Les chemins du professionnalisme
p. 177-220
Texte intégral
1. Le temps du « racolage »
1La période allant de 1929 à 1932 (date de la légalisation d’un professionnalisme largement répandu sous des formes diverses au sein des grands clubs français) constitue, selon l’expression d’Alfred Wahl, le grand tournant du football français1. L’augmentation régulière des effectifs et du nombre des clubs affiliés, les tentatives d’organisation d’une compétition « nationale », le succès de la Coupe de France, la multiplication des championnats au sein de Ligues désormais souveraines sur leur territoire, l’internationalisation des pratiques provoquent et accompagnent la démocratisation et la popularisation d’un football association, qui devient la pratique sportive la plus répandue sur le territoire (32 licenciés pour 1000 clubs en 1920, 144 766 répartis dans 3592 clubs dix années après).
2Encore faudrait-il pouvoir mesurer ces considérations générales à l’aune des réalités régionales. Alfred Wahl a ainsi mis en évidence un phénomène d’érosion au niveau des Ligues, qui voient les affluences se tasser. Le décalage entre des compétitions régionales à la « recherche d’un second souffle » et le succès grandissant de la Coupe de France (qui ne peut demeurer en l’état la seule compétition nationale), tend à s’accroître. La situation du football nordiste est quelque peu différente, dans la mesure où la période 1922/29 correspond à la fois à une augmentation du nombre de clubs et de licenciés, et à une progression sensible des affluences lors des matches, tous niveaux de compétition confondus. Les analyses des comptes rendus de quelques matches ont cependant montré le décalage entre les rencontres des championnats régionaux (qui dépassent très rarement le millier de spectateurs) et les matches de Coupe de France, qui sont souvent l’occasion de déplacements en nombre de supporters. Les rencontres se déroulent désormais sur terrain neutre homologué, situé lorsque cela est possible à égale distance des deux clubs en compétition, afin de ne pas rendre prohibitifs les déplacements des équipes et des supporters. Le calendrier et les impératifs de la coupe incitent finalement les supporters à se regrouper en clubs, sections ou associations (dès 1926 pour le Racing-Club de Lens et le Stade Béthunois, en 1929 pour FUS Tourcoing)2. Pour la Ligue du Nord, cette montée en puissance du football association est à l’origine de son basculement sociologique, qui maintient et renforce la bourgeoisie aux commandes des clubs, introduit dans les équipes premières des joueurs d’extraction plus modeste, et popularise de manière sensible la fréquentation des stades. Ce dernier phénomène favorisant l’enracinement d’un supportérisme de territoires qui accentue les rivalités entre clubs et met en évidence une opposition farouche de type clanique entre terriens, maritimes et miniers : ces deux derniers groupes n’hésitant pas à s’unir contre l’adversaire commun « du Nord », notamment à l’occasion de la Coupe de France, lorsque le dernier représentant du Pas-de-Calais doit affronter un club terrien. On rencontre pareil phénomène de « solidarités retrouvées et de liens renoués » lorsque le dernier club de la Ligue du Nord doit affronter un club d’une ligue voisine.
3Le succès du football, qu’une analyse minutieuse de la fréquentation des stades au regard de la population totale des cités permettrait de mesurer avec précision, fait prendre conscience aux joueurs de leur caractère incontournable, notamment pour les dirigeants des clubs. A défaut d’être pour le moment réellement privilégiés, ils contribuent désormais de manière explicite à la renommée de clubs, dont les budgets s’étoffent, précisément à mesure de l’augmentation des enjeux sportifs. Il n’est donc pas étonnant que la décennie 1920/1930 voit se développer puis se pérenniser de nouvelles formes de recrutement, telle celle du racolage, dont les mécanismes ont été déjà décrits par Alfred Wahl et Pierre Lanfranchi3.
4Dans le département du Pas-de-Calais, la première trace de racolage dénoncée dans la presse ou bulletins sportifs date de 1922. Elle ne concerne d’ailleurs pas directement le football, mais le cyclisme, sport à la fois plus populaire et ayant plus précocement succombé aux sirènes du professionnalisme, pour de multiples raisons4. Le bulletin du Racing-Club Etaplois dénonce ainsi dès mars 1922, les méfaits du débauchage pratiqué par les sociétés sportives d’envergure, au détriment des petits clubs :
Pourquoi, parce que de toutes parts, nous voyons déjà des marchandages pernicieux, des scènes regrettables qui sont nuisibles à la pratique correcte des exercices physiques. On devrait s’efforcer de garder aux réunions sportives toute leur beauté. [...]
Pourquoi nous, petits clubs, n’arriverons-nous jamais à présenter un as qui nous ramènera un trophée à grand fracas ?
1. parce que l’as qui gagne ce grand trophée n’est jamais sorti en l’espace d’une nuit.
2. parce que, il a auparavant disputé quelques épreuves intermédiaires où il s’est classé, améliorant son classement chaque fois et que le jour où il a gagné, il est sollicité par les sangsues du sport, à coups de billets, pour changer de société.
Moralité : l’on n’est réellement sportif que dans les petits clubs où l’état financier ne permet pas ces fantaisies de racolage5.
5Cette dénonciation du racolage et la volonté de préserver les pratiques sportives de toute intrusion d’un argent forcément corrupteur illustrent les débats qui divisent les principaux dirigeants de fédérations sportives accédant progressivement à l’autonomie. Au niveau des petits clubs et sociétés sportives, le débauchage de joueurs de talent ou de coureurs cyclistes est considéré comme contraire aux vertus du sport moderne, forcément amateur et désintéressé, devant être en l’occurrence uniquement promoteur de valeurs d’inspiration coubertinienne. Cette résistance des clubs sportifs d’envergure locale, leur farouche opposition à toute forme de professionnalisation des pratiques peut s’expliquer par l’origine de leur constitution et la composition des conseils d’administration et comités directeurs : dans le département du Pas-de-Calais, les sociétés sportives et les clubs de football identifiés ont été en majorité fondés par la petite et moyenne bourgeoisie locale. Cette dernière ne peut envisager, pour des raisons essentiellement culturelles, une quelconque forme de rémunération des joueurs composant les équipes premières. L’attitude des dirigeants de clubs plus ambitieux et mieux placés dans la hiérarchie sportive régionale est beaucoup plus ambiguë, à l’image d’Henri Jooris, (président de l’Olympique Lillois et de la Ligue) dont les prises de position en faveur de pratiques professionnalisées sont connues6.
6La lutte contre l’amateurisme puis le professionnalisme marron est au cœur des deux conceptions diamétralement opposées qui divisent les dirigeants du football français au lendemain de la première guerre mondiale. Cette querelle des Anciens et des Modernes (pour reprendre la formule de Gabriel Hanot) oppose le camp des « traditionalistes » et des « conservateurs », emmenés par le Président de la Ligue de Paris Frantz Reichel, à celui des « modernistes ». Les premiers voient dans l’introduction du professionnalisme une réelle menace, qui pourrait enlever au football son caractère noble, élevé et généreux et contribuer ainsi à son avilissement. L’autre camp, plus progressiste et résolument tourné vers l’avenir, milite en faveur d’une rapide démocratisation du football français, qui doit naturellement évoluer et perdre son caractère distinctif, élitiste et bourgeois. Pour les partisans du journaliste sportif Gabriel Hanot, le passage au professionnalisme offrirait ainsi à des joueurs d’origine modeste la possibilité de vivre décemment de leur pratique sportive, et contribuerait par ailleurs à l’amélioration du jeu sur le plan technique. Sur le territoire de la Ligue du Nord, on aura effectivement constaté l’apport décisif de joueurs ou d’entraîneurs de nationalité ou d’origine étrangère dans la modification du style de jeu d’équipes régionales comme l’Olympique Lillois, l’USB ou le Racing-Club de Calais.
7Le refus de la logique de démocratisation de la discipline, qui ménerait tout droit au professionnalisme, risquerait de mettre entre parenthèses les dimensions morales et éducatives de la pratique, en plaçant le football dans la sphère de l’économique. Ultime survivance de fondements coubertiniens déjà dépassés dans d’autres disciplines, ce combat d’arrière-garde dénonce pêle-mêle l’attitude de joueurs obnubilés par des gains supposés faramineux, et celle de dirigeants pratiquant sans vergogne le racolage. La vision d’un possible tremplin social par le football, offrant des perspectives de carrière dans l’encadrement bureaucratique des clubs, serait qui plus est cautionnée par la complaisance des journalistes sportifs, assurant dans leurs papiers la promotion des futures « étoiles ». Ce constat sans concession correspond finalement à la représentation bourgeoise de l’organisation sociale, qui voit dans le travail la seule et unique forme de réalisation et promotion des individus, qui ne peut accepter que des pratiques ludiques ou sportives soient étalonnées par l’argent. Attitude paradoxale de dirigeants qui, promoteurs d’un modèle libéral ayant assuré au XIXe le triomphe de la bourgeoisie, en récusent au seuil des années vingt la transposition dans le domaine du sport en général et du football en particulier, refusant de voir se développer des catégories telles que celles du dirigeant-patron et du joueur-salarié.
8L’article 11 des statuts de la FFFA en 1919 prévoyait la possibilité de vérifier la qualité d’amateur des joueurs, avec remise de documents appropriés si nécessaire. La proposition de Frantz Reichel, visant à interdire aux joueurs mutés de jouer en équipe première l’année suivant leur mutation (moyen détourné de ralentir le racolage en « gelant » ses effets immédiats pour le club recruteur) fit l’objet de nombreuses discussions au sein d’un Comité National qui jugera plus prudent de ne pas bouleverser un règlement dont les insuffisances étaient pourtant visibles7.
9Présidée par Henri Jooris, la Ligue du Nord aborde pour la première fois la question du racolage lors de sa réunion de bureau du 6 mai 1922, à la demande du Stade Roubaisien et de l’AS Tourcoing :
Les mesures restrictives prises en Belgique ont au demeurant servi la cause du football association et empêchent les transferts vraiment trop répétés de certains joueurs.
Nous ne voulons établir le procès de personne. Les dirigeants de clubs, aux prises avec de multiples difficultés dans leur région, au sein même de leurs comités, ont parfois subi plus qu’ils n’ont accepté les tentatives de débauchage ou de racolage de propagandistes trop zélés. Les clubs d’ailleurs, qui croient utile à l’heure actuelle de rechercher des éléments étrangers à leurs clubs, s’apercevront au bout de quelque temps que cette réforme leur aura permis de trouver dans leurs différentes équipes inférieures, des footballeurs de classe8.
10Extrait qui met en évidence des contradictions qui animent les dirigeants de la Ligue du Nord, dont nous avons déjà pu observer que le premier d’entre eux pratiquait au sein de son club le racolage et le recrutement de joueurs étrangers, contre rémunération ou indemnités diverses. Si le conseil de la Ligue est saisi dès 1922, on peut supposer que de telles pratiques existaient auparavant, mais qu’elles n’étaient pas condamnables, au regard de leur caractère confidentiel. Elles ne sont d’ailleurs pas explicitement condamnées par un conseil qui invoque une exception française (réaffirmation du principe de liberté individuelle, qui s’oppose à une réglementation excessive et contraignante), afin de proposer un ensemble de solutions intermédiaires : création d’une commission mixte au sein du Bureau National, qui examinerait au cas par cas les situations individuelles des joueurs, assouplissement souhaité de la solution belge, au nom d’un « tempérament national » qui finalement supporte peu tout type de contraintes, incitation à la promotion interne au sein des clubs, afin de détecter dans les équipes inférieures et de jeunes de futurs talents, ce qui rendrait vain le racolage...9
11Cette volonté « de ne rien décider », ou en tout cas de ne pas prendre de mesures définitives ou irrévocables, n’est pas uniquement liée à la personnalité et l’aura du Président Jooris. La situation géographique de la Ligue (la Belgique est à moins de 50 kms des grands clubs de Lille, Roubaix Tourcoing et d’un nombre conséquent de clubs du district terrien) expose les clubs aux intrusions étrangères. La libre circulation des personnes est une réalité observée pour notre région, accentuée par la révolution industrielle. Encouragée pour des raisons économiques, concrétisée par le phénomène des travailleurs frontaliers, il aurait été dès lors difficile d’interdire par la contrainte cette circulation de joueurs de part et d’autre d’une frontière culturellement perméable. La composition de l’équipe de l’Olympique Lillois dans les années vingt atteste d’ailleurs de cette coloration internationale. Elle comprend en effet de nombreux joueurs d’origine ou de nationalité étrangère.
12Il n’est donc pas étonnant que les règles de la Fédération belge n’aient pas été adoptées par la Ligue du Nord, dans la mesure où les pratiques d’un racolage déjà répandu semblent difficilement contrôlables a posteriori. Leur mise en application viendrait stopper le mouvement de croissance du football nordiste (l’afflux de joueurs étrangers dans les grands clubs régionaux améliore la qualité du jeu). La ligue du Nord encourage donc prudemment (ou de manière tout à fait hypocrite) la création d’une commission de contrôle des transferts au niveau national, d’ailleurs mise en place le 22 juillet 1922 par la FFFA, avant que ne soit créée la Commission Centrale de Contrôle de l’Amateurisme.
