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L’essaimage des premières formes de pratique

p. 39-52


Texte intégral

1. l’Union Sportive Boulonnaise, premier club du Pas-de-Calais

1A la fin du siècle, le football nordiste prend véritablement forme et s’organise à partir de ce qu’il convient d’appeler le modèle français, en partie inspiré du modèle anglais. Le développement des premiers clubs britanniques relevait le plus souvent de l’initiative privée et de l’expérimentation à des fins éducatives et hygiénistes de pratiques sportives en cours de réglementation. A ces fonctions initiatiques et éducatives, caractéristiques des public schools, se substitue progressivement une fonction strictement sportive, particulièrement visible pour le football nordiste, et constitutive de son identité. Les associations et sociétés scolaires des lycées de la région qui pratiquent le football à l’initiative de leurs professeurs d’anglais admirateurs des modèles éducatifs d’Outre-Manche, sont rejointes par les clubs et sociétés civiles, souvent créés à l’initiative d’anciens élèves ou étudiants, mais également de chefs d’entreprise, de patronages confessionnels (à Roubaix, le football est pratiqué le jeudi après midi, sous l’égide de la Fédération Gymnique et Sportive des Patronages de France) et d’associations laïques. Ce développement de pratiques sportives civiles, scolaires ou universitaires, et confessionnelles, est également prolongé par quelques pratiques régimentaires (53e de Lille, 1er Bataillon de Dunkerque, Chasseurs d’Arras). Cette première phase de structuration, visible avant la première guerre mondiale, fait initialement du football association une pratique sociale de distinction, avant que les années vingt ne contribuent à sa démocratisation effective1.

2Les premières formes de compétitions enregistrées dans le département du Nord sont d’abord des pratiques scolaires : Les sports athlétiques, revue de l’USFSA, mentionne le déroulement d’une partie organisée par l’Union Athlétique du Lycée de Cambrai le 2 mars 1892, tandis que d’autres clubs se créent dans les lycées de Saint-Amand-les-Eaux et Douai. A la même époque, un challenge est organisé entre les clubs de Valenciennes, Condé et Saint-Amand. Comme le rappelle Alfred Wahl, c’est d’abord autour des grands centres industriels de la région que le football va véritablement s’organiser, notamment à Croix, Tourcoing et Roubaix2.

3Seule la consultation des archives des clubs peut apporter des renseignements précis sur ces premières formes d’organisation, de pratiques et des compétitions auxquels ces clubs pionniers participent. Dans le Nord, le Sporting-Club de Tourcoing organise en 1899 un Challenge International du Nord pour le moins novateur, dans la mesure où il s’agit d’une confrontation transfrontalière, qui oppose les rares équipes françaises de l’agglomération lilloise (Sporting-Club de Tourcoing, Union Sportive Tourquennoise, Racing-Club de Roubaix auxquelles se joint le Havre Athlétic Club) à leurs homologues et voisins belges (F.C. Bruges, Daring, Racing et Léopold-Club de Bruxelles). La proximité géographique, l’éloignement de la capitale et le parisianisme sélectif des compétitions organisées dans la capitale expliquent sans doute ce choix : il faudra en effet attendre 1901 pour que le championnat de France USFSA s’ouvre aux clubs de province (le Racing-Club de Roubaix remportera cinq fois le titre, entre 1902 et 1909).

4La dimension aléatoire des pratiques caractérise les premières rencontres et favorise les premiers regroupements d’associations et constitution de clubs. La multiplication des matchs amicaux permet d’abord, à défaut d’homogénéiser les pratiques, de mesurer les différences de jeu et d’application des règles. La proximité géographique des clubs va cependant contribuer à leur application plus orthodoxe, ce qui permet au football association de mieux se structurer, à partir d’un premier cadre commun, qui consiste à pratique le jeu selon des règles identiques. Par ailleurs, le voisinage des clubs belges et les fréquentes visites des clubs anglais améliorent la qualité du jeu par la simple émulation, qui peut expliquer la supériorité sportive des clubs de Lille, Roubaix, et Tourcoing, premières capitales du football nordiste.

