Chapitre II. La violence et la mort : radicalisation et esthétisation
p. 293-317
Texte intégral
1. Omniprésence de la violence
1Marsha Kinder indique justement dans son étude sur le cinéma espagnol : « N’importe qui, essayant de décrire les principales caractéristiques du cinéma espagnol, commencera habituellement par son excessive violence »1.
2On a souligné par exemple, à l’occasion du centenaire du cinéma, que le premier film de fiction tourné en Espagne, en 1897, n’était pas (à l’instar de L’arroseur arrosé de Louis Lumière), un épisode comique, mais Riña en un café (Bagarre au café, réalisé par Fructuoso Gelabert). Le cinéma de Pilar Miró ne fait pas exception à la règle et la violence est présente, à des degrés divers, dans tous ses films. À la fin de son ouvrage, Juan Antonio Pérez Millán, établissant le bilan thématique des films de Pilar Miró, souligne que l’idée de la mort court comme un fil rouge tout au long de sa filmographie.
3El pájaro de la felicidad est avec El perro del hortelano, le seul qui ne comporte aucune mort, même si la violence n’en est pas absente : c’est l’agression et le viol dont Carmen est victime qui déclenchent sa décision de quitter Madrid, et par là infléchissent toute la suite de la narration. Quant à l’adaptation de la comedia de Lope, nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer la cruauté de la comtesse de Belflor.
4La mort apparaît comme forme suprême de la violence, mais elle n’est pas la seule. En effet, dans La pétición, Teresa exerce sur les hommes une forme de domination poussée à l’extrême. Et dans El crimen de Cuenca, où le prétendu mort s’avère à la fin être bien vivant, la violence atteint son plus haut degré avec des scènes de torture difficilement supportables.
5En revanche, l’image n’est jamais agressive à l’encontre d’un personnage qui se met volontairement à l’écart des conduites sociales prônées par la majorité. Ainsi, l’homosexualité est abordée de façon très pudique, dans le cas du jeune Claudio comme dans le cas de l’éphémère couple Carmen-Nani. À l’opposé des personnages almodovariens, extravagants, excessifs, désaxés en tout genre, le jeune homme est présenté comme un jeune homme tout à fait « normal » : façon la plus sûre de banaliser la conduite homosexuelle et de ne pas la marginaliser.
6De même, la conduite suicidaire n’est pas condamnée : la condamnation d’Alberto a l’effet contraire, les opinions exprimées par ce personnage la plupart du temps assez antipathique servant de repoussoir. Le suicide est le plus souvent simplement évoqué, relaté par un personnage, et non présent à l’écran, comme dans les tragédies classiques françaises où le bon goût exigeait que les combats, duels etc... eussent lieu en dehors de l’espace scénique et fussent simplement relatés2. Ainsi, on n’assiste pas au suicide de Luis Maria dans Hablamos..., et l’on ne voit pas non plus son corps, dont on suppose qu’il a déjà été retiré quand arrive Victor : très suggestif, le plan sur l’à-pic vertigineux du barrage se substitue à la monstration. Quant au Professeur, son suicide est présenté dans un plan plein de sobriété : à travers l’encadré de la porte, depuis la pièce voisine, on voit tomber le corps en arrière quand le coup retentit. Le contraste n’en est que plus accusé avec les scènes de torture dans El crimen de Cuenca, ou l’acharnement que met Teresa à assommer le muet à coups de rame : on n’en compte pas moins de trois séries successives de six coups, jusqu’à ce que le visage ensanglanté du muet passe sous la barque.
7Dans un article de 1997, à propos de la publication de son dernier roman, Plenilunio, Antonio Muñoz Molina, répondant aux questions du journaliste de El País, souligne à quel point la violence et la cruauté sont montrées au cinéma et dans .la littérature non du point de vue de la victime, mais uniquement de l’agresseur. Il ajoute qu’il y a là une lacune qu’il a essayé de combler, s’intéressant aux victimes qui n’apparaissent d’ordinaire presque pas3. Il est indubitable en effet, et nous l’avons déjà observé dans la première partie, que la fin des années quarante inaugura d’abord par la littérature un intérêt nouveau pour le personnage du tueur, dépouillé du folklore habituel qui l’accompagnait jadis, et dépourvu de motivations psychologiques très claires, la narration étant centrée sur les « forces obscures » qui habitent l’être humain, et qu’il se refuse le plus souvent à voir et à prendre en considération4. C’est ainsi que le travail d’équipe du film Luciano de la promotion de Pilar Miré à l’École Officielle de Cinéma était bien dans cette lignée de rupture avec un passé proche marqué par le puritanisme dominant du dix-neuvième siècle et par l’exaltation de l’héroïsme dans la première moitié d’un vingtième siècle ébranlé par les conflits guerriers dévastateurs. Le cinéma des années 70 suit de façon majoritaire le schéma indiqué par Muñoz Molina, de fascination pour le mal, dans ses manifestations les plus spectaculaires et maximalistes. C’est un mouvement puissamment initié aux États-Unis par Orange mécanique de Stanley Kubrick (1971) et qui se poursuit par vagues de plus en plus fortes sans véritable interruption, la décennie 90 étant inaugurée par Le silence des agneaux (Jonathan Demme). La revue Fotogramas5, faisant le bilan photographique et commenté des années 1967-1976, présente pour l’année 1976 (l’année de La petición), la jeune Carrie maculée de sang, du film de Brian de Palma, et qui occupe une bonne partie de la page. Face à la complaisance grandissante pour l’horreur (c’est le cinéma « gore »), les véritables créateurs ne peuvent qu’éprouver un certain recul. Pilar Miró s’oppose ainsi constamment aux films d’Oliver Stone, fustigeant par exemple son film Tueurs nés dans un article de El País du mois d’octobre 19946. Ce n’est pas pour autant qu’elle adhère à l’exaltation de la bonté unie à la bêtise consacrée par un film comme Forrest Gump (Robert Zemeckis, 1994). En effet, le cinéma américain semble se donner bonne conscience en alternant soigneusement l’horreur et l’exaltation des bons sentiments. Les dénégations de la réalisatrice concernant la fascination qu’exercerait sur elle le spectacle d’une grande violence sont à la mesure des attaques qu’elle a subies à cause des scènes insoutenables de El crimen de Cuenca. La dénégation se porte parfois sur le terrain même du discours filmique. En effet, dans Beltenebros, Darman dit à Luque qu’il n’a jamais tué personne de ses propres mains7, ce qui va à l’encontre du personnage du roman, et même de son habileté finale pour casser rapidement un bras au policier qui l’attaque dans le cinéma. L’indignation de Darman semble pourtant sincère, de même que celle de la Julia de Tu nombre lorsqu’elle assure à Barciela que la violence lui répugne (elle a quand même tué trois hommes de sang froid). Dès le premier film de Pilar Miró, la violence fait avec force son entrée : le personnage de Teresa porte le mal en elle. Parodiant Sartre, on pourrait dire : « L’enfer, c’est elle ». Et cependant, elle semble étonnamment étrangère à cet enfer dont elle est porteuse. Le personnage semble inaccessible à la souffrance morale et même incapable d’éprouver un sentiment. En ceci, elle est très différente du personnage de Luisa, la femme fatale incarnée par Victoria Abril dans Amantes de Vicente Aranda (1990). Cette dernière entraîne son amant à sa perte, mais se perd avec lui par amour.
8La violence, unie indissociablement au sexe dans La petición, comme nous allons l’étudier dans le chapitre suivant, est dans El crimen de Cuenca surtout spectacularisée. Ces deux caractéristiques étaient déjà présentes dans Un chien andalou de Luis Buñuel (1928), référence obligée en ce qui concerne la violence quand on parle du cinéma espagnol. En effet, au début du film, on voyait Buñuel lui-même aiguisant un rasoir puis tranchant l’œil d’une femme assise. Mais l’image était associée à celle d’un nuage effilé passant devant la pleine lune, lui conférant une signification métaphorique. D’autre part, la totalité du film était constituée de scènes oniriques sans lien logique entre elles. Au contraire, les scènes de torture dans El crimen... sont on ne peut plus réelles et ne peuvent s’assimiler à des scènes cauchemardesques comme celles qui sont issues de la collaboration entre Buñuel et Dali dans le film Un chien andalou. La spectacularisation8 de la violence dans El crimen... s’enracine plutôt dans une tradition très hispanique. Ainsi, Lorca écrivait à propos de la corrida que l’Espagne est le seul pays au monde où la mort est un spectacle9. Mais au-delà du folklore qui s’attache aux taureaux et de la symbolique de la corrida, dont la représentation n’a jamais tenté Pilar Miró dans ses films, la violence de El Crimen de Cuenca s’inscrit dans le droit fil de la conception hispanique de la dénonciation politique et sociale. La spectacularisation en est la manifestation. Marsha Kinder souligne avec raison la spécificité culturelle de la violence dans le cinéma espagnol : ainsi, nous avons déjà dit que l’épisode du combat de Gregorio et León dans la prison rappelle le tableau de Goya, Duelo a garrotazos (Duel à coups de gourdin)10, et la réalisatrice avait présente à l’esprit une autre référence picturale, celle de Gutiérrez Solana. J.A. Pérez Millán rapporte ses paroles :
Les plans de El crimen de Cuenca qui me plaisent sont ceux de l’arrivée de Gregorio et León au cimetière, entourés par les gens du village, et, par exemple, un plan rapproché du juge, et au fond, légèrement floue, la silhouette d’un garde civil contre un mur blanc... Ce sont des plans qui me semblent si caractéristiques de ce pays. C’est un peu cela que veut être le film : non pas les scènes de torture directe, mais cette atmosphère d’oppression permanente... »11
9Le regard des bourreaux sur leurs victimes est toujours souligné : regard du garde qui surveille León suspendu par les parties génitales, regard de celui qui fait couler de l’eau devant Gregorio torturé par la soif, avant de lui arracher la moustache avec des tenailles en le rasant, sadisme du sergent qui crève le palais de Gregorio avec un tisonnier et qui arrache les ongles de León, enfin regard satisfait du groupe qui observe le combat des deux prisonniers (dont il a fomenté l’inimitié), une satisfaction soulignée par la remarque du juge Isasa qui se félicite d’avoir bientôt une « déclaration en règle ».