13Il faut attendre février 1923 pour que la FFFA se décide à esquisser une définition de l’amateurisme, qui prévoit de pénaliser les joueurs pris en flagrant délit de professionnalisme. En octobre, la commission du statut du joueur fait adopter le principe du remboursement des frais et du manque à gagner pour les joueurs à l’occasion de leurs déplacements, entérinant ainsi les pratiques des clubs et maintenant un statu quo favorable au développement du professionnalisme marron :
L’amateur du jeu de football est celui qui, sans esprit de lucre, ne recherche dans la pratique de ce sport que l’amélioration ou la consécration de sa condition physique. En conséquence, celui qui, à l’occasion du jeu de football, reçoit habituellement ou occasionnellement des dons en espèces ou en nature, des bénéfices ou émoluments, en un mot un gain quelconque, à quelque titre que ce soit, commet une infraction au statut de l’amateurisme. Toute infraction sera pénalisée par le retrait de sa licence d’amateur à temps ou à vie. La tentative est punissable au même titre que l’infraction elle-même. [...]
14Cette ébauche de normalisation des pratiques, qui vise cependant plus les joueurs que des dirigeants de clubs pourtant tout aussi responsables, est renforcée par l’introduction la même année de la licence « A », attribuée aux joueurs licenciés dans un club depuis au moins un an. C’est la possession de cette licence qui conditionne l’engagement au sein des équipes premières des clubs, obligeant de fait les joueurs mutés à demeurer pendant au moins une année dans les équipes réserves ou de division inférieure. Les protestations de joueurs, les réticences des dirigeants des grands clubs et la complexité des situations individuelles vont rapidement remettre en cause la stricte application des modalités de l’article 7 du projet. Pour la saison 1924/25, la licence « A » sera ainsi attribuée à des joueurs pourtant mutés, après examen des dossiers par la Commission Centrale des Statuts et Règlements.
15La presse sportive régionale n’est pourtant pas tendre avec la FFFA, dont les décisions en demi-teinte sont considérées comme un encouragement implicite au développement du racolage et donc du professionnalisme. Il faut rappeler que la plupart des dirigeants des clubs de la région voient effectivement dans la pratique du football une amélioration et conservation de la condition physique et morale, pour reprendre le texte de 1923. Cette vision hébertiste d’un sport aux finalités régénératrices peut s’expliquer par la situation des deux départements, particulièrement sinistrés sur le plan physiologique au lendemain de la guerre. Il est donc difficile d’envisager chez les dirigeants une conception rémunératrice de la pratique, pourtant implicitement admise et cautionnée au travers des positions peu tranchées du bureau de la Ligue sur ces questions.
16Cette représentation des pratiques sportives et de l’éducation physique s’inscrit bien évidemment dans un courant hygiéniste et médicalisé, dont la présence dans notre région n’est guère surprenante. Les vertus thérapeutiques du football, considéré ici comme « sport idéal », expliquent sans doute les résistances de la majorité des clubs et des dirigeants, qui éprouvent des difficultés culturelles à admettre que sa pratique puisse aussi s’inscrire dans une perspective économique. On a effectivement pu observer que les pratiques sportives permettaient de cultiver voire d’exacerber, à l’occasion de manifestations commémoratives, un « sentiment national » et une forme de patriotisme sportif particulièrement développés dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Considéré comme moyen de « redressement » et de revitalisation d’une jeunesse sinistrée et anémiée, envisagé comme un complément ludique indispensable au bien-être de l’ouvrier, le football ne peut être envisagé comme une possible activité salariée, ce qui viendrait à nier ses vertus régénératrices. Il est tout à fait intéressant de remarquer ici le décalage entre des représentations populaires de la pratique et les considérations plus pragmatiques des instances de la Ligue (qui envisagent les décisions prises comme transitoires et ne remettent pas en cause l’avènement du professionnalisme).
Laissons opérer les dirigeants de la Fédération. Ils ont manifesté d’excellentes velléités pour combattre le racolage. Nous ne tarderons donc pas à nous rendre compte si la FFFA a le désir de se séparer des tartufes et des hypocrites qui l’entraîneraient vers la décadence ou si elle s’est moquée de ceux qui se refusent à être les mercantis du football. »10
17Il semble donc que les dirigeants des petits clubs de la ligue n’aient qu’une confiance limitée dans les effets des décisions de la FFFA, jugées de toute façon insuffisantes. Si le racolage persiste et ne peut être enrayé, il s’effectue principalement au détriment de ces petits clubs, qui voient à chaque fin de saison leurs équipes premières se délester de ses meilleurs éléments, attirés par des clubs évoluant en division supérieure et par des avantages sans doute plus substantiels. Cette forme de « foot drain » (pour reprendre l’expression de Pascal Boniface, appliquée à des pratiques contemporaines) contribue à structurer un marché des transferts, dont les mouvements vont être observés par les journaux de l’époque11.
18La fin de la saison 1924 permet à la presse d’identifier quelques mouvements de joueurs de renom, entre clubs reconnus (à l’image des arrivées observées pour le Racing-Club de Lens). Ce sont dans leur majorité des mouvements « intra-Ligue », qui ne font hélas pas mention des transferts réalisés entre les clubs d’envergure plus modeste. Une hiérarchisation des transferts sur un mode ascendant semble donc s’opérer, qui correspond à la verticalité renforcée des compétitions. Le départ de joueurs de la Ligue vers d’autres clubs français (notamment le prestigieux FC Cette) souligne également la qualité du football nordiste et des clubs qui en constituent l’élite, ces derniers n’hésitant pas non plus à renforcer leur effectif (l’Olympique Lillois fait ainsi venir deux joueurs du RC Strasbourg).
19Les clubs miniers ne font pas exception à la règle et pratiquent également entre eux un débauchage facilité par la densité urbaine et la proximité géographique. Le renforcement des équipes à l’intersaison peut expliquer leur succès lors du premier tour de la Coupe de France, pour l’édition 1924. Si le débauchage des grands clubs est vertement dénoncé par les dirigeants de clubs modestes, il semble qu’ils le pratiquent également, à une échelle plus réduite et sur des aires géographiques plus limitées. Ce qui renforce visiblement la qualité technique du football minier et le place en situation concurrentielle, vis-à-vis des clubs de l’agglomération lilloise, même s’il ne s’agit en l’occurrence que des tours préliminaires. La multiplication des transferts au sein des clubs est donc un facteur d’amélioration du jeu, mais participe de cette inexorable extinction de l’amateurisme pur :
Je me souviens d’un temps où toutes les équipes réserves de DH venaient facilement à bout de ces onze énergiques, mais peu redoutables. Cette époque est passée et les quelques saisons dernières confirment pleinement les appréhensions que nous pouvons avoir vis-à-vis des « mineurs ». Certes, on peut d’ores et déjà assurer que le pur amateurisme ne sévit pas en maître incontesté dans le pays du charbon. Les occasions y sont très belles et le terrain est très propice à la plantation du marronnier de l’amateurisme et à son heureux développement. Il est cependant souhaitable que le sécateur fédéral vienne un jour y mettre le nez et y fasse quelques incisions bienfaitrices12
20Réclamée par une presse sportive qui entretient le culte d’un football association strictement amateur, l’intervention du « sécateur fédéral » (on appréciera la métaphore horticole) ne risque guère de provoquer des incisions qui viendraient contrarier le développement du professionnalisme marron. Le 18 avril 1925, la licence « A » est en effet automatiquement accordée au joueur muté, à condition toutefois que le club quitté donne son accord. L’introduction de cette nouvelle règle aura pour effet de marginaliser davantage les joueurs eux-mêmes dans les opérations de mutation : les transactions se déroulant désormais au niveau des dirigeants, sur la base de compensations financières accordées par le club d’accueil au club quitté.
21La légalisation de ces tractations a pour effet d’institutionnaliser en fin de saison « des foires au footballeur », permettant aux dirigeants de faire leur marché, afin de renforcer leurs équipes premières en fonction des impératifs techniques et tactiques imposés par les entraîneurs. L’élite régionale se plie facilement aux nouvelles règles d’une période des transferts en cours de structuration : elle se place en fin de saison et les matches amicaux qui suivent permettent aux entraîneurs de tester leurs nouvelles recrues, au cours d’une intersaison qui vient compléter un calendrier sportif déjà chargé. En revanche, la pratique du racolage par les petits clubs suscite encore oppositions et résistances de la part du public et des supporters, qui voient dans ces pratiques de nouvelles formes de perversion modifiant des principes jusque là considérés comme intangibles. Au nombre de ces petits, l’Union Sportive du Touquet Paris Plage, société omnisports créée avant-guerre (comprenant une section football, athlétisme, cyclisme et tir), évoluant en championnat de Promotion du district maritime, où l’utilisation de mercenaires, qui gangrènent les rencontres, est violemment dénoncée :
Nous ne comprenons pas la tactique du comité de l’USTPP et nous craignons qu’elle ne compromette l’avenir du recrutement des joueurs. Le nombre de joueurs étrangers à notre ville et représentant notre société augmente de saison en saison, de dimanche en dimanche. Dimanche, il y avait parmi les locaux 4 équipiers de Boulogne.
La composition des équipes sportives aux enchères est un système déplorable. Elle incite les joueurs à escompter des avantages matériels, elle discrédite la société aux yeux des sociétés voisines, elle décourage les jeunes joueurs dont l’espoir d’une promotion en équipe supérieure est le meilleur stimulant. Elle diminue l’intérêt que prennent les spectateurs à voir jouer leur équipe... cosmopolite.
Il y a là un réel danger pour l’avenir de notre union sportive. Nous pensons que notre Société ne doit pas être un imprésario de matches, mais un centre d’éducation sportive pour nos jeunes gens du Touquet Paris Plage13.
22Il y a donc tout lieu de penser que le débauchage de joueurs originaires d’équipes plus expérimentées ne constitue pas une exception, qui serait ici vilipendée. Le recours ponctuel à des mercenaires issus d’autres clubs à l’occasion de rencontres amicales (les deux clubs évoluant dans des districts différents) illustre cette plus grande perméabilité des clubs, et mobilité des joueurs au sein des districts. Elle peut finalement expliquer la facile propagation du racolage au sein de la Ligue, dans la mesure où les petits clubs eux-mêmes avaient recours à un débauchage ponctuel, à l’occasion de ces « rencontres amicales de prestige », qu’il convenait de ne pas perdre. Le sentiment identitaire est également mis en exergue par les partisans de l’USTPP qui ne supportent pas que leur équipe puisse être étoffée par des « non autochtones », qui plus est issus de clubs plus prestigieux (en l’occurrence l’USB), ayant visiblement monnayé leur participation à la rencontre.
23Ces différents documents donnent le sentiment d’une sorte de schizophrénie sportive qui parcourt le territoire de la Ligue. Elle oppose les idéalistes (partisans du strict amateurisme, ils ne conçoivent le football que comme un instrument d’éducation de la jeunesse) et les pragmatiques (qui accompagnent et encouragent des évolutions inéluctables du football association). La lettre ouverte aux dirigeants de l’USTPP publiée par l’Eclair du Touquet Paris Plage le 14 novembre 1926 reflète fidèlement les principales contradictions du football nordiste : des finalités « éducatives » et « distinctives » réaffirmées, le développement d’un fort sentiment identitaire et affinitaire de plus en plus prononcé, l’affinement des styles de jeu, le glissement progressif du football association vers des formes plus « modernes » de pratiques et d’organisation, notamment le racolage et le débauchage des joueurs.
Débarrasser notre club des racolés, reprendre notre place de club honnête, recréer l’esprit du club, redonner confiance aux jeunes, donner à nous tous l’impression que les gros sacrifices ne sont pas vains. Voilà notre belle tâche. [...]14
24Dans ce cas précis, l’introduction de mercenaires provenant des clubs boulonnais semble avoir altéré l’esprit et la qualité du jeu de l’USTPP. Il convient pourtant de relativiser ces interprétations au regard des résultats et classements des différentes équipes du club dans les championnats régionaux pour les saisons 1925/29. Il faut observer que le phénomène d’émulation sportive, conséquence de la verticalisation des pratiques sur le mode compétitif, justifie également les pratiques de racolage. La multiplication des rencontres et l’augmentation des trajets imposés par les compétitions ont pu amener les dirigeants à s’attacher les services de joueurs désormais attachés aux clubs. Ils rendent ainsi moins aléatoire la constitution des équipes premières, limitent les risques de forfait, et développent un sentiment d’émulation, notamment chez de jeunes joueurs aspirant à jouer en équipe première, et qui vont désormais faire l’objet d’une attention toute particulière.
25La Ligue du Nord impose d’ailleurs aux clubs de Division d’Honneur, pour la saison 1925/26, d’engager une équipe junior dans le championnat et la coupe des Juniors, créée en janvier 1926. La commission des Juniors se voit allouer une subvention afin de dédommager les clubs ayant les plus grands frais de déplacement, même si les matches se déroulent en même temps que l’équipe 1B.
26Disputant le championnat de promotion maritime « groupe Nord » lors de la saison 1925/26 et 1926/27, l’USTPP adopte les pratiques des clubs rivaux en multipliant les matches amicaux lors de l’intersaison et en participant à un challenge local.
27La hiérarchisation grandissante des championnats au niveau des districts, manifeste au milieu des années vingt pour la Ligue du Nord, marque définitivement la fin de la deuxième époque du football nordiste, après le temps des pionniers. Les clubs se multiplient et inscrivent leurs pratiques dans des compétitions régies par une Ligue qui a su imposer son organisation et autorité administratives, gages de sa souveraineté.
