconnaissance sociale par la considération sportive (la proposition pouvant d’ailleurs s’inverser). Il permettrait également, cette fois dans une logique d’assimilation, de procéder au gommage d’une identité culturelle, qui peut être par exemple de type linguistique. En même temps, le football devient un instrument d’atténuation de la xénophobie ambiante22.
69La précocité de l’enracinement de la pratique du football association dans le bassin minier peut expliquer qu’il ait été rapidement pratiqué par les populations d’origine étrangère, dès leur arrivée en France. Peu de travaux ont été cependant réalisés sur le sujet : les études menées par Janine Ponty ou Marie Cegarra soulignent l’importance des pratiques spontanées et aléatoires au milieu des années vingt : il s’agit alors d’un football de rue, ou plutôt de corons, mettant aux prises les jeunes Polonais, au retour de l’école ou de la mine. La pratique sera progressivement facilitée par l’aménagement de terrains de football pour chaque coron à partir des années trente. Souvent sommaires, ces aires de jeu manifestent cette volonté de récupération de la pratique par les compagnies des Mines. Elles auront contribué à l’apparition d’un football polonais, dont les expressions demeurent cependant complexes23.
70Les chapitres précédents sont montré que les équipes des principaux clubs de la région comportaient effectivement un pourcentage limité d’étrangers au lendemain de la première guerre mondiale. Avant 1918, leur présence est tout à fait confidentielle, limitée à quelques individualités anglaises ou belges : les effectifs du RCL en 1912 ne comptent aucun joueur de nationalité étrangère. Il faut attendre le milieu des années vingt pour qu’un phénomène quantifiable puisse être observé : sur un effectif de 27 joueurs, l’Olympique Lillois en 1924 compte effectivement 8 joueurs de nationalité étrangère. La notoriété de l’OL constitue sans doute la principale explication à cette sur représentation de joueurs étrangers (près de 30 % de l’effectif). Pour l’Iris-Club de Lambersart, la proportion diminue de moitié pour la même saison24.
71La situation des clubs miniers dans les années vingt présente quelques similitudes : en 1925, l’ES Bully compte deux joueurs anglais, un joueur italien et un belge. Pour le Racing-Club de Lens, le tableau ci-dessous, établi à partir de la composition des équipes recensées dans les chapitres précédents, permet de nuancer ce phénomène de polonisation. Si la part des étrangers constitue une réalité tangible, les Polonais représentent non pas la composante essentielle, mais une composante, au même titre que les Italiens, Belges, Anglais ou Hongrois. Cette première stratification observée en pays minier semble donc prolonger le mouvement visible avant la première guerre mondiale.
72Le passage au professionnalisme permettra de disposer de données pour la majorité des clubs engagés dans les championnats de première et de seconde division. Avant cette date, le caractère fragmentaire des indicateurs rend délicate toute interprétation sur l’ensemble du phénomène : pour le Racing-Club de Lens, les années vingt indiquent un recours composite aux joueurs de nationalité étrangère, qui représentent plus du quart de l’effectif de l’équipe première (qui ne correspond pas nécessairement à l’équipe type. Le club dispose en effet d’un effectif d’une vingtaine de joueurs). A partir de 1925, un palier semble franchi. Cette date coïncide avec l’apparition de joueurs originaires d’Europe centrale et orientale, où les Polonais demeurent encore minoritaires.
73Les années trente modifient le paysage du football immigré, notamment dans le bassin minier. La présence de footballeurs étrangers dans le championnat de France professionnel a été étudiée. Les moyennes disponibles pour les club de première division se situent en dessous de la barre des 30 %. Pierre Lanfranchi et Alfred Wahl avancent le chiffre de cinq étrangers par club en moyenne, et mettent en évidence le phénomène de diversification des origines au cours de années trente. L’extinction de la filière britannique, perceptible à la fin des années vingt, voit l’émergence d’autres courants, en direction de l’Europe centrale et orientale, et du bassin méditerranéen. Si les flux se maintiennent au cours des six premières saisons, l’année 1938/39 est celle d’un réel tarissement de la source immigrée (– 35 % selon Marc Barreaud). Le processus de limitation du nombre de joueurs de nationalité étrangère autorisés (2 en 1938) et la montée des périls extérieurs peuvent expliquer cette attitude de repli.
74Les données disponibles pour les clubs du Pas-de-Calais évoluant en deuxième division présentent quelques traits originaux et indiquent une continuité de la présence britannique : le Racing-Club d’Arras, PUS Boulogne et le RC Calais ne semblent pas avoir suivi les évolutions des autres clubs de l’hexagone. Le pourcentage de joueurs de nationalité étrangère demeure constant, souvent dans des proportions identiques aux chiffres de la décennie précédente. Par contre, la diversification du recrutement n’est guère visible. Situées en dehors de la zone minière et de ce semis urbain et industriel caractéristiques, ces cités n’ont pas véritablement bénéficié des flux d’immigration des années 22/24 et 28/30. En cela, la géographie de l’immigration se calque bien sur celle du football. On soulignera cependant l’exception d’Arras, où le nombre de joueurs étrangers est constamment en deçà des chiffres régionaux et nationaux. Quant à l’hégémonie britannique, elle est la marque d’une permanence historique, en même temps qu’elle peut indiquer un décalage dans le processus de popularisation du football association. A l’inverse du bassin minier, celui-ci n’est peut être pas encore sur le Littoral la marque d’un attachement à un territoire, par un phénomène d’imprégnation véritablement populaire.
75L’originalité du bassin minier tient peut-être à la précocité de l’enracinement populaire du football association. En dépit de l’hétérogénéité des nationalités qui s’adonnent à sa pratique, il produit sans doute davantage d’homogénéité culturelle dans une région où les liens de sociabilité se sont inscrits dans l’organisation de jeux traditionnels et la vitalité d’un mouvement associationniste. La notion d’imprégnation culturelle, relativisée ou nuancée pour les cités du littoral ou pour Arras, est plus manifeste dans le bassin minier. Avant que le professionnalisme n’apparaisse dans les années cinquante comme un instrument de promotion sociale pour les ouvriers, le football demeure un moyen participant au processus de stabilité de la classe ouvrière, notamment dans les villes moyennes25.
76L’entre-deux-guerres se caractérise également dans le bassin minier par le développement de pratiques sportives spécifiques à la communauté polonaise. Constituant à elle seule 73 % de la population étrangère du département du Pas-de-Calais en 1936, tisse un réseau serré d’associations, de fédérations et d’unions de type culturel ou sportif particulièrement actives. Il devient le lieu d’expression d’une polonité originale, où l’éducation physique et les activités sportives sont représentées26 :
La plus ancienne des organisations sportives en France est l’Union des Sokols polonais, faisant partie d’une fédération internationale des gymnastes. [...] Néanmoins, les sokols pratiquent les autres sports comme l’athlétisme, le basket-ball, le volley-ball.
L’association des tireurs propage dans ses rangs la pratique de l’athlétisme, du basket-ball, du ping-pong, et, là où les conditions le permettent, de la boxe et du football.
Cette organisation doit son nom au créateur de l’Etat polonais, J. Pilsudski.
L’union des sociétés polonaises de football et l’association vélocipédique polonaise patronnent les deux sports les plus populaires en France, parmi l’émigration polonaise. [...]. On utilise les occupations sportives les jours libres acquis par la semaine de 40 heures, ainsi que les différentes fêtes. La jeunesse passionnée de sport, utilise tout loisir pour la pratique. Aucun effort ne lui résiste, pourvu que soit menée à bien une rencontre et que soit conquise dans une noble lutte, la palme de la victoire. [...]27
77Fondée en 1924, l’Union Polonaise de Football (PZPN) regroupe en 1938 près d’une trentaine de clubs et organise son propre championnat, indépendamment des compétitions gérées par la FFFA et les ligues régionales. Situation originale qui a pour avantage d’en permettre la mesure. La pratique d’un football polonais endogène est extrêmement minoritaire au sein des associations polonaises en France : elle représente en effet moins de 2 % des associations ou groupements et 1,2 % des pratiquants affiliés à ces organisations. Cette confidentialité attestée par les chiffres doit cependant être nuancée : le football semble en effet s’être répandu très rapidement parmi la jeunesse polonaise, en raison de son caractère populaire. Il faut donc considérer que les Polonais ont dans leur grande majorité rejoint les clubs affiliés à la FFFA, soit au sein de clubs français, soit au sein d’équipes majoritairement composées de Polonais. Si le phénomène est effectivement visible pour les clubs professionnels et les clubs du deuxième cercle, il s’est sans doute reproduit aux échelons inférieurs de la pyramide sportive régionale.
78Cette autonomie du football polonais s’inscrit dans une politique plus large d’affirmation et de maintien du sentiment identitaire. Une logique de proximité sportive plutôt que d’intégration par le sport semble être l’objectif des associations polonaises, qui souhaitent maintenir une originalité linguistique et culturelle par le recrutement de leurs membres. Le football polonais dans l’entre-deux-guerres se décline à la fois dans la sphère de pratiques spontanées, difficilement mesurables et dans deux sphères institutionnelles différentes : les joueurs polonais qui pratiquent le football association au sein de la PZPN sont moins nombreux que ceux qui ont accepté le principe d’une intégration sportive, au sein de clubs civils souvent contrôlés par les compagnies des mines. Il faut donc considérer que ce football immigré représente avant tout une pratique de distraction par l’imitation, avant qu’il ne constitue dans les années cinquante une discipline plus intégrative :
Les émigrés polonais, ouvriers, marchent solidairement avec leurs camarades français et ici, sur leur sol hospitalier, ils créent d’identiques sociétés sportives où ils trouveront joie, santé et distraction, après les monotones et pénibles occupations professionnelles. Là, ils apaisent leurs besoins intellectuels car, en tant que Polonais, ils ont leurs passions intellectuelles, leur histoire, leur culture.
