Ernst Jünger écrivain de la Grande Guerre
p. 191-207
Texte intégral
1Né en 1895, issu d’une moyenne bourgeoisie aisée et cultivée (son père est pharmacien), Ernst Jünger fugue à 18 ans, part en France et s’engage dans la Légion étrangère. Il rêve d’aventures et veut échapper à l’étouffante atmosphère de la civilisation bourgeoise. Après quelques semaines de "classes" à Sidi Bel Abbes, il est rapatrié à la demande de son père. En 1936, Jünger racontera cette escapade dans Jeux africains. Début août 1914, Jünger s’enrôle dans l’armée comme volontaire, puis passe son bac (Notabitur). En décembre, il est au front. Il combat en Champagne, en Artois, en Flandre et sur la Somme. Sa conduite au combat est plus que valeureuse : commandant de troupes d’assaut, il est blessé une dizaine de fois, reçoit de nombreuses décorations, est rapidement promu officier. Le 22 septembre 1918, l’Empereur Guillaume II confère au jeune lieutenant – il n’a que 23 ans – la plus haute décoration militaire allemande, la Croix pour le Mérite.
2Après la guerre, Jünger hésite sur la voie à suivre. Il restera provisoirement comme officier dans la Reichswehr1. C’est son père qui l’incite à écrire ses souvenirs de guerre. Au cours des combats, Jünger n’a cessé de prendre des notes sur de petits carnets. En 1920 paraît à compte d’auteur : In Stahlgewittern. Aus dem Tagebuch eines Stofitruppführers von Ernst Jünger. Kriegsfreiwilliger, dann Leutnant und Kompanieführer im Fürst. Reg. Prinz Albrecht von Preuβen. Il débute ainsi sa carrière littéraire comme écrivain de la grande guerre. Le succès du premier livre l’aidera à trouver un éditeur. La seconde édition des Orages d’acier est en effet publiée chez Mittler à Berlin en 1922. Chez le même éditeur paraît aussi, la même année : Der Kampf als inneres Erlebnis (en traduction française La guerre notre mère). Jünger a voulu compléter sa chronique par un essai analysant dans une série de chapitres thématiques ("Das Blut", "Grauen", "Der Graben", "Eros", "Landsknechte" etc.) les résonnances psychologiques, métaphysiques et, déjà aussi, politiques de la guerre. Les deux autres chroniques de guerre qu’il fait encore paraître, Das Wäldchen 125. Eine Chronik aus den Grabenkämpfen 1918. (1924) et Feuer und Blut. Ein kleiner Ausschnitt aus einer grofien Schlacht (1925) ne sont que des "agrandissements" d’épisodes déjà relatés dans Orages d ’acier2. Ils sont également davantage marqués par le "nouveau nationalisme" que Jünger se met à élaborer à partir de 1923. Il faut ajouter à ce corpus le roman (ou la nouvelle) Sturm, oeuvre de fiction présentant de forts traits autobiographiques, publiée en seize épisodes dans le Hannoverscher Kurrier et ensuite curieusement tombée dans l’oubli, y compris, semble-t-il, chez l’auteur lui-même. Ce roman ne sera redécouvert et republié qu’en 1960 par le critique Hans Peter des Coudres.
3Même sans la guerre, Jünger serait sans doute devenu écrivain. Son goût pour la littérature est attesté dès avant 1914. Mais la guerre reste son expérience primordiale, une expérience qui l’a durablement marqué et dont il ne se détache que peu à peu après 1930. Ses livres de guerre remplissent trois fonctions : transmettre une expérience, tirer une leçon, éprouver une esthétique.
4Dans l’engagement volontaire du jeune Jünger, les raisons patriotiques comptent peut-être moins que l’espoir romantique de vivre une grande aventure. La guerre représente pour lui une sorte de nouvelle expédition africaine qui lui permettra d’échapper enfin à la fadeur de l’existence bourgeoise. Au début des Orages d’acier, il exprime ainsi cette attente :
Nous avions quitté les salles de cours, les bancs d’école et les ateliers et de brèves semaines d’instruction nous avaient soudés en un grand corps enthousiaste, porteur de l’idéalisme allemand d’après soixante-dix. Ayant grandi dans l’esprit d’un siècle matérialiste, nous ressentions tous la nostalgie de l’extraordinaire, de la grande expérience. Alors la guerre nous avait emportés comme une ivresse. Nous étions partis dans une pluie de fleurs, dans l’atmosphère exaltée de ceux qui sont prêts à mourir. Car la guerre devait bien évidemment nous apporter cette grandeur, cette force, cette gravité que nous cherchions. Elle apparaissait comme un acte viril, un combat joyeux faisant parler la poudre sur des prairies fleuries mouillées de sang. Il n’est pas de mort plus belle au monde.... Ah, surtout ne pas rester à la maison, avoir le droit de participer3 !
Cinq ans plus tard, dans Feu et sang, il se remémore cette attente : Grandiose comme un drame antique, elle [la guerre] émergea dans ce siècle des petits intérêts bourgeois, de l’argent et de la spécialisation. Elle contenait la promesse que l’on puisse participer de nouveau au tout, à l’action simple et pourtant achevée, qui exige de vrais hommes et élimine l’épicier et ses valeurs importunes4.
5L’expérience réaliste de la guerre -sur laquelle nous allons revenir- ne va pas tarder à détruire une grande partie de ces illusions. Néanmoins Jünger s’efforcera effectivement de vivre la guerre comme une alternative romantique à l’existence sécuritaire et confortable du bourgeois. On peut distinguer trois composantes essentielles de cette vision romantique : le romantisme de l’aventure héroïque, le romantisme du combat chevaleresque, le romantisme du retour à la nature.