2. La professionnalisation progressive du football minier
28La décision du Conseil National de la FFFA du 18 avril 1925 d’accorder automatiquement la Licence « A » à tout joueur muté (à condition que le club quitté donne son accord) souligne la situation d’hypocrisie relative dans laquelle se trouvait le football français hésitant à légaliser des situations pourtant connues (recrutement de joueurs moyennant avantages financières, longueur des déplacements des équipes qui introduisent des pratiques compensatoires, etc.).
29La distinction introduite par ce même conseil entre l’amateur olympique, dépositaire d’un « amateurisme intégral » et l’amateur non olympique aboutit à la légalisation du principe de compensation salariale qui il aura pour effet de porter un coup fatal à l’amateurisme. Il est en effet possible pour cette seconde catégorie d’accepter le patronage d’un club pour consolider sa position dans sa profession et le remboursement des salaires perdus à l’occasion de la pratique du football. Si les principes du salariat et des primes de transfert ne sont toujours pas reconnus par la FFFA, la prise en compte de la notion de manque à gagner manifeste cependant une nette inflexion vers la reconnaissance d’un futur statut professionnel. La pratique du football ne peut être pénalisante pour ses acteurs sur le plan financier au moment où le conseil national décide, le 23 janvier 1926, de maintenir la formule de la Coupe de France et d’expérimenter une nouvelle formule de compétition, première configuration d’un Championnat de France « amateur »15.
30De 1926 à 1929, trois groupes réunissent les meilleurs clubs des 15 ligues régionales, répartis selon un principe complexe qui prend en compte le nombre de clubs qualifiés par chaque Ligue lors des 1/32e de finale de l’édition précédente de la Coupe de France. Si ce Championnat de France expérimental et plutôt décalé par rapport au football réel ne comporte que des matches allers, il repose sur un principe d’alternance, chacun des clubs jouant à domicile puis se déplaçant à l’extérieur. Cette formule, peu attractive et peu concurrentielle face à des compétitions régionales bien structurées et aux challenges de l’intersaison qui garantissent une affluence régulière, ne séduit guère les grands clubs français. Elle disparaîtra à la fin de la saison 1929, non sans laisser un curieux palmarès où quelques grands clubs de l’hexagone cohabitent avec des équipes inconnues...
31A l’exception de l’Amiens AC, les clubs de la Ligue du Nord « boudent » cette compétition : sa confidentialité, sa place dans le calendrier sportif (elle se déroule en effet à l’intersaison), les longs déplacements occasionnés par la formule « match à domicile/match à l’extérieur », la constitution des groupes ne prenant pas vraiment en compte les critères géographiques, sont les principales raisons de ce rejet.
32On comprend dès lors que les championnats de ligue, mieux structurés, disputés entre clubs identifiés selon un calendrier plus équilibré, soient plébiscités par les clubs du Nord et du Pas-de-Calais. La première configuration du championnat Honneur, mettant aux prises les clubs de l’élite régionale, distinguait deux groupes, dont la dénomination (« terrien » pour le groupe A et « maritime » pour le groupe B) ne correspondait aucunement à l’implantation géographique des clubs, mais bien à une hiérarchie sportive constatée.
33La saison 1926/27 permet au Racing-Club de Lens d’accéder à l’élite régionale, après l’obtention du titre de champion d’Artois. La Division d’Honneur est alors constituée de trois groupes et tient mieux compte des paramètres géographiques et sportifs : le groupe A réunit les clubs de l’élite, et les deux groupes qui suivent reprennent en fait les clubs de promotion « Terrien-Escaut » et « Artois-Maritime-Picardie ». Les vainqueurs des deux groupes B et C, suivant le principe désormais reconnu de « montée/relégation », accèdent en fin de saison au groupe A.
34L’organisation des compétitions fait de la Division d’Honneur, et notamment de son groupe « A », l’élite du football nordiste. Les principaux clubs des groupes B et C ont désormais pour ambition d’accéder à ce niveau de compétition, ils adoptent des stratégies en conséquence, notamment en terme de recrutement. Encore convient-il d’observer l’extrême hétérogénéité des deux groupes de Division d’Honneur : ils comptent des clubs aux ambitions sportives déjà soulignées et aux palmarès en cours de constitution (Racing-Club de Lens, RC-Arras, CS Calais, Stade Béthunois, etc.), et des clubs de dimension beaucoup plus modeste (JS Desvres, SC Lourches, etc.), dont on peut craindre qu’ils ne jouent au sein des groupes qu’un rôle de faire-valoir. Il devient dès lors légitime de parler d’un football à plusieurs vitesses sur le plan des compétitions régies par la Ligue. D’abord une Division d’Honneur composée de clubs disposant d’un effectif étoffé, produit de procédures de recrutement élaborées, disposant d’infrastructures adaptées et d’un public de supporters assidus. Autant de paramètres internes dont on a vu qu’ils contribuaient au développement progressif de l’identité du club. C’est à l’intérieur de ce premier cercle que l’on retrouvera non seulement les clubs touchés par l’amateurisme marron, mais également ceux qui seront candidats au statut professionnel et s’engageront dans les championnats de France de Première et Seconde Division à partir de 1932.
35Les autres clubs de Division d’Honneur B et C et ceux de Promotion constituent le deuxième cercle du football nordiste. Disposant de moyens plus limités, (ce qui conditionne leur recrutement et leurs ambitions sportives), ils constituent cependant des sociétés sportives structurées, parfois omnisports, et ont une fonction essentielle dans le développement du football nordiste, en raison de leur situation d’interface originale : ces clubs représentent pour l’élite un vivier qui autorise le recrutement de jeunes joueurs, attirés par la perspective de compétitions de haut niveau et par des avantages matériels sur lesquels les sources disponibles demeurent hélas plus que discrètes. Pour la saison 1926/27, l’effectif du Racing Club de Lens est renforcé par ce recrutement périphérique caractéristique : Gustave Van de Valle (Française de Pont à Vendin) et Van Tielke (instituteur évoluant à l’AS Saint Martin d’Hénin Liétard).
36Le dernier cercle est constitué par les clubs des division inférieures (évoluant en première et seconde divisions de districts), que seuls les tableaux de classement des championnats publiés par la presse sportive locale nous permettent d’identifier. L’organisation des compétitions de district, selon le principe de poules ou de groupes composés des équipes premières et des équipes-réserves, ne contribue pas à un développement autonome de ce football local, que l’on pourrait parfois qualifier de football au village16. Les clubs disputent souvent des rencontres face aux équipes réserve des clubs du second cercle, ce qui sur le plan technique ne favorise pas toujours l’émulation et l’amélioration du jeu. Seules exceptions : l’équipe première de PUS du Touquet Paris Plage, qui dispute à la fin de la saison 1928 la Poule d’accession au groupe B de Division Honneur (en compagnie du Tréport, de Billy-Montigny, qui seront qualifiés, de Merville et Corbie), ou quelques parcours surprenants lors des tours préliminaires « intra Ligues » de la Coupe de France. En définitive, en dépit d’un palmarès forcément modeste, ces petits clubs constituent le véritable socle du football nordiste, en assurant son implantation au niveau local, notamment dans les zones rurales.
37Il faudra attendre les années quatre-vingts pour que les services de la Ligue du Nord, à l’initiative de son secrétaire Général Emile Olivier, tiennent une comptabilité stricte des clubs et des effectifs, autorisant ainsi une stricte approche quantitative des évolutions. Le tableau ci-dessous permet cependant, à partir des chiffres disponibles et du nombre de clubs identifiés, de mesurer la part respective des trois composantes du football nordiste :
38Ayant intégré le premier cercle du football nordiste, le Racing-Club de Lens entame la saison 1926/27 avec une équipe première renforcée et rajeunie : les arrivées de G. Vandevalle (« meilleur joueur de la Française de Vendin ») et Van Tielke, en provenance de clubs miniers voisins, viennent compléter la « promotion interne » des jeunes joueurs du Racing (Dubreu, Gallay, Lagorge, Berquin, Baert). La fréquence des compétitions, le rythme des rencontres et les déplacements imposés sont sans doute à l’origine de ce lifting de l’équipe première, et de la mise sur la touche progressive des anciens : Irénée Leroy, blessé à la fin de la saison précédente, C. Cuvelier, retenu par ses obligations professionnelles et Séverin Leleu « atteint par la limite d’âge » [...], ne sont plus des titulaires « incontestés » de l’équipe A. Signe que le recrutement, et la constitution de l’équipe fanion du RCL obéissent à des impératifs de rentabilité sportive.
39Le Comité Directeur du Racing, en partie renouvelé, vise avant tout le maintien du club en Division d’Honneur : la saison sportive et le calendrier s’organisent autour du championnat, de la Coupe de France et de rencontres amicales préparatoires désormais intégrés au calendrier sportif.
40Il s’agit pour le Racing d’une saison de transition : des résultats plutôt en demi-teinte, le nombre de victoires devant être nuancé, dans la mesure où sont comptabilisés de nombreux matches amicaux disputés contre des équipes de rang inférieur. Par ailleurs, des dissensions semblent apparaître entre les joueurs composant l’équipe A du Racing. L’Album du Cinquantenaire du Racing signale en effet la naissance d’une équipe dite « des Réformés », formée exclusivement d’anciens et de pionniers du Racing, qui vont disputer pendant cette saison 1926/27 un certain nombre de matches amicaux. Le nom de l’équipe (l’emploi du terme « réformé » laisse supposer que ces footballeurs trentenaires ne sont « plus bons à rien »...) et sa composition, sa non-participation aux rencontres officielles et l’absence de toute affiliation à la LNFA laissent supposer qu’elle s’inscrit dans une logique de type « protestataire » : les anciens du Racing supportent mal leur marginalisation progressive au sein de l’équipe A, et contestent l’importance des arrivées de joueurs extérieurs au club. L’existence de cette « équipe fantôme » est révélatrice de cette phase transitionnelle, qui aura sans doute également affecté d’autres clubs de la Ligue. Elle marque pour les plus ambitieux d’entre eux la transition nécessaire vers des structures et des fonctionnements plus professionnels17.
41Le classement final de la Division d’Honneur C permet à Lens de se maintenir dans ce qui s’appellera dès la saison 1927/28 le Championnat de Promotion Honneur Artois-Maritime-Picardie. Ce changement de terminologie renforce la césure entre les clubs de l’élite, disputant le championnat de Division d’Honneur et ceux qui espèrent y accéder.
42Un bilan de la saison fait du Racing un « champion des rencontres amicales », pour la saison 1926/27 : sur les 15 victoires du club, 2/3 l’ont été à l’occasion de matches préparatoires ou d’entretien, tandis que plus de la moitié des rencontres officielles (55 %) se soldent par une défaite, mais l’ensemble permet toutefois au club d’échapper à la relégation. A travers ce rapide constat, l’écart entre les compétitions de district et la Division d’Honneur est plus que perceptible. Il faut là encore supposer, faute de documents de première main, que cette première saison parmi l’élite, avec un effectif remanié et rajeuni, aura été plutôt difficile pour le club et son Comité. Il aura occasionné des tensions internes, qui apparaîtront lors de l’intersaison.
43La volonté constatée de rajeunissement de l’équipe première est la conséquence de la meilleure organisation des championnats juniors organisés sur le territoire de la ligue. Au lendemain de la guerre, les équipes juniors des clubs disputaient essentiellement des rencontres amicales et constituaient les équipes B, C et suivantes des principaux clubs recensés. A compter de la saison 1923/24, la Ligue organise sur son territoire un premier championnat officiel, destiné aux clubs du district terrien, avant que la formule ne soit étendue aux autres districts. La mise en place de cette compétition, la première sur le territoire national, participe de la structuration d’un football dont l’audience auprès de la jeunesse semble justifier l’organisation de compétitions spécifiques. Les adolescents passent ainsi de pratiques spontanées à des pratiques institutionnalisées. Les championnats juniors deviennent les antichambres des rencontres seniors et accentuent le caractère populaire de la discipline.
44Ainsi, le club de l’US Liévin organise en 1926 pour les équipes juniors de la région un Challenge, remporté par le RCL. Il convient cependant de relativiser cette victoire, car la formule de la Coupe de l’US Liévin consiste simplement à affronter le club recevant et non pas la totalité des équipes engagées. Ecrasant l’US Liévin sur le score sans appel de 6/0, les Juniors du Racing remportent effectivement le tournoi, en ayant disputé un seul match...
45D’autres challenges organisés par la ville de Lens témoignent de l’engouement que provoque désormais la pratique du football. L’équipe A du Racing participe les 17 et 18 avril 1927 à la fête des Sports, organisé au stade municipal, où elle rencontre les équipes parisiennes du VGA Saint Maur (2/0) et du Stade Français (6/1). Le 5 juin, la « fête du football » met en présence l’US Bruay et l’Excelsior de Tourcoing (1/5), le RCL et l’ASSB Oignies (3/5). Il faudra attendre 1931 pour qu’un championnat « Minimes » soit crée par la Ligue (qui correspond à actuelle catégorie « cadets »), à la suite de la création par la FFFA du concours du jeune footballeur, remporté lors de sa première édition par un jeune joueur de l’Excelsior de Roubaix18.
