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Les Maisons des Sciences de l’Homme et l’international
p. 77-84
Texte intégral
Les objectifs de l’internationalité
1L’article 5 de la Charte des MSH de 2019 a confirmé le principe, déjà adopté dans la version précédente, qui incitait les MSH à développer l’internationalité1 :
« Les MSH ont vocation à accueillir des projets de recherche à forte dimension internationale. Elles sont habillitées à développer des liens avec les dispositifs de mobilité sortante tels que les unités de recherche à l’étranger (UMIFRE), et à établir des synergies avec les dispositifs de mobilité entrante, tels que les Instituts d’études avancées (IEA) implantés sur leur territoire. Elles facilitent l’insertion des chercheurs dans la communauté internationale par une politique d’échange incluant différentes initiatives telles que : missions, séminaires, colloques, tables rondes, écoles d’été, projets bi ou multilatéraux nationaux et européens, ceci en cohérence avec les actions internationales des sites dont elles peuvent alimenter efficacement la stratégie de développement. L’effet de taille et de masse critique doit leur permettre de déployer et de soutenir les efforts des équipes et du secteur SHS à un niveau plus important que les efforts isolés ne le pourraient.
Les MSH facilitent l’accès des communautés scientifiques aux appels d’offres européens et internationaux en collaboration avec les responsables du programme Fund-It2.
Elles peuvent accueillir en résidence des collègues étrangers (en lien avec l’IEA du site s’il existe), promouvoir des chaires d’excellence, accueillir des post-doctorants dans des programmes nationaux et internationaux. Les MSH ont vocation, en cohérence avec les priorités du site, à ouvrir sur l’international et à projeter vers l’international, le dispositif pluri et interdisciplinaire qu’elles déploient. »
2Si les missions principales des MSH en matière d’internationalisation sont d’encourager le soutien aux projets européens et d’accompagner la politique de site de leurs tutelles, leurs orientations internationales doivent également contribuer à la mondialisation des réseaux scientifiques tels qu’on en observe parfois au niveau des universités et des associations scientifiques ou des plateformes. N’ayant pas d’équivalent dans d’autres États, la création du RnMSH devrait être assumée comme une initiative pionnière au plan international. Le Réseau a ainsi proposé de labelliser quelques structures hors de France, à Bruxelles (Maison des Sciences Humaines de l’Université Libre de Bruxelles) ou à Sfax (Maison du Maghreb des Sciences de l’Homme). Il pourrait également construire des liens avec des réseaux comparables à l’étranger (MPI en Allemagne par exemple).
3Les politiques internationales des MSH varient généralement en fonction des stratégies et orientations de chacune : l’Europe, la Méditerranée, l’Asie, l’Océanie ou les Amériques. C’est d’abord le choix d’aires culturelles spécifiques, comme le suggèrent les noms mêmes de certaines Maisons, ainsi la Maison européenne des Sciences de l’Homme et de la Société de Lille, la Maison méditerranéenne des Sciences de l’Homme d’Aix-Marseille ou la Maison des Sciences de l’Homme du Pacifique en Polynésie française, qui ont fait de leur région d’implantation leur terrain de jeu et leur objet d’étude. Au cœur du Pacifique, la Maison d’Océanie a parmi ses missions principales celle d’augmenter les collaborations avec les partenaires de la zone (Australie, Nouvelle-Zélande, Hawaï, petits États insulaires indépendants, Nouvelle-Calédonie) et enfin la Chine à travers l’Institut Confucius et l’Institut de la Diplomatie de Chine. La proximité transfrontalière n’est pas étrangère à ces choix. La MISHA, dans la dimension franco-allemande de l’université de Strasbourg, a développé des relations très étroites avec les universités allemandes et le Freiburg Institute for Advanced Study (FRIAS) dans le périmètre du réseau Eurocampus.
4En outre, le rapprochement entre deux ou plusieurs MSH peut aussi être l’un des objectifs affichés de leur politique internationale, comme le préconisent les appels à programmes annuels interMSH, ou comme on l’observe dans les actions de certaines Maisons : ainsi les MSH de Besançon et de Dijon sur la thématique Transmission, Travail, Pouvoirs.
5L’intérêt d’agir à l’échelle internationale est également d’élargir la réflexion au-delà de la communauté scientifique nationale pour profiter de l’outillage théorique et méthodologique utilisé à l’étranger et pour construire un débat public transnational visant à l’élaboration d’une science internationale sur des sujets importants, voire déterminants pour nos sociétés contemporaines, et qui aujourd’hui dépassent le seul cadre hexagonal. C’est enfin d’encourager les MSH à ne pas se laisser conditionner par les demandes émanant des seuls acteurs du site, et à intégrer ces ressources internationales aux outils de connaissance générés localement pour leur permettre d’atteindre une efficacité maximale.
