Reconstruction et démocratisation du football nordiste dans les années vingt
p. 89-114
Texte intégral
1. « Football de guerre » et reconstruction au seuil des années vingt
1Le déclenchement annoncé de la première guerre mondiale va freiner les processus d’organisation et de développement du football nordiste, qui subit indirectement les conséquences de l’invasion et de l’occupation d’une partie du territoire. Comme le souligne Yves Le Maner, le département du Pas-de-Calais se retrouve en « première ligne », devenant pour les belligérants lieu de combats et position stratégique1. L’occupation allemande du département du Nord et du sud du département du Pas-de-Calais (le ligne de front s’étendant de Béthune à Bapaume, en passant par Lens et Arras), les offensives alliées lors des batailles d’Artois (décembre 1914, mai et septembre 1915, avril 1917), la présence de près de quatre millions de soldats sur les quatre années de guerre, les migrations de population dans la partie non occupée de la région... Autant d’éléments qui bouleversent l’économie et la vie quotidienne des populations du Nord – Pas-de-Calais et qui relèguent aux oubliettes toute forme de pratique sportive organisée. Le football nordiste connaît alors une parenthèse de fait : constitués de jeunes gens partis au front, les effectifs des équipes de football sont décimés, le championnat du Nord USFSA et les compétitions de la Ligue d’Artois sont annulés2.
2Cette pause imposée par les opérations militaires et les rigueurs de l’occupation dans le Nord correspond paradoxalement à une sorte d’embellie du football au plan national et à une première phase visible de sa démocratisation. L’enlisement des offensives et la stabilisation des fronts, l’entrée dans une longue guerre de position après les échecs de la guerre de mouvement, vont finalement recréer à l’arrière les conditions d’une vie quotidienne d’avant-guerre, en accordant aux pratiques sportives de nouvelles dimensions : exutoire des temps difficiles, lieu de cristallisation d’un patriotisme nécessaire (sur le modèle des bataillons scolaires, sociétés de tir et de gymnastique d’avant guerre), les pratiques sportives sont exaltées et récupérées, et le football n’échappe pas au phénomène. Mieux, il devient une sorte de modèle sportif, qui bénéficie d’un réel engouement populaire, habilement récupéré par la propagande.
3Démocratisation accélérée, « popularisation » progressive et technicité mieux maîtrisée sont les caractéristiques de ce football pratiqué au cours de la première guerre mondiale : si l’occupation du département du Nord rend caduque la prolongation des championnats classiques organisés par des fédérations toujours concurrentes, celles-ci mettent rapidement sur pied de nouvelles compétitions qui répondent à des impératifs extra-sportifs3 4.
4En introduisant la notion de poilu sportif, Alfred Wahl a démontré que le football n’est plus le simple lieu de divertissement des populations civiles et d’occupation de la jeunesse. Il devient également un instrument participant au « bourrage de crâne » caractéristique de la période. Les journaux sportifs se livrent désormais à de véritables hagiographies de ces soldats footballeurs, qui mettent leurs qualités physiques au service de la patrie, et n’hésitent pas, à l’occasion de permissions, à pratiquer leur sport lors de rencontres amicales où l’affluence est de moins en moins confidentielle : huit championnats ou compétitions sont ainsi organisés pendant la guerre, sans compter les rencontres amicales qui opposent équipes régimentaires françaises et alliées. La présence de contingents de l’empire britannique sur le territoire français peut être considérée comme un facteur déterminant dans la diffusion et l’implantation du football en France, notamment dans les zones rurales. Les troupes anglaises assurent en quelque sorte une initiation sportive, qui contribue à ne plus faire du football une pratique exclusivement urbaine : les villes moyennes et les campagnes sont désormais touchées, l’extension du réseau ferré au lendemain de la guerre facilitant les déplacements régionaux. Dans le département du Pas-de-Calais, il reste délicat mais envisageable d’établir une corrélation entre l’implantation des camps britanniques et la création de clubs au lendemain de la guerre. Les archives disponibles permettent simplement d’identifier les clubs participant aux compétitions officielles ou amicales, mais ne font pas état de l’organisation de pratiques spontanées à proximité des camps des « tommies ». A Etaples, qui en concentre en 1917 près de 20 000, les pratiques physiques autres que l’instruction militaire du « Bull Ring » se déroulent sur le terrain de jeu des troupes anglaises, et l’on peut supposer que le football y fut pratiqué. Une cartographie des clubs au lendemain de la guerre montre que certains sont proches de l’implantation des camps britanniques : l’Audruicq British Football Club, l’UA Marquise, le Sport-Club de Tournehem autour de Calais, PUS Montreuil et l’AS Berck près d’Etaples, la JS Desvres, PUS Wimereux, l’Eclair Club de Neufchâtel et Outreau autour de Boulogne sur mer, le CS Watten et l’Equipe Anglaise de Longuenesse près de Saint-Omer.
5La présence britannique est sans doute à l’origine de la création à Etaples d’une section de football association au lendemain de la guerre : le Racing-Club Etaplois, club omnisports fondé en 1912, officiellement déclaré en 1921 et affilié à de nombreuses sociétés sportives du Pas-de-Calais5.
6Dans l’un des premiers éditoriaux du Bulletin du Racing-Club Etaplois, les objectifs d’une société rénovée après la parenthèse de la guerre affirment la dimension hygiéniste et préparationniste caractéristique de nombreuses associations et groupements sportifs au lendemain de la victoire de 1918 :
Actuellement, la majorité des foules sait que les hommes ordonnés, les intellectuels mêmes, comprennent que le relèvement de la race n’est possible que par le sport raisonné puisqu’il donne la force, la volonté, la nécessité, la décision aux jeunes gens qui s’y adonnent qui les éloigne des amusements contraires à leur développement. Les exercices physiques forment donc l’homme dans toute l’acception du terme.
Il est manifestement nécessaire de conserver tout cela, car c’est le moment où les détracteurs vont profiter de circonstances, où les excès se font jour. Et, en toutes choses, l’excès suscite le dénigrement.
Dans notre pauvre humanité, survient toujours l’heure où nous devons défendre ce que nous aimons. Le sport est voué à cette sauvegarde6.
7Si Coubertin souhaitait rebronzer la France par les pratiques sportives, il s’agit pour les Racingmen étaplois de régénérer une « race française » cruellement éprouvée par la guerre. Il faut aussi contribuer à la formation morale de l’individu par la transmission de vertus, constitutives d’une forme d’ascétisme sportif tout à fait compatible avec cette dimension hygiéniste des pratiques physiques. Pour les dirigeants du RCE, la césure entre pratiques physiques et pratiques sportives se semble pas encore très nette : le culte du muscle, pourtant abandonné dans le champ de l’éducation physique scolaire, l’emporte sur la dimension éducative affirmée d’un sport moderne, qu’il s’agit cependant de préserver contre toute forme de dérive, notamment un professionnalisme précoce. Les pratiques les plus développées au sein du RCE demeurent d’ailleurs, jusqu’au milieu des années vingt, les courses cyclistes et les épreuves d’athlétisme (course à pied notamment). Leur popularité, pour reprendre l’expression de Ronald Hubscher, est sans doute le résultat d’une nature polysémique : en développant des capacités d’endurance, en accentuant le caractère « viril » des pratiquants, la bicyclette, avatar sportif maîtrisé de la révolution industrielle, entretient le mythe de l’exploit individuel et de la victoire ultime de l’homme sur la machine7. Pratique hygiéniste, patriotique et ludique, les succès de la vélocipédie à Etaples relèguent le football au rang d’une discipline exotique d’importation britannique, qui commence cependant à s’implanter et se développer sur les rives de la Canche en 1922.
8Il est ainsi possible d’observer à l’échelle du département une implantation différée du football dans certaines zones, où la stratification sportive s’est effectuée de manière originale ou plus tardive, en fonction de sensibilités propres aux sociétés sportives locales. En décembre 1921, la remise de la Coupe Gustave Leroux (président d’honneur du RCE) à l’issue d’une compétition de course à pied est l’occasion d’inaugurer une plaque commémorative en l’honneur des membres du RCE tombés au champ d’honneur. Cette frénésie commémorative constitue d’ailleurs l’un des particularismes observés dans le département. L’USB, le RCC auront également leurs monuments à la gloire des poilus sportifs tombés au champ d’honneur, dont il conviendra d’honorer la mémoire et d’entretenir le souvenir.
