Chapitre III. Le cinéma de Pilar Miró : Le refus de la facilité
p. 35-43
Texte intégral
1Après avoir évoqué à grands traits l’état général du cinéma espagnol à l’aube de la transition démocratique, et le contexte socio-politique dans lequel Pilar Miró réalisa ses premiers films, il convient de s’interroger sur les principales caractéristiques du processus de création. Nous entendons par là les exigences constantes de la réalisatrice en ce qui concerne le scénario, le tournage et le montage.
2Ce qui est le plus frappant lorsqu’on considère de l’extérieur le travail de Pilar Miré, c’est d’abord le refus de toute concession : au public, aux producteurs, aux acteurs, et aussi à elle-même : elle n’épargna jamais sa santé (ce qui lui fut fatal) pour parvenir coûte que coûte aux objectifs ambitieux qu’elle se fixait. Son attitude fut toujours combative, comme la conception de son métier : en septembre 1996, parlant de son nouveau film qui allait sortir, Tu nombre envenena mis sueños (Ton nom empoisonne mes rêves), dans une interview à la revue Fotogramas, elle déclarait : « Faire un film, c’est aller au front sans savoir où est l’ennemi ». S’il est vrai qu’elle faisait cette déclaration en pensant aux problèmes de production que connaissait à l’époque son film El perro del hortelano (Le chien du jardinier), il est non moins vrai que cette attitude agressive était propre à la réalisatrice. Pour s’en persuader, il n’est que de repenser au ton humoristique d’un François Truffaut, qui, dans La nuit américaine (1973), donnait cette autre définition d’un tournage :
ça ressemble exactement au trajet d’une diligence au far west : d’abord on espère faire bon voyage, puis très vite on en vient à se demander si on arrivera à destination.
3C’est sans doute cette exigence profonde, jointe à une certaine agressivité, qui inspira à tous ceux qui côtoyaient Pilar dans le travail un mélange d’admiration et d’irritation. Curieusement, les écrits qu’elle suscita sont parsemés d’oxymores : ainsi, Manuel Gutiérrez Aragón, dans sa courte préface au livre de Pérez Millán, l’appelle joliment « ma tendre antipathique », et José Antonio de la Loma commence une lettre ouverte à Pilar Miró dans un article de El Observador de décembre 1991 par ces mots : « Chère ennemie ». Dans La Vanguardia, en juin 1993, on peut lire ce commentaire : « Ceux qui la connaissent disent que c’est un agneau déguisé en loup. D’autres assurent que c’est une louve déguisée en agneau. Mais il n’est pas dans ses intentions d’éclaircir ce point ».
4Quoi qu’il en soit, le refus de la facilité, constant dans son cinéma, repose sur une volonté farouche de rester fidèle à ses objectifs. Il est aisément repérable aux niveaux successifs du processus de création.
1. Le scénario
5Certaines idées ont été proposées à Pilar Miró (comme El crimen de Cuenca ou Beltenebros), d’autres sont le fruit d’une réflexion personnelle longuement mûrie (Gary Cooper... ou Werther). Mais dans tous les cas, que ce soit à l’origine une œuvre de commande ou une idée personnelle, Pilar Miró est intervenue dans l’élaboration du scénario. Une seule fois, son nom n’apparaît pas au générique en tant que co-scénariste : pour El pájaro de la felicidad. Encore pour ce film a-t-elle expliqué le pourquoi de cette absence : le souci d’éviter de nouvelles polémiques avec Mario Camus, dont elle a modifié profondément le scénario initial. La modification des scénarios d’origine a parfois généré surprise et malaise chez les collaborateurs de Pilar Miró. Ce fut surtout le cas pour El pájaro de la felicidad. L’interprète principale de ce film, Mercedes Sampietro, se sentait ainsi plus proche de la protagoniste telle qu’elle apparaissait dans le scénario d’origine, dans un contexte moins esthétisant et plus « néo-réaliste ».
6Dans son ouvrage sur le cinéma espagnol, John Hopewell souligne que « plus que des capitaines de leur destin artistique, les réalisateurs espagnols ont souvent semblé être de simples marins régis par les circonstances »1. Dans le cas de Pilar Miré, s’il est vrai, pour reprendre la métaphore marine, qu’elle a essuyé une terrible tempête (avec El crimen de Cuenca), on doit néanmoins souligner qu’elle a finalement réussi à imposer tous les films qu’elle a entrepris et qu’elle n’a jamais mené à bien que des projets qui lui tenaient à cœur. Ainsi, les neuf films qu’elle a réalisés, s’ils furent parfois jugés sans complaisance par leur auteur, ne furent jamais rejetés en bloc.
