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Les ressources minérales profondes en Polynésie française / Deep-sea mineral resources in French Polynesia

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Pierre-Yves Le Meur
, 
Pierre Cochonat
, 
Carine David
, 
et al.

III. Synthèse

4. Campagnes de recherche et développement technologique

Texte intégral

1En mer profonde, l’expertise scientifique s’appuie plus qu’ailleurs, sur le développement de technologies de pointe et sur l’accès à des moyens lourds qui sont aux fondements de la capacité d’intervention sous-marine. C’est un domaine où les progrès technologiques ont une incidence directe sur ceux de la connaissance. La recherche sous-marine profonde peut d’ailleurs générer une nouvelle industrie avec en arrière-plan le marché des technologies de grands fonds, au-delà du domaine conventionnel et opérationnel de l’offshore pétrolier.

2Le domaine concerné par les ressources minérales sous-marines est celui des grands fonds, hors granulats, phosphates et placers (notamment pour les diamants, en Namibie) pouvant exister sur le plateau continental (< 200 m profondeur d’eau). Les techniques d’investigation du plateau et des grands fonds sont souvent les mêmes dans leur principe, fondées sur l’approche géophysique, mais bien différentes par leur ampleur (fréquence acoustique, puissance, pénétration). Elles nécessitent des moyens lourds dotés de capacités d’intervention sous-marine profonde (jusqu’à 6 000 m). C’est dans ces grands fonds que l’on trouve les ressources minérales profondes : boues sédimentaires en terres rares et nodules polymétalliques (5 000-6 000 m), amas sulfurés (1 000-5 000 m) et enfin encroûtements cobaltifères (800-4 000 m), comme ceux signalés dans la ZEE de la Polynésie française.

Stratégies des pays et acteurs impliqués

3Quelques pays, comme la France, ont développé des compétences et les outils nécessaires à l’exploration océanique. Après quelques tentatives focalisées sur les nodules dans les années 1970, les premiers signes de l’intérêt des milieux industriels pour les ressources minérales profondes (hors pétrole) réapparaissent aujourd’hui (voir III-2). Les moyens d’investigation sont toutefois encore principalement ceux de la recherche océanographique publique. En effet l’exploration, conduite dans ces milieux extrêmes, repose sur l’expertise scientifique et technologique développée depuis près d’un demi-siècle dans des programmes de recherche menés par des institutions nationales. Ainsi, les divers acteurs impliqués dans l’exploration des ressources minérales profondes sont océanographes, géologues, biologistes, développeurs de technologie… Ils appartiennent au domaine public (organismes de recherche) et plus rarement à des entreprises privées. Pour permettre le développement d’activités minières marines, ces acteurs de la recherche devront vérifier si les indices de minéralisation qui auront été découverts par l’exploration géologique peuvent permettre d’identifier des gisements à potentiel économique. Leurs activités se déroulent souvent dans le cadre de permis d’exploration et de recherche délivrés par l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) pour les eaux internationales et par les États souverains, dans leur ZEE.

4Jusqu’ici, au niveau national, les acteurs de l’industrie minière terrestre se sont peu intéressés au milieu marin et en connaissent mal les spécificités. La France a été pionnière dans le domaine de l’exploration des grands fonds, en particulier pour les bassins profonds (nodules) et les dorsales océaniques (hydrothermalisme) à travers des programmes de recherche pluri-organismes (CNRS, Ifremer, IRD, BRGM, etc.) (Fouquet et Lacroix, 2012) et le maintien de la validité des permis dans les eaux internationales par l’Ifremer (permis nodules signé en 2001 et amas sulfurés en 2012). Aujourd’hui, certains pays affichent une forte vision stratégique de l’exploitation des ressources marines (Allemagne, Australie, Brésil, Chine, Corée du Sud, États-Unis, Inde, Japon, Russie…) et sont très actifs dans ce domaine, à en juger par le nombre et la qualité de leurs publications et leur participation aux activités de l’AIFM.