Après les honneurs à ceux qui ont su se sacrifier pour sauver la France et nous délivrer de l’invasion barbare, il nous faut penser à ceux qui restent et songer à leur préparer un avenir comportant le repos et la tranquillité. Pour cela, il nous faut nous préparer afin de rester forts dans l’Avenir comme nous avons su l’être dans le passé : « si vis pacem, para bellum », si tu veux la paix, prépare toi à la guerre...
Et qu’y a-t-il de plus apte à cette préparation que le sport sagement compris ? C’est le plus sain, le plus utile, le plus varié de tous les plaisirs. L’on instruit et l’on se fortifie en s’amusant.
Cultivons donc les sports, pratiquons les, faisons les pratiquer à nos amis et que la France puisse devenir bientôt, comme notre alliée l’Angleterre, une nation sportive apte à l’offensive mais surtout prête à la défensive8.
9Propos patriotiques et annonciateurs d’un nationalisme sportif qui ne tardera pas à se décliner sous des formes variées dans l’Europe de l’entre deux guerres, au moment où les pratiques sportives s’institutionnalisent sur un mode de plus en plus compétitif. Le football association est toujours absent des compte-rendus des manifestations sportives du bulletin du RCE, même si l’on reconnaît volontiers que la diffusion de sa pratique est inéluctable.
10Ainsi, l’une des explications de la confidentialité de la pratique du football étaplois tiendrait à une certaine méconnaissance de ses vertus et des qualités morales qu’il développe chez les joueurs. Les critères cités allient cette fois de manière équitable paramètres physiques (force, agilité, souplesse) et comportementaux (endurance, abnégation, volonté). Le football tend à devenir une pratique sportive, reconnue comme telle, qui correspond aux définitions de l’époque.
11Publiés en 1921, les statuts du Racing-Club Etaplois donnent l’image d’une société sportive structurée et hiérarchisée, selon des principes communément répandus. Un comité central composé de 14 membres préside aux destinées des différentes sections sportives du club (éducation physique, préparation militaire et sports : football, basket-ball, cyclisme, athlétisme puis tennis à compter de 1923), et distribue des budgets de fonctionnement proportionnels à l’intérêt porté à chaque discipline et au nombre de pratiquants affiliés. Les subventions attribuées par le comité central traduisent cette hiérarchie des pratiques déjà évoquée : les sports « cyclo-pédestres » se voient allouer la somme de 500 francs, la section de préparation militaire et de tir, de basket-ball disposent de 100 francs, tandis que le football ne semble disposer que des ressources provenant des recettes des matches et cotisations des membres de la section. La première rencontre de football mentionnée dans le bulletin du club (alors que le RCE est engagé dans le championnat maritime depuis de nombreuses années) se déroule le 6 mai 1923, à l’occasion de l’inauguration d’un terrain de sports, permettant également la pratique du basket-ball...
12Si le traitement des différentes sections ne répond pas à des principes d’équité, chacune d’entre elles doit en revanche adopter à partir de 1923, les couleurs du club (maillot blanc et noir avec l’insigne RCE brodé bleu et blanc), signe d’appartenance à une même société. Cependant, à la différence d’autres clubs omnisports, cette uniformisation ne semble pas provoquer le développement d’une « culture » fondatrice d’une identité sportive affirmée. Il est en revanche possible d’identifier le nombre et la qualité des membres honoraires, consciencieusement répertoriés dans le bulletin du RCE du 28 février 1922. Ces derniers, au nombre d’une centaine, conformément aux statuts du RCE, adhèrent à la société sans pratiquer d’activités physiques. A une très grande majorité, il s’agit d’une population masculine appartenant à la petite et moyenne bourgeoisie de la cité (97 % des membres honoraires résident à Etaples), où les commerçants et artisans dominent : amateurs de sports mais non pratiquants, leur adhésion au RCE constitue peut-être un moyen de promotion de leur activité professionnelle (pour l’un d’entre eux, Martel, marchand de cycles, cela relève de l’évidence). Leur intérêt manifeste ou supposé pour les pratiques sportives souligne la réalité d’un mouvement associationniste qui se prolonge dans des sociétés sportives possédant leurs propres critères de sociabilité. A l’image d’autres clubs sportifs et sociétés déjà observées dans leur phase de constitution, il s’agit de cultiver un sentiment d’appartenance très fort (à Etaples, la dimension patriotique et nationaliste du RCE exige que les membres de la société soient français...), au travers d’un idéal autant républicain (soit un fonctionnement interne hiérarchisé mais qui reproduit scrupuleusement les règles de la démocratie participative) que sportif (l’objet de ces sociétés transcende souvent leurs finalités sportives en s’attachant à la promotion de valeurs éducatives par le sport et les pratiques gymniques)9.
13Sur le Littoral, à l’occasion d’une rencontre opposant l’équipe première du Racing-Club de Calais au Cox ’s Bank Athletic Football Club le 28 mars 1921 (les Maritimes s’inclinent 2/1 devant 800 spectateurs), la presse locale rappelle que la guerre a donné lieu à l’organisation de rencontres, ayant permis aux joueurs du RCC de se mesurer à des équipes supérieures sur le plan des individualités techniques, mais manquant visiblement de cohésion sur le plan du jeu, en raison d’une composition hétéroclite. La supériorité des joueurs anglais, vis-à-vis des Ecossais, Gallois, Irlandais et autres contingents de troupes de l’Empire Britannique est soulignée :
Le RCC n’a pas oublié les belles rencontres de l’avant guerre qui se déroulaient sur le terrain de Civry et mettant en présence le Racing et de nombreuses équipes anglaises dont le jeu de football si scientifique, si joli, si doux permettait à nos joueurs de s’acclimater aux véritables combinaisons artistiques de nos amis d’outre Manche.
Demandez aux vieux Racingmen leur avis sur de telles rencontres et vous les entendrez : « Oh, quel jeu ! Nous étions presque toujours battus, nous écopions sérieusement mais quelles jolies parties ! ». La guerre nous a permis de rencontrer de nombreuses équipes anglaises. Mais formées d’individualités, ces équipes manquaient forcément d’homogénéité, les véritables équipes anglaises d’Angleterre nous reviennent10.
14Dans le bassin minier, l’augmentation numérique des clubs de football dans les années vingt a sans doute bénéficié de la présence britannique, à l’image d’un Racing-Club de Lens décimé au cours de la guerre, même si le rôle des Compagnies Minières aura également été déterminant. La carte réalisée (Recensement des clubs de football dans le département du Pas-de-Calais) permet cependant de nuancer l’empreinte rurale observée par exemple dans le Boulonnais. Le football association demeure un phénomène essentiellement urbain, particulièrement concentré dans le bassin minier, bien implanté sur le Littoral, et localisé dans les foyers isolés du Ternois et de l’Audomarois. Cette esquisse d’une géographie du football nordiste ne prend cependant en compte que les clubs officiellement recensés, qui peuvent être identifiés par leur affiliation à la Ligue d’Artois, leur participation à des compétitions officielles ou rencontres amicales. Il demeure donc difficile de distinguer de manière stricte les pratiques identifiées, dont les clubs sont les dépositaires, et des pratiques plus spontanées qui réunissent sur le modèle aléatoire des jeux traditionnels d’antan (au niveau du calendrier, de la fréquence des parties disputées, des règles adoptées) des équipes de joueurs constituées autour du quartier, de l’usine, de l’école, etc. Les deux modèles se développeraient ainsi de manière autonome, contribuant tous deux à la constitution d’une culture sportive populaire.
15Particulièrement sinistré par la guerre, le département du Pas-de-Calais et le bassin minier, au lendemain de l’armistice de 1918, connaissent le temps de la reconstruction et de la remise en marche d’un potentiel économique anéanti11. Au plan sportif, l’après-guerre se caractérise également par une difficile remise en état du football nordiste, éloigné pendant quatre années des compétitions et amputé de ses meilleurs joueurs. Cette phase de recomposition régionale accompagne un processus décisif d’unification et d’autonomisation des instances sportives nationales, et correspond d’ailleurs à la phase de maturité du mouvement sportif, dont les pratiques connaissent, au lendemain de la guerre, une véritable sécularisation. L’unité retrouvée du football français, le 7 avril 1919, accélère le démembrement de l’USFSA et contribue à la création de fédérations unisports autonomes. La volonté de transformer le Comité Interfédéral Français en une fédération autonome, l’accord de principe de Jules Rimet (président de la LFA) de voir cette dernière disparaître au profit d’une fédération unique, vont finalement amener l’USFSA à accepter un choix qui s’impose de fait, si les instances sportives nationales veulent s’adapter aux réalités européennes et participer au mouvement d’internationalisation des compétitions observé après-guerre.