Chaque peuple, chaque tribu ou race possède son âme particulière, une attitude spéciale devant la vie, crée une culture propre quoique parfois ressemblant aux autres, ainsi que son histoire célébrant ses élans, honorant ses héros.
C’est sur ces éléments que s’appuie l’éducation des jeunes citoyens. On cueille en eux l’amour du sol natal, source qui dirige pensées et actions pour l’Etat et la société.
Un tel citoyen, placé dans un autre milieu, ressent les manques de sa vie intellectuelle, mais, en même temps, ce sont de la reconnaissance et de l’attachement pour l’Etat qui l’a adopté. Les conceptions formées pour son propre pays s’appliquent maintenant pour celui qui l’héberge. Le travail de l’ouvrier polonais, dans ses organisations, consiste entre autres à devenir un bon citoyen de l’Etat. [...]28
79La présence de joueurs polonais au sein de l’équipe première du RCL obéit à une logique strictement sportive, fondée sur la politique élitiste du comité directeur : il s’agit d’abord de recruter les meilleures individualités, quelle que soit leur nationalité. La politique de naturalisation des joueurs étrangers participe de la même logique : le nombre d’étrangers étant progressivement réduit par la FFFA, les clubs ont tout intérêt à accélérer et encourager une intégration témoignant de la proximité des liens entre les deux communautés. C’est d’abord l’intérêt sportif qui conduit aux naturalisations. En même temps, la forte proportion de joueurs étrangers, ou naturalisés mais d’origine étrangère peut contribuer à la meilleure reconnaissance des communautés installées dans le bassin minier. Elle développe parmi elles un sentiment d’identification et de valorisation non négligeable (l’image du footballeur polonais robuste, athlétique et ne s’avouant jamais vaincu est particulièrement tenace). Elle constitue pour les compagnies des Mines une illustration sans doute illusoire de la réalité supposée de l’intégration de ces minorités. Elle permet aux clubs d’attirer une clientèle composite, aussi internationale que la composition de son équipe première.
Notre sport ne reste pas à l’écart de la vie sportive française mais maintient un contact étroit avec elle, constituant ainsi l’un des facteurs qui resserrent les liens de fraternité entre ces deux nations.
Les équipes polonaises luttent dans les ligues françaises ou organisent différents matchs avec les équipes françaises et défendent même parfois les couleurs de la France. L’éducation sportive dans les équipes des associations est dirigée par les ouvriers eux-mêmes qui, pratiquants jadis, ont suivi des cours spéciaux de perfectionnement. La Commission d’EP auprès du Comité d’Entente des Associations Polonaises en France s’occupe de l’instruction sportive des dirigeants. C’est elle qui organise les grandes manifestations sportives, les commissions arbitrales nécessaires et donne les directives du travail sportif. Dans le but de propager l’EP parmi les masses des ouvriers polonais, on a instauré le « Brevet Sportif Polonais » semblable au BSP crée en France depuis peu29.
80Le tableau ci-dessus appelle plusieurs commentaires. Les huit saisons observées soulignent l’internationalisation de l’équipe première du Racing. Sur les 177 joueurs qui vont être recrutés de 1930 à 1939 par le club, 53 % sont d’origine ou de nationalité étrangère (le tableau ne tient pas compte des naturalisations individuelles, peu significatives sur le plan numérique, enregistrées au cours de la période). A l’inverse de ses voisins littoraux ou arrageois qui ont entretenu des liens privilégiés avec les pays frontaliers, le Racing procède à un recrutement qui s’adapte aux réalités des flux migratoires, et qui tient compte de la spécificité polonaise. Les joueurs polonais représentent presque la moitié des effectifs sur la période. En 1934/35, la ligne d’avants du Racing est quasiment polonisée. La même remarque est valable cette fois-ci pour l’équipe première lors de la saison 1936/37. Les joueurs originaires de l’Europe centrale et orientale constituent tout autant l’ossature d’un club (plus du 1/3 de l’effectif sur la totalité de la période étudiée) où les nationaux sont désormais minoritaires. Il devient dès lors possible de différencier les années vingt des années trente, où le processus d’internationalisation des effectifs s’accélère, en faisant une large place aux Polonais du Racing.
4. Une déclinaison pragmatique du professionnalisme : le Racing-Club d’Arras
81Société omnisports fondée au début du siècle, la section football association du Racing-Club d’Arras fait partie du premier cercle des clubs nordistes, à compter des années trente. Disputant le championnat de Division d’Honneur Groupe A à compter de la saison 1931/32, il accède à la Troisième Division en 1936 (également appelée division Régionale du championnat de France professionnel), pour accéder dès la saison suivante en seconde division.
82Lors de la saison 1936/37, l’équipe première du club est également engagée en Coupe de France et en Coupe Porisse, tandis que ses juniors disputent le Championnat de France Juniors et la Coupe du Nord (réunissant la JA Armentièroise, le Stade Héninois, l’Ecole Normale d’Arras et l’équipe B du RCA). Le club aligne également une équipe en minimes, qui dispute le championnat de sa catégorie dans le groupe de Lens. A la différence de ses rivaux (US Calais, US Boulogne et RC-Lens), le RCA semble avoir développé des formes originales de professionnalisme et de supportérisme. La publication de l’organe officiel des supporters du RCA à compter de décembre 1936, Allez Arras, nous permet d’observer des sensibilités sportives différentes de celles des autres clubs professionnels de la région : aux visions d’un professionnalisme intégral pour le Racing-Club de Lens, et quelque peu subi du RC-Calais, le RC-Arras propose une conception plus raisonnable, sans doute parce que les finalités du club sont différentes et ses ambitions sportives plus mesurées. Il s’agit avant tout d’entretenir cette forte dimension éducative qui constituait l’un des fondements du club lors de sa fondation. La place accordée aux équipes de jeunes est d’ailleurs significative. Le passage au professionnalisme, loin d’être une fin en soi, constitue en quelque sorte un point de passage obligatoire, à mesure de la progression sportive du club. Dans le même ordre d’idées, le supportérisme arrageois ressemble peu au supportérisme lensois, même si son développement répond à des objectifs identiques : il est d’abord une fédération et un regroupement de personnes attachées au club, qui soutiennent les différentes équipes du RCA, notamment les équipes de jeunes.
83Information sur les rencontres, les joueurs et les principales manifestations du club des supporters constituent effectivement l’essentiel du bulletin. L’organisation des déplacements à l’occasion de rencontres importantes représente une part importante de l’activité de la section des supporters. Ils sont en partie financés par la vente du bulletin du RCA (abonnement d’un an : 15 francs, coût à l’unité : 50 centimes) et des premiers « produits dérivés »... Ce souci d’afficher les couleurs du Racing, de visualiser la présence des supporters sur les terrains, notamment lorsque le club joue à l’extérieur, est tout à fait significatif de cette sociabilité sportive en cours de constitution. La généralisation de ces codes d’expression, cette incarnation du supportérisme dans les objets constitue un phénomène contemporain admirablement décrit pour le RCL et le LOSC dans des périodes plus contemporaines. Les supporters du RCA ont ainsi la possibilité de se procurer des fanions (5 francs chez Marcel, chemisier. Il fournit également des fanions pour les automobiles), des plumes (chez René Petit, chapelier, au prix de 3 francs), des bérets (6 francs, chez Francis, chapelier). Des fétiches sont également en vente au siège du club et au café des négociants. Il est également possible de se procurer la photographie de chaque joueur ou du onze arrageois :
Amis supporters ! Procurez vous la photo des onze joueurs de l’équipe première, moyennant la somme de 1 franc la photo, 10 francs la photo de l’équipe complète. A chaque photo sous enveloppe est joint un billet donnant droit au tirage de nouveaux lots offerts par le comité des supporters (en vente au stade, au siège des supporters et dans les cafés de la ville)30.
84Lieux de sociabilité, de rencontres et de discussion par excellence, les cafés deviennent au seuil des années vingt des lieux privilégiés de regroupement, de ralliement des supporters des clubs. Ils assurent également la vente de billets et la diffusion d’objets promotionnels qui renforcent cette identité « clubiste ». Près de 2000 supporters du RCA effectuent ainsi un déplacement à Lens, à l’occasion du match de Coupe de France l’opposant à l’Olympique Dunkerquois, le 17 janvier 1937. Le bulletin du Racing diffuse à cet effet un ensemble de consignes qui soulignent le caractère organisé de la manœuvre, ainsi que sa volonté « processionnaire ». La caravane de supporters comptera en effet une dizaine d’autocars, sans compter les voitures particulières. Il s’agit d’ailleurs d’une opération plutôt démonstrative à destination de la population arrageoise : le cortège effectue d’abord un trajet bruyant qui emprunte les principales artères de la cité, avant de s’élancer sur la route de Sainte-Catherine, dans un ordre qui peut être plus dispersé. La rencontre, prévue à 14 heures, est donc précédée dès midi d’une manifestation promotionnelle, visant à démontrer la vitalité du supportérisme arrageois (un concert de musique qui précédera le concert de klaxons...).
A partir de midi, avec l’autorisation de Monsieur le Maire d’Arras, rassemblement des voitures et autocars sur la petite place. A 12 h 30, sur la petite place, aubade offerte aux supporters par l’harmonie municipale, sous la direction de Monsieur Lottin.
A 12 h 45, départ en groupes par les rues Saint-Géry, Saint-Aubert, Ernestale, Salengro, Doullens. Les conducteurs sont priés de faire fonctionner leur klaxon pendant la traversée de la ville.