5En 1905, les deux départements regroupent une trentaine de clubs, comptant plus d’un millier de pratiquants. Dans la majorité des cas, l’anglomanie et la conception d’une pratique sportive de distinction ont présidé à la fondation de clubs exclusivement urbains : le Stade Lillois (1899), le Football-Club Lillois (1899) et l’Iris-Club Lillois (1898) regroupent essentiellement des étudiants (en 1900, ce dernier comptera jusqu’à dix joueurs anglais au sein de ses deux équipes). En 1899, le Racing-Club de Roubaix compte plus de 100 membres actifs (et 200 membres « protecteurs »). Il en comptera près de 240 en 1905. Fondé en 1898, FUS Tourcoing peut aligner deux années plus tard quatre équipes, tandis que de 2000 personnes assistent la même année à la finale du Championnat du Nord USFSA. En 1902, l’Olympique Lillois (crée par la fusion de l’Iris Club Lillois et de l’Union Sportive Lilloise) compte une centaine de membres actifs... Dans cette première phase de constitution des clubs, le souci associationniste compte autant que la pratique sportive proprement dite3.

6La publication du premier numéro de l’hebdomadaire Allez l’Union, le 16 août 1924, constitue une source irremplaçable pour l’histoire du football dans le département du Pas-de-Calais4. La fondation de l’Union Sportive Boulonnaise, en son assemblée générale du 7 décembre 1898, témoigne bien du caractère embryonnaire des premières formes d’organisation sportive, en même temps qu’elle souligne un certain nombre de caractéristiques originales, notamment une volonté manifeste de s’inspirer de principes et règles alors en usage en Angleterre. L’USB est d’abord une société de football, qui a opté pour les règles du football association. Elle autorise cependant la pratique « d’autres sports », sur le modèle de l’USFSA (qui fédère près de 200 associations omnisports en 1898). Il ne s’agit donc pas, dans la tête des membres du premier comité, de fonder une société où le football serait une activité exclusive : la boxe, l’aviron, le cyclisme et le hockey seront également pratiqués. Le souhait d’une rapide affiliation à l’USFSA et les problèmes matériels évoqués dans cette séance (choix de l’uniforme des joueurs, des drapeaux, des buts qui possèdent encore leur appellation anglaise « Goal posts », et dont la confection posera problème) confirment ce choix du football Association, également adopté par l’USFSA dès 1896. On peut supposer que la proximité de l’Angleterre a été déterminante dans ce choix des premières règles qui vont déterminer un type de pratique particulier. En effet, si l’USFSA fédère un nombre conséquent d’associations sportives, elle n’est pas encore en mesure d’imposer à ses membres une pratique uniforme et homogène. Ce qui est souvent qualifié de « période héroïque » se traduit en fait par une lutte opposant associations, fédérations ou groupements, chacun conservant ses propres règles. Il n’est donc pas surprenant que les membres de l’USB se soucient au préalable de la nature du jeu qu’ils vont adopter. La question du terrain, de l’uniforme et du matériel nécessaires sont également riches d’enseignements. Les instructions de l’USFSA, publiées dans la revue Les sports athlétiques le 15 juillet 1893 sont appliquées : un « uniforme » à l’image de celui des « sportsmen » (chaque concurrent devra porter un vêtement le couvrant au moins des épaules aux genoux. Celui qui ne sera pas convenablement vêtu sera exclu. Les équipes doivent être uniformément vêtues aux couleurs de leurs sociétés respectives) qu’il faut commander auprès d’un établissement parisien. Le vocabulaire employé (uniforme, capitaine, lieutenant) souligne bien la stricte application des modèles éducatifs britanniques, évoqués par Alfred Wahl. Le premier capitaine de l’USB, élu par ses pairs, est également le premier vice-président du club. La mise en œuvre de règles démocratiques, l’adoption systématique de procédures électives comptent tout autant que les aspects matériels et sportifs5. Le choix du terrain et ses premiers aménagements montrent bien les difficultés que doit affronter la jeune société : le choix de la place de Capécure fera l’objet de premières tractations avec les autorités municipales, et d’un « lobbying » intense auprès d’un conseiller municipal. La principale difficulté consiste en effet à retirer les trois réverbères qui ornent la place, et qui ne facilitent pas la pratique du jeu... L’achat de 12 drapeaux doit assurer une délimitation visuelle de l’aire de jeu, afin de séparer les joueurs d’un public de badauds, les deux ballons doivent être achetés à Paris, les poteaux de but (qui ne sont pas encore garnis de filets) seront fabriqués au moindre coût par des employés municipaux... Les frais engagés seront en partie couverts par un droit d’entrée qui tient lieu de cotisation6. La deuxième réunion du comité provisoire de l’USB, le 9 décembre 1898 poursuit l’effort de structuration et d’organisation du club et renforce son souci associationniste, selon l’expression de Pierre Arnaud7 : les préoccupations matérielles demeurent. Des solutions de fortune, pour renforcer la stabilité des buts sont trouvées et reflètent cet héroïsme d’un temps sportif déjà évoqué. La résolution des questions de terrain, d’équipement et de matériel conditionne l’organisation d’une quelconque rencontre ou séance d’entraînement. La reconnaissance officielle du club suppose effectivement que ces questions soient réglées au préalable. Pas de jeu possible sans un lieu de pratique si possible adapté : on comprend dès lors les amicales pressions et démarches effectuées auprès d’un conseiller municipal afin que la place de Capécure soit rapidement aménagée, quitte à engager des dépenses supplémentaires couvertes par la cotisation des membres. Questions financières qui peuvent expliquer la multiplication des titres et fonctions plus ou moins honorifiques attribuées. La naissance du club boulonnais témoigne aussi d’un processus de bureaucratisation des associations sportives (fréquence des réunions, achat de livres destinés à recueillir les procès verbaux des séances et à tenir la comptabilité), et contribue à l’émergence de cet acteur bientôt incontournable qu’est le dirigeant. Les premiers textes révèlent une qualité d’engagement collectif au service de l’association, où chacun se voit attribuer un certain nombre de fonctions précises, qu’il convient non seulement d’accomplir avec célérité, mais dont il faut rendre compte lors des prochaines réunions. Le militantisme associatif au sein du club importe autant que la pratique sportive. Le paiement de la cotisation et du droit d’entrée, la possession d’une carte de sociétaire, l’uniforme porté par les joueurs, représentent des éléments de distinction et de différenciation, révélateurs des comportements de la bourgeoisie sportive à la fin du XIXe siècle.

