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Le choix du professionnalisme

p. 223-264


Texte intégral

1. Une option « politique » des principaux clubs nordistes

1La création de la « Coupe Sochaux » au printemps 1930 incarne la professionnalisation progressive des compétitions de haut niveau : elle peut être considérée comme l’avant-première du championnat de France de football professionnel. Réunissant 8 clubs d’une première édition remportée par le FC Sochaux1, ce challenge expérimental (Pierre Lanfranchi évoque à son sujet une expérimentation in-vivo) met aux prises des clubs ayant déjà adopté les lois du professionnalisme, et ce bien avant sa légalisation par le Conseil Fédéral de la FFFA. Pour le nouveau patron des automobiles Peugeot depuis 1924, il s’agit avant tout de prolonger sur le terrain de football une forme avancée de philanthropisme et de paternalisme social.

2La création du FC Sochaux vient couronner un vaste système de contrôle de la population ouvrière : école de couture, école ménagère pour les jeunes filles, club de jeunes, troupes d’éclaireurs unionistes pour les jeunes gens et colonies de vacances. Le tout complété par un vaste tissu associatif (société de jardinage, de pêche, orphéonique, bibliothèque et salle de cinéma du « cercle hôtel » réservés aux employés et agents de maîtrise), dont le club de football, émanation d’un paternalisme sportif clairement revendiqué. Pour Jean-Pierre Peugeot, le FC Sochaux devra porter bien haut le fanion des autos Peugeot à travers la France et mieux faire connaître et estimer ce petit coin du pays de Montbéliard. Le programme sportif destiné au personnel de la firme doit permettre de se livrer aux saines joies que procurent les exercices de plein air, en même temps qu’il assiste désormais aux rencontres de championnat se déroulant au stade de la Forge inauguré en novembre 1931 (d’une capacité de 1000 places, il est situé au milieu du complexe industriel).

3La formule de la Coupe Sochaux, qui réunit pour la saison 1931/32 une vingtaine de clubs, ne doit pas être considérée comme la simple fantaisie d’un industriel souhaitant étendre au champ sportif une politique de contrôle social très élaborée. Il faut l’envisager comme la concrétisation des premières décisions du Conseil Fédéral au sujet de l’épineuse question du statut du joueur professionnel. Le succès grandissant de la Coupe Sochaux, au delà de l’effet déstabilisant qu’elle provoque (son organisation concurrence directement la Coupe de France et les championnats des Ligues), pose clairement la question du professionnalisme et du salariat des joueurs, et propose une réponse sans ambiguïté.

4La création par ce même Conseil le 12 janvier 1929 d’une commission d’étude du joueur rétribué montre que la majorité des membres du Conseil de la FFFA refuse encore l’emploi du terme professionnel. Le choix de la notion de rétribution évite aux clubs d’être assimilés à des entreprises de spectacle et leur permet de bénéficier encore d’une exonération fiscale.

5En juillet 1930, la commission présidée par Georges Levy (Président de la ligue d’Alsace) propose un système complexe de classement des joueurs, des clubs et des compétitions, soulignant ainsi l’évolution sensible de la FFFA sur la question :

Les joueurs seraient divisés en deux catégories : le joueur amateur et le joueur rétribué, qui conserve cependant sa profession.
Les clubs seraient répartis en deux catégories, selon les joueurs qu’ils utiliseraient (clubs strictement amateurs, ou clubs utilisant des joueurs rémunérés)
Les compétitions comme la Coupe de France seraient ouvertes aux clubs amateurs, tandis qu’un Championnat de France serait crée pour les clubs rémunérant ses joueurs2.

6Si ce projet représente une avancée réelle (dans le sens d’une clarification des différentes notions) et amorce le « grand tournant » évoqué par Alfred Wahl, il ne règle en rien la situation de la majorité des clubs, qui évoluent dans les championnats de Ligue et demeurent victimes du racolage. Le 8 décembre 1930, un nouveau projet prévoit de limiter le nombre de clubs autorisés à utiliser des joueurs rétribués, qui participeraient également à une compétition spéciale. En assurant ainsi la promotion de l’élite, la FFFA accentue le principe d’un football à deux vitesses, déjà visible dans les championnats organisés par la Ligue du Nord, dont on peut craindre qu’il ne généralise le racolage à des niveaux de compétition inférieurs. En revanche, le statut intermédiaire du joueur rétribué fixe un certain nombre de règles : le joueur sera lié au club par contrat, il ne pourra toucher plus de 1500 francs par mois et devra continuer à exercer une activité professionnelle. Si des plafonds sont fixés, la presse sportive multiplie les exemples qui prouvent le caractère déjà obsolète de la proposition de la FFFA : il suffit de considérer les sommes avancées à la signature de contrats et modalités de transferts des étoiles françaises ou des internationaux étrangers3.

7Les décisions du Conseil Fédéral du 17 janvier 1931 mettent un terme aux tergiversations de la FFFA. Le principe du professionnalisme est acquis, et la nouvelle commission d’étude du professionnalisme (toujours dirigée par Georges Levy) rédige un premier ensemble de propositions : elles écartent de manière définitive la notion de joueur rétribué, dans la mesure ou le gouvernement refuse de maintenir le principe d’exonération fiscale pour cette catégorie. Les présidents des grands clubs directement concernés décideront cependant « de presser le mouvement », en réunissant en mai 1931 une vingtaine de leurs représentants (dont Georges Bayrou et Henri Jooris, ainsi que Gabriel Hanot et Emmanuel Gambardella, journalistes sportifs ayant milité dans leurs colonnes en faveur d’une professionnalisation du football de haut niveau) : le compte-rendu de la réunion du Conseil National de janvier 1931 par Emmanuel Gambardella dans le journal Football, en dépit de l’engagement de son auteur, met en évidence ce que l’on pourrait finalement considérer comme « la journée des Dupes »4. Les divergences entre partisans du professionnalisme et du « statut du joueur rétribué » portent davantage sur la stratégie et le calendrier de mise en œuvre que sur les principes. Seule une minorité jugée « agressive » et arc-boutée sur les fondements surannés de l’amateurisme demeure hostile à toute forme de changement dont le caractère inéluctable ne fait guère de doute.

8Il y a pourtant lieu de s’interroger sur les conséquences d’une décision, qui curieusement, semble satisfaire la très grande majorité des membres du Conseil National. A moins de suspecter les partisans de l’amateurisme d’une adhésion strictement opportuniste, qui reposerait sur un choix tactique, dans la mesure où l’adhésion au seul principe du professionalisme n’engage à rien, et que les vrais débats concernent en fait les modalités de sa mise en œuvre. L’adoption du professionnalisme par le Conseil National (128 voix sur 151) intervient en fin de journée, après que d’autres points relatifs à l’organisation du football français aient été abordés à l’issue d’un conseil extraordinaire portant sur des aspects purement juridiques. Les membres du conseil passent ainsi la matinée à évoquer la situation des joueurs étrangers et français venant de l’étranger, ainsi que des joueurs nés en France de parents étrangers... Ce qui peut paraître surprenant lorsqu’on connaît l’acuité des débats liés au statut du professionnalisme et la volonté des dirigeants des principaux clubs français d’accélérer un processus enclenché depuis quelques années. La banalisation de la question du professionnalisme peut représenter un dernier choix tactique de Jules Rimet, que Jean-Yves Guillain qualifie peut être abusivement d’arbitre de la question du professionnalisme : celui-ci pense que la légalisation du professionnalisme par une Fédération essentiellement constituée d’amateurs (plus de 150 000 licenciés en 1932) représente la plus sûre des garanties contre toute forme d’abus et de déviances et préserve les clubs de toute « commercialisation du sport »5.

9La question que pose Emmanuel Gambardella, veut-on oui ou non installer le professionnalisme ? a au moins le mérite de permettre que l’on aborde la question essentielle de cette journée :

Le statu-quo fut repoussé à l’unanimité moins quatre voix ; le statut du joueur rétribué pour lequel on avait beaucoup écrit mais dont à peu près personne ne parla, fut repoussé, n’ayant obtenu qu’une vingtaine de voix, celles du Sud-Est et de quelques membres du bureau. Et le professionnalisme fut adopté par 128 voix sur 1516.

10D’après Gambardella, l’ordre du jour de la journée, le peu d’enthousiasme de Georges Levy à défendre les conclusions de sa commission et l’habileté de Jules Rimet dans la gestion des débats, auront largement contribué à faire adopter le professionnalisme et à engager le football français dans la direction souhaitée par les Présidents des grands clubs. En mai 1931, ils proposent d’ailleurs un projet d’organisation des compétitions officielles qui verrait ces clubs participer à un championnat de France organisé au sein d’une Ligue Interrégionale. Ils auraient la possibilité d’engager des joueurs strictement amateurs, mais également des joueurs indemnisés pour le football, tout en ayant une profession principale. Comme le souligne Alfred Wahl, cette situation transitoire réaffirme le principe de l’amateurisme intégral tout en permettant au semi-profesionnalisme d’être légalisé. Situation intermédiaire qui correspond aux réalités régionales, et notamment aux clubs du deuxième cercle de la Ligue du Nord : à l’image du Racing-Club de Lens, ils indemnisent les joueurs de l’équipe première, sans qu’il soient encore de véritables « professionnels ». Cette situation intermédiaire se prolongera au sein des clubs régionaux disputant le Championnat de France professionnel de 2e Division et pourra être observée lors de la saison 1934/35 (RC Calais notamment).

11Le Conseil National du 13 juin 1931 fixe par 13 articles le statut du joueur professionnel : il définit cette fois de manière extrêmement précise les modalités du contrat, niveau de rémunération et modalités de son renouvellement ou des clauses de « libération » du joueur ainsi transférable. Cette décision renforce certes l’autorité de la FFFA, mais accentue la relation joueur-salarié/dirigeant-patron. Il s’agit d’un véritable contrat de travail pour le joueur, dont la rémunération se décline selon un salaire fixe et des primes variables selon son rendement sportif. La notion de contrat type, en uniformisant les formalités administratives, accélère tout autant le processus de standardisation d’un marché des transferts régi par les instances fédérales. Elle cherche à atténuer la pratique non contrôlée de la foire aux joueurs des fins de saison. La signature des contrats modifie également un temps sportif, jusque là ordonné par le seul calendrier des compétitions et d’une intersaison occupée par les matches amicaux et de préparation. Pour les grands clubs, celle-ci sera aussi consacrée aux recrutements, aux départs et à la signature des contrats. Ce nouveau calendrier sportif, désormais étendu à la totalité de l’année (seul le mois de juin constitue une interface entre une saison et intersaison clairement identifiées), préfigure une organisation très contemporaine :

Organisation du « temps sportif » à partir de 1932.

Septembre/mai : Compétitions. Championnats professionnels, Coupe de France, championnats et coupes des Ligues. Rencontres amicales.
Matches de sélection des Equipes de France et de Ligues
1er au 30 juin : Période des transferts pour les joueurs « libres »
1er au 31 juillet : Période des transferts pour les joueurs sous contrat, (renouvellements et résiliations)
Août/septembre : Phase préparatoire. Matches amicaux

12Si le processus de bureaucratisation et de structuration du football français se poursuit, la subordination des futurs joueurs professionnels se renforce. Les clubs et la FFFA deviennent de véritables « patrons », disposant désormais de moyens de coercition légaux : mise à pied du joueur en cas de non respect du règlement intérieur des clubs, exemplarité de la conduite, respect strict des modalités du transfert... autant d’éléments qui permettent aux comités directeurs des clubs et à leurs présidents de disposer de pouvoirs considérables, de définir de véritables politiques et stratégies de recrutement, en prenant en compte des aspects financiers mieux identifiés (le salaire mensuel ne peut en théorie dépasser les 2000 francs et la pratique des primes de débauchage est prohibée). On peut cependant penser que de nombreux Présidents de clubs « franchiront le Rubicon » en allant au delà des plafonds fixés par la FFFA.