10À propos de Buñuel, Claude Murcia écrit :
L’ancrage profond de ses films dans la réalité sociale s’inscrit dans une tradition hispanique qui va du récit picaresque et de La Célestine à Goya, Solana, Valle-Inclán et Gómez de la Serna, et qui, souvent brutale, soucieuse de vérité et de lucidité, offre volontiers des représentations caricaturales, grotesques, monstrueuses, de la réalité12.
11Les plans soutenus qui montrent les corps torturés, au-delà de la dénonciation politique, touchent directement la sensibilité du spectateur, de la même façon que le faisaient les martyrs érotisés dans la peinture espagnole du Siècle d’Or, par exemple celle de José de Ribera (Le martyre de Saint Barthélémy, 1639). Et d’ailleurs, les fameuses Conversations Cinématographiques qui se déroulèrent à Salamanque en 1955 en appelaient déjà à la grande tradition réaliste, avec des noms comme Ribera, Quevedo et Goya. « Réalisme » qui est pleinement atteint dans la représentation de la violence dans El crimen de Cuenca, où le film induit à une forte identification avec Gregorio et León, les deux innocents horriblement torturés. Le public espagnol en tant que collectivité peut s’identifier aux victimes de l’oppression en « revivant » ce que le peuple a vécu et souffert, sans omissions ni atténuations. La description exhaustive des atrocités et vexations endurées peut peut-être générer, de façon inconsciente, un désir de revanche, une certaine satisfaction du ressentiment.
12La représentation de la violence n’est pas toujours aussi crédible : dans El pájaro de la felicidad, la scène de l’agression de Carmen semble moins convaincante, peut-être à cause de l’irruption brutale du monde des délinquants, qui n’a pas été préparée. En revanche, la scène où Carmen retrouve sa voiture et, dans une rage froide, poursuit les voyous qui veulent encore lui extorquer de l’argent, est dotée d’un rythme et d’un arrière-fond (les palissades remplies de tags, l’évincement du gosse par le voyou adulte...)
13Dans Tu nombre..., la plus grande violence physique est celle que déploie Barciela quand il s’acharne sur le corps de Montilla, comme dans un accès de rage pour exorciser toute cette violence qui a causé tant de morts, comme la culmination et la fin de la réciprocité violente. Les autres morts sont soit absentes à l’écran, comme celle de Jaime, soit esthétisées, comme dans la scène du mitraillage des miliciens attablés à la terrasse d’un café, qui est la scène du générique, reprise ensuite dans le souvenir de Julia. Cette scène est assez curieuse pour qu’on s’y arrête : c’est la seule scène de Pilar Miró tournée au ralenti. Le ralenti, la musique de fosse, le flou de l’image à un certain moment contribuent à la sublimation de la mort, rendue esthétique. Peut-être Pilar Miró s’est-elle souvenue du générique de La prima Angélica (Saura, 1971) qui évoquait un souvenir personnel du réalisateur, le bombardement de son école pendant la guerre. Après le générique, le film démarrait sur la visite du protagoniste au cimetière pour prendre en charge les cendres de sa mère. Tu nombre commence par l’arrivée au cimetière du corbillard du père de Julia13.
14Par ailleurs, il est intéressant de rapprocher les deux films de Pilar Miró les plus éloignés dans le temps : le premier et le dernier. Tandis que le surgissement de la violence dans les rapports sexuels est amplement développé dans La petición, les scènes érotiques dans Tu nombre, placées sous le signe d’un amour véritable et désespéré (avec Jaime d’abord, dans le terrible contexte de la guerre civile, avec Angel ensuite, dans le contexte dramatique d’une enquête policière au dénouement incertain) apparaissent comme une tentative désespérée de conjuration de la mort et de la fatalité14. Mais il convient de revenir d’abord sur la nature insolite des rapports entre Teresa et Miguel dans La petición, qui pose d’emblée la personnalité de cette femme redoutable comme un inquiétant mystère.
2. Le sexe et la mort
15Une des observations fondamentales de Marsha Kinder sur la violence dans le cinéma espagnol, dans le chapitre intitulé « Le récit œdipien espagnol et sa subversion » est que la pulsion parricide est fréquemment détournée sur la mère. S’attachant plus particulièrement au cas de Pascual Duarte (Ricardo Franco, 1976), et à celui de Furtivos (J.L. Borau, 1975), elle ajoute qu’aucun autre cinéma national ne contient autant de matricides15. Il convient d’ajouter qu’en dépit de son militantisme féministe, Marsha Kinder ne s’attache qu’à l’étude d’un cinéma masculin. Le cinéma de Pilar Miró, en donnant le plus souvent la vedette à un personnage féminin, s’éloigne des sentiers battus et pose de façon différente les termes des conflits œdipiens. Nous avons déjà analysé dans la deuxième partie de cette étude comment la figure de la mère ne se confond jamais avec la mère dévorante, castratrice, si fréquente dans les représentations des pays méditerranéens, mais au contraire se caractérise le plus souvent par son indifférence à sa descendance, et par son effacement du champ de la représentation qu’elle n’occupe jamais complètement. Ainsi, Carmen, dans El pájaro de la felicidad est mère : cependant, elle n’est presque jamais présentée en tant que mère, mais uniquement en tant que femme. C’est pourtant dans ce film que la violence apparaît indirectement, symboliquement, « détournée sur la mère ». En effet, c’est en sortant de chez son fils qu’elle n’avait pas revu depuis des années, que Carmen est attaquée et violée par des voyous qui s’enfuient avec son véhicule. Ainsi, c’est au moment où Carmen recherchait un rapprochement avec son fils, qu’elle est physiquement agressée. Cette agression ne peut pas ne pas faire écho à la brutalité des paroles d’Enrique16.
16Dans La petición, le sentiment d’agressivité contre la mère est certainement présent chez Teresa, mais en raison des structures sociales en vigueur dans lesquelles s’inscrit le personnage, il est refoulé et dirigé cette fois contre les hommes sur lesquels Teresa exerce son entière domination.
2.1. La féminité redoutable
17C’est dans La petición que le sexe et la mort sont indissolublement liés : la mort de Miguel résulte de la violence de ses ébats amoureux avec Teresa, et celle-ci tue le muet qui espérait jouir de son corps en rétribution de ses services.
18Le générique de départ est intéressant en ce qu’il figure en quelque sorte une « fausse piste ». En effet, les deux enfants vus de dos s’éloignent sagement dans l’allée toute droite en se tenant par la main : docilité qui n’est qu’apparente, comme une métaphore de l’hypocrisie qu’utilise ensuite Teresa pour satisfaire sa lascivité tout en paraissant irréprochable17. Les deux scènes qui se répondent en écho et qui sont emblématiques du film et des rapports amoureux entre les deux protagonistes, sont celles où Miguel se prête au jeu du cheval : c’est sur cette scène de l’enfance que démarre le récit filmique tout de suite après le générique, lorsque les enfants ont disparu au bout de la tonnelle, et la même scène se reproduit avec les personnages adultes lors de leur promenade de retrouvailles.
19La répétition très exacte suggère l’importance symbolique du « jeu ». Dès l’enfance, Teresa saute sur le dos de Miguel et lui enjoint de galoper : une baguette à la main, elle fouette sa monture pour la faire aller plus vite. Quand Miguel s’arrête, il fait rouler sa « cavalière » et s’assied sur elle. Mais elle démontre sa force physique en retournant la situation et en passant de la situation de dominée à celle de dominante. Elle ne s’en tient pas à cette victoire et lui mord férocement l’oreille, puis se relève et le traite d’imbécile en s’éloignant de quelques pas parce que ses cris ont attiré Francisca. Cette scène configure déjà quelques traits essentiels des rapports entre les deux sexes. En effet, Teresa apparaît d’emblée comme une amazone, dotée de tout l’arsenal symbolique de la féminité redoutable. La morsure à l’oreille évoque les chiens qui attaquent ainsi le gibier blessé. Hécate, la déesse des Enfers, était accompagnée par une meute de chiens, et comme Diane ou Artémis (dont elle est le doublet chtonien), s’appropriait l’occupation virile de la chasse. La présence, discrète mais constante, du doberman dans la maison, confirme ce possible surgissement des forces du ça figurées par le chien18. Teresa domine également les chevaux comme elle domine les hommes (c’est toute l’importance du « jeu » symbolique du cheval). Lors de la fête, le muet qui la soustrait à la trajectoire des chevaux emballés semble n’être qu’un instrument du destin : Teresa ne pouvait certes pas mourir piétinée par des chevaux. La sauvagerie de la femme et celle de l’animal dompté participent d’un isomorphisme : les instincts resurgissent avec force, chez l’animal, sous l’effet de la frayeur, chez la femme sous l’effet du désir. Dans ses Essais de psychanalyse, Freud utilise la métaphore du cavalier pour définir le Moi qui s’efforce de dompter le cheval, lequel représente les forces du ça :
Dans ses rapports avec le ça, on peut comparer le Moi au cavalier chargé de maîtriser la force supérieure du cheval, à la différence près que le cavalier domine le cheval par ses propres forces, tandis que le Moi le fait avec des forces d’emprunt.