7A la fin de l’année 1898, l’USB dispose désormais d’une aire de jeu plutôt sommaire, située sur la place de Capécure, dans un quartier à la fois populaire, proche des installations portuaires, sur l’autre rive de l’embouchure de la Liane. Si le premier magistrat de la commune, Douglas Aigre, donne son accord, c’est sans doute parce que les interventions d’Emile Lemaître, personnalité influente de la vie politique locale ont été efficaces8 : la mise à disposition d’un terrain de jeu, même rudimentaire, accélère le développement strictement sportif de la toute jeune société, qui peut dès lors nouer des contacts avec les clubs de la région. Ils se concrétisent dans l’organisation de rencontres (annoncées par des programmes déjà financés par des réclames), avec des clubs de la métropole lilloise. Le 13 janvier 1899, la première équipe de l’USB est constituée. Le choix des règles du football association constitue pour l’époque une originalité et une spécificité du club maritime. Il faudra en effet attendre 1906 pour que le football association ne soit plus considéré comme le parent pauvre des sports athlétiques, comme l’a démontré Alfred Wahl. L’influence anglaise sur le jeu et ses règles a été déterminante, faisant de la région une sorte de poste avancé du football association, alors qu’en France le football rugby le concurrence encore au delà d’une ligne Dieppe/Charleville Mezières. La composition de l’équipe de l’USB en 1898 et sa disposition sur le terrain confirment ce choix du football association : un gardien de but, deux arrières, trois demis et cinq avants qui occupent à l’époque les postes les plus valorisants, dans la mesure où le jeu et la tactique, tournés vers l’attaque, font peu de cas des lignes arrières et futurs milieux de terrain. Cette disposition selon un 2/3/5 original (inversion complète du cattenaccio italien contemporain) est l’illustration d’un « jeu à la française », sans doute plus viril, plus brutal, davantage fondé sur les qualités individuelles des joueurs que sur un sens du collectif déjà intégré en Angleterre et en Belgique. Dans la région du Nord, les dernières années du XIXe auront donc permis au football association de s’enraciner, en dépit du nombre restreint des clubs qui ont opté pour ce style de jeu.

