Préambule
p. 9-11
Texte intégral
1La présentation des Maison des Sciences de l’Homme déroulée dans les pages qui suivent, de leur évolution et de leur place actuelle en France, arrive au moment opportun.
2Il est en effet aujourd’hui nécessaire de reprendre à nouveaux frais la réflexion sur le rôle des MSH, à l’heure où l’on constate plus que jamais le besoin de renforcement d’une réflexion critique sur le fonctionnement de nos sociétés, alors que dans une logique inverse le secteur des SHS sensé porter cet effort a subi depuis de longues années un affaiblissement, ou du moins une marginalisation, du fait, entre autres, de la sous-estimation récurrente dont il a fait l’objet de la part des politiques publiques.
3Moment opportun aussi parce que notre système universitaire et de recherche connaît une profonde évolution depuis quinze ans, à la fois sous l’effet du renforcement des appels à projets, au niveau français comme européen, et surtout de l’évolution du paysage universitaire vers des universités et des sites plus importants, plus regroupés, plus visibles, plus aptes à se doter d’une stratégie propre, à en développer les instruments et à mieux se situer, en lien bien sûr avec les organismes nationaux de recherche, dans le contexte national, européen et international. Ces universités ou regroupements sont le plus souvent multidisciplinaires et ont une politique de recherche qui inclut les SHS, et doit donc inclure les MSH. Ces évolutions, dont toutes les conséquences n’ont peut-être pas encore été mesurées par les différents acteurs de la recherche en France, imposent de repenser la place des SHS, et des MSH qui en sont un des principaux instruments, dans le paysage scientifique. Les analyses et constats qui sont faits ici par les meilleurs connaisseurs et spécialistes des Maisons des Sciences de l’Homme permettent de poser un certain nombre de questions ; des réponses qui leur sont et seront apportées sur les sites résultera sans nul doute un nouvel élan des MSH et un apport renouvelé au développement des SHS dans les politiques de site comme dans les politiques nationales de recherche, partant un apport nouveau à la société.
4On est frappé, à lire les missions confiées aux Maisons des Sciences de l’Homme dès le lancement par Fernand Braudel en 1963 de la première MSH, puis lors de la première phase de développement des maisons sur le territoire, à partir de 1997, par leur actualité : hébergement de services techniques pour l’ensemble des communautés de recherche en SHS, développement de la pluridisciplinarité et de l’interdisciplinarité, développement des réseaux internationaux des SHS, médiation de la science et développement de projets partenariaux et citoyens avec les collectivités, associations, entreprises… Si, dans tous ces domaines les MSH ont bien été pionnières, aujourd’hui l’ensemble des acteurs de la recherche, dont au premier chef les universités, partagent ces objectifs, ce qui nous conduit collectivement à remettre sur le métier les spécificités des MSH comme y invitent les réflexions rassemblées dans cet ouvrage.
5La première de ces missions était, pour Braudel, de regrouper et d’héberger des services techniques en appui aux SHS sur un même site. Services informatiques, documentaires, éditoriaux. Cette mission est devenue plus importante encore avec le développement des très grandes infrastructures de recherche SHS (Progedo et Huma-Num) dont les antennes sont généralement implantées dans les MSH. L’essor des outils informatiques en SHS a conduit les laboratoires à se doter également d’outils, tandis que les services informatiques des universités se sont développés et diversifiés. Ces constats impliquent que soit menée, au niveau des universités et avec leurs partenaires, une réflexion sur la bonne répartition et la bonne coordination des moyens d’appui à la recherche en SHS.
6L’offre de services documentaires ou d’édition a été, quant à elle, entièrement transformée depuis la création des premières MSH. Qu’elle soit papier ou numérique, l’édition d’ouvrages et de revues de recherche, quand elle ne reste pas circonscrite au niveau du laboratoire (ce qui est de moins en moins le cas) est maintenant souvent opérée par des services dédiés, des presses universitaires par exemple, qui sont parfois situés dans les MSH. L’appui à l’édition numérique peut également être assuré, en tout ou en partie, par les bibliothèques universitaires, même si quelques MSH ont développé des pépinières de revues ces dernières années ; et la très grande majorité de la documentation SHS est située dans les services de documentation, centralisés et distribués, des universités ou parfois des sites. Dans ce paysage plus dense et très divers selon les territoires, la place spécifique que pourraient ou devraient tenir les MSH est ainsi à repenser et préciser.