16Les départements du Nord et du Pas-de-Calais ne participent pas d’emblée à cette frénésie du rétablissement des compétitions sportives, tant les territoires sont marqués par la guerre et confrontés à l’urgence d’une remise à flot d’un potentiel économique détruit. Dans le bassin minier, qui constituait avant guerre l’un des lieux de forte concentration de la pratique du football, les ravages de l’occupation et la cicatrice de la ligne de front imposent d’abord la trilogie d’une reconstitution agricole/industrielle/minière, avant la remise en état de pratiques structurées12. Les clubs régionaux (ainsi que ceux de l’Est de la France) sont d’ailleurs absents des deux premières éditions de la Coupe Charles Simon : organisées à partir d’octobre 1917 (première finale le 5 mai 1918 à Paris opposant l’Olympique de Pantin au FC Lyon) et octobre 1918, ces compétitions réunissent surtout des clubs parisiens, du Sud-Est et de l’Ouest de la France, dont les effectifs sont parfois complétés par des militaires belges et anglais. Il faudra attendre l’édition 1919 pour que des clubs nordistes y participent pour la première fois, réintégrant ainsi un niveau de compétition leur permettant d’affronter les meilleures équipes de l’époque :
La première édition de la Coupe Charles Simon (1917/1918) réunissait 48 clubs dont une majorité de clubs parisiens, toutes fédérations confondues. 59 clubs, dont 33 clubs de province participent à la deuxième version de la compétition en octobre 1918. C’est à partir de l’édition 1919/1920, désormais appelée Coupe de France, que 6 clubs de la région entrent en lice (pour 114 clubs inscrits) : l’Union Sportive Boulonnaise élimine l’US Tourcoing à Boulogne le 7 décembre 1919 (2/1) en 32e de finale, l’Olympique Lillois se défait de l’AS Creilloise (7/0), le Racing Club de Roubaix l’emporte face au Stade Roubaisien (5/1).
En seizième de finale, l’Olympique Lillois se qualifie aux dépens de l’AS Française (le 4 janvier 1920 à Lille, sur le score de 3/1) et demeure la seule équipe nordiste rescapée. L’USB est éliminée par le FC Rouen (0/1), et le Racing par le Gallia Club, à Roubaix (1/2). Après avoir éliminé l’olympique de Paris en huitièmes de finale le 1er février 1920, à Paris, les joueurs lillois s’inclinent face à l’AS de Cannes (le 7 mars 1920. Paris. 1/2).
17Pour le Racing-Club de Lens, il s’agit également de « remettre en état » un football ayant connu quatre années de parenthèse forcée. Si le modèle anglais, sans être déterminant, avait contribué à la naissance du football nordiste, c’est cette fois-ci l’aide américaine qui assure le redémarrage du football lensois. Le directeur du Foyer du Comité de Secours Américain, installé rue de Lille, M. Laroche, outre sa mission de ravitaillement de la population lensoise, organise pour les jeunes des activités ludiques et de distraction. Lorsque ces derniers aménagent sommairement un terrain au milieu des ruines de la fosse 2, il leur procure l’indispensable ballon. Anciens joueurs du Racing, Albert Guéant et Séverin Leleu, qui participent aux opérations de déblaiement de la cité, convainquent M. Laroche de les aider à obtenir un terrain de jeu plus convenable : la pâture Taquet, située dans le marais en contre bas de la route fera l’affaire et deviendra le premier stade d’un Racing-Club de Lens rebaptisé. Réglant la somme de 10 000 francs nécessaires aux travaux de viabilisation du terrain et de nivelage, M. Laroche exige que le Racing prenne une nouvelle appellation et devienne l’Union Sportive du Foyer Franco Américain (USFFA). Les premières rencontres amicales, disputées à partir de mai 1919, opposent un Racing reconstitué aux équipes régimentaires des troupes anglaises sur un terrain remis en état à Eleu, puis aux équipes des communes de Grenay, Noeux, Bruay, Billy Montigny, Hénin Liétard et Béthune, elles aussi reconstituées13.
2. La création de la Ligue du Nord de Football Association
18La création de la Ligue du Nord lors de son assemblée constitutive à Lille le 27 août 1919, réunit une vingtaine de clubs. Elle traduit la volonté des instances fédérales de la FFFA, crée le 7 avril, de rapidement procéder à une décentralisation du football français, par la mise en place d’une vingtaine de Ligues Régionales. Celles-ci auront pour mission de prendre en charge l’organisation des championnats, coupes et rencontres locales qui se multiplient au lendemain de la guerre. Les années vingt constituent, après la phase d’implantation du football en France, une phase d’enracinement et de structuration essentielles, conditions préalables à une démocratisation réelle de la pratique, et à la consécration de sa dimension populaire.
19Les statuts de la Ligue du Nord publiés au Journal Officiel le 12 septembre 1919 définissent l’activité et les territoires sur lesquels la Ligue exerce son autorité. Elle reprend en fait les fonctions de la commission régionale de l’USFSA, dont la création au début du siècle avait permis d’organiser les premières compétitions officielles. La Ligue du Nord s’étend sur deux puis trois départements (Nord – Pas-de-Calais et Somme : ce dernier, d’abord rattaché à la Ligue du Nord-Est, rejoint la Ligue du Nord en 1922). Elle crée dès 1919 une première division d’Honneur qui réunit les clubs de la métropole ayant participé au tournoi des Trois Villes en 1916/17, auxquels viennent s’ajouter les trois grands clubs du Littoral :
Division d’Honneur de la Ligue : Racing Club de Roubaix, le Stade Roubaisien, l’Amicale Decraene de Roubaix, l’US Tourcoing, le Sporting Club de Tourcoing, l’Institut Colbert de Tourcoing (qui devient par la suite l’AS Tourcoing), l’Etoile Club Lillois, le « Club des X » (évoluant en maillot blanc et composé de joueurs de l’Olympique Lillois, à la demande du Dr Hennart, président d’honneur de l’Olympique Lillois), le Star Club Fivois, L’US Boulonnaise, le Racing de Calais et l’US Dunkerque14.
20Personnalité éminente du football nordiste, Henri Jooris, président de l’Olympique Lillois, en devient naturellement le Président et dirige les travaux du premier Comité directeur d’une Ligue dont il demeure difficile d’établir des effectifs précis. En revanche, le nombre de clubs affiliés en 1922 place la Ligue en tête des ligues régionales (279 clubs pour 6818 licenciés)15.
21Si les clubs et les licenciés peuvent être comptabilisés, ils ne constituent que la partie visible de l’iceberg sportif du football association, auquel il faudra ajouter les joueurs occasionnels. L’augmentation des effectifs, en dépit des propos dithyrambiques des dirigeants, n’est pas la simple conséquence de la structuration administrative des ligues. Elle correspond à un véritable engouement populaire, relayé et amplifié par l’internationalisation des pratiques.
22Alfred Wahl a montré que la constitution des ligues régionales, entamée à partir de 1919, s’est achevée en 1925 après de nombreuses difficultés. Leurs délimitations géographiques vont provoquer à de fortes disparités numériques, traduction au niveau des départements, des districts, et des villes de la vitalité et de la diversité des pratiques régionales. Ces regroupements institutionnels s’appuient désormais sur une géographie des transports constituée par le réseau de chemin de fer, les routes et les lignes régulières d’autocar, éléments indispensables aux déplacements des équipes. La densité historique de la trame urbaine dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais constituait un élément d’explication à la densité observée des clubs. Il semble que cette concentration repose également sur la rapide remise en ordre du réseau de communications au lendemain de la guerre (3500 km de routes, 355 ponts reconstruits, restructuration du réseau ferroviaire par la Compagnie du Nord en août 1920), rendant possible la réunion au sein de la même division des clubs du Littoral et ceux de l’agglomération lilloise. La remise en état plus lente des infrastructures dans le bassin minier explique le décalage de trois années observé dans la reprise des compétitions et l’intégration des clubs miniers aux sein des championnats régionaux.