8L’Assemblée Générale de l’USB le 13 janvier 1899 achève de structurer le fonctionnement du club, par la désignation de son premier bureau et l’élection de son premier Président, M. Seguier. Les préoccupations sportives et les procédure électives constituent encore l’essentiel des débats : le souci démocratique déjà évoqué aboutit à la désignation du premier comité de l’USB où fonctions exécutives et sportives sont confondues. Ce fonctionnement est caractéristique des premiers clubs de football : le comité procède à la constitution de l’équipe première et également gérer l’organisation des rencontres. Le match du 22 janvier, sur le terrain de fortune de la place de Capécure, mobilise joueurs et dirigeants, afin d’assurer une délimitation physique de l’aire de jeu. Alfred Wahl a montré les réticences de cette bourgeoisie sportive à « être regardée » et observée par un public peut-être curieux mais d’extraction populaire. Cette agoraphobie, traduction d’une distance sociale, renforce finalement le caractère confidentiel et distinctif de la pratique du football association. Il s’agit, pour l’équipe de l’USB, de pouvoir jouer tranquillement et de ne pas être l’objet de premiers quolibets désobligeants. Interprétation qu’il convient de nuancer dans la mesure où ces mêmes dirigeants assurent, par l’impression de brochures et d’affiches annonçant les matches, une publicité autour des rencontres. Si elle se solde par des affluences dérisoires (ne dépassant pas la dizaine de spectateurs), l’insertion des réclames dans les programmes améliore les recettes au club.

9Les dépenses d’aménagement du terrain et le coût du déplacement sont couverts par la générosité de membres honoraires, dont les fonctions semblent pour le moment se réduire à celles de généreux donateurs, qui inaugurent une forme de mécénat sportif, indispensable à la survie du club. L’année 1899 marque donc officiellement les débuts de l’USB, société sportive structurée et organisée, dont les exploits sportifs dépendent de la viabilité financière du club. Au lendemain de son assemblée générale, l’Association Sportive Boulonnaise témoigne d’une étonnante bureaucratisation : les statuts et fonctions des membres adhérents sont autant associatifs que sportifs (les membres fondateurs composent l’équipe première), tandis que membres honoraires et comité d’honneur parachèvent l’ensemble. La tenue de la première assemblée générale confirme l’élection du premier Président de l’USB, M. Seguier et de son trésorier Stevenard (qui évoluent au poste d’arrière sur le terrain en raison de leur âge) et d’un bureau composé de six autres membres, qui ne sont pas nécessairement des membres fondateurs. Cette volonté d’ouverture des instances dirigeantes participe de la démocratie associative, mais donne l’impression d’une certaine inflation des fonctions : sur les 26 membres recensés dans les premiers procès verbaux de délibération, 10 occupent des fonctions associatives, 9 des fonctions associatives et sportives, 3 sont simplement joueurs et 3 membres n’occupent aucune fonction précise. Si les professions de la totalité des membres du Comité ne sont pas toutes connues, quelques indications (négociant, commerçant, fonctionnaire...) semblent indiquer une appartenance à la bourgeoisie locale, à la recherche d’une forme originale de notabilité.

10A la veille de la guerre, le paysage sportif de la cité boulonnaise aura bien changé, à l’image de son football. Le 28 décembre 1912, la désignation du nouveau bureau du conseil d’Administration de l’USB à l’issue de son assemblée générale est l’occasion pour la presse locale de faire un tour d’horizon des pratiques sportives locales (22) : club omnisports, l’Union Sportive Boulonnaise, compte désormais 5 équipes de football identifiées ainsi qu’une section de coureurs à pied et de pratiques gymniques militaires. Elle devance le Football Sporting-Club Boulonnais, présidé par A. Demonchaux. Aux 7 ou 8 équipes premières identifiées, il convient sans doute d’ajouter équipes de jeunes et équipes « réserve », à la réalité sportive plus précaire (difficulté à constituer une équipe complète, absence de compétition officielle inscrite dans un calendrier sportif), ce qui permet d’estimer à près de 150 le nombre de licenciés pratiquant le football association à Boulogne-sur-Mer. D’autres sports dits modernes sont pratiqués dans des clubs tels l’Emulation Nautique (Rowing ou aviron), le Tennis-Club Boulonnais, l’Association Cycliste Boulonnaise et le Yachting-Club Boulonnais (officiellement fondé en janvier 1913). Ces pratiques sportives régulières (les clubs cités participent à des championnats et compétitions d’envergure souvent régionale) cohabitent avec des manifestations plus ponctuelles, autant festives que sportives : le circuit du Boulonnais (meeting automobile) est organisé sous l’égide de l’Automobile-Club de France, l’aérodrome d’Alprech accueillant chaque année un meeting d’aviation.