Article 3 : un contrat de joueur professionnel devra contenir :
– nom, prénoms, domicile, date et lieu de naissance, nationalité du joueur
– salaire mensuel : 2000 francs maximum
– les conditions spéciales facultatives, à savoir prime de présence, primes de résultat
– la durée du contrat et toutes les conditions de résiliation
– la date et la signature des contractants
Cet article pourra être remplacé par l’établissement d’un contrat type
Article 5 : les contrats d’une durée d’un an devront être établis et enregistrés du 1er au 31 juillet.
Ceux inférieurs à un an pourront être établis et enregistrés à toute époque, mais ils devront obligatoirement prendre fin le 30 juin et ils ne pourront être renouvelés qu’entre le 1er et le 31 juillet.
Le renouvellement du contrat devra être homologué par la Fédération. Le non renouvellement du contrat par le club entre les dates du 1er au 30 juin donnera au jouer la faculté de rechercher l’engagement pour un autre club. De même, un joueur pourra demander à quitter son club s’il produit devant les juridictions fédérales des raisons spéciales l’autorisant à changer de club.
Article 6 : si le club, pour une raison grave, résilie le contrat qui le lie à un joueur, celui-ci aura le droit de faire appel devant une commission compétente dans les huit jours. Si un joueur est simplement coupable de mauvaise conduite, de désobéissance aux règles de l’entraînement et de discipline ou aux ordres du club, le club a le droit de le suspendre pour une durée de 15 jours, sans salaire, à condition de le notifier dans les quarante huit heures à la FFFA. Le joueur est autorisé à faire appel. La suspension n’équivaudra pas à la cessation ou à la résiliation du contrat entre le club et le joueur. Un club ne pourra refuser l’autorisation de mutation à un joueur que tant qu’il ne sera pas en mesure de lui assurer, par contrat, un salaire égal, par son montant et sa durée, à celui qui lui serait garanti par un autre club.
Article 8 : il est défendu de promettre ou d’accorder à des joueurs des allocations spéciales pour les engager à changer de club, de même qu’il est interdit de remettre à un joueur une somme de la main à la main à l’occasion de sa mutation.
Article 9 : tous les joueurs professionnels sont tenus de signer un contrat et de respecter leurs engagements. Ils doivent suivre à la lettre les prescriptions de la direction de leur club7.

13Il faudra cependant attendre les votes du 17 janvier 1932 et des 16 et 17 juin 1932 pour que l’ensemble des dispositions soient adoptées et que la création d’un Championnat de France professionnel pour la saison 1932/33 soit effective. Transposée par la volonté fédérale au monde du football, l’ère du salariat organise désormais l’offre de travail. Le lien contractuel qui relie le footballeur professionnel à son club oblige ces derniers à renforcer leur structure administrative, s’ils décident toutefois de réaliser « ce grand bond en avant » : le contrôle effectif du Racing-Club de Lens par la Compagnie des Mines en 1934 sera d’autant plus facilité que les décisions de la FFFA auront légitimé en amont la reproduction de rapports qui sont ceux de l’entreprise.

14La saison 1931/32 peut-être qualifiée de saison de « transition » pour le RCL : il poursuit sa politique de recrutement et de promotion de jeunes joueurs, à l’image de Raymond François, du Polonais Ignace Kovalczik (ou Kowalczyk), originaire de Noyelles-sous-Lens, et d’Edmond Novicki, qui abandonne l’équipe Juniors pour renforcer la ligne d’attaque du Racing.

15Le Racing termine à la 5e place d’un championnat de Division d’Honneur remporté par l’US Tourcoing à l’issue d’une saison plutôt moyenne, qui voit son élimination rapide par FUS Dunkerque-Malo en Coupe de France, l’obligeant à reporter ses ambitions sur la Coupe La Bastidienne, challenge opposant les clubs appartenant à l’élite des ligues régionales. La première partie du championnat (matches aller) est beaucoup plus satisfaisante qu’une fin de calendrier que les jeunes joueurs du Racing ont visiblement des difficultés à terminer (12 victoires sur 16 rencontres comptabilisées de septembre à décembre, contre 7 victoires, 2 matches nuis et 8 défaites dans la seconde partie du Championnat, de janvier à mai).

16Regroupant près de 78 clubs pour un total de 179 équipes engagées dans les différentes compétitions officielles, le district Artois représente désormais l’un des districts les plus dynamiques de la Ligue. Le RCL, l’ES Bully et le RC Arras décident de créer l’Entente Artésienne, qui réunit les meilleurs joueurs de chaque club et affronte des équipes d’envergure lors de rencontres amicales, sur le modèle des sélections de ligue constituées dans les années vingt qui prolongeaient l’expérience des Lions des Flandres. La professionnalisation progressive des compétitions renforce finalement ce phénomène des sélections régionales qui permette aux joueurs retenus de se constituer « une carte de visite » et un palmarès naturellement pris en compte lors des recrutements de l’intersaison. Antichambres de sélections nationales, les équipes de ligues, bientôt complétées par des sélections de district, contribuent à renforcer et à anticiper la détection des futures étoiles et à hiérarchiser le parcours des meilleurs joueurs, sur un modèle qui, s’il reste théorique, peut s’appliquer à quelques joueurs de l’USB, du Racing-Club d’Arras et du Racing-Club de Lens.

17L’analyse des joueurs sélectionnés en équipe de France avant 1914 avait mis en évidence un écart numérique conséquent entre clubs du Nord et du Pas-de-Calais : ces derniers pratiquent un football plus rudimentaire sur le plan technique, obstacle majeur à toute sélection de joueurs en équipe nationale. Les années vingt ont permis aux clubs du Pas-de-Calais de combler leur retard sur le plan technique et de structurer des compétitions désormais mieux hiérarchisées. Les quelques années de transition avant la légalisation du professionnalisme ont contribué à l’émergence de ces clubs du 2e cercle, bien implantés dans le bassin minier, et qui viennent parfois concurrencer l’hégémonie sportive des clubs lillois. Le décalage persiste toutefois si l’on observe la composition des sélections de l’équipe de la Ligue, pour la période 1927/32. La sur-représentation des clubs du Nord constitue visiblement une constante, accentuée par un recrutement majoritairement métropolitain : l’Olympique Lillois, l’Excelsior, le Racing Club de Roubaix et l’US Tourcoing fournissant régulièrement près de 50 % des effectifs. La présence de joueurs issus de clubs du Pas-de-Calais demeure anecdotique et les différences de niveau, qui constituaient avant-guerre des justifications recevables, ne peuvent être avancées : on a effectivement constaté que l’entre-deux guerres a été pour le département du Pas-de-Calais le temps du progrès sur le plan de la technicité. Les styles de jeu s’affinent et reprennent les schémas tactiques alors en vogue (notamment le WM). De plus, le temps de l’amateurisme marron amène les Présidents des clubs lillois à débaucher nombre de joueurs issus des clubs miniers, signe tangible de la vitalité de son football. On pourrait supposer que ce phénomène d’inégalité face à la sélection répond à des impératifs géographiques (regroupement des joueurs et entraînements facilités par la proximité de villes comme Lille, Roubaix et Tourcoing) plutôt qu’à des impératifs sportifs... Justification d’autant plus discutable que les déplacements constituent désormais pour les joueurs des équipes du premier cercle une contrainte intégrée, qui rythme également le temps sportif du joueur. On peut plutôt pencher pour une explication d’ordre politique : les compositions du Comité de Sélection et du bureau de la Ligue privilégient de manière naturelle les joueurs issus des clubs les mieux représentés au sein des instances dirigeantes. Il faudra ainsi attendre le 28 juin 1931 pour que Jules Van den Weghe, membre fondateur et administrateur du Racing-Club de Lens, soit élu pour la première fois membre du bureau de la Ligue.

18La sélection de l’équipe B de la Ligue du Nord reproduit la logique de sélection de l’équipe A. Cette multiplication des équipes de ligue permet les confrontations sportives avec d’autres équipes des ligues régionales, ce qui aboutit à un étalonnage de la valeur sportive des différentes Ligues et renforce l’émergence d’une identité footballistique. Par ailleurs, la naissance en 1930 d’une sélection réunissant les meilleurs joueurs des clubs de l’Artois cultive également à un niveau d’échelle inférieur cette identité, extrêmement localisée sur le plan géographique et limitée aux 4 ou 5 clubs majeurs du District Artois. Utiles pour les joueurs sur le plan strictement sportif, participant aux processus de détection des meilleurs joueurs selon un phénomène d’ascendance, ces sélections accentuent les rivalités entre les différents districts de la Ligue. Elles viennent aussi compléter ou prolonger un calendrier sportif déjà chargé, en donnant l’occasion aux joueurs de se confronter à des équipes de haut niveau, françaises ou étrangères. Pour la saison 1930/31, l’équipe du District Artois dispute ainsi 5 rencontres, dont trois se déroulant à Béthune en mai et qui opposent différentes sélections du District : l’équipe A, une équipe Juniors et une équipe qui réunit les « étrangers » évoluant dans les clubs du bassin minier.

19La multiplication des ces rencontres intervient précisément au moment où la Ligue du Nord est confrontée aux conséquences de l’adoption du statut du joueur professionnel par la FFFA. La ratification définitive des textes en janvier 1932 permet à la Fédération de désigner les clubs pouvant accéder au statut professionnel, à la condition qu’ils puissent aligner au moins 8 joueurs professionnels, qu’ils demeurent sous le statut associatif de 1901 et qu’ils présentent des garanties de gestion. Critères minima mais indispensables qui provoquent au sein des comités directeurs des principaux clubs de vives discussions : le passage au professionnalisme doit s’accompagner, non seulement d’une légitimité sportive souvent attestée par de bons résultats en Coupe de France et dans les championnats de ligue, mais également d’une viabilité financière qui passe par la garantie de recettes suffisantes. Les exemples repris par Alfred Wahl traduisent bien le sentiment d’inquiétude qui prévaut chez les dirigeants : ils prennent soudain conscience des enjeux financiers imposés par ce changement d’échelle (masse salariale et projets de construction de stades et de tribunes, afin d’augmenter la capacité d’accueil et donc les recettes)8.

20En février 1932, 19 clubs sur les 25 réunis se déclarent en faveur du professionnalisme, mais seuls 18 d’entre eux seront finalement retenus par la FFFA (sur 50 candidatures). Le premier Championnat de France professionnel démarre le 11 septembre 1932. Il se présente sous la forme de deux groupes de 9 clubs chacun, où du Sud de la France est majoritaire : sa première version limite la participation des clubs nordistes au seul Excelsior AC de Roubaix Tourcoing dans le groupe A. La constitution des ces deux groupes initiaux sera modifiée par les rivalités qui opposent le Sporting-Club Fivois du Président Louis Henno et l’Olympique Lillois d’Henri Jooris (même si ce dernier confie au cours de la saison la présidence du club à Gabriel Caullet, alors président du Club Athlétique Lillois). Six semaines avant la clôture des engagements, le RC de Roubaix, l’Amiens Athlétic-Club et l’Olympique Lillois décident en effet de ne pas s’engager dans une aventure professionnelle qui comporte plus de risques que de certitudes. Aux yeux du président Jooris, elle n’offre guère d’avantages supplémentaires pour un club dont la situation d’hégémonie ne peut être contestée sur le plan régional, tant au niveau du recrutement des joueurs, des affluences lors des matches, et bien évidemment du palmarès. Ce refus amène le Sporting-Club Fivois à poser sa candidature, dont l’acceptation par la FFFA provoquera le revirement du président Jooris et l’admission de l’Olympique Lillois au sein du Groupe A. Au-delà d’une identité radicalement différente, ce sont finalement les risques de concurrence sportive et ses conséquences économiques (l’affluence aux matches garantit la viabilité financière des clubs) qui obligent l’Olympique Lillois à franchir le pas. Il ne peut courir le risque de la proximité concurrentielle du SC Fivois, qui vient de recruter pour sa première saison professionnelle trois joueurs de l’OL (le gardien Vandeputte, l’arrière anglais Georges Berry et un attaquant originaire de Fives, André Cheuva)9.

21L’engagement des trois clubs terriens dans le championnat professionnel modifie la composition d’une Division d’Honneur qui ne constitue plus la compétition phare de la Ligue du Nord et en bouleverse également la hiérarchie interne. Au plan régional, si les affluences ne sont guère altérées par le championnat professionnel, sa création oblige précisément les clubs de DH à envisager la possibilité d’un passage au professionnalisme. Le comité directeur du Racing-Club de Lens, une fois de plus remanié, s’oriente vers cette option professionnelle, qui doit en théorie mettre fin à l’exode des jeunes joueurs, attirés par les salaires des clubs professionnels. Cette préservation du « capital joueur » passe également par une stabilisation des structures du club et l’accélération de la mainmise de la Compagnie des Mines de Lens, qui perçoit rapidement l’intérêt sportif mais également économique qu’occasionnerait un changement de statut.

22Réintégrés à la suite des choix de l’Olympique Lillois et de l’Excelsior, l’US Boulogne et l’ES Bully échappent à la relégation et disputent un championnat de DH où le RCL fait cette fois figure de favori. Il dispose d’un effectif consolidé et de joueurs plus aguerris sur le plan physique, ayant maintenant acquis l’expérience de ce niveau de compétition.