46C’est à partir de la saison 1927/28 que le processus de municipalisation du club se précise. Alfred Wahl a souligné la participation croissante des municipalités dans le financement des clubs de football au lendemain de la première guerre mondiale, en même temps que l’extrême hétérogénéité des situations. Si le principe de la subvention devient si l’on ose dire, monnaie courante, l’aménagement ou l’amélioration des équipements sportifs (construction de vestiaires, de mains courantes autour du terrain, édification de tribunes, etc.) constitue l’autre volet de partenariats municipaux en voie de développement.
47Les rapports fusionnels aujourd’hui entretenus entre la municipalité et le Racing Club de Lens n’ont rien de commun avec les liens conflictuels qui vont d’abord caractériser les relations entre la mairie de Lens et le comité du club. Le contentieux est d’abord financier : une délibération du conseil municipal du 5 décembre 1925 autorisait le Racing à utiliser le stade municipal de l’avenue Raoul Briquet pour ses rencontres officielles, moyennant une redevance équivalente à 20 % des recettes brutes. Estimé à près de 300 francs en moyenne en 1923 (contre 7000 francs pour la saison 1930/31), le poids de la ponction municipale obligeait le club à multiplier les rencontres amicales sur le terrain de la Glissoire, afin d’augmenter ses recettes de manière substantielle. Le nombre élevé de matches amicaux (14 sur un total de 34 rencontres pour la saison 1926/27) s’explique par les impératifs d’un calendrier sportif qui impose une intersaison active et une reprise anticipée, avant le démarrage du championnat en septembre. Il se justifie également par les contraintes financières qui pèsent sur le club et rendent nécessaire l’utilisation du stade municipal, pourvu d’une tribune19.
48La réduction à 10 % du pourcentage prélevé par la municipalité le 5 février 1927, le vote d’une subvention de 8400 francs le 6 août indiquent cependant une inflexion du pouvoir municipal à l’égard du club, en dépit de la frilosité du maire Emile Basly vis-à-vis du football. Le Racing dispose d’ailleurs gratuitement, à partir de cette date, du stade municipal, mais ne peut l’utiliser pour les rencontres de Coupe de France. Le Racing n’est d’ailleurs pas engagé dans l’édition 1927/28 de la compétition, conséquence sportive de divergences politiques entre dirigeants : les échecs répétés du club dans cette compétition divisent le comité directeur. Certains membres ne voient pas l’utilité de prolonger une expérience qui pèse fortement sur le budget du club (les rencontres se déroulant sur terrain neutre, après les tours préliminaires). La légitimité de la Coupe de France et son intérêt sur le plan sportif sont au même moment l’objet de discussions animées au sein du conseil national de la FFFA. Le refus lensois de participer à une compétition alors contestée reprend la position des inconditionnels de l’amateurisme, réunis dans « le groupe des dix » : qui rassemble les meilleures équipes de la Ligue de Paris et souhaite la suppression d’une compétition, dont les effets produits sont contraires aux valeurs fondatrices du footbal association, et dont l’organisation impose aux clubs de longs et coûteux déplacements. Seules la Ligue du Nord et la Ligue de Paris soutiennent cette proposition, qui dénonce les « fossoyeurs de l’amateurisme ».
49Le procès d’intention fait à la Coupe de France mérite pourtant d’être nuancé : l’analyse des comptes-rendus des rencontres où étaient engagés les clubs nordistes ne met en évidence une modification conséquente des styles de jeu des équipes. Si l’impératif de la victoire autorise parfois le recours à des moyens illicites, il n’est pas certain que les matches de Coupe de France soient les seuls dépositaires de ce principe de « victoire à tout prix ». Les championnats de la Ligue du Nord possèdent également leurs propres enjeux sportifs, mettant en évidence ce phénomène d’émulation réelle entre les équipes, renforcé par la territorialisation des compétitions. L’opposition des dirigeants des clubs parisiens se situe au niveau de cette démocratisation redoutée de la pratique, et du maintien des principes fondateurs. L’équité et l’aléatoire sont désormais érigés au rang de nouvelles valeurs sportives, reléguant à l’arrière-plan les notions élitistes et strictement ludiques des premières formes de pratique. On peut supposer que les raisons du retrait du RCL de la compétition reposent plutôt sur des considérations financières (coût des déplacements, location du stade municipal) que sur la défense de principes strictement éthiques. Les divisions du comité sur cette question transposent au niveau des clubs la querelle des « Anciens et des Modernes », qui agite les sphères dirigeantes du football français. Le choix d’un recrutement « rajeuni », à hauteur des ambitions sportives du club, la marginalisation progressive des anciens traduisent la fin d’une époque pour le Racing : le club intègre enfin le deuxième cercle du football nordiste, en espérant pouvoir rapidement parvenir au premier.
50A compter de la saison 1927/28, le Racing abandonne le terrain de la Glissoire pour ses rencontre officielles (il sera utilisé pour une dernière rencontre officielle le 3 juillet 1927, accueillant la rencontre de poule d’accession en DH opposant l’AS Aire Isbergues à l’US Saint-Pol). Il dispute un championnat une nouvelle fois remanié et divisé en deux groupes : le groupe A, véritable championnat de Division d’Honneur qui rassemble l’élite, et le groupe B, divisé en deux poules (« terrien » et un groupe plus hybride réunissant les clubs des districts « Maritime, Artois, Picardie »), qui devient un véritable Championnat d’accession.
51L’effectif du Racing subit peu de modifications : Dumoulin, gardien de but originaire de la fosse n° 8 et Berquin (avant centre de l’Amiens AC, recruté par le Président Moglia), rejoignent le club, qui aligne dans les différentes compétitions de ligue 4 équipes : 1A (groupe Artois, Promotion Honneur), 1B (première division Artois), 1B « hors championnat » et l’équipe juniors.
52La calendrier des rencontres reproduit le modèle de la saison précédente : une série de 4 matches amicaux précède un championnat (le 21 août contre l’US Bruay, le 28 août contre la JA Armentières, le 11 septembre contre l’Excelsior de Roubaix (victoire du RCL 5/3), le 18 septembre contre la JAA (nouvelle victoire du Racing 2/1) qui représente la seule compétition officielle où se trouve engagé le club, suite au choix de la non-participation en Coupe de France. Les matches de Coupe sont remplacés par des rencontres amicales, qui non seulement entretiennent une continuité sur le plan de la pratique physique, mais permettent au Racing de disposer de recettes supplémentaires.
53Au printemps 1928, le Racing remporte la deuxième édition du tournoi organisé par l’US Liévin, selon une formule qui permet désormais à l’ensemble à des clubs miniers présents de se rencontrer les 26 et 27 mai 1928. Ce challenge devient très rapidement un tournoi de proximité, occasionnant le temps d’un week-end l’organisation de derbies, autre traduction du phénomène de popularisation de la pratique déjà observé dans la région.
54« Popularisation » de la pratique et impératifs financiers, renforcés par la naissance du phénomène du supportérisme lensois, conduisent tout naturellement les dirigeants du Racing à organiser leur propre tournoi en avril 1928. A la différence du challenge de FUS Liévin (les clubs invités indiquant le caractère plutôt local du tournoi), affichent une volonté d’internationalisation (participation du club belge du Royal Courtrai), ou en tout cas souhaitent que le niveau sportif de ce challenge soit de qualité : les clubs invités évoluent dans des divisions supérieures ou équivalentes à celles du Racing. Il s’agit pour le club lensois de profiter de cette compétition pour se mesurer à des équipes au style de jeu différent, sur le plan du rythme, de l’intensité de l’engagement et des tactiques. On peut également penser que les affiches proposées sont susceptibles d’attirer un public nombreux, désormais constitué d’amateurs de football et des premiers supporters du club.
55Le supporter’s club lensois fête en mars 1928 son deuxième anniversaire au restaurant Bexant. La soixantaine de supporters du Racing accueille à cette occasion joueurs et dirigeants du club, à l’initiative de l’ancien capitaine lensois Séverin Leleu, membre du comité du SCL et de Fernand Perrissin. Manifestation festive qui marque le début de rapports étroits entre le Racing et son public, par le biais de sociétés qui deviendront dans les années trente des éléments incontournables, constitutifs de l’identité du club20.
56La formation de ces associations originales ne constitue pas une particularité lensoise et encore moins une spécificité du football minier. Les travaux et recherches des sociologues du Laboratoire d’Ethnologie Régionale de Béthune ont montré que les racines du supportérisme sont liées au développement des derbies locaux et régionaux : au seuil des années vingt, des clubs tels l’Olympique Lillois, le Stade Béthunois, le Racing-Club de Roubaix ou le Sporting Club Fivois possèdent leurs premiers clubs de supporters, essentiels à leur survie financière. Le Supporter’s Club de Lens est composé d’anciens joueurs du Racing et de commerçants, qui ont pour mission de participer à la pérennité sportive du club. Il s’agit non seulement d’assister aux rencontres et d’organiser les premiers déplacements de masse à l’occasion des matches de championnat, mais également de contribuer financièrement à un certain nombre de dépenses incompressibles : fourniture de matériel et d’équipements (maillots, shorts et chaussures) qui ne peuvent être achetés par les joueurs, notamment lorsque ceux-ci sont issus de milieux modestes, évoluent dans le championnat Junior organisé par la Ligue.
57Eléments participant d’une culture footballistique en voie de structuration, les clubs de supporters développent autour du stade de nouvelles formes de sociabilité. Elles viennent s’ajouter (et non se substituer) aux pratiques ludiques et associatives caractéristiques de la région (colombophilie, combats de coqs) et à d’autres pratiques sportives plus populaires, dont il faudrait également retracer l’histoire (cyclisme et boxe notamment). Les clubs organisent fêtes et banquets en l’honneur des joueurs, dirigeants et anciennes gloires du club, tombolas et concours de pronostics relayés par la presse locale. Ils se dotent dans les années trente de leurs propres outils de propagande sportive, à l’image du bulletin publié par l’OSCB avant la première guerre mondiale. Il faut remarquer, qu’à l’image des premiers dirigeants des sociétés sportives, l’engagement au sein d’un club de supporters doit être plutôt considéré comme une manifestation de civisme sportif que comme la manifestation d’un soutien exclusif et manifeste à l’égard d’un club spécifique. Il n’est donc pas étonnant que les fondateurs de ces sociétés appartiennent à la bourgeoisie locale ou soient d’anciens joueurs et dirigeants. Ils souhaitent que leur nouvel investissement, hors du terrain et des comités, assure la pérennité du club, contribue au recrutement de nouveaux talents et renforce l’identité de leur société sportive.
58La publication des classements à l’issue de la saison 1927/28 et le bilan de la saison sportive du Racing attestent de la progression du club dans la hiérarchie régionale. Le club obtient de meilleurs résultats lors de matches de championnats (7 victoires, 4 nuis et 2 défaites pour les rencontres identifiées) mais voit le nombre de victoires lors des matches amicaux diminuer de manière sensible. Ceux-ci sont l’occasion d’éprouver l’équipe première et de maintenir un niveau de pratique identique à celui des compétitions officielles. Cette stratégie est plutôt payante : le RCL échoue de justesse face à l’ES Bully et ne peut prétendre à la montée en Division d’Honneur, dont le championnat est remporté par l’US Tourcoing (départagé par le « goal average »).
59Alfred Wahl a démontré que les années vingt étaient celles de la technicité. Une histoire de la technique, des techniques et des styles de jeu, de l’évolution des systèmes mis en place selon les équipes, les niveaux de compétition doit encore être rédigée21. Les rares historiens du football ont cependant identifié les grandes phases de l’évolution du jeu, et les principales transformations de celui-ci : kick and rush des origines, dribbling game, passing game, pratique du tackling et système dit du WM constituent pour la période étudiée des repères visibles. L’introduction et la diffusion de ces pratiques selon des aires plus ou moins repérables va renforcer le processus de spécialisation des joueurs amorcé dans les premières années du siècle22.
60Une nouvelle répartition des joueurs sur le terrain est également la conséquence de ce processus de « spécialisation ». L’apparition de « postes » mieux identifiés peut s’observer au sein des équipes de la région : le rôle des « demis », et notamment du « demi-centre » l’emporte sur des avants dont le nombre et l’autonomie diminuent de fait, par l’introduction de la règle du hors-jeu en 1925. Une récente communication d’Alfred Wahl a esquissé cette histoire du jeu et cette histoire des styles absolument nécessaires, dans la mesure où ils participent aussi à la construction de l’identité des clubs, et accompagnent un processus d’euphémisation de la violence accéléré par la technicité.
61Au plan régional, l’analyse des compte-rendus des rencontres a montré des évolutions identiques à celles décrites par Alfred Wahl, selon des phénomènes de pratiques différenciées qu’il faudrait là encore affiner. Si le football minier apparaît au lendemain de la guerre plus rugueux que le jeu pratiqué sur le Littoral ou dans les clubs de l’agglomération lilloise, c’est sans doute à cause de la conjugaison de phénomènes complexes : influences anglaises plus prononcées pour les clubs du Boulonnais et du Calaisis, évolution dans l’élite des championnats de la Ligue pour les clubs de Lille-Roubaix-Tourcoing, parcours moins aléatoires en Coupe de France qui permettent à ces clubs de se mesurer aux principaux clubs de l’hexagone, recrutements de joueurs belges et anglais. Il convient cependant de nuancer cette représentation d’un football minier physique et viril, qui transposerait sur le terrain de football les valeurs du travail et les qualités de l’ouvrier. A la fin de la saison 1927, le Racing n’est plus ce club pratiquant un football rugueux, dénoncé par ses rivaux du Stade Béthunois et de l’US Auchel dans les années vingt. Le style évolue, les schémas tactiques sont plus complexes et l’image de l’entraîneur ingénieur s’impose. Cette modification sensible du jeu lensois a des incidences vérifiées sur le classement.