6A maints égards, le champ de bataille, le front sont considérés et vécus par Jünger comme de grands terrains d’aventure, de chasse, de sport. Dans sa première chronique, il se plait à raconter comment il se lançe dans des expéditions plus ou moins solitaires contre les lignes ennemies. Des images de ses nombreuses lectures de Karl May reviennent spontanément sous la plume de l’écrivain-soldat. La patrouille s’approche par exemple de la tranchée ennemie comme "une troupe d’indiens sur le sentier de la guerre" ! Lors de l’attaque, le nomansland entre les tranchées prend l’aspect d’un pays interdit, étranger et mystérieux qu’il convient de conquérir au milieu des plus grands dangers. Les traits de paysages exotiques et le visage de conquérants anciens, vikings, pirates ou chercheurs d’or, sont évoqués pour dépeindre cette excitation fébrile :
Sous cet éclairage, la guerre prend un autre visage ; elle est nimbée d’un romantisme rappelant celui des chercheurs d’or qui après avoir longtemps erré à travers des déserts glacés découvrent le riche pays qui s’étend à leurs pieds... Il (le paysage) se couvre du manteau de l’aventure, qui exerce ses séductions mystérieuses sur l’homme courageux... Le matin, les colonnes partent au combat en chantant et le soir on se rassemble autour des feux de camp pétillants. Il est bon de parcourir le monde en ayant le sentiment qu’il appartient à l’homme courageux. Certes, tout cela est terriblement sérieux. Mais l’aventure est la lumière qui brille au-dessus de la menace. La mission est la vie, mais l’aventure est la poésie. Le devoir rend la mission supportable, mais le goût du danger la rend aisée. C’est pourquoi nous n’avons pas de honte à être des aventuriers5.
A l’évidence, cette façon de vivre la guerre présente, comme le dit Karl Prümm, des traits pubertaires6.
7La guerre romantique, c’est aussi la permanence sous les orages d’acier et dans la boue des tranchées d’une certaine tradition chevaleresque, le combat d’homme à homme, les yeux dans les yeux, à la vie à la mort. L’officier doit être selon Jünger le gardien de cette éthique fondée sur l’honneur et le respect de l’adversaire, une éthique qui risque de disparaître dans la massification et la mécanisation de la guerre moderne. La masse a besoin de haïr pour tuer ; pas le combattant chevaleresque qui applique simplement une règle du jeu : tuer ou être tué. C’est l’aviateur surtout qui apparaît comme la figure emblématique de la chevalerie moderne. Jünger lui voue admiration et envie. Ici encore les comparaisons et les métaphores dénotent son désir de donner une image romantique de la guerre. Ainsi remarque-t-il à propos des avions : "Jamais le guerrier ne disposa de coursiers plus fougueux7".
8Le ròmantisme du retour à la nature peut prendre des formes quasi idylliques. Jünger est toujours prompt à nous raconter comment, aux moments d’accalmie, il s’installe confortablement au soleil pour lire un bon livre (Tristam Shandy de Sterne !) en fumant une bonne pipe. Mais l’essentiel est cette ivresse dionysiaque qui saisit le guerrier se lançant à l’assaut. L’homme ressurgit alors dans toute la force de ses instincts primitifs et se redécouvre tel qu’il n’a cessé jamais d’être sous le vernis de la civilisation : animal de proie prêt à tuer pour survivre dans un mélange d’effroi et de sauvage jouissance. Ce retour à l’atavique ou à l’archaïque, notamment décrit dans les premiers chapitres de La guerre notre mère, est salué par le disciple de Nietzsche et de Barrès comme une intensification de la vie et des sensations qu’elle procure.
9Tous ces "romantismes" ont néanmoins quelque chose d’anachronique. Jünger semble vouloir les cultiver malgré l’écrasante présence d’une guerre technique qui impose ses lois et ses souffrances. Les premières pages des Orages d’acier sont l’histoire d’un désenchantement : un peu comme Fabrice del Dongo à la bataille de Waterloo au début de la Chartreuse de Parme, le jeune combattant se trouve plongé dans la mitraille du front et ne perçoit aucun sens dans cette agitation anonyme. Très vite, il est confronté à la saleté et à la souffrance des tranchées. L’aventure exaltante fait place à la routine du métier militaire, le rouge de l’ivresse guerrière à la grisaille des corvées quotidiennes et au rouge du sang dont se vide un camarade atteint par un schrapnell : bref l’horreur de la guerre, jointe à la monotonie angoissante de la guerre de positions et à la mort anonyme apportée par les bombardements, les mines, les gaz. La présence écrasante de la guerre technique tue la guerre romantique, nie l’héroïsme individuel.
10En publiant son journal, Jünger avait proclamé son parti pris absolu d’objectivité : son propos était d’abord de rendre compte de la façon la plus immédiate, sans aucune idéalisation rétrospective, des impressions ressenties par un fantassin au front8. Mais la désillusion posait à elle seule la question : à quoi bon toute cette souffrance, cette monotonie, cette passivité sous le déluge de fer et de feu ? La vision romantique est moins une expérience qu’une première interprétation conférant d’ailleurs à l’écriture jüngérienne, notamment dans Orages d’acier9. son ton particulier fait de description froide et distanciée et d’exaltation héroïque.
11La défaite de l’Allemagne ne risque-t-elle pas de disqualifier cette justification héroïco-patriotique sensible dans le premier livre ? En fait l’héroïsme reste un critère anthropologique. La guerre est une "école de virilité héroïque", un moyen de sélection qui permet de distinguer les "chefs-nés" de la masse dépourvue de volonté et de conscience. On l’a souvent noté10 : contrairement aux autres livres de guerre et notamment au plus célèbre d’entre eux, Le feu de Barbusse, l’acteur principal des livres de Jünger n’est pas la masse anonyme des combattants mais l’élite des commandants de troupes d’assaut, des tankistes, des aviateurs dans lesquels l’écrivain reconnaît ses alter ego. Le véritable "guerrier" est différent du simple soldat, respectueux des règlements, produit et instrument aveugle du "Drill". Idéologie héroïque et élitiste dont il est inutile de souligner les dangereuses implications politiques.
12Le retour à l’atavisme vécu dans les combats joint au sentiment d’un événement dépassant la mesure humaine met sur la voie d’une autre interprétation de nature apocalyptique : la guerre est appréhendée comme un tournant historique, le retour à la barbarie comme un ressourcement, une purification. Ici, c’est-à-dire surtout dans La guerre notre mère, se font massivement sentir les influences nietzschéennes et expressionnistes : la destruction, le retour au chaos ou à l’anarchie sont la nécessaire condition de toute création, de tout ordre nouveau.