23Les résultats du Racing au cours de la saison 1932/33 sont à l’image d’un football nordiste en pleine euphorie : l’Olympique Lillois remporte en effet le premier Championnat de France professionnel, tandis que le Racing de Roubaix et l’Excelsior s’opposent lors de la finale de la Coupe de France10. Les joueurs du Racing terminent seconds du championnat de DH, après une saison plus régulière que les précédentes. Ils réussissent même lors du 5e tour de la Coupe de France à éliminer le club professionnel du FC Metz le 2 janvier 1933 : une première rencontre s’étant soldée à Lens par un match nul (0/0), les Lensois accomplissent un exploit en battant Metz sur son terrain (2/0), avant d’être balayés au tour suivant par le FC Sochaux sur le score sans appel de 8/0. La Coupe de France devient à partir de la saison 1932/33 le lieu d’affrontement privilégié des clubs strictement amateurs et de clubs désormais professionnels, ce qui accentue son caractère populaire (472 clubs engagés pour l’édition 32/33). On comprend dès lors la satisfaction du comité du Racing après sa victoire contre Metz, qui valide sur le plan sportif l’éventualité d’un passage au professionnalisme. Cette volonté de s’éprouver et de se mesurer aux clubs de l’élite est visible dans la conclusion de matches amicaux contre des clubs professionnels (Montpellier, le CA Paris, et l’équipe Réserve de l’Excelsior), où les résultats sont plus nuancés (2 défaites, 1 match nul et une victoire). En revanche, le parcours en coupe de la Bastidienne est plus modeste et c’est l’ES Bully qui échouera en demi-finale face à l’Association Sportive de Saint Etienne (4/2). La participation du Racing au Tournoi de Namur en avril 1933 (il est défait face au Wallonia de Namur (2/0), mais bat le FC Saint-Gall 4 à 2) peut également être interprétée comme un signe préparatoire au changement d’échelle du Racing.

24La composition des différentes équipes de la Sélection d’Artois et de la Ligue du Nord B pour la saison 1932/33 conforte cette affirmation lensoise dans un paysage footballistique nordiste en voie de mutation : le 12 février 1933, 7 joueurs du RCL constituent l’ossature de l’équipe B de la Ligue qui affronte l’équipe de la Ligue de l’Ouest. A noter l’apparition d’une équipe des amateurs de la Ligue (signe manifeste de la césure du football français), où les joueurs des districts Artois et Maritime sont majoritaires.

25La hiérarchie des clubs au sein de la Ligue, qui reposait sur des critères exclusivement sportifs va donc être radicalement modifiée par l’introduction du professionnalisme. Il introduit en effet des paramètres extra-sportifs dans la constitution de la pyramide sportive. Le recrutement des joueurs est désormais officiellement subordonné aux possibilités financières des clubs : la mise en équation recrutement/budget amène les comités directeurs de l’Amiens AC, du Racing-Club de Roubaix, du RC-Arras, de l’US Valenciennes Anzin, de l’US Tourcoing et du Racing-Club de Lens à envisager l’option professionnelle. Des dissensions au sein du Comité du RCL (dont certains membres pensent qu’un passage au professionnalisme ne peut être envisagé pour des raisons économiques), diffèrent la candidature lensoise, contre la volonté des représentants de la Compagnie des Mines de Lens. Ville moyenne de 35 000 habitants, elle ne peut compter sur une affluence suffisante si l’on s’en tient aux limites de la cité. Par contre, les 250 000 personnes qui vivent dans un rayon de 6 kms représentent aux yeux de la Compagnie une garantie suffisante11.

26Si Lens et le Racing-Club d’Arras renoncent pour la saison 1933/34, 4 nouveaux clubs nordistes rejoignent un championnat professionnel qui réunit 35 clubs, répartis en deux groupes : une division « nationale », appelée Première Division qui réunit 14 clubs (les 7 premiers des deux groupes de la saison 1932/33) et une seconde division de 23 clubs en début de saison, qui réunit les clubs de fin de tableau de la saison précédente et les clubs ayant obtenu leur visa de la FFFA. Ce groupe étant lui-même divisé en deux groupes (Nord et Sud), destinés à réduire les déplacements des équipes qui, malgré des conditions souvent Spartiates, pèsent sur les budgets des clubs. Sept clubs de la ligue du Nord sont présents12.

Division Nationale (ou première division) : FC Sète, SC Fives, Olympique de Marseille, Olympique Lillois, Excelsior, Stade Rennais, Antibes FC, SO Montpellier, SC Nîmes, AS Cannes, RC Paris, FC Sochaux, OG Nice, CA Paris.
Deuxième Division « groupe Nord » : Red Star, FC Rouen, FC Mulhouse, RC Strasbourg, FC Metz, RC Roubaix, USVA, Amiens AC, US Tourcoing, Le Havre AC, US Saint Servan, Club Français, RC Calais, US Suisse (forfait en cours de championnat)
Deuxième Division « groupe Sud » : Olympique Alès, ASSE, AS Monaco, C. Desportwo, Hyères FC, SO Béziers, FC Bastidienne, FC Lyon, FCA Nice (forfait en cours de championnat).

27La saison 1933/34, dernière saison du Racing-Club de Lens chez les amateurs, est paradoxalement une saison moyenne sur le plan des résultats. Comme d’autres clubs, le Racing est victime d’une inflation des transferts observée à l’intersaison, que les instances fédérales cherchent à contrôler : elles limitent à deux le nombre de joueurs autorisé à quitter leur club amateur pour un club professionnel (Ignace et Waggi quittent le club pour l’USVA). Le club aligne de ce fait une équipe complétée par des juniors, les atermoiements de la saison précédente ayant contrarié le recrutement externe : en renonçant au professionnalisme, Lens se prive du concours de joueurs de talent qui préfèrent bien évidemment les conditions des 7 clubs professionnels de la Ligue du Nord.

28Les meilleurs joueurs de l’ES Bully sont également approchés par les recruteurs des clubs professionnels, à l’image de François Bourbotte, au centre d’une polémique qui oppose les dirigeants du SC Fivois à ceux de l’US Bully en cours de saison. Joueur talentueux évoluant au poste de demi-centre, il signe en décembre 1933 une licence au SC Fivois, mais reconnaîtra, après la plainte du président Pagel de l’ES Bully, avoir touché de l’argent pour ce transfert, contrevenant ainsi à l’article 8 des règlements de la FFFA. Il sera suspendu pour la fin de la saison, avant que sa mutation ne soit officialisée et l’autorise à signer un contrat professionnel ;

Licencié au titre d’amateur à l’Etoile Sportive de Bully, le joueur Bourbotte François est classé joueur professionnel le 9 avril 1934 par la Commission de Contrôle de l’Amateurisme, déclare demander d’autre part une licence de professionnel suivant contrat ci-contre au Sportif Club Fivois et atteste avoir fait partie de l’Etoile Sportive de Bully pendant les trois saisons précédentes : 1931/32,1932/33, pour la saison 1933/34, démission le 13 décembre 1933, confirmée le 16 juin 193413.

29La perpective de disputer la saison prochaine le Championnat de France professionnel amène le Racing à poursuivre sa stratégie préparatoire des saisons précédentes : rencontres amicales contre des clubs évoluant en Première Division, participation à des tournois internationaux. La victoire du RCL au tournoi de Namur en avril 1934 est l’occasion de tester deux recrues potentielles : l’Anglais Harper et le Polonais Polski. Mais le RCL est sévèrement battu 4/0 par le SC Wattrelos lors de son challenge le 17 mai 1934. Sa participation à la Coupe Paris/Normandie se solde également par une défaite (4/1) face à l’US Quevilly.

30Le 10 mars 1934, une réunion entre des représentants du Comité Directeur du RCL et les ingénieurs de la Compagnie des Mines de Lens aboutit aux choix définitif de l’option professionnelle et de la prise de contrôle du Club par la Compagnie Minière dès la saison prochaine. Le processus de bureaucratisation du club s’accélère, par la création de différentes commissions, dont l’architecture reprend celle du Comité Directeur. Anciens joueurs membres des conseils d’administration précédents, notables locaux et salariés de la Compagnie de Mines occupent désormais les postes de responsabilité : l’accès au « pouvoir sportif » des notables s’inscrit dans la dynamique de constitution de ces cercles dirigeants, qui, dans les années trente, sont progressivement conquis par une bourgeoisie d’affaires en quête de respectabilité. La gestion d’un club de football participe de ce mouvement, tout en lui donnant la possibilité de s’exercer dans de nouveaux lieux de sociabilité. Dans le même temps, la professionnalisation progressive des clubs rend « naturelle » et légitime cette implication des milieux d’affaires : la gestion des clubs devient plus complexe, les budgets deviennent de plus en plus conséquents, le mécénat sportif contribue à l’amélioration et au développement de nouvelles infrastructures. La municipalisation de certains clubs (où en tout cas le développement de rapports de « proximité » entre pouvoir sportif et pouvoir municipal, à l’image de ceux tissés par le RCL et la municipalité lensoise au milieu des années vingt) favorise un phénomène d’osmose et de perméabilité entre notabilité sportive et politique. Pour les clubs de la Ligue étudiés, la présence des milieux d’affaires et des notables locaux semble être un phénomène constant, et ce dès la fondation des clubs. L’abandon progressif du statut de « gentleman-sportif » (caractéristique de la vision d’un sport moderne vecteur de l’idéalisme bourgeois avant 1914) au profit du « gentleman-dirigeant » au lendemain de la première guerre mondiale est l’une des caractéristiques du football nordiste14.

31Au sein du Racing-Club de Lens, les principes de philanthropie sportive qui pouvaient animer le comité directeur jusqu’aux années trente évolueront vers un philanthropisme social, avec la prise de contrôle de la Compagnie des Mines de Lens. Le dernier organigramme strictement associatif du Racing met en évidence une verticalité du fonctionnement où le législatif l’emporte désormais sur le convivial (pour reprendre l’expression de Pierre Arnaud). La césure entre les fonctions administratives et les fonctions sportives est maintenant manifeste. Si le fonctionnement associatif du club garantit des principes d’égalité entre les membres du comité directeur, qui exercent des fonctions transversales au sein des différentes commissions (qui existaient sans doute avant 1933), c’est bien un principe de subordination qui s’impose désormais entre joueurs et dirigeants, principe renforcé et institutionnalisé lors du passage au professionnalisme (relation « patron/salarié » déjà évoquée). Si l’association sportive constitue un lieu privilégié d’apprentissage de la démocratie, elle devient au milieu des années trente pour les dirigeants des clubs et des instances sportives le lieu d’exercice d’un pouvoir rationalisé par les procédures électives, mais aussi par l’introduction de mécanismes économiques (salariat des joueurs, recrutement, investissements pour le développement des infrastructures, etc.) qui en altèrent sans doute la fonction de sociabilité.

2. Le « professionnalisme intégral » du Racing-Club de Lens

32La troisième saison du professionnalisme (1934/35) réunit 32 clubs répartis en deux groupes de 16 équipes, suite aux décisions de la commission des Statuts et du Règlement de juin 1934 : en première Division et en seconde Division, le nombre de clubs est porté de 14 à 16, et le système de relégation automatique en 2e Division pour les deux derniers clubs de D1 à la fin de la saison est institué. Les candidatures déposées auprès de la FFFA par de nombreux clubs sont désormais acceptées ou rejetées en fonction de la viabilité financière des postulants (FAS Monaco, Béziers et Hyères sont ainsi éliminés parce que présentant un exercice déficitaire)15.

Première Division : Sète, Marseille, Lille, Fives, Antibes, Excelsior de Roubaix, Rennes, Montpellier, RC Paris, Nîmes, Cannes, Sochaux, Red Star, Mulhouse, Strasbourg, Alès (ces 4 derniers clubs étant promus à l’issue de leur classement en tête des groupes Nord et Sud la saison précédente).
Deuxième Division : Rouen, Metz, RC Roubaix, Amiens, USVA, Club Français, US Tourcoing, le HAC, le Club Français, Saint Servan, RC Calais, ASSE, FC Hispano Bastidien, SM Caen, US Villeurbanne, Racing-Club de Lens (les trois derniers clubs accédant pour la première fois au statut professionnel).

33Ce sont donc 9 clubs de la ligue du Nord, soit plus du quart de l’effectif total, qui vont disputer les championnats professionnels, avant que les candidatures de l’US Boulogne et de l’OIympique de Dunkerque ne soient acceptées pour la saison 1935/36, avant celles du RC Arras et de l’AS Hautmont.