Recommandation importante : les conducteurs sont priés de ne pas se dépasser avant le haut de la côte de Sainte-Catherine. Voiture pilote : Paul Huis.
Au retour, les autocars s’arrêtent place du théâtre où aura lieu la dislocation des supporters. A 17 h 30, au café de l’Harmonie, rue Ernestale, poule à la manille. Les supporters du RCA sont priés d’aborer les couleurs de leur club31.
85Si la mobilisation lors de rencontres de proximité n’offre pas de difficulté majeure, les longs déplacements pour les rencontres de championnat posent aux comité des supporters du RCA de réels problèmes. Ils s’effectuent généralement en train et demeurent effectivement confidentiels, en dépit des efforts du comité (notamment en terme de tarifs, négociés avec les compagnies de chemin de fer : le 14 février 1937, le club organise sur ce principe un déplacement à Dieppe)32.
86Il est donc plus logique de parler d’un supportérisme de territoire, qui se dilue progressivement dès que le club se déplace en dehors de la région. 10 supporters feront le déplacement à Hautmont le 7 février 1937. Chiffre d’autant plus confidentiel que le même jour, 24 supporters du RCA se rendent à Rouen pour supporter le... Racing-Club de Lens. Ce qui provoque les foudres du comité et un sévère rappel à l’ordre de ses membres. Celui-ci entreprend d’ailleurs une véritable campagne de fidélisation de ses membres, en leur offrant différents statuts correspondant tant à leurs possibilités financières qu’à leur capacité d’engagement au sein du club : le membre supporter bénéficie de conditions préférentielles lors des déplacements (billet de train et entrée au stade sont inclus dans un forfait), le membre souscripteur participe aux différentes actions et manifestations organisées par le comité. Preuve que le phénomène du supportérisme se structure et se radicalise, en devenant parfois exclusif. Cette logique concurrentielle caractérise d’ailleurs les relations entre RCA et Racing-Club de Lens :
Ce dimanche 7 février, se disputait à Rouen un match de 1/8e de finale de Coupe de France, entre nos bons amis et voisins du RCL et le Red Star de Paris. Les Lensois avaient organisé pour ce déplacement un train radio pour Rouen au prix de 34 francs la place. Le RCA, de son côté, avait obtenu de la Compagnie du Nord une micheline pour Hautmont, moyennant 30 francs la place. [...]
Or, il s’est trouvé que seulement 10 supporters se sont faits inscrire pour Hautmont et 24 pour Rouen : supporters, avez-vous fait votre devoir ? Non. Votre place était à Hautmont avec votre équipe et non à Rouen, malgré l’intérêt que nous portons à nos amis lensois. Vous avez une singulière façon de comprendre ce que veut dire le mot « supporter »33.
87A la différence du simple spectateur, le supporter devient une sorte de militant sportif, qui ne peut être fidèle qu’à son club : cette fidélité se manifeste d’abord dans une assiduité exclusive lors des matches de championnat, même si certaines affiches de Coupe de France sont plus attractives. La recherche d’une abnégation sportive chez les supporters du RCA s’inscrit d’ailleurs dans un souci manifeste d’exemplarité : il semble de le comité du RCA souhaite éviter les dérives constatées sur d’autres stades. La popularisation du football association ne doit pas nécessairement déboucher sur des phénomènes de partialité, de chauvinisme exacerbé ou de violence dans les tribunes. Le bulletin du RCA publie ainsi régulièrement des extraits du quotidien Les sports du Nord qui expliquent à l’intention des supporters les principales lois du jeu, et signalent les modifications dont elles font l’objet : le coup de pied de but, le hors-jeu, le penalty sont ainsi expliqués de manière plutôt rigoureuse, accompagnés des recommandations de fair play. Si l’on demande aux joueurs de « savoir jouer », il est également souhaitable que les supporters « sachent regarder » :
C’est devenu un truisme de constater les progrès du football français depuis l’événement du professionnalisme. C’est malheureusement vérité tout aussi banale de déplorer que la foule des spectateurs n’ait pas accompli la même progression dans l’art déjuger et d’apprécier le spectacle amélioré que lui offre l’élite de nos pratiquants. [...]
Mais le football, ne l’oublions pas, est un sport d’équipe et obligatoirement ses plus beaux mouvements doivent être des actions d’ensemble. Ne vous attachez donc pas à suivre des yeux toujours et uniquement le possesseur du ballon. Au contraire, quand par exemple le demi centre d’une équipe se trouve possesseur du cuir, cherchez donc bien vite à qui il va pouvoir le transmettre : cherchez l’avant qui réussit à se démarquer, cherchez l’adversaire qui, croyant avoir deviné l’intention de notre joueur se prépare à contrecarrer. C’est dans ces actions, dans ces déplacements dont la raison n’apparaît pas souvent, que se révèle l’intelligence d’un joueur. [...] C’est la seule façon de discerner le passeur de balle du stratège, le footballeur complet du dilettante34.
88Extrait tout à fait significatif du décalage qui pouvait exister entre la représentation de la pratique du football association par les spectateurs, et les réalités du jeu pratiqué sur le terrain. Les différents comptes-rendus déjà étudiés ont mis en évidence une plus grande complexité et scientifisation des styles de jeu et tactiques. Non seulement le bulletin du RCA demande aux spectateurs de « savoir regarder », mais il invite tout autant à « regarder autrement ». On peut dès lors comprendre qu’un sentiment de frustration ait parfois animé des spectateurs qui, visiblement, en sont restés à des conceptions conventionnelles d’un jeu, privilégiant l’action individuelle, les duels d’homme à homme et les exploits techniques. Le passage au professionnalisme a effectivement bouleversé les choix tactiques : le jeu devient éminemment collectif, et le « jeu sans ballon » devient un élément que les supporters ont du mal à intégrer, parce que ne faisant pas partie de la culture traditionnelle du spectateur. Il convient donc d’éduquer un supporter arrageois sans doute déçu : il faut lui faire prendre conscience de ces évolutions tactiques indispensables, qui rendent les rencontres moins spectaculaires, mais qui permettent la promotion d’un jeu et plus subtil, rendant nécessaire une vision périphérique.
89Le supportérisme se décline également sous forme de chansons, odes et poèmes à la gloire des équipes et des étoiles du club. Allez Arras publie en février 1937 l’hymne officiel des supporters du RCA, sur l’air d’Avant la guerre, du « regretté » Louis Baton : on constatera à sa lecture qu’il ne s’agit pas simplement d’un air pouvant être repris en choeur par les supporters dans les tribunes. Sa longueur et son contenu participent de ce souci d’identité du RCA, club où les notions de loyauté, de dévouement et les qualités individuelles concernent à la fois joueurs et dirigeants :
Refrain : Tralala,
Ah quelle veine d’être Racingmen (bis)...
I. La ville d’Arras, ville lumière,
possède une riche société.
Dont le renom n’est plus à faire,
c’est le Racing-Club réputé (bis).
Ses membres aux carrures athlétiques,
sont bâtis comme des marbres antiques.
II. Le président Paul se prénomme,
aux plus forts il peut faire la nique.
Les vice-présidents sont des hommes,
rares sous notre République.
Le secrétaire a la plume rapide,
le trésorier a toujours la caisse vide.
III. Les Racingmen, vrais boyaux rouges,
jouent parés de beaux maillots rouges.
La ligne d’avants, ligne de lapins, des buts adverses trouve le chemin (bis).
Ses descentes sont incomparables, ses shoots imparables.
IV. Les demis jouent avec tant de grâce
que le public qui ne se trompe pas,
dit-on croirait voir les trois grâces,
devant nous prendre leurs ébats (bis).
Je le répète, foi d’esthète,
ce sont là de superbes athlètes.
V. Les arrières, deux gars costauds
de tous font l’admiration.
Qu’il fasse froid,
qu’il fasse chaud, ils jouent dans la perfection (bis).
Leurs dégagements sont fantastiques,
leur arrêts on ne peut plus classiques
VI. Et notre fameux goal keeper
qui s’appelle Louis Bournon
du Racing-Club a souvent l’honneur,
la vaillance et le renom (bis).
N’importe quel shoot il arrête,
des pieds des mains... et de la tête !
VII. Le porte veine qu’a nom Zigomar
mène le Racing à la victoire.
Du but jamais il ne démarre,
de notre club il Est la gloire (bis).
Aussi Racingmen que nos voix
chantent toutes à la fois... Refrain35.
90Les joueurs eux mêmes ne sont pas épargnés par un membre du comité de rédaction visiblement poète à ses heures (c’est d’ailleurs sous le pseudonyme du « junior poète » qu’il signe ses billets et les couplets à la gloire des Racingmen). Il publie ainsi un étonnant essai d’acrostiche sur un international, en l’occurrence l’arrière François Vasse. Il représente en effet le joueur modèle du RCA : évoluant au club depuis la catégorie minimes, il fut de nombreuses fois retenu dans les sélections régionales, ainsi qu’en équipe de France face à la Tchécoslovaquie en 1934. Sollicité par des équipes évoluant en division supérieure lors de l’introduction du professionnalisme, il choisit finalement de demeurer au Racing. Ce soutien indéfectible au club lui vaut d’être honoré par les dirigeants du club à l’occasion de manifestations commémoratives et de véritables panégyriques sportifs. Le caractère exemplaire de la carrière de François Vasse et sa fidélité au club entretiennent cette image d’un club n’ayant pas succombé aux excès du professionnalisme. Le RCA prend soin de cultiver cette différence d’identité, notamment vis-à-vis de son voisin lensois, « ami mais néanmoins rival », qui n’a pas hésité à s’entourer de mercenaires internationaux.