62Un extrait de La Vie Sportive du Nord fournit un premier exemple des schémas tactiques utilisés par un entraîneur, en l’occurrence celui du Stade Béthunois : le jeu y est décrit comme délibérément offensif, ce qui en soi ne constitue pas une évolution par rapport au football des origines, où les équipes évoluaient selon un schéma 2/3/5 (2 arrières, 3 demis, 5 avants). En revanche, la disposition des joueurs sur le terrain ne doit plus rien au hasard : l’introduction de la règle « moderne » du hors-jeu en 1925 (est déclaré hors-jeu tout joueur qui se trouve plus rapproché de la ligne de but adverse que le ballon, sauf s ’il se trouve dans sa propre moitié de terrain ou s’il n’est pas plus près de la ligne de but adverse qu ’au moins deux de ses adversaires. Loi 11), en dépit de la complexité de sa formulation, transforme le rôle des équipiers : le centre-avant adopte une position plus offensive, tandis que le demi-centre glisse progressivement vers la position d’arrière central, obligeant les deux inters à effectuer désormais une grosse part du travail, préfiguration du futur « carré magique ». Dès 1927, le Stade Béthunois et ses équipes rivales semblent donc avoir adopté pareil schéma.
63La rencontre opposant le Stade Béthunois et le Racing permet de mesurer les évolutions du football nordiste, sur les plans technique et tactique. Les joueurs du Racing sont dotés de qualité techniques individuelles et pratiquent un style de jeu adapté à leurs fonctions respectives : sérénité et complémentarité des deux arrières, solidité et technicité des demis qui constituent la « meilleure ligne de l’équipe », et qui savent adopter un jeu plus « à plat » en fonction du schéma tactique de l’équipe adverse. Quant aux avants, faisant preuve de « robustesse et virtuosité », ils maîtrisent non seulement les « fondamentaux » (passes décisives, shoots) mais semblent pratiquer avec un bonheur égal le jeu sans ballon (créer des ouvertures, se démarquer...).
64Ces différents schémas préfigurent de manière plutôt explicite l’introduction progressive du « WM » en Europe, qui va s’imposer au sein des équipes françaises dans les années trente. Les équipes de la Ligue du Nord semblent dont l’expérimenter à compter de 1926, un an après sa mise en application Outre-Manche.
65La saison 1928/29 permet au Racing de terminer en tête du classement au championnat de Promotion maritime groupe B et d’accéder ainsi à la Division d’Honneur. A l’exception du transfert de Pluquet, de l’Olympique Lillois, l’équipe A du Racing est inchangée. Moins efficace au poste d’avant, Dubreu intègre la ligne des demis.
3. Football minier et paternalisme sportif : l’exemple lensois
66L’accession de l’Etoile Sportive de Bully en Division d’Honneur, pour la saison 1928/29 est la preuve du dynamisme d’un football minier largement encouragé par le patronat local et les grandes Compagnies des Mines. Au delà du processus complexe d’identification de la population ouvrière aux clubs de football, les relations entre le patronat industriel de la région Nord – Pas-de-Calais, le monde ouvrier et le football se fondent sur des schémas classiques, mais se déclinent de manière originale, au travers du prisme régional23.
67Les rapports entre milieux industriels et football sont visibles dès le 21 janvier 1896, date de la reconnaissance officielle du Racing-Club de Roubaix, qui réunit les élèves d’Achille Beltette, professeur d’anglais au lycée de Tourcoing, et les membres de la bourgeoisie industrielle roubaisienne. Le premier président du club, Henry Lesur, dirige une retorderie à Roubaix, Léon Dubly, premier capitaine de l’équipe, exerçant les fonctions de secrétaire. Issu du Battling club de Roubaix fondé en 1885, le Racing-Club de Roubaix est la traduction sportive de l’anglophilie qui caractérise les mœurs de la bourgeoisie industrielle et d’affaires de la Belle Epoque. Les premiers clubs nordistes fondés avant 1900 reprennent le modèle roubaisien, en développant l’idée d’une pratique bourgeoise confidentielle, distinctive et exclusive. Ludique dans ses fondements, le football devient un instrument de diffusion privilégié des idéaux républicains. Il contribuera à la diffusion d’une forte sensibilité patriotique, accentué par la géographie et l’histoire de la région, également visible après la victoire de 1918)24.
68Football bourgeois et football ouvrier suivent donc avant 1914 des chemins strictement parallèles, et se développent chacun de manière autonome : la création en 1908 de la Fédération Socialiste Athlétique et Sportive aboutit à la formation des premiers clubs « ouvriers » de la région (Sport Ouvrier Calaisien, Roubaisien et Rosendalien), bientôt relayés par le développement du football corporatif au lendemain de la guerre.
69Il faut insister sur la modification du climat social dans les années vingt pour saisir les profondes mutations qui amènent les industriels de la région à prendre conscience de l’intérêt que constituent les pratiques sportives en général et le football en particulier. Le football corporatif connaît des difficultés internes et une « cohabitation » difficile avec une FFFA qui cherche à imposer son autorité sur les différents groupements25. Les clubs ouvriers deviennent pour les industriels de la région des instruments de stabilité et de pacification sociale, dans une période de reconstruction et de redressement économique qui ne peut s’offrir le luxe de conflits sociaux. L’augmentation des prix, indicateur visible de la crise conjoncturelle des années vingt, entraîne dès le 3 mars 1920, un mouvement de grève de 63 000 mineurs qui réclament « une prime de vie chère » (ils seront près de 100 000 à la fin du mois, le conflit s’étant étendu aux secteurs de la métallurgie, des transports et des activités portuaires). Le contexte de « résurgence idéologique » (révolution bolchevique de 1917, fracture politique du congrès de Tours dans la nuit du 30 décembre 1920) et syndicale (les effectifs de la C.G.T. passent de 700 000 avant guerre à près de 2 millions d’adhérents en 1920, mouvements d’agitation sociale en mai-juin 1919, malgré le vote de la loi de la journée de travail de 8 heures le 23 avril 1919) peut constituer un élément d’explication. Le patronat voit dans le développement des sociétés sportives et des clubs de football un instrument de contrôle social, sous couvert de paternalisme sportif et d’intentions physiologiques. Les industriels du Nord vont privilégier la création des clubs corporatifs, sur le modèle des clubs patronaux anglais déjà mis en place un demi siècle plus tôt et dont les effets ont été largement analysés par Charles Korr : à Roubaix, le Football Club de l’Abattoir, l’Amicale des Garçons Coiffeurs, le Club des Etablissements Platt Frères et le célèbre Football Club de Roubaix s’inscrivent dans cette logique d’instrumentalisation de la classe ouvrière, qui a désormais la possibilité de passer des tribunes au terrain...26
70Le développement du football minier, son encouragement et sa structuration par les Compagnies des Mines repose sur une logique identique, mais sans doute plus maximaliste sur le plan de l’organisation. Au lendemain de la guerre, l’urgence d’une reconstruction et d’une remise en état des capacités d’extraction de la région s’impose. Stimulé par une forte immigration, le redémarrage de l’activité économique régionale donne naissance à un nouveau paysage industriel et urbain, où « batailles de la production » (si l’on ose employer le terme dès 1920) et « batailles de la reconstruction » sont étroitement liées : la multiplication de cités minières d’un nouveau type, où le jardin ouvrier s’impose pour des raisons hygiénistes, aboutit au développement progressif d’installations et d’équipements sportifs, même si l’exemple du Racing-Club de Lens a montré les difficultés du club à disposer d’un véritable terrain avant la guerre27. Les rencontres de football étaient disputées dans des pâtures, esplanades ou terrains sommairement aménagés. Elles se déroulent désormais sur des terrains et des stades adaptés, aménagés par les Compagnies des Mines. Celles-ci comprennent que l’engouement populaire caractérisant les rencontres d’après-guerre peut être non seulement récupéré, mais justifié sur le plan médical, au regard de la fragilité physiologique de la population du bassin minier. Il est peut-être excessif de parler d’alibi physiologique, dans la mesure où ces orientations s’inscrivent dans la logique de préoccupations ministérielles : si la vitalité sportive observée au lendemain de la guerre est le résultat de facteurs multiples (vitalité de la presse sportive, popularisation des pratiques, exaltation des exploits des premières vedettes sportives, à l’image du gentleman boxeur lensois, Georges Carpentier), la promotion de l’éducation physique (notamment d’une éducation physique scolaire) correspond à une volonté politique de « régénérer la race », comme le confirment les conclusions de nombreux rapports.
71Les Compagnies des Mines voient donc dans la pratique du football la traduction opportune des théories de Philippe Tissié, médecin fondateur de la Ligue Girondine d’Education Physique à la fin du siècle : les jeux sportifs et exercices physiques ont pour objet de former une jeunesse médicalement et socialement saine. Ces principes sont naturellement transposables à une population ouvrière, que les caricatures, discours des ligues moralistes et prêches présentent comme dévoyées et victime des ravages de l’alcoolisme. L’extrait de la Vie Sportive du Nord – Pas-de-Calais, déjà mentionné, reprenait les grands thèmes de l’hébertisme : le sport rend les hommes vigoureux, sains et énergiques, il assure la reconstruction physique des travailleurs et permet de circonscrire les fléaux que sont l’alcoolisme, la débauche, la maladie et la paresse. Utile complément au vote de la loi des huit heures de travail, il ne doit plus être considéré comme l’apanage des privilégiés de la fortune et doit être considéré par les ouvriers comme la plus noble et la plus saine des distractions.
72La construction des installations sportives de Bully par la Compagnie des Mines de Béthune en 1920, bientôt imitée par les Compagnies de Dourges, de l’Escarpelle, de Courrières puis de Noeux, témoigne de ce paternalisme sportif qui n’a effectivement rien de philanthropique : le complexe sportif compte cinq terrains (1 pour les matches officiels de l’ES Bully, les autres étant réservés aux entraînements et aux équipes de jeunes), des vestiaires équipés de douches et de placards individuels pour les joueurs. Des tribunes, aménagées en 1922, permettent à un public nombreux (plusieurs centaines de spectateurs assistent aux rencontres) de se rendre au stade le dimanche et de profiter d’une activité de loisir au grand air, qui éloigne les ouvriers des cabarets28.
73Il s’agit également pour les compagnies minières de développer auprès de leur personnel une forme de culture d’entreprise par un phénomène d’identification à l’équipe de football de la cité, qui porte les couleurs du club et défende la réputation de la compagnie. La notion de derby (qui désignait à l’origine l’affrontement entre deux clubs d’une même ville) change ainsi d’échelle et de signification : elle caractérise désormais les rencontres qui opposent les clubs d’un même bassin minier, mais qui sont soutenus par des compagnies minières, soucieuses de marquer leur territorialité par des rivalités sportives affirmées : la géographie du football épouse ainsi les contours d’un bassin minier, dont les clubs animent les différents championnats du groupe terrien. Leur forte représentation au sein de compétitions hiérarchisées renforce l’identité et la spécificité d’un district, tant sur le plan administratif qu’au niveau des pratiques. La composition du premier comité du District, crée en 1921, souligne d’ailleurs l’importance de la participation des clubs miniers qui disputent les premiers championnats d’Artois, réunissant une vingtaine de clubs29. Présidé par Charles Bouy (président de la commission des arbitres du District) en 1926, le District compte près de 40 clubs qui disputent à compter de la saison 1928 la Coupe d’Artois, compétition d’un genre nouveau puisqu’initiée par le District lui-même, signe de son émancipation progressive vis-à-vis de la Ligue. Il est possible de penser que cette Coupe d’Artois, modèle miniature de la Coupe de France, constitue une forme de réponse à l’augmentation numérique des clubs et à la popularisation des pratiques. Le phénomène de structuration des instances dirigeantes se renforce au niveau local par la création du Sous-District d’Arras en 1931 (dirigé par Jules Van den Weghe, ancien dirigeant du RCL, Alphonse Leroy et M. Meriaux). Visible au niveau des clubs, dont la bureaucratisation des structures assure le triomphe de cercles dirigeants appartenant à la bourgeoisie locale, le phénomène de notabilité sportive s’étend ainsi aux instances de la Ligue et des Districts : ces instances constituent pour les anciens dirigeants de club ayant « passé la main », non seulement un lieu de prolongement de leur activité sportive et associative, mais surtout un lieu de pouvoir, que leur passé, leur notabilité et leur réputation leur permettent d’exercer avec autorité. Les principes de cooptation autorisent aux dirigeants des clubs les plus représentatifs le passage d’un lieu de pouvoir vers une sphère plus large. Le caractère pyramidal du football nordiste se renforce, par la systématisation de ce principe de promotion interne qui fait des joueurs en exercice les futurs dirigeants potentiels des clubs, puis des instances officielles : l’exemple de Jules Van den Weghe, fondateur du RCL en 1906 et président du Sous-District d’Arras en 1931 en est l’une des illustrations.
