Sociétés, sciences et sciences humaines et sociales
Societies, sciences & Social Sciences and Humanities
p. 17-20
Texte intégral
1Trois évolutions méritent d’être relevées pour qui s’attache à penser la place des sciences humaines et sociales dans leurs relations aux autres sciences et aux sociétés humaines.
2La première évolution relève du régime de connaissance propre des sciences humaines et sociales. D’une part, les SHS ont démontré, ces dernières décennies, leur capacité à travailler de manière interdisciplinaire, notamment pour analyser les questions d’identité collective, de constitution des univers privés en référence aux espaces publics, de structuration et de cohésion sociale et politique, de processus de construction de nouvelles citoyennetés. D’autre part, les SHS ont apporté de multiples preuves de l’indissociabilité des enjeux « naturels » (ressources, climat, etc.) ou technologiques, et des enjeux concernant la subjectivité et l’agentivité des individus, prenant en compte leur modes de constitution du collectif, avec leurs visions du monde inspirées du passé, immergées dans le présent et marquées par des rapports différents à l’avenir. Les efforts accomplis pour affirmer l‘identité et défendre les frontières des territoires SHS ont fait place à des perspectives de travail collectif où prévalent les objectifs de connaissance à atteindre en référence aux enjeux auxquels nos sociétés actuelles sont confrontées. C’est là, par exemple, tout le projet des Maisons des Sciences de l’Homme initié en France au début des années 1960 et généralisé à la fin des années 1990.
3La deuxième évolution renvoie à la question aigüe du statut de la science. L’affrontement est vif entre une science dite « de la nature » qui tente d’intégrer les dynamiques humaines et une science de la mesure, plus forte que jamais, qui réduit l’humain à quelques phénomènes observables et quantifiables. Pour les premiers, l’humain fait explicitement partie de la chaine causale de la nature, par les transformations qu’il suscite, volontairement ou involontairement, dans le monde qu’il habite. La science est alors considérée comme une production humaine, et une activité qui doit être en permanence discutée au nom de sa responsabilité à l’égard des humains susceptibles d’être affectés par elle. Cette science tend à donner aux SHS une place majeure renouant en cela avec les fondements anciens. Pour les seconds, l’humain est un objet comme un autre, qu’une science toute puissante serait en mesure, à terme, de déchiffrer totalement. L’immanence d’une telle science la met à l’abri d’un questionnement permanent et de nombreuses disciplines des SHS se voient refuser le statut de science au nom d’un trop grand voisinage avec le subjectif et le créatif.
4La troisième évolution concerne l’intégration des progrès scientifiques et technologiques dans un nouveau modèle de régulation des sociétés, ce dernier étant considéré dans ses dimensions sociétales, économiques, juridiques et politiques. L’avancement des sciences, ses effets multiples sur l’humain et sur les sociétés, ne suffisent pas à définir l’idée de progrès, encore moins à susciter la confiance en l’avenir. Un progrès qui n’intègre pas l’ensemble des composantes d’une société, ni ne se confronte au monde dans sa globalité, ne peut plus être considéré comme tel. Il suscite, plus que par le passé, méfiance, hostilité, disqualification voire rejet (pouvant s’accompagner du rejet du modèle de société démocratique), si ne sont pas posées les questions concernant le sens des problèmes rencontrés et définies les options possibles pour les résoudre.
5C’est en ce sens que s’affrontent, dans les sociétés humaines, des conceptions radicalement divergentes de la modernité et de la place qui doit être accordée à la science. A l’image d’une science omnipotente peut répondre un refus de science au bénéfice des croyances. Pourtant, le processus historique de supranationalisation et de transnationalisation en cours, les déséquilibres dans l’occupation des espaces (urbanisation croissante, fragmentation des espaces sociaux, etc.), dans les processus du vivre ensemble (avènement des sociétés « singularistes », incertitudes des instances de socialisation, etc.), dans le partage des ressources et les problèmes écologiques, actuels et prévisibles, rendent indispensable l’exercice d’une science globale ouverte et réflexive qui transcende les découpages disciplinaires hérités des siècles passés et confère aux grands acquis des sciences humaines et sociales un statut de savoirs communs à tous les chercheurs.
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