L’Encyclopédie Méthodique des passions au début du xixe siècle
p. 35-56
Texte intégral
1Les passions sont de toutes les époques historiques et donc de l’époque moderne. Même chose, peu ou prou, pour le discours sur les passions1. Mais à la fin de l’époque moderne celui-ci va prendre un tournant qui peut s’apparenter à une rupture épistémologique. Discours moral, voire moralisant pour ne pas dire moralisateur – effet de la Réforme et de la Contre-Réforme – il va devenir médical et même tout simplement thérapeutique.
2Notre point de départ nous est donné par cet instrument lexico-bibliographique du temps initial de la crise de la conscience européenne: le Dictionnaire universel, Contenant tous les Mots François tant vieux que modernes, & les Termes de toutes les Sciences et des Arts […], de Furetière. En son tome III de 1690 édité aux Pays-Bas, la quatrième entrée de l’article PASSION, celle de l’acception morale de ce mot se termine par ces lignes de références: «Voyez l’Abrégé de Gassendi, & sur tout Monsieur Descartes, qui a fait un beau Traité des Passions d’une manière physique. Coeffeteau a fait le Tableau des Passions; La Chambre, les Caractères des Passions; le Père Senault, l’Usage des Passions». Ainsi, entourant Descartes et son traité des passions de l’âme valorisé, nous avons quatre auteurs d’ouvrages sur lesdites passions datant d’une, voire de deux générations d’avant celle de la crise de la conscience européenne à l’époque de laquelle se situe – comme déjà dit – le Dictionnaire de Furetière. En suivant la chronologie ces cinq ouvrages sur les passions s’ordonnent de la manière suivante:
1620: Tableau des Passions humaines, de leurs causes, et de leurs effets du Père Coeffeteau (1574-1623).
1640-1662: Les Charactères des Passions du Docteur Cureau de la Chambre (1594[?]-1669).
1641: De l’Usage des Passions du Père Senault (1599[?]-1672).
1649: Les Passions de l’Âme de Descartes (1596-1650).
1674: Abrégé de la Philosophie de Mr. Gassendi du Docteur Bernier (1620-1688)2.
3Quelle belle base pour le travail des Lumières que ces cinq ouvrages! Ne leur fournissent-ils pas, en effet, diverses typologies des passions et une double approche de celles-ci: celle de religieux, les Pères Coeffeteau et Senault, chargés ès-qualité de la morale, et celle de médecins, De La Chambre et Bernier, plus portés vers des explications physiologistes des passions. Tous ayant en commun la même finalité, la seule qui vaille dans et pour la société chrétienne: la finalité morale de la maîtrise des passions. Car suivre ou même seulement s’abandonner à des passions, c’est non seulement entrer dans le désordre individuel et social, être un «mauvais sujet», mais aussi et surtout hypothéquer l’avenir dans l’Au-delà par le péché, et donc son Salut. D’ailleurs, en ôtant simplement la dimension chrétienne, l’organe des Lumières éclatantes ou rayonnantes qu’est en quelque sorte l’Encyclopédie reste dans cette perspective de la finalité morale de la maîtrise des passions. En effet, après avoir posé une typologie de celles-ci, la partie «II» de la première entrée de l’article «PASSIONS (Philos. Logique, Morale.)» – sans doute de Jaucourt – conclut en prônant leur modération par la raison3.
1. La morale des passions: inventaire des articles PASSION/S du «Dictionnaire de Logique, Métaphysique et Morale» de l’Encyclopédie Méthodique.
4Qu’en est-il, une génération plus tard, pour les Lumières fulminantes, celles de l’Encyclopédie méthodique, avec ses multiples dictionnaires correspondant à autant de champs scientifiques ou disciplinaires? Nous l’allons voir à partir d’un inventaire – ô combien perfectible! – de quelques «Dictionnaires» de la Méthodique:
1788: Dictionnaire de «Logique et Métaphysique», T. II, pp. 92G1 => 105D4: «PASSION, s.f., «Explication particulière de tous les changemens qui arrivent au corps & à l’âme dans les passions».
1791: Dictionnaire de «Logique, Métaphysique et Morale», T. IV, pp1G41=>21D144: «PASSIONS, s. f.».
1793/4 (= «An II»): Dictionnaire de «Philosophie ancienne et moderne», T. III: dirigé par Naigeon, il ne contient pas d’article «PASSION/S».
1797: Dictionnaire d’ «Art militaire», T. IV de «supplément», pp. 806G20 => D11: «PASSIONS».
1824: Dictionnaire de «Médecine. Contenant: 1°. L’Hygiène. 2°. La Pathologie. 3°. La Séméiotique & La Nosologie. 4°. La Thérapeutique ou Matière médicale. 5°. La Médecine militaire. 6°. La Médecine vétérinaire. 7°. La Médecine légale. 8°. La Jurisprudence de la Médecine & de la Pharmacie. 9°. La Biographie médicale, c’est-à-dire, les vies des Médecins célèbres, avec des notices de leurs ouvrages», T. XI, pp. 413D14 => 422G29: «PASSIONS, s. f. pl. (Physiolog., philosophie.)»; T. XI, pp. 422G30 => 435D49: «PASSIONS (Médecine pratique & Hygiène)».
5Cet inventaire nous donne bien deux grands groupes de «PASSION/S». Suivons l’ordre chronologique et examinons d’abord celui du dictionnaire de «Logique, Métaphysique et Morale» de 1788-1791, c’est-à-dire de l’époque pré- et primo-révolutionnaire, d’avant les mutations radicales initiées en l’An II/1793-4. L’article «PASSION», sans S5, de Lacretelle l’aîné6 comprend quatre points ayant chacun un titre en italique. Les voici, donnés les uns à la suite des autres pour avoir une vue d’ensemble et essayer d’en percevoir la logique:
«[1] Explication particulière de tous les changemens qui arrivent au corps & à l’âme dans les passions. [92G1 => 96D6].
«[2] Que les plaisirs & les mouvemens des passions nous engagent dans l’erreur au regard du bien, & qu’il faut y résister sans cesse. Manière de combattre le libertinage. [96D7 => 99D42].
«[3] Des passions en particulier, & en général de la manière de les expliquer, & les erreurs dont elles sont la cause [99D43 => 102D3].
«[4] Que toutes les passions se justifient, & des jugemens qu’elles font pour leur justification. [102D4 => 105D4]».