91Le bulletin du Racing fait également une large place aux équipes de jeunes du RCA qui, tout autant que l’équipe première, défendent les couleurs du club et participent de cette culture identitaire. Les matches de l’équipe juniors A, engagée dans le championnat de première division du district Artois, font l’objet de comptes-rendus détaillés, identiques à ceux dont bénéficie l’équipe première. L’audience de ces rencontres ne doit pas être négligée : en septembre 1936, la rencontre qui les oppose au Stade Héninois se déroule devant plus de 200 spectateurs. La victoire inattendue de l’équipe B du RCA contre le Racing-Club de Lens (1/0) fait bien évidemment l’objet d’un article élogieux, traduction de l’antagonisme sportif entre les deux clubs. Le jeu des Lensois y est décrit comme brutal, plutôt rudimentaire, à l’inverse d’un style et d’une défense plus efficaces côté arrageois.
92Le football minier est aussi un football où des équipes de jeunes sont engagées dans des compétitions structurées et nombreuses (les championnats juniors et minimes, organisés sur le modèle des championnats seniors, sont aussi complétés par une coupe du Nord des Juniors et des Minimes). La majorité des équipes qui constituent ce deuxième cercle du football minier possède une ou plusieurs équipes juniors et parfois des équipes minimes (qui correspondent à la catégorie cadets aujourd’hui). Signe de la popularité de la pratique, mais également d’un souci de formation des clubs. En fin de saison, certains juniors se voient proposer une place en équipe réserve pour les clubs professionnels ou directement en équipe première pour les clubs évoluant en division régionale. Au Racing-Club d’Arras, cette promotion interne est plus que le simple résultat d’opportunités, ou de places se libérant pour des joueurs moins âgés : elle s’inscrit dans une orientation politique du club, qui met un point d’honneur à limiter les recrutements extérieurs. Le bulletin du RCA met ainsi en exergue le parcours de Marcel Doutremepuich.
93Son itinéraire est caractéristique du parcours du footballeur de l’entre-deux-guerres, dont les premières pratiques remontent aux temps héroïques du football association. Appartenant à la moyenne bourgeoisie locale, il aura vécu les différentes étapes d’un football association d’abord rugueux sur le plan du jeu, où la nature des postes occupés est fondée sur l’aléatoire, avant que ceux-ci ne soient attribués selon des critères plus objectifs. La passage de la sphère sportive à la sphère dirigeante est également significatif : il tend à démontrer que l’engagement au sein du RCA est d’abord un engagement associatif, sur la base d’une adhésion à un ensemble de valeurs sportives dont l’amateurisme pouvait être le dépositaire. Club venant de franchir le pas d’un professionnalisme le conduisant dès la saison suivante en deuxième Division, le RCA n’en continue pas moins d’exalter avec nostalgie ce temps révolu de l’amateurisme.
94Egalement engagée dans la Coupe du Nord des Juniors, l’équipe du RCA affronte en finale l’Excelsior de Roubaix-Tourcoing en février 1937. Après un score nul (1/1), le match est rejoué à Lille le 7 mars (0/0). Les juniors du RCA finissent par l’emporter lors de la troisième édition de la rencontre. Ils sont alors qualifiés pour la phase finale de la compétition, qui réunit les meilleurs équipes Juniors vainqueurs de leur championnat de Ligue respectif.
95Les juniors du RCA disputent la demi-finale face aux champions d’Alsace du FC Schiltigheim, à Reims le 2 avril 1937. A cette occasion, le RCA organise pour les supporters un déplacement en train (au prix de 25 francs, pour 30 places disponibles). Allez Arras publie avant le déplacement, la « chanson des Juniors », sur l’air de Tino Rossi « Tchi Tchi... » !
Vous êtes champions, il faut voir comme
Et Schiltigheim déjà s’impressionne !
Est ce vos shoots puissants
Vos headings
Ou bien la finesse de vos dribblings
Qui sont méchants ?
Oh poulains de Nicolas, oui, oui...
L’avenir vous sourira
Jeunes espoirs du RCA, Ah, Ah
La Coupe de France vous attend, Ah, Ah,
Vous deviendrez des étoles oui, oui
De division nationale, oui, oui
Aucun doute à ce moment là, Ah
C’est à Colombes que l’on va...36
96La défaite des joueurs du RCA face à l’équipe alsacienne soulève l’indignation du Comité du Racing, qui voit dans cette défaite la manifestation d’une injustice « extra sportive », imputable au règlement de la compétition. Mais dominer n ’est pas gagner. Lies velléités offensives des juniors du RCA se heurtent à un dispositif alsacien organisé autour d’un double rideau défensif : quatre arrières et trois demis jouant en retrait vont annihiler les attaques des juniors arrageois. Le compte-rendu de la rencontre oppose d’ailleurs la technicité des joueurs du RCA à la robustesse et au caractère athlétique des joueurs alsaciens, au jeu forcément frustre. Si la partialité des bulletins sportifs des clubs ne constitue pas en soi une nouveauté, elle s’étend également aux équipes de jeunes et ne concerne plus exclusivement l’équipe première :
Les Arrageois ont été battus non pas par un adversaire qui leur imposa son jeu mais par un règlement stupide et antisportif. Ce règlement stipule qu’en cas de match nul, c’est l’équipe dont le total de l’âge des joueurs est le moins élevé qui est qualifiée pour le tour suivant. Les Alsaciens possédaient cet avantage et pendant toute la partie n’eurent qu’un souci : obtenir le match nul.
97La saison 1936/37 permet à l’équipe première du RCA d’accéder en deuxième Division. Quant au championnat de troisième Division, mis en place par les instances fédérales pour répondre à une inflation de clubs candidats au professionnalisme, il se réduit à un affrontement entre clubs nordistes : ils représentent 60 % des clubs engagés dans ce qu’il convient effectivement d’appeler un championnat professionnel de division régionale.
98Le classement à l’issue des matchs aller semble indiquer une nette différence de niveau entre les clubs engagés, et dessine un championnat de troisième Division à deux vitesses. La volonté sportive ou politique d’un comité directeur ne suffit pas. La pérennité du club néo professionnel demeure soumise à des impératifs d’ordre financier : les difficultés du Racing-Club de Calais pour équilibrer son budget sont tout à fait transposables aux clubs de cette éphémère troisième division, et particulièrement aux nordistes. La géographie du football professionnel a montré une forte concentration des clubs pros sur le territoire de la Ligue. Le calendrier des rencontres et la multiplicité des matchs entraînent de fait une situation concurrentielle, se traduisant par la désaffection du public assistant aux rencontres des catégories inférieures. Les avertissements du bulletin du RC-Arras, qui conseillait à ses supporters d’assister aux matchs de son équipe plutôt qu’à ceux du Racing-Club de Lens, sont tout à fait symptomatiques de la précarité financière des clubs. Déjà constatée pour certains clubs de D2, elle se vérifie dès la fin de la saison 36/37, par une nouvelle modification de la composition de la deuxième Division et l’imposition de clauses financières par la FFFA :
Dans la séance qu’elle a tenue hier, la commission du groupement des clubs autorisés a examiné les vœux émis samedi, par les clubs de deuxième division et a pris les décisions suivantes, qui seront soumises aux décisions fédérales :
1. Etant donné le voeu exprimé par la réunion consultative des clubs autorisés du 10 avril demandant la constitution de la deuxième série professionnelle en une poule unique de 20 clubs pour la saison 1937/38, la commission du groupement estime à l’unanimité :
2. Qu’elle ne peut réunir dans cette série restreinte et en une seule poule que des clubs ayant des références sportives satisfaisantes, des moyens financiers suffisants et effectuant des recettes adaptées tant à leurs besoins qu’à ceux des autres concurrents de la série37.
99Si la commission continue d’évoquer des « références sportives satisfaisantes », c’est bien la viabilité financière et la garantie de la prise en charge des frais de déplacement de l’équipe visiteuse qui conditionneront l’engagement des clubs candidats. La question de l’affluence autour des stades, de cette assiduité sportive déjà évoquée et donc des recettes directes des clubs, va déterminer la constitution de la deuxième Division pour la saison 37/38.
En conséquence, elle décide de demander aux clubs autorisés, anciens et nouveaux, désirant participer au championnat cette saison :
1. Aux clubs de 2e et de 3e série, de présenter au 31 mai dernier délai une situation financière nette, c’est à dire complètement à jour à cette date en ce qui concerne le paiement de salaire des joueurs et des dettes sportives (sommes dûes aux clubs de la FFFA et à la FFFA elle même)
2. A ces clubs et aux nouveaux clubs de verser pour le 31 mai au plus tard à la FFFA, une caution de 35 000 francs en espèces, de payer une indemnité kilométrique de déplacement aux équipes concurrentes à raison de 10 francs le kilomètre, de disputer quelques matches en semaine suivant les exigences du calendrier. La commission décidera au cours de sa première réunion de Juin la constitution définitive de la poule unique de 2e série, suivant le nombre de clubs qui auront satisfait à ces engagements. Dès à présent, et sous la réserve réglementaire de l’approbation du bureau fédéral, la commission prévient les clubs ci-dessous de son regret de ne pouvoir les compter en deuxième série, étant donné les faibles recettes qu’il ont effectuées au cours de la saison dernière, ou de l’insuffisance de leurs possibilités à cet égard :
Clubs anciens : SC Albert, AS Hautmont, SC Caudry, US Pontoise, RC Epernay
Clubs nouveaux : SR Colmar, Hyères FC, E de Revin, US
Bagnolais, Olympique de Saint-Quentin, ES d’Hayanges.