2. Des pratiques forcément confidentielles

11La présence du football à Calais est observée pour la première fois le 30 janvier 1898, à l’occasion d’un match amical organisé par l’Union Sportive Calaisienne, premier club de la cité, bientôt rejoint par le Sporting-Club de Calais et le Football-Club de Calais. Ces deux clubs fusionneront le 4 janvier 1902 pour former le Racing-Club de Calais, club qui adopte les couleurs noir et or (d’ou le surnom de « canaris » dont les joueurs du RCC sont rapidement affublés). Le siège social du club nouvellement constitué est situé au « Café des Sports » du boulevard Jacquard. Le Comité directeur se compose de 14 membres, dont la moitié sont issus de chacun des 2 clubs. Le 15e membre désigné devient le premier président du Racing-Club de Calais : son choix, en dehors des membres du SCC et du FCC, affirme un souci d’équité entre les deux anciens clubs rivaux, dont aucun ne peut dès lors revendiquer une quelconque paternité ou droit de préemption sur le nouveau club constitué. Le Racing-Club de Calais est une société omnisports, qui regroupe également une section vélocipédique et de sports athlétiques. La presse calaisienne évoque d’ailleurs les premières rencontres disputées au mois de décembre 1901, quelques jours avant la fusion officielle. Elles se déroulaient dans le cadre d’un « Championnat du Nord », organisé par le Comité du Nord USFSA, mais semblaient plus correspondre à une série de matchs amicaux dont le tournoi constitue en quelque sorte le prétexte sportif. La fusion des deux clubs calaisiens précités réduit d’ailleurs rapidement cet embryon de championnat à une lutte fratricide entre l’Union Sportive Boulonnaise (USB) et le Racing-Club de Calais. Il s’agit néanmoins de la première compétition connue, régie par un calendrier, et qui fait d’ailleurs abstraction des conditions climatiques (la rencontre Calais/Dunkerque se déroule sur un terrain couvert de neige...) L’attribution de points pour chaque match gagné permet d’établir un premier classement, forme initiale d’une hiérarchie sportive :

Le 22 décembre 1901, les deux clubs se rendent à Boulogne et Dunkerque pour le championnat, mais, à la suite de leur fusion, déclarent forfait et jouent amicalement. L’USB 1 bat le FCC1 par 3/0. Le SCC bat l’US Malo-les-Bains par 3/1, sur un terrain couvert de neige.
Le 29 décembre, au vélodrome, a lieu la finale du championnat Maritime entre l’US Calais et l’US Boulogne. Après un match mémorable, les calaisiens gagent par 4/1. Cette victoire leur assure la première place du Championnat du Nord, région maritime, première série.
Le SCC et le FCC ayant déclaré forfait par suite de leur fusion en une seule société, le classement s’établit comme suit.
1. US Calais. 12 points
2. US Boulogne. 8 points9.

12Les premières rencontres du nouveau club calaisien se déroulent sur le terrain de la rue Descartes et sont encore confidentielles : la presse locale doit expliquer à ses lecteurs les règles d’une pratique sportive encore inconnue. Une surprenante victoire face à l’USB, mais une défaite face à l’Iris-Club Lillois en mars 1902 marquent les débuts officiels du football association à Calais, dont l’ancrage aura été accéléré par la présence de joueurs britanniques Maloney et Allison au sein du club. La notoriété du RCC contribue à la création d’équipes de football au sein de sociétés athlétiques et sportives omnisports, tels le Sport Ouvrier Calaisien et la Pédale Ouvrière, qui aligneront bientôt leurs propres équipes de football. Avant 1914, le Racing-Club de Calais affronte des clubs anglais, comme le Palmer’s Football-Club de Douvres en février 1909, où encore les Dovers Randers (vainqueurs de l’US Calais 3/2) ou les Red Kent Citileci (victorieux 5/0 du Racing). Ces rencontres qui deviennent rapidement des rendez-vous réguliers attirant un public de plus en plus nombreux se soldent par de larges victoires de clubs britanniques techniquement et tactiquement supérieurs : elles constituent pour le club calaisien une première forme d’émulation et de confrontation nécessaires à l’assimilation des règles et styles du jeu pratiqués en Angleterre.

