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Les outils partagés des SHS
p. 153-158
Texte intégral
1L’émergence de la transversalité dans les SHS, la mise en place au niveau national d’infrastructures de recherche permettant à celles-ci de tenir leur rang aux côtés des autres disciplines scientifiques ont constitué un défi mais aussi une opportunité pour les nouvelles MSH au début des années 2000.
2J’ai pu, comme directeur de la MSH de Dijon, dès 2002, puis comme président du réseau des MSH à partir de 2005, vivre au plus près le processus d’affirmation et de construction de ces Maisons. Enfin, après 2012, j’ai, comme chargé de mission, accompagné la structuration des plateformes technologiques au sein des MSH.
3Du point de vue des sites universitaires et des lieux d’implantation des MSH, la question des outils et dispositifs techniques a revêtu progressivement une importance croissante en particulier dans les nouvelles MSH. Selon les sites, selon le tissu disciplinaire et la structuration des laboratoires, le défi n’était pas le même pour les MSH. Le développement des méthodes quantitatives et la constitution de bases de données ont suivi un processus inégal au sein des SHS, avec par exemple une réelle précocité dans le domaine de l’archéologie, la sociologie et la démographie ou encore la linguistique. Avec l’appui du département SHS du CNRS mais aussi de la MSU du Ministère en charge de la recherche, certains laboratoires disciplinaires étaient déjà dotés d’équipements et de personnels regroupés, fonctionnant en réseaux plus ou moins formalisés (GDR, fédération de recherche, etc.) Dans certains cas, la constitution d’une MSH a permis au début des années 2000 d’incorporer ces outils dans la nouvelle structure sans que cela n’implique obligatoirement l’ouverture de ces outils sinon le partage avec d’autres champs disciplinaires. En dépit de ces difficultés plusieurs MSH, à Lyon, Caen ou Aix ont ainsi pu se doter dès le milieu dès les années 2000 de dispositifs technologiques en appui à plusieurs laboratoires. Il reste qu’à cette époque encore des incertitudes persistaient sur l’implantation de ces dispositifs et sur leur ouverture transdisciplinaire. On peut se référer à certains programmes comme celui du CNRS qui envisageait de créer des Centres de ressources numériques pour les sciences sociales, en 2005, pour mesurer l’ignorance relative des MSH caractéristique de certains acteurs, au moment même où pourtant le département SHS du CNRS opérait un tournant positif à l’égard des MSH en s’impliquant désormais dans leur fonctionnement et leur développement.
4A la fin de la première décennie du siècle, le paysage évolue grâce tout d’abord aux initiatives du Ministère de la Recherche, à la définition d’infrastructures de recherche pour les SHS, puis à l’inscription des MSH dans la stratégie nationale de la recherche en 20101. Une autre modification essentielle est marquée par la transformation du statut des MSH qui deviennent des Unités de service et de recherche (USR), expression d’une action concertée entre le ministère et le CNRS qui permet au Réseau des MSH, devenu un GIS en 2006, d’inscrire à son agenda la mise en place dans les MSH d’outils communs et partagés pour la recherche, au service des équipes et laboratoires engagés dans des projets inter et transdisciplinaires. La direction du réseau va désormais suivre de très près ce processus en s’appuyant sur les compétences et les recommandations du conseil scientifique, en étroite relation avec la direction de la recherche du CNRS et du ministère. Entre 2010 et 2012, la problématique des outils partagés au sein des MSH commence à s’affirmer sous la forme de plateformes technologiques spécialisées dont la reconnaissance est prise en compte par le conseil scientifique du Réseau. En 2012, après une longue et minutieuse enquête menée par le conseil scientifique, 31 plateformes dans 15 MSH sont identifiées. Leur caractérisation inclut les équipements, les personnels mais aussi les activités de recherche associées. « Sont considérées et soutenues comme telles les plateformes technologiques regroupant un ensemble de moyens humains et techniques organisés de façon systématique afin de constituer une instrumentation spécifique et mutualisée au service de la recherche en SHS. »