20Dans cette scène répétée, le cheval et la cavalière sont tous deux entraînés par la force irrépressible du ça, ou comme l’aurait dit Luis Buñuel, par la fonction tyrannique du sexe19. Dans le film de Manuel Gutiérrez Aragón, Demonios en el jardin (Les démons dans le jardin, 1983), l’animal qui incarnait la force brute du désir était le taureau, et la protagoniste (interprétée également par Ana Belén) était la seule à ne pas en avoir peur.
21La deuxième occurrence de la cavalcade est semblable à la première. Lorsque le couple sort pour se promener, on le voit tout d’abord marcher de façon très conventionnelle : Miguel porte même un chapeau melon, attribut un peu ridicule et solennel, qu’on reverra à la fin, dans la scène de la barque, où c’est le dernier objet qui demeure et que Teresa jette par-dessus bord, comme une liquidation symbolique de l’éphémère vie de Miguel et de son statut social si fragile. Miguel se vantait d’être « l’homme de confiance » du notaire, Monsieur Iragui. Ses rêves d’ascension sociale se trouvent brisés par son incapacité à résister aux pulsions d’un Eros destructeur.
22Dans la scène du jeu du « cheval », Teresa ne porte plus ce canotier à ruban, son visage n’est plus protégé par une ombrelle comme dans la précédente promenade en barque, où sa tenue ainsi que les vers de Verlaine suggèrent une parodie de scène romantique, si souvent illustrée par les peintres impressionnistes (par exemple le thème de La Grenouillère, peint par Monet et Renoir)20. On est certes fondé à supposer qu’il ne s’agit pas du même jour (Miguel non plus n’est pas habillé de la même façon : dans la barque, il avait troqué son fameux chapeau melon pour une casquette, signe visuel très référencé : plus décontracté et plus populaire, voire un brin canaille). C’est de toute façon la cohérence symbolique qui importe à ce moment. En revanche, le changement de tenue entre la sortie de la maison (où Teresa porte un chemisier à col tuyauté, avec un pendentif) et l’embarcadère (ombrelle et motif écossais du col et du ruban), est sûrement à mettre au compte des moyens financiers restreints par la production, et qui n’ont pas permis de retourner la séquence dans son entier pour une plus grande cohérence. Le soin quasi maniaque apporté par la réalisatrice au moindre détail vestimentaire n’autorise pas à penser qu’il s’agit d’une négligence.
23Quand elle saute sur le dos de Miguel, Teresa porte donc une robe blanche : c’est le même symbolisme antithétique du vêtement que dans la scène finale. D’ordinaire, la blancheur connote la pureté, mais Teresa a le pouvoir symbolique de se « refaire une virginité » à volonté. C’est le sens de toutes ces robes blanches successives, en particulier celle de la course avec Miguel, celle qu’elle met pour le bal et sur laquelle elle renverse du vin rouge (comme le sang qui coule lors de la perforation de l’hymen), et la plus belle de toutes (cela est souligné par le dialogue), qu’elle porte pour le moment solennel de l’annonce du mariage à la société, et qui est comme une préfiguration de la cérémonie. En réalité, Teresa est toujours habillée en blanc, sauf dans la séquence de la fête au bord du lac, où elle a quand même un beau chemisier blanc, avec une jupe rouge flamboyante et un chapeau du même ton.
24Quand elle enfourche son « cheval », ses cheveux dénoués ruissellent sur ses épaules, signe sans équivoque de liberté érotique. La différence avec la course de l’enfance est l’affirmation du symbolisme sexuel, la course étant comme le substitut et l’annonce de l’accouplement. Au contraire de la première fois, elle s’inscrit dans une durée plus longue. La course de la vie est aussi une course à la mort, puisque Kronos est le grand ordonnateur de tout (« La bestialité, symbole étemel de Kronos comme de Thanatos », écrit Gilbert Durand21).
25Au début, Teresa, progressivement excitée, fouette Miguel pour l’obliger à accélérer et lui donne des coups de talon, mis en valeur par trois plans alternés des bottines. Avec la « cravache », ce sont les attributs de la cavalière et les signes visibles de la domination qu’elle exerce sur Miguel. Lorsqu’elle souhaite s’arrêter, Miguel continue de plus belle, éclatant de rire, et préfigurant ainsi le décalage entre le plaisir masculin et le plaisir féminin que l’on retrouvera au moment culminant de la mort du jeune homme. La morsure à l’oreille est cette fois supprimée, mais elle sera réintégrée plus tard, dans la première scène entre les amants dans la chambre de Teresa : il s’agit des plans assez brefs où Miguel la gifle puis lui pince le bout du sein. Elle lui mord alors l’oreille et lui chuchote : « Je te donnerai la clé de la chambre », phrase qui annonce de façon très claire le renouvellement du coït.
26Le thème de la clé est développé de plusieurs façons dans le film, comme un symbole de la façon différente dont la femme se donne ou se refuse aux hommes, leur facilite ou leur dénie l’accès à « sa chambre intérieure », de tout temps le ventre féminin. On sait que la claustrophilie est le symbole freudien de la féminité, et qu’il a donné lieu à de nombreuses variations littéraires sur le thème des cages et de la prison22. Ainsi, elle déploie toute sa ruse pour fournir la clé à Miguel. La première fois où ils se retrouvent seuls dans sa chambre, le premier geste de Miguel est de fermer soigneusement la porte à clé et de tendre l’oreille pour s’assurer que personne n’est à proximité. Le fiancé de Teresa, Mauricio, a le même geste lorsqu’ils se retrouvent dans la bibliothèque pendant le bal. Mais son geste se retourne contre lui, car elle s’indigne hypocritement de ses mauvaises intentions23 après avoir fait exprès de renverser le verre de vin sur sa robe. Cette scène de la bibliothèque est très intéressante pour montrer à quel point les actes de Teresa font partie d’un tout parfaitement élaboré. L’épisode du verre renversé fait penser à l’attitude savamment calculée d’un Valmont dans Les liaisons dangereuses. Mais il ne semble pas que Teresa puisse succomber un jour à l’amour, comme Valmont à la fin du roman de Choderlos de Laclos et ses calculs ne sont qu’une inspiration du moment, et non un édifice intellectuel échafaudé comme celui de Valmont, ou même celui de Julien Sorel, au long des mois, voire des années. L’assassinat du muet a été planifié dans l’urgence du moment, dès l’instant où la promesse a été proférée, présentée comme une « récompense » après la « corvée » de la débarrasser du mort. Le muet était voué dès le début à n’être que le jouet de ses illusions : il apparaissait clairement dans la scène de l’église qu’il ne serait jamais comme Miguel, qu’il n’aurait jamais la « clé » (de la chambre, du corps) de la belle. Teresa se contente de lui enjoindre de rester immobile dans la chambre à l’attendre.
27La scène de la chevauchée dans la campagne est immédiatement suivie, en fondu enchaîné, par celle de la serre. Gilbert Durand rappelle que c’est précisément Zola qui, dans La curée, lie les signes de l’intimité au mythe de Dionysos :
Le dieu, qui déjà a sa place dans la serre puisqu’il est dieu aquatique et de la végétation, voit son symbolisme végétal – la vigne et surtout le lierre au poison plus enivrant que l’alcool du vin – précisé par toutes les plantes grimpantes et ophidiennes de la serre24.
28Cette composante dionysiaque du personnage de Teresa est d’ailleurs soulignée lorsque, après l’amour, Miguel se recule (les deux amants sont assis sur le sol de la serre), et Teresa éclate de rire, la tête renversée en arrière, comme sont représentées les Ménades ou Bacchantes dans leur délire.
29La scène de la mort de Miguel est bien sûr celle qui lie de façon la plus évidente la pulsion érotique et la pulsion de mort. Teresa est d’abord présentée mollement couchée dans son lit, jouant avec des ciseaux, se coupant le bout d’un cheveu, et se plaignant d’entendre la flûte monotone de son voisin. Ces quelques plans sont extrêmement riches en suggestions. Au-delà du manque total de gratitude (la scène précédente nous a montré le muet sauvant Teresa lors de la fête, où elle manquait d’être renversée par un cheval au galop, effrayé par le sifflement d’une fusée), la réplique comme la posture du corps donnent à penser que Teresa lutte contre le « taedium » des Romains, la lassitude que procurent les plaisirs répétés, et les projections sadiques qui suivent semblent bien être en premier lieu un exorcisme contre l’ennui, une façon de combattre la « monotonie » des rapports amoureux. C’est l’étymologie même du mot « perversité » et de l’adjectif « pervers » (perversus, pervertere en latin) qui est sous-jacente : la perversité, c’est prendre un chemin détourné, ne pas aller droit au but.