74Les tableaux des équipes engagées dans les Championnats pour la saison 1927/28 traduisent cette hégémonie des clubs miniers qui, absents de l’élite (DH groupe A), représentent plus de la moitié des clubs du groupe B terrien, et 80 % des clubs engagés dans les championnats de Deuxième Division. La concentration urbaine, les densités de population observées dans le bassin minier et la promotion du football par les Compagnies des Mines peuvent expliquer la différence d’enracinement observée dans le département du Pas-de-Calais : il présente un football au village pour le district maritime (phénomène d’essaimage à partir des deux pôles de diffusion que sont Boulogne et Calais), et un football des mines pour le District Artois, qui aligne un chapelet de clubs selon l’orientation NW/SE du bassin houiller. Les Compagnies des Mines vont contribuer au développement du football artésien, dont les premières traces ont été repérées avant 1914. On peut dès lors parler d’un phénomène de stratification progressive du football dans le bassin minier, tant sur le plan de la chronologie que de la géographie des clubs : au temps de l’enracinement succède celui de la démocratisation, même si celle-ci demeure en partie instrumentalisée par les compagnies.
75La manifestation la plus visible de cette récupération des pratiques sportives par les compagnies est liée au statut privilégié de ceux qu’il convient d’appeler les mineurs footballeurs, éléments essentiels dans le processus d’identification des populations minières à « leur » club de football. Il faudra s’interroger sur les réalités d’une intégration des minorités par les pratiques sportives : pour les immigrés dits de la première génération, le phénomène semble en effet relever de l’exception, notamment pour les Polonais. Force est de constater que la pratique du football représente pour les mineurs footballeurs une opportunité sur le plan de conditions de travail aménagées. Elle ne supprime en rien les rapports de force entre patrons et salariés, dans la mesure où l’organisation du club ne fait que reproduire des schémas verticaux qui sont ceux de l’entreprise. Aujourd’hui dénoncée par les critiques radicales de sociologues, la thèse d’un football considéré comme l’une des formes les plus achevées du capitalisme sportif s’inscrit au moins dans la réalité historique du football minier des années vingt30. Les témoignages de Jules Bigot, personnalité incontournable du football nordiste, expliquent la mécanique extrêmement simple de ce paternalisme sportif pratiqué par les dirigeants de l’ES Bully :
Quand on rencontrait les ingénieurs dans la ville, on s’écartait pour leur laisser le passage libre. Lorsqu’ils les apercevaient, certains changeaient même de trottoir. [...]
Les Mines voulaient occuper le personnel, pour qu’il ne pense pas à embêter le monde avec des revendications sur les salaires et les conditions de travail. [...]
L’entraînement était à cinq heures, lorsque les mineurs étaient remontés de la fosse [...]. On avait des chaussures à bout dur. D’ailleurs, encore maintenant, mes ongles de pied noircissent et tombent une fois par an. Les ballons étaient plus gros que maintenant. Il y avait une vessie dedans et de gros lacets apparents. Quand on donnait un coup de tête et qu’on se prenait le lacet, ça faisait mal [...]31.
76Il faudra attendre les années cinquante pour que les exemples de promotion et d’ascension sociale de la classe ouvrière par le football deviennent des réalités plus tangibles et ne constituent plus de rares exceptions. Avant l’avènement d’un professionnalisme qui modifie la condition salariale du joueur et son statut au sein de l’entreprise, la pratique du football doit d’abord être envisagée comme une opportunité dans l’aménagement du temps et des conditions de travail. Dans le cas de l’ES Bully, c’est l’accession du club en Division d’Honneur groupe A qui va modifier la situation professionnelle des joueurs et assurer leur glissement progressif vers le statut plus envié de footballeur mineur : les contraintes de la pratique sportive (entraînements, matches officiels, déplacements) provoquent des modifications plus que substantielles des conditions de travail des joueurs, en leur permettant d’échapper « au fond ». La multiplication des derbies et l’opposition entre « petits » (ES Bully) et « gros » (Stade Béthunois, RC Lens et bien évidemment grands clubs terriens) renforcent les identités locales et achèvent de constituer une culture footballistique originale. Les rivalités sportives épousent les clivages sociaux et reproduisent des oppositions souvent séculaires entre cités, à l’image des rencontres opposant les « bourgeois » du Stade Béthunois aux « ouvriers mineurs » de l’US Bully.
Les joueurs de l’ES Bully étaient employés aux Mines mais ne descendaient pas. [...] A 14 ans, les galibots pouvaient déjà descendre. Les jeunes Polonais se mettaient d’ailleurs en devoir de suivre les traces de leur père. Mais les ingénieurs faisaient remonter les bons joueurs. Ils leur donnaient des places dans les ateliers centraux par exemple [...]
L’entraînement se déroulait après la demi-journée de travail, mais par la suite, les gars qui allaient à l’entraînement étaient libres pour le reste de la journée [...]. »32
77Bénéficiant de conditions d’entraînement favorables qui améliorent la qualité de leur jeu, évoluant à un niveau de compétition honorable qui permet la pratique d’un football moderne sur le plan tactique, les joueurs-vedettes des clubs miniers sont vite l’objet des sollicitations des grands clubs régionaux. L’Olympique Lillois fonde ainsi sa politique de recrutement au milieu des années vingt sur trois principes : le recrutement de joueurs de nationalité étrangère, généralement expérimentés, une promotion interne des meilleurs juniors et le débauchage de joueurs locaux, issus de clubs voisins des districts Terrien, Artois ou Maritime, attirés par des avantages financiers ou salaires couverts par des emplois fictifs (la plupart des joueurs de l’Olympique Lillois sont en effet employés par La Grande Brasserie du Président Jooris).
78Le bassin minier devient au milieu des années vingt l’aire de recrutement privilégiée des clubs nordistes appartenant à l’élite. Le phénomène est accentué par l’officialisation des championnats Juniors qui anticipent à la fois la formation et le recrutement des futurs talents. Les parcours de Jules Bigot, de Robert Défossé et d’Ignace Kowalczyk en sont l’illustration : ils démontrent que le principe du salariat sportif, dont les dérives et les démesures (coût des transferts, salaires et contrats publicitaires) sont aujourd’hui constatées, se banalise bien avant la légalisation du professionnalisme.
79On peut expliquer au plan local l’implosion de l’amateurisme par les spécificités du football minier, qui reproduit les structures du monde de l’entreprise, en calquant au niveau de clubs une logique entrepreneuriale qui réunit ouvriers et patrons, joueurs et dirigeants, selon un processus d’organisation et de hiérarchisation comparables. Les analyses de Jean-François Bourg clarifiant les mécanismes d’industrialisation des pratiques du football peut ainsi être complété : il souligne les analogies entre division des tâches, planification collective du monde du travail (et notamment le milieu de la mine, où les principes de coopération et de spécialisation sont affirmés) et le club de football. Quant au processus d’identification qui fait aujourd’hui l’objet de nombreuses études sociologiques, il s’inscrit plus ici dans la logique d’affirmation d’une identité locale (fondée sur le travail et ses représentations, dont les pratiques sportives constituent désormais l’un des prolongements) que sur des logiques de « passions partisanes »33.
80L’obtention par le RCL du titre du champion de France des clubs professionnels de football pour la saison 1998 aura récemment contribué à la résurgence de l’image d’un Racing-Club de Lens forcément populaire : il constituerait l’archétype du club minier, dans une région fortement touchée par la crise, qui considère le football comme un véritable exutoire, cristallisant à la fois passion collective et revanche sociale. Au-delà de stéréotypes soigneusement entretenus par les dirigeants actuels, la représentation d’un Racing comme l’unique dépositaire de la réalité et de la culture minières doit être singulièrement nuancée : il est de la responsabilité de l’historien de montrer que la partie visible de l’iceberg de faits contemporains sous-tend une réalité plus complexe (phénomène original du supportérisme, recrutement de proximité des joueurs de l’équipe première, volonté « politique » d’entretenir cette image populaire). Cette notion de club minier doit d’abord s’envisager comme une donnée géographique, avant de progressivement devenir l’une des phases de l’histoire du club, au milieu des années vingt.
81En parlant de stratification des différentes époques du Racing, Marie Cegarra aura la première contribué à désacraliser le mythe. Elle a montré que c’est la notoriété acquise par le club lors de l’obtention du titre de Champion d’Artois en 1926 qui fait prendre conscience aux dirigeants des Compagnies Minières qu’un soutien objectif à son développement peut constituer une opportunité stratégique essentielle, dans le cadre d’une politique sociale active menée envers la population ouvrière34. Il faut donc attendre 1926 pour effectivement parler du RCL comme d’un club minier, club d’ailleurs atypique dans la mesure où cette deuxième époque prolonge le temps des origines (1906/1926), profondément marqué de l’empreinte de la bourgeoisie locale : nous avons pu démontrer que ce sont les fondements coubertiniens du sport moderne, le dynamisme associatif de la période, et la volonté de la petite et moyenne bourgeoisie locale de se distinguer et de se regrouper dans des sociétés sportives fortement bureaucratisées qui avaient contribué à la création du Racing-Club de Lens. Avant 1914, les pratiques ouvrières du football association doivent être considérés comme sporadiques et aléatoires sur le plan de la structuration.
82Les conséquences de la première guerre mondiale peuvent expliquer cette première mutation du club, visible dans l’abandon progressif d’un élitisme du recrutement, de la pratique et de l’encadrement, au profit d’une plus large démocratisation des paramètres précités : les flux migratoires de l’après-guerre vont modifier le recrutement des joueurs. L’enthousiasme de Laurent Dremière, qui parle dès le début des années vingt « d’un extraordinaire instrument d’intégration », doit être plus que relativisé. La loi sur la journée de huit heures autorise cependant un temps des loisirs identifié, qu’il est possible de convertir en temps sportif. Le maillage urbain serré du bassin minier autorise le développement d’associations et clubs de football, et contribue à la naissance d’une sociabilité intense sur un territoire éclaté, pour reprendre l’expression de Jean Michel Dewailly.
83Le titre de champion de Promotion Honneur groupe B, acquis à la fin de la saison 1929, met paradoxalement un terme à la première époque du RCL, celle de la notabilité sportive. Les ambitions se sont progressivement affirmées au plan local puis régional, au sein de structures plutôt figées, et de dirigeants attachés aux principes fondateurs du club. L’évolution de la politique de recrutement des joueurs de l’équipe première du Racing (rajeunissement et « maquignonnage » vis-à-vis des clubs périphériques) aura également constitué un pas décisif vers la deuxième époque du club, celle de la notoriété populaire, qu’accompagne un processus d’identification désormais perceptible. La saison 1929/30 permet d’ailleurs au Racing de se mesurer aux clubs du premier cercle du football nordiste en disputant le Championnat de Division d’Honneur groupe A.
84L’équipe première du RCL est renforcée par l’arrivés de joueurs étrangers : Les tchèques Berl (en provenance de Bratislava) et Lowie (transfuge du Racing Club d’Arras et qui terminera sa carrière à l’OGC Nice), ainsi que l’Anglais Holleran (contacté par son compatriote Felton, il retournera en Angleterre au bout de trois mois, n’ayant pu trouver d’emploi compatible avec le calendrier des rencontres et des entraînements). A la différence des clubs des « brasseurs » (terme générique qui désigne dans l’entre deux guerres les principaux clubs de Lille, Roubaix et Tourcoing), les clubs miniers ne disposent pas de budgets ni de structures suffisants. Le contrôle progressif du Racing par la Compagnie Minière de Lens contribuera à systématiser le principe de l’emploi protégé pour les footballeurs mineurs. Trois autres joueurs français viennent compléter l’effectif : Six au poste de gardien de but, Lagneau, joueur de Calonne-Liévin qui évoluera au poste de demi, et l’international Ryssen, originaire de l’Olympique Lillois.
85La politique de recrutement du club évolue sensiblement, sur des principes de diversification et de complémentarité : promotion interne de jeunes joueurs issus des équipes inférieures du Racing, détection de juniors provenant de clubs voisins, transferts des joueurs expérimentés évoluant dans le championnat d’Artois (la densité de la trame urbaine favorisant les déplacements de ces derniers et ne bouleverse pas nécessairement leur vie professionnelle et familiale). Le RCL met également en application les pratiques en vogue dans les principaux clubs de l’hexagone : recrutement de joueurs étrangers (au risque de provoquer un véritable pillage des clubs d’Europe Centrale et Orientale notamment) le plus souvent contactés par leurs compatriotes évoluant déjà dans les championnats de Ligue, et transferts de joueurs en fin de carrière, qui vont ainsi achever leur saison sportive dans des clubs de moindre envergure. Ancien joueur de l’Olympique Lillois qui avait remporté le titre de champion du Nord en 1920/21, Ryssen effectue au poste d’avant une saison 1929/30 en demi-teinte, imputable selon les journaux de l’époque à son âge avancé (en fait une trentaine d’années...).