5En France, des ambitions ont été affichées par les pouvoirs publics avec les recommandations du Grenelle de la mer (2009) suivies du démarrage du projet Wallis et Futuna. Le comité interministériel de la mer (Cimer) de juin 2011 a décidé de lancer « une stratégie nationale sur les ressources minérales profondes en mer qui fixera les orientations pour une exploitation durable de ces ressources dans les eaux sous juridiction nationale et dans les eaux internationales ». Parallèlement, l’Ifremer a conduit, avec la participation de représentants de nombreuses institutions françaises, une étude prospective sur les Ressources minérales marines (Fouquet et Lacroix, 2012), alors que le MEDDE initiait l’Expertise scientifique collective sur les impacts environnementaux de l’exploitation des ressources minérales marines profondes (conduite par le CNRS et l’Ifremer ; Dyment et al., 2014).

6Le Cluster maritime français tente avec le soutien de plusieurs industriels dont notamment Eramet et Technip, rejoints depuis par d’autres entreprises telles que Fayat Travaux sous-marins, DCNS, Louis-Dreyfus Armateurs et Creocean, d’aider au développement d’une filière minière sous-marine nationale. Les activités qui relèvent de décisions de politique publique, et qui nécessitent d’importants budgets pour conduire les campagnes en mer, sont aujourd’hui essentiellement consacrées à l’entretien des permis nodules attribués par l’Autorité internationale des fonds marins dans la zone de Clarion-Clipperton.

7En Europe, l’European Innovation Partnership for Raw Materials (EIP) est la plate-forme qui rassemble les représentants des parties prenantes pour les matières premières : industries, services publics, milieu académique et ONG. Quatre-vingts Raw Material Commitments (RMCs) avaient été lancés dans le cadre de l’EIP, dont quatre concernent des projets sur les ressources minérales marines. Au final, un seul projet aurait été retenu dans le programme H2020 (un projet belge sur les nodules). Il faut cependant signaler que le Secrétariat de la Communauté du Pacifique (CPS), qui rassemble 15 pays des îles du Pacifique, a lancé le projet The Deep Sea Mineral Project en collaboration avec l’Union européenne.

8Dans le contexte international, de nombreux organismes, agences gouvernementales ou groupements de pays (listés plus haut) sont actifs dans le domaine des ressources minérales marines. L’exploration des ressources minérales marines profondes se déroule pour l’essentiel dans la « Zone » internationale, sous l’égide de l’AIFM qui a approuvé 26 contrats d’exploration. Parmi ceux-ci, 14 sont passés avec des États du Pacifique asiatique, 7 avec des États de l’Europe occidentale, 4 avec des États d’Europe orientale et 1 avec un groupe latino-américain et caraïbe (les États-Unis n’ont pas ratifié la convention de 1982 des Nations unies sur le droit de la mer et ils ne participent aux réunions de l’AIFM qu’en qualité d’observateurs).

9Du point de vue de la stratégie nationale française, la demande de la présente expertise collégiale par le gouvernement de Polynésie française et l’État pourrait être à l’origine d’une relance d’un programme de recherche et d’accès aux ressources minérales marines. Un tel programme innovant concernant les encroûtements cobaltifères est recommandé par le collège d’experts, il paraît avoir toute sa place dans un cadre local (pays), régional (CPS), ou national, à définir.

Connaissance des encroûtements polymétalliques

10L’analyse de l’état des connaissances géologiques montre que les encroûtements cobaltifères pourraient présenter un fort potentiel en tant que ressources minérales sous-marines en Polynésie française. Ils sont situés dans des secteurs favorables au plan géomorphologique, entre 800 et 2 500 m de fond, notamment dans le secteur des Tuamotu où ils sont déposés sur des substrats carbonatés, ce qui pourrait avoir une importance pour leur exploitabilité.