30L’adjectif « sadique » peut convenir aux actes ponctuels que nous allons analyser, mais pas à la totalité du personnage lui-même. En effet, le libertin, tel que le marquis de Sade en a brossé le portrait, est avant tout un rationaliste qui conçoit tous ses actes comme faisant partie d’un système de négation pure, toujours recherchée, jamais atteinte, conduisant à la répétition « monotone » des mêmes obscénités, des mêmes souffrances infligées aux victimes. Nous avons vu que Teresa n’est pas la seule à imposer des souffrances ou des humiliations à son partenaire. Lui en use également à son égard, et les rôles de domination et de soumission s’échangent constamment, entre le fort et le faible, le maître et l’esclave, ou selon l’expression de Sacher-Masoch, « le marteau et l’enclume ». Il semble bien que le désir de Teresa soit excité par les stimuli sadiques (« Je te donnerai la clé » est sa réponse au coup et au pincement), et il ne lui plaît pas d’avoir affaire à une victime docile. Gilles Deleuze, prenant ses distances par rapport à la psychanalyse, et centrant son étude du « masochisme » exclusivement autour des romans écrits par Sacher-Masoch, critique la notion de « sadomasochisme », rappelant que jamais un héros de Sade n’accepterait une victime masochiste (où serait le plaisir ?) C’est ainsi que Teresa gifle brutalement Miguel à de nombreuses reprises lorsqu’il se laisse brûler l’épaule avec la chandelle. Le côté actif de la perversion prédomine chez Teresa, mais n’est pas absent chez Miguel. Ce qui leur plaît à tous deux, c’est la lutte. Chacun ne conçoit l’érotisme que comme un affrontement sauvage. Les héros sadiques rêvent d’un crime universel et impersonnel. Gilles Deleuze rappelle que le libertin est excité par l’idée du mal. Teresa, en revanche, ne l’est que « par les objets qui sont ici »25. Il n’y a chez elle aucun déni du réel, et nous avons déjà souligné précédemment que le personnage ne cherche nullement à se soustraire à une société avec laquelle il est en disconformité, mais seulement à en utiliser le fonctionnement à son profit. À la violence exaspérée, Teresa ajoute la ruse et la dissimulation : curieux personnage qu’il faut se garder d’analyser uniquement comme un cas clinique. C’est un être de fiction qui combine certains traits d’une héroïne sadienne avec le comportement d’un Tartuffe : ce clivage est assez éloigné de la réalité26 ou même de la vraisemblance, mais le personnage ainsi créé est fascinant dans sa complexité même.
31Analysant avec acuité le cinéma français des années 30, Noël Burch et Geneviève Sellier disent de Gueule d’amour (Jean Grémillon, 1937) que ce film
incarne de façon exemplaire la contradiction dans le discours de la gauche de cette époque entre son propos de classe et son « propos de sexe » (...) L’erreur fatale de Gabin est de ne pas se méfier des mœurs cyniques et hypocrites des classes aisées, et des femmes qui en sont issues. Mais dans le film, comme souvent à l’époque, ces mœurs se confondent avec le pouvoir dévorant de la sexualité féminine27.
32Dans le cas de La petición, la possibilité d’une intention misogyne inconsciente n’est pas attribuable au sexe de son auteur, mais l’ambiguïté du message idéologique n’est pas pour autant totalement dissipée. En effet, l’art consommé de l’hypocrisie développé par Teresa n’est pas vraiment censuré, alors qu’il est manifestement raillé quand il s’agit de la génération antérieure (les parents de Teresa). Tout s’aplanit sous les pas de Teresa, et la narration justifie, nous l’avons dit, les plus grandes invraisemblances chronologiques pour sauvegarder la protagoniste et son statut de reine cruelle. Non seulement il est invraisemblable qu’elle ait le temps de se débarrasser du cadavre de Miguel, de tuer le muet dans la barque et de revenir tranquillement à la fête, mais lorsqu’elle sort de la bibliothèque avec Mauricio, elle rencontre précisément sa mère qui ne s’aperçoit nullement de la tache de vin sur le corsage, tache de vin qui semble tout à coup totalement invisible, alors qu’elle obligeait soi-disant Teresa à aller se changer immédiatement.
33L’engrenage est aussi bien huilé dans le sens de la réussite absolue du mal qu’il est grippé dans certains films à suspense où le protagoniste planifie une action (un crime par exemple) et où rien ne fonctionne comme il l’avait prévu. Et c’est que Teresa ne réagit que dans l’instant, pour assouvir un désir ou pour répondre à une nécessité du moment. Elle n’obéit qu’à ses pulsions, tout en veillant à conserver intacts son statut social et son image de façade. À propos du mythe de Pasiphaé, Pascal Quignard rappelle utilement :
On ne peut faire l’économie du préverbal et du préhumain sur le dos desquels d’une part ce que les Grecs nommèrent le logos et les Romains la ratio, d’autre part ce que les Grecs comme les Romains appelèrent ego ne sont que des mouches (...) Il n’y a que déchirement entre hommes et femmes. La société n’est qu’un voile léger au-dessus de la férocité et de l’homophagie28.
34C’est aussi la position de Gilles Deleuze dans L’image-mouvement lorsqu’il évoque le cinéma naturaliste saturé par la pulsion de mort : il cite Viridiana, de Buñuel (1961) et The Servant, de Losey (1963), où triomphent les mondes originaires des pulsions élémentaires.
35Reprenons dans l’ordre la scène capitale de l’étreinte mortelle avec Miguel. Tout d’abord, le geste de couper une mèche de cheveux peut apparaître comme une dérision du geste traditionnel du don à l’amant, objet-relique destiné à être enfermé dans un médaillon : la dérision est soulignée par le dialogue, quand Teresa demande d’un ton persifleur si Miguel se réfère à lui-même quand il déclare qu’il « ne faut pas se moquer d’un amoureux » (il s’agit de sa réponse aux plaintes de Teresa concernant le son monotone de la flûte de son voisin). D’autre part, ce jeu avec les ciseaux apparaît comme vaguement inquiétant29 : y aurait-il menace d’émasculation ou bien d’homicide ? Miguel s’approche de Teresa et retire sa chemise, comme pour se prêter à la perversité de l’autre. Par ce geste, il s’offre en quelque sorte à son bourreau, non pas comme le masochiste qui réclame la punition, mais de façon inconsciente.
36La répétition de souffrances et d’humiliations infligées à l’autre dans les rapports entre les deux protagonistes indique qu’on peut s’attendre à un acte sadique, même si l’on ignore lequel. La focalisation met sur le même plan d’ignorance et d’attente le personnage masculin et le spectateur. Gilles Deleuze précise que le masochiste attend le plaisir comme quelque chose qui est essentiellement en retard et s’attend à la douleur comme à une condition qui rend possible enfin la venue du plaisir. L’attente masochiste de Miguel est redoublée par celle du spectateur30. L’image offre alors un détour semblable aux déplacements oniriques (ce n’est jamais ce qu’on attend et il va se passer autre chose qu’on n’attendait pas) : Teresa chauffe une lame du ciseau à l’une des bougies du chandelier et la pose doucement sur la lèvre de Miguel, puis l’embrasse. Dans un mouvement de défi, elle lui demande ensuite : « Que dirait mon père si je criais et s’il te trouvait là ? »31 Miguel n’est point embarrassé par la question ; il répond que ce serait sa mère à lui qui viendrait, et qu’elle ne dirait rien. Chacun oppose donc à l’autre le géniteur ou la génitrice de l’autre sexe, mais la situation de fils de la gouvernante donne de toute évidence à Miguel un atout majeur du point de vue pratique. Quant au contenu symbolique de ces répliques symétriques, il rapproche encore le personnage masculin du système masochiste, dans lequel Gilles Deleuze rappelle la dénégation annulante du père (le père est expulsé de l’ordre symbolique : Miguel ne semble pas avoir de père), et le personnage féminin du système sadique, où « la mère assume le rôle de victime par excellence, tandis que la fille est promue à l’état de complice incestueuse »32. C’est dire que pour l’homme, la Loi est identifiée avec l’image de la mère, tandis que pour la femme, elle est identifiée avec celle du père. Toutefois, cette configuration n’est que présentée fugitivement, comme une potentialité qui pourrait être développée, mais qui ne l’est pas. En effet, dans la scène du repas, nous avons montré comment Teresa s’adresse exclusivement à son père, quêtant sa parole et sa compréhension, alors que la présence maternelle est pour elle inexistante. Le père de Teresa déçoit toutes ses attentes, il est à l’opposé de la représentation de « la nature comme puissance originelle anarchique » des livres du marquis de Sade. Or le héros sadique (comme le héros masochiste) n’est pas une pièce isolée, et ne se conçoit que dans un système, une construction générale. La petición met en place d’intéressantes connotations des deux plus célèbres perversions sexuelles exposées dans la littérature (plus tard, dans le cinéma), mais n’élabore pas un système global.
37Teresa réussit par la sûreté de son instinct, et non par la force de la raison. En effet, sa phrase lancée comme un défi montre l’attachement œdipien au père, le seul désir refoulé (au moment du coït, c’est à lui qu’elle pense), mais dans sa formulation, apparaît comme un argument puéril qui manque de toute base logique. C’est pourquoi il est pulvérisé par la réponse de Miguel. N’ayant désormais plus rien à objecter, ne pouvant supporter d’être mise en échec, Teresa va se venger avec ses armes qui ne sont pas principalement celles du langage, mais celles qui sont fournies par le monde réel : instruments détournés de leur fonction première et transformés en instruments de torture ou de mort (la chandelle, une rame...) Le dépit est ainsi le deuxième facteur qui déclenche l’acte sadique.
38L’image opère ici un renversement du mythe de Psyché, dont on sait que, tourmentée par l’interdiction de voir son amant, elle décida de le contempler dans son sommeil. Un peu de cire brûlante était tombée sur l’épaule d’Eros, le réveillant et déterminant sa disparition immédiate. Ici, Teresa inflige à Miguel une brûlure volontaire – c’est la différence avec le mythe – mais la « disparition »– la mort – suivra de près. L’image est « sadique » dans le sens où le gros plan donne tout le temps au spectateur pour voir la cire qui tombe sur l’épaule. Le cadre est ainsi saturé par une image violente unique qui accapare l’attention, comme dans le cas de la torture infligée à León, dans El crimen de Cuenca, quand la caméra présente en gros plan soutenu l’arrachage des ongles par exemple.