86En dépit de cet effectif renforcé, le Racing réalise un parcours plus que moyen et évite de peu la relégation à l’issue d’un calendrier polarisé sur le championnat, et qui compte moins de rencontres amicales et participations aux challenges et tournois locaux. Il est possible de penser que ces matches officiels, permettant au Racing d’affronter l’élite du football nordiste, ont un effet positif sur les recettes du club. Ils rendent de fait moins impératives les participations du Racing à ces rencontres amicales, qui contribuent pourtant à la viabilité financière du club et à la préparation physique des joueurs avant la reprise. Le calendrier du RCL est donc plus resserré, ce qui témoigne là encore d’un changement d’échelle : les rares matches amicaux conclus le sont avec des équipes de valeur identique, appartenant à la Ligue de Paris et la Ligue de Normandie. La confrontation amicale avec des clubs locaux correspond de moins en moins avec l’image d’un Racing qui ambitionne de devenir le club du bassin houiller, au même titre que ses rivaux de Lille, Roubaix ou Tourcoing.
87Le bilan sportif (14 victoires, 5 nuis et 13 défaites) et la saison du Racing peuvent s’expliquer par la nette différence de niveau qui sépare les différentes équipes engagées dans le groupe A de Division d’Honneur. Les matches qui opposent le RCL aux équipes des brasseurs et des industriels de Lille, Roubaix et Tourcoing se soldent par de sévères défaites et des écarts de buts significatifs (en moyenne deux à trois buts d’écart, dont deux 6/0...). Ils constituent des indicateurs pouvant révéler la stérilité de l’attaque lensoise (Ryssen n’a pas eu le rendement escompté) ou la fragilité de sa défense (signe de la vitalité des lignes d’avants adverses). Le recrutement des joueurs et les budgets qui peuvent y être consacrés deviennent des éléments essentiels dans le processus de professionnalisation, à travers un marché des transferts qui s’intensifie et repose sur des modalités de fonctionnement clarifiées au niveau local : les futures étoiles sont détectées en amont dans les équipes de division inférieure, mais les clubs qui constituent désormais l’élite du bassin minier (le Racing et l’ES Bully et par extension géographique le RC Arras) ne peuvent encore rivaliser avec les clubs terriens de DH, les joueurs internationaux de renom rejoignent plus volontiers l’Olympique Lillois, l’UST ou les clubs roubaisiens.
88Les résultats moyens du Racing-Club de Lens à l’issue de la saison 1929/30 entraînent le départ du Président Moglia lors de l’Assemblée Générale du club, et provoquent un profond renouvellement des membres du comité. Pour autant, le phénomène de bureaucratisation et de notabilité déjà évoqués n’est guère modifié. Les travaux d’Alfred Wahl ont indiqué que la bourgeoisie occupe au sein des cercles dirigeants une place privilégiée, à travers un certain nombre d’exemples significatifs : les présidences des clubs, les responsabilités exercées au sein de l’exécutif de la FFFA, des Ligues et des Districts permettent aux industriels, professions libérales et hauts fonctionnaires de décliner leur élitisme social dans le champ sportif. Au sein de la Ligue du Nord et de ses clubs, ce même fonctionnement « clanique » est observé.
89La prise de contrôle progressive du RCL par la Compagnie des Mines de Lens s’inscrit donc dans la logique d’un processus amorcé avant 1914, qui subordonne le développement des grands clubs nordistes à leur appropriation par ceux dont le pouvoir économique est seul susceptible de boucler les budgets, en même temps qu’il autorise le patronat à développer une politique sociale dont le football devient l’un des éléments. Aussi l’étroite relation développée entre monde de l’industrie et monde du football va-t-elle constituer l’une des caractéristiques du football nordiste. Elle peut constituer une explication au nombre de clubs de la région qui choisissent très tôt la voie du professionnalisme, après que celui-ci aura été autorisé par la FFFA : en 1937, sur les 43 clubs ayant adopté le statut des clubs professionnels, 16 sont affilés à la Ligue du Nord. 6 évoluent d’ailleurs en Première Division (saison 1937/38) : Excelsior de Roubaix, Olympique Lillois, RC Roubaix, Sporting-Club Fivois, RC Lens, US Valenciennes).
90Signe avant-coureur de cette stratégie de conquête, l’acquisition par la Compagnie des Mines de Lens de terrains nécessaires à l’édification du futur stade Félix Bollaert, du nom du Président du Conseil d’Administration de la Compagnie depuis 1922. Le 6 novembre 1929, le rachat d’un dernier lot à un bureau de bienfaisance permet à la Compagnie de disposer d’un ensemble de treize hectares sur lequel commenceront bientôt les travaux. Il ne s’agit là que d’un aspect de la politique d’appropriation du club. A compter de la saison 1930/31, le nouveau comité met fin à une coûteuse politique de recrutement, en favorisant la promotion interne. Près de la moitié des joueurs composant l’équipe Junior détentrice du titre de champion d’Artois la saison précédente se voient ainsi offrir une chance de percer en équipe première. L’avant centre de l’US Liévin, Hude, vient compléter un effectif où Felton demeure l’unique joueur étranger, après le départ des Tchèques Lowie et Berl.
91Au delà des impératifs sportifs qui provoquent le remplacement des anciennes vedettes par de futurs talents, validant en partie la thèse de la reproduction des mécanismes de l’économie libérale dans le domaine sportif (loi de la concurrence, élimination des non-productifs), cette inflexion stratégique du Comité du Racing se doit d’être contextualisée. Le mois de juin 1930 est marqué par l’amorce d’une crise économique sévère dans le bassin minier, dont les effets immédiats sur les populations (diminution des salaires et augmentation du chômage vont affecter près de 80 % des mineurs pour la période 1931/34) entraînent également l’adoption d’une politique drastique en matière d’immigration : elle se traduit par une inversion des flux migratoires et une politique du retour particulièrement active35. Les performances moyennes des joueurs étrangers et la résurgence d’un courant xénophobe qui accompagne la nette dégradation de la situation économique peuvent expliquer l’adoption du principe d’une « préférence nationale » dans le recrutement. Dans le même temps, il sera possible d’observer la polonité progressive de l’équipe première du Racing, avec l’arrivée de jeunes joueurs tels Ignace Kowalczyk et Edmond Nowicki. Il semble plus opportun pour les dirigeants du Racing de mettre fin à l’importation de joueurs étrangers et de privilégier la promotion interne (soit au sein du club, ou en provenance de clubs miniers voisins) de jeunes Polonais bientôt naturalisés et par ailleurs sélectionnés en équipe de France. La prise en compte de la réalité économique du bassin minier dans la politique du recrutement du RCL a au moins deux effets : elle souligne le contrôle croissant du club par la Compagnie des Mines de Lens, dont les dirigeants ont su mesurer les dangers d’un recrutement calqué sur les pratiques antérieures. Face aux possibles réactions épidermiques et aux conséquences sociales que pourrait avoir la venue de joueurs étrangers, ceux-ci choisissent une option plus pragmatique, hélas peu satisfaisante sur le plan sportif : le RCL enregistre en effet de lourdes défaites face aux clubs terriens, lors de la saison 1930/31. Cette politique est en revanche plutôt opportuniste, par sa contribution indirecte au maintien d’un climat de paix sociale indispensable à la poursuite de l’activité économique. Parallèlement, le développement de la promotion interne, les recrutements au sein d’une zone géographique qui correspond aux contours du bassin minier, le choix délibéré de jeunes joueurs d’origine polonaise pour constituer l’ossature de l’équipe, intensifient le processus d’identification des populations ouvrières au Racing Club de Lens. Processus renforcé lors des débuts des travaux d’aménagement du futur stade. L’arrêt de l’exploitation de la fosse n° 5 de Lens amène les ingénieurs des Mines à employer près de 200 ouvriers pour les premiers travaux de terrassement, à partir de 1931, leur évitant ainsi une période de chômage...
92L’inexpérience de l’équipe peut expliquer le classement modeste du Racing, qui réussit toutefois à se maintenir en DH pour la deuxième saison consécutive. Le parcours en Coupe de France est en revanche plus satisfaisant : l’équipe du RCL atteint le stade des 1/16e de finale, après avoir successivement éliminé l’US Liévin (5/1), le club parisien de l’Union Athlétique du XVIe Arrondissement (4/0), le SA Enghien-Ermont (8/3) lors des tours préliminaires. L’élimination du FA d’Illkirch-Graffenstaden (6/3) en 1/32e de finale permet au club de disputer à Rouen un match décisif contre le HAC : ils s’inclinent sur une erreur de leur gardien, à l’issue d’un match où le rôle des demis dans le contrôle de la partie semble avoir été déterminant.
93Les manifestations organisées lors de la célébration du 25e anniversaire du club en juin 1931 soulignent la « frénésie commémorative et festive » déjà observée pour les sociétés sportives de la Ligue, tant au niveau des supporters que des dirigeants : réception de l’équipe première et du comité à la municipalité, dépôt d’une gerbe au monument aux Morts et banquet de 150 couverts salle Gabilly, sous la présidence de M. Renoult, président du RCL, Henri Jooris, président de la Ligue du Nord et M. Maës, député-maire de Lens. Si la présence de l’édile lensois ne suffit pas à enclencher un processus de « municipalisation » du club, (correspondant à la troisième époque de son histoire, à partir de 1968), elle peut en revanche marquer la fin de l’indifférence municipale à l’égard du Racing.
Notes de bas de page
1 Sur l’avènement du professionnalisme et les aléas de sa reconnaissance officielle, consulter : Wahl (Alfred), Les archives du football, ibid., pp. 238-260.
2 Le phénomène du supportérisme est aujourd’hui l’objet de nombreuses études de la part de sociologues, qui étudient les réalités sociales des pratiques contemporaines. Ces dernières sont souvent enracinées dans l’histoire des clubs. Pour le football nordiste, se reporter à l’excellent ouvrage de : Demaziere (Didier) Dir., Le peuple des tribunes. Les supporters de football dans le Nord – Pas-de-Calais, Béthune, Documents d’ethnographie régionale, n° 10, 1998, 239 p.
3 La pratique du racolage, initiatrice de la classique et désormais contemporaine période des « transferts », consistait en un achat de joueurs par les dirigeants des clubs, sous des formes extrêmement variées, mais qui excluaient toute forme de salariat « officiel ». Au même moment, les grands clubs de province recherchent à la fois une autonomie financière, le maintien d’un statut associatif qui les avantage sur le plan fiscal, et une diversification des formes de mécénat (les partenaires institutionnels, en premier lieu des municipalités, sont particulièrement courtisés par les présidents de clubs). Consulter sur ces questions : Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), Les footballeurs professionnels des années trente à nos jours, ibid., pp. 34-41 ; et Wahl (Alfred), Les archives du football, ibid., pp. 229-244.
4 Se reporter à : Hubscher (Ronald), L’histoire en mouvements. Le sport dans la société française (XIXe/XXe), ibid., pp. 80-92. Le recensement du nombre de marchands de cycles dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais et la nette augmentation constatée avant 1914 souligne le caractère populaire, utilitaire et ludique à la fois des pratiques. Conséquences sportives d’un usage démocratisé, l’inflation des récompenses et prix remis aux vainqueurs lors de courses cyclistes et critériums qui permet l’éclosion de cyclistes professionnels d’extraction populaire, à l’image du boulanger « piou-piou » Edmond Jacquelin.
5 In Bulletin du Racing-Club Etaplois, février/mars 1922, ADPC, C 621.
6 Pour la saison 1924/25, le budget de l’Olympique Lillois prévoyait une dépense de 7850 francs mensuels pour le paiement des joueurs, ce qui correspondait environ à 12 salaires mensuels d’ouvriers, tous les joueurs ne percevant pas la même somme. La révélation de ces sommes par le trésorier de l’OL, M. Vancostenoble (et notamment la publication de la fiche de salaire du demi-centre britannique Buzza), à la suite d’un contentieux avec son président, entraîne la suspension de ce dernier par la FFFA jusqu’en 1927. Occupant les fonctions de vice-président de la FFFA, membre du Bureau National, la mise à l’écart du Président Jooris par ses pairs est l’illustration des atermoiements de la FFFA, qui n’est plus en mesure de mettre fin à des pratiques largement répandues au sein de l’élite du football français. La mise en quarantaine du Président Jooris est pour le moins une demi-mesure. Cité par Wahl (Alfred), Les archives du football, ibid., p. 237.
7 Georges Bayrou et Henri Jooris sont en effet partisans d’un racolage qu’ils pratiquent au sein de leurs clubs respectifs (Olympique Lillois et FC Cette). Jules Rimet et Henri Delaunay (secrétaire général de la FFFA) préférant opter pour le statu-quo. Se reporter à Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), ibid., p. 46.
8 In Nord Sportif, 6 mai 1922, ADPC, G 95.
9 La Fédération belge de Football Association a en effet pris des mesures visant à réguler les transferts et limiter l’afflux de joueurs étrangers au lendemain de la guerre : « tout joueur sollicitant l’autorisation de changer de club passe devant une commission. Tout transfert qui ne serait pas motivé pour des raisons plausibles est refusé ». Il faudra ensuite résider depuis deux années en Belgique pour participer aux championnats « Honneur » et « Promotion ». Sur l’histoire du football belge, consulter : Boin (V.), Le livre d’or de l’URBSFA, éditions Leclercq et Haas, Bruxelles, 1949.