34Cette première saison professionnelle est l’occasion d’une véritable révolution culturelle pour le Racing-Club de Lens : librement consentie par l’ancien Comité Directeur du club, l’OPA de la Compagnie des Mines de Lens se traduit d’abord par un apport de 25 000 francs dans le capital du club et la mise à disposition des installations du Stade Félix Bollaert, achevées depuis 1933. Le philanthropisme sportif et social trouve ici une parfaite illustration, et doit être situé dans le prolongement des exemples lillois, tourquennois, roubaisiens et sochaliens.

35Le passage au professionnalisme repose à Lens sur un partenariat original, aujourd’hui encore véhiculé par les dirigeants du Racing, parce que fondateur de l’identité contemporaine du club. Cette trilogie société des mines/municipalité/clubs de supporters doit être d’abord considérée comme un mariage de raison (en tout cas pour ses deux premières composantes), qui résulte d’une même analyse de la réalité sociale de la cité minière : les rencontres de football offrent en effet au citoyen-mineur un loisir simple et fédérateur (pour reprendre l’expression de Williams Nuytens), qui va progressivement développer le sentiment d’une double identité, minière et urbaine, industrielle et civique. L’une des spécificités du club est précisément que cette double identité puisse se vivre et s’incarner au sein de clubs de supporters, dont Maurice Carton, président du Supporter’s Club Lensois, devient l’une des figures emblématiques. De nouveaux liens de sociabilité sportive, ou plutôt para-sportive, vont se développer, dans la tenue de réunions, de banquets d’après-matches, et dans l’organisation des déplacements qui accompagnent l’équipe première16.

36La composition du Conseil d’Administration pour la saison 1934/35 et l’origine socioprofessionnelle de ses membres illustrent les phénomènes décrits plus haut : un secrétariat administratif nouvellement créé prend en charge la gestion financière du club, tandis que l’exécutif revient au Comité Directeur et au Bureau, dont les membres ont tous deux été nommés par le CA. Les ingénieurs des Mines occupent les postes les plus importants, après que le président historique du Racing, Jules Van den Weghe a cédé ses fonctions présidentielles à Louis Brossard, représentant des Mines de Lens :

Quatre membres du Racing : Jules Van den Weghe (industriel à Sallaumines), Marcel Pierron (commerçant à Lens), le Docteur Didier Brun (Lens), Albert Dournel (comptable à Lens)
Quatre membres représentant la Société des Mines de Lens : MM. Spriet, Brossard, Fiévet (Ingénieurs), Roulland (Inspecteur au service du personnel)
Souscripteurs du fonds de roulement :
Société des Mines de Lens (5 parts) : Paul Mulard (chef de service), rené Maillard (chef de service), Vital Lerat (géomètre), Henri Lecrinier (sous-chef de service), Ernest Hernu (géomètre)
Industriels et commerçants : MM. Benjamin et Cambier (2 parts) (industriels à Pont à Vendin), Toupy et Monchy (1) (entrepreneurs à Lens), Beaucourt et Marchand (1) (entrepreneurs à Lens), Ernest Gevaert (1) (entrepreneur à Meurchin), Pierre David (1) (négociant en matériaux à Lens), les frères Marchand (1) (confection à Lens), Thellier de Poncheville (1) (brasseur à Sallaumines), M. Thallot (1) (Crédit du Nord de Lens), M. Marquilly (1) (négociant à Lens), Rouger (1) (entreprise de génie civil à Lens), Beauprez (1) (entrepreneur en carrelages à Dourges), Biervois (1) (entrepreneur de transports à Lens), Lamendin (1) (Société HGD à Vendin le vieil), Alvoet (1) (entrepreneur à Lens), C. Bultez (1) (entrepreneur à Noyelles sous Lens), Alfred Courtecuissse (1) (entrepreneur à Meurchin)
Un membre désigné par l’Assemblée Générale : Max Lepagnot (premier clerc de notaire à Lens)
Un membres représentant le Supporters’ Club : Maurice Carton (horticulteur à Lens)17.

37La bureaucratisation et la verticalisation des instances du Racing constituent une réponse administrative indispensable à la professionnalisation du club et aux nouveaux modes de gestion que celle-ci impose. Une analyse de la composition des différents comités et commissions (membres, origine géographique, professions exercées et fonctions au sein du club) souligne la prise de contrôle effective du Racing par les milieux d’affaires et la Compagnie des Mines, sur le principe « ceux qui financent dirigent » : les 2/3 des postes de l’exécutif du club (comité directeur et bureau du CA) sont en effet détenus par des souscripteurs ou représentants de la Compagnie. Par ailleurs, si une partie des souscripteurs exerce son activité professionnelle hors de Lens (se reporter aux tableaux ci-dessous), les 2/3 d’entre eux sont installés dans la cité lensoise. Phénomène que l’on peut doublement interpréter : renforcement d’une identité « locale » (le Racing est d’abord l’affaire de Lensois, et en particulier des entrepreneurs, qui constituent le groupe dominant des souscripteurs), mais également possible diffusion de cette identité sur une aire géographique plus large, reprenant les contours du bassin minier, en autorisant une identité périphérique, constituant aujourd’hui l’un des fondements du club.

38On peut cependant s’interroger sur les réalités de la démocratie associative et participative au sein d’un Conseil d’Administration dont le noyautage par le pouvoir économique est patent : un seul représentant de l’assemblée générale siège au sein du CA : si la présence au sein de ce même conseil du président du Supporter’s Club constitue à l’époque un fait sans doute unique (souligné par Williams Nuytens), cette présence doit être considérée selon une orientation plus symbolique que politique, même si elle peut effectivement correspondre au souci d’associer au sein des instances du club les différentes composantes de la « famille » du Racing.

39Il est cependant incontestable qu’en 1934, le pouvoir change de mains : la dimension entrepreneuriale et l’entrisme des milieux d’affaires au sein des clubs de football professionnels trouvent ici une illustration probante.

Origine géographique des membres du bureau et comité directeur du RCL. 1934

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Classement par catégories des membres du bureau et comité directeur du RCL. 1934

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Répartition par origine des membres du bureau et comité directeur du RCL. 1934

Mines de Lens

Racing

Souscripteurs

Comité

2

3

Bureau

4

1

6

Total

6

4

6

%

37

25

37

40Si le Racing-Club de Lens demeure composé de 9 équipes amateurs, le recrutement de l’intersaison 1934/35 vise à renforcer l’ossature des deux équipes professionnelles et à les doter d’un entraîneur qualifié pour ce niveau de compétition : le choix des dirigeants se porte d’abord sur un ancien joueur du Stade Béthunois, le Britannique Jack Harris, dont les exigences financières sont compatibles avec le budget du club. Au bout de cinq séances d’entraînement, il sera remplacé par le Belge De Veen, ancien entraîneur de l’Olympique Lillois et du Stade Courtraisien. Le recrutement des joueurs est placé sous le signe de l’éclectisme et peut se décliner selon deux directions principales : un recrutement endogène et la signature d’un contrat professionnel pour les anciens joueurs du club qui évoluaient en Division d’Honneur la saison précédente un recrutement externe qui permet au club d’accueillir des joueurs amateurs provenant de clubs voisins (bassin minier ou ligue du Nord), quelques joueurs évoluant dans des championnats étrangers, et des joueurs plus aguerris, ayant déjà évolué dans les premiers clubs professionnels.

Recrutement du Racing-Club de Lens. Effectif professionnel. Saison 1934/35.

Ex-amateurs du RCL (7)

Albert Dubreu, François Cieplick,
Raymond François, Charles Zomig,
Edmond Novicki, François Andrejezak,
Paul Mlekush.

Joueurs de la ligue du Nord (5)

Raymond Leroux (ES Bully) (*), Albert Hus (demi centre US Tourcoing et 34e Aviation),
Georges Wambeke (demi aile US Hazebrouck),
Antoine Polski (avant centre Stade Héninois),
André Penel (USB), Nelson Dupuis (demi aile
Waziers)

Joueurs évoluant dans des championnats étrangers (3)

Camille Salas, Gildo Rizzo (US Marocaine de
Rabat), Joseph Kulick (fédération Polonaise.
Club de Rouvroy),

Joueurs issus de clubs

Gustave Roussel (UST), Roland Balavoine (Amiens AC), Marcel Lechantreux (HAC),
Albert Keller (RC Strasbourg), Janos Walter (RC Calais), Paul Debruykère (UST)

(*) échangé contre le gardien du RCL Dumoulin

41Au total, ce ne sont pas moins de 14 joueurs qui viennent compléter l’effectif du Racing, auxquels il convient d’ajouter deux arrivées plutôt opportunes en cours de saison. Le 7 octobre 1934, le Racing obtient un match nul face au club de l’Attila de Budapest à l’issue d’une rencontre amicale (2/2). Ne disposant pas de la somme nécessaire à leur retour en Hongrie, les dirigeants du club décident à l’issue de leur tournée en France (le 15 octobre à Roubaix) de vendre leur plus jeune joueur, l’inter Ladislas Schmidt, âgé de 19 ans, rapidement surnommé « Siklo » par ses partenaires (le « serpent » ou la « couleuvre » en hongrois, en raison de la facilité avec laquelle il s’infiltrait dans les défenses adverses). Il sera transféré au Racing pour la somme de 13 000 francs, avant la signature de son contrat officiel le 20 juin 1935.

42L’autrichien Anton Marek, ancien joueur du Club Français, rejoint le Racing en décembre 1934, pour la somme de 8200 francs, chiffre plutôt raisonnable si on le rapproche des 55 000 francs versés par l’Olympique Lillois la même année pour la venue du Hongrois Etienne Lukacs (meilleur buteur du championnat 1933/34, évoluant au FC Sète)18.

43La comparaison de la composition de l’équipe du Racing d’une saison sur l’autre montre que le passage au professionnalisme a entraîné un recrutement que l’on peut qualifier de ciblé. Il révèle bien l’importance stratégique de certains postes ou certaines lignes, décisives dans les évolutions du jeu et la généralisation du WM : la ligne des demis est en effet quasiment renouvelée dans son entier, à une exception près (Raymond François). Le Racing compte également 50 % de nouveaux attaquants, ce qui laisse augurer de velléités offensives, d’ailleurs traduites par une première moitié de Championnat encourageante (le club termine en tête à l’issue des matches allers, avec 19 points contre 18 à Metz), une moyenne de buts par matches élevée (3 buts) et un goal average au solde nettement positif (70 buts pour, 49 contre).

44La saison 34/35 présente une succession de 44 rencontres (26 matches de Championnat, 16 rencontres amicales, un tour de Coupe de France et la participation au Tournoi du HAC au mois de juin 1935), qui contribue à allonger le temps sportif, limitant l’intersaison au seul mois de juillet. Si la première moitié de Championnat est pour le Racing une « divine surprise », l’année 1935 est en revanche plus décevante, même si elle permet au club de terminer dans le premier tiers du classement.

45Si les renseignements statistiques sur le RCL demeurent fragmentaires, L ’Album du Cinquantenaire du RCL nous permet de disposer de quelques indicateurs qu’il faut tenter d’interpréter pour dresser un tableau de la situation financière du club. Le premier paramètre a prendre en compte est celui de la fréquentation du stade. A priori, le RCL se situe vraisemblablement parmi les clubs qui comptent un nombre élevé de spectateurs par rencontre, tant au Stade Bollaert qu’à l’extérieur : les meilleures recettes de Division 2 sont enregistrées lors des rencontres Rouen/Metz (75 410 francs), Rouen/Lens (67 455 francs), Caen/Lens (28014 francs) ou encore Lens/Metz (23 536 francs), disputé devant plus de 8000 spectateurs. La fréquentation du stade constitue d’ailleurs une donnée essentielle pour l’équilibre financier des clubs, dans la mesure où chacun d’entre eux perçoit un pourcentage des recettes réalisées lors de chaque match.

Pourcentages encaissés par les clubs (recettes nettes) de seconde division. Saison 1934/3519

FC Rouen

504 175 francs

CS Metz

274 215 francs

Le Havre

273 133 francs

SM Caen

197 117 francs

RC Lens

193 545 francs

USVA

186 615 francs

ASSE

158 861 francs

RC Calais

149 964 francs

Amiens AC

144 863 francs

46On comprend mieux dès lors le rôle des sections de supporters et l’attention portée par les dirigeants du Racing à leur égard. La fidélisation du public, par la multiplication de manifestations festives, contribue à l’équilibre d’un budget difficile à estimer. Sa fédération autour du club par les sections de supporters permettait ainsi au Racing de répondre à l’un des critères de recevabilité de sa candidature au statut professionnel, précisant que le club candidat puisse disposer de finances solides garanties par les recettes provenant des spectateurs.