11Pour ce type de ressources, un effort important d’exploration préalable devra encore être conduit en Polynésie, comme dans d’autres régions du monde où des premiers intérêts se sont manifestés : à ce jour, seulement trois permis d’exploration d’encroûtements cobaltifères ont été attribués par l’AIFM (tous dans l’océan Pacifique, pour la Russie, le Japon et la Chine). Une demande du Brésil dans l’Atlantique sud est en cours d’évaluation.

12La majorité des publications sur l’environnement physique et les caractéristiques des encroûtements cobaltifères se limite actuellement à des travaux de recherche et des publications académiques. À ce stade de démarrage de l’exploration, il est évident qu’il n’y a que peu, voire pas, d’activité spécifiquement liée à l’exploitation des encroûtements et encore moins de données techniques et économiques qui permettraient de fonder un calcul économique. Il y a un grand écart entre l’état actuel des connaissances, ponctuelles et fragmentaires, et la constitution des bases de données nécessaires à la définition de réserves et de calculs économiques. De nombreuses questions sur la nature même de la ressource subsistent pour ce qui concerne son exploitabilité. Pour accéder à cette ressource potentielle, il manque encore une partie des données de terrain et calculs précis nécessaires : contrôles géologiques de zones riches, volume exploitable (épaisseur des croûtes), morphologie et rugosité du fond de la mer, extension latérale et continuité des zones à encroûtements, propriétés géotechniques de la croûte et du substrat, contrôle en continu de l’épaisseur de la croûte, influence du substratum sur la dilution au ramassage, impact de l’activité minière sur les écosystèmes.

État des lieux de la technologie pour l’exploration

13L’exploration océanique visant à la découverte de gisements exploitables implique une approche emboîtée mettant en œuvre des technologies spécifiques. L’objectif est d’établir un modèle géologique de la formation des encroûtements, d’évaluer qualitativement et quantitativement les minéralisations et de caractériser les environnements et la biodiversité. Outre les navires, les technologies existantes (ou à développer) pour localiser et étudier ces ressources potentielles sont à considérer sur trois niveaux avec une stratégie multi-échelle et pluridisciplinaire. Ces trois niveaux sont ceux des technologies d’exploration régionale, des technologies d’étude de site et d’évaluation des ressources et de la biodiversité et enfin des technologies de surveillance et de préservation des environnements (voir III-1 et III-3).

Technologies d’exploration régionale

14Celles-ci sont essentiellement cartographiques, fondées sur les reconnaissances géophysiques et sur quelques prélèvements permettant de réaliser les premières analyses physico-chimiques et gîtologiques. C’est l’étape indispensable d’identification des sites avant l’évaluation des ressources. Afin de définir les zones potentiellement intéressantes, il est nécessaire de conduire des levés de surface à grande échelle à l’aide de méthodes indirectes telles que les méthodes acoustiques (bathymétrie, réflectivité sonar), potentielles (gravimétrie, magnétisme, gammamétrie) ou sismiques. Les outils de cartographie actuels permettent, par exemple, de réaliser des cartes bathymétriques régionales ayant des résolutions d’une centaine de mètres. Aucune étude de site ne peut être lancée sans disposer de cette connaissance générale préalable qui permet de mieux comprendre le contexte géologique et morphologique. Au-delà des données satellitaires de faible résolution (d’ordre kilométrique, par rapport aux données bathymétriques acquises par sondeurs multifaisceaux d’ordre décamétrique) et hors données Extraplac, les cartes bathymétriques régionales acquises avec des moyens modernes sont quasi inexistantes dans la ZEE polynésienne. À ce stade, des prélèvements d’échantillons rocheux (à la drague à roche) doivent aussi être réalisés pour caractériser la nature des fonds et identifier des zones qui présenteraient éventuellement des enrichissements relatifs en cobalt et en platine. Des prélèvements biologiques doivent y être associés afin d’appréhender dès le départ des travaux, l’aspect régional de la répartition spatiale de la biodiversité des environnements profonds. Cette dimension est indispensable pour prendre en compte les questions de connectivité et d’interactions des écosystèmes à différentes échelles. Les encroûtements polymétalliques sont des structures qui se forment sur de longues périodes et dans des conditions océanologiques singulières. Les monts sous-marins où ils sont développés constituent des milieux ouverts, du fait des connexions entre les différents compartiments de la colonne d’eau et au-delà, en direction des espaces marins alentour et éloignés, via des formes d’interconnexions trophiques (chaîne alimentaire) et ontogénétiques (cycles de vie).