7Dans le choix du sujet, aucun critère commercial n’est pris en compte comme argument de poids. De toute évidence, la réalisatrice considérait que ce n’était pas à elle de s’adapter aux goûts du public, mais au public de s’adapter aux siens. Même dans toutes les campagnes de presse qui l’ont dénigrée, le reproche de démagogie est bien le seul qu’elle n’ait jamais encouru. L’absence de caractère festif (à l’exception toutefois de l’adaptation de la pièce de Lope, El perro...) peut être prise comme l’une des marques de ce refus de toute compromission, ceci dans un pays dont les habitants voient souvent dans les loisirs le sens de la vie.
8Étant donné ce refus d’un cinéma commercial, la prise de risques économiques est importante. On doit ici distinguer les risques financiers assumés par la réalisatrice et les résultats obtenus (francs succès ou demi-succès), qui ne sont pas uniquement le fruit de la qualité intrinsèque de l’œuvre, et dont nous parlerons plus tard. En ce qui concerne les risques financiers, ils ont toujours été grands. Parlant de Gary Cooper..., Pilar Miré déclarait :
C’est un film auquel personne ne croyait. De nombreux producteurs avaient une opinion défavorable du scénario, et j’ai dû monter ma propre maison de production, convaincre quelques collaborateurs de participer à la production en échange de leur salaire, et utiliser les maisons, les voitures, tout ce que pouvaient m’offrir les amis ou les collègues qui à cette époque pratiquaient le même genre de régime suicidaire de coopérative de production. Alfredo Matas est entré pour 50 % dans la production, mais la responsabilité, c’est moi qui l’ai assumée à 100 %2.
2. Le tournage
9Pilar Miró avait pour habitude de remanier profondément les scénarios d’origine. Ce n’est que lorsqu’elle était sur le plateau qu’elle voyait clairement comment un plan devait être tourné. Par intuition de l’image, de ce que cela donnerait à l’écran, elle ajoutait, retranchait, modifiait le projet initial. Pas question pour elle de « story board », à l’instar de certains réalisateurs qui pensent que le plus gros du travail est celui du scénario. On sait que c’était par exemple le cas de Hitchcock, pour lequel, après l’écriture du scénario, il n’y avait « plus qu’à tourner », en s’en tenant strictement au plan de travail. Pour Pilar Miró au contraire, le processus matériel de la production avait une très grande importance, et le concept initial n’était donc qu’un point de départ appelé à subir différents avatars sans qu’il en résultât pour lui la moindre déchéance.
10Javier Aguirresarobe, félicité par Carlos Heredero pour son « Goya » de la meilleure photographie dans le film Beltenebros, expliquait comment s’établissait avec elle la collaboration :
Pilar Miró est une réalisatrice assez singulière. Avec elle, on prépare le film à fond, en parlant beaucoup de la conception de l’histoire et de la façon de la mettre en images. Ensuite, pendant le tournage, on ne peut pas lui demander comment doit être un plan. Le directeur de la photo voit quel type de film elle veut, se rend compte qu’elle a confiance en lui, et c’est lui qui doit procéder selon les critères définis ensemble. Elle travaille en suivant son ordre à elle, elle construit son monde à l’intérieur des espaces, et ce sont eux qui sont déterminants. Cela ne sert à rien de lui demander : « Dis-moi, demain, par quoi commençons-nous ? », parce qu’elle prend la fuite. Jusqu’au moment où elle arrive sur le plateau et commence à construire, il n’y a pas de cadrage définitif, mais elle est terriblement respectueuse de l’image et sur le terrain esthétique, elle est très pointilleuse3.
11Le tournage d’un film est en soi une situation à la fois excitante et anxiogène. En quelque sorte, l’équipe se donne un surmoi dont elle redoute la colère et pour lequel elle multiplie les prouesses. Dans le cas de Pilar Miré, elle reconnaissait elle-même être une charge pour ses collaborateurs à cause de son tempérament. La scène initiale de Gary Cooper..., où la réalisatrice (interprétée par Mercedes Sampietro) arrive irritée sur le plateau, rembarrant le décorateur à cause de la couleur du sofa, et les assistants qui lui demandent des précisions d’horaires et de position des acteurs, est à ce titre très significative. Consciente de ces problèmes, dans la réalité, Pilar Miré a constamment cherché à s’entourer d’une équipe de « fidèles » comprenant le sens dans lequel elle travaillait, tant sur le plan de l’interprétation que sur le plan technique. C’est ainsi qu’elle travailla en confiance avec le directeur de la photographie déjà cité, Javier Aguirresarobe, avec l’opérateur Julio Madurga ou avec le directeur artistique Félix Murcia. Les problèmes surgissaient donc plutôt à cause des contraintes financières imposées par les producteurs, lot commun dans le cinéma européen quand il ne s’agit pas de superproductions. L’acteur fétiche de José Luis Berlanga, José Isbert, lançait en son temps cette boutade : « Le cinéma en général est un mélange d’art et d’industrie, mais le cinéma espagnol est un mélange d’art et de manque d’argent »4.