13Mais cette idée de destruction ou de "barbarie positive" (W. Benjamin) ne fait qu’ouvrir une perspective, elle n’assure pas un avenir. La promesse de cet avenir, Jünger la voit dans une espèce "d’algodicée" (Sloterdjik) : la débauche de souffrances et de sacrifices consentie au front ne peut être vaine. Ils constituent une sorte de capital métaphysique qui nourrira l’âge nouveau. Cette foi se conjugue avec une sorte d’existentialisme guerrier dont Nietzsche, dans Zarathoustra, avait déjà énoncé la devise : ce n’est pas la cause qui sanctifie la guerre, mais la guerre qui sanctifie la cause ; l’essentiel n’est pas ce pour quoi l’on combat, mais la façon dont on combat. La valeur d’une idée dépend du sacrifice que l’on est prêt à accomplir pour elle.
14Esthétisme héroïque, décisionnisme, nihilisme ou réalisme héroïque ? Peu importe, pour l’instant, les concepts. Concrètement, Jünger découvre au front un type d’homme capable d’assumer cette attitude, c’est-à-dire prêt à se sacrifier pour une idée quelle qu’elle soit, et même en l’absence de tout sens évident. Il lui consacre un chapitre dans La guerre notre mère : "Lansquenets". Ce terme rappelle sans doute les vertus soldatiques traditionnelles, mais il souligne surtout le caractère international de ce type de soldat. Le lansquenet, nous dit Jünger, est à la fois mercenaire et volontaire (Söldner und Freiwilliger), c’est-à-dire à la fois patriote et soldat professionnel. Contrairement au "petit bourgeois" en uniforme qui paraît déplacé au front et ne combat que par devoir d’Etat (als staatsbürgerliche Pflicht), le lansquenet fait la guerre pour la guerre. La guerre est son élément. Il reste un aventurier que Jünger compare aux trappeurs, aux pirates et au poète maudit Villon. C’est dire que le lansquenet n’agit plus selon les mots d’ordre du patriotisme traditionnel, mais qu’il est une sorte de hors-la-loi anti-bourgeois peu soucieux de sécurité, de confort, de bonheur paisible. Mais surtout, ce guerrier est parfaitement adapté à la guerre moderne et montre la supériorité finale de l’homme sur la matière et la technique :
Justement dans les moments où le poids terrible des choses menaçait d’amollir l’âme à coups de pilon, se trouvèrent des hommes qui se jouaient négligemment de ces éléments comme d’un rien... Alors on avait l’impression que cette accumulation d’explosions, les rugissements de ces orages d’acier qui se cabraient avec une telle frénésie, n’étaient qu’une machine de théâtre, des coulisses qui n’avaient d’importance que par le jeu éxécuté devant eux par l’homme11.
15Le courage dont font preuve ces combattants des tranchées sous le feu roulant de l’artillerie dépasse l’héroïsme traditionnel, celui d’Achille et des héros homériques12. La Figure du Lansquenet incarne donc la possibilité de réconcilier l’homme et la technique, la guerre héroïque et la guerre technique, l’exaltation vitaliste et la guerre de matériels. Les lansquenets ont leur aristocratie, ces officiers du front qui allient goût de l’aventure et du danger, volonté de vaincre et maîtrise technique, et que Jünger oppose volontiers aux officiers d’état-major inexpérimentés de l’arrière. Le lansquenet a intériorisé à ce point la technique qu’elle est devenue pour lui une seconde nature, soumise aux pulsions de sa volonté de puissance. C’est en cela que le lansquenet peut être considéré comme le prototype d’un Nouvel homme ou d’une Nouvelle race qui va prendre le visage du "Soldat du front" dans les écrits du publiciste nationaliste de la seconde moitié des années vingt, puis celui du Travailleur dans le grand essai de 1932.
16Le "nouveau nationalisme" dont Jünger devient le théoricien et le propagandiste à partir de 192513 s’efforce de tirer les leçons collectives de la guerre. Les deux dernières chroniques guerrières écrites par Jünger portent les traces de son élaboration. Donner un sens à la guerre, à ce qui peut passer pour une absurdité ou pour le signe de l’imperfection humaine est certes un devoir sacré à l’égard de ceux qui sont morts au front. Mais l’ambition n’est pas seulement rétrospective. Il s’agit aussi de préparer l’avenir en s’adressant aux jeunes générations qui, comme Jünger, ont vécu pendant la guerre leur expérience primordiale14 et que lie de ce fait une solidarité indéfectible. Or ce qui apparaît de plus en plus clairement à l’auteur des Orages d’acier, c’est la signification historique et ontologique de la guerre technique, de cette guerre que le romantisme héroïque ou dionysiaque tentait d’une certaine façon de nier ou de refouler. L’irruption massive et triomphale de la technique dans la guerre prend aux yeux de Jünger la dimension cosmique d’une grande mutation naturelle et historique :
Sur les camions étroits, fusils et casques s’entrechoquent avec un léger cliquetis ; les moteurs rythment en cadence ce chant de la force qui réagit sur nos nerfs mieux que n’importe quelle fanfare militaire et qui semble marteler insconsciemment sa cadence aux actions de l’homme moderne. Peut-être nous laisse-t-il entendre : "Jamais encore humains ne sont allés au combat comme vous, sur d’étranges machines et sur des oiseaux d’acier, à l’abri de murailles de fer et de nuages d’un gaz mortel. La terre a engendré des sauriens et d’autres animaux terribles ; mais aucun être vivant n’a jamais porté d’armes plus effrayantes et plus dangereuses que vous. Il n’est pas d’escadrons, pas de barques de Vikings qui se soient jamais lancés dans une course plus audacieuse. Devant votre assaut la terre se fend ; le feu, le poison et des colosses de fer vous précèdent. En avant, en avant ! Sans pitié, sans peur ; il y va de la possession de l’univers15.