23L’organisation du calendrier des saisons sportives, l’application des règlements généraux, la désignation des arbitres et la gestion des contentieux vont très rapidement constituer l’ordinaire des commissions régionales et des districts, signe visible d’une volonté d’unir mais également de « tenir » les clubs affiliés. Dans un courrier adressé aux dirigeants du Racing-Club de Calais, le président Henri Jooris justifie l’interdiction de la pratique des rencontres sur l’ensemble du territoire de la Ligue, en raison de la tenue d’un match international opposant la sélection de la Ligue du Nord à une équipe belge. Il précise que ce genre de rencontre constitue une source de financement pour la Ligue, dont les clubs, notamment les petits clubs, peuvent tirer les dividendes sous forme d’aide matérielle. Au-delà de ce simple rappel, l’autorité juridique de la Ligue est réaffirmée : il ne peut être question de multiplier dérogations et entorses aux règlements sportifs. La subordination des clubs aux instances dirigeantes est la conséquence de cette légitimité institutionnelle et participe à la construction de la pyramide sportive.
24A partir de 1922, le temps sportif se ritualise et s’accélère : le calendrier distingue désormais la « saison » (de septembre à juin), de « l’inter-saison », qui devient la période des matches amicaux, des mutations et des transferts des joueurs. L’instauration de règles communes en matière de mutations accentue cette volonté de contrôle et de régulation de la part des instances sportives. La possession obligatoire d’une licence pour chaque joueur désirant changer de club, l’affiliation du club à la FFFA, le respect d’un calendrier précis et de « dates butoirs » procèdent de cette uniformisation des règles : le principe d’équité sportive doit éviter tout dysfonctionnement. Courroie de transmission des instances nationales, la Ligue du Nord entend désormais régler tous les moments du temps sportif, en ne limitant pas ses prérogatives à la programmation des calendriers des compétitions :
1. Tout joueur licencié dans un club doit adresser sa démission sur carte-lettre recommandée, entre le 1er et le 30 juin. Il doit être à jour de ses cotisations. Tout autre démission sera refusée.
2. Un joueur changeant de club devra remplir une formule de demande de licence (art. 19).
3. Les demandes de licences doivent parvenir à la Fédération accompagnée du récépissé de la carte-lettre recommandée de démission à l’ancien club, avant le 15 juillet, dernier délai16.
25Emanations de la LNF, les commissions régionales et maritime des arbitres procèdent à la désignation des officiels des rencontres. On observe à cette occasion un phénomène de régionalisation du corps arbitral par une politique active de recrutement et de formation au niveau local, par l’intermédiaire des commissions de districts. L’augmentation vertigineuse du nombre des rencontres et la multiplication des challenges et autres matches amicaux imposent cet effort de recrutement. Il importe également que le déroulement et l’issue des rencontres donnent lieu à moins de contestations des résultats, et que le processus de civilité des compétitions puisse se vérifier dans les rapports des commissions, à défaut d’être visible au niveau des comptes-rendus des matches par la presse sportive régionale. Dans le District maritime, un premier examen d’arbitres sera organisé en octobre 1922 pour la saison 1922/23.
26La presse sportive n’a pourtant de cesse de dénoncer la méconnaissance des règles par les directeurs de jeu ou leur partialité flagrante. Au-delà de la subjectivité des sources, il faut reconnaître que ces jugements sont récurrents pendant près d’une dizaine d’années. Ils ne finiront par s’estomper qu’au milieu des années trente. Ce ne seront plus les erreurs techniques des arbitres qui seront soulevées, mais plus classiquement leur interprétation des lois du jeu, ce qui signifie qu’elles sont désormais intégrées. Il faut également insister sur le rôle des directeurs de jeu dans l’accélération du processus d’atténuation de la violence sur les terrains, « La faiblesse de l’arbitrage, voilà l’origine du jeu brutal et de ses suites... que soient seuls désignés des arbitres compétents et que l’on nous débarrasse des nullités incapables de diriger un match, encore moins de sévir contre les joueurs brutaux ». In Calais Sports, octobre 1922).
27La Ligue du Nord doit donc être considérée comme une instance d’organisation et de régulation du football nordiste. Par le développement d’instances internes, elle reproduit son organisation régionale au niveau des districts. Les réunions des commissions deviennent hebdomadaires dès 1920 et l’étude des ordres du jour montre que ceux-ci deviennent de plus en plus conséquents à mesure du développement des compétitions : étude des courriers des secrétaires des clubs adressées à la Ligue où aux commissions arbitrales, annulation et homologation des rencontres, étude des réclamations constituent rapidement « l’ordinaire » de ces réunions. En 1923, la Commission Régionale des Arbitres revient ainsi sur le score d’un match opposant l’Olympique Lillois et l’US Tourcoing, en remettant en cause une décision de l’arbitre, ayant validé un but non valable. Cet épisode souligne la toute-puissance des instances juridiques de la Ligue qui peuvent finalement rectifier les fautes techniques des arbitres, qui visiblement éprouvent encore des difficultés à saisir toutes les subtilités de l’International Board. Il montre également que les clubs n’hésitent pas à porter réclamation sur des faits de jeu (chose aujourd’hui tout à fait inconcevable) puisque, dans ce cas précis, le ballon, avant de pouvoir être frappé par un partenaire, n’avait pas accompli la distance correspondant à sa circonférence. On imagine sans peine le tollé que provoquerait de nos jours l’annulation d’un but à posteriori, pour un motif semblable...
28La structuration des instances accompagne le développement d’un football nordiste dont la vie est désormais régie par les compte-rendus de rencontres, reproduits par une presse sportive en expansion. Elle fait également état des assemblées générales et réunions de bureau de la Ligue du Nord de Football, dont les attributions et l’autorité sont désormais admises. Le compte-rendu de la réunion du bureau de la Ligue du 28 décembre 1921 (présidé par Charles Flenniau, trésorier, et se déroulant au bar Continental de Lille) donne une idée assez fidèle de ce qui constitue « l’ordinaire » de la Ligue. La création des Districts résulte d’une décentralisation administrative imposée autant par la multiplication des rencontres officielles que les contraintes de la géographie régionale. Ces derniers deviennent des émanations administratives d’une Ligue qui a réussi à imposer sa souveraineté administrative : les bureaux des districts opèrent en amont une sélection des dossiers à transmettre, en réglant, conformément à leurs prérogatives, les cas les moins litigieux, qui ne nécessitent pas un arbitrage au plus haut niveau.
29La verticalisation du football nordiste est en marche, le football régional voyant disparaître le caractère aléatoire et spontané de ses origines et de ses débuts. Mieux structuré, il est régi par une Ligue du Nord elle même soumise aux instances nationales et règlements de la FFFA, qui assure l’homogénéisation progressive du territoire sportif : les matches amicaux et challenges, s’ils peuvent posséder leur propre règlement, doivent cependant accepter que les réclamations éventuelles soient jugées par les commissions compétentes. Les décisions des commissions de districts et des commissions arbitrales sont généralement entérinées par le bureau de la Ligue, après que les clubs concernés aient pu faire appel. Les principes de la démocratie sportive sont désormais par des procédures et règlements stricts : dépositaire des règlements sportifs, la Ligue du Nord devient le relais administratif entre un football régional plutôt urbain, aux velléités d’indépendance affirmées, et des instances nationales qui entament au lendemain de la première guerre mondiale son combat contre le racolage et l’amateurisme marron.
30A ce propos, l’étude des comptes-rendus du bureau de la LNFA semble indiquer que l’immédiate après-guerre recèle déjà les germes d’un professionnalisme qui n’ose encore s’affirmer, mais perturbe l’organisation des rencontres. Quatre-vingts ans avant l’arrêt Bosman, le principe de libre circulation de joueurs étrangers et leur participation aux compétitions régionales semble acquis. L’histoire et la géographie du football nordiste ont déjà souligné le rôle des pays frontaliers (Belgique et Angleterre) dans les processus de développement du football régional et des clubs : la présence de joueurs anglais dans la région et les rencontres avec les clubs étrangers ont permis au football nordiste de gagner en qualité et en technicité. S’il est encore trop tôt pour parler de professionnalisme, la lutte contre l’amateurisme marron est engagée. Ses premières manifestations, comme l’ont montré Alfred Wahl et Pierre Lanfranchi, sont antérieures à la première guerre mondiale, et le Nord – Pas-de-Calais ne fait pas figure d’exception : le cas du joueur Harris, du Stade Béthunois, est sans doute la partie visible d’une réalité sportive plus complexe. La participation de joueurs anglais jusque là régulièrement qualifiés, venait améliorer au plan qualitatif les effectifs des équipes disputant les principales compétitions régionales. A partir de 1921, leur présence n’est plus souhaitée : ce n’est pas que la supériorité technique des joueurs étrangers suffisait à elle seule à infléchir le cours sportif des rencontres. Leur présence remet en cause l’esprit d’amateurisme des compétitions et contrarie quelque peu la volonté de « francisation » du football français, observée au lendemain de la première guerre mondiale (au moment où l’équipe de France multiple les rencontres internationales, où elle fait d’ailleurs bien pâle figure).