6Explicitation. Le point 2 nous confirme que cet article analytique7 de la PASSION au singulier considère les «passions» dans la perspective de la finalité traditionnelle, voire traditionaliste chrétienne de tout traité des passions: leur maîtrise pour notre Salut. Preuve de cela: cette phrase de la conclusion de ce point 2, quasi-pascalienne:
Il est clair, par les choses que nous venons de dire, que l’objet de nos passions n’est point notre bien: que nous ne devons en suivre les mouvemens, que pour la conservation de notre vie: que le plaisir sensible est à l’égard de notre bien, ce que nos sensations sont à l’égard de la vérité; & que de même que nos sens nous trompent touchant la vérité, nos passions nous trompent touchant notre bien: que l’on doit se rendre à la délectation de la grace; parce qu’elle nous porte avec évidence à l’amour du vrai bien, qu’elle n’est point suivie des reproches secrets de la raison, comme l’instinct aveugle & le plaisir confus des passions8.
7Les «sens, sensations» et, sans doute, tout ce qui renvoie à ce qui ne relève pas de la raison et de la grâce est condamnable et condamné. Sauf l’instinct de survie; quand même!
8Pour ce qui est des trois autres points qui encadrent ce point 2, ils constituent en quelque sorte une analyse phénoménologique des passions.
9Le 1 expose la nature des passions et leur étiologie physiologique. Elles sont constituées de «sept choses»: 1/ du regard que chacun porte sur un objet ou sur un être; 2/ du mouvement d’approche ou de rejet vis-à-vis de cet objet ou de cet être; 3/ du sentiment d’amour ou d’aversion à l’égard de cet objet ou de cet être; 4/ d’un trouble physiologique; 5/ d’un trouble psychologique; 6/ du sentiment né de ces troubles; 7/ du sentiment de satisfaction de s’abandonner à sa passion, y compris dans la haine.
10Et elles ont pour explications anatomo-physiologique – empruntées aux auteurs du xviie et en particulier à Descartes et à Gassendi via Barbier – l’ébranlement du cerveau et du cœur à la vue de l’objet passionnant, qui déclenche le mouvement des «esprits animaux [qui] en se répandant dans les nerfs qui vont au foie, à la rate, au pancréas, & généralement à tous les viscères, les agitent & les secouent, & expriment par ces agitations les humeurs que ces parties conservent pour les besoins de la machine»9.
11Le point 3, quant à lui, constitue le passage obligé de tous les traités des passions: leur inventaire. Où Descartes en voyait six primitives (art. 69): l’admiration, l’amour, la haine, le désir, la joie et la tristesse, Lacretelle l’aîné n’en compte plus que trois: le désir, la joie et la tristesse auxquelles toutes les autres «se peuvent rapporter». «Car les mots d’espérance, de crainte, de hardiesse, de peur, de honte, d’impudence, de colère, de pitié, de moquerie, de repentir, de regret, enfin les noms de toutes les autres passions, sont dans l’usage ordinaire des abregemens de plusieurs termes, par lesquels on peut expliquer en détail tout ce que les passions enferment»10.
12Quant au point 4 de cet article PASSION, il est consacré à ce qui justifie la réprobation des passions; à savoir leur perfidie qui fait que toute passion s’auto-justifie et tend ainsi à se continuer. Et Lacretelle l’aîné de prendre comme exemple l’amour. Mais l’amour de quoi? On pourrait s’attendre à l’amour de l’autre sexe. Non! C’est l’amour du savoir, l’amour des mots, l’amour de la langue, l’amour des sciences, l’amour de l’érudition que dénonce Lacretelle l’aîné. Tous ces amours, tout cet amour n’aboutit à rien sinon qu’à une immense vanité fondée sur la reproduction de lui-même. Ce qui amène les lignes suivantes qui synthétisent la conception des passions de notre auteur: produits trompeurs de mécanismes anatomo-physiologiques.
Les passions ne corrompent pas seulement l’imagination & l’esprit en leur faveur elles produisent encore dans le reste du corps toutes les dispositions nécessaires à leur conservation. Les esprits [sous-entendu animaux] qu’elles agitent ne s’arrêtent pas dans le cerveau, ils se répandent, comme j’ai dit ailleurs [voir page précédente], dans toutes les parties du corps, dans celles dont les mouvemens sont visibles, & dans celles qui donnent la vie & la nourriture à toutes les autres, par des mouvemens invisibles. Ils se répandent principalement dans le cœur, dans le foie, dans la ratte [sic], & dans les nerfs qui environnent les principales artères. Enfin ils se jettent dans les parties telles [= quelles?] qu’elles soient, lesquels peuvent fournir les esprits nécessaires à la conservation de la passion qui domine. Mais lorsque ces esprits se répandent ainsi dans toutes les parties du corps, ils y détruisent peu à peu tout ce qui peut résister à leurs cours & il y font enfin un chemin si glissant & si rapide que le plus petit objet nous agite infiniment, & nous porte par conséquent à former des jugemens qui favorisent les passions. C’est ainsi qu’elles s’établissent et se justifient11.
13Après cette présentation dénonciatrice des passions au tome 2, le lecteur peut se demander quel peut bien être, pour lui-même et l’auteur, l’intérêt de l’article PASSIONS du tome 4 de ce dictionnaire de «Logique et Métaphysique» devenu de «Logique, Métaphysique et Morale»? Réponse: peut-être enfoncer le clou de la malfaisance trompeuse des passions et donc de la nécessité de les maîtriser, ne serait-ce qu’en apparence! En utilisant pleinement l’instrument assumé de la «compilation» – déjà évoquée – d’auteurs de référence en matière d’analyse morale. De moralistes. Voici ce que cela donne dans le détail de cet article de Lacretelle de ce tome 4.
14Une introduction12. Qui est purement et simplement le copier-coller des quatre premières colonnes de l’article «PASSIONS (Philos. Logique, Morale.)» de l’Encyclopédie13, inventoriant les quatre grandes sources de passions:
« 1° Les plaisirs & les peines des sens»;
« 2° Les plaisirs de l’esprit ou de l’imagination»;
«3° L’amour de nous-mêmes»;
«4° Le bonheur ou le malheur d’autrui».
15Une première partie présentant les différents types de passions en cinq points:
[1] «Des passions qui tirent leur origine du corps»14.
[2] «Des passions qui ont leur source dans un tour, ou disposition particulière de l’imagination»15;
[3] «Des passions insociables, ou avec lesquelles il répugne au spectateur de s’associer 16;
[4] «Des passions, sociables, ou avec lesquelles s’associe volontiers le spectateur 17»;
[5] «Des passions qui se bornent à nous-mêmes, ou qui ont pour objet notre intérêt personne»18.