17Cette citation, longue à dessein, montre comment Jünger parvient maintenant à intégrer tous les éléments de sa vision de la guerre : l’aventure héroïque, l’exaltation vitaliste et le réalisme technique. Ce qu’il faut noter, c’est l’inversion de la perspective, le fait que la technique devienne maintenant le point de départ ou le support de l’exaltation vitaliste et de l’aventure héroïque. À cela s’ajoute la conviction que le monde nouveau sera dominé par la génération du front, une génération dont la valeur se mesure autant à la maîtrise technique qu’au courage ou à la bravoure :
Une génération qui construit des machines et qui sait les défier, une génération pour laquelle la machine n’est pas un métal sans vie, mais un instrument de puissance qu’il maîtrise avec une intelligence froide et une ardente vitalité. Voilà ce qui forgera au monde un visage nouveau16 !
18Jünger précisera les traits de ce monde nouveau dans les grands essais du début des années trente. Ces ouvrages, et notamment La mobilisation totale (1930) et Le Travailleur (1932), sont encore des « écritures » de la Grande Guerre dans la mesure où ils en donnent l’interprétation définitive : la mobilisation totale qui a permis en 1918 la victoire des puissances de l’Entente sur une monarchie allemande encore trop tributaire de l’armée traditionnelle dévoile en vérité le visage même de la modernité et le véritable sens du progrès. Loin d’avoir pour but le bonheur des hommes, celui-ci n’est en effet rien d’autre qu’une vaste entreprise prométhéenne de mobilisation des énergies matérielles et humaines par la rationalité technique. Cette marche triomphale de la technique en train d’établir son empire planétaire requiert un nouveau type d’homme, le Travailleur. Celui-ci n’a rien à voir avec le prolétaire marxiste qui n’est que l’envers du bourgeois puisqu’il en reprend l’idéologie sécuritaire et hédoniste. En revanche, il est l’émanation directe du "soldat du front", personnage central du nouveau nationalisme jüngérien dont il partage les valeurs héroïques, le sens du service, du sacrifice et de l’obéissance.
19A la lumière des thèses du Travailleur, le "nouveau nationalisme" de Jünger prend aussi une signification tout à fait particulière. Ce qui le caractérise, notamment par rapport aux autres courants de ce qu’il est convenu d’appeler la "Révolution conservatrice", c’est sa violence révolutionnaire et son modernisme. La guerre est sa matrice, la guerre mère de toutes choses, d’abord appelée à détruire l’ordre ancien (bourgeois) pour permettre l’émergence d’un monde nouveau. Le nationalisme jüngérien n’est certes pas exempt de contaminations "völkisch", voire antisémites. Mais il voit surtout dans la nation un agent révolutionnaire conjuguant élan vital et volonté de puissance avec les capacités techniques les plus avancées de la modernité. En somme, la nation doit réaliser au plan collectif ce que le lansquenet, le combattant du front, réalisait à titre individuel. Bien sûr, notamment en raison d’une tradition antilibérale plus prononcée ici qu’ailleurs, Jünger croit à la supériorité du nationalisme allemand pour accomplir l’oeuvre révolutionnaire nécessitée par la décadence de l’ère bourgeoise. Mais tous les nationalismes sont appelés à la même tâche qui est de réaliser la forme (Gestalt) exigée par l’époque : celle précisément du Travailleur. C’est pourquoi les essais du début des années trente peuvent affirmer d’une part que la Figure du Travailleur se situe dans la continuité du prussianisme, et d’autre part qu’elle a vocation à dépasser tous les nationalismes qui n’en sont que des vecteurs provisoires. Le nationalisme n’explique donc guère le souffle qui traverse l’essai sur Le Travailleur, forme et règne, dans lequel certains continuent à voir le programme du totalitarisme nazi. Inversement, grâce à l’aide de Heidegger, Jünger a eu tendance a posteriori à présenter son ouvrage comme la descripition prophétique et dénonciatrice du Léviathan moderne et de ses traits inhumains. En vérité, le livre est porté par une sorte d’utopie bio-technique : celle de la réconciliation entre les forces vitales de "l’élémentaire" et la pointe extrême de la rationalité technique dans la "construction organique" de l’État du Travailleur. C’est déjà cette synthèse que Jünger saluait dans le combattant des tranchées.
20Les essais du début des années trente représentent à la fois le couronnement et le dépassement de ce que Danièle Beltran-Vidal a appelé dans sa thèse la "culture de guerre17". Un dépassement que laissait prévoir le roman Sturm sur lequel il nous faut revenir un instant. Il est tout entier construit sur un contrepoint entre les actions guerrières et les conversations littéraires de trois officiers amis dont le lieutenant Sturm, lui-même écrivain et dont les essais littéraires font également l’objet de discussions. Jünger, que l’on reconnaît sous les traits de Sturm, semble y prendre conscience de l’insuffisance des interprétations qu’il a jusqu’à présent données de la guerre18. Et surtout, il se rend compte de l’écart qui subsiste entre sa qualité de guerrier et sa qualité d’homme de lettres et de culture, entre sa vita activa et sa vita contemplativa. Il souligne l’ambiguïté de l’attrait qu’a éprouvé "la jeunesse littéraire" d’Allemagne pour la guerre :
Ils avaient en commun une certaine robustesse native qui se combinait de façon étrange avec une certaine décadence. Ils aimaient attribuer cela à l’influence de la guerre qui avait déferlé comme une grande marée atavique sur les plaines d’une culture tardive et habituée au luxe. C’est ainsi par exemple qu’il partageait le même intérêt pour des auteurs aussi différents dans le temps, le lieu, la signification que Juvenal, Rabelais, Li-tai-pe, Balzac et Huysmans. Sturm avait défini un jour ce goût comme le plaisir que l’on prend à sentir l’odeur du mal émanant des forêts primitives de la force19
L’homme de culture prend ses distances par rapport à la guerre ; il déplore la mécanisation du monde ; il se sent en tant qu’individu dépositaire de valeurs dépassant l’événement20. La mort de Sturm à la fin du roman est symbolique : la vita contemplativa est mise de côté, le moment de l’engagement politique est venu. Mais la figure de l’aristocrate de l’esprit réapparaîtra avec force après l’expérience du "Leviathan" : dans les Falaises de Marbre.