Technologies d’étude de site et évaluation des ressources et de la biodiversité

  • 37 ROV : Remotely Operated Vehicle.
  • 38 AUV : Autonomous Underwater Vehicle.

15Lorsque les sites sont identifiés (des zones continues de 100 km2 sont recherchées), la compréhension scientifique des processus géologiques, géochimiques et biologiques, implique des travaux près du fond mettant en œuvre des submersibles (ROV37, AUV38, engins habités). Ces engins permettent d’affiner les explorations au niveau local (bathymétrie et imagerie avec une résolution de quelques dizaines de centimètres) et de réaliser des prélèvements précis près du fond pour étudier la composition et la géométrie des sites en tant que gisements potentiels. Pour l’étude des encroûtements, au-delà des classiques dragues à roches, des forages carottés seront indispensables pour mesurer leur teneur en métaux et leur épaisseur. Un point clé, notamment sur le plan de l’innovation technologique, sera le prélèvement par microforage, outil qui reste à développer ou à adapter à partir de systèmes existants capables d’être mis en œuvre par un ROV. La question des mesures in situ en forage (diagraphie), à développer sur la micro-foreuse, peut se poser. Cet équipement robotisé pourrait par exemple associer forage carotté (prélèvement) et forage destructif (avec mesures in situ associées) dans un même outil qui prélève et mesure au même endroit. Il s’agit d’un point très intéressant qui renforce le besoin d’un outil innovant qu’il faut concevoir.

16D’autre part, il serait aussi très intéressant de développer les capacités d’analyse in situ en mouvement près du fond, notamment par des techniques Raman pour l’analyse in situ non destructive des solides. Ces équipements devront être adaptés aux vecteurs des AUV et ROV. La spectroscopie Raman est une technique d’analyse répandue dans le domaine des solides qui ne nécessite aucune préparation de l’échantillon et aucun réactif. L’objectif est de se doter d’une méthode de détection spectroscopique opérationnelle capable d’identifier des solides sur le fond. Les données spectrales seront fournies en temps réel, permettant une identification chimique immédiate. Les composés visés concernent les composés solides, qu’ils soient minéraux ou organiques, ou encore biologiques. Cet outil (en cours de développement dans le cadre d’un projet européen) constituera une avancée technologique considérable tant pour les recherches géologiques que biologiques (Fouquet, 2013).

17D’autres techniques d’exploration pourraient utiliser l’ICP-AES (Inductively Coupled Plasma Atomic Emission Spectroscopy) ou la micro-fluorescence X couplée à un système de microforage.

18Concernant la biodiversité, les biotopes liés aux encroûtements polymétalliques sont très mal connus, mais on sait que les conditions de leur formation (longue durée, conditions océanologiques) déterminent le type d’organismes qui s’y développent. Ces conditions favorisent notamment la présence d’organismes fixés (ou peu mobiles) à grande durée de vie, qui forment, à l’instar des arbres dans les forêts ou les coraux dans les récifs, un habitat biogénique pour un cortège diversifié d’espèces. Le fonctionnement des écosystèmes benthiques implique généralement des interactions fortes avec le reste de la colonne d’eau (interactions verticales) sur de grandes distances géographiques (interactions horizontales). La compréhension des biotopes des zones ciblées par l’exploitation doit donc s’intégrer dans un plan de recherche prenant en compte ces échelles multiples. Les connaissances actuellement disponibles, et notamment la situation biogéographique de la Polynésie française, permettent d’émettre l’hypothèse sinon d’un fort taux d’endémisme de cette faune benthique, du moins de la présence d’une faune benthique spécialisée.