16En confrontant simplement les titres de ces cinq parties avec les quatre points de l’introduction, on voit que Lacretelle est quelque peu redondant dans sa typologie des passions. En fait, il semble que ladite typologie soit un passage obligé de la classification des passions: celles venant du corps; celles venant de l’esprit; celles venant des rapports positifs ou négatifs aux autres; celles venant de notre intérêt. C’est celle de l’Encyclopédie qui, peut-être, en est à l’origine. C’est celle aussi de l’autre source avouée de Lacretelle à la fin de ces cinq parties: «(Théorie des sentimens moraux)», c’est-à-dire la Théorie des sentimens moraux d’Adam Smith19 d’où viennent quasi mot pour mot et les titres et le contenu des 5 points énoncés ci-dessus. Ce sont ceux de l’introduction et des chapitres I, II, III, IV et V de la section II, «Des degrés où les différentes passions sont compatibles avec la convenance.»20, de cet ouvrage. Le sens général est celui du relativisme social des passions qui sont regardées «comme bien ou mal-faisantes, justement dans la proportion que les hommes sont plus ou moins disposés à sympathiser avec elles»21. Ce qui veut dire qu’elles ne sont plus malfaisantes en elles-mêmes. Entre le tome 2 (1788) et le tome 4 (1791 une laïcisation des passions s’est opérée; elles ne sont plus jugées mauvaises en fonction du salut chrétien, mais bonnes ou mauvaises en fonction de leur convenance sociale)22.
17Les deuxièmes et troisièmes parties sont plus traditionnelles, constituées d’aphorismes ou de maximes moraux empruntés à deux grands moralistes.
18La deuxième partie23 indique finalement comme source: «(Connoissance de l’esprit humain)», c’est-à-dire l’Introduction à la connaissance de l’esprit humain, suivie de Réflexions et de Maximes de Luc de Clapiers de Vauvenargues24. Précisément, Lacretelle l’aîné en recopie une partie du «Livre II. Des Passions»25. Et de celui-ci il retient soixante-sept aphorismes tirés de dix-huit têtes de chapitres non citées par lui26, en laissant de côté les trois dernières: «De l’Estime, du Respect, et du Mépris»; «De l’Amour des objets sensibles» et surtout; «Des Passions en général»27.
19Que tirer de tous ces aphorismes? Que les passions sont un donné de l’être humain qu’il faut prendre pour ce qu’elles sont: un ressort des actions humaines. Et Lacretelle l’aîné de reprendre de Vauvenargues la formule de «Loke» [sic]: «les passions roulent sur le plaisir & la douleur: c’en est l’essentiel & le fond»28, leurs variations venant simplement des différenciations entre les êtres humains, entre les individus. Leur malfaisance pour le salut de ceux-ci, oubliée! Les passions sont entrées dans le champ de la science de l’homme à construire.
20La troisième partie est constituée de tous les aphorismes du chapitre ou de la partie IV «Du Cœur» des Caractères de La Bruyère, livrés tels quels, sans numérotation29. Ce qui fait que les différents paragraphes d’un même aphorisme chez celui-ci deviennent avec Lacretelle autant d’aphorismes séparés; au lecteur de s’y retrouver, comme, par exemple, dans le long aphorisme sur le gouvernement de soi-même30. À la vue de l’ensemble de cet article «PASSIONS», cette reproduction du chapitre «Du Cœur» des Caractères du moraliste français par excellence de l’époque classique sert à traiter le sujet de la passion un peu laissée de côté jusque-là par ledit article; celle de l’amour. Ce qui veut dire que, visiblement, les affres et les extases de l’amour préromantique des Lumières de la seconde moitié du xviiie siècle ne semblent pas avoir touché Lacretelle l’aîné au point de le pousser à en faire l’analyse – même par morceaux choisis interposés, de Rousseau par exemple – dans le dictionnaire de «Morale» de la Méthodique dont il a la charge!
21Dans ces conditions et étant donné tout ce que nous en avons vu, la conclusion que le lecteur doit tirer de cet article «PASSIONS», n’est-elle pas dans cet aphorisme des Caractères recopié par Lacretelle l’aîné:
Toutes les passions sont menteuses, elles se déguisent autant qu’elles le peuvent aux yeux des autres, elles se cachent à elles-mêmes. Il n’y a point de vice qui n’ait une fausse ressemblance avec quelque vertu, & qui ne s’en aide31?
22Ainsi, les passions sont bel et bien entrées dans le champ de la science de l’homme, mais dans un bien mauvais état! Telle est la leçon dudit article du dictionnaire de «Logique, Métaphysique et Morale» de la Méthodique.
2. La science des passions dans le «Dictionnaire de médecine» de l’E.M.: inventaire analytique détaillé et usage thérapeutique.
23Avec le dictionnaire «Médecine» tout change. Les passions sont l’objet d’une autre approche; celle d’une science, à tout le moins d’un savoir qui veut au minimum rendre compte de cette réalité humaine essentielle qu’elles constituent. Sans aucunement se préoccuper des connotations, positive et surtout négatives, qui lui sont attachées. Les passions sont inhérentes à la condition humaine, peu importe pour quelle signification qui les transcende, mais de quelle manière, telle est la question. Question congruente au phénoménalisme des Lumières. Une fois répondu à cette question, vient l’autre question typique des Lumières: puisque les passions humaines sont là et bien là, qu’est-ce que l’on peut en faire qui puisse être utile à l’être humain et à l’humanité? Voilà ainsi posé les deux points de l’article PASSIONS32.
24D’abord, en faire un inventaire33. Dont la présentation nous est facilitée par le fait que l’auteur des deux entrées de cet article est le directeur-éditeur (au moins depuis 1821, si ce n’est depuis 1815) de l’ensemble du dictionnaire de «Médecine [etc.]», et l’auteur des entrées «MEDECINE MENTALE» et «MEDECINE MORALE»34 de l’article général «MEDECINE»: Moreau de la Sarthe35. Or, dans cette entrée «MEDECINE MORALE» se trouve une «Table synoptique des objets que comprennent la médecine morale et la physiologie des passions» – nous y voilà – qui nous livre son inventaire général des passions36. Voyons ce tableau ci-joint.
25Toutes les passions inventoriées sont réparties en trois grands groupes selon l’effet physio-psychologique dominant. Et chacun de ces grands groupes est analysé selon le plan suivant: une présentation des manifestations physiques et physiognomoniques37 d’une ou des passions du groupe considéré; une analyse de type médical des «signes volontaires» et surtout «involontaires» ou organiques des passions de chaque groupe; la mention d’une ou plusieurs œuvres d’art illustrant une ou des passions des divers groupes – manifestation de la formation et de la culture classiques des médecins de cette génération des Lumières fulminantes, autrement dit de l’époque de la Révolution.