12Pour La petición, Pilar Miré a disposé de cinq semaines de tournage et d’un budget limité. À propos de la séquence de la fête populaire au bord du lac, elle racontait :
Cette séquence est un peu dans la ligne de mon système de tournage. Si j’avais dû la tourner en ayant tout planifié, je n’aurais jamais pu la faire. Elle est beaucoup plus compliquée dans le scénario... Curieusement (c’était le jour où je disposais de la grue), j’étais en train de préparer un plan général, et je ne voyais personne en bas. Alors, j’appelle l’opérateur et, énervée, je lui dis : « Où sont les figurants ? » Et lui, ébahi, me répond : « Mais ils sont tous là ». Je crois qu’il y avait douze hommes, huit femmes et dix enfants, et bien sûr, dans un endroit immense comme celui-là, on aurait dit qu’il n’y avait personne. Alors, heureusement, le temps s’est couvert et j’ai pu penser avant de me suicider, que je ne pouvais pas faire un spectacle de masse ni rien de ce que j’avais pensé. Le lendemain, tout a été intuitif : quand les figurants finissaient de s’habiller, je me suis mise à tourner moi-même pendant que les gens prenaient leur sandwich. Il y a des plans qui ont été préparés, comme celui de la petite fille qui fait pipi, ou du couple qui s’embrasse sous l’ombrelle, mais le reste est du « reportage »5.
13Gilles Deleuze remarque de façon générale que « des contraintes économiques ont suscité des inspirations fulgurantes »6 : c’est le cas pour cette scène, où le naturel des situations résulte d’un obstacle contourné.
14Pour El crimen..., le producteur, Alfredo Matas, imposa un temps maximum de tournage de six semaines. Étant donné la complexité des faits relatés, l’intervention de nombreux personnages et le tournage sur les lieux mêmes de la province de Cuenca, la difficulté était accrue. Mais c’est surtout la tension psychologique qui était très forte pour les acteurs lors du tournage des scènes de torture. Ainsi Pilar racontait :
Cervino passa un mauvais quart d’heure dans la séquence où il est suspendu par les testicules, car il devait soutenir tout le poids de son corps par les mains et par les pieds. Daniel Dicenta a eu deux côtes fêlées à la suite du « supplice de la roue ». Nous tournions par plus de quarante degrés en moyenne...
15Le budget, limité à 30 millions de pesetas (de l’année 1979), obligea à d’importantes modifications par rapport au scénario initial et aux souhaits de la réalisatrice, qui en ressentit une grande frustration :
J’ai dû enlever par exemple tout ce qui concernait la famille de León, car lui aussi en avait une : c’était deux sagas parallèles... Je ne peux oublier que je savais infiniment plus de choses que celles qui apparaissent dans le film. Il y a des scènes entières, comme celle de « La Varona » déambulant avec sa fille après avoir fait sa fausse déclaration, qui sont ratées parce que je n’ai pas pu tourner les réactions du village qui la poursuivait. À la fin du film, quand tout le monde conflue vers un point du village, il y a des moments où les différents cortèges passent plusieurs fois au même endroit, parce que je n’avais pas le temps de tourner ailleurs...
16On comprend aisément le sacrifice que représente pour un créateur l’amputation d’une part de son œuvre. Il n’en demeure pas moins que ces limitations sont parfois salutaires, rendant l’action plus ramassée et plus dense. Dans le cas qui vient d’être cité, l’asymétrie entre un Gregorio pourvu d’une nombreuse famille et un León solitaire renforce la caractérisation des personnages, qui serait autrement trop uniforme. Les belles images qui montrent le retour de León au village s’enracinent également dans la tradition cinématographique de « l’homme seul », dont le cow-boy est l’un des archétypes. De la même façon, le cinéphile a été inconsciemment habitué à voir fugitivement les acteurs, dans les scènes de foule, passer plusieurs fois au même endroit, et son regard n’est pas forcément très critique à cet égard.