En ce qui concerne Reims et Bordeaux, la commission décide qu’elle ne pourra admettre qu’un seul club par ville : le Stade de Reims, club autorisé depuis deux ans, et les Girondins de Bordeaux.
En raison de la décision du Conseil National supprimant la 3e Division, la commission met en outre le voeu que les joueurs professionnels appartenant à l’ancienne 3e Division et non admis dans la deuxième division 37-38, puisse sur leur demande et celle de leurs clubs d’origine, recouvrer dès la saison prochaine la qualité d’amateur dans le club auquel ils étaient qualifiés au cours de la présente saison38.
100A partir de 1937/38, l’engagement des clubs dans les championnats professionnels est donc soumis à des garanties financières qui laissent penser que la tenue des comptes des clubs pros ne répondait pas toujours à des impératifs élémentaires de saine gestion.
101Pour le Racing-Club d’Arras, l’accession en deuxième Division constitue l’objectif avoué. Dès le mois de janvier 1937, le club multiplie les rencontres amicales contre des équipes évoluant généralement en division supérieure : Olympique Lillois (1/1), Olympique Saint-Quentinois (1/1), Olympique de Dunkerque... Elles peuvent constituer autant de tests permettant d’évaluer les capacités et la tenue du RCA contre des équipes plus chevronnées, en même temps qu’elles garantissent des recettes supplémentaires. A ce propos le compte-rendu de la rencontre contre le club dunkerquois, au delà de la défaite du RCA, insistera sur les qualités de jeu et les individualités du Racing, démontrant ainsi la faisabilité d’une accession en D2.
102Le mouvement s’accélère à partir d’avril 1937. En championnat les victoires du RCA face à l’US Longwy (6/3) et au RC Epernay permettent au club de terminer en tête du championnat de 3e Division. Le calendrier plutôt chargé de rencontres amicales qui suit permet de tester la future équipe de D2. Il s’achève par un match de gala au stade Degouve, opposant le rival lensois au futur promu, qui obtient à cette occasion un match nul encourageant.
103L’accession en division supérieure suppose là encore un nécessaire changement d’échelle pour le RCA. A la différence du Racing-Club de Lens, qui dispose du soutien financier indéfectible de la Compagnie des Mines, le club arrageois ne peut compter que sur ses supporters et le soutien de la municipalité. Celle-ci débloque d’ailleurs en mai 1937 un crédit de 45 000 francs permettant de financer les travaux de rénovation du vieux stade Degouve. L’effectif de l’équipe première n’est guère modifié. Les finances du club n’autorisent pas le recrutement de nouvelles étoiles. Seul le Hongrois Borsos est placé sur la liste des transferts.
104Le titre de l’éditorial du bulletin duRCAle 14mai 1937 (Quoiqu ’il arrive, le RCA jouera en 2e Division l’année prochaine) et l’article qui suit témoignent des ambitions sportives finalement mesurées du club arrageois qui confèrent au club arrageois une certaine originalité distinctive, et qui en limitent sans doute la dimension populaire, observée au même moment au RCL. Nous avons peut-être ici l’une des explications de la rivalité entre les deux clubs, qui serait d’ordre sociologique et également liée aux structures mêmes des deux clubs. Assurément, le public du Stade Bollaert n’est pas le même que celui du Stade Degouve.
105Le comité du RCA lance une souscription et publiera dans les numéros suivants de son bulletin une longue liste de 210 généreux donateurs (mais sans indiquer le total de la souscription, ni le détail des sommes versées). Il semble également que les instances du football régional aient pris en compte les difficultés financières des clubs de 3e et de 4e Division. La LNFA adopte pour la saison 1937/38 une série de mesures destinées à alléger les charges des clubs engagés dans les championnats professionnels (réduction des tarifs, des droits d’engagement, exonération des frais d’arbitrage). Ces dispositions s’étendent également aux clubs amateurs et de divisions inférieures, à condition que ceux-ci s’engagent à disputer la totalité des matches allers : les désistements et défaillances en cours de championnat ont en effet des effets désastreux sur l’image du football association et dans les calendriers des rencontres.
Des dégrèvements massifs vont être octroyés aux clubs pour la saison 1937/38. Il réglaient précédemment au début de l’année sportive leur abonnement à Nord Football de l’ordre de grandeur de 50 francs. Cet organe leur sera adressé gracieusement à l’avenir.
Au lieu du droit d’inscription de 20 et 40 francs suivant les divisions, ils ne paieront plus qu’un droit de statistique de 5 francs. Enfin, les engagements des équipes dans les championnats seront ramenés à 5 francs au lieu de 10 francs.
D’autre part, la LNF, avec la collaboration de la commission de la propagande et mutuelle qui a prêté son appui le plus complet au bilan des dégrèvements proposés, offrira un don en nature aux équipes qui auront sans défaillance disputé les matches aller.
Comme on le voit, l’ensemble de ces mesures est des plus intéressantes pour les 220 clubs ou petites sociétés qui doivent en être les bénéficiaires. D’autre part, également, la LNFA a réalisé cette saison pour l’ensemble de ces sociétés un gros effort pour l’arbitrage et les dépenses évaluées pour ce chapitre seront d’environ 180 000 francs. Si l’on considère que les clubs n’acquittent aucune contribution pour l’arbitrage, c’est donc un joli cadeau que la LNFA accorde à ses ressortissants39.
106Sur les trente clubs répondant aux critères sportifs et financiers imposées par la FFFA, 23 sont implantés au nord de la Loire, ce qui empêche la constitution de poules géographiques. Les clubs conserveront désormais la totalité des recettes réalisées sur leur terrain (soit 3 à 4000 francs en moyenne par rencontre). A charge pour eux de payer une indemnité kilométrique de 10 francs aux clubs visités, indemnité dont le montant est contesté par les clubs nordistes. Leur situation septentrionale représente en effet un handicap réel. Les déplacements de Montpellier, Toulouse ou Alès risquent de grever un budget dont l’équilibre demeure précaire. Le championnat de D2 réunit pour la saison 1927/30 trente clubs, répartis en deux poules de 15 clubs. 1/3 d’entre eux sont affiliés à la LNFA.
5. L’US Liévin, l’archétype du football amateur en pays minier ?
107L’assemblée générale de l’Union Sportive de Liévin du 10 juillet 1933 nous propose la photographie d’un club minier amateur qui, à l’image de ses voisins professionnels, possède son propre bulletin d’informations. L’US Liévin compte 80 licenciés dans sa section football, répartis en six équipes, dont cinq ont pu terminer leur championnat : trois équipes seniors (1A, 1B et II), dont l’équipe première évolue dans le championnat de deuxième division du district Artois. Elle terminera à la seconde place du classement derrière PUS Drocourt40.
108Le club compte également deux équipes juniors (A et B) et une équipe minime plus difficile à constituer, malgré une propagande active. Plus qu’ailleurs, le recrutement de jeunes joueurs est indispensable à la pérennité des équipes juniors et seniors des clubs amateurs, dont on a pu observer qu’ils constituaient également le réservoir des clubs professionnels périphériques :
Malgré nos appels, nous ne sommes pas débordés par les demandes d’inscription de minimes. Or, il nous faut absolument un gardien de but pour l’équipe de Juniors A, gardien qui ne peut se trouver que parmi beaucoup de joueurs. Recrutez dans votre quartier quelques joueurs de 14 à 17 ans, bien décidés. Envoyez-les au parc, jeudi à 18 h 15.
Dites leur que de très gros avantages sont consentis sur les équipements. Rien à acheter pour le moment. Le temps presse, il ne nous reste plus que trois mois pour compléter deux équipes et nous ne pouvons les compléter sans avoir formé des joueurs. Dès aujourd’hui, recrutez, aidez-nous41.
109Comme un grand nombre de sociétés sportives du bassin minier, l’US Liévin est une société omnisports, où l’on pratique d’autres disciplines. La part accordée dans le bulletin aux rencontres de football laisse supposer qu’il s’agit de la discipline-phare de la société, en dépit des difficultés qui résultent du professionnalisme, et de ses incidences sur les petits clubs locaux. L’US Liévin appartient en effet à ce troisième cercle du football nordiste, essentiel au développement et au maintien de la pratique du football association dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Les comptes-rendus des rencontres disputées par son équipe première nous permettent de mieux appréhender les réalités d’un football local qui possède également vedettes : certains joueurs de l’US Liévin sont ainsi sélectionnés dans l’équipe d’Artois de seconde division, qui affronte lors d’un match de propagande une sélection des Flandres. Ce principe des sélections, observé pour les clubs professionnels (équipe de Ligue, sélection du Nord notamment), est reproduit pour les équipes inférieures42.
110Dans le même ordre d’idées, les dirigeants du district Artois créent une « équipe militaire de l’Artois », qui réunit une sélection des jeunes joueurs du district effectuant leur service militaire, mais toujours licenciés dans des clubs civils . Cette sélection est donc différente des équipes et sélections régimentaires déjà mentionnées. Sa composition souligne les réalités d’un recrutement opéré par les clubs professionnels : la totalité de la ligne d’avants est composée de jeunes joueurs formés au sein des équipes inférieures du District Artois, mais qui évoluent désormais dans des clubs professionnels. Nowicki, Guéant, et Josserand ont évolué dans l’équipe juniors de l’US Liévin.