47A partir du contrat de Ladislas Schmidt et des résultats du Racing pour la saison 34/35, il est possible d’estimer le montant des primes annuelles perçues par chaque joueur, autour de 2500 francs. L’application d’un tarif dégressif selon le niveau de difficulté supposé des rencontres (qui représente une forme contemporaine de management d’équipe largement répandue chez les clubs professionnels et amateurs), semble indiquer qu’il est plus facile de gagner à domicile qu’à l’extérieur. S’il demeure difficile d’évaluer la part des supporters dans l’issue des rencontres (certains comptes-rendus de matches insistent sur l’importance des encouragements prodigués), les victoires à l’extérieur sont certainement plus rares à cause de la longueur des trajets qui rend inévitablement l’équipe moins performante sur le plan physique.

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48Le total des primes versées aux joueurs du Racing respecte les règlements fédéraux de 1934, qui en limitent le montant à 12 000 francs par an, afin là encore d’homogénéiser et réglementer les pratiques des clubs professionnels et de leurs dirigeants20. Cette extrême diversité des situations selon les clubs et les joueurs est sans doute la caractéristique majeure du football professionnel français des années trente : elle se vérifie paradoxalement par l’absence de toute hiérarchie et de proportionnalité des salaires selon le niveau de pratique des clubs, ce qui explique l’impossibilité de régulation d’un système pourtant mis en place par les autorités fédérales. Les travaux d’Alfred Wahl et Pierre Lanfranchi ont démontré le décalage permanent entre des textes dont la volonté réglementaire mais sans doute illusoire ne fait aucun doute, et la réalité des pratiques qui dépasse souvent les plafonds fixés par la FFFA21.

49Sur la base d’une rémunération moyenne mensuelle de 1000 francs pour un effectif de 22 joueurs professionnels, la masse salariale approximative du Racing peut être estimée à 264 000 francs annuels, auxquels il faut donc ajouter 27 500 francs de primes (sur la base de 11 joueurs disputant chaque rencontre). Soit un total de 291 500 francs, pour des recettes évaluées à 193 545 francs, qui couvriraient donc 66 % de la masse salariale. La participation financière de la Compagnie des Mines de Lens, et les souscriptions lancées au profit du club semblent donc indispensables à sa pérennité et à l’équilibre de son budget. Situation originale qui s’inscrit dans un contexte de crise économique persistante dans le bassin minier (le niveau de production d’avant crise et la reprise de l’embauche n’interviendront qu’à la fin de 1936). Devant l’absence de chiffres officiels et le nombre limité d’indicateurs disponibles pour des clubs de niveau comparable ou simplement des clubs professionnels, il convient d’être prudent. La situation de l’Olympique de Marseille au moment de l’adoption du professionnalisme (le club doit rembourser 300 000 francs correspondant au versement de manques à gagner et autres primes, et une Commission d’étude fixe à 12 000 spectateurs le nombre minima qui garantirait des recettes suffisantes), et les recettes annuelles encaissées à la fin de la saison par les clubs (de 144 000 à 500 000 francs) laissent supposer que l’ordre de grandeur avancé ne semble pas exagéré.

50Le caractère inachevé du statut du joueur professionnel (Pierre Lanfranchi parle de solution hybride) se vérifie dans les situations individuelles de l’effectif pro du Racing : la majorité des joueurs continue d’exercer une autre activité salariée au cours de la saison, et sans doute tout au long de leur carrière. Si le statut du joueur existe sur le plan juridique, celui-ci n’évoque nullement leur reconversion à l’issue d’une carrière sportive à la durée aléatoire (au risque permanent de blessure vient désormais s’ajouter le risque purement sportif du non renouvellement du contrat22, si les performances sont jugées insuffisantes). Le témoignage d’Albert Hus concernant l’équipe du Racing montre que le passage au professionnalisme n’a pas bouleversé fondamentalement la situation personnelle de la majorité des joueurs du club, qui continuent d’exercer une activité salariée, mais bénéficient désormais de la tutelle directe de la Compagnie des Mines de Lens.

Avec mon salaire aux Mines, où j’étais employé auxiliaire pour 750 francs, et la prime de football, je gagnais 1 500 francs par mois. On avait aussi un logement [...]. Bien sûr, les gars étaient libres de ne jouer qu’au football, mais ils gagnaient moins. Dans la pratique, seuls les joueurs étrangers comme Spechlt et l’entraîneur Galbraith ne travaillaient pas. Comme Français à ne pas travailler, il y avait Raymond François, futur international et Plovie. Dubreu était boucher, Leroux enseignant, Arravit était employé23.

51C’est donc bien une situation d’éclectisme professionnel qui domine, mais qui dans l’ensemble accorde aux footballeurs mineurs (mais l’expression ne s’applique pas à tous les joueurs du Racing) de réels avantages matériels et financiers : aménagement d’un temps de travail passé « au jour » et non au fond (le matin, on quittait le boulot à 9 heures et on s’entraînait de 9 heures à midi), emploi garanti aux Mines avec des possibilités de promotion interne ou de reconversion sportive au sein du club, et niveaux de rémunération qui alignent ces ouvriers footballeurs sur les salariés des classes moyennes (un instituteur gagne en 1935 autour de 620 francs). Pour les joueurs de nationalité étrangère, la barrière linguistique constitue au départ un obstacle à un emploi civil : ce qui illustre cette différence constatée entre les étrangers pros, mieux appréciés des dirigeants des clubs, et des joueurs nationaux, plus proches finalement du statut initial du joueur rétribué, puisque continuant dans la majorité des cas à exercer leur activité professionnelle. La gestion de l’effectif professionnel pour la saison 1934/35 montre que tous les joueurs recrutés à l’intersaison ne sont pas utilisés pour la totalité des rencontres du championnat. Le management d’équipe prend en compte des paramètres tels la forme physique, les blessures ou les choix tactiques de l’entraîneur. On s’oriente dès lors vers une utilisation optimisée ou en tout cas rationnelle de l’effectif (19 joueurs seront ainsi utilisés par le Racing tout au long des rencontres officielles), où les nouveaux recrutés constituent avec les néo-professionnels du Racing l’ossature d’une équipe-type relativement composite (9 nouveaux joueurs dont 4 professionnels, 4 anciens joueurs du Racing).

3. Un professionnalisme « aléatoire » : le Racing-Club de Calais

52Premier club du district Maritime à bénéficier du statut professionnel pour la saison 1933/34, évoluant en Deuxième Division, le Racing-Club de Calais est, à l’image du Racing-Club de Lens, un club mixte : il dispose d’une équipe et d’un effectif professionnels, mais demeure foncièrement attaché au maintien et à la promotion de sections amateurs, notamment de ses équipes de jeunes. Le Racing, bulletin des supporters du Racing-Club de Calais, offre une photographie assez fidèle de la politique suivie par le comité directeur du club : il entend d’abord ne pas succomber aux sirènes du professionnalisme, et souhaite que le club puisse conserver son identité. La prise en compte des impératifs liés au professionnalisme ne peut se faire au détriment de la culture du club, fondée sur la promotion interne et le respect des principes de l’amateurisme, rappelés en décembre 1934 dès la première page du bulletin du club :

Le sport est un jeu
Pour l’honneur du sport,
Respectez les règles du jeu.
Le jeu dur tue le jeu et peut tuer un homme.
Respectez les arbitres,
Ce sont des amateurs de football comme vous. Ils jugent ce qu’ils voient, comme ils le voient et où ils le voient.
Respectez-vous vous-mêmes,
Ne vous fâchez pas !
A quoi bon ?
Les Fous se battent,
Les faibles se disputent
Le vrai sportif regarde, juge et se tait.
Il appartient aux arbitres et bien plus encore aux joueurs, aux supporters aux dirigeants, aux managers et à tous ceux qui touchent de près ou de loin l’ordre du football, d’aider à faire régner l’ordre.
Un véritable sportif doit savoir accepter la défaite sans récriminer.
Un échec se répare, une mauvaise tenue s’efface rarement.
Quand vous criez après un arbitre, demandez-vous toujours si vous connaissez les règles du jeu aussi bien que lui. Si vous vous posiez cette question, jamais un arbitre ne serait insulté24.

53Cette réafifirmation des principes fondateurs du sport moderne laisse supposer que les passions partisanes ont progressivement envahi le stade et se sont imposées à mesure de la « dramatisation » des enjeux sportifs, perceptible dès les années vingt. Si les dirigeants du Racing-Club de Calais rappellent que « le sport n’est qu’un jeu » et qu’il doit finalement le demeurer, c’est à cause du chauvinisme sportif se développant autour des terrains : le professionnalisme et le supportérisme contribuent à sa diffusion, en même temps qu’ils renforcent l’identité des clubs. Le 25 novembre 1934, les joueurs du RC Calais se déplacent au Havre et arrachent le match nul (2/2) malgré un comportement des supporters du HAC que le bulletin du Racing juge déloyal :

Un chauvinisme outrancier, c’est quelque chose de bien vilain. On a le droit d’avoir des préférences, mais il ne faut pas user de ces moyens coupables pour gagner. On gagne un match avec la tête et les jambes. On le gagne surtout avec le cœur25.

54D’autres articles du bulletin du Racing montrent que l’idéalisme sportif dont se réclame le club constitue moins une anecdote ou une survivance du passé qu’une volonté politique de la part des dirigeants du club. A la différence du Racing Club de Lens dont les infrastructures et la prise de contrôle par la Compagnie des Mines auront largement facilité l’adoption d’un professionnalisme intégral (montant des transferts connus, budget, recrutements massifs à l’intersaison), le passage au professionnalisme s’inscrit au RC Calais dans une logique de permanence : le club semble rechercher un équilibre entre amateurisme et professionnalisme. Il souhaite ainsi éviter les phénomènes de rupture et de crise, observés pour le Racing-Club de Lens, au niveau du budget du club, de ses infrastructures et d’un fonctionnement associatif devenu résiduel. Cette politique de continuité est la conséquence de limites sur le plan financier qui n’autorisent pas un recrutement important de joueurs à l’intersaison : elle privilégie de fait la promotion interne des juniors :

Comment, voilà un club qui fait parler de lui, qui lutte victorieusement et avec les ténors de son groupe et ne recrute que trois professionnels 100 % et 8 « monnayeurs » qui ont su trouver dans l’amour de leurs couleurs les forces nécessaires pour se hisser au niveau des meilleurs [...]. Il est cependant vraisemblable que si notre situation financière nous avait permis de faire comme les autres, nous n’aurions pas manqué de les imiter.
Et pour cela, il est de notre devoir de prodiguer aux jeunes les encouragements nécessaires pour qu’ils marchent sur les traces de leurs aînés. Nous avons au Racing des équipes inférieures et l’ami Gilliot a sous sa paternelle directive deux équipes juniors et trois équipes de minimes. Il y a là une source de recrutement que nous devons cultiver avec soin26.

55Cette situation originale du Racing traduit au plan régional l’hétérogénéité des situations des clubs professionnels au plan national : le club n’a pu recruter que trois joueurs professionnels et le choix des dirigeants se porte naturellement vers des Britanniques (Walker, Allison et Maloney). L’histoire du club, la précocité des contacts avec des clubs anglais dès la fin du XIXe à l’occasion de rencontres amicales et autres challenges, la proximité géographique, le style de jeu longtemps privilégié (le kick and rush semble résister ici plus qu’ailleurs à l’introduction du WM), sont autant de raisons qui légitiment un courant britannique, pourtant sur le déclin. L’une des caractéristiques du football nordiste est précisément d’avoir juxtaposé les différents courants de l’immigration du football, en conjuguant les réalités de sa géographie et de sa situation économique (vagues d’immigration en provenance d’Europe Centrale et d’Europe de l’Est dans les années trente)27.

