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L’interdisciplinarité en mouvement
p. 161-166
Texte intégral
1L’économie de la connaissance a été présentée comme une nouvelle phase de l’histoire économique qui aurait commencé dans les années 1990. Nouvelle phase historique, elle est également une notion, voire une doctrine, promue par des organisations internationales et spécialement par l’Union Européenne via la stratégie de Lisbonne (2000), les rapports du programme des Nations unies pour le développement, les rapports et programmes de la Banque mondiale (World Development Report 1999 et knowledge for Development program au World Bank Institute), ainsi que par d’autres séminaires, conférences et différentes études, notamment celles de l’OCDE.
2Toutes ces initiatives, particulièrement présentes dans l’espace européen de l’enseignement supérieur, visent la « course mondiale au talent, au prestige et aux ressources ». Conçue dans un espace intellectuel et dogmatique marqué par un « sens commun réformateur », cette orientation politique s’inscrit dans une logique néo-libérale de maîtrise des dépenses publiques, de souci d’efficience, de rationalité, d’excellence et d’efficacité qui y serait associée. Dans ce cadre général, Horizon 2020, qui représente le plus grand programme de recherche et d’innovation jamais réalisé par l’Union Européenne, a bénéficié d’un financement de près de 80 milliards d’euros sur sept ans (de 2014 à 2020). Les dirigeants des pays membres de l’UE et le Parlement européen se sont accordés pour penser qu’il était « essentiel pour l’avenir de l’Europe d’investir dans la recherche et l’innovation » et ont mis cet enjeu au cœur de la stratégie Europe 2020 pour une croissance « intelligente, durable et inclusive. »
3Horizon 2020 s’est ainsi construit autour de trois axes principaux : l’excellence scientifique, la primauté industrielle et les défis sociétaux1. L’UE a identifié « sept défis prioritaires où un investissement ciblé en recherche et innovation était supposé avoir un réel impact positif pour le citoyen » : santé, changement démographique et bien-être ; bio-économie : sécurité alimentaire, agriculture et sylviculture durables, recherche marine et maritime et recherche sur les voies de navigation intérieure ; énergie sûre, propre et efficace ; transports intelligents, verts et intégrés ; action climatique, environnement, efficacité des ressources et matières premières ; l’Europe dans un monde en évolution : sociétés inclusives, innovantes et réflexives ; des sociétés sûres – protéger la liberté et la sécurité de l’Europe et de ses citoyens.
4La place réservée aux SHS a été d’emblée loin d’être centrale, d’une part parce que le budget propre consacré à ces sciences était faible et d’autre part, et c’est observable à la lecture des textes des appels d’offre, le rôle qui leur a été assigné a été plutôt celui de supplétifs, répondant aux questions d’acceptabilité sociale des politiques de santé, d’environnement, de développement, etc. Les différentes manifestations auxquelles s’est associé le réseau2 à partir de 2013 se sont fait l’écho de ces préoccupations mais rien n’a pu changer le cours des choses et, aujourd’hui, même les responsables européens reconnaissent la maigre place qui a été faite aux sciences humaines et sociales dans H2020.
5En France, à partir de 2014, les missions de l’Agence nationale de la recherche (ANR) ont été repensées et sa programmation articulée avec la programmation européenne du nouveau programme cadre « Horizon 2020 ». A peu de choses près, les mêmes défis ont été repris, le programme blanc, pourtant plébiscité par les chercheurs, a été supprimé et la même rhétorique a été utilisée, faisant de la recherche une ressource majeure pour un nouveau modèle de développement au sein d’une économie de la connaissance globalisée et hautement concurrentielle.
6A l’avant-garde de la dynamique interdisciplinaire impulsée à partir des SHS et des relations nouées avec les autres sciences, les MSH auraient pu elles aussi choisir de structurer leur action autour de ces défis. Un certain nombre de thématiques scientifiques permettant de travailler à construire cette interdisciplinarité en acte étaient déjà largement partagées par les différentes Maisons, autour des questions environnementales, de développement durable, de risques et de vulnérabilité, de santé et de prévention, de mobilité et de transport, ou encore sur les enjeux du numérique et du développement de l’Intelligence Artificielle, les dynamiques participatives, les questions liées au genre, etc. Toutes ces thématiques bénéficiaient déjà des ressources mutualisées des MSH et notamment des différentes plateformes labellisées et des liens privilégiés entretenus de longue date avec les TGIR PROGEDO et Huma-Num. A leur manière, et avant l’heure, les MSH et leur réseau ont contribué à repositionner les SHS dans leur capacité à éclairer, analyser et tenter de comprendre les enjeux de ces défis majeurs des mondes contemporains.
7Plutôt que d’appliquer sans distance dans leur organisation le cadre « des défis » (aux fondements peu scientifiques), les MSH ont poursuivi leur travail de fond au bénéfice des logiques de recherche inter et pluridisciplinaires, rappelant que la pluridisciplinarité (interne aux SHS) est toujours à travailler, que l’interdisciplinarité est au début de son histoire et qu’il ne faut pas confondre intégration d’une dimension SHS dans des projets de biologie ou de physique avec la mise en œuvre d’une véritable démarche pluridisciplinaire3.
8Bien ancrées sur leur terrain, les MSH ont développé leur participation à la politique de site qui a été formalisée avec l’autonomie des établissements (loi LRU de 2007). La charte de 2019 a entériné cette évolution en précisant que les « priorités scientifiques des MSH font écho aux priorités du site […] [et qu’elles] facilitent le contact entre les grandes initiatives du site (telles les instituts, LABEX, EUR ou regroupements disciplinaires) ». Ce positionnement place les MSH au cœur de défis locaux ou territorialisés en relation avec les priorités académiques et les collectivités locales (régions, métropoles, municipalités). De nombreux projets portant sur l’environnement, le développement durable, l’énergie, la santé et la prévention, la mobilité et les transports, l’éducation, la culture mais également l’économie sociale et solidaire, le vieillissement des populations et la fin de vie, les villes connectées (smart cities), les populations vulnérables et précaires, les rapports entre métropoles et espaces périphériques… sont développés dans ces cadres.
9Précieux instruments pour encourager le développement de recherches innovantes en SHS et aux interfaces avec les autres sciences4, les MSH se distinguent également par l’accent qu’elles mettent sur le développement des recherches participatives et partenariales, tout en intégrant l’épaisseur historique des phénomènes étudiés et en développant des éléments de comparaisons dans l’espace et dans le temps. C’est ainsi dans leur quotidien et au bénéfice d’échanges nourris entre de multiples acteurs sur la base d’épistémologies renouvelées que les MSH font vivre l'interdisciplinarité et la pluridisciplinarité.
Notes de bas de page
1 https://ec.europa.eu/programmes/horizon2020/sites/horizon2020/files/H2020_FR_KI0213413FRN.pdf
2 Journée du 9 octobre 2013 organisée par le RnMSH et l’alliance Athéna sur le programme de recherche et d’innovation européen « Horizon 2020 ». Initiative de la MRSH de Caen en 2014 sur les programmes européens de recherche.
3 Jacques Commaille et Françoise Thibault (dir.), Des sciences dans la Science, Paris, Collection Athéna, 2014
4 Des recherches qui ne trouvent pas toujours de place à l’ANR de par leur format, cf. le rapport Les sciences humaines et sociales à l’Agence nationale de la recherche (2005-2019), F. Thibault et I. Ondarçuhu, alliance Athéna, 2020.
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Mutations des sciences humaines et sociales
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