17La réalisation de Gary Cooper..., ne donna pas lieu au sacrifice obligé de grands pans narratifs, mais ce fut un véritable tour de force pour réunir les conditions matérielles indispensables au tournage. En réalité, seul le film Beltenebros, parce qu’il s’agissait d’une production internationale, a disposé d’un budget satisfaisant. Outre ces contraintes habituelles imposées par la production, Pilar Miró avait des exigences parfois restrictives : peut-être à cause de son travail à la Télévision, où elle réalisa tant de dramatiques en studio, elle affirma par la suite détester les décors en « carton-pâte », et tourna exclusivement en décors naturels. La phase de repérages était donc longue et minutieuse, mais apportait aussi d’heureuses découvertes, fournissant à la réalisatrice de nouvelles idées en fonction de la configuration des lieux (ce fut par exemple le cas de la gare d’Atocha pour Beltenebros).
18Dans la phase de tournage, il y a aussi les contraintes que la réalisatrice imposait aux acteurs, leur laissant fort peu de liberté interprétative. Elle savait très exactement quels gestes et quelles expressions elle souhaitait obtenir et exigeait d’eux qu’ils s’en tiennent à ces consignes très strictes, comme l’auteur de ces lignes a pu le vérifier sur le tournage de quelques plans de Tu nombre... en mai 1996, au bar Chicote à Madrid.
3. Le montage
19« Si mettre en scène est un regard, monter est un battement de cœur. Prévoir est le propre des deux ; mais ce que l’un cherche à prévoir dans l’espace, l’autre le cherche dans le temps », résumait Godard en 1956, dans un article joliment intitulé : « Montage, mon beau souci »7. D’humeur chagrine, Pilar Miró mettait plutôt en valeur l’aspect douloureux de « l’accouchement » que représente cette phase du travail créateur. Ainsi, elle a déclaré à maintes reprises ses doutes permanents, affirmant qu’elle n’avait aucun doute au moment de tourner, mais qu’en revanche, elle était tentée de tout couper au montage. Peut-être cette angoisse était-elle un peu exagérée dans les propos souvent sans nuances de la réalisatrice8.
20Pour Beltenebros, elle souhaitait tourner une partie de cricket pour montrer le capitaine Darman dans son univers si britannique et accentuer le contraste avec la plongée au cœur du noir Madrid de la suite, les morts successives, la reviviscence du passé et la découverte de la traîtrise. Mais le mauvais temps ayant annulé le cricket, on tourna finalement une scène de chasse à courre. Malgré les difficultés que représente le tournage d’une telle scène (nombre important de figurants et de chiens), le passage ne figure pas dans le film. D’une façon générale, il semble que la réalisatrice soit dans un premier temps tentée par des scènes qui situent l’atmosphère, qui sont également chargées d’authentifier le récit, de lui conférer cette « illusion de réalité ». Mais après avoir tourné la totalité du film, il apparaît que de telles scènes ne s’imposent plus, que les personnages et leur histoire ont suffisamment de consistance pour capter l’intérêt du public.
21Ainsi, pour Werther, il s’est passé le même phénomène que pour Beltenebros : le « Professeur » assistait au début à une course cycliste, qui fut finalement supprimée. La presse s’était fait l’écho du tournage de la scène, qui avait attiré les célébrités locales, parmi lesquelles le maire de Santander, Juan Hormaechea, recevant sans broncher au bord du circuit, parmi les figurants, les éclaboussures jaillissant des vélos.
22Pilar Miró se souvenait aussi d’avoir supprimé au montage une scène qui avait pourtant été fort difficile à tourner, dans Gary Cooper... Quand Andrea et Mario sortaient de la réception à l’Hôtel de Ville, la fourrière emmenait la voiture de Mario, et toute la garde montée était présente, en grand uniforme. Il ne reste dans le film qu’une phrase de reproche de la part de Mario qui évoque cette scène invisible à l’écran : « La dernière fois que tu es venue, c’était pour me demander les clés de la voiture, parce que la tienne était à la fourrière ».
23Pilar Miró reconnaissait sa dette envers la Télévision, ce qui fait sa spécificité par rapport à d’autres créateurs qui n’osent pas couper une scène qui a coûté cher. La Télévision a été pour elle comme un atelier de création, où elle a été habituée à « jeter les brouillons ». La démarche ontologique du créateur face à sa création est donc finalement de ne pas renoncer, mais de ne pas renoncer à renoncer.