31Cette quête d’identité nationale, que d’aucuns qualifieront de première manifestation d’un nationalisme sportif dont le football serait l’archétype, peut justifier cette volonté d’un contrôle de joueurs étrangers, nécessairement professionnels, dont la présence est désormais jugée incompatible avec les finalités d’un football amateur. La fin de ce métissage, observée dans les équipes des principaux clubs nordistes, accompagne un premier mouvement de démocratisation et de spectacularisation des pratiques. Paradoxalement, le football va devenir pour les minorités, un instrument d’intégration et de promotion sociales.
32Le milieu des années vingt correspond en effet, au plan national, à un premier virage idéologique, péniblement négocié par les instances du football français. A l’image des grands clubs de province (FC Cette, Olympique de Marseille), les grands clubs nordistes (et en particulier l’Olympique Lillois, dirigé par Henri Jooris) vont faire le choix d’un amateurisme marron certes dénoncé, mais finalement mollement combattu : avantages en nature pour les joueurs (achat par le club de l’équipement), système de primes de matches (plus importantes en cas de victoire), paiement des déplacements des équipes premières par des notables généralement membres du conseil d’administration du club (c’est le cas d’Amiens Athletic-Club)...
33Ces pratiques sont pourtant condamnées par quelques dirigeants nationaux, qui ne veulent absolument pas entendre parler de cette deuxième version d’un modèle anglais, (où l’application des vertus supposées de l’économie libérale officialise le professionnalisme dès 1885) : Frantz Reichel et Charles Simon s’arc-boutent ainsi sur des principes qui tiennent autant à des conceptions claniques, (héritage du modèle du « sportman » du XIXe siècle idéalisé), qu’au refus de voir s’immiscer dans le football français des réalités financières qui vont pourtant rapidement conditionner les logiques sportives. Dans ce combat d’arrière-garde, les arguments employés réaffirment un principe de distinction sociale, au moment où le football connaît l’une de ses premières révolutions culturelles : il prend en effet une orientation de plus en plus populaire, tant en ce qui concerne le recrutement des joueurs que la fréquentation des stades :
Si vous avez sacrifié beaucoup de vos plaisirs et tant de vos intérêts pour introduire en France le goût et la culture des sports... Ce n’est certes pas pour fournir à quelques jeunes hommes, exceptionnellement doués physiquement, l’occasion peu noble de devoir à leurs muscles une situation que leur défendaient une intelligence insuffisante, une instruction négligée, une éducation primitive ou un manque d’aptitude spéciales.
Le jour où la jeunesse française sera convaincue qu’à la conquête de diplômes universitaires, il sera pour elle préférable et autrement avantageux de posséder la ressource de l’exploit sportif, qu’à cette ressource elle devra d’obtenir indûment la place qui revenait de droit à celui qui s’y était préparé par ses études, et un apprentissage sévère, le niveau national baissera.
Si, personnellement, j’éprouve une révolte à ce qu’il y a de déloyal d’accepter sous une forme avouée ou détournée une rétribution pécuniaire de son effort athlétique, alors qu’on s’est déclaré amateur, et engagé à rester amateur ; si j’estime déplorable qu’un jeune homme accepte d’occuper une place qu’il ne sait obtenir que pour des qualités absolument extérieures à celles qu’elle exige, je vous prie de considérer aussi, que si vous tolérez d’une façon ou d’une autre que se développe le faux amateurisme, vous risquez de créer d’attristantes légions de déclassés.
Il ne peut vous échapper que celui qui aura trouvé le bénéfice rétribué d’une place en vertu de ses qualités athlétiques, sera, s’il n’a d’autres dons, démonétisé et remercié du jour où la venue d’un meilleur que lui aura rendu inutiles ses stipendiés services musculaires.
34Le paiement d’un droit d’entrée pour les spectateurs, la perception de cotisations et amendes auprès des membres du conseil d’administration et joueurs du club, la participation financière de notables locaux au développement des clubs constituent des pratiques relativement précoces. Pour les principales équipes de la Ligue du Nord, elles étaient surtout destinées à payer les équipements des joueurs. Cette forme initiale de mécénat sportif, si elle enfonce un coin dans l’amateurisme « pur et dur », est une garantie essentielle à la pérennité de l’activité des clubs. Cependant très rapidement de nouvelles formes de recrutement s’imposent, les clubs s’attachant les services de joueurs renommés, par l’octroi d’avantages en nature : Alfred Wahl et Pierre Lanfranchi citent ainsi le cas d’Emilien Legrand, joueur de l’Olympique Lillois, qui obtient lors de son engagement la fourniture d’une paire de bas (d’une valeur de 12,50 francs). Effectuant son service militaire, il bénéficiait également de la somme forfaitaire de 10 francs, destinée à indemniser son remplaçant de garde à la caserne...17.
35L’expression de « gentleman footballeur » (utilisée par Pierre Lanfranchi et Alfred Wahl), caractéristique du temps des pionniers, peut encore s’appliquer à nombre de joueurs nordistes, à l’image de Raymond Dubly, cadre de l’entreprise familiale de Roubaix, régulièrement sélectionné en équipe de France avant-guerre. Un moment tenté par le professionnalisme, il optera finalement pour les affaires18. Les années d’après-guerre se caractérisent aussi par l’apparition d’une nouvelle catégorie de joueurs, celle de l’apprenti footballeur : ce dernier prend conscience que le football, en dépit des réticences philosophico-sportives des élites dirigeantes, peut constituer un « métier à part entière », bien qu’à l’époque entièrement à part. Si le principe d’une indemnisation régulière ne se pose pas pour les jeunes gens issus des couches aisées de la population (qui voient encore dans la pratique de ce sport une distraction distinctive, à l’image du turf des aristocrates du siècle dernier), il devient vite indispensable pour les joueurs engagés dans les différents championnats nationaux, issus des couches populaires.
36Au delà de l’enjeu du professionnalisme, la présence de nombreux joueurs étrangers sur le territoire français constitue l’autre préoccupation des instances nationales. Il est d’ailleurs possible de parler de véritable tradition en ce qui concerne la région du Nord, et plus généralement des régions situées au nord de la Loire : dès la fin du XIXe, Le Havre, Paris, Rouen, mais également Boulogne, Calais, Lille et Roubaix comptent dans leurs clubs respectifs des joueurs britanniques ou belges. Au lendemain de la guerre, cette géographie des aires de recrutement des joueurs étrangers évolue : si l’Angleterre demeure une zone de recrutement privilégiée pour les clubs évoluant dans les championnats du Nord (berceau originel du football, proximité géographique et supériorité technique rendent indispensable la transmission de cette « culture footballistique », par l’intermédiaire de joueurs de talent), d’autres clubs français (notamment le FC Cette) vont explorer des voies plus originales en 1920, le Suédois Bernston est débauché par Georges Bayrou à Cette. A partir de 1926, il devient légitime de parler de naissance de la filière yougoslave pour les grands clubs du Sud-Est de la France19.
37L’enregistrement scrupuleux par la Ligue du Nord des affiliations nous permet de disposer chiffres fiables, et d’une première géographie des clubs (208 au 4 janvier 1922, avec l’enregistrement de l’Amicale Club de Brezin, le Club Sportif Hallennois, l’Arras Olympique, l’Amicale Sportive Fivoise, l’Association Sportive de Jolimetz)20. Dans son Histoire du football nordiste, Paul Hurseau montre que les années vingt correspondent à la fondation de clubs aujourd’hui considérés comme les piliers du football régional, et qui vont du reste contribuer à sa vitalité par des parcours plus ou moins heureux dans les championnats nationaux ou régionaux, et en Coupe de France :
1916. US Valenciennes Anzin : l’Union Sportive de Valenciennes Anzin succède au Football Club de Valenciennes, constitué en 1915. Le club dispute les compétitions du district Escaut, jusqu’à ce que l’équipe première ne devienne professionnelle en 1933.
