1. Un dispositif en mouvement
p. 17-20
Texte intégral
1La convention industrielle de formation par la recherche (Cifre) est un dispositif créé en 1981 par le ministre chargé de la recherche pour encourager les collaborations science/industrie et améliorer l’employabilité des doctorants. À cette époque, les orientations politiques s’affirment pour connecter plus étroitement les sphères scientifiques et industrielles. Dans une allocution du 1er octobre 1980 sur les perspectives de la recherche française, Pierre Aigrain, secrétaire d’État auprès du ministre, conditionne explicitement le progrès scientifique et technique au « renforcement des relations entre les universités, les établissements de recherche et les entreprises »1. La Cifre est clairement destinée à poursuivre cet objectif. Sa gestion est confiée à l’un des acteurs historiques de la « recherche partenariale », à savoir l’Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT), instaurée en 1953 pour « assurer la promotion de la recherche technique, aider ses membres collectivement dans leur activité de R&D, les représenter auprès des pouvoirs publics, des organismes français et nationaux »2. C’est donc pour le compte, et sous la direction directe, du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche que l’ANRT agit depuis 1981. C’est ainsi qu’il faut comprendre le rôle de l’ANRT au fil du texte.
2L’ANRT favorise la mise en relation de trois types d’acteurs, aux intérêts et aux compétences a priori distincts : des doctorants, des directeurs de thèse et des acteurs socio-économiques. Aujourd’hui, il existe une plateforme en ligne exclusivement dédiée au dispositif Cifre3 qui permet à chacun des protagonistes de soumettre un projet de recherche ou bien de répondre à une proposition déjà formulée. Une fois le partenariat consolidé, les demandes de conventions industrielles de formation par la recherche sont directement adressées à l’ANRT qui, si elle les accepte après la conduite d’une évaluation, versera pendant trois ans une subvention annuelle (de 14 000 euros en 2021) à l’organisme partenaire qui souhaite embaucher un doctorant pour répondre à un besoin de recherche particulier. Le chercheur répartit alors son temps entre la structure d’accueil, qui lui donne un accès privilégié à un terrain d’étude sur le long terme, et le laboratoire de recherche, qui met à sa disposition un ensemble de ressources techniques et scientifiques.
3Depuis le début des années 2000, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) investit des sommes conséquentes dans le déploiement de ce dispositif. Au départ, son périmètre d’application était relativement restreint : seules cinquante conventions ont été financées la première année de leur lancement, exclusivement dans le domaine des sciences exactes et expérimentales4. L’augmentation a été très significative : 700 en 2000, 1 500 en 20205. Selon les chiffres du MESRI6, 25 400 doctorants, 9 000 structures et 4 000 laboratoires auraient ainsi bénéficié du programme jusqu’à présent. La loi de programmation de la recherche 2021-2030 prévoit une augmentation de 50% du nombre de thèses Cifre financées d’ici 2027, pour le porter à 2150 nouvelles conventions par an7.
4Dans cette perspective, la convention industrielle de formation par la recherche fait l’objet d’une attention accrue de la part des acteurs politico-institutionnels. L’ANRT, au premier plan, mène des enquêtes régulières auprès des partenaires des thèses Cifre qui offrent des témoignages riches et instructifs sur le ressenti des différents acteurs. On peut également citer le rapport produit en 2020 par l’institut des politiques publiques qui fournit au débat des éléments de caractérisation et d’évaluation8. Les communautés scientifiques se saisissent aussi de cet objet, en questionnant notamment les formes d’exercice de l’autonomie scientifique dans le cadre d’une thèse Cifre. Citons par exemple les travaux de Christine Audoux et Anne Gillet, de Sylvain Barone, de Florence Hellec, de Laurent Morillon, de Guillaume Petit, etc.9 Signalons par ailleurs l’étude réalisée par Quentin Plantec et son équipe et présentée lors du petit déjeuner stratégique de l’ANRT d’octobre 2021, qui propose une modélisation des attitudes et des stratégies de recherche observables parmi les partenaires des conventions industrielles de formation par la recherche. Mais si la littérature s’enrichit au fur et à mesure que se généralise ce type de configuration de recherche, il est rare que ce dispositif soit analysé au prisme des disciplines de recherche concernées.
Notes de bas de page
1 Interview de Pierre Aigrain sur l’avenir de la recherche française, à France Inter, le 1er octobre 1980.
2 Arrêté ministériel du 16 octobre 1953 « Associations diverses, siège social, déclaration à la préfecture ».
3 Adresse internet : https://offres-et-candidatures-cifre.anrt.asso.fr
4 Cf. Petit, G. « Le développement des Cifre en sciences sociales, entre orientation réfléchie de la recherche et impératif réflexif dans la recherche », dans : La recherche en funambule : le cas des thèses Cifre en sciences humaines et sociales. À paraître.
5 Guillouzouic, A., et Malgouyres, C. Évaluation des effets du dispositif Cifre sur les entreprises et les doctorants participants. Rapport n°28. Institut des politiques publiques. 2020 (p. 20).
6 Chiffres communiqués sur le site Internet du MESRI à l’adresse suivante : https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/favoriser-la-reconnaissance-du-doctorat-et-l-insertion-des-docteurs-49308
7 Loi n°2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur.
8 Guillouzouic, A., et Malgouyres, C. Évaluation des effets du dispositif Cifre sur les entreprises et les doctorants participants. Rapport n°28. Institut des politiques publiques. 2020.
9 Cf. Bibliographie.
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Réédition 2020
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2020
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Les Maisons des Sciences de l'Homme et leur réseau
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Ouvrir le champ des possibles
Clarisse Angelier et Françoise Thibault (dir.)
2023
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2023