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Les MSH et le développement de la recherche partenariale : une fonction de médiation indispensable
p. 49-62
Texte intégral
« Après un dialogue qui dure depuis tant de siècles
entre le Monde et l’Esprit, on ne peut plus parler d’expériences muettes »
G. Bachelard, Le nouvel esprit scientifique
1Point récurrent de l’histoire des sciences, les rapports entre la société et la science, entre le Monde et l’Esprit, sont périodiquement remis sur l’agenda et donnent lieu à de vives controverses méthodologiques. Les SHS ne souffrent pas du risque d’une représentation dichotomique au même titre que les sciences expérimentales. Pour ces dernières, les faits sociaux sont considérés le plus souvent comme exogènes aux activités scientifiques, réduits à des perturbations à contrôler et à neutraliser pour protéger les dispositifs d’expérience. Pour les SHS1, les faits sociaux sont l’objet même des recherches, endogènes. Aussi, en SHS, les positions épistémologiques et les pratiques de la recherche prennent-elles en charge les questions que posent les interpénétrations et les interactions dialectiques entre science et société (Pestre, 2013)2. Cela ne signifie pas que les difficultés soient dépassées ni que les enjeux actuels qui mettent en cause les implications de la recherche et des chercheurs dans les transformations sociales soient abordés sereinement – voir les débats sur la défiance envers les chercheurs-experts ou sur l’instrumentalisation de la recherche. Si l’on accepte, avec Latour (2001), que l’on ne peut considérer que la recherche serait d’autant plus fondamentale qu’elle serait plus isolée du monde, ni qu’elle serait d’autant plus finalisée qu’elle serait plus liée à la demande sociale, alors les dispositifs sociotechniques qui sont construits aux interfaces entre la science et la société sont essentiels pour développer la recherche partenariale. Selon cette perspective, les MSH jouent un rôle essentiel de médiation, d’un point de vue pratique pour construire les arrangements et protocoles adaptés aux situations locales, et d’un point de vue épistémique pour concilier des modes de production des connaissances a priori disjoints. Reprenons les grandes fonctions des MSH dans leurs champs institutionnels et scientifiques avant d’envisager concrètement leurs rôles de passerelles entre la science et la société.
Les MSH, acteurs du système d’innovation sociale
2Le présent ouvrage rend compte de l’importance des MSH dans le champ de la recherche en SHS en raison de leurs capacités d’association de ressources hétérogènes, issues de différentes institutions et disciplines, en vue de produire des connaissances scientifiques robustes, ayant du sens tout spécialement dans leur contexte territorial. Dans ce chapitre consacré à la dimension partenariale des actions des MSH, reprenons en quelques mots ces caractéristiques distinctives : ce sont des acteurs pivots du système d’innovation sociale.
3La Maison des Sciences de l’Homme est d’abord un centre de ressources, matérielles avec les plateformes techniques (numérisation, traitement de données, etc.) et humaines avec les personnels des universités et du CNRS (compétences techniques et méthodologiques). Ceci est d’autant plus crucial et nettement perçu par les acteurs que les laboratoires en SHS sont faiblement dotés en moyens d’appui à la recherche. La MSH est en même temps une unité de recherche à part entière, sans chercheurs affectés mais portant des programmes de recherche qui associent des forces de recherche de différents domaines, ainsi que des partenaires externes. Par construction, ces programmes se rapprochent des situations-problèmes que rencontrent des acteurs politiques, économiques, sociaux et culturels ; leur appréhension nécessite des innovations méthodologiques pour combiner des normes disciplinaires et des outils divers au service de la production de connaissances que l’on peut dire situées, même si leur champ de validité ne se limite pas strictement au contexte de production.
4La MSH est surtout un organe de médiation. Cette fonction constitue en quelque sorte le cœur de métier de la MSH, maison des interfaces. Les équipes des MSH interviennent classiquement dans les démarches d’identification et de mise en relation des partenaires potentiels, au sein du milieu académique d’abord, pour initier et favoriser le développement des démarches interdisciplinaires. Elles sont aussi en contact avec les différents milieux professionnels et sociaux de leur territoire. La MSH construit ainsi d’un côté une offre de compétences et de résultats de travaux de recherche, d’un autre côté une demande de besoins d’éclairage pour une meilleure intelligibilité des questions sociales ainsi que d’interventions directes ou indirectes sur des situations qui posent problème. Cette position particulière, aux confins d’univers distincts et au carrefour de multiples champs de force, explique la fragilité institutionnelle de la MSH mais aussi son rôle essentiel dans les dynamiques de transformation sociale. Elle détient, en effet, un pouvoir par sa capacité à faire jouer des grilles d’équivalence entre des champs disjoints : la MSH est, de fait, une instance de légitimation3. C’est le cas au sein de l’université, entre les disciplines des SHS qui procèdent par des règles et normes internes relativement distinctes, entre SHS et disciplines des autres secteurs, habituées aux standards des sciences expérimentales, mais également entre le monde de l’Université et celui de la Société, souvent hermétiques l’un à l’autre. Sans cette intervention largement symbolique, les rapports entre les recherches en SHS et entre les recherches et la société sont fortement hiérarchisés, les relations éventuelles risquant d’être asymétriques et à finalités utilitaristes.