5Un premier état des lieux est ainsi dressé lors d’une session animée du comité des directeurs des MSH, en juin 2012. La labellisation fait l’objet de débats autour de la destination des outils spécifiques et services communs qui peut varier selon qu’ils sont liés ou non à un laboratoire, à une équipe ou bien plus largement à l’ensemble des équipes de recherche incluses dans le périmètre d’une MSH. D’autre part le lien avec la recherche programmée, et en particulier les projets interdisciplinaires, est affirmé de façon nouvelle lorsqu’au même moment le Gis Réseau national des MSH est reconnu comme infrastructure de recherche, ce qui d’une certaine façon consacre la dimension emblématique du terme désormais associé à l’existence même du Réseau national des MSH. Les deux années suivantes, en 2013 et 2014, un effort interne de caractérisation des dispositifs techniques mais aussi des missions qui leur sont associées est mis en œuvre par le réseau, en prenant notamment appui sur son conseil scientifique. Au moment où les deux grandes infrastructures nationales Huma-Num et Progedo se mettent en place, les MSH dans le cadre du réseau s’efforcent de qualifier les outils numériques qu’elles ont développés. Elles vont alors affiner la présentation et délimiter l’usage des outils dont disposent les plateformes. L’enjeu n’est pas mince puisqu’il s’agit du soutien et de l’accueil à apporter aux consortiums scientifiques en cours de création dans le cadre des humanités numériques appuyées sur la TGIR. En 2015, cet effort débouche sur la présentation d’un réseau de plateformes spécialisées dont la dénomination a été revue et qui mettent au premier plan les outils mis à disposition par chaque MSH, ouvrant la voie à une coordination nationale. La définition des plateformes est consolidée, tandis que leur différenciation est affirmée lors d’un colloque international sur les infrastructures numériques de recherche, tenu à Toulouse le 25 novembre 2015. Le président du RnMSH présente à cette occasion le réseau de plateformes du Réseau, rappelant à ce propos l’inventaire des moyens et des compétences effectué pour identifier au niveau national cinq plateformes réunissant les équipements répartis dans les diverses MSH, structurées autour du traitement spécifique des données numériques dans cinq domaines : celui des données spatialisées avec la plateforme nationale Spatio ; celui des données textuelles, annotées et numérisées avec la plateforme Scripto ; celui des données audiovisuelles rassemblées avec la plateforme Audio-visio ; celui des données cognitives issues des plateformes expérimentales Cogito ; enfin celui des données quantitatives issues des enquêtes traitées par la plateforme Data bientôt liée à la TGIR Progedo. Ces plateformes ont permis aux MSH de soutenir de nombreux projets et programmes interdisciplinaires de manière différenciée selon les domaines. Elles ont donné à certains consortiums d’Huma-Num les moyens de leur développement, elles ont été des lieux de mutualisation d’outils techniques sophistiqués. Après 2017 sont esquissés des partenariats et des opérations de complémentarité avec de nouveaux pôles de compétence dans le domaine de l’édition numérique et la constitution de collections numériques (GIS CollEx-Persée). L’articulation entre les plateformes de la TGIR Progedo inscrites dans une dizaine de MSH, l’accueil envisagé de nouveaux consortiums de la TGIR Huma-Num dans le Réseau national des MSH sont à l’ordre du jour, mobilisant l’expérience et l’activité des plateformes du réseau. La tendance à la restructuration des humanités numériques dans le cadre de chaque MSH doit en même temps conférer une réelle souplesse à l’articulation nationale des différentes plateformes spécialisées, au moment où l’essor du numérique s’affirme dans tous les domaines des SHS.
Notes de bas de page
1 Voir supra le texte de Françoise Thibault et Philippe Casella Du réseau à l’infrastructure.
Auteur
Directeur (2002-2012) de la MSH de Dijon et président du conseil des directeurs des MSH, coordinateur scientifique du Consortium Archives des Mondes contemporains de la TGIR Huma-Num, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne.
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