1919. US Dunkerque Malo : sa création précède celle de l’Olympique de Dunkerque, qui accédera à la demi-finale de la Coupe de France en 1929 (défaite 2/1 contre Cette) et aux quarts de finale en 1930 (défaite 2/1 face à Amiens).
AC Cambrai : si la pratique du football naît à Cambrai en 1904 (sur les terrains de fortune du parc à fourrages, ou au champ de la brise, sous les couleurs du Racing-Club de Cambrai), il faut attendre 1919 pour voir la fondation de l’Athletic-Club de Cambrai, qui dispute le 10 mars 1919 son premier match contre l’équipe anglaise de Worcester. Léon Bracq fut le capitaine de l’équipe de 1927 à 1934, Jean Dacquigny, membre du comité directeur en 1928, exerce les fonctions de secrétaire jusque 1934, puis de vice-président et de président de 1935 à 1970 !
1920. Olympique Saint-Quentinois : Club issu de la fusion du Racing Saint-Quentinois (1907) et du Stade Saint-Quentinois (1910), fondé en juin 1920. Champion de l’Aisne de 1922 à 1926, champion de promotion Aisne et Oise en 1927 et de 1932 à 1936. L’originalité du club a été de privilégier un recrutement régional composé d’étudiants, employés, ouvriers spécialisés, cultivateurs et mineurs.
Etoile Sportive de Bully : club fondé sous le patronage de la Compagnie des Mines de Béthune, et de M. Perussel, ingénieur des Mines, la section football de l’Etoile Sportive de Bully appartient au club omnisports de la cité (comprenant une section athlétisme, basket, rugby, lutte, boxe, cyclisme, colombophilie). Emmenée par son capitaine René Dereuddre, l’équipe remporte son premier titre lors de la première saison, en devenant champion d’Artois de 4e division. En 1925, le club accède à la promotion Honneur Artois-Maritime-Picardie avant de parvenir dès 1928 en Division d’Honneur, en compagnie de l’élite régionale (Olympique Lillois, US Tourcoing, AC Amiens). Les débuts du professionnalisme entraîneront le départ des meilleurs joueurs de l’équipe vers des clubs plus prestigieux (Olympique Lillois, RC Lens, SC Fivois).
1921. Olympique Marcquois : fondé par MM. Pierre Lancelot, Michel Hennoin, Félix Vandevogel, il constitue dans la métropole lilloise le modèle du club amateur populaire.
1922. ASPTT Lille : fondé par un postier, Henri Marlier, la section football de cette société omnisports est dirigée par Maurice Balloy. La première année, une équipe corporative et une équipe seniors sont engagés dans les championnats du district terrien, et disputent leurs matches sur le terrain de Ronchin.
1924. Iris Club de Lambersart : fondé par le président Eugène Valenton (en compagnie de Jules Simon, Julien Didisheim, le Docteur Albert Niquet, le Commandant Vedrinelle et Henri Grassin). Le club réussit une remarquable ascension (championnat de 3e division, 2e division, promotion, division d’Honneur B puis Honneur A). Entraînée par les britanniques Bob Fisher et Griffiths, le club réussit un parcours surprenant en Coupe de France dans les années vingt, mais renonce au statut professionnel en 1932.
Union Sportive de Wasquehal (l’Entente Sportive de Wasquehal sera fondée en 1945) : le club est fondé par Arthur Buysse, ainsi que Louis Mulliez, Georges Caudreliez et Léon Montaigne. Adoptant les couleurs « rouge et noir », le club est engagé dans le championnat de 4e division, puis de 3e division à partir de 1927. Il évolue l’année suivante dans le nouveau stade de la rue Delerue, avant d’accéder en 1934 à la première division. Arthur Buysse devient directeur général et Pierre Lleres président de la section football. En 1936, l’équipe première gagne sa place en Promotion Honneur.
Un second club, l’AS Wasquehal naît également dans les années vingt. 1929. Olympique d’Hesdin-Marconne : le club est issu de la fusion de l’Entente Sportive présidée par Henri Thuillier et l’Union Sportive présidée par Gérard Demolle, sous l’impulsion de Raymond Brassart (futur président de la Ligue). L’Association Sportive d’Hesdin disputa de 1929 à 1939 le Championnat de 1ère division maritime ou de Promotion Honneur Artois/Maritime/Picardie.
38Le renforcement des instances de la Ligue accompagne une massification progressive des pratiques, qui rend plus complexe cette application uniforme des règles du jeu. La commission régionale des arbitres et les commission de districts doivent désormais régler de nombreux litiges entre clubs, conséquences de la remise en cause des décisions arbitrales. Les évolutions des lois du jeu correspondent à leur difficile processus d’uniformisation, impulsé par les instances internationales. A partir de 1921, c’est d’ailleurs le Français Jules Rimet qui préside une Fédération Internationale de Football Association (FIFA), en proie à de profondes dissensions (traduites par la sécession de la Football Association britannique). La presse sportive régionale ou locale tient régulièrement informés ses lecteurs, supporters et spectateurs des modifications des lois du jeu. Cela ne semble guère atténuer les passions, cris et vociférations autour des terrains. Certains journaux s’émeuvent alors de la conduite parfois discourtoise de certains spectateurs, conséquence d’une première évolution sociologique de ceux qui désormais assistent régulièrement aux matches. Si les réticences observées par les pionniers à l’égard des foules se pressant autour du terrain semblent dépassées dans les années vingt, l’atmosphère dans laquelle se déroulent nombre de rencontres évolue de manière sensible : augmentation du nombre de spectateurs autour de stades récemment aménagés, délimitation stricte de l’espace sportif (la présence de mains courantes en béton dans les années vingt constitue une petite révolution technique qui a pour effet de strictement limiter l’arène sportive au seul terrain, en augmentant sans doute la dramaturgie du spectacle sportif). La dramatisation des derbies et des rivalités entre clubs (qui persiste de nos jours) puise précisément ses origines dans ce football de l’après-guerre.
A l’intention de nos lecteurs, fervents du ballon rond, nous donnons ci-dessous les différentes modifications des règles du jeu de football association et qui sont aujourd’hui en application :
1. Nous avons tout d’abord la modification apportée à la règle du hors-jeu qui veut que, dorénavant, la faute ne soit pas sifflée lorsqu’un joueur se trouve en position de hors-jeu, mais seulement lorsque dans cette position, il cherche à entrer en possession du ballon ou charge un adversaire.
2. Ensuite, il est décidé qu’un but marqué directement par le shooteur d’un corner sera dorénavant accordé. Cette règle n’était pas définitive auparavant, elle l’est maintenant. En effet, il fallait jadis que la balle shootée du corner fut reprise par un joueur pour que le but comptât.
3. Une autre règle qui a subi un changement est celle du joueur blessé en cours de partie. Avant cette règle, on arrêtait le jeu sitôt qu’un homme était touché. L’abus de ces soi disant joueurs blessés fit qu’on décida qu’une partie ne serait arrêtée que lorsqu’un joueur serait sérieusement touché et que ce joueur serait aussitôt évacué du terrain. Si un joueur n’est que légèrement blessé, le jeu ne pourra être arrêté que lorsque la balle ne serait plus en jeu. On évitera ainsi, à l’avenir, ces courses éperdues des soigneurs sur le terrain, au cours du match. De même, on a décidé que, dès qu’un spectateur distrairait un joueur par des appels ou autrement, ce spectateur serait expulsé.
Toutes ces additions aux règles préexistantes devront scrupuleusement être observées dorénavant et Messieurs les arbitres vont avoir fort à faire à éduquer à nouveau leurs réflexes21.