26Voici ce que cela donne.
1/ Pour les «convulsives»38,
[Elles] se montrent, dans quelques cas, avec toutes les apparences d’une attaque de nerfs, d’un accès de délire ou de rage. La colère & la fureur, auxquelles cette remarque s’applique d’une manière particulière, sont toujours annoncées par des regards enflammés, par un œil étincelant, par la rougeur ou quelquefois par une pâleur effrayante de la face, par la décomposition & le renversement de tous les traits du visage.
27Voilà pour les manifestations physiognomoniques. Suit l’énoncé des signes organiques internes.
L’action du cœur & celle des muscles sont ordinairement augmentées dans le développement de ces passions, lorsque leur violence n’a pas dérangé l’équilibre des organes. Le cerveau est également excité, & devient capable de la plus violente réaction. Du reste, les signes volontaires sont en petit nombre: ce sont toutes les actions pour menacer, attaquer, combattre. Presque tous les autres signes sont indépendans de la volonté, & entièrement corporels & automatiques. Le cercle sous-orbitaire s’enfle, devient livide. Les muscles du nez, des joues, se gonflent aussi: la bouche demeure ouverte; les veines, les muscles du cou se dessinent & paroissent tendus. Les cheveux sont agités, en désordre 39.
28Quant aux œuvres d’art illustrant ces passions convulsives, Moreau de la Sarthe en donne cinq: le «Laocoon», «la tête du comte Eugolino par Reynolds» et trois tableaux du Poussin, la «Résurection [sic] d’une jeune fille au Japon, par saint François d’Assise», l’«Enlèvement des Sabines» et la «Femme adultère [sur lequel] l’homme placé derrière le Christ offre tous les traits de la colère»40.
2/ Dans les «oppressives»41,
on observe une angoisse plus ou moins vive, une grande oppression, la langueur ou le resserrement de la peau; la foiblesse ou la concentration du pouls; la décoloration de la face, l’alongemenr ou l’affoiblissement des traits du visage, en un mot tous les signes d’une diminution ou d’une concentration dans les forces vitales. Les signes involontaires, sans appartenir exclusivement à ces passions, y dominent, surtout dans l’affliction subite, dans la haine, la jalousie, dans l’inquiétude portée à son comble, afflictions qui, par la force de leur expression, se rapprochent des passions convulsives42.
29Et Moreau de la Sarthe de prendre comme exemple le personnage de Mithridate dans la tragédie éponyme de Racine, dont la jalousie «dissimulée & concentrée» se traduit par une «pâleur livide et sombre» du visage qui, à l’aveu de Monime, prend «des teintes les plus enflammées [par] le trouble, la fureur, le désespoir»43.
3/ Pour les «expansives»44, au premier rang desquelles «doivent être placées la joie & l’amour»,
les caractères généraux [en] sont l’afflux du sang artériel dans les vaisseaux capillaires du visage; l’épanouissement des traits; la contraction régulière & douce des muscles, qui augmente le diamètre transversal de la face. Nous devons faire remarquer d’une manière plus particulière, que les muscles zygomatiques ne jouent pas un rôle moins important dans l’expression de ces passions, que celui des muscles frontaux & sourciliers dans l’expression des passions oppressives45.
30Fait notable: c’est pour ce type de passions que Moreau de la Sarthe est le plus prolixe en illustrations artistiques46. Pour le mépris, le Christ à la colonne du Titien. Pour l’ironie, le jeu contemporain de Talma dans Nicomède de Corneille. Pour l’espérance, le Saint Jérome du Dominiquin et les Trois vertus théologales de Raphaël. Pour l’amour maternel, érigé donc en passion, la Sainte Famille, le Sommeil de l’enfant Jésus et la Madonna della Sedia de Raphaël, et le portrait de «la reine de Médicis» de Rubens47. Pour la compassion, la Mort de Saphyre du Poussin. Pour l’attention, l’Ecole d’Athènes de Raphaël et Saint Bruno prêchant la théologie à Reims d’Eustache Le Sueur. Pour la pudeur, la Sainte Famille de Raphaël et Suzanne aux bains de Jean-Baptiste Santerre. C’est dans ce développement sur la pudeur, sentiment manifestement élargi en passion48, que Moreau de la Sarthe livre des considérations ethnographiques sur la pudeur des «nègres» dont la peau subit alors «une diminution subite dans le ton noirâtre». La preuve en est donnée par le récit d’un «voyageur trop éclairé pour avoir été un observateur inexact et infidèle» racontant comment une esclave «Madegasse» [= Malgache] nommée Maria avait eu «son teint de jais» prendre une «nuance rougeâtre», quand sa pudeur avait été alarmée à dessein par la demande du voyageur de voir sa «gorge»49.
31La conclusion de cette partie inventaire est constituée par un refus et une proclamation. Le refus est celui de toute théorie voulant localiser un siège précis des passions, et en dernier lieu celle de Gall sur les localisations cervicales différenciées des passions. La proclamation est la suivante:
Les considérations qui viennent d’être exposées & la description rapide des principaux effets des passions sur l’organisation en général, & sur les traits du visage en particulier, forment, sans doute, la partie principale de l’histoire physiologique des passions. Ce qui concerne leurs causes & leurs sources diverses, leurs développemens, la liaison secrète qui en rattache le plus grand nombre aux besoins, aux penchans, aux dispositions intellectuelles ou primitives, aux spécialités [= spécificités] organiques, que l’on appelle des idiosynchrasies, appartiennent aussi à cette histoire50.
32Ce qui revient à confirmer explicitement que les passions sont des objets de science comme les autres et donc, à ce titre de réalités objectives, des instruments utiles à l’humanité.
33Ainsi, après avoir fait l’inventaire des passions en fonction de leurs manifestations physio-psychologiques, il convient de les connaître plus organiquement et, surtout, d’en voir leurs effets, utiles ou non. C’est l’objet de la deuxième entrée de l’article PASSIONS, la plus longue, vingt-sept colonnes contre dix-sept et demie51. Elles se divisent en quatre parties appuyées sur des observations cliniques au nombre de vingt-quatre, certes plus ou moins précises, mais des observations cliniques tout de même qui témoignent du triomphe de la clinique, puisque donc elle est présente dans un dictionnaire général de médecine.
34La première est un inventaire pathologique qui, en quelque sorte, prend la suite de l’inventaire analytique52. Dans le cadre de l’examen général de «l’influence réciproque des organes sur les passions & celle des passions sur l’état des organes»53, ladite première partie considère le premier sens de cette réciprocité; celui du physique sur le moral: l’influence des pathologies organiques sur les passions. Sont donc examinées successivement les influences suivantes propres à créer ou modifier les passions.