39La violence de l’accouplement entre Teresa et Miguel33 est soulignée par le montage alterné avec une autre scène amoureuse, celle-là très pudique et mesurée : le baiser entre le muet et sa compagne (interprétée par Carmen Maura). Après avoir roulé l’un sur l’autre comme dans l’enfance, c’est encore Teresa qui prend le dessus et chevauche son partenaire. La tête de Miguel heurte violemment le montant en fer du lit, mais elle ne se rend compte qu’il est mort qu’après avoir elle-même éprouvé l’orgasme. Le « transport » amoureux est comme une agonie (le moment du coït est aussi appelé la « petite mort ») :
La virilité de l’homme s’engloutit dans la jouissance zoologique de la même façon que le corps de l’homme disparaît dans la mort »34.
40La fin de la jouissance est pour l’homme une mort qui d’ordinaire reste symbolique (la rétractation du phallus en pénis). Mais ici, les deux sont agglutinées, rendues indissociables.
41Le son de la flûte se faisant entendre quand Teresa a précipitamment tiré les rideaux du lit et caché les vêtements épars de son amant est comme le signe opportun d’un destin continuellement « adjuvant » pour Teresa. Elle prend une bougie, cette fois pour allumer la lampe à pétrole et appeler le muet de l’autre côté de la rue, les plans en champ-contrechamp des deux fenêtres constituant comme une réminiscence ironique de « la scène du balcon » shakespearienne (Roméo et Juliette).
42La dernière scène violente du film a lieu dans la barque, sur les eaux noires du lac, qui rappellent celles du Styx, le principal fleuve des Enfers. Gilbert Durand a développé ce thème de l’eau inquiétante, stagnante et noire de la mort, en concordance avec les images mythologiques du fleuve des Enfers, où les âmes des morts s’ouvrent un passage dans la sinistre barque de Charon. « La mort ne fut-elle pas le premier navigateur ? » : Gaston Bachelard pose cette question rhétorique dans L’eau et les rêves. Gilbert Durand rappelle d’ailleurs que l’Odyssée tout entière est une épopée de la victoire sur les périls de l’onde et de la féminité. Il eût mieux valu pour le muet être sourd, comme les marins d’Ulysse, dont les oreilles bouchées par de la cire les empêchaient de céder à l’appel des sirènes.
43L’instant fatal et d’une beauté effrayante est celui où Teresa s’apprête à tuer le muet. La caméra cadre en gros plan son visage tendu vers l’accomplissement du meurtre. Pascal Quignard analyse, dans Le sexe et l’effroi, ce moment que choisit toujours l’iconographie romaine : celui qui précède immédiatement le drame. L’un des exemples les plus frappants est celui de la fresque qui représente le moment où Médée assiste impuissante au torrent qu’elle ne parvient pas à contenir en elle. Elle médite sa rage vindicative avant de poignarder ses propres enfants35. Le gros plan de Teresa juste avant de frapper le muet illustre puissamment cette concentration précédant l’acte meurtrier. Le regard sombre et la bouche entrouverte attirent tout particulièrement. Captivé par ce regard, le muet ne fera aucune tentative pour se défendre. Dans son chapitre consacré à Persée et Méduse, Pascal Quignard analyse ce regard hypnotisant, « thanatique », qui est celui de Diane surprise au bain et transformant le chasseur Actéon en cerf, et bien davantage encore celui de Méduse, dont le visage est confondu avec le sexe. Le regard plein d’effroi qui se fixe sur lui ne peut qu’être « médusé », de même que le regard féminin qui contemple le sexe de l’homme en érection (le « fascinus » romain, le « phallos » des Grecs), reste « fasciné ». Connaissant cette puissance redoutable, Persée avait utilisé son bouclier pour réfléchir l’image de Méduse, lui renvoyant son image et la pétrifiant elle-même avant de la décapiter. « Tout voyeur de déesses est un homme de nuit » dit Quignard. Avançant dans la nuit brumeuse, au rythme lent et silencieux des rames, le muet est la victime désignée, la proie qui ne peut échapper à son prédateur. Significativement, la caméra cadre le visage de Miguel, dont les yeux sont restés grand ouverts dans le sommeil étemel de la mort. Personne bien sûr n’a eu le geste de piété de les lui fermer, et ce regard n’effraie pas Teresa, inaccessible à l’effroi et au remords. Dans son univers, les fantômes n’existent pas. Miguel ne reviendra pas hanter les nuits de Teresa. Les images qui suivent n’appartiennent pas au registre fantastique, mais plutôt à celui de l’horreur. C’est son regard à elle qui saisit et qui tue. D’une façon générale, tous les personnages des films de Pilar Miró persistent d’ailleurs dans leur être, à l’exception de Valdivia-Ugarte dans Beltenebros, mais on reviendra sur ce que sa transformation finale comporte de parodique, relevant d’une autocitation cinématographique.
44Cette symbolique du regard a déjà été introduite par quelques touches différentes : après son acceptation du « contrat », le muet a assisté à la séance d’habillage de la belle qui se prépare pour le bal : il a fermé les yeux devant l’objet de son désir quand Teresa enfilait ses bas. Cette scène peut être considérée comme à l’exact opposé de celle de Viridiana, où la novice se déshabille dans sa chambre et ôte ses bas noirs tandis que la servante l’épie par le trou de la serrure. Ici, au contraire, la fille débauchée remet ses bas blancs ; le sens ironique n’échappe pas au spectateur : elle s’est déshabillée pour un autre, et le « muet », personnage constamment dévalorisé, n’a droit qu’à la séance de rhabillage. Tandis que la célèbre scène de Buñuel était marquée par le voyeurisme, le muet ne peut supporter la vue de cette jambe : sa fragilité est ici à nouveau soulignée36. Au pied du lit, trône un miroir ovale pivotant, de ceux qu’on appelle justement « psyché », mais le plus important des miroirs dans la chambre est celui de la coiffeuse, devant lequel Francisca coiffe les cheveux de Teresa et lui fait remarquer qu’elle devrait prendre soin de sa peau délicate, incompréhensiblement irritée (ironie méta-discursive qui montre l’aveuglement du personnage de Francisca). Le redoublement des miroirs dans la chambre n’induit aucun narcissisme chez Teresa. Contrairement au célèbre début de Madame de... de Max Ophuls (1953), il n’est même pas question de coquetterie : figure insolite dans tous ses aspects, Teresa passe plus de temps à tuer un homme qu’à parfaire sa toilette. Le redoublement du cadre, lorsqu’il intervient, n’est pas auto-réflexif. Le muet regardant Teresa qui se regarde dans le miroir pendant que sa nourrice la regarde en la coiffant, ne vise qu’à montrer l’incroyable audace de Teresa, l’assurance de ce personnage à qui tout réussit. Teresa accomplit sa vie comme un « exercice de style » : elle est d’autant plus fière de sa réussite que ses paris sont risqués.
45Teresa est finalement un être qui ne peut se soumettre à personne et c’est là le sens de son meurtre. Le redoublement de la structure de mort (Miguel et le muet) n’autorise pas à inférer une « sérialisation » : Teresa n’est pas une criminelle en série, dont les films américains et espagnols à partir des années 80 font leurs délices37. Elle est aussi à l’opposé d’un « Monsieur Verdoux » (version cinématographique du personnage de Landru, Charles Chaplin, 1947), qui tue pour subvenir aux besoins de sa femme paralytique. Ni esclave d’une compulsion de mort systématique, ni criminelle par intérêt, Teresa est capable du pire, en fonction des circonstances. La structure du redoublement est souvent, dans de nombreux films de Pilar Miró, une structure mortifère : en dehors de Beltenebros, étudié plus haut, et où les redoublements s’inscrivaient déjà au cœur du roman (Valdivia-Ugarte, les deux Rebeca, Walter et Andrade), deux films insistent sur la figure du suicide d’un protagoniste en l’annonçant dans le dialogue par celui d’un personnage qui appartient au passé. Ainsi, le fils de Carlota est victime d’un autisme passager à la suite d’un traumatisme : son seul ami s’est suicidé. Depuis, il découpe des articles de journaux parlant de suicides. La même tendance « maniaco-dépressive » se retrouve chez Luis Maria. Le suicide de l’ingénieur qui clôt Hablamos esta noche était annoncé par celui de Charo, la sœur de Victor, qui s’était donné la mort plusieurs années auparavant. Mais cette insistance, qui confère certes aux œuvres une tonalité générale pessimiste, n’entre pas dans la logique de « l’étemel retour », ni dans sa dominante mythique comme chez Cocteau, ni dans sa dominante clinique comme chez Buñuel (on pense à la folie du personnage de El, un film de 1952). Il s’agit plutôt d’une insistance parfois quelque peu mécanique de la structure, annonciatrice d’une entropie accélérée et généralisée.
46Le personnage n’est pas non plus exempt d’hypocrisie puisqu’il ne respecte pas les termes du « contrat » avec le muet. Elle exige une soumission à sens unique en sachant lors de sa promesse qu’elle ne la tiendra pas. Il y a ainsi une ironie sous-jacente, inconsciente, du terme « petición », qui est au premier chef la demande en mariage, mais aussi la « demande », la requête de Teresa au muet, comme le signe même de la subversion, puisqu’il s’agit d’un contrat « tacite »38 (et pour cause, le personnage étant muet !) et qui n’est pour Teresa qu’une manœuvre pour parvenir à ses fins. La femme est ainsi parjure, à l’inverse des héros du système masochiste, dont les rapports se règlent par un « contrat » scrupuleusement respecté par les deux parties. Le pacte conjugal lui-même (le titre du film) se trouve faussé avant même que d’être signé. Michel Chion rappelle la fonction instrumentale de la figure du muet au cinéma39 : corps sans voix, il renvoie à l’origine du cinéma. Son rôle est tout trouvé : il est un serviteur (Michel Chion cite le cas célèbre du serviteur de Zorro40). Nous avons déjà dit à quel point l’idée de faire du personnage un muet lui assignait dès le départ un rôle de victime. Si un effet de surprise peut jouer chez le spectateur dans la scène de la barque, c’est la surprise (peut-être la répugnance) face à la violence, à l’acharnement de Teresa. Mais dès que l’on voit les sinistres passagers s’avancer lentement dans la brume qui monte des eaux et que l’on entend les vocalises envoûtantes d’une voix de soprano, on comprend le dessein de Teresa, et c’est cette certitude : « Elle va le tuer » qui rend si angoissante la montée jusqu’à l’acharnement final. Ainsi, le muet est dévoué, il est « serviteur » jusqu’à la mort.