7La mission, déjà chère à Braudel, de développement de la pluridisciplinarité entre « sciences de la culture » (selon l’expression de Jacques Commaille) a été dès 1997 confiée – ou confirmée – aux MSH qui se créaient alors, mission à laquelle est depuis quelque temps venue s’ajouter celle de développer l’interdisciplinarité entre sciences de la culture et sciences de la nature. Ces deux missions, particulièrement soutenues par les politiques de recherche de ces dix dernières années, sont devenues des objectifs prioritaires de l’ensemble des sites universitaires et les moyens, outils, lieux consacrés par les universités à l’atteinte de ces objectifs sont multiples – particulièrement dans les grands sites universitaires qui ont pu bénéficier du label Idex ou Isite. Les MSH se retrouvent là encore inscrites dans des ensembles parfois complexes mais dont l’articulation est indispensable.
8On pourrait faire le même constat concernant tant le lien avec les partenaires extérieurs, collectivités, associations, entreprises, que le développement des réseaux internationaux – le local et le global, souvent synthétisés dans le néologisme « glocal ». La tension entre l’inscription au niveau local et l’inscription au niveau global de la recherche universitaire et l’exigence renforcée adressée à la science en général de démontrer sa pertinence sociale, sont des évolutions auxquelles sont confrontées les universités dans leur ensemble, comme les organismes de recherche d’ailleurs, et ceci pour l’ensemble de leurs disciplines et non pour les seules SHS. Les universités ont développé des politiques de médiation, de diffusion de la science. Certaines ont mis en place des dispositifs de science participative menés en coopération avec les collectivités (villes, métropoles, départements, régions) ou avec les entreprises. La coordination de ces actions pour les SHS repose aujourd’hui souvent sur une diversité d’acteurs et il est sans nul doute intéressant de situer au mieux le rôle spécifique que les MSH jouent ou peuvent jouer à cet égard sur chacun des sites.
9Il en est de même sur le volet de l’internationalisation : chaque université a en effet développé une politique internationale consistant à privilégier des zones géographiques et culturelles et/ou des thématiques et tente de mettre en place, parfois avec le soutien du programme AGIR du RFIEA, des dispositifs d’aide au dépôt de projets internationaux (ERC par exemple). Le rôle que devraient/pourraient jouer les MSH dans ce cadre gagne évidemment fortement à être pensé en lien avec ces différents dispositifs.
10Ces quelques réflexions, inspirées par le riche tableau qui suit, m’amènent à penser que le rôle principal des MSH dans les années à venir, ou plutôt leurs deux rôles principaux, pourraient bien être celui d’incubateurs, et celui d’agents de liaison : incubateurs de projets SHS entre labos SHS ou entre labos SHS et autres labos du site, qui pourraient s’appuyer sur les forces d’ingénierie idoines, qui ne pourraient pas se faire ailleurs ou sans ces forces, incubateurs de projets de jeunes chercheurs difficiles à développer dans d’autres cadres, peut-être avec des prises de risques, creusets d’innovation, lieux de réflexion et de débat sur la pluri et l’interdisciplinarité, laboratoires expérimentaux, mais aussi lieux d’appui pour les communautés SHS permettant aux chercheurs de se saisir des différents instruments locaux ou nationaux, voire européens et internationaux à leur disposition, lieux où pourrait se penser la coordination de ces différents moyens dans un site donné, par exemple.
11Quelles que soient les voies choisies sur un site pour développer au mieux les potentialités des MSH – et elles peuvent différer en fonction du site, de l’université, ou de la MSH elle-même, selon son histoire et sa constitution propres –, elles ne pourront l’être sans une véritable implication des universités dans leur gouvernance, en relation avec le CNRS, et sans une véritable prise en compte par les MSH de la politique du site – d’autant que plus de deux tiers des laboratoires SHS français sont, on le sait, des laboratoires purement universitaires qui n’ont pas toujours été pris en compte par l’ensemble des MSH (sciences humaines, arts, lettres, langues, spécifiquement). La nouvelle charte, produit d’un travail commun entre la CPU et le CNRS, réalisée dans le cadre de l’alliance Athéna avec la participation des directions des MSH, témoigne d’une véritable volonté d’ouverture à la politique de site. Le renouvellement de la gouvernance du Réseau national des MSH, si précieux pour l’échange d’expériences et de réflexions au niveau national, constitue sans nul doute un bon moyen de faire vivre la diversité tout en servant cette combinaison d’exigences indispensables au déploiement de l’ensemble des sciences humaines et sociales.
Auteur
Conseillère recherche SHS et science ouverte de la CPU
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