21Jünger n’a cessé de remanier ses livres de guerre. Orages d’acier connaîtra sept versions de 1920 à 1980, Le Boqueteau 125 quatre, Feu et sang cinq etc. S’agit-il d’occulter un passé ambigu ? Toutes les préfaces soulignant la leçon politique que l’auteur entendait tirer de l’expérience de la guerre ont été notamment supprimées. S’agit-il d’abord d’une préoccupation esthétique visant non seulement à améliorer la forme mais aussi à supprimer l’accidentel pour ne garder que l’essentiel ? Ce que l’on peut dire, c’est que le souci esthétique est d’emblée présent chez Jünger. Il compte autant que la volonté de témoigner. Essayons, modestement, d’en cerner les aspects.
22La caractéristique la plus frappante du style des livres de guerre de Jünger est ce que l’on pourrait appeler leur "hyperréalisme", c’est-à-dire une froideur du regard, un détachement dans l’observation qui peuvent paraître inhumains, voire cyniques. En réalité, cette "abstraction du soldat" est le fruit d’une victoire sur soi et remplit une fonction d’auto-protection. Il ne faut pas se laisser paralyser par l’effroi, il faut pouvoir affronter lucidement le visage de la Gorgone dont il est question dans le second chapitre de La guerre notre mère. Dans Le boqueteau 125, Jünger expliquera cette "technique" :
Bien que la guerre dure depuis longtemps et que j’aie vu des centaines, voire des milliers de graves blessures et de corps absurdement disloqués et des champs entiers couverts de cadavres, je n’ai jamais pu m’habituer à ce spectacle. Je dois à chaque fois faire le même effort pour le surmonter. Je ne sais pas moi-même comment cela se produit ; c’est à peu près comme si je ne pouvais voir un objet proche de façon nette et que je réglais mes yeux de façon à le voir de loin. C’est l’abstraction du soldat, qui est plus difficile que celle du médecin, parce que le médecin peut regarder comme un objet ce dans quoi le soldat aperçoit son propre destin21.
23De fait, le réalisme et la minutie de la description, l’élimination quasi totale des affects moraux ou sentimentaux, ne sont pas sans rappeler "l’esthétique du laid" cultivée par le médecin G. Benn. Ainsi la distanciation est-elle à la source d’émotions esthétiques, non seulement parce qu’elle permet de goûter le spectacle guerrier, mais aussi parce que les impressions visuelles peuvent s’enrichir de tout un imaginaire22 qui s’épanche dans les comparaisons et les métaphores les plus diverses23. Bientôt l’hyperréalisme fondé sur la froideur de l’observation et les impressions visuelles ne suffit pourtant plus et fait place à ce "réalisme magique" ou à cette "double vue" de la vision "stéréoscopique" que Jünger théorisera à la fin des années vingt. Il s’agit de découvrir derrière la réalité phénoménale les forces "spirituelles", "l’esprit du monde, la "totalité" qui y est à l’oeuvre24. La démesure de l’événement lui confère d’ailleurs des aspects "surréalistes", oniriques ou fantastiques que Jünger, grand lecteur d’E.A. Poe et ami d’Alfred Kubin, s’empresse de noter. Les "orages d’acier" plongent souvent le combattant dans un état extatique dont il sort comme d’un rêve.
24S’il faut rattacher l’esthétique jüngérienne des livres de guerre à un courant, c’est évidemment l’expressionnisme qui mérite d’être mentionné, notamment après sa découverte par Jünger à l’époque de La guerre notre mère (1922) : mythification de la guerre, expression éruptive de pulsions vitales élémentaires, atmosphère apocalyptique, spectacle guerrier comparé à un cataclysme naturel, orage, raz de marée, ouragan, alors même que la technique impose ses formes au paysage naturel, autant d’éléments qui apparentent l’art de Jünger à celui des écrivains expressionnistes. L’esthétique de la machine qui s’exprime aussi dans les livres de guerre relève quant à elle plutôt du futurisme : la machine est belle parce qu’elle décuple le dynamisme, traduit la volonté de puissance :
Oui, la machine est belle, elle doit être belle pour celui qui aime la vie dans son abondance et sa violence. Et la machine doit être comprise dans les arguments que Nietzsche, qui dans son paysage Renaissance n’avait pas de place pour la machine, oppose au darwinisme, à savoir que la vie n’est pas seulement un misérable combat pour l’existence, mais qu’elle est volonté d’atteindre des buts supérieurs et plus profonds. Elle ne doit pas être seulement un moyen de production en vue de satisfaire nos misérables besoins, mais elle doit nous offrir une satisfaction plus élevée et plus profonde25 .
25Comme sa philosophie, l’art de Jünger se veut résolument moderniste. Il cherche à faire sentir la force élémentaire qui s’exprime dans et par les moyens de la technique la plus moderne : les tanks, les avions, les feux roulants de l’artillerie etc. Mais peut-être qu’en esthétique comme en philosophie, le vieux maître, le maître décisif reste Nietzsche. L’art de Jünger est marqué par la tension entre le dionysiaque et l’apollinien, le chaud et le froid, la cruauté et l’esthétisme abstrait, la brutalité et le raffinement, l’engagement ou l’activisme et le détachement. L’esthétique de l’effroi décrite par K.H. Bohrer comme propre à l’oeuvre de jeunesse de Jünger26 pourrait être expliquée par la conjonction que Nietzsche décèle dans la tragédie : ivresse et effroi de la plongée dionysiaque dans l’unité primaire de la vie, lucidité et mise en forme apollinienne. Toutefois Bohrer a justement mis l’accent sur les sources décadentes de l’esthétique jüngérienne. Il cite notamment une phrase de John Ruskin qui, par avance, rend bien compte de l’attitude esthétique de l’écrivain de la guerre :
Si un homme meurt à vos pieds, votre travail n’est pas de l’aider, mais de noter la couleur de ses lèvres, si une femme étreint sa mort devant vous, votre travail n’est pas de l’aimer, mais de regarder la courbure de ses bras27.