Technologies de surveillance et de préservation des environnements

19Il faut aussi organiser le suivi de l’évolution spatio-temporelle de ces sites à des fins de surveillance et de préservation des environnements. Afin de minimiser l’impact de l’exploitation des ressources des grands fonds, des outils spécifiques sont nécessaires pour établir des états de référence, notamment biologiques. Ces approches impliquent le développement d’outils permettant de suivre la variabilité temporelle, sachant que l’on est en présence de milieux qui se sont formés dans la longue durée et dont la résilience face aux perturbations (turbidité, modification des facteurs physico-chimiques de l’ensemble de la colonne d’eau, dépendant notamment des courants de surface et de fonds) est sans doute faible et la vitesse de récupération très lente. Les interconnections verticales et horizontales avec d’autres habitats doivent être prises en compte dans ces approches.

20Les observatoires fond de mer permettront de suivre l’évolution de l’environnement du site à différents stades : état zéro avant exploitation, évaluation de l’impact des activités d’extraction sur les écosystèmes et suivi post-exploitation. Des observatoires distants devront être mis en place pour évaluer les impacts sur les compartiments marins interconnectés.

État des lieux de la technologie pour l’exploitation

21La mise au point des équipements et des techniques d’exploitation des grands fonds marins est l’une des grandes entreprises scientifiques et technologiques de ces cinquante dernières années. C’est pour le développement de l’offshore pétrolier profond que les plus grands progrès ont été réalisés. Par ailleurs, la préservation du milieu constitue aujourd’hui un défi majeur pour une activité qui n’est pas perçue comme exemplaire dans ce domaine. Accès à la ressource minière et aspects environnementaux devront nécessairement cohabiter (voir III-1 et III-4).

22Les progrès réalisés en matière de capacité de forage, de creusement de tranchées et de production de pétrole de profondeur ont élargi sensiblement la gamme de moyens techniques disponibles, mais ceux-ci devront faire l’objet de modifications importantes, voire d’innovations, pour convenir aux procédés d’extraction plus sélectifs requis pour les gisements de minéraux plus durs et plus superficiels, comme cela sera le cas pour les encroûtements qui nous intéressent dans la ZEE de la Polynésie française.

23Si la récupération des nodules est relativement aisée puisqu’ils reposent sur un substrat de sédiments meubles, il n’en va pas de même pour les encroûtements qui peuvent être plus ou moins solidement rattachés au substrat (ils sont plus faciles à « décoller » dans le cas de substrat carbonaté). Pour une exploitation réussie, il est indispensable de récupérer les croûtes sans enlever le substrat, ce qui peut diluer considérablement la teneur en minerai, sauf dans le cas où le substrat contiendrait de la phosphorite (Pichocki et Hoffert, 1987) et qu’il serait intéressant de l’exploiter aussi. Dans leurs simulations, Dyment et al. (2014) décrivent ainsi les opérations qui se succéderaient : la fragmentation, le broyage, l’enlèvement, la séparation et la remontée par airlift (système de pompage par injection d’air). Des véhicules autopropulsés se déplaceraient à une vitesse d’environ 20 cm/s sur le fond marin (ce qui paraît élevé) et seraient attachés à un navire ou une plateforme d’exploitation minière en surface, au moyen d’un système d’enlèvement hydraulique et d’un câble électrique. Le volume de la production serait ainsi estimé grossièrement à environ 1 million de tonnes par an. D’autres méthodes sont proposées pour séparer les croûtes du substrat, telles que le décapage par jet d’eau, les techniques de lixiviation in situ et le détachement par effet acoustique. On peut aussi largement s’inspirer du système de ramassage (crawlers, cutters et riser) utilisé pour l’exploitation des diamants piégés dans les granulats consolidés (par la société De Beers Marine et concernant le programme Nautilus Solwara, voir V).