5A partir de cette position de médiateur et avec cette double opération de légitimation, la MSH peut être considérée comme un acteur essentiel du système d’innovation sociale. Il s’agit moins de faire face à des situations-problèmes que de participer en tant qu’acteur à part entière des processus et des dispositifs qui transforment la société. Parmi les modèles d’innovation sociale, le modèle de la Triple hélice (Etzkowitz et Leydesdorff, 2000) permet de prendre en compte les relations entre l’université et le monde socio-économique, mais en y ajoutant les relations avec les pouvoirs publics par l’introduction d’une hélice pour la fonction gouvernementale. Les flux de connaissances s’inscrivent dans un mécanisme complémentaire de coordination sociale, en interaction avec les relations d’échange et les dispositifs de contrôle social.
Les pratiques de recherche partenariale dans les MSH
6L’examen des pratiques effectives qui sont à l’œuvre dans les MSH4 conduit à distinguer deux ensembles d’actions aux finalités et conduites différentes : le premier se situe en aval de la recherche, il correspond à ce que l’on regroupe habituellement sous le volet de la valorisation des résultats de la recherche, aux liens ténus avec le partenariat, alors que le second prend place dans la production de connaissances elle-même, in itinere, en associant des partenaires à tous les stades du processus.
7Les pratiques des MSH sur le registre de la valorisation sont diverses, en raison du large spectre des actions possibles et des positions propres à chaque MSH dans son contexte, et elles sont objets de discussions et de clivages marqués entre les chercheurs, entre les postures réceptives et volontaires d’un côté, la méfiance vis-à-vis des risques de marchandisation et d’instrumentalisation de l’autre. C’est d’abord la mise en circulation des résultats de la recherche en dehors des cercles académiques qui est pratiquée. Si on laisse de côté les opérations de mise à disposition passive, les méthodes et résultats de la recherche servent d’appui à un premier niveau de partenariat avec des acteurs externes. Dès lors que la perspective empruntée vise à donner accès à des ressources, la prise en compte des capacités des acteurs à identifier les informations pertinentes – relativement à leurs besoins et aux caractéristiques intrinsèques des informations – et à s’en saisir utilement dans leur dynamique d’action devient cruciale. Ce qui signifie qu’au-delà de la mise en forme par les spécialistes eux-mêmes dans une logique de vulgarisation, le rapprochement avec des acteurs impliqués est nécessaire. Les exemples sont nombreux dans les MSH de partenariats circonscrits avec des syndicats, associations, musées, collectivités locales, pour adapter les données à leurs milieux respectifs et travailler avec eux à l’appropriation des informations. On a l’impression que, par petites touches, les MSH cherchent par là à réinventer des formes d’université populaire.
8Sur un registre plus économique, le modèle dominant les dossiers de valorisation repose sur une logique de transfert, descendante, calée sur le mode de fonctionnement des sciences expérimentales dans lesquelles les résultats de la recherche, une fois établis et certifiés au sein de la communauté, peuvent circuler et donner lieu à divers usages, notamment marchands. Ce schéma est peu adapté aux SHS même s’il est parfois importé sans accommodation ni distanciation, et il est rarement conduit à son terme. Aux problèmes d’identification des apports nets des recherches qui réfrènent les velléités de protection de la propriété intellectuelle et de dépôt de brevet s’ajoutent les réticences de nombreux chercheurs en SHS à s’aventurer du côté des marchés et de l’entrepreneuriat – sans compter la complexité des dispositifs de maturation-valorisation des organismes et des régions ni leur faible réceptivité aux SHS. Quelques réalisations sont toutefois à noter, non en termes d’invention qui devient marchandise, mais de valorisation d’une méthode (citons la gestion des ressources humaines ou l’évaluation des politiques publiques) mise au point par les équipes, souvent avec une coopération disciplinaire entre SHS et d’autres domaines, notamment les sciences de l’informatique et de l’analyse des données, ou cherchant un statut à même de préserver l’autonomie des chercheurs dans leur confrontation au monde économique (type SCIC, société coopérative d’intérêt collectif ou SCOP, Société coopérative et participative). Ce peut être l’occasion d’associer des partenaires initiés à ces pratiques ou intermédiaires entre les mondes marchands et non-marchands (associations de consommateurs ou d’usagers, organismes de la culture…) Les exemples sont aussi rares que remarquables, ils mettent en lumière une caractéristique importante des SHS dans leurs rapports aux usages sociaux, celle de la dilution de résultats de la recherche publique, relevant d’un bien commun, dans un entrelacs de réseaux de diffusion de l’information dans lequel les nœuds stratégiques sont occupés par des intermédiaires qui transforment ces ressources publiques en biens privés.