26Suivant Bohrer, et soulignant à son tour la "désinvolture" propre à Jünger, Henri Plard parle de "dandysme guerrier", un dandysme qui vient clairement au jour dans le roman Sturm et qui s’épanouira dans la première version du Coeur aventureux (1929)28. Jünger lui-même a eu recours dans Le boqueteau 125 au concept du "dandysme" pour décrire l’attitude de l’aviateur en qui l’on peut voir la Figure paradigmatique résumant ce que Jünger entend transmettre par ses livres de guerre tant sur le plan idéologique que sur le plan esthétique :
Le combat n’est pas seulement pour eux un devoir, mais le centre d’une culture particulière... Le summum incontournable en est une décadence ou mieux un dandysme qui forme un contraste bizarre avec la force terrible qu’il masque. Lorsqu’ils sont assis ensemble dans leur uniforme léger et ouvert, le col et la cravate désserrés, dans cet uniforme qu’ils ont l’habitude de porter et qui irrite tant l’armée, ils parlent de la vie et de la mort avec la même frivolité que le cavalier de l’ancien régime parlant de l’amour29.
27Le mélange de décadence et de force, de raffinement et de brutalité, ce "plaisir que l’on prend à l’odeur du mal émanant des forêts primitives de la force", caractérisent aussi bien l’art décadent que celui des livres de guerre de Jünger. A cela s’ajoute "l’égotisme" d’une écriture, qui, malgré sa volonté déclarée de "réalisme", est, dès le départ, plus attachée à rechercher et à noter les sensations et les excitations qu’à enregistrer objectivement les observations.
28Cette esthétique, on l’aura compris, est aussi un esthétisme. Et l’on pense ici au compte rendu de W. Benjamin : "Théorie du fascisme allemand. A propos de l’ouvrage collectif Guerre et guerriers" paru sous la direction de Ernst Jünger". Benjamin voit dans la théorie de la guerre développée dans cet ouvrage de 1930 l’expression du "décadentisme le plus enragé", "la transposition sans scrupule de l’art pour l’art à la guerre30". L’esthétisation de la guerre est à ses yeux le corollaire de l’esthétisation de la politique caractérisant le fascisme. Une esthétisation et une héroïsation de la politique que l’on constate dans la doctrine du "nouveau nationalisme" que Jünger développe dans la seconde moitié des années vingt. Et l’on pourrait aisément montrer pourquoi il faut en effet considérer ce dernier comme la forme allemande du fascisme (dont le national-socialisme se distingue par son fondement raciste)31. Mais si les livres de guerre débouchent bien sur un engagement politique de type fasciste, cette "tentation idéologique" n’a été que passagère. C’est donc une autre continuité que nous voudrions pour finir mettre en évidence chez Jünger, une continuité que nous serions tentés de rattacher à un héritage romantique. Dès ses livres de guerre, Jünger est en effet animé d’une part par une quête de la totalité d’ordre métaphysique et esthétique : il s’agit de cette synthèse déjà plusieurs fois évoquée entre le dionysiaque et l’apollinien, le rationnel et l’irrationnel, l’ivresse et la lucidité de l’observation (dès le début des années vingt, il a commencé à expérimenter l’effet des drogues), la vitalité (le "sang") et la rationalité technique, l’extase et le détachement etc. D’autre part, H.H. Müllier n’a pas tort de rappeler les thèses de Carl Schmitt sur "l’occasionalisme subjectif des Romantiques pour caractériser l’attitude de l’écrivain de guerre Ernst Jünger32. Le "dandysme guerrier" met d’abord en scène la propre personne de fauteur-combattant qui est le premier concerné par les phénomènes d’esthétisation et d’héroïsation mentionnés plus haut. Ce "dandysme guerrier"annonce aussi, d’une certaine façon, la figure de l’Anarque d’Eumeswil, celle de l’observateur détaché (mais passionné : toujours le contraste) que l’on trouve également dans les très nombreux journaux de Jünger. Jünger écrivain de la Grande guerre, c’est avant tout et déjà Jünger écrivain, un écrivain pour lequel la guerre n’a été que la première occasion d’exercer ses dons d’observation, d’imagination, de création.
Notes de bas de page
1 Dans laquelle il sera notamment chargé, vu son expérience, de rédiger des instructions sur la formation de l’infanterie !
2 Das Wäldchen 125 développe le chapitre "Avances anglaises" qui se déroule dans les environs de Bapaume, Feuer und Blut reprend le chapitre "La grande bataille", l’histoire d’une offensive allemande de mars 1918 sur la Somme.
3 "Wir hatten Hörsäle, Schulbänke und Werktische verlassen und waren in den kurzen Ausbildungswochen zusammengeschmolzen zu einem groBen, begeisterten Körper, Träger des deutschen Idealismus der nachsiebziger Jahre. Aufgewachsen im Geiste einer materialistischen Zeit, wob in uns allen die Sehnsucht nach dem Ungewöhnlichen, nach dem groBen Erleben. Da hatte uns der Krieg gepackt wie ein Rausch. In einem Regen von Blumen waren wir hinausgezogen in trunkener Morituri-Stimmung. Der Krieg muβte es uns ja bringen, das GroBe, Starke, Feierliche. Er schien uns männliche Tat, ein fröhliches Schützengefecht auf blumigen, blutbetauten Wiesen. Kein schönrer Tod ist auf der Welt... Ach. nur nicht zu Haus bleiben, nur mitmachen dürfen !" (In Stahlgewittern, Leisnig (Hannover) : Meier, 1920. Nous citons en principe d’après les premières éditions. On sait que Jünger n’a cessé de remanier ses oeuvres en général, ses livres de guerre en particulier. Pour les modifications des textes, les raisons qui ont poussé Jünger à les apporter, nous renvoyons à l’ouvrage de Eva Dempewolf, Blut und Tinte. Eine Interpretation der verschiedenen Fassungen von Ernst Jüngers Kriegstagebüchern vor dem politischen Hintergrund der Jahre 1920 bis 1980, Würzburg : Königshausen§Newmann, 1992. Nous n’hésiterons pas d’ailleurs à citer d’après Eva Dempewolf ou d’autres auteurs dès que les variantes répondront aux besoins de la démonstration.
4 "Gewaltig wie ein antikes Drama ragte er hinein in dieses Zeitalter der kleinen bürgerlichen Interessen, des Geldes und der spezialisierten Existenz. Er versprach, daβ man wieder des Ganzen teilhaftig würde, der einfachen und doch vollendeten Tat, die nach wirklichen Männern ruft, und die den Krämer mit seinen aufdringlichen Wertungen beiseite schiebt" (Feuer und Blut. Ein kleiner Auschnitt aus einer groβen Schlacht. Magdeburg : Stahlhelm-Verlag, 1925, p. 17.