- Celle du tempérament, ou lymphatique, ou sanguin, ou bilieux sur la constitution des passions, le sanguin ayant des «passions vives» et le bilieux des «passions plus profondes», le mélancolique étant laissé de côté54.
- Celle du régime, Rousseau étant cité comme ayant eu «l’idée d’un régime qui aurait rendu la pratique de la vertu plus douce & plus facile» – idée réalisée «d’une manière péremptoire» pour «l’amendement des criminels» dans «les établissements philanthropiques de New-Yorck & Philadelphie»55.
- Celles, «habituelles & permanentes», du sexe, de l’âge, «du climat & des variétés nationales»56, tellement connues que Moreau de la Sarthe ne s’y attarde pas.
- Celle «des complexions héréditaires» morbides dont le sagace «M. Esquirol» a remarqué «avec raison» qu’elles sont à l’origine des troubles du comportement qui ont précédé «l’interdiction ou la réclusion» des aliénés57.
- Celle de certaines «dispositions accidentelles & passagères de l’organisation» dans lesquelles on trouve, dans l’ordre, l’hypocondrie, le spasme intestinal, les troubles passagers, la crise nerveuse, la grossesse, les maladies chroniques gastro-intestinales, la phtisie, la puberté et la menstruation, les changements climatiques, les médicaments et certaines substances, comme les «boissons aromatiques & spiritueuses, le café & le vin de Champagne, qui éveillent si doucement la pensée, & qui donnent tant de grâce, un mouvement si facile à l’imagination», et la fièvre créatrice58.
35La deuxième partie de cet inventaire pathologique s’occupe de l’influence inverse, celle du moral sur le physique, celle des passions sur l’organisme59. Elle peut s’exprimer en un seul mot: «commotions», «plus ou moins fortes, plus ou moins vives»60. Qui touchent différents organes, «le cœur, le diaphragme & les viscères de la région précordiale»61 ou d’ailleurs, plus ou moins fortement selon la nature physiologique de l’individu et la nature de la passion, convulsive, oppressive ou expansive. Ainsi «la colère & les passions convulsives en général, agissent principalement sur la circulation & sur l’état du foie»62, tandis que la joie, passion expansive, «augmente l’action des vaisseaux capillaires, la respiration cutanée, la force musculaire»63, alors que «la tristesse & les affections oppressives en général […] paraissent agir plus particulièrement sur les fonctions de la peau, sur la digestion & sur la nutrition, occasionnant, à la longue, le dépérissement et une langueur générale»64. Suit le tableau très sombre des pathologies organiques causées par ces passions oppressives – les plus mauvaises: «l’inflammation, l’engorgement du foie, du mésentère, du cœur, l’endurcissement, l’hépatisation des poumons, les adhérences à la plèvre, &c. &c.»65. Et Moreau de la Sarthe d’ajouter que «les passions, dont les effets sur les différents organes & sur leurs diverses fonctions sont si remarquables, n’exercent pas une influence moins puissante sur le cerveau lui-même et l’entendement»66. À preuve, les passions «qui se rapportent à des intérêts politiques ou religieux»67 qui suscitent l’enthousiasme produisant «un recueillement qui absorbe toute l’attention, tout l’intérêt, & qui suspend ainsi les rapports du cerveau avec les divers genres d’irritation ou d’impression externe ou interne»68. C’est par ce modèle de perturbation obsessionnelle du cerveau par une ou des passions que l’on peut expliquer à la fois toute création artistique et intellectuelle et l’aliénation mentale:
Ainsi, tantôt elles [ = les passions] absorbent, elles captivent exclusivement l’intérêt, de telle sorte que ce qui les concerne, devient l’objet d’une idée fixe, & tantôt elles brisent en quelque sorte pat leur véhémence & par la soudaineté de leur commotion [on retrouve le terme de départ pour désigner l’effet fondamental des passions], la chaîne des idées, affoiblissent, exaltent l’entendement, & occasionnent un état de stupeur plus ou moins grave ou un véritable délire69.
36Avec la troisième partie de cet inventaire organique le lecteur entre dans les considérations sur l’utilité des passions. Comme cette partie a un titre, donnons-le: «Des effets des passions relativement à l’hygiène et à la thérapeutique»70. Il indique clairement que les passions sont hygiéniques, puisque «la vie ne peut véritablement se soutenir sans l’ébranlement nerveux, sans l’excitement du cerveau, & sans l’augmentation du mouvement, que le jeu habituel & journalier d’un petit nombre de passions entretient dans les organes»71. Cette «influence vivifiante & salutaire»72 des passions est également à l’œuvre dans la thérapeutique de certaines maladies, comme le mal «du pays (nostalgie), quelques hypocondries & une espèce particulière de consomption ou de spleen, qui porte au suicide»73. Et Moreau de la Sarthe de donner cinq observations cliniques ou exemples de guérison de ces maladies par le recours à toute passion provoquant «la réaction du système nerveux & les irradiations du cerveau»74 qui en sont l’effet organique. Ainsi, cette «Madame M**, âgée de quarante à cinquante ans, tombée dans la plus affreuse mélancolie» suicidaire à la suite de revers de fortune dus à la Révolution puis aggravés ensuite, qui fut guérie par ses malheurs mêmes qui la poussèrent à s’investir, dirions-nous aujourd’hui - à se passionner donc «pour une place de concierge dans un hospice [devenue] l’objet de toute son ambition & de toutes ses espérances»75.
37Avec la quatrième partie intitulée «De l’influence des passions dans le traitement des maladies»76, Moreau de la Sarthe semble redondant avec ce qui précède. Il n’en est rien, car elle constitue, avec onze observations cliniques, un véritable élargissement vers une méthode générale de traitement des maladies mentales et donc des malades mentaux. En deux points successifs:
38Ces deux points étant très exactement explicités et liés à leur jointure par et dans les vingt lignes qui suivent:
Les maladies particulières qui peuvent être plus souvent & plus utilement combattues par l’effet de certaines passions que par les médicamens les plus énergiques, sont non seulement les maladies mentales, mais encore toutes les affections chroniques, qui rentrent dans la classe des névroses, & qu’il est possible de guérir , par une perturbation, par une commotion [revoilà le maître-lot] assez profonde pour rompre tout-à-coup une série de mouvemens associés d’une manière vicieuse & contraire à l’état normal ou habituel des propriétés vitales, qu’il importe de rétablir. Nous plaçons dans cette catégorie, les différentes espèces de spasmes ou de convulsions, capables de se propager par imitation; la danse de Saint-Guy; diverses impotences qui on été confondues avec la paralysie; quelques cas d’épilepsie, d’hystérie, d’hypocondrie; plusieurs fièvres intermittentes, & divers symptômes ataxiques que l’on a vus quelquefois se manifester tout-à-coup, au milieu des maladies aigües79.