47La figure de Teresa condense donc tous les pouvoirs d’une sexualité dévorante. Cette condensation est rendue encore plus frappante par le resserrement temporel, puisque la « dévoreuse » d’hommes en sacrifie trois dans la même journée. Certes, le « sacrifice » n’est pas pour Mauricio celui de sa vie, mais la femme sera de toute façon la figure dominatrice, jamais soumise : le schéma traditionnel de domination patriarcale est puissamment subverti.
48El perro del hortelano présente une version amoindrie de cette féminité redoutable : outre les rapports de domination inscrits dans le texte lopesque, que nous avons déjà analysés, la séquence des gifles (qui correspond à la fin du deuxième acte) est la concrétisation physique de cette violence le plus souvent dissimulée sous des dehors aimables. La comtesse est assise sur son estrade : altière, inaccessible, elle repousse la déclaration de Teodoro, stupéfait de cette réaction que ne laissait pas prévoir sa précédente lettre41. Il se révolte contre cette retombée des espoirs qu’il avait nourris. Quand le secrétaire a reçu, pour prix de son attachement à Marcela, deux gifles brutales qui le font saigner du nez, et qu’il a quitté la pièce non sans avoir croisé le comte Federico, l’un des deux prétendants de la comtesse, une coupe franche nous fait changer de décor. Nous accédons à la cuisine, espace refuge de la consolation des humbles, où Teodoro retrouve son valet Tristán : la tenue négligée de ce dernier, sa façon grossière de manger et ses plaisanteries grivoises l’assimilent à la figure traditionnelle du « pícaro » (justement le terme qu’a employé Diana en souffletant Teodoro : « ¡ Picaro infame ! ») Mais alors que Tristán était en train de conter à son maître – pour le rassurer sur la sévérité actuelle mais passagère de la comtesse à son égard – l’anecdote du valet et de la gouvernante qui se cherchaient constamment querelle, mais qu’on avait découverts un jour ensemble au lit, voici que la comtesse fait irruption. À l’effet comique du valet interrompu au beau milieu de son discours inconvenant s’ajoute l’effet baroque d’un monde trompeur où les apparences sont illusion, où la femme fait des apparitions quasi surnaturelles : « Cette femme est-elle un lutin ? » s’interroge Tristán42. On voit ce que la liberté qu’autorise le matériau cinématographique confère au texte théâtral : la comtesse est ici en dehors de son espace habituel, comme Teresa, elle envahit symboliquement l’espace de la domesticité et se l’approprie. Elle ne répond pas aux reproches de Teodoro mais exige d’avoir le mouchoir (« porque esta sangre quiero »). À ce fétichisme elle ajoute la générosité d’une compensation de deux mille écus à verser à Teodoro. Celui-ci, éberlué, demande pour quoi faire, et elle lui répond, imperturbable : « Para hacer lienzos » (pour faire des mouchoirs). La générosité se double donc de férocité puisqu’elle le menace ainsi implicitement de lui infliger d’autres coups, de faire encore couler le sang, ce qui rendra nécessaire l’usage de nouveaux mouchoirs. Quand la comtesse est partie, c’est le « gracioso » qui fournit par un jeu de mots d’un goût douteux la clé symbolique de la scène : « Elle a payé le sang et t’a dépucelé par le nez »43.
49Ainsi se trouve parachevé le processus de féminisation de l’homme et de masculinisation de la femme. Certes, toute cette puissante symbolique figure dans le texte. Mais ce n’est pas pour rien, nous semble-t-il, si Pilar Miró a choisi précisément cette pièce qui configure si fortement les relations amoureuses comme des relations de pouvoir.
2.2. De la féminité redoutable à la féminité redoutée
50Le personnage de Teresa est ainsi un être étonnant, énigmatique par son outrance. Son habileté à dissimuler sa véritable nature est telle que personne ne s’en méfie. En revanche, les personnages masculins ont tendance à se méfier des femmes qui ont conquis leur autonomie, dans le cadre de l’Espagne actuelle. C’est le cas de Mario dans Gary Cooper..., de Victor dans Hablamos... et d’Eduardo dans El pájaro... En fait, la femme est redoutée dès lors qu’elle sort du cadre étroit de la représentation de la « femme-objet » telle que l’incarne la deuxième Rebeca dans Beltenebros. Ainsi, Eduardo dans El pájaro... illustre le thème de « l’homme en fuite », en parallèle avec la fuite perpétuelle de Carmen. De cette façon, on ne sait plus ce qui est premier, de la volonté féminine de garder son autonomie et d’éviter la souffrance qu’entraînerait l’échec de la relation, ou de la peur masculine devant les formes variées du pouvoir et du désir féminins. Plutôt que l’affrontement des sexes (la « drôle de guerre » selon l’expression humoristique de Noël Burch et Geneviève Sellier analysant les films français de 1930 à 1956), on assiste à une double fuite : chacun passe son temps à fuir l’autre, dans ce que nous avons appelé plus haut « l’extension du fading ». Le refus de l’attitude machiste conquérante en amour peut sembler une valorisation de la faiblesse masculine (la tendresse qu’inspire le personnage de Werther), mais la faillite masculine est aussi bien celle du machisme (Víctor et Mario) que celle de son contraire (le Professeur, Eduardo, Barciela). Quant aux personnages féminins, dont la palette est plus riche, ils sont dotés de représentations variées. Les deux figures extrêmes sont la femme redoutable (Teresa) et la femme-objet (Rebeca, la prostituée strip-teaseuse de Beltenebros) : elles constituent les deux faces de l’imagerie misogyne traditionnelle (évoquées encore de façon détournée dans la répétition de la pièce de Sartre par l’effrayant couple formé par les deux personnages féminins de Huis clos). La violence des rapports physiques entre les deux sexes est fréquente, même lorsqu’elle est connotée comme un jeu : c’est le cas des rapports entre Victor et Clara dans Hablamos esta noche. Clara est d’ailleurs un personnage hybride : intelligente et ambitieuse comme Andrea et Carmen, mais jouant de sa séduction comme d’une arme auprès des hommes. Par ce dernier point, elle est davantage un objet sexuel offert au regard masculin qu’un objet d’identification pour la femme spectatrice. Entre les deux pôles incarnés par Teresa et Rebeca, la femme actuelle se rapproche davantage de modèles plus fréquents dans le monde réel. Elle est incarnée à l’écran par Mercedes Sampietro (essentiellement Andrea dans Gary Cooper... et Carmen dans El pájaro..., mais aussi dans une moindre mesure, Carlota dans Werther, et Julia dans Hablamos...). Sa volonté farouche de conserver son autonomie l’apparente à une figure classique du cinéma : Garance (Arletty) se perdant dans la foule au grand désespoir de Baptiste à la fin de Les Enfants du paradis (Marcel Camé, 1945). Et pourtant, la force d’Andrea dans Gary Cooper... cache une grande faiblesse : la femme redoutée par l’homme n’est pourtant pas une femme redoutable, mais une femme menacée.
51Si la vie d’Andrea n’est pas directement menacée par le sexe, à l’instar des personnages de La petición, elle l’est cependant indirectement. En effet, le médecin pose à Andrea la question de savoir si elle a déjà subi un avortement : on entend sa voix off, ainsi que celle d’Andrea qui répond qu’elle a avorté dix ans auparavant car elle n’était pas capable d’affronter la situation, mais que maintenant, elle veut avoir cet enfant. La question laisse supposer que ce premier avortement a peut-être atrophié d’une certaine façon la capacité de donner la vie. L’utérus, organe qui normalement donne la vie, est ici pourvoyeur de mort : non seulement, la vie ne peut advenir (celle d’un enfant), mais celle de la mère est gravement menacée. Les mots employés par le médecin sont d’une telle dureté qu’on ne peut les prendre entièrement et uniquement comme de fidèles transcripteurs de réalité, mais comme des révélateurs d’un code symbolique très riche, comme l’axiomatique d’un secteur de représentations qui associe dans l’imaginaire l’utérus à toutes les images du gouffre. Ainsi, il souligne qu’il s’agit d’une grossesse dégénérée, qui peut provoquer des tumeurs malignes. La nécessité d’une intervention chirurgicale s’impose, avec un risque élevé de perforation et d’hémorragie. Les termes renvoient tous, sans atténuation aucune, à la sauvagerie, à l’image archétypale du gouffre effrayant, comme la gueule béante de l’enfer44. Mais dans Gary Cooper..., c’est la femme la seule victime de ce gouffre qui habite en elle, alors que dans La petición, le gouffre est une métaphore du personnage de Teresa : c’est elle qui tue les hommes et les entraîne dans l’abîme sans fin des eaux noirâtres, associant en une même figure celles du Styx et celle du Léthé (la mort et l’oubli). Teresa, à l’abri de tout soupçon, tourne la tête aux hommes et leur fait oublier jusqu’au souci de leur sauvegarde et de leur vie. Cependant, elle garde un rapport extérieur à ce gouffre dans lequel elle précipite les hommes : elle n’est ni une sirène, ni une « Dame du Lac », en dépit de l’image fantasmagorique de Teresa s’éloignant dans la barque, progressivement happée par la brume qui l’entoure. L’eau n’est pas son élément premier, mais elle en use comme de tous les éléments : en maîtresse absolue.