56L’effectif strictement professionnel du RCC se compose de ces trois joueurs anglais (les règlements fédéraux limitent d’ailleurs à trois le nombre de joueurs étrangers par rencontre), qui visiblement n’exercent pas d’autre activité salariée. Les huit autres joueurs, bizarrement appelés « monnayeurs », conjuguent vraisemblablement activité professionnelle et pratique du football (ce qui souligne les limites du professionnalisme intégral). L’autre caractéristique de l’équipe pro du RCC réside dans la volonté affichée des dirigeants de démontrer qu’il ne s’agit pas d’une équipe de mercenaires, mais bien d’une équipe dont la majorité des joueurs a été formée au club. Cet esprit « clubiste », largement cultivé dans le bulletin du Racing, s’observe dans la publication des classements et résultats du championnat de Deuxième Division et les compte-rendus des rencontres : ils montrent que le RCC peut obtenir sur le plan sportif des résultats honorables avec des moyens inférieurs à ceux dont disposent d’autres équipes. L’instauration du professionnalisme introduit en effet de nouveaux paramètres dans l’étalonnage des clubs. La mesure de la valeur sportive des équipes et des clubs prend désormais en compte les éléments ayant permis la constitution de ces équipes nombre de joueurs étrangers (au club ou par leur nationalité), moyens budgétaires, et leur conséquence sur la vie et le développement du club (infrastructures, fidélisation du public, promotion interne, maintien de sections amateurs, etc.). La publication régulière des classements, dont la fréquence demeure cependant aléatoire, témoigne de cette frénésie statistique, qui vise à scientifiser les analyses et à mesurer les forces et les faiblesses des clubs. Au lendemain de la guerre, seuls le nombre de rencontres, de points obtenus et la comptabilisation des matches « gagnés, nuis et perdus » étaient enregistrés. A la fin des années vingt, les bulletins et journaux sportifs prennent en compte la différence de buts, parfois déterminante pour l’obtention d’un titre. Elle permet également de mesurer mathématiquement la réussite ou la stérilité des attaquants, la solidité ou la perméabilité des défenses... Ces éléments deviennent pour les entraîneurs, les dirigeants, mais également les supporters, un précieux indicateur en matière de recrutement. De plus, l’introduction du WM entraîne une spécialisation des fonctions, mettant progressivement fin au principe de polyvalence des joueurs, qui voulait qu’une carrière débute à l’avant et se termine au poste d’arrière, moins sollicité sur le plan physique.

57La modification des styles de jeu et l’introduction du professionnalisme dans les années trente, l’engouement populaire suscité par les rencontres expliquent désormais la prise en compte du lieu de la rencontre, qui se joue « à domicile » ou « à l’extérieur ». La majoration des primes en cas de victoire à l’extérieur laisse penser que celles-ci sont effectivement plus rares et plus difficiles (la longueur des déplacements, déjà évoquée, a des incidences sur les organismes des visiteurs, hélas difficilement mesurables à l’époque) : il devient dès lors possible de suivre avec précision les prestations et constater que les équipes occupant la tête du championnat sont celles qui obtiennent de bons résultats sur leur propre terrain mais également à l’extérieur (à l’image de l’équipe des « millionnaires » de l’Association Sportive de Saint Etienne, dirigée par la firme Casino)28.

58Valable pour la Deuxième Division, le constat est identique pour les clubs de l’élite : les équipes en tête de classement sont celles qui réalisent les meilleurs parcours à l’extérieur et dont les lignes d’attaque sont les plus efficaces (l’équilibre puis l’inversion systématique de la différence de buts s’observe dans le dernier tiers du classement). Au total, il s’agit d’observations classiques qui soulignent cependant que le jeu offensif est privilégié au cours de la période, conséquence d’un spectacle sportif recherché par les dirigeants des clubs (parce qu’offrant des garanties en matière de recettes). Les spectateurs s’identifient souvent aux étoiles de l’époque, largement présentes au sein des lignes d’avants. Les différentes questions posées aux supporters du RCC à l’occasion de son concours de pronostics gratuit privilégient d’ailleurs la perspicacité offensive des participants :

Concours de pronostics gratuit. 1er prix : 50 francs en espèces, 2e prix : 20 francs, 3e prix : 10 francs. Un prix exceptionnel de 100 francs si toutes les réponses aux questions suivantes sont exactes.
Pour le match RCC/US Boulogne :
Nom du gagnant :
Score :
Score à la mi-temps :
Quelle équipe marque le premier but ?
A quelle minute le premier but est-il marqué ?

59Le calendrier de l’équipe première du Racing-Club de Calais ne présente pas d’originalité majeure : outre les rencontres du championnat, le Racing dispute la Coupe de France (éliminé lors des 1/16e de finale par le FC Mulhouse), ainsi que la Coupe Porisse, compétition organisée par la Ligue. Mettant aux prises l’élite du football nordiste (clubs professionnels de 1ère et de 2e Division), il vient alourdir un calendrier déjà chargé. Les compétitions officielles sont précédées et entrecoupées des traditionnelles rencontres amicales, préparatoires en début de saison, qui garantissent les recettes si le club est prématurément éliminé en coupe de France en cours de saison.

60Sur une période de six mois, c’est un total de 38 rencontres que les joueurs du Racing vont disputer, soit en moyenne plus d’une rencontre par semaine (sans prendre en compte les rencontres de la Coupe Porisse). Le tableau ci-dessous propose une estimation des déplacements réalisés par l’équipe première au cours de cette période. Au cours de la saison, c’est donc plus de 10 000 kms qui seront parcourus par les joueurs du Racing, chiffre que l’on peut comparer aux 15 204 kms effectués par les joueurs d’Antibes lors du premier championnat professionnel29. On comprend dès lors la tendance des dirigeants du Racing à privilégier les matches à domicile, qui attirent davantage de public, à l’inverse de déplacements faiblement mobilisateurs au regard des coûts induits. Le trésorier du Racing se plaindra lors de la saison 1934/35 de la retransmission par la T.S.F. des matches du RCC à l’extérieur : elle sédentarise les supporters les plus passionnés et limite la « colonie » de Calaisiens accompagnant leur équipe, provoquant au niveau des recettes un manque à gagner.

Déplacements du Racing-Club de Calais. Août 34/janvier 35. Division II

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61La lecture du bulletin du Racing permet de mieux apprécier l’esprit du club calaisien et la ligne politique de son Comité Directeur : le choix du professionnalisme correspond à un engagement de raison, qui adapte le recrutement et détermine le calendrier sportif du club aux possibilités financières du moment. Les différences entre les vrais professionnels et ceux que l’on appellera bientôt les professionnels marrons (joueurs rétribués qui continuent d’exercer leur profession et qui monnayent leurs services au club), constituent des points de friction au sein de nombreux clubs professionnels mais ne semblent guère poser de difficultés au sein du RCC : le club privilégie l’union autour des valeurs du club, plutôt que d’éventuelles divisions salariales ou de statut. L’anecdote, mais surtout le commentaire qui suit, relevée lors du match RCC/HAC semble prouver qu’il n’existe pas de différences, sur le plan de l’éthique et de la morale sportive, entre le professionnalisme intégral et le professionnalisme marron :

Il paraît qu’au cours du match HAC/RCC, un petit garçon, étonné d’entendre répéter constamment le même mot, demanda à son papa ce qu’est un professionnel. Il parait que le bon père de famille répondit à son enfant avec le ton du mépris le plus profond : c’est un joueur payé. Il parait que le fait de passer à la caisse constitue un acte infamant pour un professionnel, mais que pour un amateur, cela n’a rien de déshonorant30.

62Le maintien au Racing-Ciub de Calais d’équipes amateurs, notamment d’équipes de jeunes, constitue une autre priorité du Comité directeur du Club. Pépinières de futurs talents et joueurs des équipes premières et professionnelle, les équipes juniors sont considérées comme des lieux de formation essentiels, où se déroule le second temps du footballeur, celui de l’apprentissage. Au Racing, les juniors sont encadrés par d’anciens joueurs qui se chargent de parfaire leur formation technique, tout en développant l’esprit du club : le choix du professionnalisme ne semble pas avoir causé de préjudice aux structures et équipes amateurs du club. Au contraire : situées en amont de l’équipe professionnelle, celles-ci constituent un vivier indispensable à la constitution de l’équipe professionnelle. Nous avons déjà observé que les moyens budgétaires imposent la solution de la promotion interne plutôt qu’un recrutement de professionnels issus d’autres clubs français ou d’équipes étrangères. Cela contribue tout autant au développement (et à sa valorisation par ses dirigeants) de l’image d’un club atypique au sein des équipes de Division II, refusant les excès du professionnalisme, le débauchage des joueurs et le recrutement de mercenaires. Quant à la réalité de ce que les dirigeants du RCC qualifient d’amateurisme intégral, elle est matérialisée par les deux équipes qui évoluent en marge des compétitions officielles. Elles développent un aspect essentiellement ludique, hygiénique et éducatif de la pratique, à des fins non compétitrices :

L’Amateurisme n’est pas mort au sein du RCC : en plus de ses équipes professionnelles officielles, de ses juniors et minimes, de ses sections de basket-ball et d’athlétisme, il existe 2 teams composées exclusivement de jeunes gens avides de s’ébattre au grand air et pour lesquels le foot constitue une distraction agréable et saine31.

63Les différents temps de la carrière du footballeur, déjà mis en évidence par Pierre Lanfranchi, peuvent se décliner comme suit au Racing-Club de Calais, et demeurent largement transposables aux autres clubs de la Ligue du Nord. Au trois moments déjà repérés (apprentissage, recrutement, insertion au sein d’une équipe professionnelle), peut s’ajouter le temps de l’initiation. Souvent peu évoqué parce que se déroulant dans des lieux de pratique spontanée, il demeure le préalable à un apprentissage plus structuré32. Cooptation, détection et recrutement constituent ensuite les étapes qui permettront au joueur d’accéder à une pratique aboutissant rarement à une carrière professionnelle. Le passage au professionnalisme est d’autant plus délicat que les résistances culturelles demeurent de la part des parents des joueurs, qui conçoivent difficilement que la pratique du football puisse constituer une véritable profession... Ce qui relativise (au moins dans l’entre-deux-guerres) les représentations de l’ascenseur social que représenterait le football. Dans le bassin minier et sur le Littoral, la primauté accordée aux études et au travail manuel renforce encore cette distance culturelle, et explique, le nombre limité de professionnels vivant exclusivement de la pratique du football. Quant à l’insertion au sein d’une équipe professionnelle, Pierre Lanfranchi souligne justement qu’elle ne peut se réduire à la seule signature du contrat : encore faudra-t-il plaire aux équipiers, à l’entraîneur, aux dirigeants et à un public, dont on a pu mesurer les exigences à la lecture des comptes-rendus des journaux33.

64Ces mécanismes s’appuient également sur un critère de proximité géographique, teinté d’une forme de régionalisme sportif original : Jules Bigot considérera son transfert à l’Olympique Lillois comme un véritable déracinement. Le recrutement de joueurs du cru devient l’une des priorités des clubs amateurs, notamment au sein du bassin minier, où se développe une forme de « cooptation sportive » reposant sur des critères géographiques, qui accentuent l’appartenance au club et l’enracinement de la pratique. Pour les clubs professionnels, ce critère de proximité géographique varie selon les politiques suivies par les comités directeurs. Les travaux de Pierre Lanfranchi ont mis en évidence la réalité du phénomène pour les clubs de Sète et d’Alès. Pour les clubs professionnels du Pas-de-Calais tels le Racing-Club de Calais ou le Racing-Club de Lens, les ambitions sportives et les moyens financiers respectifs ont une incidence directe sur ce critère de proximité : revendiqué au RCC et constitutif de l’identité du club, il semble moins manifeste au niveau du RCL. Pour ce dernier, l’identité et l’enracinement du club au niveau local vont davantage reposer sur les spectateurs, la représentation du footballeur mineur ne s’imposant que dans les années cinquante (en 1939, l’équipe première du Racing ne compte que 3 mineurs d’origine polonaise).

4. Les transformations du jeu

65L’instauration du professionnalisme aura contribué à homogénéiser les types de jeu, en généralisant le système dit du WM, non seulement au sein des équipes professionnelles, mais également parmi l’élite des clubs amateurs disputant les championnats de Ligue. Au Racing-Club de Calais, l’adoption du WM semble avoir fait l’objet de nombreuses controverses : il suppose en effet d’accepter un jeu moins offensif et donc moins spectaculaire, en raison de la position plus en retrait adoptée par les deux « inters », ce qui aura contrarié les « techniciens de la touche... ». Dans le cas précis, l’imitation du modèle anglais (et la référence à la réussite du club d’Arsenal) semble avoir emporté la décision. Le mécanisme du WM est décrit de façon minutieuse, au point qu’il est possible d’en visualiser le fonctionnement et d’en décliner des aménagements qui non seulement privilégient l’offensive mais assurent également le résultat, tout en renforçant le dispositif défensif : placement des joueurs sur le terrain et déplacements, renforcement de la défense (apparition de la notion de « double rideau défensif », sorte de cattenaccio inspiré du WM), stratégies offensives qui misent sur la vélocité des ailiers, etc.