9Un portefeuille d’activités des MSH, celui de l’expertise, prend place entre les actions de valorisation des résultats de la recherche qui provoquent quelques partenariats limités et dispersés, sans véritables références et de nature plutôt expérimentale, et les actions de partenariat proprement dites, basées d’emblée sur une coopération réfléchie et construite intentionnellement entre des acteurs de l’Université et des acteurs de la Société. Sur le registre de l’expertise, les actions mettent en relation une situation sociale et une ressource universitaire, mais à l’initiative de l’un des partenaires seulement et de façon temporaire. Les sollicitations qui parviennent aux MSH sont fréquentes et diverses, en provenance des médias d’information, des organismes publics, des entreprises ou des associations ; leur formulation est le plus souvent vague et générale (« on recherche un-e spécialiste des USA » ou « un-e chercheur-se en mesure de présenter à l’équipe de direction les démarches de prospective »). Elles sont presque exclusivement tournées vers l’identification d’une personnalité singulière, fiable sur le fond mais surtout en accord étroit avec les canons de la structure demandeuse, du point de vue de la communication et de la capacité à répondre précisément à la commande. La fonction d’intermédiation des MSH est ici cruciale avec une double dimension.
10De la part de la MSH, il y a des précautions à prendre et une assurance à fournir pour éviter les mises en relation hasardeuses entre un-e spécialiste de SHS et une situation sociale à enjeux, qui consiste à passer des savoirs individuels aux savoirs collectifs, et des savoirs académiques aux savoirs éprouvés. Sur le premier point, il s’agit non seulement de combiner des résultats de recherche ou des perspectives complémentaires entre disciplines des SHS, voire d’autres secteurs, mais aussi de garantir un contact permanent avec le domaine de la science par la présence de scientifiques dans les moments d’interaction sociale. Sur le deuxième point, le passage est délicat pour amener des savoirs académiques, dont la validité et la robustesse ont été attestées par les procédures internes entre pairs, à un statut de savoirs socialement utiles, en situation, sans perte des ingrédients qui font leur scientificité. C’est la mise à l’épreuve qui permet ce passage, par la confrontation à de multiples situations concrètes, par une transcription adaptée aux catégories de la pratique. Là aussi le dispositif d’intermédiation et de légitimation que constitue une MSH est à même de tenir un rôle indispensable à la valorisation de la recherche en SHS. Les dispositifs concrets prennent forme de répertoires de compétences, annuaires ou registres thématiques, et d’accompagnement depuis les phases de formulation des besoins en rapport avec les ressources, jusqu’à la contractualisation effective et, si possible, jusqu’à l’évaluation de la démarche. Une expertise réussie est en effet une première pierre posée pour la construction de relations partenariales plus ambitieuses.
11Venons-en au cœur de la recherche partenariale, celle qui est entièrement construite entre des acteurs de la Société et de la Recherche, dans une démarche de co-production. Les motivations ne sont pas identiques, les représentations sociales et les intérêts sont le plus souvent très différents, aussi la démarche n’est-elle en rien spontanée et nécessite une attention et une ingénierie particulières. Les chercheurs y voient une source d’informations de première main, originales et actualisées, et des terrains d’expérimentation de leurs théories ou de modèles conçus en laboratoire ; dans certains cas, les objectifs sont plus généraux et concernent leur rôle dans les processus de transformation sociale. Les acteurs sociaux partent de leurs besoins concrets, d’une difficulté de fonctionnement ou d’une perspective de développement, en tous cas d’un franchissement d’obstacle pour lequel ils souhaitent accéder à des ressources externes, notamment du côté de la recherche en SHS5 lorsqu’il s’agit de questions d’organisation et de méthode. Pour eux aussi, un niveau plus général peut motiver la prise de contact avec la recherche, pour attirer les équipes sur leur domaine et bénéficier de travaux universitaires, pour « enligner la recherche sur leurs préoccupations » selon l’expression de Dumais (2011). On prend la mesure des distances qui séparent ces deux plans qui, de plus, sont loin d’être homogènes. Les dépasser suppose la possibilité d’une acculturation croisée, que les chercheurs soient en mesure d’entendre les préoccupations des acteurs sociaux formulées dans leurs propres termes et réciproquement, et la volonté partagée d’un rapprochement.