13L’influence anglaise, plus visible sur le Littoral, s’est traduite moins dans la multiplication des clubs que dans l’adoption des règles du football association. A Arras, le football est pratiqué dans le cadre de pratiques physiques scolaires, qui-prennent en compte les priorités ministérielles du moment : en définissant un principe d’autonomie dans leur financement, la circulaire du Ministre de l’Instruction Publique Léon Bourgeois de juillet 1890, encourage en effet l’organisation d’associations de jeux scolaires et préconise la pratique de jeux sportifs. Ces activités restent toutefois en marge des pratiques gymniques d’une éducation physique plus que marginale dans les établissements secondaires :

Les élèves doivent autant que possible subvenir aux frais des jeux en participant, dans une proportion si modeste qu’on voudra, à l’établissement de jeux fournis par l’administration, et ceci afin de les rendre plus ménagers du matériel mis à leur disposition.

14En 1889, la Société des Jeux de Plein Air du Collège d’Arras sera fondée par Edouard Leloup, et peut à ce titre être considérée comme l’une des plus vieilles associations scolaires de la région du Nord. La première réunion de la société, le 25 novembre 1889, constitue un Comité Provisoire composé de 6 membres, sous le contrôle et la bienveillance de M. Latreille, Principal de l’établissement, et des maîtres. Il s’agit dès lors d’organiser des activités de plein air au printemps et d’acheter des agrès, afin de d’encourager des pratiques physiques jusque là organisées de manière aléatoire, (elles reprennent les principes officiels de l’époque, qui insistent sur une pratique virilisée des exercices corporels) :

Le but de la société est de fournir à la France des hommes capables de bien la servir. L’Ecole, le Collège font l’éducation morale des jeunes gens, tandis que nous, nous voulons faire leur Education Physique. Les membres de l’association, internes et externes, se réuniront au champ de courses les jeudis et les dimanches, de deux à quatre heures. La commission remercie la Société Hippique qui a bien voulu laisser à discrétion le libre accès à la belle pelouse de son hippodrome.

15Si les collégiens ne disposent pas d’installations propres dans leur établissement, ils vont poursuivent la structuration de leur Société, qui dépose ses statuts en mars 1890 (Société des Jeunes Collégiens d’Arras, SJCA). Ses membres se dotent d’une tenue appropriée, semblable à celle de la société de Gymnastique et d’Armes d’Arras (chemise avec ceinture de flanelle, culotte blanche, bas noirs, bottines de toile blanche). Si le port de ce nouvel uniforme convient pour la pratique d’exercices physiques et de gymnastique, il est peu adapté à la pratique du football, comme le prouve le compte-rendu de la première rencontre qui oppose le collège d’Arras à celui de Douai, le 3 mai 1896 :

Nous voici rentrés de Douai. Le vent était très fort et nos adversaires ont été favorisés. Nous avons laissé bêtement prendre un but. Mais ils l’ont bien dit tous (arbitres, maîtres, répétiteurs, censeurs) : ils n’ont pas gagné. Nous n’avons eu qu’un tort. C’est d’avoir pris des bottines blanches alors que Douai avait des souliers ferrés et des jambières.

16Pour ces associations sportives scolaires, le jeu de football devient une nouvelle discipline, dont la pratique, encore approximative (terrain de fortune, équipement des joueurs peu approprié) souligne son côté encore marginal. La multiplication de nouvelles associations sportives scolaires voit la création le 8 mai 1890 du « concours de Lille », réunissant les sociétés des lycées et collèges des académies de Lille et de Douai. Il permet à l’association arrageoise de s’illustrer dans les principales disciplines (1 prix pour les mouvements d’ensemble par section, 1 prix pour l’escrime, 1 prix au concours individuel), mais ne mentionne pas l’organisation de rencontres de football. Discipline encore considérée comme ludique, elle ne rentre pas encore dans le schéma compétitif de ce qui pourrait s’apparenter aux Lendits du Dr Tissié, essentiellement basés sur une gymnastique « virile et ordonnée ». Il faudra attendre la période d’avant-guerre pour que l’on puisse identifier de manière précise les lieux de pratique d’un football arrageois, qui présente trois clubs civils (le Racing-Club d’Arras, l’Etoile Sportive d’Arras et l’US Arras), deux clubs scolaires (équipes de l’Ecole Normale et du collège d’Arras) et un club régimentaire (3e Régiment du Génie). Chacun de ces clubs aligne au moins deux équipes, et affronte ses adversaires sur les trois terrains que possède la ville. Un rapide calcul permet donc d’estimer à près de 200 joueurs (sur la base de 15 joueurs pour la constitution d’une équipe, remplaçants compris) le nombre de pratiquants affiliés dans la cité arrageoise. Celle-ci constitue dans la géographie du football nordiste un pôle secondaire, à l’image du Valenciennois et du Cambrésis, où l’engouement populaire observé dans l’agglomération lilloise et sur le littoral se révèle beaucoup moins affirmé. Ce pôle possède cependant sa propre identité, au travers de la rivalité sportive entretenue entre les deux clubs que sont le Racing-Club d’Arras et l’Etoile Sportive d’Arras, et à l’origine de nombreux derbies.

