URL originale : https://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/allianceathena/1454
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Arts, création, recherche
p. 175-184
Texte intégral
Patrimoine architectural et artistique
1Avant d’aborder les relations étroites entre les arts, la création et la recherche au sein des MSH, il est utile de rappeler l’importance des programmes architecturaux financés en grande partie dans le cadre des CPER qui, notamment depuis 2012, ont fortement contribué à matérialiser et moderniser les espaces de travail nécessaires pour héberger les laboratoires SHS, les plateformes technologiques et faciliter les échanges et les rencontres interdisciplinaires. Ainsi faut-il mentionner les programmes d’extension des bâtiments de la MRSH Caen (2015), de la MSH Mondes (2016) et de la MMSH Aix-en-Provence (2018), la construction des nouveaux bâtiments de la MSH Val de Loire (2012), de la MSHS Toulouse (2015), de la MSH Paris Nord (2015), de la MSHE (2017) et de la MSH Bretagne (2017), et enfin citer les projets des futurs bâtiments de la MSH Paris-Saclay et de la MSH Pacifique.
2À ce précieux patrimoine architectural s’ajoutent également des œuvres d’art produites dans le cadre de la disposition légale française du « 1% artistique », une procédure spécifique de commande d’œuvres d’art qui impose aux maîtres d’ouvrages publics de consacrer 1% du coût de leurs constructions à la commande ou à l’acquisition d’une oeuvre d’un artiste vivant. En 2020, Christelle Familiari a installé dans le patio de la MSH Bretagne deux sculptures mi-humaines mi-végétales et a disposé sur un mur adjacent à la salle des conseils une vingtaine de galets trouvés sur les plages, ayant les traits de visages humains ou de faces animales. À travers le titre de l’œuvre – Paréidolie, le regard des choses – et le texte de l’écrivain Fabrice Raymond déposé sur une vitre du bâtiment, l’artiste invite à éprouver le changement de matérialité du monde et le désir de spéculer propre à la science. Six galets en faïence reproduits en dix exemplaires seront également offerts chaque année, pendant dix ans, aux lauréats des appels à projets de la MSH Bretagne. À la MSHS Poitiers, c’est un jardin minéral et végétal qui occupe la cour intérieure de la MSH (1997-1998). Imaginé par Erik Samakh, cet environnement dédié à la méditation et au recueillement se présente sous la forme d’une plantation de bambous, dont les feuilles s’offrent au vent, et d’une impressionnante pierre de deux tonnes, posée sur le sol, qui tourne sur elle-même grâce à un système mécanique caché, fonctionnant à l’énergie solaire. À la MSH Dijon, c’est une majestueuse suspension de stores vénitiens verts et pourpres installés dans l’atrium du bâtiment, imaginée par Haegue Yang, qui invite les chercheurs à méditer sur les atouts de l’ouverture disciplinaire (2011).
Contribuer à l’identité scientifique
3Si les arts sont traditionnellement des objets d’études des disciplines en sciences humaines et sociales (philosophie, histoire, sociologie), il faut rappeler que l’institutionnalisation des pratiques artistiques date, en France, des années 1970, avec la création d’un département spécifique au ministère de la Culture et d’une Unité de Formation et de Recherche (UFR) d’Arts Plastiques à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Depuis, les différentes disciplines artistiques (arts du spectacle, musicologie, arts plastiques, architecture) font l’objet d’enseignements spécifiques et sont constituées en équipes de recherche, le plus souvent pluridisciplinaires, dans les grands sites universitaires (Paris, Rennes, Lille, Toulouse, Bordeaux, etc.)
4Si des recherches impliquant les arts se retrouvent dans l’ensemble des projets soutenus par les MSH du réseau, la MSH Paris Nord et la MSH Bretagne ont toutefois pris le parti de consacrer à l’art des axes structurants, définissant leur identité scientifique.
5Incontestablement pionnière dans le secteur en initiant un axe consacré aux arts et à la culture dès le début des années 2000, la MSH Paris Nord a entrepris, à partir de 2015, de soutenir les recherches qui étudient « les conflits et les articulations entre les logiques de l’industrialisation culturelle, qui a besoin des arts et fait commerce de leur production et les arts qui, tout en trouvant des débouchés dans ces circuits de la production et de la diffusion culturelle, restent régis par des pratiques étrangères à celles des industries et marché de la culture. » Coordonné par Philippe Bouquillon, professeur en sciences de l’information et de la communication (Paris 13), l’axe « Arts, industries de la culture, création » se décline en quatre thèmes : « environnements virtuels et création », « socio-économie de la culture et de la communication », « Appareils, productions et médiations esthétiques, techniques et artistiques », « Création, pratiques, public. » Cet axe a permis l’organisation de nombreux et importants séminaires parmi lesquels on peut citer « Arts, Appareils, Diffusion » animé par Jean-Louis Déotte, qui a donné lieu à des publications significatives dans le domaine de l’esthétique et des sciences de l’art. Il a fait également émerger plusieurs programmes d’envergure, tels que le Labex ICCA (2011), le Labex Arts-H2H (2011), l’Idefi CREATIC (2012), l’ANR Musicoll (2016-2018), et plus récemment l’EUR ARTEC (2018).