111Les dirigeants de l’US Liévin dénoncent également les dangers d’un racolage que l’introduction du professionnalisme va contribuer à généraliser. Les clubs amateurs du bassin minier semblent victimes d’un débauchage les privant de leurs meilleurs éléments. Autant que le principe du racolag, est remise en cause la logique implacable de sélection et d’élimination des jeunes joueurs n’ayant pas donné satisfaction :
Nous mettons nos joueurs en garde contre le racolage qui va bientôt sévir. Les promesses sont toujours très belles, la réalité l’est beaucoup moins. Combien de jeunes gens n’ont-ils pas déjà quitté leur club d’origine, pensant trouver ailleurs beaucoup mieux : et qu’ont-ils trouvé ? Pas le paradis qu’on leur avait promis pour leur arracher leur signature bien sûr. Pour un peu d’argent (si peu), ils sont partis, n’ont pas trouvé au club racoleur la camaraderie franche et cordiale dont ils jouissaient auparavant, ont dû poursuivre le cours de leurs occupations, puis la forme si capricieuse a disparu et c’est sans ménagement qu’ils ont été balayés. Le mot n’est pas trop fort. Ainsi donc, jeunes gens de l’US Liévin, qui pourriez être sollicités, vous voilà prévenus. Traitez en conséquence les maquignons du sport et si, malgré notre mise en garde, vous vous laissez convaincre, nous vous souhaitons de n’avoir point à le regretter un jour43.
112L’organisation verticalisée du football nordiste et sa qualité de jeu renforcent le racolage dans les années trente. Les joueurs des petits clubs du bassin houiller sont débauchés, parce que leur formation initiale s’améliore. Les techniques d’entraînement et de préparation, jusque là réservées aux équipes professionnelles ou aux clubs des deux premiers cercles, s’observent désormais pour les clubs des division inférieures. La préparation physique n’est plus l’apanage des équipes seniors. A l’US Liévin, les minimes et juniors bénéficient de séances hebdomadaires d’entraînement (chaque jeudi à 18 h 15) qui doivent leur permettre d’améliorer leur condition physique et leur style de jeu.
Continuez les minimes, écoutez toujours et surtout mettez en pratique les conseils qui vous sont donnés par les dirigeants, qui, graduellement ont fait de vous en quelques mois des joueurs de football. Il vous manque à présent du souffle. Il était visible 5 minutes avant la fin que vous n’en pouviez plus. Mais avant longtemps, vous aurez acquis ce souffle si nécessaire, indispensable même à un joueur qui doit fournir un effort constant durant une heure et demie.
A l’issue de la rencontre, nous avons décidé que les cours de culture physique reprendront à partir de jeudi 18 h 15. Vous allez donc suivre deux buts de front : mettre en pratique la méthode de jeu qui vous a été inculquée, acquérir du souffle.
Pour la première partie du travail, MM. Molin, Deenfant, Foucart et Grenier continueront à vous prodiguer leurs conseils, pour la seconde partie, les moniteurs de culture physique auront tôt fait d’augmenter votre capacité thoracique, tout en assouplissant vos muscles qui, nous l’avons vu, n’obéissent pas encore bien à votre volonté.
Vous viendrez donc au Parc, jeudi soir et de concert avec les Juniors et les plus consciencieux des joueurs de l’équipe fanion, vous travaillerez en suivant les indications de MM. Lefort et Rousseau, à vous développer, à acquérir force et santé [...]. Il va sans dire que, pour former les équipes juniors, nous choisirons comme il se doit, les joueurs les mieux entraînés, donc ceux qui auront pratiqué la culture physique44.
113En calquant leur fonctionnement interne sur celui professionnels ou au sommet de la pyramide régionale, les petits clubs miniers risquent effectivement d’être instrumentalisés ou en tout cas intégrés dans les mécanisme de recrutement mis en place par les grands clubs. Les dirigeants de l’US Liévin dénoncent d’ailleurs en termes virulents ce passage au professionnalisme, qui remet en cause les fondements du football association. Ils refusent la logique marchande qui se met en place entre grands clubs « acheteurs » et petits clubs « fournisseurs »45.
114La suppression de la licence B aura sans doute accéléré la pratique du racolage, en assouplissant le cadre juridique récemment mis en place par la FFFA. Le transfert du jouer amateur vers un club autorisé obligeait le club pro à verser une indemnité de dédommagement de 3000 francs (à la condition que le joueur nouvellement recruté intègre l’équipe professionnelle à compter de la seconde année de son transfert). En supprimant la licence B, accordée à ces joueurs, la FFFA rend obsolète cette période de transition d’une année qui pouvait ralentir les ardeurs racoleuses des clubs pros, et limiter les flux de joueurs. Seul le transfert d’un joueur amateur vers un club pro en cours de saison demeure interdit et pénalisé par une forte amende. Des clubs comme l’US Drocourt, FUS Liévin, le Stade Héninois et l’ES Bully sont l’objet de véritables rafles, opérées dans leurs équipes premières et juniors en fin de saison. Les clubs amateurs deviennent pour les meilleurs joueurs des centres de formation, à l’interface d’un football de rue spontané et du football professionnel. Situation peut-être incontournable mais insupportable pour les dirigeants :
La licence B est morte. Il fallait s’y attendre, ce faible rempart qui protégeait quelque peu les clubs amateurs contre le racolage, gênait les professionnels qui, lorsqu’il s’agit de leurs intérêts financiers ont le coup d’épaule brutal. Mais que feront à présent des clubs amateurs désarmés ?
Continueront-ils à former des jeunes ? Croyez vous qu’il soit agréable à un dirigeant (amateur lui aussi) de passer le plus clair de ses loisirs à fournir un véritable labeur en formant des jeunes pour voir le fruit de ses efforts aller à d’autres dont le seul mérite sera d’avoir un portefeuille un peu plus lourd ?
Peut-on concevoir que le découragement ne puisse s’installer à Bully, chez les dirigeants de cette belle école des jeunes qu’est l’Etoile, après la rafle dont ce club si sympathique vient d’être l’objet ? [...]
Car la suppression de la licence B, votée par les gentils messieurs de la Fédération, ces purs du sport, a un but, ainsi que vous vous en doutez. Le but officiel : rendre la liberté à chacun et jusque-là c’est très bien. Mais le véritable but, le but caché, celui que l’on n’avoue pas c’est celui-ci : racoler des joueurs en déboursant le moins possible.
Vous n’ignorez pas que le statut professionnel, élaboré par ceux là même qui ont aboli la licence B, prévoit que le club acheteur devra verser une somme de 3000 francs à la société pourvoyeuse. Or et c’est ici qu’apparaît toute la beauté du tour : en supprimant la licence B messieurs les pros s’accapareront les meilleurs joueurs, les feront jouer en équipe inférieure, puis en équipe A et le club amateur lésé par le départ d’un ou de plusieurs éléments n’aura pas cette fiche de consolation que constitue la prime de 3000 francs46.
115En dénonçant le spoil System dont ils s’estiment victimes, les dirigeants des clubs miniers remettent en cause la légitimité des instances fédérales et de leur Ligue, considérées comme fossoyeurs de l’amateurisme. La suppression du versement de la prime de 3000 francs constitue effectivement un manque à gagner pour des structures « amateurs à 100 % », mais au-delà, elles remettent en cause les fondements d’une discipline encore considérée sous un angle strictement ludique. Les dirigeants de l’US Liévin demandent donc aux dirigeants du district Artois de s’engager en faveur du rétablissement de la licence B, ultime rempart contre la « gangrène professionnelle ». La fronde des dirigeants des clubs amateurs miniers traduit bel et bien une différence d’ordre culturel :
Il nous reste un moyen pour nous défendre, nous amateurs à 100 % qui voyons dans le sport, pour quelques uns une distraction, pour d’autres un délassement, pour d’autres enfin dont les loisirs sont plus étendus, matière à activité. Nous espérons que les dirigeants du puissant district Artois ne vont pas se laisser arranger de pareille façon, que leur vigoureuse action, jointe à celle des amis des autres districts, nous reforgera un bouclier. En dirigeants avertis, les membres du bureau d’Artois doivent mettre tout en oeuvre pour obtenir le rétablissement de la licence B. Il y va de la vie des ressortissants du district (sic), et de celle du district lui même...47
116En juin 1933, l’US Liévin dispute la demi-finale de la Coupe d’Artois contre l’US Bruay sur le terrain de l’US Barlin. Les conditions matérielles (état du terrain et installations sportives) en disent long sur la précarité des conditions de jeu qui subsistent dans le bassin minier. Le compte rendu de la rencontre semble indiquer que le phénomène du supportérisme, largement décrit pour les équipes des deux premiers cercles, constitue au niveau local une réalité tangible : les supporters liévinois se sont déplacés par leurs propres moyens à Barlin ou ont emprunté la ligne régulière d’autocars. Ils représentent l’essentiel de l’assistance et assistent à la courte défaite de leur club (2/1). Le bulletin du club souligne d’ailleurs la forte polonité de l’équipe de l’US Bruay, qui applique la règle des trois joueurs de nationalité étrangère. Seul Kubick est naturalisé et joue sous licence française. Cette présence de joueurs polonais est d’ailleurs considérée comme déloyale, lorsque l’on connaît leur valeur athlétique et leur jeu souvent qualifié de « scientifique ». Dénonciation d’autant plus curieuse que le club de Liévin possède lui aussi trois joueurs d’origine ou de nationalité polonaise...
117Ce football à deux vitesses concerne également les installations sportives dont disposent les clubs. A côté de terrains aménagés, de stades ceints par une ou plusieurs tribunes et qui répondent aux normes fédérales, subsistent ces terrains de fortune : peu entretenus faute de crédits et en raison du niveau de compétition de l’équipe, ils permettent à ce football de pâtures de perdurer dans le bassin minier.