24D’après les travaux du groupe de travail Synergie grand fond du Cluster maritime français, c’est dans le domaine du système de ramassage et du véhicule de support que les technologies sont les moins bien maîtrisées.

Moyens accessibles et besoins technologiques

Exploration (accès aux navires et engins)

25Les infrastructures de recherche et les moyens à la mer adaptés pour l’exploration océanique des ressources minérales marines ont été développés et sont gérés dans les grands organismes de recherche publics et parfois privés (États-Unis) ; ils sont normalement accessibles par des appels d’offres relatifs à la recherche. Pour utiliser ces moyens très spécifiques et en traiter les données, il faut disposer d’une solide expertise scientifique dans le montage et la conduite de projets d’exploration.

  • 39 TGIR : Très grande infrastructure de recherche ;
    FOF : Flotte océanographique française.

26La flotte océanographique française (TGIR FOF39) pour sa partie flotte hauturière, utilisable pour l’exploration des grands fonds océaniques, est principalement constituée de sept navires opérés par l’Ifremer (Le Suroît, La Thalassa, L’Atalante, Le Pourquoi Pas ?), l’IRD (l’Alis et l’Antea) et l’Institut polaire français Paul Émile Victor (Ipev ; le Marion Dufresne). La flotte est utilisée prioritairement pour effectuer des recherches scientifiques. Elle peut aussi être utilisée pour des opérations de service public (type Extraplac) ou des contrats de recherche-industrie, tels que ceux conduits avec Total, ExxonMobil, Technip ou Eramet.

27La programmation des campagnes océanographiques découle d’un processus pluriannuel pour les campagnes de recherche scientifique, incluant la réponse à l’appel d’offres des commissions d’évaluation et l’évaluation des dossiers par les mêmes commissions. Leur programmation est alors assurée conjointement au sein de l’Unité mixte de service « Flotte » par les opérateurs de la flotte qui en supportent le coût sur leurs budgets institutionnels. La programmation peut exceptionnellement être plus rapide, si la logistique le permet, dans le cas de campagnes cofinancées comme les campagnes de service public, les partenariats public-privé (contrats recherche – industrie) ou les affrètements.

28Des compagnies privées, sociétés de services, notamment celles qui assurent l’exploration pétrolière, ont encore peu développé de réelles compétences pour l’exploration des ressources minérales, mais elles le feront certainement lorsque le marché sera plus mature.

29Il existe donc une panoplie importante de navires et engins disponibles pour l’exploration sous-marine ; nous avons cependant identifié des lacunes ou besoins technologiques nouveaux qui restent à couvrir, notamment pour l’exploration des encroûtements cobaltifères.

30Des acquisitions de nouvelles données sont indispensables, notamment pour établir un modèle géologique de la formation des encroûtements (géologie structurale, âge du substratum, géomorphologie, courants océaniques, échanges eau de mer/substrat rocheux, microbiologie, etc.). Il servira de guide d’exploration pour définir les secteurs favorables et leurs extensions spatiales pour une exploitation future.

Photo 2. Le navire Alis, de la flotte océanographique française, à quai à Papeete.
© IRD/S. Petek

31Les caractéristiques physiques et minérales des encroûtements doivent être davantage précisées pour ce qui concerne :

  • la mesure de l’épaisseur des encroûtements, qui peut varier de quelques centimètres à 25 cm, ce qui fait de très grandes différences pour l’évaluation des ressources ;
  • l’indispensable mesure de la teneur en métaux (analyse de carottes prélevées) ;
  • la connaissance précise de la microtopographie pour connaître l’extension des gisements et leur rugosité de surface.

32Enfin, de grandes lacunes caractérisent la connaissance des écosystèmes susceptibles d’être perturbés par l’exploitation (état zéro de l’environnement, connaissance de la répartition spatiale de la biodiversité, évolution des caractéristiques physico-chimiques des eaux, courantologie, pollution par panache, résilience des habitats en cas de destruction…).