6À Rennes, c’est sous l’impulsion de Gilles Mouëllic, professeur en études cinématographiques (Rennes 2) que la MSH Bretagne a inauguré en 2015 un cinquième pôle de recherche, le pôle Arts et création. La première action majeure du pôle a consisté en l’organisation d’un colloque inaugural « Création et territoires » qui avait pour objectif de mettre en lumière l’importance des équipes d’enseignants et de recherche dans le domaine des arts et de la création. Porté par Jean-Marc Poinsot (Rennes 2), le colloque a permis de mettre en œuvre et de parfaire, à l’échelle de la Bretagne, l’interconnaissance entre les laboratoires, les artistes et les institutions spécialisées. Le croisement des notions de « création » et « territoires » a fait sens pour l’ensemble des représentants des institutions et des collectivités, pour qui la question de la territorialité des pratiques culturelles prend, à l’ère de la mondialisation, une dimension fondamentale dans la production du commun et du mieux vivre ensemble. Le pôle Arts et création est animé par un groupe de travail composé d’une dizaine de chercheurs en linguistique, littérature, sociologie, droit, arts plastiques et philosophie de l’art.
Logiques territoriales
7Chaque MSH apporte une réponse spécifique à la particularité du territoire sur lequel elle se trouve. La MSH Paris Nord occupe une place stratégique dans le nord de l’Ile-de-France, « territoire de la création » de la communauté d’agglomération Plaine-Commune, qui au-delà des universités, du CNRS, de la Comue Paris Lumière, du Campus Condorcet et des nombreux partenaires culturels associés, comprend notamment des acteurs d’envergure nationale : l’Académie Nationale du Cirque Fratellini, le Centre National de la Danse, le Pôle Sup Aubervilliers, et l’ENS Louis Lumière. Sur le plan de la territorialité universitaire, l’orientation scientifique de l’axe « Arts, Industries de la culture, création » est essentiellement liée à la dynamique de l’UFR Arts de l’université Paris 8 pour la partie expérimentale, et à celle du LABSIC (Laboratoire des Sciences de l’information et de la Communication) de l’université Paris 13 (USPN), pour la partie industries culturelles.
8De son côté, la MSH Bretagne, MSH plus récente et dont le périmètre s’étend sur l’ensemble du territoire breton, a pris le parti de soutenir le déploiement et la consolidation d’autres structures fédératives déjà existantes ou émergentes en leur faisant bénéficier des savoir-faire des ingénieurs et des services des plateformes technologiques. La MSH Bretagne a ainsi accompagné la création du GIS « Archives de la critique d’art » existant auparavant sous forme associative. La MSH Bretagne a porté avec succès la candidature du Cabinet du livre d’artiste (CLA) de l’université Rennes 2 à la campagne de labellisation de CollEx-Persée. Le CLA, comprenant à ce jour près de 4000 titres, a la particularité d’être à la fois une collection d’œuvres d’art et un fonds documentaire. En 2020, la MSH Bretagne a obtenu un financement, dans le cadre de l’AAP CollEx-Persée, pour mettre en place la première étape vers une conversion des fonds du CLA, en prenant en compte la nécessité de réussir le signalement du fonds au sein des réseaux de la recherche universitaire et des collections d’art. Enfin, la MSH Bretagne a permis d’incuber l’EUR GS-CAPS, lauréate du PIA 3, dont les travaux s’attachent aux approches créatives de l’espace public. Portée par Marion Hohlfeldt et Hélène Bailleul, respectivement historienne de l’art et géographe à Rennes 2, l’EUR GS-CAPS bénéficiera du soutien des plateformes technologiques de la MSH (Humanités numériques, PUD) et des services du pôle éditorial afin d’inscrire ses actions dans le contexte de la science ouverte.
Différentes configurations de la recherche impliquant les arts
9Si la didactique des arts s’est développée de manière progressive depuis les années 70 dans les ESPE et les départements Arts des universités, l’épistémologie des sciences de l’art a connu une accélération soudaine lors de la réforme LMD en 2002, à travers des débats académiques touchant la définition des champs et des compétences entre les écoles d’art et l’université (les enjeux portant notamment sur l’attribution du doctorat et la qualification des encadrants). Deux approches majeures sont apparues : une réflexion de fond explorant les différentes relations aux arts, et la défense d’une approche venue du Canada, la recherche-création, approche également pratiquée de longue date à l’université de Paris 8, héritière du centre universitaire expérimental de Vincennes. Théorisée entre autres par le philosophe Pierre-Damien Huyghe, l’étude des relations aux arts permet en effet de distinguer ce qui relève de la recherche « sur » l’art (sociologie de l’art, histoire de l’art, etc.), de la recherche « en » art qui, sans tradition institutionnelle, consiste à être portée par des artistes seuls ou des chercheurs en esthétique et à « traverser le champ de l’art en le pratiquant ou en l’ayant pratiqué. » La recherche-création est une approche qui cherche aussi à asseoir ses fondations méthodologiques, ouvrir le spectre de la création comme pratique aux autres disciplines en SHS et dans les secteurs disciplinaires. Les séminaires qui se déroulent dans les MSH se font les caisses de résonance de ces débats et les projets soutenus sont toujours marqués par ces deux approches.