2.3. La symbolique de l’eau
La rêverie des matières est une rêverie si naturelle et si invincible que l’imagination accepte assez communément le rêve d’une nuit active, d’une nuit pénétrante (...) qui entre dans la matière des choses (...) Alors, la Nuit est de la nuit, la nuit est une substance, la nuit est la matière nocturne (...) Et comme l’eau est la substance qui s’offre le mieux aux mélanges, la nuit va pénétrer les eaux, elle va ternir le lac dans ses profondeurs, elle va imprégner l’étang45.
52C’est bien cette poétique des eaux noires, inquiétantes, qui imprègne toute la séquence finale de la barque, avant le retour au bal. Elle n’est pas sans rappeler une séquence d’un chef-d’œuvre du cinéma : L’aurore, de F.W. Murnau (1927). Dans ce film, une femme fatale poussait un homme à tuer son épouse. Au moment de l’étrangler et de la jeter par-dessus bord, il était pris de remords, et s’arrêtait. Les deux époux réconciliés connaissaient à la ville des heures de joie et d’innocence absolue. Sur le chemin du retour, une tempête s’élevait sur le lac et la femme était entraînée par les flots. Désespéré, le mari la croyait morte, mais la botte de paille qu’il avait nouée autour de sa taille (préparée initialement pour servir d’alibi après le meurtre) lui avait sauvé la vie. Ce récit présentait de façon stupéfiante les retournements du destin et animait toutes les images des éléments.
53Le thème de l’eau mortifère est omniprésent dans l’œuvre mironienne. En effet, dans Gary Cooper..., la vie est clairement métaphorisée par les images récurrentes de l’eau, celle qu’on tente en vain de domestiquer, de recevoir sur son évier ou dans sa baignoire comme une évidence. Or, l’eau ne se plie pas aux exigences des humains : elle sort glaciale ou brûlante, jamais tiède ni tempérée. Son flux interminable entre les doigts évoque le temps qui passe et qu’on ne peut retenir, qui entraîne inexorablement les êtres vers la mort46. C’est ce caractère héraklitéen de l’eau que met en valeur Gilbert Durand lorsqu’il écrit que l’eau est une amère invitation au voyage sans retour :
L’eau est l’épiphanie du malheur du temps (...) Elle est clepsydre définitive47...
54L’eau est bien sûr associée à l’élément féminin, au liquide amniotique qui baigne le fœtus et qui est donc le milieu premier de tout être humain, sa mémoire la plus ancienne. Nous avons déjà analysé à propos de Werther le milieu marin qui lie si étroitement la naissance à la mort. Il n’est pas sans signification que le Professeur soit isolé dans sa demeure par un bras de mer : c’est là la marque de la féminisation du personnage. L’attente est traditionnellement l’apanage des femmes, et plus particulièrement des femmes de marins, depuis la figure archétypale de Pénélope48. Ici, l’ancienne maîtresse du père du Professeur regarde par la fenêtre, symbolisant cette attente. Mais l’attente de l’homme, après la mort de celui-ci, s’est muée en attente de la mort. Et cependant, tant que l’amour donne de l’espoir à l’amoureux, celui-ci se déclare prêt à « attendre tout le temps qu’il faudra » (quand Carlota doit partir pour une intervention chirurgicale). Ce départ malheureux empêche Carlota « d’habiter » la maison du Professeur : dans toute la durée du film, elle n’y reviendra pas, et l’avertissement sonore qu’elle reçoit et qui l’oblige à quitter son amant pour rejoindre la salle d’opération, a une résonance fatale, renforcée par l’inhibition physique que ressent Carlota à ce moment-là, et qui est comme un pressentiment qu’elle ne connaîtra pas le bonheur en ce lieu.
55Dans une perspective religieuse, l’eau a souvent été considérée comme un symbole positif : l’eau de vie, l’eau purificatrice, l’eau lustrale du baptême. Mais chez Pilar Miró, cette valorisation positive est complètement absente. Il s’agit le plus souvent d’une eau boueuse (les bains de boue que prennent les villageois au début de El crimen de Cuenca), noirâtre (la scène finale de la barque, scène de nuit, dans La petición). Elle est de toute façon toujours dangereuse et inquiétante. Même dans la première scène de la barque (la promenade avec Miguel), l’eau a débordé, envahissant les champs. C’est l’eau dévastatrice, le désir sans frein qui caractérise le personnage de Teresa. C’est ainsi que l’on voit l’image insolite de la barque passant entre les saules qui baignent dans l’eau : étendant symboliquement son désir dans toutes les directions, Teresa voudrait encore que Miguel lui attrape une branche hors de portée, comme si toute la nappe horizontale de l’élément aquatique ne lui suffisait plus et qu’elle ambitionnât de parvenir à l’élévation verticale et aérienne.
56Le premier plan de Hablamos... est celui de la coque d’une barque qui fend les eaux : il s’agit des eaux souterraines qui montent, menaçant la sécurité de la centrale nucléaire, minant par le fond son assise et atteignant bientôt le trait rouge qui marque la limite dangereuse. Vicente Molina Foix, dans son article de Fotogramas du 15 octobre 1982, soulignait à juste titre la beauté de ce début de film49. La symbolique de l’eau est ici liée à celle des profondeurs, et le mouvement des personnages est exactement l’inverse de celui de Beltenebros : alors que dans ce dernier film, les personnages descendent dans les entrailles de la terre, ceux de Hablamos esta noche remontent à la surface, comme si leur était clairement assignée la tâche de s’attaquer aux affaires de notre monde. Le récit filmique laisse de côté les vérités refoulées dans l’inconscient (que Beltenebros se chargera d’explorer) et symboliquement, Victor veut ignorer la montée des eaux souterraines pour « garder les pieds sur terre » et s’occuper exclusivement de ce qui se passe en surface.
57Lorsque l’eau est affectée d’une valence positive, c’est qu’elle manque, qu’elle fait cruellement défaut, comme dans le cas de la torture de la soif infligée aux deux prisonniers dans El crimen..., et qui donne lieu à la superbe scène de Gregorio qui se jette sur les seins de « La Varona », pour têter à la place de son enfant50.
58Dans El pájaro de la felicidad, l’eau est celle de la mer, mais elle est vidée d’une grande partie de sa puissance symbolique. C’est un décor poétique que Carmen aime à contempler de la terrasse d’un café au coucher du soleil. Toute fonction autre que décorative lui est niée, ainsi que nous le montrerons plus tard dans l’analyse de la scène finale sur la plage.
59À travers le monde représenté dans la filmographie de Pilar Miró, un monde caractérisé par sa violence, souvent liée au sexe, et par l’omniprésence de la mort (comme réalité, comme menace ou comme idée obsédante), le seul élément valorisé positivement semble bien être le cinéma lui-même, ainsi que nous allons tenter de le démontrer.
Notes de bas de page
1 Blood Cinéma, op. cit. : Anyone attempting to describe the distinctive characteristics of Spanish cinéma usually begins with its excessive violence, p. 137.
2 Ex. célèbre du récit par Rodrigue de la victoire remportée sur les Maures (Corneille, Le Cid, Acte IV, sc.3)
3 Cf. article de El Pais internacional (17.03.97) : Si te fijas, la violencia y la crueldad suelen estar en el cine y la literatura no desde el punto de vista de la víctima, sino del agresor (...) es como si no existieran las víctimas.
4 C’est en ce sens que Lacan (cf. Écrits, op. cit.) déclare fermement que les découvertes de la psychanalyse s’opposent au « cogito » cartésien : pour parodier un titre de film, on peut dire que les forces de l’inconscient sont dans le moi comme « un inconnu dans la maison ».
5 Suplemento (Libro de oro, 50 años de cine), n° 1841, mars 1997. Cf. également un article de Cambio 16 du 07.11.94 intitulé « Nace el cine rojo » (Naissance du cinéma « rouge sang »).
6 « Matones gratuites » (« Tueurs sans gages ») : En el caso del film/clip de Oliver Stone, no sé muy bien cómo tratar de disuadir al posible espectador de que caiga en la trampa de entrar a verla (« Dans le cas du film/clip d’Oliver Stone, je ne sais comment faire pour dissuader l’éventuel spectateur de tomber dans le piège d’aller le voir »).
7 Nunca he matado a nadie con mispropias manos.
8 Nous préférons ce terme à celui de « fétichisation » employé en maintes occasions par Marsha Kinder (op. cit.), d’une façon qui nous semble abusive. Le terme « spectacularisation » présente l’avantage de la polysémie : la torture est un spectacle qui suppose des voyeurs (les bourreaux), et ce spectacle est emphatisé par des plans soutenus et de nombreux gros plans.
9 « España es el único país en el mundo donde la muerte es el espectáculo nacional », Federico García Lorca, Teoría y juego del duende, Aguilar, 1971.