66L’adoption du WM par le Racing souligne l’internationalisation des styles de jeu et leur plus grande technicité, qui repose sur des schémas tactiques connus, décrits et modifiés selon des paramètres propres à l’équipe. Elle aura également des incidences sur le recrutement des joueurs. Ces derniers doivent pouvoir évoluer dans la configuration adoptée par l’entraîneur, ce qui suppose un sens de la discipline et du collectif, qui relègue au second plan les individualités et renforce la spécificité des différents postes. Il aboutira à un processus de standardisation des joueurs, visible dans la recherche d’un profil correspondant à des postes dont les attendus sur le plan technique sont explicites. Les articles du Racing indiquent la nécessité d’un entraînement adapté aux rôles des différents joueurs, ce qui aura pour effet d’organiser des séances d’entraînement spécifiques aux besoins des joueurs :

L’avènement du professionnalisme en football aura au moins le mérite, et nous le souhaitons ardemment que ce ne soit pas le seul dans l’avenir, de rappeler aux clubs qu’il y a peu d’espoir d’obtenir des résultats réguliers sans une éducation physique pratiquée non moins régulièrement par les joueurs.
Ce qui frappe plus le spectateur [...], c’est l’allure générale de l’équipe qui pénètre sur le terrain. A de rares exceptions près, ce sont des gars solides et comme on dit bien balancés.
L’arrière ou type athlète : il est bien certain qu’on tend de plus en plus à constituer des lignes arrières avec des poids lourds, pourvu qu’ils aient gardé une vitesse suffisante. Le prototype de ce qui était magnifiquement réalisé il y a quelques années par l’excellent international Amiénois Wallet. Son poids considérable ne l’empêchait nullement d’être un coureur de vitesse redoutable et c’est cette même vitesse qui, s’ajoutant à son poids, rendait son action plus efficace [...]. Le gardien : quand je dis défenseur, j’entends bien ne pas oublier le solitaire gardien de but dont le poids, à la fois pour attendre de pied ferme l’attaquant et pour s’assurer l’avantage au moment où ça arrive : il faut aller cueillir une balle haute dans un paquet de joueurs sans perdre l’équilibre comme dans tous les coups de pied de coin bien tirés.
La vitesse de l’attaquant : dès qu’il s’agit d’avants, on est autorisé à faire passer la masse athlétique au second plan pour donner la priorité à la vitesse. Encore faut-il préciser que la vitesse peut être une qualité utile mais qu’elle n’est pas aussi indispensable qu’on pourrait le croire, du moins à certaines places.
Comparez l’ailier, dont tout le jeu consiste essentiellement à attirer le défenseur vers lui, puis à se débarrasser de la balle au profit de la triplette du centre et l’avant-centre. L’un a besoin de faire des échappées et d’aller vite, l’autre, qui a moins de chemin à parcourir, peut aller moins rapidement pourvu qu’il ait, à la seconde, que dis-je au 1/10e de seconde voulu, la détente qui sèmera la panique chez l’adversaire.
Bien entendu, l’ailier devra être adroit lui aussi, comme les inters qui, faisant la jonction entre le centre et l’aile, doivent participer des mêmes qualités. Et comme par surcroît, on exige justement d’eux qu’ils se replient au moment des attaques de l’adversaire, il leur faut en outre de la résistance.
Le juste milieu : c’est aux demis qu’incombe la plus lourde tâche puisqu’ils appartiennent successivement à l’attaque et à la défense sans un moment de répit. Leur qualité dominante devra être la résistance. Evidemment, on ne s’en douterait pas en voyant jouer certains d’entre eux !! »34

67On peut être frappé de la modernité du propos et de cette typologie des joueurs qui atteste de la spécialisation des tâches et d’une réelle division du travail sur le plan sportif : elle fait du footballeur professionnel un ouvrier spécialisé dans sa discipline. Trait commun à l’ensemble des postes identifiés, la robustesse et l’endurance, qui doivent être entretenues et développées par des séances de culture physique reprenant les principes de l’éducation physique scolaire de l’après-guerre (être fort pour être utile). La solidité physique, essentielle avant 1914, à une époque où le football association demeurait à « fort parti pris athlétique », ne suffit plus. Elle doit être désormais considérée comme nécessaire mais non plus suffisante. En fonction du poste occupé, chaque joueur doit être doté de qualités propres, dont la mise en oeuvre témoigne de l’évolution des styles de jeu et de leur apparente modernité : les lignes arrières sont désormais constituées de joueurs qui allient vitesse et robustesse, signe d’une plus grande vélocité des attaquants. Elle oblige désormais les arrières à de longues courses, même si les notions de bloc ou de rempart défensif demeurent (la défense peut d’ailleurs être particulièrement renforcée par la constitution du double rideau défensif qui place huit joueurs de l’équipe dans la zone). Le gardien de but voit également la spécificité de son rôle mieux appréciée et l’on perçoit la plus grande place prise par des sorties plus aériennes, notamment lors des centres des ailiers (dans le rôle classique de l’ailier de débordement) et des coups de pied de coin (qui sont bien tirés s’ils permettent aux avants et notamment au centre avant de placer sa tête). La masse athlétique du gardien demeure indispensable afin de cueillir les balles hautes au milieu d’un paquet de joueurs. La fonction du gardien demeure malgré tout strictement défensive et il n’est pas fait mention de son rôle au niveau de la relance du jeu.

68Si les velléités offensives des équipes peuvent être contrariées par l’introduction du WM, le rôle des attaquants demeure essentiel : ceux-ci doivent allier vitesse de course et rapidité d’exécution, à condition toutefois que ces qualités soient « bien employées » et puissent s’incarner de manière différente selon les postes d’ailiers ou de centre avant. Le temps du kick and rush semble définitivement révolu : les longues chevauchées des avants, souvent stériles, doivent désormais être utiles. Le rôle des ailiers consiste à déborder la défense adverse sur son aile afin de centrer au profit d’une « triplette » constituée par le centre avant et les deux inters, selon un « timing » précis qui permettra aux avants de placer leur tête ou de frapper au but. Les avants ne se cantonnent plus dans une logique strictement offensive, puisqu’ils doivent également « redescendre » et consolider la ligne défensive en cas de nécessité. Quant au milieu de terrain, la fonction d’interface qu’il occupe entre ses deux lignes, nécessite une réelle endurance (ce sont les joueurs les plus sollicités, qui doivent sans cesse monter et descendre au cours du match), mais ne suppose pas au préalable une masse athlétique imposante.

69Cette rapide analyse des spécificités de chacun des joueurs montre un lent déplacement et basculement du cœur du jeu, de l’avant vers le centre (rôle du centre-avant et du milieu du terrain). Longtemps privilégiés par le jeu et les spectateurs, les avants voient leur rôle se banaliser quelque peu, au profit de la recherche d’une meilleure complémentarité entre les lignes, qui laisse penser au développement d’un jeu plus transversal, fait de passes plus courtes, de centres, de remises, où le milieu de terrain joue un rôle majeur.

70Il n’est pas étonnant de constater que ces exigences physiques et tactiques aient contribué à améliorer de manière sensible des techniques d’entraînement jusque là marquées par leur empirisme et leur extrême diversité. Là encore, le football bénéficie des évolutions d’une éducation physique qui, au lendemain de la guerre, échappe progressivement à la tutelle des militaires pour glisser dans une sphère médicale délibérément scientifique. Le courant hygiéniste aboutit à la généralisation de l’Hébertisme dans les années trente, qui confère aux exercices naturels l’ambition d’un développement physique intégral. Il rend ainsi les exercices pratiqués lors des séances d’entraînement moins aléatoires dans leur déroulement, parce que validés sur le plan scientifique.

71Le statut du joueur en 1934 définissait en quelques phrases ses obligations juridiques en matière d’entretien physique et d’entraînement. Leur caractère relativement allusif rendait cependant leur application délicate au sein des clubs professionnels (réticence des vrais pros qui pensent que leur réputation sportive suffit, difficultés des professionnels « à mi-temps » qui doivent concilier entraînement et activité professionnelle)35.

72Au Racing-Club de Calais, les dirigeants ont rapidement pris conscience que le principe d’obligation de résultats sur le plan sportif suppose en amont une obligation de moyens et l’organisation de séances d’entraînement structurées, adaptées aux joueurs de l’équipe première. Une préparation physique minutieuse remplace des séances peu rigoureuses, auxquelles la totalité de l’effectif professionnel ne semblait d’ailleurs pas s’adonner. Elles sont désormais régulières, encadrées par un professeur d’éducation physique, et consistent en des footings, marches et exercices gymniques :

Le Comité Directeur du club maritime tenant compte que la force de son premier team résidait surtout dans la rapidité d’exécution, la fougue et le cran de ses joueurs, lesquels ne peuvent tenir parfaitement leur rôle qu’à la condition d’être dans un état physique optimum ; a décidé qu’une préparation plus minutieuse encore serait observée désormais et a chargé son entraîneur d’établir un nouvel emploi du temps des joueurs et de le suivre scrupuleusement. Aussi depuis quelque temps, rencontre-t-on soit de grand matin, ça et là, sur les routes de la campagne du Calaisis, le coach calaisien entouré de ses élèves, accomplissant le temps de marche prévu, soit encore, accompagnés en outre de Monsieur Guilbert, le professeur d’Education Physique dont le Racing s’est réservé les soins, s’adonnant à des exercices gymniques36.

73Outre l’entretien et le développement de la « charpente » (on retrouve ici l’un des fondements de l’Hébertisme), ces séances doivent également permettre aux jeunes joueurs d’accéder à l’équipe première, à condition de se soumettre à des séances d’entraînement drastiques. Elles ont pour objet de développer les qualités naturelles de chacun, de repérer les potentialités qui permettront à certains d’occuper des postes précis au sein de l’équipe première. Ces principes d’assiduité et d’utilité d’un entraînement plus scientifique demeurent étroitement liés à des représentations très athlétiques du footballeur, ce qui a pour effet de valoriser la culture physique et des exercices centrés sur la vitesse, l’endurance et la fortification des corps :

D’autres sont forgées de toutes pièces par l’entraînement : ce sont la masse et la résistance. C’est la culture physique méthodique qui, par un développement judicieux, développera vos muscles, c’est-à-dire 50 % du poids de votre corps environ, donc augmentera votre masse. C’est elle encore qui, en vous donnant le souffle et la manière de s’en servir, vous fera forts et résistants.
Tout ceci pour vous dire qu’il faut conquérir ses galons d’équipier premier dans l’obscurité de l’entraînement le plus sérieux et en mesurant ses ambitions et ses capacités.
Choisiriez vous un gardien de but de 1,60 m de taille ? Alors, ne demandez pas une place d’arrière si vous n’êtes pas solide comme un roc et ne vous croyez pas un autre Dewaquez parce que vous réussirez de temps à autre un beau centre.
Le football est devenu un jeu d’athlète. Soyez des athlètes. Vous y gagnerez à la fois plaisir et santé37.

Notes de bas de page

1 L’Olympique Lillois, le Racing-Club de Roubaix, le FC Mulhouse, l’Olympique de Marseille, le FC Sète, le Club Français, le Red Star et le FC Sochaux participent à cette première édition. Le FC Sochaux fut fondé en 1929 par Sam Wyler, directeur commercial des automobiles Peugeot, à la demande de Jean Pierre Peugeot. Il fusionnera l’année suivante avec Le club voisin de l’AS Montbéliard. Au départ, il s’agit de constituer une équipe de « mercenaires prestigieux », salariés par le club. Entraîné par Victor Gibson, dirigé par Dargein, un cadre de la direction régionale de Bordeaux qui occupe les fonctions de secrétaire général du club, le FC Sochaux comptera dans ses rangs de nombreux internationaux français et étrangers : le gardien Lozes, les arrières Mattler et Wartel, le Hongrois Rainer, les demis Jean Laurent, Galland, le britannique Eastman, le suisse Lehman, le Hongrois Kovacs. Aux postes d’avant, Lucien Laurent (international français, premier buteur de la Coupe du Monde de Football à Montevideo en 1930), Maschinot, les Britanniques James, Bert, Miller et le Hongrois Boros. Cité par Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), Les footballeurs professionnels des années trente à nos jours, Hachette, 1995, p. 52.

2 Etabli d’après : Wahl (Alfred), Les archives du football, ibid., pp. 250-260.

3 Une véritable « foire aux joueurs » est en effet dénoncée par la presse sportive dès la fin de la saison 1929 sans que l’on puisse disposer de chiffres exacts. Le montant des sommes évoquées montre cependant le décalage réel entre les barèmes fédéraux et la « loi du marché », fondée sur le principe de l’offre et la demande (de 500 à 5000 francs à la signature). Le cas du jeune Langiller, joueur du Cercle Athlétique de Paris, est tout à fait significatif de la démesure des sommes parfois annoncées : il lui aurait été proposé la somme de 30 000 francs pour signer dans un « club du Nord » (en fait l’Excelsior). Convoqué par la FFFA, il indiquera que la somme proposée lui aurait permis d’ouvrir à Lille un magasin de sport, sans qu’il y ait un rapport avec une quelconque mutation... Cité par Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), ibid., p. 50.