118On comprend dès lors le souci de l’US Liévin d’organiser au parc de Rollencourt la finale de la coupe d’Artois : il s’agit pour la cité minière d’un véritable événement. La finale est précédée à 15 h 30 d’un match de lever de rideau opposant les juniors de l’ES Bully à ceux du Stade Héninois (0/3). Elle se déroule à 17 h 15, devant près de 800 spectateurs, affluence considérable si on la rapproche de celle de rencontres professionnelles (le prix des places est fixé à 3 francs autour de la pelouse, 4 francs pour les places assises). Le déplacement collectif des supporters des deux camps est visiblement organisé :
La majorité des spectateurs était composée d’Héninois et de Bullysiens qui n’avaient pas craint d’organiser le déplacement en autocar pour encourager leurs favoris [...]. Nous devrions prendre exemple et faire en sorte que Liévin vive par le sport. Quand Liévin aura acquis la grande notoriété sportive, plusieurs branches du commerce local s’en ressentiront immanquablement. Ne souriez pas, essayez plutôt de n’être plus des arriérés...
119Malgré la présence de deux clubs à Liévin (le FC de Liévin est engagé dans le même championnat que l’USL), le football association ne semble pas avoir la renommée escomptée par les dirigeants du club. La rivalité d’autres sociétés sportives mais aussi la concurrence de proximité d’autres clubs miniers évoluant en division supérieure peuvent expliquer les difficultés de l’US Liévin : la mobilisation du public et la fidélisation de ce dernier constituent les priorités d’un comité directeur qui voit non seulement ses meilleurs joueurs être absorbés par les clubs voisins, mais son public et ses bénévoles déserter ses principales manifestations. Ce « racolage » vise en fait à enraciner non seulement la pratique mais surtout une véritable culture footballistique dans la cité minière :
Venez encourager les joueurs locaux, vos joueurs, bien à vous parce que formés au club, fixés à Liévin par des considérations de travail, de famille, voire même de camaraderie, de cette camaraderie franche et loyale qui distingue les sportifs des autres humains.
120Ce souci manifeste de promotion du football association à Liévin est également visible dans l’organisation au parc de Rollencourt d’un tournoi de football réunissant les principales équipes polonaises du bassin minier, à l’occasion d’un tournoi de Pentecôte les 4 et 5 juin 1933. Les quatre clubs engagés disputent les championnats de la fédération polonaise : le Naproz de Drocourt, le Warta de Calonne Liévin, le Diana de Liévin et le club polonais de Bully. Il comptent dans leurs rangs un certain nombre de vedettes ou étoiles locales, connues des liévinois pour avoir pratiqué le football à l’US Liévin ou dans les clubs civils du bassin minier. Les membres de l’US Liévin, sur présentation de leur carte d’adhérent, peuvent assister gratuitement à ces rencontres, qui visent autant à produire un spectacle sportif de qualité, qu’à rapprocher les deux communautés. Il s’agit de la seule trace visible d’une volonté intégrative, ou de reconnaissance de l’identité polonaise, à travers la pratique du football.
Notes de bas de page
1 La reconversion des joueurs n’est pas envisagée dans les textes officiels. Le joueur peut simplement réintégrer une équipe amateur, s’il désire poursuivre sa carrière « sportive » après une expérience professionnelle. Les travaux de Pierre Lanfranchi soulignent la très grande diversité des situations : si les joueurs ayant poursuivi des études avant ou au cours de leur carrière retrouvent tout naturellement la profession initialement envisagée (professions libérales notamment), nombreux sont ceux qui privilégient des fonctions liées au monde du sport (enseignement, monitorats d’éducation physique, etc.). Les « descentes aux enfers » ne constituant pas, hélas, des exceptions. Cité par : Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), ibid., pp. 97-100.
2 Sur l’implantation des clubs de football et leur inscription dans les territoires, consulter le remarquable ouvrage de : Ravenel (Loïc), La géographie du football en France, P.U. F, Coll pratiques Corporelles, 1998, 143 p.
3 Consulter la carte en annexe Les clubs de football professionnels de la Ligue du Nord de Football. Saison 1936/37.
4 In Le Racing, Bulletin bimensuel du Racing-Club de Calais, n° 2, février 1936, ADPC, C 1042/19.
5 In Le Racing, ibid., ADPC, C 1042/19.
6 Extrait du Bulletin sportif de l’Olympique Dunkerquois. Cité par Le Racing, ibid., ADPC, C 1042/19.
7 Derville (Alain) Dir., Histoire de Calais, Editions des Beffrois, 1985, p. 278.
8 Le département du Pas-de-Calais connaît en effet près de 10 années de récession profonde (1930/38), qui affecte dès la fin 1931 la totalité des secteurs industriels (mines, textile, métallurgie, activités portuaires). Particulièrement active sur le littoral, elle contraint les municipalités à développer une politique sociale particulièrement active, en faveur des chômeurs (aides alimentaires et matérielles, travaux d’intérêt général, hébergement des indigents). Cité par : Le Maner (Yves), Histoire du Pas-de-Calais (1815/1945), ibid., pp. 201-202.
9 In Le Racing, ibid., ADPC, C 1042/19.
10 Se reporter à : Arnaud (Pierre), « Le sport et la ville, les politiques municipales d’équipements sportifs (XIXe-XXe) », in Spirales, n° 5, CRIS/UFRAPS, Université de Lyon I, 1992, pp. 11-16.
11 Un effort budgétaire conséquent est réalisé par le gouvernement du Front Populaire, sous l’égide du sous secrétariat d’Etat à l’Education Physique, rattaché au Ministère de la Santé, dirigé par Léo Lagrange en juin 1936 : 29 millions seront débloqués en 1936 pour l’aménagement d’infrastructures adaptées (253 terrains de sports seront mis en chantier), le budget de l’Education Physique et des Sports est porté à 54 millions en 1936, puis 65 millions en 1937. La massification des pratiques sportives passe par un développement significatif de l’Education Physique et du Sport Scolaire : création d’un Conseil Supérieur des Sports et du Brevet Sportif Populaire (1937). Sur le plan politique, il s’agit autant de lutter contre le développement du « sport spectacle » et ses dérives marchandes, que d’assurer le « salut de la race », en renouant ainsi avec la philosophie hygiéniste du courant médical des années vingt. Sur la politique sportive et culturelle du Front Populaire, consulter : Ory (Pascal), « La culture pour tous ? », In L’Histoire, n° 197, 1996, pp. 84-85. La belle illusion : culture et politique sous le signe du Front Populaire (1935-38), Plon, 1994, 1033 p.
12 In Le Racing, ibid., ADPC, C 1042/19.
13 L’expression « déterminisme industriel » est empruntée à Loïc Ravenel. La géographie du football nordiste observée avant 1945 est quelque peu différente du « trinôme nordiste » (Lille, Lens et Valenciennes) contemporain, polarisé autour de l’affrontement sociologico-sportif opposant le LOSC au Racing-Club de Lens. Avant 1945, les larges contours administratifs de la Ligue qui incluent les clubs picards, les succès sportifs des clubs du littoral (USB, Racing-Club de Calais et US Dunkerque) et la présence historique des clubs lillois confèrent à la géographie du football de l’époque un visage plus complexe. (Se reporter à la cartographie en annexe). Sur la géographie du football nordiste, se reporter à : Ravenel (Loïc), La géographie du football en France, RU. F, Coll. Pratiques Corporelles, 1998, pp. 28-31.
14 Les ambitions du Front Populaire sont effectivement révolutionnaires, dans la mesure où elles visent à transformer en profondeur une « civilisation des loisirs » qui connaît ses premiers balbutiements. Si les vacances demeurent inaccessibles au plus grand nombre des familles ouvrières, les pratiques sportives se démocratisent progressivement, sous une triple conjonction : nouvelles Instructions Officielles relatives à la pratique de l’éducation physique à l’Ecole, aménagement d’infrastructures sportives (235 stades sont mis en chantier dès 1936), souci de développement des pratiques sportives, à partir de finalités hygiénistes, qui veulent rompre avec « la conception dominante du sport spectacle ». Sur ces questions, se reporter à : Borne (Dominique), Dubief (Henri), La crise des années trente (1929/38), Points Seuil, Coll. Nouvelle histoire de la France contemporaine, 1989, pp. 157-59. Tartakowski (Danielle), Le Front Populaire : la vie est à nous, Gallimard, Coll. Découvertes, 1996, pp. 92-98.
15 Thèse développée par : Boussemart (Christophe), L’Échappée belle : 1936, les ch ’tis à l’assaut des loisirs, Editions Publinord, Lille, 1986, 393 p. Si l’ouvrage décline de manière rigoureuse les pratiques de loisirs dans le Nord, il est en revanche peu disert sur les pratiques sportives en général et le football en particulier, au moment où les signes de massification sont pourtant patents.
16 Avant 1945, le palmarès des clubs nordistes engagés dans les différents championnats et compétitions fédérales demeure limité : titre de champion de France des clubs de première division remporté par l’Olympique Lillois en 1932/33, victoire du Racing-Club de Lens pour la saison 1936/37 (seconde Division), victoire de l’Excelsior de Roubaix en finale de la Coupe de France en 1933 (face au Racing-Club de Roubaix).