39Voilà donc et en quoi consiste cette médecine morale basée sur la «commotion» des passions par des contre-passions, et la liste bien large des pathologies auxquelles elle peut s’attaquer. C’est tout simplement la première psychiatrie largement dimensionnée.
40La conclusion de cette quatrième partie élargit encore le propos en évoquant les divers types de médecines mettant en jeu «l’influence du moral sur le physique»80. Elle tient lieu en même temps de conclusion générale de l’article, valorisant ainsi la dimension psychologique de la médecine et de sa pratique81, synthétisée dans cette citation latine de Boerhaave: «Non semper quaerenda est medicina, ex materie medica & per pharmacia»82, la médecine ne doit pas toujours demander à la matière médicale et à la pharmacie.
41Pour conclure, je voudrais m’arrêter sur cette quatrième partie consacrée à la médecine morale et – répétons le mot – à cette première psychiatrie83. Pour bien la situer historiquement et rendre sinon donner à Moreau de la Sarthe sa place dans la constitution de celle-ci84.
42Le texte de cette quatrième et même d’un morceau de cette troisième parties de cette deuxième entrée de PASSIONS analysée dans les pages précédentes, n’a pas été écrit un peu avant que ne soit édité en 1824 le tome XI du dictionnaire de «Médecine» de la Méthodique; non! Avec les mêmes observations cliniques, il provient d’un écrit intitulé: Quelques observations sur différentes maladies, A la guérison desquelles les ressources pharmaceutiques n’ont point concouru, suivies de considérations sur la consomption, et de réflexions physiologiques sur l’emploi médical des passions, considérées comme des modifications du système nerveux, susceptibles d’être comparées à l’action des médicamens qu’elles peuvent souvent remplacer avec avantage.
43Sa date d’édition, chez Croullebois et Gabon à Paris, est l’An VII de la République. Autrement dit entre l’automne 1798 et l’automne 1799. Rédigé en 1798 et peut-être même avant, il est contemporain du texte de Pinel également édité en l’an VII: «Recherches et Observations sur le traitement moral des aliénés»85. Ils s’inscrivent tous les deux, sans doute avec d’autres, dans ce que je n’hésite pas à appeler la révolution intellectuelle – à tous le moins la mutation radicale de l’an VI86. En quoi consiste-t-elle?
44En conformité avec la stabilisation institutionnelle que veut incarner le Directoire87, toutes les nouvelles institutions intellectuelles, éducatives et sanitaires voulues par la Convention se mettent en place88. Parmi elles, au sommet, l’Institut National89 avec sa Classe des Sciences morales et politiques tenue par les Idéologistes. C’est là que, en l’an IV et au début de l’an V, c’est-à-dire pendant toute l’année 1796, le médecin philosophe Cabanis lit cinq des six premiers «Mémoires»90 de ce qui va devenir ses Rapports du physique et du moral de l’homme, manifeste du monisme de la nature de l’être humain, réalité physio-psychologique ou psycho-physiologique. A partir de quoi la distinction entre le psychologique et le physique n’a plus lieu d’être, en particulier quand il s’agit de traiter des pathologies qui ne sont pas exclusivement des blessures physiques et, bien sûr et surtout, les affections morales.
45De cette mutation radicale de l’an VI, Cabanis donc, Pinel et Moreau de la Sarthe sont trois protagonistes importants. Cabanis, parce qu’il en est – on vient de le voir – le théoricien; Pinel, parce que, médecin à Bicêtre en 1793 puis à la Salpêtrière en 1795, il est le praticien par excellence des insensés atteints d’affections morales; Moreau de la Sarthe, parce que, chirurgien aux armées en 1793-1794, il a acquis l’expérience du praticien de terrain en charge de soldats aux troubles et pathologies multiples, surtout à Nantes entre les théâtres d’opérations militaires de Vendée et de Bretagne. Pour cette triade de médecins,
fréquentant peu ou prou les mêmes institutions savantes médicales,
attachée au néo-hippocratisme des Lumières91 sur lequel repose le naturalisme thérapeutique contempteur de la poly-pharmacie,
adepte de la réunion de la philosophie, de l’histoire naturelle de l’homme et de la médecine dans une grande science de l’homme92,
Pour cette triade de médecins donc, le principe premier de l’unité de l’homme et le principe second de la réciprocité des rapports du physique et du moral – nous dirions du psychologique – ne peuvent que conduire à cette vérité que les passions sont à la fois objets et instruments du traitement médical93. Passions, contre-passions, telle est la vraie thérapeutique des affections complexes qui touchent l’être humain.
46Dans de telles conditions, que penser de la bonne vieille morale de la maîtrise des passions? Tout simplement, qu’elle est devenue, qu’elle est hors sujet!
Notes de bas de page
1 Pour la mise en situation générale, voir la toute récente Histoire des émotions ss. la dir. d’A. Corbin, J.-J. Courtine et G. Vigarello, Seuil, Paris 2016 et 2017, 3 vols. Il n’y est pas beaucoup question de «passions», si ce n’est dans le vol. I De l’Antiquité aux Lumières, dans la partie sur l’Âge moderne, pp. 241-243. La p. 242 indiquant les deux types de passions selon Thomas d’Aquin: les concupiscibles et les irascibles, déjà mentionnées en 1992 par C. Talon-Hugon dans son article de Corpus 20/21 référencé ci-dessous dans la note suivante.
2 Dans l’œuvre de Gassendi (1592-1655), «La théorie des passions fait l’objet du livre X de la troisième section de la ‘Physique’ du Syntagma intitulé ‘De Appetitu et Affectibus Animae» (C. Talon-Hugon, «La question des passions, occasion de l’évaluation de l’humanisme de Gassendi», Corpus n. 20/21, 2nd semestre 1992, p. 37), ledit Syntagma philosophiae Epicuri […] étant de 1649. Comme le traité des Passions de Descartes!
3 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, Par une Société de gens de lettres, Samuel Faulche & Compagnie, Neufchastel [Paris]1765, T. XII, pp. 142 col. a - 146 col. a. Lignes 47-51 de cette dernière: «Triste tableau de l’état où l’homme est réduit par ses passions! Environné d’écueils, poussé par mille vents contraires, pourrait-il arriver au port? Oui, il le peut; il est pour lui une raison qui modère les passions […]».