4 Sur l’itinéraire d’Emmanuel Gambardella, consulter : Andréani (Roland), « Football, presse et chanson : les trois carrières d’Emmanuel Gambardella (1888/1953) », pp. 355-65. In Jeux et Sports dans l’histoire (tome 2 : pratiques sportives), Editions du CTHS, 1992.

5 Guillain (Jean-Yves) La Coupe du Monde de football : l’œuvre de Jules Rimet, Amphora, 1998, pp. 65-67. Les propos de Jules Rimet semblent confirmer que le choix du professionnalisme, outre son caractère inéluctable, ne devait pas à priori bouleverser les structures du football français, mais au contraire en assainir certaines modalités : « face aux pratiques clandestines, nous devions réagir vite et appeler un chat un chat. En faisant cela, nous accomplissons un devoir d’honnêteté envers nous-mêmes. Le professionnalisme a été crée par des amateurs et restera entre leurs mains. Ce sont les clubs qui encaisseront les bénéfices, et ils resteront soumis à toutes les obligations des associations. Le but de la FFFA est resté pur : nous avons empêché la commercialisation du sport »

6 In Racing-Club de Lens, ibid.

7 Cité par : Wahl (Alfred), ibid., pp. 253-254.

8 Le président du FC Mulhouse est ainsi contraint à démissionner dans la mesure où l’adoption « à l’essai » du statut professionnel oblige le comité du club à diminuer des salaires jusque là illégaux, afin de répondre au seuil des 2000 francs mensuels imposés par la FFFA. A l’Olympique de Marseille, l’adoption du statut professionnel rend obligatoire la construction d’un stade de 12 000 places (afin d’augmenter les recettes), dont le financement sera assuré par le concours des principaux hommes d’affaires de la cité phocéenne. Cité par : Wahl (Alfred), ibid., pp. 255-260.

9 Le Sporting-Club Fivois est né en 1918, et est issu de l’Eclair Fivois, fondé en 1901. Engagé en 4e division du district terrien pour la saison 1919/20, il gravit progressivement les échelons des groupes terriens et remporte le titre de Champion du Nord (Honneur) en 1924, 1926, 1929 et 1932. Outre son équipe première professionnelle, le club compte près de 200 licenciés « amateurs », dont plus de la moitié en équipes juniors, minimes et pupilles. Une centaine de jeunes gens suivent les cours d’éducation physique. Les supporters du club sont regroupés en deux sections : « les Amis du Sporting » et « Allez Fives ». D’après Hurseau (Paul), Verhaeghe (Jacques), Olympique Lillois, Sporting-Club Fivois, LOSC, Alan Sutton Editeur, 1997, p. 40. A la différence de l’Olympique Lillois, club profondément bourgeois dans ses structures, son fonctionnement et son public, le SC Fives, installé dans la ceinture industrielle de Lille représente l’archétype du club « ouvrier ». La construction du Stade Virnot, d’une capacité de 25 000 places, avait été financée par un emprunt de 250 000 francs, couvert par l’émission d’actions de 100 francs proposées aux supporters du club. Demaziere (Didier) Dir., Le peuple des tribunes, ibid., p. 44.

10 Le premier match qui oppose l’Olympique Lillois à l’Olympique de Marseille le 11 septembre 1932 (1/2) se déroule devant 6000 spectateurs, soit à peine 1000 de plus que lors du match opposant les deux clubs amateurs du RC Roubaix et d’Amiens, restés en division d’Honneur. Seules les rencontres de coupe de France suscitent un véritable engouement populaire (11 000 spectateurs pour le match de Coupe qui oppose l’UST à l’Olympique Lillois en 1932). Cité par : Demaziere (Didier) Dir., ibid., p. 44.

11 Cité par : Dremière (Laurent), La saga des Sang et Or, ibid., p. 16. Le choix de Lens comme site d’accueil de la Coupe du Monde de football en 1998, ainsi que le titre de champion de France remporté par le Racing la même année provoqueront une curieuse résurgence de ces interrogations, et contribueront à développer l’image d’une « ville moyenne » capable de rivaliser avec de grandes agglomérations et de grands clubs. Ce paramètre géographique est un élément constitutif de l’identité du club.

12 Evoquant les déplacements de l’Olympique Lillois, Jules Bigot rappelle : « On partait par le train, en troisième classe, à huit par compartiment [...]. Pour dormir, il y en avait deux sur chaque banquette, deux par terre et deux au dessus, à la place des bagages. Les valises étaient dans le couloir [...]. Ça nous fatiguait sûrement, mais on ne s’en rendait pas compte. On avait pris l’habitude. ». Cité par : Dremière (Laurent), Un siècle de football en Nord, Editions La Voix du Nord, 1998, p. 34. Témoignage similaire d’Albert Hus, du Racing-Club de Lens : « on partait en déplacement par le train, en 3e classe ; par exemple, pour Caen, il fallait changer à Amiens. Eh bien ! Siklo, il dormait toujours dans le filet à bagages, juste au dessus de nous. Ça lui faisait un hamac... ». Cité par : Dremière (Laurent), La saga des Sang et Or, ibid., p. 23.

13 Extrait du formulaire de « Mutation d’un joueur amateur dans un club autorisé à utiliser des professionnels ». D’après Hurseau (Paul), Verhaeghe (Jacques), Olympique Lillois, Sporting-Club Fivois, LOSC, ibid., p. 51.

14 Sur la disparition du gentleman-athlète, voir Holt (Richard), Aspects of the social history of sports in France, Université d’Oxford, 1977. Un court extrait dans : Erhenberg (Alain), « Aimez-vous les stades ? Les origines historiques des politiques sportives en France (1870/1930) », In Recherches, n° 43, avril 1980, pp. 253-276.

15 En avril 1934, les candidatures de FUS Boulogne, l’US Dunkerque Malo, le FC Dieppe, le Stade Malherbe de Caen, le RC Calais, le Stade de Reims, le SC Orange, l’AS Palissy Nord et du Racing-Club de Lens sont déposées. En mai 1934, s’ajoutent celles de l’AS Troyes, l’US Forbach et de l’UC Bagnoles. Seules les candidatures du RCL, du Stade Malherbe de Caen et de l’US Villeurbanne seront acceptées par la FFFA. Pour Villeurbanne, il ne s’agit pas d’une nouvelle candidature, dans la mesure où ce club n’est autre que l’ancien FC de Lyon.

16 A l’occasion du match Olympique Lillois/RCL, Le Grand Echo du Nord écrit en février 1932 : « les supporters de mineurs avaient effectué le déplacement en masses profondes ». Le premier éditorial de Sang et Or, bulletin des supporters lensois rappelle : « un club ne vit pas seulement de résultats, il vit surtout de la bonne harmonie et de la compréhension mutuelle de tous ceux qui gravitent autour de son champ d’action : joueurs, dirigeants, amis et supporters, foule sportive heureuse aussi de sentir qu’elle fait partie intégrante de cette grande famille qu’est son club ». Cité par : Demaziere (Didier) Dir., ibid., p. 54. Propos consensuels qui illustrent cette forme de sociabilité originale, organisée en cercles concentriques autour du stade Bollaert, fédérée par un fort sentiment d’appartenance au club.

17 D’après Racing-Club de Lens, ibid.

18 La multiplication des difficultés financières amène les dirigeants du Club Français à abandonner la compétition le 5 décembre 1934. 4 joueurs portés sur la liste des transferts rejoignent en cours de saison des clubs professionnels : Presch et Godart à l’Olympique Lillois, pour les sommes de 7000 et 3000 francs, Hanke au Havre Athlétic Club (10 000 francs) et Anton Marek au RCL.

19 Cité par : Racing-Club de Lens, ibid.

20 En 1934, les primes versées aux joueurs sont limitées à 12 000 francs par an, soit près de 1000 francs mensuels. L’article 3 du Statut du joueur professionnel précise : « en aucun cas, le montant total de ces primes ajouté au montant du salaire ne pourra dépasser la somme de 36 000 francs ». Cité par : Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), Les footballeurs professionnels des années trente à nos jours, ibid., p. 64.

21 L’Olympique de Marseille, club de Première Division, dépasse les 2000 francs théoriques en versant à ses joueurs des salaires mensuels compris entre 3500 et 4000 francs. A Nîmes, Marius François ne perçoit que 600 francs, Ernest Nemeth 1500 francs à Montpellier. En 1939, Antoine Lopez, au FC Sochaux perçoit 4500 francs mensuels, tout en continuant à exercer son activité professionnelle. Cité par : Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), ibid., pp. 64-65.

22 Le statut de 1934 prévoit en effet que « le joueur s’engage à jouer pour le club d’une manière efficace et aux mieux de ses possibilités » et qu’il « doit faire tout ce qui est nécessaire pour se mettre et rester dans la meilleure condition physique possible ». Cité par : Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), ibid., p. 60.

23 Cité par : Dremière (Laurent), La Saga des Sang et Or, ibid., p. 20.

24 In Le Racing, ibid., 2 décembre 1934, ADPC, C 1042/19.

25 In Le Racing, ibid., ADPC, C 1042/19.

26 In. Le Racing, Ibid., ADPC.

27 Sur le recrutement des joueurs étrangers, consulter : Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), ibid., pp. 78-83. Les auteurs identifient trois vagues d’immigration successives : les Britanniques (fin XIXe/années vingt), les joueurs d’Europe Centrale et Orientale (Autriche, Hongrie, Yougoslavie) dans les années vingt et trente, les Latino-américains à la fin des années trente.

28 La pénibilité des déplacements en train a déjà été évoquée. « En mai 1935, nous avons joué pour la première fois à Saint-Etienne. Nous étions en Division 2. L’accompagnateur de l’équipe était ingénieur aux Mines. C’était le chef du personnel de la Compagnie de Lens [...]. Le chef du personnel n’avait pas l’habitude. Le matin du match, il n’avait rien trouvé de mieux que de nous emmener visiter le retenue d’eau de la Roche Taillée. Il avait fallu qu’on grimpe pas mal. C’était pas l’idéal pour les jambes ». Cité par : Dremière (Laurent), La Saga des Sang et Or, ibid., p. 22. Ce témoignage montre qu’il ne semble pas être question d’une quelconque préparation physique spécifique avant le match, (ce qui n’empêchera d’ailleurs pas le RCL d’obtenir le match nul 3/3).

29 Les longs déplacements pèsent également sur le budget des clubs. Pour le FC Antibes, ils correspondent à une dépense de plus de 21 000 francs, soit l’équivalent d’un salaire de joueur pro. Voir : Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), ibid., p. 92.

30 In Le Racing, ibid., ADPC.

31 In Le Racing, ibid., ADPC.

32 Cet apprentissage « sauvage » ou « naturel » est essentiellement mimétique. Jules Bigot parle du « passage d’un football de rue à une formation sur le tas par l’observation et l’imitation des meilleurs ». La pratique plus structurée a pour cadre les cours et préaux d’école, ainsi que les terrains d’entraînement de l’ES Bully. Viendra ensuite le temps de la pratique au sein du club.

33 En octobre 1932, sur 36 joueurs professionnels questionnés, 9 pratiquent exclusivement le football, 9 sont étudiants, 7 employés de banque ou de commerce, 3 sont ouvriers, 3 sont artisans ou commerçants. Cité par : Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), ibid., p. 86.

34 In Le Racing, ibid., ADPC.

35 Les différents témoignages recueillis par Pierre Lanfranchi et Alfred Wahl traduisent une situation de grande diversité, mais les principes de régularité et de structuration des séances sont rarement observés. Jules Bigot souligne cependant que l’entraînement des pros de l’Olympique Lillois consistait en une séance quotidienne de 10 h à 12 h, avec une préparation physique intense.

36 In Le Racing, ibid., ADPC.

37 « Un footballeur doit savoir courir. Je ne veux pas vous parler de la course de fond, mais des sprints et des starts (démarrage de 30 et 50 mètres)... Il faudra pouvoir faire courir la plus grande partie des joueurs sur 400 m, sans qu’ils dépassent les 60’. On a enfin compris l’énorme importance que la culture physique occupait dans l’enseignement du football. C’est par suite des grands efforts exigés par le football qu’il faut pratiquer la culture physique qui rend le corps plus résistant » In Le Racing, ibid., ADPC. Cette scientifisation de l’entraînement est observée dans des clubs comme le RC Paris (séances thématiques, exercices adaptés, causerie de l’entraîneur et croquis au tableau noir) et au FC Sochaux (bains et massages le lundi, longue promenade le vendredi). Cité par : Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), ibid., p. 90.

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