39Au plan national, les effectifs de la Fédération représentent près de 1800 sociétés affiliées pour 35 000 licenciés. Au début des années vingt, le football connaît une véritable explosion de ses effectifs, observable sur l’ensemble du territoire : la Ligue du Nord n’échappant pas au phénomène revendique même le titre de première ligue régionale en France, derrière une Ligue de Paris qui compte près de 10 000 licenciés. En quelques années, les clubs du Nord – Pas-de-Calais, qui ne dépassaient pas la trentaine avant guerre sont proches des 300 en 1922, envolée comparable à celle de la Ligue de Normandie, qui passe de 20 clubs en 1919 à 185 en 1921. Alfred Wahl cite même le chiffre de 120 équipes implantées à Roubaix en 1922 (ce qui, ramené au nombre d’habitants, représente un joueur pour 90 personnes !!). Cette explosion numérique en terme de licenciés rend nécessaire une nouvelle adaptation des structures déjà obsolètes de la Ligue, qui ne peut régir et contrôler toutes les compétitions qui se déroulent alors sur son territoire. Elle procède de ce fait à sa première déconcentration administrative par la délimitation géographique de districts. A l’inverse d’autres ligues, ils se calquent pas sur la carte des départements, mais adoptent des contours géographiques plus subtils, qui semblent mieux correspondre aux zones des championnats et compétitions : le district terrien, installé en 1921, se subdivisera ensuite en deux districts autonomes, celui de l’Artois et de l’Escaut, qui viennent s’ajouter aux Districts Maritimes et de Picardie22.
40Au début de l’année 1921, la FFFA compte environ un millier de clubs pour 33 000 licenciés. Prenant comme base de calcul un effectif de 15 joueurs par équipe, considérant que chaque club possède au minimum en moyenne 4 ou 5 équipes, il est possible d’estimer, à quelques centaines près le nombre de joueurs sur le territoire de la Ligue du Nord, entre 16 et 17 000 joueurs, dont 40 % seulement sont officiellement licenciés. A l’époque, la possession d’une licence pour la pratique de compétitions de niveau inférieur ne constitue pas encore une véritable obligation.
41La constitution d’une équipe défendant les couleurs de la Ligue du Nord symbolise cette popularisation des pratiques et le réel succès du football association entre les deux guerres : de quinze à vingt mille spectateurs assistent régulièrement aux prestations d’une équipe nordiste composée des meilleures recrues des clubs de la région, qui prolonge le passé glorieux de l’équipe des Lions des Flandres, malgré des résultats sportifs en demi teinte23.
42La vitalité du football nordiste, sa qualité et sa technicité reconnues avant la guerre ne se sont pourtant pas atténuées : les compétitions sont simplement plus disputées parce que le football de l’entre-deux-guerres se trouve sur le plan technique et tactique, véritablement « tiré vers le haut ». Les décalages observés entre les équipes avant 1914, qui se traduisaient souvent par des scores fleuves, s’amenuisent de manière conséquente. La sélection du Nord affronte au cours de la première décennie des équipes d’autres Ligues limitrophes, des équipes belges et britanniques, et des clubs nationaux. Sur un plan strictement qualitatif, le niveau monte, conséquence de la multiplication des confrontations et des transformations du jeu. La médiocrité du palmarès au début des années vingt peut également s’expliquer par un calendrier sportif chargé. La plus grande fréquence des rencontres contribuera aussi à ouvrir la porte au professionnalisme. Venant de clubs différents, évoluant à des niveaux de compétitions différents, la sélection du Nord peut difficilement produire un jeu homogène et efficace sur le plan tactique.
43Après une première série de rencontres difficiles, la sélection du Nord réalise un parcours moyen (les victoires et matches nuls s’équilibrent, mais 40 % des rencontres ont été perdues), face à des adversaires de valeur différente. L’amélioration sensible des résultats à partir de 1927 semble indiquer qu’un nouveau palier a été franchi sur le plan du statut des joueurs composant la sélection nordiste : ils appartiennent tous à l’élite régionale, disposent d’un statut de néo professionnel, et bénéficient ainsi de conditions d’entraînement leur permettant d’honorer sélections nationales, régionales, tout en participant à leurs championnats respectifs.
44L’analyse de la composition des sélections sur quatre rencontres met en évidence une hiérarchie sportive déjà observée, que reproduit assez fidèlement la sélection de la Ligue du Nord : il est possible de parler d’une métropolisation des sélections, dans la mesure où le Racing-Club de Roubaix, l’Olympique Lillois et l’Amiens Athletic Club constituent près de 40 % des effectifs des sélections. Les clubs du Pas-de-Calais et du Littoral sont représentés de manière plus symbolique. Leur présence évite cependant de faire de l’équipe de la Ligue du Nord dans les années vingt une simple reconduction de l’équipe des Lions des Flandres, qui constitue encore l’ossature de la sélection. Ces mêmes phénomènes, aujourd’hui observés dans la composition des multiples sélections de Ligue, obéissent finalement à des pratiques dont la logique s’enracine dans le passé du football régional : il s’agit d’allier qualité technique, pluralisme géographique dans le recrutement des joueurs, et homogénéité sportive... Autant de facteurs dont la conjugaison harmonieuse doit produire un sentiment d’identité régionale : la Ligue défend ses couleurs...
45Il n’est alors plus possible de réduire le football nordiste à la somme des prestations individuelles des clubs qui le composent. Celui-ci repose aussi sur une identité recherchée, définie par rapport à d’autres Ligues (où d’autres clubs étrangers ou sélections). Elle concourt à l’édification d’une pyramide sportive qui utilise comme indicateur la vitalité des pratiques régionales.
Notes de bas de page
1 Sur la période de la première guerre mondiale, consulter : Le Maner (Yves), Histoire du Pas-de-Calais (1815/1945), Mémoire de la commission départementale d’histoire et d’archéologie du Pas-de-Calais, 1993, pp. 159-172.
2 Près de la moitié de l’effectif des joueurs composant l’équipe du Racing en 1914 est victime de la guerre : Malaquin, Robert Coviaux, Hector Van den Weghe, Lemetter, Delahaye, Despagne. Charles Simon, président fondateur de l’USFSA et du Comité Français Interfédéral, soldat au 205e Régiment d’infanterie, disparaît près d’Arras le 15 juin 1915.
3 La première guerre mondiale ne contribue pas à réaliser « l’union sacrée » entre les Fédérations, quant à l’organisation des championnats. Chacun campe finalement sur ses positions et recrée ses propres compétitions, sur les modèles d’avant-guerre : L’USFSA crée un ersatz de championnat, la « Coupe Nationale », de 1914 à 1919, la Ligue dissidente de Football Association, le Challenge de la Renommée (1914/1919) et la Coupe Interfédérale (1916/1917), la FC AF le Challenge de la Victoire (1915/1916), la FGSPF la Coupe Nationale (1914/1918) et le Challenge Esto Vir (1918/1919). Le Comité Français Interfédéral, qui représente une première tentative d’unification du football français, propose, le 28 décembre 1916, la mise en place d’une compétition ouverte à tous les clubs, sur le modèle de la Coupe d’Angleterre, en adoptant le principe de l’élimination directe. La première version de la future Coupe de France, alors appelée Coupe Charles Simon, est disputée par 48 clubs, toutes fédérations confondues (26 clubs USFSA, 12 FGSPF, 9 LFA, 1 FCAF), du 7 octobre 1917 au 5 mai 1918. Les clubs du Nord et du Pas-de-Calais ne peuvent participer à ces compétitions, étant à la fois dans l’incapacité d’aligner une équipe complète, de pratiquer le jeu en territoire occupé et de se déplacer pour les rencontres. On comprend mieux l’opposition d’Henri Jooris, président de l’Olympique Lillois, à la proposition du CFI. Détenteur en 1914 du Trophée de France, le club nordiste n’est pas en mesure de remettre son titre en jeu et de le défendre. Se reporter à : Delaunay (Pierre), Cent ans de football en France, ibid., pp. 68-79.
4 Wahl (Alfred), Les archives du football, ibid., pp. 131-138.
5 Le Racing-Club Etaplois est déclaré à la sous-préfecture de Montreuil-sur-Mer le 25 novembre 1921 (annonce légale au JO le 23 décembre 1921) : la société est affiliée à la Ligue du Nord d’Athlétisme, à l’Union Vélocipédique de France, à l’Union des Sociétés d’Education Physique et de Préparation au Service Militaire (n° 2533), à la Fédération Sportive du Pas-de-Calais (n° 59), ainsi qu’à l’Union des Sociétés de Tir du Pas-de-Calais. In Bulletin du Racing-Club Etaplois (1922/1923), ADPC, C 621.