10À Rennes, les projets incubés relèvent pour le moment de la recherche sur l’art. Le projet REL-ARTS portait sur les arts visuels vus à travers les écrits (écrits de poètes, d’artistes, de critiques) pendant la période 1944-1964. Il s’est clôturé par un important colloque international en 2019. Le projet DKEP, qui implique une équipe de l’IRISA Rennes, a été consacré à la remédiation numérique des Esquisses Pédagogiques de Paul Klee, un ouvrage majeur publié en 1925. Le projet ARTIVISME porté par Laurence Corbel, philosophe de l’art, consiste à analyser les pratiques artistiques en temps de crise, en relation avec le contexte social et politique qui sévit au Brésil depuis l’élection de Jair Bolsonaro. Deux projets portant sur les arts du spectacle ont permis de développer un programme international hébergé à l’université de Montréal (TECHNES) et une plateforme d’archivage du spectacle vivant à Rennes (ARCREAS).
11A la MSH Paris Nord, à l’instar d’un des axes majeurs de l’EUR ARTEC dont de nombreux projets sont accueillis dans ses murs, la création artistique est abordée comme une activité de recherche, alliant savoir-faire, faire-savoir(s), faire connaissance(s) et faire science(s) au fil d’une dynamique où activités pratiques et théoriques s’alimentent réciproquement, sans craindre jamais la prise de risques due au principe même de l’expérimentation. La création comme activité de recherche répond au développement des problématiques liées à la recherche-création à l’université, mais également à celles de la formation par la recherche, dans une perspective expérimentale, avec des incidences artistiques, technologiques, critiques, avec une ouverture vers les industries de la créativité, vers la culture du code, et vers les sciences ouvertes ; vers la construction de connaissances et le partage du savoir par la création et la médiation artistique avec les moyens numériques, en perpétuelle mutation. La MSH Paris Nord participe ainsi au comité de pilotage d’ISEA 2023 (International Symposium for Electronic Arts), avec pour thématique majeure la « symbiose », ou comment « vivre avec », un champ de réflexion d’actualité brûlante, transversal aux SHS, offert dès 2021 en incubation à la réflexion et à l’inspiration des chercheurs de l’ensemble des axes de la MSH Paris Nord, et dans la perspective peut-être d’une circulation au sein du Réseau national des MSH.
12La configuration en réseau des MSH permet également l’émergence de projets singuliers à l’image du projet FRESH (Film et Recherche en Sciences Humaines et Sociales) soutenu par la MRSH et la MSH Bretagne. Mis en place en 2012 (à l’initiative de Benoît Raoulx, géographe et réalisateur à l’UMR ESO, d’Yvon Guillon, ingénieur à la MSH Bretagne et de Thierry Bulot, sociolinguiste au PREFics-Université Rennes 2), le programme a pour but de faciliter la pratique du film documentaire auprès des chercheurs en SHS. Les membres de l’équipe FRESH ont accompagné le projet L’Encyclopédie des migrants, projet artistique initié par Paloma Fernández Sobrino et coordonné par l’association L’âge de la tortue (Rennes) qui a consisté à concevoir une encyclopédie constituée de 400 témoignages sous forme de lettres intimes accompagnées d’un portrait photographique de chaque témoin. Elle contient aussi 16 textes écrits par des chercheurs en sciences humaines et sociales. Le film réalisé par l’équipe de FRESH retrace la fabrication collective de l’Encyclopédie qui a mobilisé près de 700 personnes.
Aujourd’hui et demain
13À l’aube des années 2020, d’autres initiatives apparaissent dans les MSH : la MMSH est un acteur important du Festival des sciences sociales et des arts, inauguré en 2019 par l’université d’Aix-Marseille, et la MSH de Clermont-Ferrand entreprend une série d’expositions avec le FRAC Auvergne.
14Mais s’il faut revenir sur la place des arts dans la recherche au sein des MSH, le prochain grand défi concerne l’implémentation des méthodes de design dans l’ingénierie de la recherche. Au-delà de la production d’outils numériques mieux pensés en termes de scénarios d’usage et de représentation des données, la contribution du design permet également d’apporter une forme d’enrichissement méthodologique dans les pratiques des chercheurs en SHS sans cesse discutées dans le cadre de l’interdisciplinarité.
15On peut aussi postuler que la culture du code induite par l’appropriation des usages du numérique en art, en création et en recherche, fasse que le champ des Sciences Humaines et Sociales intègre en son sein non seulement le domaine dit des Arts, Lettres et Langues, mais également que s’ouvrent des voies de circulation directe avec les domaines des sciences dites exactes, sciences et techniques, sciences de l’ingénieur, sciences formelles, sciences de la vie et de la terre… Ici, postulons pour la prise de risque et pour l’indiscipline sans laquelle, coupée de la puissance créatrice, la pensée reste incarcérée par l’autorité académique, non humaine et sans vie.
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Mutations des sciences humaines et sociales
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