Notes de bas de page

1 Sur les évolutions des valeurs véhiculées par le football avant 1914, consulter : Corbin (Alain), « Le destin contrasté du football », In L’avènement des loisirs (1850/1960), ibid., pp. 222-26.

2 Voir Wahl (Alfred), ibid., pp. 42-43. Avant 1900, les clubs de football nordistes sont quasi exclusivement localisés dans l’agglomération lilloise, exception faite de l’Amiens Athletic Club, fondé entre 1899 et 1901 par d’anciens élèves du lycée (les frères Petit (Frédéric, Robert et Henri), Georges Barbion, André Hullin et Emile Thuilliez), auxquels vont se joindre des membres honoraires (le Docteur Moulonguet) et actifs (Henri Poire, Roger Sauvage, Martel, Bacquart, Léon Sauvage, Rouvillain et André Holgard). Le club deviendra le club phare de la région picarde, rattachée à la Ligue du Nord de football jusque 1967, date de son autonomie et de la constitution d’une Ligue de Picardie composée du District de la Somme, de l’Oise et de l’Aisne. Avant 1914, le palmarès du club est particulièrement éloquent : dix titres de champion de Picardie de 1903 à 1914, victoire de la Coupe d’Artois en 1911 et du challenge Reichel (USFSA) en 1912. L’inauguration du terrain de la rue Henri Daussy le 10 octobre 1909 donna lieu à un match de gala opposant l’équipe picarde au Racing-Club de Roubaix, qui l’emporta 6 buts à 5, devant près de 1000 spectateurs. Les autres clubs de la métropole nés à la fin du siècle sont : le Racing-Club de Roubaix, fondé le 2 avril 1895, à la suite d’une réunion tenue par d’anciens membres de deux sociétés sportives roubaisiennes appartenant à la société bourgeoise de la cité lainière, le Batting Club et le French Club. Un terrain de jeu, sur une prairie, est mis à la disposition des joueurs par l’industriel Eugène Motte. Le palmarès de l’un des premiers clubs régionaux est éloquent. Cinq titres de champions de France du championnat USFSA de 1900 à 1909, sept fois finaliste, neuf fois champion du Nord, sans oublier les participations à la Coupe de France dans les années vingt : finaliste en 1932 et 1933, demi finaliste en 1934. La finale de 1933 demeure dans les annales du football français, dans la mesure où elle opposa deux clubs de la même ville : le RC Roubaix, club amateur, s’inclina en effet face à l’Excelsior, créé par les dynasties industrielles des familles Prouvost et Tiberghien, qui avaient rapidement opté pour un statut professionnel (3/1). Ce fut la dernière fois qu’un club amateur atteignit ce niveau de compétition. Le Stade Roubaisien, crée en 1896, est lui aussi le résultat d’une fusion entre deux sociétés sportives (l’Amicale Club de Roubaix et une Association Sportive de la colonie britannique de Croix). Les premiers matches se déroulent sur le terrain situé au Pont-de-Croix, le siège du club étant installé au café Depauw, Place Notre-Dame, puis au Café Belle Vue, Grand place à Roubaix. Le premier président du Stade Roubaisien, Alfred Bonnier, était âgé de 16 ans. Dernier club de l’agglomération, l’Union Sportive Tourquennoise, fondée le 12 mai 1898 par d’anciens élèves du lycée de Tourcoing, à l’initiative de leur professeur d’anglais, Monsieur Beltette. Le président fondateur du club fut M. Lefebvre, les membres du premier comité : MM. Desrousseaux, Morel, Vanlaethem, Fleniau, Desurmont. Voir Hurseau (Paul), Histoire du football Nordiste, Ligue du Nord de Football, ibid., pp. 119-120.