6 In Bulletin du Racing-Club Etaplois (1922/1923), ADPC, n° 1, janvier 1922, C 621. Le souci « associationniste » et « affinitaire » des fondateurs du Racing Club Etaplois est visible dans le premier éditorial du bulletin du club : « ce bulletin n’a pas d’autre but que de servir de lien entre les membres honoraires et actifs et le Comité du Racing. Il paraîtra au minimum 6 fois dans l’année, plus si l’actualité sportive l’exige. Il sera illustré de photos prises à Etaples des différentes manifestations sportives organisées par le Racing et cela grâce à l’obligeance de l’habile photographe étaplois M. Caron Caloin. Les membres honoraires et actifs le recevront gratuitement ».
7 Sur les usages de la vélocipédie, consulter : Hubscher (Ronald), L’histoire en mouvement. Le sport dans la société française (XIXe/XXe), ibid., pp. 80-92.
8 In Bulletin du Racing-Club Etaplois (1922/1923), ADPC, janvier 1922, C 621.
9 L’analyse des règles de fonctionnement des associations sportives et les principes de sociabilité sportive dans : « La sociabilité sportive. Jalons pour une histoire du mouvement sportif associatif », article incontournable extrait de : Arnaud (Pierre), Les athlètes de la République (gymnastique, sport et idéologie républicaine. 1870/1914), Privât, 1988, pp. 360-384.
10 In Calais Sport, organe de tous les sports dans la région maritime du Nord, 26 mars 1921. Archives Départementales du Pas-de-Calais, E 74.
11 14 % des mobilisés du département ont été tués, l’effondrement de la natalité et de la nuptialité au cours des années de guerre rendent le solde naturel négatif, 50 % de la population de 1913 ne réside plus dans le département en 1918. Sur le plan matériel, le bassin miner est particulièrement sinistré : 279 communes dévastées, 152 000 hectares inutilisables, près de 1500 établissements industriels dévastés, plus de 500 000 sans abri... Voir par Le Maner (Yves), Histoire du Pas-de-Calais (1815/1945), ibid. p. 172. Sur la ville de Lens, consulter : Gallez (Dominique), « Lens, cité martyre (1914/1918) », In Revue du Nord, n° 259, octobre/décembre 1983, pp. 691-96.
12 Sur la reconstruction et la crise de l’après guerre, consulter : Le Maner (Yves), op. cit., pp. 180-191.
13 Avant la guerre, la pâture Taquet appartenait à un notaire « gentleman farmer » de Lens, Maître Taquet, qui l’avait transformée en piste d’entraînement pour ses chevaux de courses, participant aux manifestations hippiques au nord de Paris. L’équipe de l’USFFA porte désormais de nouvelles couleurs (maillot bleu ciel portant sigle, culotte blanche et bas rouges) pour un effectif profondément remanié de douze joueurs : A. Willem (but), S. Leleu, Cypers (arrières), Marcel Pierron, Albert Guéant, Maurice Pierron, Legrand (demis), C. Evrard, M. Aubry, Duriez, E. Marquilly et A. Bardaille (avants). Se reporter à la Plaquette souvenir du Racing-Club de Lens, Imprimerie de la Lys, 1956.
14 C’est la réunion de clubs terriens et maritimes qui est à l’origine de la constitution du premier écusson de la Ligue, réunissant ses deux premiers districts : partagé sur deux faces par une ligne le coupant à 45°, il est composé du Lion des Flandres et d’un voilier.
15 Composition du premier Comité Directeur de la Ligue : Président : Henri Jooris, Trésorier : Ch. Flemiaux, Secrétaire : A. Carin, Membres : Brabant, Hoffman, Jenicot, Jourdain, Fonteilles, Lemaire, Lefebvre et Verhaeghe. In Annuaire de la ligue. Statuts et Règlements généraux, Edition de 1962. La personnalité et l’œuvre du Président Jooris y sont soulignées : « Pour parvenir à établir dans les meilleures conditions l’organisation du football dans celle-ci, il fallait un homme compétent, dynamique et audacieux. Il fut trouvé en la personne du grand Président Jooris qui déploya pendant de longues années une activité extraordinaire que seule la mort devait interrompre en 1940 ».
16 In Calais Sport, 21 décembre 1921, ADPC, E 74.
17 Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), Les footballeurs professionnels des années trente à nos jours, Hachette, Coll. La vie quotidienne, 1995, p. 19. Nous sommes loin des sommes déclarées par l’international Pierre Chayrigues, gardien de but du Red Star, qui déclarera dans l’Auto en 1929, avoir bénéficié d’un statut professionnel bien avant la première guerre mondiale : en 1911, il perçoit 500 francs pour son transfert de l’US Clichy au Red Star, et bénéficie dès lors d’un salaire mensuel de 400 francs (majoré par une prime de 50 francs par match gagné). Portier de l’équipe de France de 1911 à 1925, il monnaye sa sélection de 1000 à 3000 francs par match. En 1913, le club anglais de Tottenham lui proposera de passer professionnel pour la somme de 25 000 francs. Cité par Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), ibid.
18 Né le 5 novembre 1893 à Roubaix, il est le benjamin de la famille, qui compte neuf garçons, dont cinq vont pratiquer le football au Racing-Club de Roubaix (Maurice, Léon, Albert, André et Jean). Un séjour en Angleterre au cours de sa scolarité lui permet de se familiariser avec le football anglais, et de devenir un « sportsman » accompli, en pratiquant la natation, la course à pied, le tennis et la boxe. Joueur du Racing Club de Roubaix, il fut sélectionné 31 fois en équipe de France au poste d’ailier gauche, ainsi que dans la sélection des « Lions des Flandres » et participa aux Olympiades de 1919, de 1920 (Amsterdam) et 1924 (Paris). Il fut nommé entraîneur fédéral en 1958. Alfred Wahl et Pierre Lanfranchi ont démontré que Raymond Dubly constitue une véritable interface entre le football populaire et le paternalisme sportif, dont la famille Dubly constituait à Roubaix, l’un des représentants éminents. Réalisant « l’union sacrée de classes sociales naturellement dressées l’une contre l’autre », Raymond Dubly fit du football à Roubaix une discipline populaire, mais dut renoncer à sa carrière sportive au milieu des années vingt. A la mort de son père, il devient directeur général des usines textiles Bohain et Clary, abandonnant progressivement un football en voie de professionnalisation (entraînements, culture physique et longs déplacements deviennent de moins en moins compatibles avec la gestion de l’entreprise). Le Racing-Club de Roubaix comptera également dans ses rangs les frères Cocheteux, fils d’un industriel de la ville. Se reporter à Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), ibid., pp. 26-27.
19 Se reporter à Lanfranchi (Pierre), Wahl (Alfred), ibid., pp. 28-31. Le FC Cette devient une véritable « plaque tournante » pour les joueurs étrangers qui utilisent le club comme un tremplin leur permettant ensuite de négocier d’autres contrats avec des clubs rivaux. Cette évolution de la géographie du recrutement des joueurs étrangers épouse d’ailleurs la politique étrangère de la France dans les années vingt, qui amorce une « Ostpolitik », traduite par la conclusion d’alliances avec la Pologne (1921 et 1925) et la Tchécoslovaquie (1925).
20 L’année 1922 voit la création des clubs de Eu, Drocourt, Mers, Péronne, Fourmies, Beauvois-en-Cambrésis, Manihen, Grenay, Doullens et Mouy. In Nord Sportif, ibid.
21 In Calais Revue, 29 août/4 septembre 1924, ADPC, G 95.
22 Se reporter à la carte en Annexe Organisation territoriale de la Ligue du Nord de Football. Les représentations cartographiques, à partir de 1919, prennent en compte le territoire de la Ligue : départements du Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme.
23 Cette équipe représentative portait un nom qui marque bien son recrutement : « les Lions des Flandres ». Elle remporta des succès si marquants que sa réputation et partant celle de notre région s’étendit en France et à l’étranger. Si le recrutement des Lions des Flandres, première élite de notre région, était limité à Lille-Roubaix-Tourcoing, c’est qu’à cette époque le football y était joué plus que partout ailleurs et les centres où notre sport se développait avec bonheur s’appelaient Dunkerque, Calais, Boulogne chez les Maritimes, Arras, Béthune, Saint-Pol et Lens en Artois, Cambrai, Saint-Amand et Lourches en Escaut, pour ne citer que ceux qui démontraient le plus d’activités. In Annuaire de la Ligue. Editorial, Edition de 1962.
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