17 L’Olympique de Marseille fut l’un des premiers clubs professionnels à recruter des joueurs originaires des clubs d’Afrique du Nord, à l’image de Pepito Alcazar, venu d’Oran dès 1926. Le club phocéen est ensuite imité par les clubs du FC Sète (12,3 % de l’effectif professionnel de 1932 à 1939) ou de l’Olympique d’Alès (10,4 %)... Nouvelle forme d’exploitation des Colonies qui amènera la Commission du Professionnalisme à suspendre en 1938 un recrutement qui s’apparente plus à un pillage. Se reporter à : Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), Les footballeurs professionnels des années trente à nos jours, ibid., p. 76. La proximité géographique des clubs du Sud-Est ne pouvant constituer un facteur d’attraction, ce sont visiblement les possibilités de reconversion offertes qui auront attiré dans les clubs nordistes les joueurs d’Afrique du Nord. Sur les footballeurs étrangers évoluant en France depuis l’avènement du professionnalisme, consulter : Barreau (Marc), Dictionnaire des footballeurs étrangers du championnat professionnel français (1932/1997), L’Harmattan, 1998, 319 p.
18 Les modalités de transfert des joueurs sont désormais régies par la FFFA. Le non renouvellement du contrat ou l’absence de versement du salaire du joueur pendant deux mois autorise ce dernier à être placé sur la liste des transferts publiée par la FFFA. Une seconde liste, dite des « transferts libres », comprend à partir de la saison 34/35 les joueurs dont le salaire, inférieur à 1500 francs mensuels, n’a pas été augmenté par le club. Cité par : Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), ibid., p. 66.
19 Pierre Lanfranchi évoque en effet un passage de l’amateurisme marron au « professionnalisme marron » en France. Ce sont surtout les joueurs issus des classes moyennes (disposant d’une formation initiale ou d’une activité professionnelle qui ne posera pas avec acuité le problème de la reconversion), qui vont réclamer l’instauration du professionnalisme. Communication de Pierre Lanfranchi, In Football et société, Colloque de l’INSEP, 11/13 mai 1998.
20 Sur 600 joueurs internationaux recensés, 200 ont une origine étrangère ou extra métropolitaine : Afrique du Nord (7 %), Italiens (6,5 %), Polonais (6 %), Espagnols (3 %), Dom Tom (1 %). Cette immigration ou intégration par le football fut particulièrement visible dans l’équipe de France « platinienne » des années 85/86, et son carré magique : Les Italiens (Platini, Ferreri, Bellone), Espagnols (Giresse, Fernandez, Amoros), Africains (Tigana, Touré, Ayache), Polonais (Stopyra). Il s’agit d’un phénomène récurrent : l’équipe de France de 1958 repose également sur cette trilogie « Afrique du Nord, Pologne, Italie » : Fontaine, Kopa, Piantoni. D’après : Braun (Didier), In L’Equipe, 26/31 janvier 1986. Cité par Beaud (Stéphane), Noiriel (Gérard), « L’Immigration dans le football », In Vingtième Siècle, n° 26, avril/juin 1990, p. 83.
21 En procédant au recensement systématique des joueurs de nationalité étrangère évoluant dans le championnat de France professionnel de première division, et des joueurs de l’équipe de France naturalisés, Marc Barreaud a récemment réalisé une première étude statistique sur le sujet. (Dictionnaire des footballeurs étrangers du championnat professionnel français (1932/1997), L’Harmattan, Coll. Espaces et temps du sport, 1998).
22 En 1960, l’entraîneur du RCL, Jules Bigot, demande aux joueurs d’origine polonaise de ne plus parler cette langue entre eux, et plus personne n’a parlé le polonais sur le terrain et lors des séances d’entraînement. Dans ses souvenirs, Raymond Kopa rappelle que ses démarches pour obtenir une place d’apprenti mécanicien échouèrent à cause de la consonance de son nom : « alors j’ai compris que j’étais rejeté. Qu’un fils de Polonais, c’était fait pour la mine et pour rien d’autre. Que c’était cuit, qu’il fallait se résigner. » Cité par Beaud (Stéphane), Noiriel (Gérard), ibid., p. 91.
23 Ponty (Janine), Les Polonais du Nord ou la mémoire des corons, ibid., p. 95. Cegarra (Marie), « Le Racing-Club de Lens : une mine de footballeurs », pp. 153-173. In Dewailly (Jean Michel), Sobry (Claude), Récréation, re-création : tourisme et sport dans le Nord – Pas-de-Calais, Editions L’Harmattan, 1997, 303 p.
24 De 1921 à 1924, l’Olympique Lillois comptera 8 joueurs de nationalité étrangère, sur un effectif de 27 joueurs : trois anglais, un suisse, deux belges, un hongrois et un polonais. Pour l’Iris-Club de Lambersart : un Belge, deux Polonais et un Hongrois.
25 Sur ces questions, se reporter à : Mignon (Patrick), La passion du football, Editions Odile Jacob, 1998, pp. 184-185.
26 Consulter : Woltmann (Bernard), « Le sport dans les milieux ouvriers polonais en France après la seconde guerre mondiale », In Revue du Nord, n° 7 Hors série, Coll. Histoire, 1992, pp. 211-220.
27 Extrait du Travailleur polonais, août 1937, ADPC, G 150. En 1945, l’Union Polonaise de Football en France comptera près de 4000 membres dont 843 footballeurs actifs, pour 27 clubs.
28 In Le travailleur polonais, août 1937, ADPC, G 150.
29 In Le travailleur polonais, août 1937, ADPC, G 150.
30 In Allez Arras, organe des supporters du RC-Arras, ibid., ADPC, D 157/4.
31 In. Allez Arras, Ibid., ADPC, D 157/4.
32 Déplacement à Dieppe le 14 février 1937. Aller : départ en micheline, rendez-vous en gare d’Arras à 7 h 45, retour vers 22 h, prix 30 francs. A chaque membre supporter faisant partie du déplacement, il sera offert une carte d’entrée au stade. Le inscriptions seront reçues jusqu’au samedi 13 février 20 heures, au stade Degouve et au siège des supporters. Nous prions nos amis supporters de faire un effort et de nous adresser leurs adhésions pour le 8 février si possible, pour nous permettre de retenir la micheline. In. Allez Arras, ibid., ADPC, D 157/4.
33 In Allez Arras, 12 février 1937, ADPC, D 157/4.
34 In Allez Arras, 27 février 1937, ADPC, D 157/4.
35 In Allez Arras, ADPC, D 157/4. Dans la même veine, le poète du RCA, qui avait déjà sévi dans les colonnes du bulletin du club, publie « Juniors fantaisie » : « Quand il s’élance d’un bond, plein d’élégance vers le ballon, et qu’il cueille, la main agile comme une feuille, cet ustensile, la foule soudain, applaudit Oblin, car c’est bien de lui que je parle ici. Quant il plonge et replonge dans la boue, jusqu’au cou... Tout se tait, et l’public épaté murmure tout bas, y’a pas, c’est un as ! ». In Allez Arras, 9 avril 1937, ADPC, D 157/4.
36 In Allez Arras, ibid.
37 In L’Auto, 16 avril 1937. Cité par Allez Arras, ibid.
38 In L’Auto, 16 avril 1937. Cité par Allez Arras, ibid.
39 In Allez Arras, ibid.
40 Il s’agit de Liévin sports, bulletin hebdomadaire de l’US Liévin (1933/37), constitué par une feuille hebdomadaire dactylographiée. Les archives départementales ne possèdent hélas que quelques numéros épars sur la totalité de la période.
41 In Liévin Sports, 10 mai 1933, ADPC, PD 3.
42 L’US Liévin compte également une section de basket féminin (2 équipes de 6 joueuses chacune), de basket masculin (20 membres répartis en trois équipes), une section de préparation militaire de 15 jeunes gens et un club de tennis de 40 membres. Le rapport financier est cependant laconique : la situation est saine, « à l’inverse de certains clubs professionnels dont le déficit est de l’ordre de 100 000 francs ». Malheureusement, aucun chiffre n’est avancé. In Liévin Sports, 10 juillet 1933, ADPC, PD 3.
43 In Liévin Sports, ibid.
44 In Liévin Sports, 3 juillet 1933, ADPC, PD 3.
45 « La période de préparation pour la saison 1934/35 va commencer. Chacun sait qu’à Liévin, les dirigeants sont hostiles au racolage et ne souhaitent qu’une chose, c’est que cette pratique qui fait du sport un commerce disparaisse à tout jamais. Evidemment, ce souhait ne se réalisera pas, car les « ténors » comme ils se font appeler, prendraient bien vite notre place, nous la leur, et les éloges de la presse, le félicitations officielles, la notoriété, toute cette vanité qui précisément, ont amené le sport à un point tel que les joueurs sont considérés comme des machines, comme des bêtes que l’on achète... Et que l’on rejette, sans même avoir pour eux la reconnaissance que le cultivateur a pour son vieux cheval, le colombophile pour le volatile qui a souventes fois terminé en vainqueur de durs concours. Donc, nous n’achetons pas. Nous sommes pour la formation du joueur. Nous le prenons tout jeune, alors qu’il n’a pour tout bagage que sa bonne volonté. Petit à petit, nous en faisons un être aux qualités physiques et morales au-dessus de la moyenne. Car nous en faisons un homme, un vrai, un de ceux que l’effort ne rebute pas, car il a pour lui la vigueur, la santé, un de ceux qui savent se pencher vers le camarade plus faible pour l’aider, l’encourager, le soutenir. N’est-ce pas beau ? » In Liévin Sports, ibid.
46 In Liévin Sports, 31 juillet 1933, ADPC, PD 3.
47 In Liévin Sports, ibid.
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2005
50 ans de football dans le Pas-de-Calais
« Le temps de l’enracinement » (fin XIXe siècle-1940)
Olivier Chovaux
2001
L’Idée sportive, l’idée olympique : quelles réalités au XXIe siècle ?
Olivier Chovaux, Laurence Munoz, Arnaud Waquet et al. (dir.)
2017
Un pour Mille
L'incertitude de la formation au métier de footballeur professionnel
Hugo Juskowiak
2019