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Introduction

p. 13-14


Texte intégral

1Il semble impossible d’aborder l’étude du cinéma de Pilar Miró, sans évoquer au préalable les grandes étapes de sa vie, les événements qui l’ont jalonnée et qui n’ont pas manqué d’avoir un retentissement sur son œuvre. En outre, son parcours est si intimement lié à l’Histoire contemporaine de l’Espagne qu’il en est comme l’émanation et à ce titre est susceptible de passionner tant l’historien que le sémiologue, l’homme politique que le cinéphile. Peut-être pourrait-on résumer ce parcours dans une formule tripartite : une femme libre, une femme de pouvoir, une femme d’images.

2Une femme libre tout d’abord : son combat quotidien fut celui de la conquête de cette liberté, contre la rigidité de l’éducation reçue, les principes bourgeois, l’atmosphère oppressante des années d’après-guerre. Liberté conquise par les études puis l’exercice d’un métier librement choisi : à une époque où la plupart des jeunes filles de bonne famille se préparaient un avenir de mère au foyer, elle parvint à concilier des études de droit et de journalisme, pour entrer ensuite à l’École Officielle de Cinéma. À force de ténacité, elle réussit à s’imposer à la Télévision espagnole, où elle acquit une parfaite maîtrise de toutes les techniques. On compte à son actif près de deux cents réalisations pour la Télévision, à laquelle elle a consacré plus de vingt ans de sa carrière professionnelle.

3Sa liberté s’exerça aussi sur le plan privé : refusant la vie conjugale, elle eut un fils dont elle ne dévoila jamais l’identité du père, ce qui était encore, à l’époque, un motif de scandale. Ses convictions politiques l’amenèrent à militer au Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) et elle eut bientôt l’occasion de mettre ses idées en pratique dans l’exercice du pouvoir. En effet, Felipe González l’appela au Ministère de la Culture en 1982, où elle fut chargée de la Direction Générale du Cinéma jusqu’en 1985, date de sa démission. Une loi d’aide au développement du cinéma national porte son nom. Elle accepta à nouveau une charge politique en 1986 : celle de Directrice Générale de la Radio et de la Télévision. Elle assuma ses fonctions en dépit d’une grave déficience cardiaque qui l’obligea à subir deux interventions chirurgicales à cœur ouvert. En 1989, elle fut accusée d’abus de fonds publics pendant son mandat à la Télévision : après avoir démissionné, elle passa en jugement et fut acquittée en 1992.

4 Enfin, son fils Gonzalo était né peu de jours avant la tentative de coup d’État du 23 février 1981, au moment où elle vivait des jours dramatiques : en liberté conditionnelle, et dans l’attente d’un jugement du Tribunal militaire pour outrage au Corps d’armée de la Garde Civile dans son deuxième film, réalisé en 1979, El crimen de Cuenca.

5Et c’est là le troisième volet de son activité, inséparable des deux premiers : c’était une femme d’images, qui aimait à dire d’elle-même que son état naturel était « l’état de tournage ». Là encore, sa passion n’a pu s’exercer que dans la tourmente. Elle dut d’abord attendre 1976 pour concrétiser son rêve : tourner pour le cinéma. Le procès dont elle fut menacée pour son film El crimen de Cuenca, n’eut finalement pas lieu, à l’inverse de celui qu’elle affronta dix ans plus tard. À chaque fois, le retentissement médiatique fut immense en Espagne, et la réalisatrice dut porter cette blessure d’une célébrité, plus imputable aux polémiques provoquées par deux affaires qu’elle eût aimé éviter, qu’à la qualité indéniable de son œuvre cinématographique.

6Pilar Miró est une personnalité hors pair, dont son unique biographe jusqu’à présent, Juan Antonio Pérez Millán, soulignait en 1992 le « caractère complexe, qui unit la ténacité, la fermeté et parfois l’obstination, aux sentiments les plus subtils, souvent dissimulés sous l’apparence de manières brusques »1. Cette ténacité lui avait valu une reconnaissance certaine, tant de la part de la critique que du public : elle avait triomphé avec un Ours d’argent au festival de Berlin pour Beltenebros en 1991, et sept « Goyas » en 1996 pour Le chien du jardinier. La famille royale lui avait accordé sa confiance puisqu’elle avait assuré la retransmission du mariage des deux infantes, Elena à Séville en 1995, et Cristina à Barcelone en 1997.

7Dans cette personnalité à multiples facettes, le choix opéré par Pérez Millân d’éviter le récit à sensation d’un côté, et le débat à caractère politique de l’autre, pour tenter d’informer sur ses films et de les analyser de façon critique, était amplement justifié par le propre choix de la réalisatrice qui accordait moins d’importance aux hautes fonctions dont elle avait assuré la charge qu’à l’œuvre cinématographique qu’elle avait produite. « Pour moi, le pouvoir, c’est de dire “moteur !” », aimait-t-elle à dire. Et elle ajoutait : « Occuper une charge publique, faire partie d’un gouvernement et prendre des décisions, oui, c’est un autre type de pouvoir. Mais pour moi le pouvoir est lié à la création ». Elle avait d’ailleurs répondu sans hésitation à un ami journaliste qui lui demandait comment elle voudrait qu’on se souvienne d’elle : « comme réalisatrice de cinéma ». La réalisatrice nous a quittés trop tôt, à l’âge de cinquante-sept ans, le 19 octobre 1997 : cet ouvrage tente modestement de répondre à ce vœu.

Notes de bas de page

1 Juan Antonio Pérez Millán : Pilar Miró, directora de cine, 1992, p. 15 et 16. Au cours de la première partie nous empruntons de nombreuses données au livre de Pérez Millán. Nous sommes redevable à l’auteur du travail de recherche qu’il avait effectué pour son ouvrage, commande du Directeur du Festival de cinéma de Valladolid, à l’occasion de l’hommage rendu à Pilar Miró en 1992.

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