4. Le doublage
24L’exigence de qualité et la fidélité à certains principes s’exercent aussi dans un autre domaine : le refus du doublage. Voulant se démarquer de la désastreuse pratique du doublage rendue obligatoire pour tous les films étrangers pendant la période franquiste (les traducteurs en profitaient pour modifier à leur guise certaines répliques), Pilar Miró préféra le son direct à chaque fois que les conditions techniques le permettaient. Lorsqu’elle dut recourir au doublage, comme pour Beltenebros, où la distribution était internationale, elle fit appel à des acteurs qui tournaient habituellement avec elle : ainsi, Mercedes Sampietro doubla Geraldine James (qui interprétait la première Rebeca Osorio)9.
25Gary Cooper... marque une étape importante dans la conception du doublage des voix, lorsqu’il est rendu obligatoire par l’intervention d’acteurs étrangers. Soulignant l’impression de rigidité que donne l’acteur Jon Finch au personnage de Mario, Pilar Miró faisait une fois de plus son autocritique : « Je n’ai pas pu ou pas su synchroniser sa façon de parler et celle de l’acteur qui doublait. À partir de cette expérience, j’ai décidé de ne plus respecter les règles d’or du doublage synchronisé. J’essaie de donner un sens au dialogue et de respecter l’idée originale, je ne m’obstine pas à vouloir tout « ajuster », parce qu’alors on perd le rythme, la cadence... »10
26Elle regrettait également d’avoir doublé José Manuel Cervino dans Gary Cooper... : « J’ai doublé, contre mes principes, la voix de José Manuel Cervino, qui en a été très fâché et qui a mis assez longtemps à me le pardonner... Je me sens responsable d’avoir fait quelque chose qui ne me semble pas cohérent... »
27Dans El pájaro..., Pilar Miró a retrouvé cette pleine cohérence qui lui était si chère, et a même appliqué ses principes d’une façon qui a surpris son équipe au moment du tournage, et la presse ainsi que le public au moment de la sortie du film, à cause du nombre des dialogues en catalan. La situation de la protagoniste s’ajustait parfaitement à celle de l’interprète : Mercedes Sampietro est d’origine catalane et vit à Madrid.
28Outre cette adéquation entre la protagoniste et l’interprète (qui resta l’actrice « fétiche » de Pilar Miré jusqu’à ce film de 1993), la nécessité des dialogues en catalan fut présentée par la réalisatrice comme la nécessité de coller au réel, étant entendu que deux catalans qui se rencontrent parlent entre eux en catalan. Dans une formule à l’emporte-pièce, bien caractéristique de ses opinions tranchées et d’une certaine agressivité dans la façon de les exprimer, Pilar Miré déclara même : « Je suis contre tous les doublages, que je considère comme une pratique fasciste »11.
Notes de bas de page
1 John Hopewell, op. cit., p. 17.
2 LA. Pérez Millán, op. cit., p. 175.
3 Carlos F. Heredero : El lenguaje de la luz (Entrevistas con directores de fotografia del cine español), 24 Festival de Cine de Alcalá de Henares, 1994.
4 Hopewell, op. cit., p. 281.
5 Pérez Millán, op. cit., p. 103 (in J. Hernández Les y M. Gato, El cine de autor en España, Castellote Editor, 1978, p. 365).
6 G. Deleuze : L’image-mouvement, Éd. de Minuit, 1983, p. 223.
7 In Cahiers du Cinéma n° 65, déc. 1956, cité par Carole Desbarats dans CinémAdion n° 72 : « Les conceptions du montage ».
8 L’assistant Ramiro Sabell, collaborateur habituel de Pilar Miró, interrogé en juillet 1995 sur le tournage de El perro del hortelano, dédramatisait la phase du montage, trouvant qu’au travers des incertitudes, les réalisateurs doivent éprouver un certain plaisir à se sentir de grands manipulateurs.
9 En cela, elle se différencie profondément de la génération antérieure de l’EOC : Luis Berlanga par exemple a longtemps refusé de tourner en son direct (jusqu’à La vaquilla) : la voix des acteurs était toujours post-synchronisée.
10 Cf. Pérez Millán, op. cit., p. 178.
11 La Vanguardia Magazine (19.12.93). Ce que Pilar Miró omet de dire, c’est que les habitudes ont beaucoup évolué en une dizaine d’années. Ainsi, Vicente Molina Foix, revoyant en 1987 une partie de la série télévisée Curro Jiménez, inaugurée en 1977 (et dont Pilar Miró réalisa certains chapitres), écrit : « Aujourd’hui, probablement, on soignerait davantage la vraisemblance linguistique, car dans une Andalousie atavique, tous les personnages parlent le castillan artificiel des doublages et de la scène théâtrale ». El Pais, 05.04.87.
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