Les orientations principales
6Les projets internationaux des MSH se déclinent donc en fonction de ces objectifs : quelques projets sont portés depuis de longues années et ont été soutenus par les tutelles, ainsi que par l’Agence nationale de la recherche, par l’Europe, voire ont donné naissance à des Laboratoires d’excellence du Plan d’Investissements d’Avenir, comme le LabexMed de la MMSH (2011-2020), né du réseau international Ramsès du 6e PCRD (2006-2010). L’internationalité pour l’interdisciplinarité des sciences humaines et sociales en Méditerranée était au cœur du programme : ainsi ont été encouragés des initiatives scientifiques, des partenariats avec près d’une vingtaine d’organismes internationaux (Écoles françaises à l’étranger, UMIFRE et universités étrangères) et monté un collège post-doctoral de jeunes chercheurs internationaux. De même, la MSHE a soutenu, depuis son origine, des recherches en intelligence territoriale, en particulier sur la transition socio-écologique des territoires, et porté le projet de recherche européen FP6 caENTI de 2006 à 2009, puis le GDRI du CNRS INTI entre 2011 et 2014. Des cinq pays présents au début du programme, le réseau s’est élargi à 62 équipes de recherche aujourd’hui et a permis l’accueil à Besançon de nombreux chercheurs internationaux, dont le prix Nobel alternatif 2004, et l’organisation de plusieurs événements, en même temps que la construction d’une plateforme sociotechnique.
7Certaines disciplines ou thématiques portent davantage à l’internationalisation que d’autres. L’archéologie est largement créatrice de programmes internationaux : on peut citer le programme sur l’argent de la route de la soie médiévale (MSHE) qui a permis d’appliquer l’approche interdisciplinaire, marque de fabrique des MSH, aux sites miniers et métallurgiques de l’Asie centrale (méthodes traditionnelles de l’archéologie, télédétection par image satellite, analyses géochimiques), en collaboration avec le musée national du Tadjikistan, des chercheurs de France, d’Allemagne et de Russie et le Deutsches Bergbau Museum. Les études religieuses ont donné naissance également à de solides partenariats internationaux : à la MISHA, le comparatisme sur les droits des religions en Europe a engendré le projet de recherche européen RELIGARE (7ePCRD), tandis que les études sur la mondialisation/globalisation ont favorisé l’émergence de réseaux internationaux (MSHB avec l’Italie, le Japon, l’Argentine et la Nouvelle-Zélande). Les recherches sur les langues, minoritaires ou non, ont scellé des partenariats avec la Russie (université russe de l’Amitié des Peuples de Moscou et Académie des Sciences de Russie /MSHA), comme les programmes sur les partis communistes et les archives de l’Internationale communiste (MSH Dijon). Il faut souligner enfin, dans la conjoncture propre à l’année 2020 frappée par la crise sanitaire du coronavirus, les premières collaborations internationales coordonnées par la MSH Saclay sur « Les SHS dans l’espace public au ‘ Moment Covid-19 ’ », en particulier avec l’Institut de Sociologie de l’Université de Porto.
8La politique nationale à l’égard de certains pays a également influencé les choix partenariaux des MSH : par exemple à Strasbourg ou à Aix-Marseille, les péripéties des relations de Paris avec l’Iran après la guerre du Golfe ont favorisé la création puis le déclin de partenariats avec les universités iraniennes, jusqu’au projet avorté de création d’une Maison de l’Iran au sein de la MMSH. Il en est de même avec l’ouverture à l’Asie, et plus particulièrement à la Chine et au Japon, qui a permis l’intégration de chercheurs des MSH aux appels à projets japonais de type ANR à la MESHS, et les partenariats avec des universités comme Tokyo, Nagoya ou Kyoto (MESHS, MSHB), et la Maison franco-japonaise (MSHB).
9Curieusement, les Amériques ou l’Afrique, hors Maghreb et Machrek, ne sont pas des territoires très connectés aux MSH françaises, qui ont pu envoyer ou accueillir des chercheurs au départ ou en provenance des États-Unis (MSH Ange-Guépin, MMSH), mais rarement développer des programmes communs. Le Canada, avec l’université de Montréal (MSH Alpes, MRSH Caen), l’Argentine, la Colombie, le Mexique (MRSH Caen) et le Brésil (MSH Alpes, MMSH) sont parmi les rares partenaires de quelques MSH et apparaissent comme des terrains à défricher dans les années à venir.