5 "In dieser Beleuchtung erhält der Krieg wieder ein anderes Gesicht ; er wird von einer Romantik umhüllt, die der von Goldsuchem entsprechen mag, die lange durch die eisigen Wüsten irrten, ehe sie das reiche Land zu ihren FüBen sehen... Sie hüllt sich in das Gewand des Abenteuers, das den Mutigen mit rätselhafien Lockungen ruft... Des Morgens zieht man in singenden Kolonnen ins Gefecht und abends liegt man um knisternde Feuer versammelt im Feld. Es ist schön, in die Welt zu schweifen mit dem Gefühl, daB sie dem Mutigen gehört... GewiB, es ist bitter emst. Aber das Abenteuer ist der Glanz, der über der Drohung liegt. Die Aufgabe ist das Leben, aber das Abenteuer ist die Poesie. Die Pflicht macht die Aufgabe erträglich, aber die Lust an der Gefahr macht sie leicht. Darum wollen wir uns nicht schämen, daβ wir Abenteurer sind" (Feuer und Blut. Ein kleiner Ausschnitt aus einer groβen Schlacht. Magdeburg : Stahlhelm-Verlag, 1925, p. 45 sq).
6 Karl Prümm, Ernst Jünger und der Soldatische Nationalismus der Weitnarer Republik. Gruppenidologie und Epochenproblematik 1920-1934, Kronberg Taunus : Scriptor Verlag 1974, p. 122.
7 Cité Dempewolf, op.cit., p. 118
8 "Der Grad der Sachlichkeit eines solchen Buches ist der MaBstab seines inneren Wertes" (SG p. VIII)
9 Cf. H.H. Müller, 235
10 Par exemple Eva Dempewolf, op.cit., p. 65.
11 Gerade in Stunden, wo die fürchterliche Wucht der Dinge die Seele weich zu hämmem drohte, fanden sich Männer, die achtlos darüber wegtanzten wie über ein Nichts... Da empfand man, daB diese Häufung von Knalleffekten, diese brüllenden Stahlgewitter, mochten sie noch so gierig sich bäumen, doch nur Maschinerie, nur Theaterkulissen waren, die erst Bedeutung erlangten durch das Spiel, das der Mensch vor ihnen spielte". (SW. p. 60-61).
12 "Daher war auch ein Mut erforderlich, der den homerischer Helden bei weitem übertraf" (Sturm, SW 15, p. 43).
13 Voir entre autres Gilbert Merlio, "Ernst Jünger. La tentation idéologique" in Documents, Juillet 1995 (N° 3/95).
14 Au sens mannheimien de "Schlüsselerlebnis".
15 "In dem engen Kastenwagen klirren die Gewehre und Helme gegeneinander, die Motore singen den wilden Gesang von der Energie, von dem unsere Nerven stärker gepackt werden als von jedem Marsch, und der dem Handeln des modernen Menschen unbewuβt das Tempo einzuhämmern scheint. Rufen sie uns vielleicht zu : "Noch nie zogen Menschen in der Schlacht wie ihr, auf seltsamen Maschinen und stählernen Vögeln, hinter feurigen Wänden und Wolken aus tödlichem Gas. Die Erde hat Saurier und furchtbare Tiere getragen, doch kein Wesen war gefährlicher und schrecklicher bewaffnet als ihr. Kein Reitergeschwader und kein Vikingerschiff waren auf so kühner Fahrt. Vor eurem Angriff tut sich die Erde auf, Feuer, Gift und eiseme Kolosse gehen euch voraus. Vorwärts, vorwarts, ohne Mitleid und Furcht, es geht um den Besitz der Welt ! (Das Wäldchen 125, Berlin : Mittler§Sohn, 1925, p. 7)
16 "Ein Geschlecht, das Maschinen baut und Maschinen trotzt, dem Maschinen nicht totes Eisen sind, sondern Organe der Macht, die es mit kaltem Verstand oder heiβem Blute beherrscht. Das gibt der Welt ein neues Gesicht" (ibid., p. 19).
17 Danièle Beltran-Vidal, Chaos et renaissance dans l’oeuvre de Ernst Jünger. Collection Contacts. Études et documents 30. Peter Lang, 1995.
18 "Hier gebar ein neues Geschlecht eine neue Auffassung der Welt, indem es durch ein uraltes Ereignis schritt. Dieser Krieg war ein Urnebel psychischer Möglichkeiten, von Entwicklungen geladen ; wer in seinem EinfluB nur das Rohe, Barbarische erkannte, schälte genau mit der gleichen ideologischen Willkür ein einziges Attribut aus einem riesenhaften Komplex wie der, der nur das Patriotisch-Heroische an ihm sah" (SW 15 p. 27).
19 "Gemeinsam war ihnen eine Urwüchsigkeit, die sich in ganz seltsamer Weise mit einer gewissen Dekadenz verwob. Sie liebten das auf den EinfluB des Krieges zurückzuführen, der wie eine atavistische Springflut in die Ebenen einer späten, an jeden Luxus gewöhnten Kultur gebrochen war. So zum Beispiel trafen sie sich in an Zeit, Ort und Bedeutung weit auseinanderliegenden Erscheinungen wie Juvenal, Rabelais, Li-tai-pe. Balzac und Huysmans unbedingt. Sturm hatte diesen Geschmack einmal definiert als Freude am Duft des Bösen aus den Urwäldern der Kraft" (Sämtliche Werke, XV, Stuttgart : Klett-Cotta, 1978 p. 18).
20 "An diesem Orte, von Mahagonihölzem und funkelnden Spiegelglasem umfaBt, fühlte man sich als der bewuBte und wertvolle Sohn einer späten Zeit, auf die Jahrhunderte ganz unermeBliche Schätze vererbt" (sic !, ibid., p. 47).