10 M. Kinder (op. cit., p. 158) souligne le lien, encore plus net, avec le tableau, d’une séquence de Llanto por un bandido de Carlos Saura (1963). Cf. E. Larraz, op. cit., p. 178 : « Llanto por un bandido »– diffusé en France sous le titre La charge des brigands – met en scène les « deux Espagnes » ennemies que Francisco de Goya avait symboliquement représentées dans le célèbre tableau qui montre l’affrontement à coups de gourdin de deux aveugles enterrés jusqu’aux genoux... »
11 Pérez Millán, op. cit., p. 139 : Los planos de El crimen de Cuenca que me gustan son el de la llegada de Gregorio y León al cementerio, con la gente del pueblo alrededor, y, por ejemplo, uno corto del juez, en cuyo fondo se ve, desenfocada, la figura de un guardia civil contra una pared blanca... Me resultan tan propios de este país. Algo de eso quiere ser la película : no las escenas de tortura directa, sino esa atmósfera opresiva permanente... L’impression de « vérité » de ces plans tient aussi à la réussite dans la création du suspense : le député qui consulte sa montre, un chien qui aboie, l’horloge de l’église et les gens qui attendent, puis brusquement, au sommet de la route, l’apparition des prisonniers, entourés d’une foule vociférante dont les pas soulèvent la poussière.
12 Un chien andalou, L’âge d’or, étude critique par Claude Murcia, Nathan, coll. Synopsis, 1994. Dans El crimen..., les représentants de l’autorité sont odieux et non grotesques, car le contrat de lecture est « réaliste ». Dans Beltenebros, film à dimension parodique, le commissaire est grotesque.
13 Noter l’improbable pompe de l’enterrement du père de Julia, déjà présenté en 1942 comme un être vivant à l’écart, et qui reçoit ici des honneurs dignes d’un chef de la mafia (le corbillard est suivi rien moins que d’une Rolls, d’une Jaguar et d’une Buick !) Pilar Miró s’est laissée entraîner par les clichés des films de gangsters qui constituent l’arrière-plan esthétique non négligeable de Tu nombre...
14 C’est ce qui arrivait dans le célèbre film d’Alain Resnais, Hiroshima mon amour (1959).
15 M. Kinder, op. cit., p. 232 : In the Spanish Œdipal narrative, the patricidal impulse is frequently redirected toward the mother. No other national cinema contains so many matricides.
16 No me digas, madre, que ahora te trabaja el sentimiento.../Vete con la mierda.
17 Signe visuel qui s’oppose au début d’un film de Joseph L. Mankiewicz, Le’limier (1972), que Pilar Miró appréciait (elle faillit mettre en scène la pièce de théâtre dont le film a été tiré), où le coiffeur interprété par Michael Caine déambule dans un labyrinthe de verdure, guidé par la voix de son futur assassin (Laurence Olivier). À l’inverse, la rectitude de la tonnelle de La petición peut aussi figurer que le goût pour la débauche n’est pas lié chez Teresa à une construction intellectuelle comme le libertinage (voir infra).
18 Dans la scène du repas des domestiques, présentée en montage alterné avec le repas des maîtres, c’est le chien, à l’allure féroce, mais en apparence parfaitement domestiqué, qui est assis sur la chaise de droite, à la place qu’occupe Teresa dans la salle à manger. (La place du père est occupée par le domestique, celle de la mère par la servante).
19 Le film emblématique de la fonction tyrannique du sexe est L’empire des sens, du japonais Nagisa Oshima, et le film est également de 1976, comme La Petición. Plus européen, Dernier tango à Paris, de Bertolucci, avait connu trois ans auparavant un succès fulgurant, et des milliers d’Espagnols avaient franchi la frontière pour aller contempler en France la nudité de Marlon Brando (cf. première partie).
20 Au cinéma, le thème de la promenade en barque, prétexte aux premiers émois amoureux, fut illustré brillamment par Jean Renoir (fils du peintre Auguste Renoir) dans Une partie de campagne (1936-1946).
21 Les structures anthropologiques de l’imaginaire, op. cit., p. 96.
22 La chartreuse de Parme de Stendhal en est un célèbre exemple. On a déjà cité dans la première partie des variations cinématographiques plus effrayantes du thème, comme Basic Instinct ou Misery.
23 Hypocrisie encore soulignée par l’image : Teresa avait elle-même fermé un des battants de la porte (un seul, pour faciliter la tâche à Mauricio).
24 Figures mythiques et visages de l’œuvre, op. cit., p. 260.
25 Cf. Gilles Deleuze, Présentation de Sacher-Masoch (Le froid et le cruel), Éd. de Minuit, 1996.
26 Dans la réalité, les pulsions sadiques sont plus souvent refoulées chez la femme, donnant plutôt lieu à des névroses.
27 N. Burch et G. Sellier, La drôle de guerre des sexes du cinéma français (1930-1956), Nathan, 1996, p. 51.
28 Le sexe et l’effroi, op. cit., p. 222 et 326.
29 Le thème de la mort donnée par un coup de ciseaux, inauguré brillamment par Hitchcock dans Le crime était presque parfait (1947) a été enrichi et renouvelé par la suite (Matador, de Pedro Almodóvar, 1986), et avec le célèbre pic à glace de Basic Instinct (Paul Verhœven, 1992).
30 Les auteurs de L’esthétique du film rappellent utilement l’ambivalence de l’identification dans toute scène d’agression au cinéma : le spectateur s’identifie à l’agresseur comme à l’agressé.
31 ¿ Qué diría mi padre si yo gritara y te encontrara aqui ?
32 Deleuze, op. cit., p. 53.
33 Cf. les démêlés de Pilar Miró avec la censure pour obtenir que le film ne subisse aucune coupure. À propos de cet épisode, se reporter à Pérez Millán, p. 109 : El responsable ministerial de turno nos explicó que no se podia consentir que a un actor se le viese el « hermano pequeño »... Me costó trabajo entender lo que queria decir, y además estaba segura de que no se veía nada... (« Le responsable ministériel en place nous expliqua qu’on ne pouvait pas permettre qu’on voie le « petit frère » d’un acteur. J’ai eu du mal à comprendre ce qu’il voulait dire, et de plus, j’étais sûre qu’on ne voyait rien... »)
34 P. Quignard, op. cit., p. 86. L’association entre Eros et Thanatos est fortement marquée dans toute l’œuvre de Buñuel, qui a écrit dans ses mémoires : « J’ai même tenté de traduire ce sentiment inexplicable en images dans Un chien andalou, quand l’homme caresse les seins nus de la femme et que tout à coup son visage devient celui d’un cadavre ». (Mon dernier soupir, op. cit.).
35 Naples, Musée Archéologique National. Fresque provenant de la maison des Dioscures à Pompéi.
36 On ne peut s’empêcher de trouver pour le moins discutable la déclaration de Pilar Miró à propos de l’importance du muet dans le récit d’origine et même dans le scénario initial : El protagonista, en principio, era el mudo, ese hombre que es capaz de morir por un sentimiento puro y altruista (« Le protagoniste, au début, était le muet, cet homme capable de mourir pour un sentiment pur et altruiste ») in El cine de autor en España, entrevista con Hernández Les y M. Gato, op. cit.) cité par Pérez Millán, p. 96. Cf. Annexes.
37 En 1997, Pilar Miré partage une moisson de « Goyas » pour El perro del hortelano, avec Tesis, du jeune réalisateur Amenábar.
38 « No te esfuerces, di que sí con la cabeza » (« N’essaie pas de répondre, fais simplement oui avec la tête »).
39 La toile trouée, op. cit., p. 94. D’autre part, Freud rappelle que « le mutisme en rêve est une représentation usuelle de la mort ». Essais de psychanalyse appliquée, op. cit., p. 93.
40 Le rôle du serviteur muet a été développé dans la série télévisée. Dans le film original, The Mark of Zorro (Le signe de Zorro, Rouben Mamoulian, 1940, avec Tyrone Power et Linda Darnell), il n’existait que comme embryon de personnage (allusion au début du film à un serviteur auquel l’alcade a fait couper la langue).
41 « ¿ Para qué puede ser bueno / haberme dado esperanzas (...)/ si cuando ve que me enfrío / se abrasa de vivo fiiego, / y cuando ve que me abraso, / se hiela de puro hielo ? »
42 ¿ Es duende esta mujer ? La Dama duende, de Calderón, est une pièce légèrement postérieure : 1629, alors que El perro del hortelano date de 1613.
43 Pagó la sangre y te ha hecho / doncella par las narices. Cf. Maria Aranda, Le galant et son double, Presses Universitaires du Mirail, 1995, p. 267 : « L’arrogante réparation par l’argent du déshonneur subalterne fait du secrétaire le jumeau des « labradoras » désarmées que harcèlent les seigneurs dans les pièces à intrigue villageoise. Diana, suzeraine féodale, exerce à sa manière une sorte de droit de cuissage ».
44 Cette vision effrayante de la sexualité féminine a été alimentée par les positions dogmatiques de l’Église et une abondante iconographie religieuse qui allait dans ce sens, en conformité avec la lettre d’un psaume : « Pulchra sed nigra ».
45 Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, Lib. José Corti, 1978.
46 Dans Les visiteurs du soir (Marcel Camé, 1942), le diable (Jules Berry) utilise la surface lisse du bassin pour y faire apparaître la scène qui se déroule en même temps en un autre lieu : l’élément aquatique est ainsi médiatisé. Au contraire, l’œuvre de Pilar Miró présente des éléments sauvages, indomptés et indomptables.
47 Les structures anthropologiques..., op. cit., p. 138. Il cite également les montres molles de Dalí, comme intuition de la liquéfaction temporelle.
48 Cf. également l’opéra de Puccini Madame Butterfly (1904).
49 Article du 15.10.82 : El comienzo es bellísimo : una simple secuencia genérica de exploración de unos cimientos acuáticos se transfigura en un episodio inquietante y sombrío (« Le début est très beau : une simple séquence du générique, une exploration des sous-sols aquatiques, est transfigurée en un épisode sombre et inquiétant »).
50 La réaction d’incompréhension et de peur de « La Varona » confère à la solitude de Gregorio un aspect pathétique définitif : aucune aide à attendre de l’extérieur, aucune lueur d’espoir pour les condamnés.
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