Exploitation

33Comme on l’a vu, il y a peu d’informations existantes ou disponibles sur la stratégie des industriels. Les premiers développements technologiques relatifs à une possible exploitation des ressources minérales sous-marines (amas sulfurés ou nodules) sont effectués de manière indépendante et dans la plus grande discrétion par chacun des consortiums impliqués. Les développements récents proposés combinent généralement les acquis des compagnies de service de l’offshore pétrolier et gazier profond au savoir-faire des constructeurs de machines-outils de l’industrie minière. La figure 5 représente de manière futuriste les différents modules et opérations constitutifs d’une possible « mine sous-marine ». Les recherches et développements en cours pour l’exploitation des nodules et des amas sulfurés seront en partie adaptables aux encroûtements (liaison fond/surface, remontée du minerai broyé, robotique), mais le système de broyage et de prélèvement du minerai sera spécifique aux encroûtements.

34D’autre part, proposer une activité extractive exemplaire du point de vue de l’impact sur l’environnement implique de se fonder sur la meilleure connaissance du milieu et des technologies innovantes. D’un point de vue strictement technologique, le développement d’un prototype de système de ramassage spécifique adapté aux encroûtements devra être entrepris. Il semble que le décollement des « croûtes » soit plus facile à effectuer sur un substrat carbonaté, tel que cela a été observé lors des campagnes Nodco et Zepolyf. Il s’agit là d’un point majeur qui doit être confirmé. La récupération d’une sous-strate de phosphates pourrait ajouter de la valeur au produit exploité. Pour son dimensionnement, il est nécessaire de bien définir les propriétés géotechniques des encroûtements pour adapter les systèmes de broyage et de disposer d’outils pour mesurer l’épaisseur de la croûte à l’avancement du système de ramassage. Ensuite se pose la question du traitement de surface sur barge ou après transport du minerai on-shore. À terme, compte tenu du caractère novateur d’un tel ensemble de production, il devrait être testé lors d’une opération pilote, sachant qu’il convient d’abord et en priorité de consacrer les efforts à l’exploration.

Figure 5. Vision futuriste de ce que pourrait être une « mine sous-marine »
en Polynésie française.
Sur le schéma :
1/ structure de surface type navire minier : réception des matériaux et alimentation en énergie des engins de fond de mer, transport des matériaux vers un port ou une plateforme à proximité ;
2/ riser : liaison fond-surface, tube flexible de remontée des matériaux et câble pour l’énergie ;
3/ pompe : propulsion du matériau broyé dans le riser (air lift) ;
4/ engins miniers autopropulsés : extraction, fragmentation et ramassage des matériaux (croûtes polymétalliques).
© IRD/L. Corsini

35Enfin, toute future étude d’impact d’un projet d’exploitation des encroûtements devra, entre autres, tenir compte de la présence d’éléments écotoxiques dans les encroûtements cobaltifères. Une solution devra être développée pour gérer ces boues très fines (tailings), en particulier mais pas uniquement si le traitement a lieu en mer. En effet, des teneurs élevées en arsenic, plomb, thallium ont été décelées dans les échantillons de la campagne Polydrag (Martel-Jeantin et al., 2001). Ce sont trois métaux écotoxiques qui pourraient poser des problèmes de gestion des déchets de traitement du minerai.

Enjeux spécifiques et feuille de route

36De nombreuses incertitudes jalonnent la question des développements technologiques en milieu sous-marin profond. Cette situation oblige à formuler de nombreuses hypothèses sur les caractéristiques morphologiques, géométriques, gîtologiques, environnementales des gisements potentiels. La technologie de l’engin de fond sera également différente de ce qui est imaginé, voire conçu, pour les autres ressources. Concernant les traitements pyrométallurgiques ou (bio) hydrométallurgiques éventuellement in situ qui pourraient a priori convenir, le nombre limité de références sur le traitement d’un minerai comparable à celui des encroûtements rend l’approche délicate (voir toutefois Goto et al., 2010 et les travaux D’Agarwal et al., 2012, sur les nodules). Mais les encroûtements de Polynésie française peuvent être présentés comme un cas emblématique.