12La rencontre suppose un cadre et un accompagnement que fournissent les MSH pour permettre de travailler de conserve dans la durée, pour effectuer les opérations élémentaires de traduction, déplacer les manières de mettre en problème et en protocole scientifique les considérations pratiques, expliciter les normes de jugement, formuler les résultats de la recherche afin que chaque catégorie d’acteurs puisse se les approprier en référence à son cadre d’action (Aschieri, 2020). Dans les pratiques des MSH, les prestations de service bâties à partir des plateformes technologiques (production et gestion de données numériques, statistiques, géomatiques…) servent souvent de point d’entrée pour des collaborations de plus grande envergure. Les dispositifs sont alors conçus de manière contingente, ad hoc ; ils sont réalisés pour répondre aux singularités de chaque montage de recherche partenariale – selon la situation des partenaires, le caractère plus ou moins privé/public des informations et des résultats de recherche, les perspectives de valorisation, etc. L’inscription dans une convention-cadre pluriannuelle et multipartenariale permet d’inscrire les coopérations dans la durée en gardant une grande latitude d’adaptation selon l’évolution des relations par la rédaction d’un programme d’actions annuel. Les moyens alloués par les MSH sont souvent significatifs pour des résultats hétérogènes, aussi la capitalisation de ces expériences, tout spécialement au plan méthodologique, revêt-elle un caractère obligé. L’enjeu principal, relativement à la contribution des MSH au développement des recherches partenariales, tient à leur capacité à accompagner les demandes spontanées des acteurs sociaux, fréquentes mais le plus souvent limitées, vers des dispositifs plus ambitieux : passer d’interventions cliniques de résolutions de problèmes ponctuels à des démarches de recherche plus larges sur les processus de développement des organisations concernées.
13Dans l’identification des acteurs sociaux susceptibles d’entrer en recherche partenariale, deux champs méritent une attention particulière : celui des organismes qui relèvent de l’État, au sens large, et celui qui correspond aux acteurs peu ou pas organisés, à l’instar des populations vulnérables. Pour ce qui concerne les pouvoirs publics, les sollicitations sont nombreuses et en pleine croissance, du fait de besoins décuplés d’appuis pour éclairer la décision publique, et les collaborations sont effectives, sur un domaine où les acteurs des deux plans partagent un statut de droit public et une logique d’action tournée vers l’intérêt général. La contribution des résultats de la recherche à l’élaboration, la conduite et l’évaluation des politiques publiques a fait l’objet de relances périodiques, notamment avec les approches dites evidence based policies qui formalisent l’usage systématique des données objectivées et des résultats de la recherche pour fonder les choix publics. Si le caractère systématique et normatif du rôle de la recherche pour la décision publique est aujourd’hui fortement atténué, reste l’apport de ces travaux pour aider les acteurs publics à décider « en connaissance de cause ». En pratique, les collectivités territoriales sont au premier rang des démarches et les équipes de recherche bien disposées à l’égard de ces partenaires de proximité, financeurs récurrents des équipes par ailleurs et porteurs de questions socio-politiques diverses et situées. Le conseil scientifique du Réseau national des MSH a placé ce type de coopération au premier plan des objectifs de développement de la recherche partenariale à partir des MSH (Gaudin, 2017).
14Le deuxième ensemble d’acteurs que l’on peut distinguer ici pour éclairer les particularités de la recherche partenariale dans les MSH concerne les personnes non organisées et éloignées des centres universitaires comme des lieux de pouvoir, que l’on peut regrouper dans la catégorie des populations vulnérables. Les partenaires sont des structures associatives qui prennent en charge des personnes en difficulté ou en grande précarité (Emmaüs, ATD Quart Monde, etc.) L’enjeu principal relève de la difficulté à travailler dans des milieux où règnent la misère et l’exclusion, au nom desquelles s’érigent souvent des porte-parole qui peuvent former des obstacles à la recherche partenariale, en arrivant à considérer les personnes concernées comme des détenteurs de savoirs, mais aussi comme des acteurs à part entière (ATD Quart Monde, 2006). Ces situations sont éclairantes des emboitements d’échelle, tant les situations individuelles requièrent des solutions singulières et rapides, sans illusion sur les solutions réelles relevant de transformations des conditions sociales qui produisent ces situations. Quelques opérations sont notées sur le terrain mais en nombre restreint et avec des ambitions limitées, cherchant notamment à regrouper une offre de services directs en direction de tous les acteurs du territoire6, mais tout spécialement de ces populations (cours de FLE en direction des migrants, éducation à la santé, etc.)