21 "Obwohl der Krieg jetzt schon sehr lange dauert, und ich hunderte, ja tausende von schweren Verwundungen, von sinnlos verrenkten Körpem und ganze Felder voll Leichen gesehen habe, habe ich mich doch an diesen Anblick nie gewöhnen können. Ich muB jedesmal dieselbe Anstrengung machen, um ihn zu überwinden. Wie das geschieht, ist mir selbst nicht ganz klar ; es ist ungefähr so, als ob ich einen nahen Gegenstand nicht deutlich sehen möchte und die Augen auf die Feme einstelle, wahrend ich auf ihn blicke. Es ist die Abstraktion des Soldaten, die schwieriger ist als die des Arztes, weil der Arzt das als Objekt sehen darf, worin der Soldat das eigene Schicksal erblickt" (W. 125 op.cit., p. 140).
22 Sur les structures de l’imaginaire chez Ernst Jünger, voir la très brillante thèse de François Poncet, La dynamique imaginative dans l’oeuvre de Ernst Jünger, thèse dact. Rouen 1989. Dans ses recherches, François Poncet s’appuie essentiellement sur les travaux de Gilbert Durand.
23 À titre d’exemple : "Dann tasteten die unsicheren Arme der Scheinwerfer den dunklen Himmel nach den tückischen Nachtvögeln ab, Schrapnells zersprühten wie zierliches Spielzeug, und Leuchtgeschosse jagten in langer Kette gleich feurigen Wölfen hintereinander her" (cité Dempewolf p. 88)
24 "In dieser Art, in der Art des Künstlers, müBte sich auch jemand dessen bemächtigen, was hier geschieht, aus der Erkenntnis heraus, daß die seelischen Wirklichkeiten hoch über den tatsachlichen stehen... Der Summe von Kraft gegenüber, die sich hier auswirkt, ist die Zahl der Werke, die sich wirklich mit ihr befassen, erstaunlich gering" (Feuer und Blut, op.cit., p. 189). Cf. aussi ibid. p. 105 : "Jeder ist trunken ohne Wein, jeder lebt in einer anderen, fabelhaften Welt. Alle gewohnten Gesetze scheinen aufgehoben, wir befinden uns in einem Fiebertraum von höchster Wirklichkeit, in einem anderen Kreise des Rechtes, in einem anderen Kreise der Menschheit, und selbst in einem anderen Kreise der Natur".
25 "Ja, die Maschine ist schön, sie muB schön sein fur den, der das Leben in seiner Fülle und GewaltmäBigkeit liebt. Und in das, was Nietzsche, der in seiner Renaissance landschaft für die Maschine noch keinen Raum hatte, gegen den Darwinismus gesagt hat, daB das Leben nicht nur ein erbärmlicher Kampf ums Dasein, sondern ein Wille zu höheren und tieferen Zielen ist, muB auch die Maschine einbezogen werden. Sie darf uns nicht nur ein Mittel zur Produktion, zur Befriedigung unserer kümmerlichen Notdruft sein, sondern sie soll uns eine höhere und tiefere Befriedigung verleihen..." F§B, op.cit., p. 66/67).
26 Karl Heinz Bohrer, Die Ästhetik des Schreckens, Frankfurt/Main, Berlin, Wien : Ullstein 1983 (1°édit. 1978).
27 "Does a man die at your feet, your business is not to help him, but to note the colour of his lips ; does a woman embrace her destruction before you, your business ist not to love her, but to watch how she bends her arms" (cit. Bohrer, op.cit., p. 57).
28 Henri Plard attire notamment l’attention sur les affinités entre Jünger et Beardsley : "Les affinités entre le jeune dessinateur et l’auteur de Das Abenteurliche Herz sont évidentes : dans les meilleures gravures d’une oeuvre assez inégale, le bizarre, le monstrueux, le pervers sont, pour ainsi dire, domptés par la rigueur du dessin et de la répartition des noirs et des blancs ; c’est l’union de l’esthétisme abstrait et de la cruauté dont parlait Stem à propos de Jünger" ("Une oeuvre retrouvée d’Ernst Jünger : Sturm" in : Études germaniques, oct.-déc. 1968, p. 605).
29 "Der Kampf ist ihnen nicht nur Pflicht, sondern Mittelpunkt einer besonderen Kultur... Der unausbleibliche Höhepunkt ist eine Dekadenz, oder besser ein Dandytum, das in seltsamem Gegensatz steht zur der furchtbaren Kraft, die es maskiert. Wenn sie in leichten, offenen Röcken, mit weichem Kragen und Schlips, den sie sehr zum Ärger der Armee zu tragen pflegen, so sprechen sie über Leben und Sterben mit derselben Frivolitat wie ein Kavalier des ancien régime über die Liebe sprach" (Waldchen 125, op.cit., p. 79)
30 Walter Benjamin, "Theorien des deutschen Faschismus" in Gesammelte Schriften, édition Suhrkamp Band III, p. 240 : "Diese neue Kriegstheorie, der ihre Herkunft aus der rabiatesten Dekadenz an der Stirne geschrieben steht, ist nicht anderes als eine hemmungslose Übertragung der Thesen des L’Art pour l’Art auf den Krieg".
31 Cf. sur ces points Gilbert Merlio, "Ernst Jünger : la tentation idéologique" in Documents, juillet 1995 ; "Der sg. "heroische Realismus" als Grundhaltung des Weimarer Neokonservatismus" in : M. Gangl/G. Raulet, Intellektuellendiskurse in der Weimarer Republik. Zur politischen Kultur einer Gemengelage. Frankfurt/M., New York : Campus, 1994, p. 271-286.
32 Hans-Harald Müller, Der Krieg und der Schriftsteller, Der Kriegsroman der Weimarer Republik, Stuttgart : Metzler, 1986, qui cite p. 248 l’écrit bien connu de C. Schmitt sur la Politische Romantik : "Auch das gröBte äuBere Ereignis, eine Revolution, ein Weltkrieg, ist ihm an sich gleichgültig, Der Vorgang wird erst bedeutungsvoll. wenn er Anlaβ eines groβen Erlebnisses, eines genialen Aperçus oder sonst einer romantischen Schöpfung geworden ist. Wahre Realität hat also nur. was vom Subjekt zum Gegenstand seines schöperischen Interesses gemacht wird"
Auteur
Université de Paris-Sorbonne (Paris IV)
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