4 Le premier chiffre indique la page du volume, le deuxième la colonne de la page, le troisième la ligne. Entre 1788 et 1791 ce dictionnaire de «Logique et Métaphysique» s’est enrichi de «la morale» et de «l’éducation», avec le même éditeur-directeur: Pierre de Lacretelle, dit l’aîné (1751-1824), assisté de son frère Jean dit Lacretelle le jeune (1766-1855).
5 Curieux, ce singulier, car, usuellement, PASSION au singulier renvoie à la seule passion sublimement acceptable: celle du Christ.
6 Lacretelle l’aîné est en effet l’auteur de tout ce dictionnaire de «Logique et Métaphysique». Mais comme il l’a conçu dès le départ comme «une compilation de tous les meilleurs traités, dissertations ou morceaux sur la Métaphysique et la Logique» (Tome I [1786], «Discours préliminaire», p. xvi), les articles sont autant de morceaux choisis empruntés à des auteurs d’avant lui, référencés le plus souvent, mais pas très précisément. D’où notre long travail de repérage des sources de ces morceaux choisis!
7 Car dans ce même «Discours préliminaire», à la même page, Lacretelle l’aîné se réclame de Condillac.
8 T. II, p. 99D21 => 34.
9 T. II, p. 94D46 => 51. Pour Gassendi, voir ci-dessus la note 1 et, pour le texte en français, F. Barnier, Abrégé de la philosophie de Gassendi, Anisson & Posuel, Lyon 1678, T. 6, pp. 386-388. Pour Descartes, voir Les Passions de l’âme, 1649, art. 7 à 12. Pour la mise en situation de l’étiologie anatomo-physiologiste de l’un et de l’autre, l’article de Carole Talon-Hugon cité à la même note 1 dit l’essentiel, p. 38: «Ainsi, Gassendi ne partage pas la modernité de ceux qui comme Descartes [Hobbes et Spinoza], ont entendu faire une science des passions. Cette question appartient donc à la physique, mais n’en relève pas». Distinction subtile! Pour «les esprits animaux», rappel de leur définition par le Furetière (1690): «En termes de Medecine, se dit des atomes légers & volatils, qui sont les parties les plus subtiles des corps, qui leur donnent le mouvement, & qui sont moyens entre le corps & les facultés de l’ame, qui lui servent à faire toutes ces operations».
10 T. II, p. 100G51=>57.
11 T. II, p. 105G5 => 28.
12 T. IV, pp. 1G41 => 3D58.
13 T. IV, p. 3D58: «Anc. Enc.» = Encyclopédie, tome XII (1765), pp. 142G22 => 143D74. Comme déjà dit, l’article est sans doute de Jaucourt qui indique lui-même (p. 144G6=>9) que, pour ces quatre premières colonnes, il «a fait trop d’usage d’un petit mais excellent ouvrage sur la théorie des sentimens agréables, pour ne pas lui rendre toute la justice qu’il mérite». Il s’agit de: J.L. Levesque de Pouilly, Théorie des sentimens agréables. Où après avoir indiqué les règles que la Nature suit dans la distribution du plaisir, on établit les principes de la Théologie naturelle et ceux de la Philosophie morale, Chez de Bure père, Genève 1747, p. 239. De la confrontation avec cet ouvrage des quatre colonnes de Jaucourt, il résulte que «l’usage» que celui-ci en a fait n’a rien à voir avec le copier-coller de Lacretelle. C’est plutôt une source d’inspiration.
14 T. IV, pp. 4G35 => 6G21.
15 T. IV, pp. 6G22 => 7D15.
16 T. IV, pp. 7D16 => 10G5.
17 T. IV, pp. 10G6 => 11G2.
18 T. IV, pp. 11G3 => 12D6.
19 Traduction nouvelle par l’Abbé Blavet, Valade, Paris 1775,
20 Théorie des sentiments moraux, Valade, Paris 1774, pp. 52-95. Correspondant donc aux pp. 4G1 => 12D6 de cet article «PASSIONS» de Lacretelle l’aîné.
21 T. IV, pp. 4G32 => 34 = Théorie des sentiments moraux, t. 1, p. 52.
22 Au départ, peut-être grâce à l’Encyclopédie et Jaucourt.
23 T. IV, pp. 12D7 => 17D36.
24 Briasson, Paris 1746, p. 384.
25 Pp. 43 => 91 de l’édition de 1746 ou pp. 47 => 83 de l’édition de 1781, correspondant donc aux pp. 12D7 => 17D36 du tome IV indiquées ci-dessus à la note 22.
26 Estimant que les donner une à une avec l’équivalence dans notre dictionnaire de «Logique, Métaphysique et Morale» de la Méthodique allongerait un peu notre propos, nous tenons à la disposition du lecteur le tableau de cette équivalence; il suffit de nous le demander sur danielteysseire@gmail.com.
27 Ce qui lui fait passer à côté de cette notation de Vauvenargues, p. 88, promise à un bel avenir: «Les passions s’opposent aux passions, & peuvent se servir de contre-poids».
28 T. IV, p. 12D7 = Vauvenargues, ouv. cité, p. 43.
29 T. IV, p. 17D37 => 21D14 (= fin de l’article «PASSIONS» avec la mention de la source de cette troisième partie: «(Caratère [sic] de la Bruyère)». Correspond aux pages 133 => 144 de la belle édition de Coste des Caractères, Hochereau et Panckoucke, Paris 1765.
30 Caractères, ed. citée, pp. 141-143 correspondant aux pp. 20D10 => 21G13 de notre T. IV.
31 T. IV, p. 21G14 =>18, correspondant à un aphorisme, le 69ème, de la p. 143 de l’éd. des Caractères référencée ci-dessus.
32 C’est notre corpus énoncé au début de notre propos: dictionnaire de «Médecine», Veuve Agasse, Paris 1824:
T. XI, pp. 413D14 => 422G29: «PASSIONS, s. f. pl. (Physiolog., philosophie» – c’est la partie inventaire); T. XI, pp. 422G30 => 435D49: «PASSIONS, (Médecine pratique & Hygiène)» – c’est la partie utilité.
33 Avant l’inventaire proprement dit, Moreau de la Sarthe développe une longue introduction (T. XI, p. 413D15 => 416G12) en trois points: 1/ définition et causalité générale psycho-physiologique (p. 414G36 => 43) des passions dans le cadre de l’unicité physique/morale de l’homme; 2/ historicité des passions tant au plan individuel qu’au plan social, en fonction du progrès de l’individu et de la civilisation; 3/ typologie générale des passions et de leurs effets organiques et manifestes.