Les modalités de l’internationalisation
10Les relations entre les MSH et les Instituts d’Études Avancées sont déjà anciennes dans certaines Maisons (comme la MSH Paris-Saclay avec l’IEA Paris, la MSH Ange-Guépin avec l’IEA de Nantes, la MMSH avec l’IMERA, toutes deux fondées par le même chercheur, Robert Ilbert, et qui développent des programmes Méditerranée), ou en cours de lancement (comme à Tours avec le Studium du Val de Loire, à Toulouse avec l’Institute for Advanced Study in Toulouse, et Lyon avec le Collegium de Lyon). Les MSH sont ainsi parties prenantes du programme AGIR initié par le Réseau national des IEA. Si l’on excepte les Écoles françaises à l’Étranger et les UMIFRE du Bassin méditerranéen, les partenariats avec les centres français de recherche à l’étranger sont encore relativement limités. Il est clair que les MSH ont privilégié les collaborations avec des organismes étrangers.
11Outre les partenariats institutionnels, la politique internationale des MSH repose sur des programmes, financés par la Commission européenne notamment, sur le soutien aux projets internationaux (en particulier le montage et le suivi des programmes), sur la mobilité et l’accueil de chercheurs, enseignants-chercheurs et étudiants, ou l’organisation d’événements et la publication d’ouvrages collectifs qui témoignent d’actions spécifiques. Ainsi on trouve dans un certain nombre de MSH des ingénieurs Europe ou International qui effectuent des veilles sur les appels d’offre européens ou autres et aident au montage de projets : c’est le cas de la MSH Mondes qui a créé un pôle de réponse aux bourses Marie Sklodowska Curie, avec une masterclass sélectionnant et préparant les candidatures jugées les meilleures pour la Maison, ou de la MMSH dotée d’une cellule Europe, qui a monté de nombreux projets européens, notamment dans le cadre du 6e PCRD (Ramses) ou contribué, avec les ingénieurs de la MSHS et de la MSH Bruxelles à la réussite du projet collectif Twinning, Sfax Forward, coordonné par la Maison du Maghreb des Sciences de l’Homme et lauréat pour les années 2019-2022. Mais l’investissement est disproportionné par rapport aux taux de réussite des AAP et la mise en place de services dédiés dans les universités de rattachement incite aujourd’hui les MSH à s’orienter plutôt vers la prospective et la signature officielle de partenariats susceptibles de décrocher des financements lourds. L’accent est par ailleurs mis sur les formations internationales du type écoles thématiques et masterclasses dans la plupart des Maisons, comme les séminaires en ligne d’humanités numériques de la MSH Val de Loire avec le Laboratorio di cultura digitale de l’université de Pise, l’école internationale CNRS des économistes de la MRSH de Caen, ou des archéologues de la MSH Mondes, les écoles d’été de LabexMed et du réseau Ramsès de la MMSH (par exemple les rencontres annuelles du réseau GenderMed avec les partenaires méditerranéens).
12On voit également se développer des plateformes ou des publications de coopération internationale, comme le consortium Europeana Sounds (auquel ont participé la MSH Mondes et la MMSH) ou le projet de la MSH Saclay de plateforme de coopération internationale entre revues spécialisées en sociologie du droit. Le financement extraordinaire, dit financement Vidal, des années 2018 et 2019, ainsi que l’aide à la traduction des publications en SHS ont également favorisé les travaux des chercheurs des MSH à l’international.
13Cette politique générale d’internationalité est confortée par la place qu’ont prise les chercheurs étrangers dans les instances des MSH, en particulier dans les conseils scientifiques. La plupart des Maisons ont intégré au moins un tiers, parfois la moitié de collègues européens, américains ou africains, qui évaluent la politique et les candidatures aux AAP et remettent en perspective les travaux des collègues français. Ils offrent ainsi un comparatisme bienvenu, susceptible de favoriser l’établissement de SHS effectivement internationales, que l’on doit appeler de nos vœux.
Notes de bas de page
1 Pour le texte intégral de la Charte des MSH, cf. infra p. 217. Un grand merci à Chiara Chelini pour son soutien logistique dans la réalisation de ce chapitre.
2 - Fund-It : plateforme d’information sur les appels à projets internationaux qui concentre sur un site unique tous les financements et séjours de recherche accessibles aux chercheurs des sciences humaines et sociales.
Auteurs
Directrice de la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme, Aix-Marseille (MMSH), professeur d’histoire grecque à l’université d’Aix-Marseille.
Directeur de la MSH Paris-Saclay, membre du Conseil scientifique de la MSH SUD, président du conseil scientifique du RnMSH de 2006 à 2010, chercheur en sociologie du droit et théorie de la société.
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