10 In Nord Sportif, 11/17 juillet 1924, ibid., G 95. Il faut souligner que la personnalité d’Henri Jooris, l’attitude qu’il aura observée sur le racolage et la publication des fiches de paie des joueurs de l’OL par le comptable du club entraînent un jugement sans appel de l’hebdomadaire : « Mais cependant, nous croyons pouvoir espérer beaucoup de fermeté de la part de la Commission des Transferts qui vient de se reformer et de se purger, en éliminant un de ses personnages dont les procédés inqualifiables couvraient de honteux marchandages » (allusion à l’éviction du Président Jooris de la FFFA en 1924).
11 Boniface (Pascal), Dir. Géopolitique du football, Editions Complexe, Bruxelles, 198, p. 14. L’expression « foot drain » est aujourd’hui employée pour désigner l’exode des joueurs des pays du Sud (en provenance du continent africain notamment) vers les championnats professionnels européens.
12 In L’Eclair du Touquet Paris Plage, 4 avril 1926, ADPC, F 89.
13 In L’Eclair du Touquet Paris Plage, 14 novembre 1926, ADPC, F 89.
14 Sur ces questions, consulter : Wahl (Alfred), Les archives du football, ibid., pp. 248- 50.
15 Pour la saison 1926/27, le CA Paris remporte le titre du groupe « Excellence », l’AS Valentigney (club du Doubs) le titre en « Honneur » et l’AC Tours en « Promotion ». En 1927/28, les clubs couronnés sont le Stade Français (E) et le FC Mulhouse (H). La dernière édition est remportée par l’Olympique de Marseille (E) et l’US Cazères (H). Se reporter à : Vermand (Dominique) Dir., Cent ans de football en France, ibid., pp. 105-106. Les « Lions » de l’AS Valentigney représentent l’archétype du club amateur au milieu des années vingt. Le club est exclusivement composé de joueurs employés des usines Peugeot, mais qui contrairement au FC Sochaux ne sont pas subventionnés par la firme automobile. Finalistes de la Coupe de France en 1926, ils sont battus 4/1 par les « professionnels » de l’Olympique de Marseille. Situation inédite qui souligne les deux directions radicalement opposées prises par le football français à l’époque. Se reporter à : Cazal (Jean Michel) Dir., La Coupe de France de Football, FFF, 1993, p. 39.
16 Se reporter à la carte en annexe : Répartition et hiérarchie des clubs de football dans le département du Pas-de-Calais (1926/1927).
17 L’équipe « fantôme » du Racing se compose de joueurs suivants : Dumont, Leleu, Cocu, Marquilly, Pierron frère, Van den Weghe, Lannoy, Fernand Lefebvre, M. Lemaire, Armand Joos, V. Leleu, Minny et Bultez. Autant de joueurs progressivement évincés de l’Equipe première du Racing In Racing-Club de Lens (1906/56), Plaquette souvenir du Cinquantenaire, ibid.
18 Les annuaires successifs de la Ligue du Nord de football montrent que les jeunes footballeurs de la région se sont illustrés dans ce concours national : Buge (Excelsior de Roubaix en 1931), Prevost (Sporting-Club Fivois en 1934/35), Vandevelde (RC-Roubaix en 1935/36 et 1936/37). Plus récemment, Michel Vanholme (IC Croix en 1962) et Serge Dubreucq (RC-Calais en 1962).
19 Le budget du Racing est cependant sans commune mesure avec celui de l’Olympique Lillois à la même période. La publication des fiches de paie des joueurs de l’équipe A par le Trésorier de l’OL en 1924 avait montré l’importance de la masse salariale d’un club prétendument amateur, qui indemnise joueurs et entraîneur (en 1926, celui-ci perçoit près de 3500 francs mensuels, contre près de 7800 francs pour l’ensemble des joueurs). Se reporter à Wahl (Alfred), ibid., p. 230.
20 Sur les origines du supportérisme lensois, consulter : Demaziere (Didier) Dir., Le peuple des tribunes, ibid., pp. 50-55. Pour chaque club de supporters, il s’agit avant tout « d’aider par tous les moyens à sa disposition le développement du club ». Président du Supporter’s Club Lensois, Maurice Carton écrit en 1937 : « décidez vos amis ou les personnes qui ne connaissent pas encore le football à assister à un match, vous aurez accompli une belle action sportive, car vous pouvez être persuadé que ces personnes mordront à l’hameçon Sang et Or et qu’elles y reviendront ». In Sang et Or, n° 1, 22 août 1937, ADPC.
21 Les difficultés des historiens du sport et du football à aborder une histoire du jeu sont essentiellement d’ordre méthodologique. Il est pourtant possible d’en identifier les grandes phases : depuis l’introduction régressive du football des origines en France (confusion entretenue entre football rugby et football association), en passant par le « raffinement progressif » du jeu par la présence des britanniques au sein des clubs français (avant 1914), et enfin par la « révolution tactique » de 1925, résultat de la modification de la règle du hors jeu... Chacune de ces périodes entraînant une évolution de la disposition spatiale, et des attitudes des joueurs, d’abord individualistes et essentiellement basées sur des qualités athlétiques. Le raffinement et la technicisation du jeu observés après 1914 modifient de manière sensible l’importance des différentes lignes présentes sur le terrain et les qualités des joueurs qui les occupent (arrières plutôt rugueux, dont le jeu viril doit désormais permettre la relance ; demis longtemps oubliés du fait du « kick and rush » qui deviennent les véritables pivots du jeu et doivent désormais posséder un bagage technique important ; avants plus mobiles, adeptes du dribbling game et au style de jeu « esthétisant »). D’après la communication d’Alfred Wahl, In Football : jeu et société, Entretiens de l’INSEP, Paris, 11/13 mai 1998.
22 Alfred Wahl rappelle que cette innovation britannique originaire d’Ecosse, conséquence d’une adaptation tactique à la nouvelle règle du hors-jeu, se diffuse précisément au moment du « splendide isolement » du football britannique (retrait de la FIFA). Le WM consiste à transformer le demi-centre en arrière central, obligeant ainsi les deux demis et les deux inters à « s’approprier » l’initiative et la distribution du jeu, ce qui eut pour effet d’aérer le jeu au milieu du terrain, mais qui fut également à l’origine d’un marquage plus strict, désormais « individualisé », rendant ainsi le jeu moins offensif. Sur ces aspects technico-tactiques, consulter : Vermand (Dominique) Dir., Cent ans de football en France, ibid., p. 120.
23 Se reporter sur ce sujet à : Sansot (Pierre), Les gens de peu. Le football des trottoirs (chap. 11), P.U. F, Coll. Sociologie d’aujourd’hui, 1991, pp. 140-154. Le jeu est considéré comme le prolongement et la transposition des situations vécues à l’usine et les analogies entre football et entreprise sont nombreuses : exaltation de valeurs physiques, nécessité pour les joueurs de « mouiller le maillot » sur le terrain comme les supporters mouillent le leur à la mine ou à l’usine, fraternité mâle des lieux de sociabilité sportifs (le stade, la buvette, le siège du club, les cafés...), développement d’une « culture footballistique locale » qui renforce un profond sentiment d’appartenance autour de lieux (l’usine, la cité, le stade), etc. « Ce qui me frappe et m’a toujours frappé dans cette foule essentiellement populaire, c’est, d’une part, la puissance physique, et de l’autre, un grand dénuement intérieur ; une souffrance non dite, mêlée de révolte, comme une énergie déçue et triste d’être mal employée, gaspillée. Cela sent l’usine, le chantier, les fouilles, nuques de taureau, mains énormes, visages massifs et dont le trait commun, à travers mille différences (les gros, les maigres, les petits, les gras, les rougeauds, les pâles), c’est d’être fait d’une seule pièce. Comme ce qu’ils disent ». Haldas (Georges), La Légende du football, Editions l’Age d’homme, 1981.
24 Demazière (Didier) Dir., Le peuple des tribunes. Les supporters du Nord – Pas-de-Calais, Béthune, Documents d’ethnographie Régionale du Nord – Pas-de-Calais, n° 10, 1998, pp. 24-26. Le Racing-Club de Roubaix est d’ailleurs une société omnisports, où l’on pratique la course à pied, le tennis et le cricket. D’autres clubs de l’agglomération fondés à la même époque reprennent ce modèle nordiste qui allie influence anglaise, origine scolaire et recrutement bourgeois : les Crusaders de Croix, l’Iris-Club Lillois (1898), le Football-Club Lillois et le Stade Lillois (1899), le Stade Roubaisien (1896), l’Union Sportive de Tourcoing (1898). Fondé par un industriel lillois en 1902, le Sporting-Club Lillois est soutenu par la Compagnie Lilloise des Moteurs Peugeot et des industriels du textile. Se reporter à Demaziere (Didier) Dir., ibid., p. 42.
25 La multiplication des clubs corporatifs amène la FFFA à mettre en place un championnat corporatif distinct des compétitions « officielles » organisées par les ligues régionales. Incarnations sportives d’entreprises, maisons de commerce ou Compagnies des Mines, le football corporatif constitue pour la FFFA une menace directe pour un amateurisme déjà en crise, dans la mesure où il développe le statut d’ouvrier footballeur ou d’employé footballeur, avec un risque réel d’aliénation et de confiscation des joueurs par les patrons, qui pourraient utiliser et détourner les liens du travail à des fins sportives. L’ouvrier footballeur risque bien de devenir la propriété exclusive de son patron, par ailleurs président du club. Se reporter à Wahl (Alfred), Les Archives du football, ibid., pp. 190-193.
26 Korr (Charles), Angleterre : Le foot, l’ouvrier et le bourgeois, In l’Histoire, n° 38, octobre 1981, pp. 44-51. Fondé par Amédée Prouvost, directeur des Peignages Prouvost et de la Lainière de Roubaix, le Football Club de Roubaix fusionne en 1928 avec le club des établissements Charles Tiberghien de Tourcoing, pour devenir l’Excelsior Athlétic-Club de Roubaix, vainqueur de la Coupe de France en 1933. Sa victoire contre le RC-Roubaix est aussi celle d’un club ayant franchi le pas du professionnalisme, parce que disposant de moyens financiers suffisants et offrant aux joueurs une possibilité de reconversion au sein des usines du groupe textile. S’il demeure délicat d’avancer des chiffres précis, un extrait du Monde Illustré de mars 1923 parle « de plus d’un millier de footballeurs qui à Roubaix prennent part chaque dimanche aux matches ». Le chiffre de 120 équipes roubaisiennes, soit 1 footballeur pour 90 habitants est même avancé par Alfred Wahl. Cité par Demaziere (Didier), Dir., ibid., pp. 34-37.
27 Sur les évolutions de l’habitat minier, consulter : Le Maner (Yves), Du coron à la cité. Un siècle d’habitat minier dans le Nord – Pas-de-Calais (1850/1950), Centre Historique Minier de Lewarde, Collection Mémoire de Caillette, n° 1, 1995, 119 p.
28 Cité par : Dremière (Laurent), Un siècle de football en Nord, Editions La Voix du Nord, 1998, p. 24. L’ES Bully est d’ailleurs une société omnisports : les club dispose d’une salle de gymnastique où l’on pratique également la boxe, et d’une piste en cendrée autour du terrain d’honneur, pour la pratique de l’athlétisme.
29 Le District Artois est crée à l’initiative de François Chevalier, secrétaire général du Stade Béthunois. Les membres du comité sont : MM. Camille Tisserand (US Noeux), Albert Delebraye (US Auchel), Marcel Pierron (RCL), Lesur (Hénin Liétard), Legillon (Avocat au Barreau de Béthune, qui deviendra le premier Président du District). Etabli à partir de : District Artois de football, 60e Anniversaire du Football Artésien, Béthune, 31 mai 1981, ADPC, B4011/14.
30 Se reporter à : Brohm (Jean Marie), Sociologie politique du sport, Presses Universitaires de Nancy, 1992, 400 p. Consulter principalement le chapitre 3 : « L’institution sportive dans le mode de production capitaliste industriel », pp. 135- 178. Consulter également : Vassort (Patrick), Football et politique. Sociologie historique d’une domination, éditions de la Passion, 1999, 377 p.
31 Cité par : Dremière (Laurent), Un siècle de football en Nord, ibid., pp. 24-26.
32 Dremière (Laurent), ibid., p. 26.
33 Bourg (Jean-François), L’argent fou du foot, Editions La Table Ronde, 1994. Se reporter également à : Bromberger (Christian), Le match de football, ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1995, 398 p. « Le football est fondé sur une rigoureuse alliance entre la division des tâches et la planification collective. Les joueurs sont répartis par postes complémentaires mettant leurs qualités individuelles au service d’un travail d’équipe selon une tactique ou un système de jeu visant à un maximum d’efficacité ». In Sciences humaines, n° 85, juillet 1998, p. 15.
34 Cegarra (Marie), Une mine de footballeurs, le RCL, op. cit., pp. 153-173.
35 A la fin de l’année 1931, licenciements et fin de la politique d’embauche des galibots précèdent le rapatriement d’une partie de la main d’œuvre polonaise, principalement les hommes célibataires et les rares militants syndicaux (en août 1934, Edouard Gierek est ainsi expulsé). Les effectifs des ouvriers polonais passent ainsi de 41 000 à 25 000, de 1931 à 1934, sans que les organisations syndicales et partis politiques s’en émeuvent. Chiffres cités par : Le Maner (Yves), Histoire du Pas-de-Calais (1815/1945), ibid., p. 202.
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