34 T. IX (1816), pp. 136D => 219D et pp. 393D => 451D.
35 Sur Moreau de la Sarthe, voir Véronique Signoret, Louis-Jacques Moreau dit de la Sarthe (1771-1826), Présentation d’un Idéologue méconnu et de son œuvre, Créteil Université de Paris XII-Val de Marne, 1994, p. 314., et notre contribution «‘Le Dictionnaire de Médecine’ de l’Encyclopédie méthodique: la méthodicité à l’œuvre» dans l’ouvrage collectif à paraître aux éditions Garnier, ss. la dir. de Martine Groult et Luigi Delia. Nous y soulignons, entre autres, l’attachement de Moreau de la Sarthe au monisme de son maître Cabanis, mettant l’accent sur l’unité psycho-physiologiste ou physio-psychologiste de l’être humain. C’est d’ailleurs ce monisme qui est à l’œuvre dans tout cet inventaire des passions.
36 T. IX (1816), p. 396.
37 En se servant – ce qui est notable – du texte de la conférence sur «L’Expression des passions» donnée les 7 avril et 5 mai 1668 par le peintre Le Brun à l’Académie royale de peinture et de sculpture, éditée, en 54 pages avec gravures, à Amsterdam et Paris en 1698. Voir A. Merot, Les conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture au xviie siècle, Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris, 1996, pp. 145-162.
38 T. XI, pp. 416G123 => 417D12.
39 T. XI, pp. 416G28 => 52.
40 T. XI, p. 416D21 => 23.
41 T. XI, pp. 417D13 => 419G19.
42 T. XI, p. 417D19 => 31.
43 T. XI, p. 418G25 => 36.
44 T. XI, pp. 419G20 => 421D13.
45 T. XI. p. 419G21 => 31.
46 Raison pour laquelle nous renonçons à donner la référence des lignes précises où sont mentionnées les œuvres. Elles se trouvent dans la partie indiquée à la note 43.
47 T. XI, p. 420G29. Il s’agit sans doute de La Naissance du Dauphin à Fontainebleau. A moins que ce soit Marie de Médicis, reine mère de France. En tous les cas, pour Moreau de la Sarthe «l’une des plus belles expressions composées & mixtes, que la peinture ait jamais pu atteindre».
48 Ce qui ne doit pas étonner, puisque dès le départ les passions ont été définies très généralement comme «affections de l’âme, modifications de la sensibilité» (T. XI, p. 413D17/18).
49 T. XI, p. 421G23 => 51.
50 T. XI, p. 421D14 => 25.
51 Rappel. «PASSIONS (Médecine pratique & Hygiène), T. XI, pp. 422G30 => 435D49.
52 T. XI, pp. 422G43 => 426G14.
53 T. XI, p. 422G34 et 35.
54 T. XI, p. 422D28 => 42.
55 T. XI, p. 422D54 => 423G2.
56 T. XI, p. 423G14 et 15.
57 T. XI, p. 423G12 => D16.
58 T. XI, pp. 424G1 => 426G14.
59 T. XI, pp. 426G15 => 429D24.
60 T. XI, p. 426G26-28.
61 T. XI, p. 426G58-59.
62 T. XI, p. 427D26-28.
63 T.XI, p. 427D36 et 37.
64 T. XI, p. 427D43 => 45.
65 T. XI, p. 428G24 => 27.
66 T. XI, p. 428G28 => 32.
67 T. XI, p. 428G32 et 33.
68 T. XI, p. 428D49 => 52.
69 T. XI, p. 429G59 => D7.
70 T. XI, p. 429D25 => 431G43.
71 T. XI, p. 429D36 => 40. Lignes venant de Bordeu cité en substance.
72 T. XI, p. 431G25.
73 T. XI, p. 429D55 => 58.
74 T. XI, p. 430G59 et 60.
75 T. XI, pp. 430D53 => 431G10.
76 T. XI, pp. 431G44 => 435D48.
77 T. XI, pp. 431G44 => 433D35.
78 T. XI, pp. 433D36 => 434D50.
79 T. XI, p. 433D36 => 56.
80 T. XI, p. 435G18.
81 Moreau de la Sarthe ayant longuement insisté un peu auparavant sur l’importance des qualités de psychologue que devrait avoir tout médecin et qu’il n’a pas toujours, pour s’attacher «la confiance des malades» et, plus généralement, afin d’assumer cette dimension psychologique des maladies (T. XI, pp. 433G34 => D35).
82 T. XI, p. 435D36-37.
83 Sur cette dénomination, voir encore notre contribution à l’ouvrage référencé plus haut à la note 34.
84 Dans les ouvrages du binôme français de l’histoire de la psychiatrie, Gladys Swain et Marcel Gauchet, Moreau de la Sarthe semble plutôt inconnu.
85 Tous deux également publiés an l’an VII dans les Mémoires de la Société médicale d’émulation, séante à l’Ecole de Médecine de Paris: pour l’an VI de la République française. Seconde année – Société dont ils sont tous les deux membres.
86 22 septembre 1797 - 21 septembre 1798. C’est aussi l’année de la 1ère édition du tome Ier de la Nosographie philosophique de Pinel, à Paris chez Maradan.
87 Date de séparation de la Convention: 4 Brumaire an IV / Lundi 26 octobre 1795.
88 Voir l’important ouvrage de M. S. Staum, Minerva’s Message: Stabilizing the French Revolution, McGill-Queen’s University Press, Montréal & Kingston 1996, p. 342.
89 Date de sa séance inaugurale: 15 Germinal, an IV, 4 avril 1796.
90 Dont les deuxième et troisième traitent de l’«Histoire physiologique des sensations» à laquelle se réfère Moreau de la Sarthe à la page 24 de ses «Quelques observations […]».
91 C’est d’ailleurs chez Hippocrate que se trouve déjà le jeu passions / contre-passions. N’est-ce pas cela en effet qui est à l’œuvre dans le récit de Démocrite d’Abdère, fou de rire par compensation de son affliction démesurée au spectacle de ses contemporains?
92 La Nosographie philosophique ou la méthode de l’analyse appliquée à la médecine de Pinel, monument de l’histoire de la science médicale, est aussi de l’an VI.
93 Ce qui va donner le sujet de thèse (dédiée à Pinel) de celui que la tradition considère comme le grand homme de la psychiatrie française, Esquirol: Des Passions, Considérées comme Causes, Symptômes et moyens curatifs de l’Aliénation mentale; Thèse Présentée et soutenue à l’Ecole de Médecine de Paris, le 7 Nivôse an 14 […], soit 8 ans après notre an VI et sa mutation radicale!
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Medicina e pedagogia nella Unsichtbare Loge di Jean Paul e nelle sue fonti
Elisa Leonzio
2017