15Enfin, une remarque symétrique à la diversité des partenaires est relative aux positions des différentes disciplines des SHS, distinctes en raison de leurs méthodes et usages de la démarche scientifique, mais aussi de leurs pratiques de recherche en lien avec les milieux socio-professionnels. Certaines disciplines des SHS ont des pratiques facilitées pour telle ou telle démarche, tel ou tel dispositif – on peut penser aux sciences de gestion ou à la sociologie des organisations pour une familiarité plus grande avec les démarches cliniques, au droit dans sa maitrise des questions de propriété ainsi qu’aux branches de l’économie et de la psychologie orientées sur le comportement du consommateur pour les situations de recherche-développement. Les chercheurs de ces disciplines déjà aguerris aux coopérations ont un rôle de passeurs entre la recherche et la société, ils aident leurs collègues à appréhender les particularités des codes des partenaires et rassurent ces derniers par leurs discours et postures qui attestent d’une proximité avec le « monde réel ». Enfin, il faudrait réserver un temps pour aborder la position des arts et des lettres, régulièrement impliqués dans des démarches partenariales en lisière des disciplines universitaires, par le biais du design ou des études civilisationnelles ; mais leurs pratiques de recherche relevant plus fréquemment de la création, la nature même des partenariats est différente et supposerait un traitement particulier.
16En guise de conclusion, relevons que l’observation des pratiques dans les MSH met en lumière une profusion d’opérations qui concernent la recherche partenariale, mais que ces expériences ne s’inscrivent pas dans un schéma unifié qui permettrait à la fois d’en capitaliser les acquis, de les valoriser dans le champ académique, en les soumettant à évaluation et discussion, et de les transmettre en améliorant la méthodologie et les dispositifs. Elles montrent concrètement comment la recherche en SHS fonctionne dans ses rapports à la société, sur un mode interdépendant, étant elle-même un sous-ensemble social qui étudie des phénomènes avec lesquels elle est en relation, par tout un faisceau d’interactions dynamiques. La recherche partenariale constitue une mise à l’épreuve des démarches des équipes de recherche dans un raccourci saisissant entre, d’un côté, leurs modélisations et protocoles, et de l’autre des réalités sociales filantes et changeantes. La prise en compte des rapports de force et des hiérarchies qui déterminent la formulation des questions, l’acculturation et le respect des positions de chacun, ainsi que le devenir des résultats de recherche, en partie appropriés et en partie versés dans le bien commun des connaissances, nécessitent une réflexivité et une analyse critique renforcées de la part des acteurs de la recherche. Sur tous ces points, les MSH et leur réseau national occupent une position d’avant-garde et sont en mesure d’en formaliser collectivement les acquis pour promouvoir la recherche partenariale en pratique avec une indispensable exigence critique.
Notes de bas de page
1 Pour une analyse globale des particularités des recherches en SHS, voir Jacques Commaille et Françoise Thibault (dir.), Des sciences dans la Science, Paris, Collection Athéna, 2014.
2 Voir supra le texte de Jacques Commaille qui traite de ce sujet en prenant appui notamment sur les Science and Technology Studies (STS).
3 La propriété principale du champ intellectuel, pour Bourdieu (2016), correspond à l’absence d’instance de légitimité.
4 La présente section prend appui sur les travaux que nous avons conduits en 2018-19 pour le Réseau national avec les chargés de valorisation des MSH.
5 Les acteurs sociaux ont plus fréquemment recours à des conseils privés, dont les agences ont l’avantage de la réactivité et de la pratique contractuelle ; elles disposent aussi d’un panel de situations traitées qui fournissent une base comparative éclairante pour les commanditaires.
6 On pense à une ébauche de Community Services en vigueur sur les campus nord-américains.
Auteur
Directeur (2012-2017) puis membre du comité scientifique de la MSH de Dijon, professeur émérite au Centre d’Economie et de Sociologie appliquées à l’Agriculture et aux Espaces Ruraux (CESAER), Agrosup Dijon.
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