3 Cité par : Demazières (Didier), Dir., ibid., pp. 26-31.

4 « Son rôle sera modeste. Pas de politique de clubs, pas de polémiques, servir tout simplement de bulletin d’information aux membres de l’USB, tendre à joindre l’utile à l’agréable. Tel est le but que vont chercher à atteindre ses fondateurs. Ils n’ont aucune prétention et demandent à tous leurs amis d’avoir beaucoup d’indulgence pour les premiers pas du nouveau né... ». ADPC, Allez l’Union, Hebdomadaire de l’USB, éditorial du 16 août 1924. C1015/5.

5 Sur l’évolution de l’équipement du joueur de football, de l’uniforme à la tenue, consulter : Lemaire (Eric), Le guide français et international du football, ibid., pp. 504-505. Les difficultés rencontrées pour se procurer l’équipement montre que la diffusion des articles et équipements de sports demeure confidentielle. La consultation de « l’Annuaire du commerce parisien » de 1865 compte 12 fabriquants ou marchands d’appareils de gymnastique, pour 35 en 1885. Il faut attendre les débuts du siècle pour que l’on voit apparaître des « marchands ou fabricants d’articles de sport » (32 en 1915, 135 en 1925) Consulter Vigarello (Georges), Une histoire culturelle du sport. Techniques d’hier et d’aujourd’hui, éditions EPS, 1988, p. 139. Quant aux couleurs « rouge et noir » de l’USB, elles feront l’objet d’une récupération « patriotique » dans le premier éditorial A’Allez l’Union, en 1924 : « c’est afin de défendre les intérêts vitaux de notre ville société locale, groupés autour du monument de nos morts, près duquel flotte le drapeau de l’USB, ce drapeau qui symbolise en ses couleurs le sang répandu et le deuil du sacrifice, nous évoquions le souvenir de ceux qui sont tombés pour la France [...] ». Archives Départementales du Pas-de-Calais, Allez l’Union, op. cit.

6 Ce droit d’entrée consiste visiblement en une cotisation payable par les membres de l’USB pour participer aux activités du club. L’introduction d’un droit d’entrée pour assister à un match de football date du 17 février 1895, à l’occasion du premier match international connu, opposant le club de Folkestone à une sélection de joueurs des clubs de la capitale. Près de 1500 personnes, chiffre considérable pour l’époque, assistent à la rencontre, remportée par les Britanniques sur le score de 3/0, après avoir acquitté la somme de 5 francs, 2 francs ou 1 franc (tribunes) ou de 50 centimes (au bord de la pelouse). Le club du Standard, déjà évoqué, pratique lors de ses rencontres un tarif voisin (50 centimes). Les droits d’entrée et d’engagement vont ainsi constituer les premières recettes des clubs amateurs. Consulter : Delaunay (Pierre), Cent ans de football en France, ibid., pp. 20-21.

7 Se reporter à Arnaud (Pierre) Dir., La naissance du mouvement sportif et associatif en France. Sociabilités et formes de pratique sportives, PUL, 1986, 422 p. Les athlètes de la République. Gymnastique, sport et idéologie républicaine, Privat, Toulouse, 1987, 422 p.

8 Le radical Emile Lemaître est une personnalité incontournable de la vie politique locale de l’époque : journaliste radical, anticlérical, propriétaire du journal l’indépendant (choisi d’ailleurs par le comité de l’USB pour y imprimer ses premières lettres d’admission), il mènera campagne contre un autre républicain, Auguste Huguet, lors des élections municipales de 1884, et s’oppose au conservateur Achille Adam lors des élections législatives de 1898 et 1902, avant d’être battu, contre toute logique, en 1910, aux élections législatives et au Conseil Général où il siégeait. Le choix des membres du comité de l’USB est loin d’être exclusivement le fruit du hasard, dans la mesure où Emile Lemaître est l’archétype du notable radical influent, soucieux du développement des associations et sociétés dans la cité, même s’il refuse poliment l’offre qui lui est faite d’intégrer le comité de l’USB. Point de liens à l’époque entre pouvoir municipal et club sportif... Se reporter à : Lottin (Alain), Dir. Histoire de Boulogne-sur-Mer, ibid., pp. 265-74. Sur la vie politique à Boulogne-sur-Mer au cours de la Belle Epoque, on pourra consulter : Chovaux (Olivier), La Belle Epoque à Boulogne-sur-Mer : politique et milieux d’affaires (1895-1914), mémoire de DEA, Université de Lille III, 1987, 72 p.

9 In Calais Sports, ADPC, G 42.

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