37Pour le cas de la Polynésie française, tout est parti de quelques données acquises lors des campagnes Zepolyf et Nodco, il y a 30 ans. Compte tenu des remarques ci-dessus, l’urgence est de valider ces anciennes données, notamment la teneur en métaux des encroûtements cobaltifères et d’avoir une meilleure connaissance morpho-bathymétrique de sites potentiellement intéressants. Il s’agit de réaliser, avec des moyens existants (sondeur multifaisceaux de coque, dragues à roches) une reconnaissance bathymétrique, des prélèvements de croûtes en grande quantité et des prélèvements de faune associée. Avec un solide programme d’analyse des échantillons, on pourra vérifier, et si possible confirmer, le potentiel géologique sur ce secteur. En outre, l’existence et l’étendue de certaines cibles potentiellement intéressantes pourront être confirmées afin d’en poursuivre ultérieurement l’exploration avec des moyens plus spéciquement adaptés à l’acquisition de données de haute résolution sur le fond. L’étude de la répartition spatiale de la biodiversité sera ainsi également abordée par ces premiers prélèvements. Elle orientera très sensiblement la suite de l’exploration géologique et biologique et de l’évaluation des ressources. Cette campagne est la priorité.

38Ensuite, des recherches pourront être conduites pour l’exploration géologique et biologique d’autres régions de la ZEE. Il faudra améliorer les techniques d‘exploration, notamment par des microforages et des mesures in situ des épaisseurs et teneur en métaux et enfin, à plus long terme, mettre au point les systèmes de ramassage adaptés pour une opération pilote qui pourrait être pionnière pour l’exploitation des encroûtements sur le plan mondial. Celle-ci doit être conçue dans une logique d’extrapolation vers l’exploitation industrielle, ce qui implique des choix en matière de technologie industrielle, tant du point de vue des critères de fiabilité et d’efficacité que du point de vue des impacts sur l’environnement.

39Les aspects environnementaux (impacts sur les écosystèmes, gestion des déchets) et sociétaux (acceptabilité sociale, usages concurrents) devront donc être partie intégrante de ces recherches dès le départ. L’ensemble constitue un vaste programme qui peut être monté dans un cadre européen ou dans une « stratégie nationale sur les ressources profondes en mer » conforme aux mesures annoncées lors du Comité interministériel de la mer (Cimer) du 22 octobre 2015 concernant « la planification à moyen et long terme de l’exploitation des grands fonds marins », ou bien dans un cadre plus régional, avec les autres îles très dynamiques dans ce domaine, ou encore avec un partenaire comme le Japon qui paraît être intéressé par ce sujet.

Notes

37 ROV : Remotely Operated Vehicle.

38 AUV : Autonomous Underwater Vehicle.

39 TGIR : Très grande infrastructure de recherche ;
FOF : Flotte océanographique française.

Table des illustrations

Légende Photo 2. Le navire Alis, de la flotte océanographique française, à quai à Papeete.© IRD/S. Petek
URL http://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/irdeditions/docannexe/image/9565/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 150k
Légende Figure 5. Vision futuriste de ce que pourrait être une « mine sous-marine »en Polynésie française.Sur le schéma :1/ structure de surface type navire minier : réception des matériaux et alimentation en énergie des engins de fond de mer, transport des matériaux vers un port ou une plateforme à proximité ;2/ riser : liaison fond-surface, tube flexible de remontée des matériaux et câble pour l’énergie ;3/ pompe : propulsion du matériau broyé dans le riser (air lift) ;4/ engins miniers autopropulsés : extraction, fragmentation et ramassage des matériaux (croûtes polymétalliques).© IRD/L. Corsini
URL http://books.openedition.org/irdeditions/docannexe/image/9565/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 256k

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